« Sommes-nous réellement nous-mêmes ? »
Conférence organisée le mercredi 11 novembre 2017 par le BDE Bio'Hazard et le Campus des Etoiles à
l'occasion de la fête de la science à Clermont-Ferrand (63).
Je visitais les g ottes de Las au l' t de ie e Do dog e, hapelle Si ti e de l’a t pa i tal ui date
du Paléolithique supérieur (vers – 18000 environ) et dont les fresques sont, non pas seulement les
i itatio s d’a i au
els,
ais pou la plupa t des ep se tatio s s
oli ues. Des
ep se tatio s s
oli ues, ela veut di e u’il s’agit d’i ages do t le se s est
tapho i ue et ui
vise à dépasser le réel, comme s’il avait, au-delà de notre perception du monde, un sens caché, que
peut-être nous serions capables de dévoiler. Il y a par exemple, juste à l'entrée de la salle dite des
Taureaux, une licorne. Une licorne, ce n'est pas un animal réel. Pour autant, il ’est pas i el a il
existe bien sur un mur. Il existe bien aussi dans mon imagination, qui elle aussi est réelle. Elle a donc
e tai e e t u se s, ui ’est pas elui du heval, elle d passe le heval puis u’elle a e plus u e
corne sur le front, un att i ut ui fait d’elle plus u’un cheval, un cheval imaginaire pour ne pas dire
mystique ou magique. Il s’agit do d’u e hose ui t anscende le réel dans le sens où elle est à la
fois réelle (sur le mur et dans mon imagination), mais aussi irréelle car elle ’e iste pas da s la
matière au même tit e u’u heval. Elle « transcende » le el, ela sig ifie u’il s’agit de uel ue
chose qui se trouve « au-dessus » du réel et « au-delà » de nous. De plus, fait étonnant à Lascaux, il
n'y a pas de représentation d'Homme ou plutôt il y en a bien une, mais une seule, et là aussi
s
oli ue, elle d'u ho
e ave u e t te d’oiseau ui to e, ave u e so te de âto à ôt ,
devant l'attaque d'un bison visiblement éventré (vous avez cette scène sur le document distribué, on
pa le d’ho
e ith phalli ue à t te d’oiseau e aiso de so phallus ig ). C’est la s e dite du
« Puits » car elle se trouve dans une sorte de cavité profonde de 5 mètres, difficilement accessible,
comme s'il fallait trouver un coin de la grotte diffi ile d’a s pou dessi e uel ue hose de diffi ile
à o p e d e. Alo s, pou uoi ette uasi a se e de ep se tatio
aliste de l’Ho
e à Las au
? Pourquoi Homo sapiens avait-il cette volonté de ne pas se représenter luie ais d’alle
he he d’aut es hoses i agi ai es afi de pa le de lui ? Cette ep se tatio s
oli ue de luie, ’est-elle pas plus aliste u’o le pe se ? Peut-être se voyait-il réellement comme un
homme-oiseau ? Peut-être était-ce un shaman, avec son habit de fête ? Peut- t e, s’agit-il de la
et a s iptio d’u
ve ou d’u e visio ? Ou encore, faut-il comprendre cette peinture dans le
ad e d’u ituel de chasse ou d’u e
o ie funéraire, liés à la mort et à des croyances
religieuses, en rapport avec un au-delà où nous serions peut-être des oiseaux ? Cette peinture, elle
ous i te oge e e u’elle ous dit uel ue hose de la faço do t ot e a t e Homo sapiens
pouvait se voir et donner sens à e u’il tait, ou du oi s, à e u’il pe sait t e. Ce quelque chose,
il se t ouve d’a o d da s le fait u’il ’e iste u’u e seule ep se tatio hu a oïde à Las au , soit
que Homo sapiens ne fusse pas capable de se représenter telle u’il se vo ait elle e t, ou bien
alors qu'il ne voulût pas se représe te tel u’il se vo ait réellement, craignant peut-être quelque
hose, ou e o e, u’il voulut se dessi e aut e e t, s’i agi e dans un souci de transcendance et
de li e t . Je dis de li e t a da s l’a te de se ep se te o
e u ho
e-oiseau, il y a une
volonté de dépasser le réel, de passer outre la réalité, et de se projeter dans un au-delà. Et d’ailleu s,
l’oiseau ’est-il pas et a i al ui est li
de l’espa e te est e, elui ui vole au-dessus de la terre
et qui peut s’app o he des Dieux ? N'est-ce pas une très belle métaphore que cet homme-oiseau
pour qualifier notre âme, cette substance qui se distingue de notre corps, et qui est plus spirituelle,
moins tactile, non soumise aux lois de la matière, mais à celles d'un « au-dessus » ? Peut-être aussi, il
ne faudrait pas parler de liberté mais de libération car, finalement, lorsque Homo Sapiens se
représente au sein du « Puits », la seule hose u’il ep se te de lui 'est la o t, o
e si la
disparition, le chaos, le néant, était la seule chose dont il soit certain, comme si le passage vers « l’audessus » et so ega d ve s e u’il e o aît pas (le ciel / la sortie du puits / la transcendance nous
avo s dit , soit la seule hose u’il e he he et ui pe ette vraiment de le définir. N’est-ce pas
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d’ailleu s i o i ue de pei d e la o t au plus p ofo d d’u puits o
finalement lui-même da s u de ie geste d’espoi et de libération ?
e si l’a tiste se ep se tait
Alors voilà, après ce détour introductif dont le but est simplement de nous faire réfléchir à ce que
ous so
es, e appo t à os a t es et à la ep se tatio u’ils pouvaie t avoi d’eu -mêmes,
je rentre précisément dans notre sujet qui est très paradoxal : « sommes-nous réellement nousmêmes ? ». Il semblerait que ce que nous so
es, se t ouve da s l’i saisissa ilit de ot e t e a
dans cette volonté de transcendance, nous allons bien souvent chercher dans « l’ailleu s » et dans
« l’au-delà », quelque chose susceptible de définir ce que nous sommes. Lorsque Homo sapiens
représente un homme-oiseau, il pe çoit ie u’il s’agit à la fois de lui, puis u’il s’agit d’u ho
e et
o d’u iso , ais aussi de uel u’u d’aut e, a il ep se te u e t te d’oiseau. Homo sapiens
dessine donc bien quelque chose qui lui ressemble dans le réel (la forme humanoïde est bien la
sie e, elle esse le à e u’il voit de l’Ho
e da s le el , mais aussi quelque chose qui ne lui
ressemble pas, bien qu'en rapport avec un animal du réel (la t te d’oiseau e iste ie da s le el
mais jamais il ’a vu da s le el u ho
e ave u e t te d’oiseau). Cet homme-oiseau est donc une
ep se tatio ui s’appuie su des fo es elles ais do t la o positio , la fo e d'e se le, e
l’est pas. Elle est i agi ai e et s
oli ue, ’est-à-dire que dans son dépassement du réel, elle dit
quelque chose que la réalité seule ne dit pas. Alors, où va-t-il chercher tout cela ? Et finalement,
l’ho
e oiseau est-il l’ho
e, u oiseau, ou aut e hose ?
Tout d’a o d, pour répondre à ce sujet, il faut réfléchir à la représentation que nous pouvons avoir
de nous-mêmes. Que se passe-t-il lo s ue ous ous p e o s pou ep se tatio , ’est-à-dire
lorsque nous créons une image mentale de ce que nous sommes, ou plutôt, lorsque nous formons
une représentation de ce que nous pensons être ? Da s l’a te de ep se tatio , où je me demande
« à quoi je ressemble ? », il se le u’il ait toujou s u d alage e t e e ue ous pe so s être et
ce que nous sommes réellement. Ce d alage, il est d’a o d o tologi ue, ’est-à-dire u’il est li à la
atu e de l’ t e e g
al ou e o e à la atu e de toute hose existante. Je ’e pli ue. Ontos en
g e , ’est l’ ta t ou e o e e ui est. Ontos, cela veut dire être, ce même être qui se trouve dans le
« sommes-nous » de ce sujet. Quand je dis que « ce que nous sommes » pose un problème
ontologique, cela signifie que lorsque nous nous posons la question de savoir ce que nous sommes,
nous nous posons la question de l’ ta t, ’est-à-dire de que signifie « être » ou « être quelque
chose ». Alo s i i, il faut s’a te et appo te plusieurs clarifications conceptuelles. Tout d’a o d, il va
falloir distinguer cet être selon le mode du prédicat et celui du substantif. Ensuite, il va peut-être
falloi disti gue l’ ta t pa ti ulie u’est l’ho
e d’autres étant que nous pouvons appeler des
choses ou des objets.
Que signifie être quelque chose ? èt e uel ue hose, ’est att i ue des a a t es à u e hose, e
que nous pouvons appeler des « attributs » ou des « prédicats ». Par exemple, si je dis, le ciel est bleu
j’e ploie ie le ve e « être »). Bleu est le prédicat du nom « ciel ». Lorsque vous vous demandez
ce que vous êtes, vous pouvez trouver de nombreux prédicats : vous êtes grands, petits, blonds,
bruns, fan de musique jazz ou de death metal, catholique ou musulman, etc. Les prédicats
pe ette t de d fi i ot e ide tit , ’est-à-di e l’e se le des a a t es ui d fi isse t ot e t e
p op e. Ce ue vous tes est i i e ui fait ue vous ’ tes pas uel u’u d’aut e. Alo s, le p oblème,
’est ue es att i uts, ils ha ge t da s le te ps et do
ue vous aussi, vous devez ha ge . Si je
dis que je suis grand, barbu, avec des cheveux longs, et que le dernier film que je suis allé voir est
Blade Runner 2049, ’est peut-être vrai aujou d’hui, ais ela e le se a peut-être pas demain. Et
dans 50 ans, lorsque je serai âgé, je serai âgé (voici un nouveau prédicat car je dirai « je suis vieux »),
je e se ai do plus v ai e t jeu e, et je ’au ai peut-être plus de cheveux, je serai donc chauve
(encore un nouveau prédicat, je dirai « je suis chauve » . Alo s, ’est e
ta t a si les p di ats
permettant de définir ce que je suis à un instant t changent dans le temps ; alors, cela signifie que, ce
que je suis ne dure pas, ce que je suis ne reste pas, ce que je suis disparaît, ce que je suis est amené à
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t e d pass . Il a u philosophe de l’A ti uit g e ue ui s’appelle H a lite au VI e si le ava t
JC. C’est u auteu t a ge, o s u ,
la oli ue, do t il e ous este ue uel ues fragments
(126). Héraclite est appelé « l’o s u » parce que ses questions bousculent ; elles refusent le
caractère essentialiste de l’ t e. H a lite efuse de di e ue l’ho
e est uel ue hose a e
« est » fige ce que nous sommes. Héraclite refuse le a a t e p di atif de l’ t e a il est i possi le
de « prédire » ce que nous sommes. Lorsque nous nous demandons « ce que nous sommes », nous
demandons la définition de quelque chose qui change. Or, comment arrêter une définition de ce que
nous sommes si ce que nous sommes change tout le temps ? Héraclite ne nous dit pas « ce que nous
sommes » a il ous dit ue ous so
es o da
s à e pas t e et à ha ge . Et d’ailleu s, la
représentation du « Puits », ’est aussi e u’elle ous dit. L’ho
e est condamné à passer, à
ha ge , à passe da s l’au-delà et deve i uel u’u d’aut e, u oiseau pa e e ple, d’aut es diront
plus ta d u a ge. Il a uel ue hose de sa
da s la e he he de soi a , da s l’ig o a e de e
que nous sommes, nous espérons t ouve u e po se aut e, u e po se t a s e da tale, ’est-àdire une réponse qui se trouve au-dessus de nous et en dehors de ce que nous sommes réellement.
La représentation du « Puits », ’est la vie et la o t u ies su u
u ui este da s le te ps et
t a s e de les âges o
e u e uestio o tologi ue ui pe du e et ui ous dit ue l’Ho
e–
nous –, ous ous uestio o s e o e et toujou s su e ue ous so
es, ’est-à-dire sur notre
« être ». H a lite l’o s u , vous le o aissez, il ous dit :
Fragment 49 : "Nous descendons et nous ne descendons pas dans le même fleuve."
Fragment 91 : "On ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve."
Quand nous disons que nous ne pouvons pas nous baigner deux fois dans le même fleuve, qu’est-ce
que cela signifie ? Cela sig ifie ue, lo s ue ous plo geo s da s l’eau à u poi t p is d’u fleuve à
l’i sta t t, l’eau ui le o stitue, elle o ti ue de oule . Alo s, lo s ue je e aig e de ouveau au
e poi t p, l’eau da s la uelle je e t ouve à l’i sta t suiva t t+ ’est plus la
e. Il s’agit
d’u e aut e eau, il s’agit d’u e eau ouvelle. Le p o l e est alo s de savoi si le fleuve, ui tait f à
l’i sta t t est le
e à l’i sta t t+ puis ue l’eau da s la uelle je e aig e ’est plus la même,
elle est e+ . I i, ’est do le p o l e de l’ide tit du fleuve ue ous uestio o s et de savoi
o
e t ous pouvo s le d fi i . Si le fleuve se d fi it pa l’eau u’il o tie t, alo s puis ue l’eau
ha ge, le fleuve ha ge et ’est do pas d finissable de façon unique. Ou alors, peut-être que nous
pouvons définir ce fleuve de par son caractère changeant, ce caractère constituant alors son
identité v ita le ; a , ’est- e pas l’ide tit
e du fleuve de poss de de l’eau ui ha ge et qui
circule e ui pe et de le disti gue , pa e e ple d’u ta g où l’eau, là, e ha ge pas ?
Il faut donc dépasser le caractère attributif de l’ t e – les prédicats – et tendre vers ce que nous
pouvons appeler son caractère substantif. Dans substantif, il y a le mot substance ce qui signifie
substare « être dessous ». Les grecs employaient eux le terme hypokeimenon ὑποκεί ε ο
signifiant « qui a la fonction de support ». Nous avo s dit tout à l’heu e t e « au-dessus » de par le
caractère transcendant de l’ t e, ai te a t ous diso s t e « en-dessous » et supporter ce que
nous sommes. L’att i ut o siste à di e ue je « suis » quelque chose, le substantif va en-dessous
chercher la fondation de ces attributs afin de trouver quelque chose de plus durable et permanent,
pouvant rester da s le te ps. Le su sta tif, ’est le a a t e o ha gea t de l’ t e, e ui este et
pe du e. Si le fleuve est u e eau ha gea te, alo s e ’est pas ta t l’eau ui le d fi it ue so
caractère changeant. Le substantif va chercher les principes qui se trouvent en-dessous du visible et
de la matérialité des choses. Le fleuve change, voilà un caractère permettant de définir sa substance
ou encore son « essence ». L'essence d'une chose, du latin esse qui signifie être, c'est ce qu'est une
chose, c'est-à-dire, non plus l'ensemble des éléments permettant de définir ce qu'elle est dans le
temps, mais « la » substance qui la définit vraiment. Pa e e ple, si je e de a de e u’est le iel,
je peux dire, le ciel est bleu, il est au-dessus de a t te. J’ad esse do deu att i uts au iel,
pensant pouvoir le définir. Le problème, ’est u’il a d’aut es hoses ui so t leues et aussi audessus de a t te, pa e e ple, la
sa ge leue ue j’ai vue hie ou e o e le pa apluie ue j’ai
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emprunté à un collègue la semaine dernière. Alors, il faut trouver une définition plus essentielle du
iel, e ui ’est pas si vide t. Su le La ousse, j’ai t ouv u e douzai e de d fi itio s o
e si le
iel ’avait pas de su sta e ou o
e si sa su sta e tait i possi le à d fi i de façon univoque.
Pour nous, les hommes, et ie ’est la même chose. Je suis Pie e Sou , j’ai u e a e et des
cheveux longs, tout cela ne restera pas, cela va disparaître, ce sont des attributs, ce que je suis
change. Cependant, lorsque je dis que « je suis » sans y ajouter de prédicat, je dis quelque chose que
tous les hommes peuvent aussi dire et qui se trouve en-dessous de os ide tit s, o
e s’il e istait
une base commune à nos identités, tout en-dessous de nos différences. Ici, « nous sommes », cela
sig ifie ue ous pa ti ipo s tous d’u e substance commune, u’il y a quelque chose qui nous définit
non plus en propre, mais en commun et de façon universelle. Alors, évidemment, la question qui
a ive, ’est elle de savoi e ue ’est ue ette « substance » universelle que nous partageons tous
et si nous pouvons vraiment la définir. Que sommes-nous vraiment si nous ne sommes pas des
individus particuliers o pos s de a a t es et d’att i uts singuliers ? Cette substance qui
représente notre être nous est-elle accessible ? Notre pensée ne nous limite-t-elle pas lo s u’il s’agit
de penser ce que nous sommes ?
Ici, René Descartes, peut nous aider à avancer. Vous avez tous en tête le fameux cogito ergo sum,
« je pense donc je suis », ue l’o t ouve da s le Discours de la méthode (1637) et les Principes de la
philosophie (1644). Selo Des a tes, l’ho
e est définit par deux substances. Il possède un corps,
ui est u o jet o
e u aut e, d te i pa les lois de la ph si ue au
e tit e ue ’i po te
quel objet réel. Ce corps est soumis aux aléas du temps et ne reste pas car il est fini et mortel.
D’aut e pa t, il poss de u e aut e su sta e ue Des a tes appelle l’â e, laquelle est stable, elle est
permanente, elle est infinie dans le sens où ses limites ne sont pas physiques, elle est immortelle. Le
corps est la res extensa, la hose te due, l’â e et la res cogitans, la chose qui pense. Comment
Descartes arrive-t-il donc à cette définition de l’ho
e et que veut-il nous dire ? Dans les années
1630, Descartes a pou p ojet d’ i e le Monde, un ouvrage où il d fe d la th se de l’h lio e t is e,
ue la te e tou e autou du soleil et o l’i ve se, laquelle est défendue et démontrée par son
contemporain Galileo Galilei, en français Galilée. Cependant, en 1633, Galilée vient de subir une
deuxième condamnation pou h sie, la th se de l’h lio e t is e s’opposa t au g o e t is e de
l’Eglise catholique (la première condamnation a eu lieu en 1612). Descartes a peur et plutôt que de
p e d e le is ue d’u e o da atio aussi, réfléchit à un ouvrage qui pourrait fonder une méthode
scientifique pe etta t de so ti de l’o s u a tis e des o a es eligieuses et de la s olasti ue
l’ ole ti e du Mo e -âge encore dominante en France au XVIIème siècle). Cet ouv age, ’est le
Discours de la méthode, écrit en français, et non en latin afin de permettre à un maximum de
pe so es de le li e, ie ue l’a alpha tis e reste très important en 1637, et non signé, afin
d’ vite les foud es du Sai t-Siège. Ainsi, celui qui appliquerait sa méthode avec rigueur, devrait
pouvoi a ive à des v it s da s les s ie es, l’id e a h e ta t de fou i les outils pe etta t à
tous d’affi e ave vide e ue Galil e avait aiso . Da s le Discours de la méthode, il ne dit pas
que Galilée a raison, mais il propose u e
thode pe etta t d’a ive de faço s ie tifi ue à des
vérités scientifiques do t la th o ie de l’h lio e t is e est « seulement » un cas particulier. Aussi,
nous dit Descartes, cette méthode repose sur le « bon sens », ’est-à-dire une attitude de l’esp it ue
tout ho
e poss de et ui lui pe et d’avoi aiso . Ce « bon sens », nous dit Descartes est la chose
du o de la ieu pa tag e, e d’aut es te es, il s’agit de la aiso ui pe et de d te i e pa
la logique des vérités scientifiques. Alors, quels rapports à notre sujet ? Dans le Discours de la
méthode, Descartes se propose de fonder une méthode scientifique. Pour se faire, il fait table rase de
toutes les o aissa es u’il poss de afi de voi s’il peut t ouve u p e ie p i ipe, u e ase
solide à sa méthode. Il doute de tout, son doute est total, il est hyperbolique. Il doute de toutes les
o aissa es u’il d tie t, il doute des do
es de ses se s, il doute de so i agi atio , et il doute
même de luie, ’est-à-di e du fait u’il existe. Mais alors, se passe un événement exceptionnel,
une évidence lui apparait. Quand bien même il doute de tout, il y a quelque chose dont il ne peut pas
doute , ’est u’il est e t ai de doute . E effet, o
e t pou ait-il doute u’il doute, puis u’il
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doute. Et le doute, ’est u e faço de pe se . Ai si, il appa aît ave fo e et vide e à Des a tes,
u’il e peut pas doute du fait u’il pe se. Et s’il pe se, ous dit Des a tes, ’est u’il doit e iste
une substance qui lui permette de penser. La pensée ne peut pas exister de façon purement
a st aite, la pe s e e ’est pas uel ue hose e l’ai ; alo s, ous dit Des a tes, s’il pe se et u’il
e iste uel ue hose ui lui pe ette de pe se , ’est u’il e iste uel ue hose do t la atu e est
de pe se . Et e uel ue hose, selo Des a tes, ’est l’â e. Alo s, vous o p e ez peut-être mieux
le fameux cogito ergo sum, « je pense donc je suis », ’est pa e u’il est vide t à l’ho
e u’il
pe se, u’il peut affi e aussi u’il e iste. Aussi, dans les Méditations métaphysiques (1641), il
transforme ce « je pense donc je suis » en « je suis, j’e iste ». C’est peut-être plus juste. C’est ie
pa e ue j’e iste, ’est-à-di e ue j’ai le se ti e t d’ t e el, que je peux aussi donner forme à ma
pensée, la uelle, hez Des a tes, a pou p e i e o jet, le soi, le oi, l’ t e ui se pe se lui-même.
Des a tes a d jà l’i tuitio ue ette affai e d’ t e et de alit , e peut se satisfai e d’u e pe s e
essentialiste et statique. Dans le « j’e iste », il a l’id e ue je sais ue je suis uel ue hose ais
ue je e sais pas v ai e t e ue je suis. J’ai do le se ti e t d’ t e, et ce sentiment, je peux
l’appele « existence », ’est-à-dire, étymologiquement, ex + stare, « sortir de la situation debout ».
Nous avons dit que la substance renvoyait à ce qui nous supportait et se trouvait en-dessous de
l’ t e, et ie l’e iste e, se ait plutôt l’i ve se, l’a to
e, ’est-à-dire, au contraire, ce qui nous
sortirait de notre immobilisme et nous ferait avancer. E iste , ’est se p ojete , agi et ava e da s
le temps. L’e iste e, elle est prise dans le mouvement o
e ous l’a o t Héraclite.
« L’e iste e, elle p
de l’esse e », ous di a Sa t e tout à l’heu e. Si je résume donc un peu,
l’ho
e selo Des a tes est pou vu d’u o ps do t la atu e est ph si ue, et u e â e do t la
atu e est de pe se . Nous so
es do pou vus d’u e double nature. Cependant, cette pensée
’est pas d u e de diffi ult s ue je e d taille ais pas ai te a t a ela risquerait de nous
éloigner trop loin du sujet. Simplement, j’ o e ai deu diffi ult s : premièrement, chez Descartes,
il e iste u dualis e st i t e t e le o ps et l’esp it, ’est-à-di e u’il e pe se pas v ai e t leu s
rapports (sauf à la fin de sa vie dans les Passio s de l’â e, 1649 . Alo s, ’est e
ta t a si ous
so
es deu su sta es ie disti tes, il faut ie u’il ait uel ue hose ui les asse le t. Y
a-t-il une troisième substance qui prend les deux autres pour objets ? N’ a-t-il e fait u’u e seule
su sta e ui e glo e le o ps et l’esp it au uel as ils e so t peut-être pas des substances mais
deux attributs ? La se o de diffi ult , elle a t ait à la atu e de l’â e. S’il est assez fa ile de o evoi
que le corps a une nature finie et d te i e pa des lois
a i ues, ue pe se de l’â e ui se ait
infinie ? Quelles pourraient être les lois qui la déterminent ? Ici, Descartes répondrait certainement
Dieu… Je laisse ela e suspe s.
Ce que nous pouvons ete i , ’est ue pa atu e, ous so
es o s ie ts d’e iste , ue ela ous
pa aît vide t, et u’il ous ait aussi vide t ue lo s ue ous pe so s, ous pe so s e p op e,
’est-à-di e o s ie t d’ t e u e su sta e apa le de pe se . Da s e se s, ous avo s l’i tuitio
d’ t e à l’o igi e de ot e pe s e et elle-ci nous appartient. Reprenons alors depuis le début notre
raisonnement afin de voir si nous avons avancé un peu. Pou l’i sta t, ous avo s e a u le
problème de la représentation, ainsi que celui de son rappo t à l’ t e ui s’av e complexe et intuitif.
Nous avo s disti gu le p di at du su sta tif, aussi le o ps et l’esp it o
e possi le d fi itio de
la nature humaine. Continuons. Peut- t e l’avez-vous e a u ,
ais p og essive e t, j’ai
transformé la question initiale. Je ne me suis plus demandé « que sommes-nous réellement » mais
plutôt « que sommes-nous vraiment ». Qu’est-ce que cela signifie ? S’agit-il d’u e e eu ? Le sujet de
cette journée est bien « sommes-nous réellement nous-mêmes ? » ; or, comme nous avons essayé
de le di e, la alit est ha gea te. Il e iste u te ps ui fo e l’ t e à ha ge , et do
e d diffi ile
la d fi itio de ot e esse e, ’est-à-dire ce que nous sommes. Il faut donc peut-être pour répondre
à notre question initiale distinguer la réalité de la vérité. Peut-être sommes-nous bien quelque chose
de el ais si ous voulo s saisi e uel ue hose, ’est à la pe s e et à la o aissa e u’il faut
s’ad esse . C’est do le p o l e de la v it u’il faut saisi , peut-être plus que celui de la réalité.
Je ’e pli ue. Si je vous de a de, uelle heu e il est et ue ous essa o s de do e ette heu e de
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la façon la plus précise qui soit, nous sommes bien embêtés car, il nous est impossible de figer le
temps réellement. Ainsi, si je dis il est XXX, et bien cette affirmation est déjà fausse car le temps que
je regarde à ma montre est déjà passé. Il semblerait donc que je sois condamné à courir après le
temps, ou plutôt à courir après la réalité que je veux connaître mais qui se dérobe à tout instant sous
l’effet de a o s ie e et des représentations que je peux faire. Il ’est ai si i possi le de
o aît e elle e t l’heu e a la alit ’est pas saisissa le, elle est ha gea te. Alo s, e ’est
pas tout à fait vrai, je saisis bien quelque chose – un temps à un moment donné dans un espace
donné et avec une conscience donnée – ais e te ps, lo s ue je le dis, ’est plus v ai e t le
même, il est déjà un autre, il est différent. Il ’est plus el, il est deve u spi ituel, ’est-à-dire une
information, une connaissance, une représentation, une proposition que je formule et que je vous
donne, le fruit de mon esprit qui peut fait office de vérité, une vérité bien relative mais stable,
laquelle laisse cependant passer le temps el a elle e peut pas l’a te . Il existe donc une
séparation entre la réalité et la vérité. Donc, quand je dis le temps – il est XXX – je dis bien quelque
hose de v ai, ’est-à-dire quelque chose qui représente la réalité sans se confondre avec elle ; mais,
cette vérité, elle ’est pas elle, ou du oi s elle ’est pas le el. U e v it dit uel ue hose de la
alit sa s se o fo d e ave elle pa e u’il e iste u d alage – une distance – et u’elle d pe d
de la pensée qui représente le réel sans le saisir totalement.
Alors ici, il y a une petite subtilité. Peut-être que lorsque je me représente moi-même, je ne me
représente pas de la même manière que lorsque je produis la ep se tatio d’u o jet qui est
différent de moi. Pourquoi ? Et bien parce que lorsque je me représente moi-même, je me trouve à la
fois l’o jet de a ep se tatio
ais aussi le sujet, à la diff e e du te ps ui, lo s ue j’essaie de
le saisi , ’est pas moi. Il est extérieur à moi et son existence ne dépend pas de moi. Il est régi par les
lois de la physique. E eva he, lo s ue je e ep se te oi, e ue je pe çois ’est pas du ti le
aux lois de la ati e a l’o jet de a ep se tatio – le moi –, possède un sens très personnel que
personne ne peut me prendre. Je rappelle la pensée de Descartes qui nous dit bien que lorsque je
pense, je sais u’il s’agit de oi, ue j’e iste et que e se ti e t, ette i tuitio , elle ’appa tie t et
elle ’appa tie t à pe so e d’aut e ue oi. E d’aut es te es, lo s ue je fl his à e ue je suis,
je suis le seul apa le de e saisi e p e i e pe so e et pe so e d’aut e ue oi e peut e
comprendre de façon aussi proche et intime. C’est u
o e t o pli u ue je vais d taille . Nous
avons dit que lorsque nous essayons de saisir un objet du réel, par exemple le temps, nous sommes
apa les de fo ule u e v it ui est e fait u e ep se tatio plus ou oi s o fo e à e u’il
est dans le réel. Si nous nous demandons « quelle heure il est », nous tomberons tous à peu près
d’a o d à uel ues i utes p s. La aiso de et a o d est ue le te ps est u o jet el et
déterminé par des lois physiques que nous pouvons saisir à partir d’appa eils de esu e fia les que
nous possédons tous (nos montres, nos téléphones portables, etc.). Maintenant, prenant une
pe so e la da pou o jet d’ tude et essa o s d’appli ue le
e s h a afi de savoi e ue
ous pouvo s di e d’elle. Vous pa exemple. Il est clair que nous pouvons tous nous entendre autour
de la d fi itio d’att i uts ph si ues, pa e e ple ue vous êtes assis, que vous avez des cheveux W,
des yeux X, une taille Y, un nom Z. Tout cela, comme pour le temps, nous pouvons tous nous en
app o he a il s’agit de a a t es o je tifs li s à vot e ide tit , u’il s’agisse d’u e ide tit so iale,
physique, ou biologique. Il s’agit d’att i uts. Cependant, il y a une différence fondamentale entre le
te ps et vous, ’est ue ja ais le te ps e se de a de e u’il est ou à uoi il esse le. Le te ps
’a pas de o s ie e, de aiso , de volo t , ef, il ’est pas li e de se uestio e au sujet de e
u’il est, i
e de odifie volo tai e e t e u’il est. Il est u o jet d te i pa des lois
immuables et qui ne changent pas. Vous, en revanche, vous pouvez non seulement décider de
odifie les att i uts ue ous avo s p dits tous à l’heu e pa e e ple vous pouvez vous lever et
pa ti , e ui fute ait l’att i ut « vous êtes assis ») mais surtout vous possédez une essence qui
vous appartient et que personne ne peut prédire sinon vous. Cette essence, cette substance, elle
vous est propre et vous la ressentez tout un chacun comme une « intuition » de ce que vous êtes
vraiment. Par exemple, il a je suis sû uel u’u i i ui a des sultats o je tive e t e elle ts à
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l’ ole ou au t avail, ais ui, lo s ue vous lui dîtes, s’ e ve t a il ’a pas le se ti e t d’ t e
brillant. Pareil pour ce qui relève de la beauté, certaines personnes ne se trouvent pas belles quand
ie
e elles poss de t tous les att i uts d’u
a e ui . Ai si, lo s u’il s’agit de savoi e ue
nous sommes, il existe à la fois des critères objectifs sur lesquels nous pouvons tous tomber
d’a o d, e ue ous avo s appelé des attributs et ce qui fait de nous des objets physiques comme
le temps, mais il existe aussi des critères subjectifs qui dépendent de notre personnalité, de nos
choix, de notre subjectivité et de que nous allons appeler notre libre-arbitre. C’est Jean-Paul Sartre
qui, dans son ouvrage L’èt e et le N a t (1943), nous dit :
« ue l’ho
e, ta t o da
à t e li e, po te le poids du o de tout e tie su les paules : il
est responsable du monde et de luie e ta t ue a i e d’ t e ».
Nous so
es o da
s à t e li e ous dit Sa t e, u’est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire
deu hoses. Tout d’a o d, ela veut di e ue la li e t fait pa tie i t g a te de la atu e hu ai e et
u’e ela, l’ho
e ’est pas u o jet si ple e t d te i pa des lois ph si ues. Si ous e
pouvons nier le poids des déterminismes sur notre être, nous restons libres de faire des choix qui
dépassent les déterminismes. Il paraît par exemple réducteu aujou d’hui de dui e ot e ide tit
sexuelle à des chromosomes X ou Y. Je lisais la semaine dernière une interview du Dr. Karine Chung,
la directrice du programme de préservation de la fertilité à la Keck School de Médecine de
l’U ive sit de Califo ie du Sud, qui disait que les hommes pourraient connaître les joies de la
g ossesse d’i i
ou
5, à pa ti d’u e t a spla tatio d’ut us (ce qui est déjà possible chez les
femmes). Aujou d’hui, il est possi le de ha ge de se e. Qu’il s’agisse d’u e t a spla tatio d’ut us
ou d’u ha ge e t de se e, e so t ie os hoi i i ui su passe t les déterminismes purs et
pe ette t à l’Ho
e o plus seule e t d’ t e u ho
e défini sur un plan biologique mais de
deve i Ho
e, ’est-à-dire une entité dont la vie ne dépend plus des lois objectives mais de son
libre-arbitre et de sa subjectivité. « Condamné à être libre » do , et ’est u deu i e poi t, ela
veut di e aussi ue ous ’avo s pas hoisi ette li e t
ais u’elle s’i pose à ous de faço quasi
déterministe. Alo s, vous allez e di e, Mo sieu , vous vous o t edisez. D’a o d vous ous dîtes
ue la atu e hu ai e se d fi it pa la li e t ui s’oppose au diff e ts d te i is es, puis
maintenant vous nous dîtes que la liberté elle-même est une forme de déterminisme. Je ne
comprends plus rien. Il faudrait savoir. Alors, il faut être clair : l’ho
e est à la fois u t e
déterminé, nous dit Sartre, au
e tit e u’u o jet ph si ue tel ue l’heu e – le temps – mais
aussi un être indéterminé, de par sa liberté qui lui permet de faire des choix. Mais ce qui compte,
ela va t e l’o d e da s le uel ous pouvo s pe se e ue ous so
es. Ai si, pou Sa t e
toujours, « L’e iste e, p
de l’esse e ».
Qu'est-ce que signifie ici que l'existence précède l'essence ? Cela signifie que l'homme existe d'abord,
se rencontre, surgit dans le monde, et qu'il se définit après. L'homme, tel que le conçoit
l'existentialiste, s'il n'est pas définissable, c'est qu'il n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera
tel qu'il se sera fait. Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoir.
(L'existentialisme est un humanisme, coll. Folio essais, p. 29)
Alors, plutôt ue de pa le d’ t e, je p f e ai te a t pa le d’e istence. Peut-être que ce que
nous sommes réellement, ne se trouve pas finalement dans la définition de notre être, mais dans la
apa it ue ous avo s d’ t e, ’est-à-dire dans le changement et dans le devenir. Et ce devenir,
non seulement il dépend des lois physiques, mais il dépend aussi de notre raison et de notre librearbitre, ce libre-arbitre vous appartenant à vous et à vous seul car seul vous pouvez l’e plo ez et
faire des choix dont vous êtes les sujets responsables. « Vous êtes condamnés à être libre », cela
sig ifie ue vous tes li es de fait, sa s l’avoi hoisi, a ela el ve de la atu e hu ai e d’ t e
apa le de fai e des hoi ui vo t i flue e ot e deve i . Nous e hoisisso s pas d’ t e li e
ais ot e li e t s’e p i e à t ave s os choix qui vont déterminer notre avenir. En cela, nous
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so
es pou vus d’u e t a ge espo sa ilit , elle ui o siste à po d e de os a tes do t le
fond – la liberté – ’est pas hoisie ais el ve de ot e o ditio d’Ho
e et ot e t e. Je
reviendrai sur le problème de la responsabilité en conclusion.
Alors, que sommes-nous réellement ? Nous ne pouvons pas le dire, du moins, nous pouvons dire
quelque chose de nous qui est en rapport avec le réel, une représentation, une image, une
conception, une théorie, une intuition, une évidence, ’est-à-dire une idée de ce que nous sommes,
sans que cela soit totalement conforme à ce que nous sommes réellement. Nous sommes des êtres
de devenir qui possédons un pouvoir sur les choses, sur nous-mêmes et sur le monde, mais comme il
s’agit de deve i , il est difficile de prédire ce que nous serons. Bref, nous ne pouvons dire que des
approximations de ce que nous sommes, et ous app o he d’u e v it do t ous so
es
e tai e e t le fo d ais do t l’o je tivation réelle et totale est impossible, en raison notamment
de notre subjectivité. Cepe da t, s’il est possi le de doute de la alit de e ue ous so
es,
’est-à-dire de ce que nous sommes dans le réel, peut-être que ce que nous pensons de nous est bien
réel, du moins, que ce que nous disons de nous peut nous paraître vraisemblable. Rappelez-vous de
e ue je disais de la li o e ou de l’ho
e-oiseau d s l’i t odu tio , s’ils ’e iste t pas da s le el,
indépendamment de ma conscience, ils existent bien sur un mur, en tant que peinture et comme
objets de mon imagination. Dans ce sens, ils sont bien réels, mais leur réalité dépend de moi, et leur
existence me paraît seulement vraisemblable. Alors, peut-être que ce que nous pouvons dire de nous
se trouve dans la v aise la e de e ue ous so
es da s le el, ’est-à-di e da s l’illusio ue
nous avons de croire que ce que nous sommes est réel, alors que nous ne pouvons trouver que des
id es ou des i ages, ’est-à-dire des représentations de ce que nous sommes, plus ou moins
conformes au el. Le p o l e de e sujet do , e se t ouve i da s la t a s e da e, ’est-à-dire
ce qui se trouve « au-dessus » de ous, i da s la su sta e, ’est-à-dire ce qui se trouve « endessous » de nous, mais dans « l’app o imation », ’est-à-dire la distance qui existe entre le vrai et la
réalité et qui doit nous rapprocher de ce que nous sommes réellement. Ainsi, si nous souhaitons
ous app o he de e ue ous so
es elle e t, ous devo s d’a o d ous de a de e ue
nous sommes vraiment, et ce, dans le but de nous rapprocher du devenir, ’est-à-dire ce qui nous
définit en tant que substance, laquelle nous permet de transcender le réel, sans avoir accès
immédiatement à ce que nous sommes. S’il pa aît diffi ile d’affi e que nous sommes réellement
quelque chose, il est peut-être plus vraisemblable de dire que, nous ne pouvons pas définir ce que
nous sommes réellement et donc que, lorsque nous essayons de réfléchir à ce que nous sommes,
nous ne trouvons pas de réponse définitive et satisfaisante. Cette insatisfaction, qui exprime
l’i e titude de l’ t e et qui nous embête, parce que nous souhaiterions bien être capable de dire ce
que nous sommes dans le réel et ue ous ’ai o s pas le doute, ’est ie u e v it ui pe et de
définir ce que nous sommes, laquelle marque un « souci » : le sou i ue ous avo s d’ t e et de
devenir, le souci que nous avons de définir ce que nous voulons être et de o ti ue d’e iste . En
vérité, nous sommes donc vraiment difficiles à définir car notre être est changeant dans le réel mais
que nous avons toujours le souci de nous définir en rapport à ce réel que nous désirons toujours
approcher plus. L’app o i atio est peut-être ce qui définit le mieux ce que nous sommes car nous
sommes des êtres finis, limités, et que nous errons aussi bien dans le monde réel que dans la pensée,
toujou s à la e he he d’u ut, d’u e li ite, de uel ue hose sus epti le de ous d fi i et de
nous aider le mieux possible dans le réel. Et si vous êtes là ce soir, ’est ie ue vous he hez
uel ue hose de vous, u
ho, u e so a e, u e app o i atio , ’est-à-dire une approche de
votre être.
Si je fais u e s th se ai te a t, la uestio ue ous essa o s d’app o he est p ofo d e t
humaine car elle manifeste : i) premièrement, le constat de notre ignorance en ce que nous sommes
encore et toujours incapables de dire ce que nous sommes, et que, malgré le progrès des sciences,
nous restons des hommes comparables à notre homo sapiens qui, dans le « Puits », questionnait son
t e sa s ja ais pouvoi elle e t saisi e u’il tait ; ii) deuxièmement, le souci que nous avons
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de nous connaître et de définir des critères universels afin de mieux comprendre ce que nous
sommes dans le présent, tout en sachant que nous appartenons à l’avenir. Ce souci, les grecs
l’appelaie t epimeleia. Il a ue l’affi atio du sujet ui o seule e t veut d ouv i e u’il est
ais ui, pou se fai e, est o lig d’ad ett e so ig o a e, ’est-à-di e u’il e sait pas e u’il est
elle e t. Et oui, si je veu savoi e ue je suis, ’est ue je sais ue je e sais pas e ue je suis
dans le réel. Il faut alors bien distinguer deux choses : d’u ôt , il a l’ig o a e de e ue je
suis dans la réalité ; de l’aut e ôt , il la o aissa e de o ig o a e, e ui est d jà u e v it .
Cela appelle u des p eptes de l’O a le de Delphes ui s’appelait la P thie. Elle p ot geait le
te ple d di à Apollo et tait apa le de divi atio , ’est-à-dire de dire des choses qui dépassaient
l’ho
e e ve tu de leu a a t e agi ue ou eligieu . La P thie, elle ous dit, tel u o seil
divin : « Connais-toi toi-même ». Que signifie ce « connais-toi toi-même ? » qui est très proche de
notre sujet. En son fond « connais-toi toi-même » et « sois réellement ce que tu es ! », ’est u peu la
e hose. Il s’agit d’app o i atio et de o fo it . Il faut oute la P thie do t la pa ole est
essia i ue afi de t ouve u e po se à ot e sujet. Tout d’a o d, e « connais-toi toi-même » est
u e i jo tio , u o seil. Si l’ho
e doit se o aît e, ’est pa e u’il a de o es aiso s de
croire que cela est bien. Si je ne sais pas ce que je suis, chercher à savoir ce que je suis peux me
pe ett e d’alle ieu et de participer au monde de la connaissance des hommes, et peut-être, a
fortiori le bien-être de tous. Fai e des s ie es, fai e de la philosophie, ’est e tes ta li des
o aissa es au sujet de e ue ous so
es ais ’est su tout suppo te l’ho
e afi de le faire
g a di , ave e fo d, il faut
oi e, l’id e de ie o
u . De plus, au-delà de ce devoir qui
o siste à he he à se o aît e, il se le ait u’il soit da s la atu e hu ai e de vouloi se
connaître. Dans ce sens, chercher à se connaître r elle e t, ’est a o pli sa atu e da s le el,
’est-à-di e e ui fait ue ous so
es tous des Ho
es. Cette atu e, ous l’avo s dit, elle se
t ouve da s l’i saisissa ilit de l’ t e, l’i apa it ue ous avo s de ous o aît e elle e t,
mais dans la volonté permanente et historique que nous avons de formuler des hypothèses, des
vérités théoriques, à notre égard et sur le monde, ’est-à-di e d’e iste . L’a o plisse e t de ette
nature, elle est déjà présente dans le « Puits » où notre ancêtre dessine une question quant à la
nature de son être. Enfin, dans ce « connais-toi toi-même », il y a quelque chose de prophétique.
L’o a le de Delphes, elle tait u e p t esse et u e essag e des Dieu . Elle tait l’i te fa e e t e
les hommes et les Dieux et elle donnait aux hommes des messages qui devaient leur permettre
d’alle ieu et de d passe leu o ditio de o tels. Ici, se connaître soie, ’est a ti ipe su
ce que nous sommes et sur ce que nous pouvons être. Notre homme-oiseau à Lascaux, bien avant la
P thie, lui aussi uestio ait les Dieu afi de savoi e u’il tait. Et la s ie e, aujou d’hui, e
questionne-t-elle pas aussi l’i o u, e ue les Ho
es e o aisse t pas, e ui les fait
penser, imaginer, rêver, et fantasmer même. Science et religion, croyance et vérité, se retrouvent
da s le p o l e de l’ t e et, lo s u’il s’agit de d fi i e ue ous so
es, ous is uo s des
réponses difficiles, voire impossibles. Isaac Newton lui-même dans sa physique voyait dans le monde
des lois telle e t pa faites ue seule l’h poth se d’u t e sup ieu pe ettait de les satisfai e.
Dans son ouvrage Les Principes, Newton nous dit, et je le cite :
« Cet admirable arrangement du Soleil, des planètes et des comètes, ne peut être que l'ouvrage d'un
être tout-puissant et intelligent. Et si chaque étoile fixe est le centre d'un système semblable au nôtre,
il est certain que, tout portant l'empreinte d'un même dessein, tout doit être soumis à un seul et
même être [...]»
Savoi e ue ous so
es, ’est so ti fi ale e t de ot e o ditio fi ie d’ho
e et se p e d e
pou u Dieu a , pou savoi e ue ous so
es, il faut s’e ti pe de e ue ous so
es
réellement pour gagner en objectivité et pouvoir affirmer le « vraiment ». Alors, établir une
con aissa e su ot e t e, ’est, d’u e e tai e faço , e plus t e seule e t o tel ais se
app o he du divi . Et, e effet, la o aissa e, ’est e ui ous pe et de de eu e au-delà de la
vie et au-delà de la mort. Ici, il y a peut-être des personnes qui deviendront de grands penseurs, de
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grands chercheurs, et soyons optimiste, qui révolutionnerons à leur façon le monde de la vie. Ce qui
este a d’eu , e ’est pas leu o ps ais leu esp it o
tis sous la fo e d’u savoi ou d’u e
connaissance. Lo s ue ous liso s la th o ie de la elativit , ous tou ho s l’ t e d’Al e t Ei stei
qui ne se réduit pas à son cerveau matériel mais épouse les lois du monde et les comprend. Ainsi, à la
question « Sommes-nous réellement nous-mêmes ? », il y a la question du cosmos et de la place que
nous y occupons. Sommes-nous réellement nouses, ’est e fait la uestio uelle pla e ous
occupons dans le monde ? Alo s, je disais u’il est u e te da e à vouloi se p e d e pou u Dieu
da s la e he he de l’ tre, ais il faut voi plus u outil de pe s e pe etta t d’avancer dans la
recherche de la vérité, u’u e alit v ita le – nous ne sommes que des hommes se prenant pour
des oiseau afi d’échapper aux lois terrestres, mais la réalité de ces hommes-oiseaux est bien plus
terrestre que céleste. Il y a ici des implications majeures dans le champ des sciences car, se poser la
uestio de ot e pla e da s le o de, ’est aussi o p e d e ue ous e so
es pas tout
puissant, que nous sommes limités, et que se p e d e pou u Dieu, e ’est pas t e u Dieu et ue
ous so
es loi d’ t e des Dieu a ous appa te o s à u
o de o et et el d te i pa
des lois ui ous d passe t et où d’aut es ue ous agisse t et i te agisse t. Se pose alo s le
problème de ot e espo sa ilit fa e au o de ui, s’il est de ot e devoi de le o aît e, il est
e o e plus de ot e devoi de ous o aît e afi de o aît e la pla e u’il ous faut o upe afi
de préserver la vie et le réel. Jouer aux apprentis sorciers ave l’ato e, ua d o voit l’ e gie ui
peut s’e d gage , ’est fai e ava e la s ie e th o i ue e t ais ’est aussi o vo ue ot e
espo sa ilit e ta t ue ous so
es o pos s d’ato es et faiso s pa tie du os os. Lorsque le
projet Manhattan, qui a mené à la première bombe atomique, est mis en place de 1942 à 1946 par
les Etats-U is, l’A glete e et le Ca ada, l’attitude des s ie tifi ues pa ti ipa t est alo s t s
a ivale te a , à la fois, il s’agit d’u p ojet do t l’e jeu et l’i po ta e scientifique sont
indéniables, mais dont les retombées sont désastreuses. En 1946, après les explosions de Nagasaki et
de Hiroshima, Albert Einstein luie sous l’i pulsio du ph si ie ho g o-américain Leo Szilard,
fo de t le Co it d’u ge e des s ie tifi ues ato istes do t le ut est d’ale te l’opi io pu li ue
des da ge s asso i s au d veloppe e t des a es u l ai es, de p o ouvoi l’utilisatio pa ifi ue
de l’ e gie u l ai e et la pai da s le o de. Une moitié de ces membres avaient travaillé
directement sur le Projet Manhattan, mais tous avaient été directement impliqués ou consultés pour
la fabrication de la première bombe atomique. Ce comité a duré seulement 4 ans. Qu’est-ce que cela
signifie ? Que reste-t-il aujou d’hui de l’esp it de e comité à l’heu e où les Etats-Unis et la Corée du
No d se e a e t utuelle e t ave l’a e u l ai e e fo d ? Alors, ne pas répondre à notre
questio i itiale, ’est peut-être protéger le réel et le laisser en bordure de nous, à la limite, afin de le
garder sous la main, et respecter la nature de ce qui peut e pas t e saisi. J’ai e plo le te e de
espo sa ilit ui sig ifie, et ’est da s l’ t ologie du ot, « répondre de ses actes ». Celui qui
touche au réel, doit répondre de ses actes. Il y a une diff e e e t e avoi l’i te tio de vole
uel u’u et de le vole elle e t. La diff e e, elle se t ouve da s le el. Ai si, ous so
es des
t es do t l’esse e side da s la apa it ue ous avo s de po d e de os a tes, ’est-à-dire de
trouver des réponses à des questions que nous nous posons sur le réel, mais dans le souci du vrai.
C’est d’ailleu s e a te e t e ue ous so
es e t ai de fai e ai te a t. Nous pe so s u e
uestio et essa o s d’ t ouve des po ses. Alo s, et e se a a o clusion, il faut, je crois rester
hu le da s la po se et o p e d e ue toute po se est li it e. Qu’est-ce que cela signifie ?
Une limite est un point réel fini au-delà du uel o e peut pas alle . Cette li ite, ous l’avo s
p is e da s l’app o he du réel et dans son caractère vraisemblable en rapport avec notre pensée.
Not e li ite, ’est l’app o i atio et la v aise la e, ’est-à-dire la pleine conscience du caractère
i d te i a le de l’ t e. Pou ous aujou d’hui, ela sig ifie do
ue, si les sciences ont pour but
de po d e au g a des ig es de l’u ive s, il est de ot e espo sa ilit de o p e d e aussi les
limites de nos réponses, leurs caractères éphémères et changeants. Le réel change et nous aussi, il
ne peut pas y avoir de réponse définitive. Le penseur ne peut pas être dogmatique, il doit toujours
rester humble et critique. Critique vis-à-vis de son travail, de ses résultats, de ses collègues, mais
surtout vis-à-vis de lui-même. Alors, notre question initiale, elle est essentielle et son sens est de
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demeurer comme un garde-fou, comme un bouclier, contre le dogmatisme et le risque du
totalitarisme. Et, ’est peut-être un conseil, lorsque vous pensez avoir trouvé quelque chose – une
réponse – une vérité – pensez à cette question que nous observons tous i i aujou d’hui – « sommesnous réellement nous-mêmes ? » – et pe sez ue, ous ’avo s pas t ouv de po se d fi itive.
Ainsi, si nous ne pouvons pas trouver de réponse permettant de répondre définitivement à ce que
nous sommes, alors m e ue ous pa aisso s les plus aptes à
po d e, puis u’il s’agit
di e te e t et d’a o d de ous, t ouve des po ses à e u’est le o de et e ue so t les hoses
qui le composent est certainement encore plus difficile car, elles ne sont pas proches, elles
demeurent lointaines.
Voilà, je vous e e ie pou vot e atte tio …
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