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Sous la direction de t ISABELLE BOISCLAIR, PIERRE-LUC LANDRY et GUILLAUME POIRIER GIRARD QuébeQueer Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises t Les Presses de l’Université de Montréal Sous la direction de Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Poirier Girard QuébeQueer Le queer dans les productions littéraires, artistiques et médiatiques québécoises Les Presses de l’Université de Montréal Mise en pages : Yolande Martel Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Titre : Québequeer / Isabelle Boisclair, Guillaume Poirier Girard, Pierre-Luc Landry. Noms : Boisclair, Isabelle, 1961- auteur. | Poirier Girard, Guillaume, 1988- auteur. | Landry, Pierre-Luc, 1984- auteur. Description : Comprend des références bibliographiques. | Texte en français seulement. Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20190016159 | Canadiana (livre numérique) 20190016167 | ISBN 9782760640689 | ISBN 9782760640696 (PDF) | ISBN 9782760640702 (EPUB) Vedettes-matière : RVM : Théorie queer dans la littérature. | RVM : Théorie queer dans l’art. | RVM : Littérature québécoise—Histoire et critique. | RVM : Arts québécois— Histoire et critique. Classification : LCC PS8101.G45 B64 2019 | CDD C840.9/35266—dc23 Dépôt légal : 1er trimestre 2020 Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Les Presses de l’Université de Montréal, 2020 Cet ouvrage a été publié grâce à une subvention de la Fédération des sciences humaines de concert avec le Prix d’auteurs pour l’édition savante, dont les fonds proviennent du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. Les Presses de l’Université de Montréal remercient de son soutien financier la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). imprimé au canada Queeriser le geste suicidaire : penser le suicide avec Nelly Arcan Alexandre Baril 1 Queeriser2, c’est brouiller les frontières et leur binarité. Queeriser, c’est refuser l’assimilation et le jugement de ce qui est (a)normal. Queeriser, c’est se réapproprier, recoder, redéployer dans de nouveaux contextes et à d’autres fins des termes, les resignifier (Halperin, 2000 [1995] ; Scott, 2017). Contrairement à d’autres travaux qui affirment queeriser le suicide (Marsh, 2010 ; McDermott et Roen, 2016) et qui proposent des analyses prenant comme objets d’études les communautés queers, cet essai entend queeriser le suicide dans un sens plus large que de seulement problématiser le suicide des personnes queers. Queeriser le suicide dans un sens plus global, c’est refuser l’assimilation des idéations et gestes suicidaires aux paradigmes dominants d’interprétation du suicide, qu’ils soient d’ordre médical/psychiatrique, biopsychosocial ou social3, et qui, au-delà de leurs divergences, aboutissent à la même 1. L’auteur tient à remercier les personnes qui ont dirigé cet ouvrage collectif pour leur lecture attentive et leurs suggestions pertinentes. Il souhaite également remercier A.J. Ausina-Dirtystein et Sébastien Barraud pour leurs commentaires. 2. Une des premières occurrences du verbe « queeriser » en français se trouve dans les travaux de Bourcier (1999). 3. Le paradigme médical/psychiatrique interprète le suicide comme résultant d’une pathologie individuelle, le paradigme social l’interprète comme résultant d’une pathologie sociale (oppression structurelle), alors que le paradigme biopsychosocial considère à la fois des éléments biologiques, psychologiques, environnementaux et sociaux dans son interprétation de la suicidalité. Pour des détails sur ces modèles, voir Baril (2018 ; 2019), Bayatrizi (2008), Beattie et Devitt (2015), March (2016), Taylor (2014) et Webb (2011). 326 ◆ QuébeQueer conclusion : le suicide est anormal et n’est jamais une bonne option. Queeriser le suicide, c’est laisser les personnes suicidaires se réapproprier, recoder et redéployer les discours sur le suicide à partir de leurs référents, besoins et objectifs. Queeriser le suicide, c’est resignifier le sens négatif que lui donnent les discours dominants pour faire émerger des récits différents. Queeriser le suicide, c’est brouiller les frontières entre les bonnes et les mauvaises décisions sur la mort, entre la rationalité et l’irrationalité de certains gestes, entre les affects positifs et négatifs et contester la binarité de ces catégories. Cet essai de philosophie politique propose de queeriser le suicide en dialoguant notamment avec les idées que nous propose Nelly Arcan sur le suicide dans son œuvre. Penser et queeriser le suicide avec Arcan, c’est aussi remettre en question les frontières entre Isabelle Fortier et Nelly Arcan, entre la fiction, l’autofiction et la biographie, entre la littérature et les essais politiques, mais aussi entre les raisons légitimes et illégitimes de vouloir mourir et les bons et mauvais choix pour affronter la souffrance humaine. Queeriser le suicide implique aussi une queerisation de la méthodologie de ce texte : je mobiliserai ainsi divers écrits de l’œuvre d’Arcan, qu’il s’agisse de ses romans (Paradis clef en main), de ses ouvrages d’autofiction (Putain et Folle), ou encore de ses propos dans des chroniques ou entretiens publiés, pour offrir des réflexions critiques sur les conceptualisations dominantes du suicide4. Deux remarques préliminaires avant de me lancer dans cette entreprise de queerisation du suicide : la première est que je ne souhaite aucunement encourager le suicide et la seconde est que je suis en faveur de certaines stratégies de prévention de celui-ci. Néanmoins, je soutiens que les personnes suicidaires constituent une minorité opprimée et discriminée (au même titre que les femmes, les personnes LGBTQ, les personnes racisées, etc.). Présente dans nos sociétés, cette oppression des personnes suici4. Je remercie les personnes ayant dirigé cet ouvrage quant aux précisions qu’elles ont apportées concernant le fait de considérer sur le même plan des textes autofictionnels et des discours essayistiques/épitextuels à partir d’une perspective littéraire. Je ne présuppose pas que le « je » des textes fictionnels d’Arcan soit équivalent à celui qu’elle déploie dans ses autofictions et ses essais. Sans confondre ces différents registres d’énonciation, je me permets ici de mobiliser ces différents textes traitant du suicide en vue d’enrichir la réflexion de philosophie politique proposée. Queeriser le geste suicidaire ◆ 327 daires que je qualifie de « suicidiste » (Baril, 2018) est de surcroît reproduite par certain·e·s militant·e·s et théoricien·ne·s queers (et anti-oppression en général) qui, en tenant des discours univoques et négatifs sur le suicide, tendent à disqualifier les expériences subjectives des personnes concernées5 (par exemple : March, 2010 ; McDermott et Roen, 2016). Il est urgent, selon moi, de reconnaître les oppressions sociales, culturelles, médicales/psychiatriques, économiques et juridiques que vivent les personnes suicidaires et surtout d’être à l’écoute de leurs voix si l’on veut être en mesure d’établir des stratégies de prévention du suicide plus efficaces6. Surtout, il est temps de sortir des métarécits du suicide qui, en dépit de leur diversité, racontent tous la même histoire pathologique du suicide (que cette pathologie soit située au cœur de l’individu comme dans le modèle médical ou dans la société comme dans le modèle social), vu comme anormal, aberrant et, ultimement, comme signe de l’échec le plus important d’une vie. Queeriser le suicide, c’est ouvrir la porte à des clés d’interprétation multiples du suicide. C’est également, dans une volonté de penser le suicide avec Nelly Arcan, une façon de ne pas réduire la mort d’Isabelle Fortier à une irrationalité fondée sur la maladie mentale ou à une souffrance sociale comme l’hétérosexisme7. 5. Pour une critique ciblée de ces postures queers, voir Baril (2017 ; 2019). 6. Toutes les études quantitatives nous indiquent qu’en dépit des efforts déployés, les taux de suicide demeurent assez stables. À ce sujet, voir Beattie et Devitt, 2015 ; Organisation mondiale de la Santé [OMS], 2014 ; Stefan, 2016. 7. C’est le cas notamment de Taylor qui écrit : « Dans le cas d’Arcan, le désir de mort était fort probablement produit par des pratiques oppressives fondées sur le genre et la sexualité » (« In the case of Arcan, the desire for death was likely produced through practices of gender and sexual oppression » ; 2014 : 20). Les perspectives de Taylor sur le suicide ne peuvent être réduites au modèle social. Dans des échanges personnels qu’elle me permet de citer, elle m’a parlé de réticences qu’elle avait également au sujet du modèle social au moment de l’écriture de son article, mais qui sont peut-être moins mises en lumière dans celui-ci : « I also felt reluctant to give any “grand narrative” of why people commit suicide, e.g. replacing “it is always mental illness” with “it is always oppression” ». Il s’agit là d’une nuance importante qui reflète plus sa perspective théorique complexe sur Nelly Arcan et le suicide.Cette traduction de même que toutes les autres sont de l’auteur. Poulin-Thibault abonde dans un sens similaire : « Cela est d’autant plus évident que la lectrice ou le lecteur lit le suicide d’Arcan […] comme le résultat de son mal-être face aux structures patriarcales puisque l’écrivaine s’affichait ellemême comme hyperféminisée » (2017 : 38). 328 ◆ QuébeQueer Putain de vie, putain d’existence La perspective d’avoir un avenir l’effrayait, lui faisait honte, voire l’offensait. Qu’avait-il [réfère à un personnage suicidaire] fait pour naître ? Lui avait-on demandé son avis avant de le jeter dans l’être ? La vie était une agression, un viol fondamental. Le laisser vivre voulait dire ne pas le soigner, lui refuser l’aide dont il avait besoin, c’était dire non à l’amputation de ce qu’il haïssait, de ce qui le rendait si malheureux : la vie en soi, la vie tout court (Arcan, 2009 : 106). Il ne serait pas exagéré de dire que les thématiques de la mort et du suicide tapissent l’œuvre entière de Nelly Arcan (Larochelle, 2015 ; Taylor, 2014). On pourrait même dire qu’en prêtant ces paroles à ses narratrices, Isabelle Fortier avait annoncé le geste suicidaire qu’elle accomplira par pendaison près d’une décennie plus tard, d’abord dans Putain : « je me tuerai devant vous au bout d’une corde, je ferai de ma mort une affiche qui se multipliera sur les murs, je mourrai comme on meurt au théâtre, dans le fracas des tollés » (Arcan, 2001 : 87), puis dans Folle8 : « Quand ma mort arrivera, on lira peut-être cette lettre, on y verra une prédiction » (Arcan, 2004a : 139). Le dernier mot que l’on retrouve d’ailleurs dans Putain (2001) est « mort », alors que la conclusion de Folle (2004) se compose des dernières lignes d’une lettre de suicide, deux œuvres autofictionnelles incluant plusieurs éléments autobiographiques9. Quant au roman posthume Paradis clef en main (2009), bien qu’il se termine sur une note d’espoir où l’héroïne affirme son désir de vivre après un suicide manqué, cet espoir se trouve débouté par la fin de la rédaction du roman, marquée par le suicide de Fortier en 2009. Contrairement aux discours dominants sur le suicide qui le conçoivent comme un mauvais choix10, voire une aberration, que 8. Voir les passages suivants particulièrement révélateurs à ce sujet : Arcan (2001 : 87, 89, 97, 124, 142, 144-145) et Arcan (2004a : 13-16, 112-113, 139, 143-144, 157, 202, 205). 9. Fortier, dans certains entretiens, comme avec Christiane Charrette (2001), déclare que Putain est une « œuvre autobiographique », un « texte viscéral […] et c’est l’affect qui amorce la réflexion ». 10. Il est parfois aussi vu comme un non-choix face à l’oppression ou un manque d’agentivité d’un sujet dit irrationnel. Queeriser le geste suicidaire ◆ 329 ceux-ci relèvent du modèle médical/psychiatrique, du modèle social ou du modèle biopsychosocial, la locutrice dans le roman d’Arcan parle plutôt de la vie en tant qu’« aberration » (Arcan, 2001 : 89). Dans ses essais comme dans ses romans, Arcan insiste sur le caractère invisible et indescriptible du « mal de vivre »11 (Larochelle, 2015 : 33) des personnes suicidaires. Dans Putain, la narratrice indique : « je suis malade de ne pouvoir nommer le mal que j’ai, et vous verrez que je mourrai de ça » (Arcan, 2001 : 144). Le simple fait de vivre, d’exister et d’en avoir conscience est la source d’une douleur existentielle profonde chez ses personnages (Arcan, 2001 ; 2009), la vie étant décrite « dans certains cas, [comme] une maladie à soigner [par le suicide] » (Arcan, 2009 : 109). « Vouloir se tuer par simple fait d’être en vie » (Arcan, 2009 : 32), comme le dit la narratrice de Paradis clef en main, n’est toutefois pas un discours intelligible selon les modèles d’interprétation du suicide en vigueur. Ces modèles rejettent ainsi les discours des personnes suicidaires dans le règne de l’inintelligible. La douleur de vivre que rapportent des personnes suicidaires dans les discussions publiques sur le sujet (Bayliss, 2016 ; BBC, 2017 ; CBC Radio, 2016 ; Chiose, 2017 ; Maier-Clayton, 2016) ou dans les études qualitatives (Shneidman, 1993 ; Stefan, 2016) doit avoir une cause et donc une cure, qu’il s’agisse d’un débalancement affectif ou biochimique de l’individu traitable à l’aide de psychothérapies ou de médicaments, d’oppressions sociales (racisme, colonialisme, hétérosexisme, capacitisme, etc.) résolues à l’aide de révolutions sociopolitiques, ou de prédispositions génétiques déclenchées par des facteurs sociaux et environnementaux traitées à l’aide de stratégies combinées. Cette douleur de vivre doit être enrayée et ne peut exister en soi, dans sa complexité. Laisser exister ce mal-être et ses frontières floues menacerait la vie. Laisser s’exprimer cette douleur de vivre risquerait de court-circuiter les stratégies mises en avant dans les divers modèles de gestion du suicide dont les téléologies, ancrées dans le biopouvoir, sont univoques : détecter, prévenir et traiter cette douleur de vivre, peu importe les solutions proposées. 11. En entrevue, Fortier parle de « mal de vivre » et de « difficulté de vivre » qui persistent en elle malgré une certaine dimension cathartique de l’écriture (Larochelle, 2015 : 33). Dans son œuvre d’autofiction Putain, la narratrice évoque aussi au « mal de vivre » (2001 : 47), « un mal qu’on s’efforce de ne pas nommer » (2001 : 99). 330 ◆ QuébeQueer Ces solutions vont même jusqu’à l’incarcération forcée (cellule d’isolement et institutionnalisation psychiatrique), la médication imposée et le retrait du privilège de consentir ou non à des traitements (Stefan, 2016 ; Szasz, 1999). Alors que ces pratiques sont considérées comme violentes par les personnes se réclamant de perspectives « mad »12 (Burstow, 2015 ; Burstow, LeFrançois et Diamond, 2014 ; LeFrançois, Menzies et Reaume, 2013), les divers·es chercheur·euse·s et intervenant·e·s les voient comme des interventions nécessaires pour les personnes suicidaires. Aucun autre récit que ces récits dominants n’est accepté et acceptable sur le suicide. Si laisser mourir ces personnes suicidaires en paix de manière individuelle est une solution acceptable pour quelques rares auteur·e·s (Stefan, 2016 ; Szasz, 1999), aucun·e à ce jour n’a proposé de soutenir ces personnes dans leurs démarches pour un suicide assisté dans une optique anti-oppression queer et anticapacitiste13. Queeriser le suicide, c’est ainsi accepter qu’il existe de multiples acceptions de ce qui constitue une vie vivable, une mort acceptable et plusieurs significations entourant les idéations et gestes suicidaires. Néanmoins, à l’instar de l’hétérosexualité qui, dans un cadre hétéronormatif, est la seule option considérée comme saine, normale, valable, légitime, délégitimant du même coup les identités, vies et discours des communautés LGBTQ, le désir de rester en vie, par opposition au suicide, est la seule option considérée comme saine, normale, valable, légitime dans un cadre biopolitique qui repose sur une injonction à la vie et à la futurité (Baril, 2017), délégitimant du même coup les identités, vies et discours des personnes suicidaires. Arcan/Fortier, dans son œuvre, a tenté de dégager, pour reprendre son terme, la « complexité » (Arcan, 2004b ; 2008) entourant les gestes suicidaires, pour aller au-delà de cette conception univoque, homogène et négative du suicide – une approche qui relève selon moi d’une 12. Les perspectives mad relèvent des mad studies qui, à la manière des études queers, ont resignifié la notion de « folie » (madness), en ont fait un vecteur d’affirmation positive et de revendications politiques. 13. Scott (2017) est l’un·e des rares auteur·e·s à envisager le potentiel queer dans l’œuvre d’Arcan. Elle montre comment le défaitisme, les affects négatifs et la pulsion de mort chez Arcan rompent avec l’injonction au bonheur et la temporalité hétérosexuelle fondée sur la famille, la reproduction et la futurité, la situant ainsi dans une perspective queer antisociale et antirelationnelle. Scott ne théorise toutefois pas le suicide de Fortier dans son analyse. Queeriser le geste suicidaire ◆ 331 queerisation du suicide14. Bien qu’il soit peu visible dans l’espace public et dans les mouvements ou champs d’études anti-oppression, le groupe des personnes suicidaires, comme groupe opprimé, existe. Son invisibilité s’explique notamment par le fait que plusieurs des personnes suicidaires ne s’expriment pas publiquement, par peur d’être empêchées d’accomplir leur suicide et des conséquences négatives d’une telle prise de parole (Baril, 2018 ; 2019). S’il est vrai, comme le rappelle la narratrice de Paradis clef en main, que certaines personnes suicidaires ne se préoccupent que de leur sort et tendent à poursuivre leur chemin en solo (Arcan, 2009 : 18), le testament littéraire et politique qu’Arcan nous lègue atteste une autre approche. En effet, son œuvre fictive et non fictive témoigne d’un fort intérêt à théoriser les discours, espoirs et revendications des personnes suicidaires. Dans la chronique citée ci-dessous, elle soutient que seules les personnes suicidaires devraient avoir le dernier mot sur la possibilité de vivre ou de mourir : Si tout le monde consent à dire que le suicide est une terrible tragédie […] personne ne peut se résoudre à admettre que la vie de chacun appartient de droit à l’État, ou encore à la famille, encore moins aux amis. La vie est propre à celui qui la vit. Et s’il est vrai que le suicide est un lègue [sic] terrible qu’il faut absolument prévenir, c’est aussi vrai que ne pas faire souffrir son entourage ne peut constituer, du moins à long terme, une raison suffisante pour vivre (Arcan, 2008)15. En fonction d’une injonction à la vie et à la futurité qui sous-tend les modèles d’interprétation du suicide et leurs modes d’intervention, les discours des personnes suicidaires, comme ceux d’Arcan/ Fortier sur la putain de vie et la putain d’existence, restent inaudibles. Comme l’écrit Arcan dans Folle, « les gens sains le sont trop pour concevoir qu’on puisse planifier sa mort » (2004a : 14). Lorsqu’ils ne sont pas délégitimés par les discours paternalistes tenus par les mouvements ou études anti-oppression stipulant qu’une solution individuelle comme le suicide ne peut constituer une 14. Halperin soutient que le queer se définit dans son rapport d’opposition à ce qui est considéré comme normal et légitime (2000 [1995] : 75). S’opposer aux visions normales du suicide peut être vu comme une queerisation du suicide. 15. Cet argument est similaire à un passage de Paradis clef en main (2009 : 17-18). En entretien, Fortier indique qu’un des objectifs principaux derrière ce roman était de se poser la question : « À qui appartient notre vie ? Est-ce que l’on peut en disposer comme on veut ? » (Larochelle, 2015 : 33). 332 ◆ QuébeQueer réponse face à la violence et aux problèmes sociaux, les discours des personnes suicidaires sont considérés comme irrationnels. Si Isabelle Fortier était folle de vivre selon sa perspective située, elle a surtout été, selon les interprétations dominantes du suicide, folle de mourir comme elle l’a fait. Folle de vivre, folle de mourir L’un des problèmes, c’est peut-être que l’on croit avoir tout compris [par rapport au suicide]. Car ce comportement des plus angoissants est d’une telle complexité qu’il nous échappe encore (Arcan, 2008). Comme la citation en exergue le montre, une des limites importantes des travaux en suicidologie est la présomption que l’on possède déjà des explications valables (et donc de bonnes solutions) à propos du suicide. Qu’elles attribuent des causes biologiques, biopsychosociales ou sociales au suicide, ces explications ne laissent que peu, voire pas d’espace aux discours des personnes suicidaires. Comme le montre Webb, le premier chercheur en suicidologie ayant déclaré avoir eu un passé suicidaire, les modèles d’interprétation du suicide et d’intervention dominants sont contre-productifs : Dans le contexte actuel de peur, d’ignorance et de préjugés, parler de ses sentiments suicidaires crée un risque réel d’être jugé·e, enfermé·e et médicamenté·e. Les personnes suicidaires savent cela et, comme la plupart des gens, feront leur possible pour éviter que ça leur arrive. Nous cachons nos sentiments aux autres, adoptons la clandestinité. Et le cycle meurtrier du silence, des tabous et des préjugés est renforcé. […] Il existe une faille fondamentale au cœur de la pensée contemporaine sur le suicide, à savoir l’incapacité de comprendre la suicidalité telle qu’elle est vécue [je souligne] par les personnes qui en font l’expérience16 (2011 : 5). 16. « In the current environment of fear, ignorance and prejudice, talking about your suicidal feelings runs the very real risk of finding yourself being judged, locked up and drugged. Suicidal people know this and, like most people, will do their best to prevent it happening to them. We hide our feelings from others, go underground. And the deadly cycle of silence, taboo and prejudice is reinforced […] There is a fundamental flaw at the core of contemporary thinking about suicide ; which is the failure to understand suicidality as it is lived by those who experience it ». Queeriser le geste suicidaire ◆ 333 Je soutiens que cette résistance à écouter et à respecter le point de vue des personnes suicidaires repose sur une forme de capacitisme mental (mentalism/sanism17), c’est-à-dire une forme de discrimination envers les personnes ayant des handicaps mentaux, psychologiques ou émotifs (Baril, 2017 ; 2018). Au regard de diktats capacitistes, les personnes suicidaires sont jugées irrationnelles et inaptes au consentement à mourir. Comme le mentionne Bayliss (2016), les personnes suicidaires se retrouvent dans une situation perdante ou de « catch-22 », pour reprendre son expression : « Je ne veux pas vivre, mais le fait même de ne pas vouloir vivre signifie qu’il m’est impossible de consentir à mourir »18. Certaines recherches en sciences de la santé, comme celles de Hewitt (2010 ; 2013), commencent à critiquer cette forme de délégitimation de l’autonomie, de l’agentivité et de la capacité à prendre des décisions des personnes ayant des problèmes de santé mentale. Hewitt distingue l’irrationalité temporaire, qui survient épisodiquement chez les personnes ayant des troubles de santé mentale, de l’irrationalité permanente (par exemple, à un stade avancé de la maladie d’Alzheimer) (2013). Si les personnes suicidaires peuvent vivre des épisodes d’irrationalité temporaires durant lesquels il serait dangereux d’autoriser le suicide, il en est autrement pour les désirs de mort qu’elles manifestent sur de très longues périodes. Autrement dit, il est problématique de délégitimer les désirs de mort soutenus des personnes suicidaires sous prétexte qu’elles sont irrationnelles, car elles ne vivent pas une forme d’irrationalité permanente. D’ailleurs, cette conception de la personne suicidaire comme irrationnelle, impulsive et « folle » est récente dans l’histoire. En effet, les actes suicidaires ont historiquement été pensés comme des actions que chaque personne pouvait effectuer ; ils ont été interprétés comme des péchés, puis des crimes. Ce n’est que vers le 19e siècle que la personnalité suicidaire est vue depuis une lorgnette pathologique (Bayatrizi, 2008 ; Corriveau et al., 2016 ; Taylor, 2014). Cette saisie médicale des personnes suicidaires leur 17. Sur le sanism, voir Burstow, LeFrançois et Diamond (2014), LeFrançois, Menzies et Reaume (2013). 18. « I don’t want to live, but the very fact that I don’t want to live means I can’t possibly consent to die ». 334 ◆ QuébeQueer a enlevé toute agentivité et toute autonomie décisionnelle (Bayatrizi, 2008 : 97). Bayatrizi demande : « Avons-nous peur de la personne qui dit non à la société et à la vie19 ? » (2008 : 121). Si Bayatrizi ne répond pas explicitement à cette question rhétorique, ma réponse est oui. Les personnes suicidaires sont réduites au silence par cette peur sociale, fondée sur une injonction à la vie et à la futurité et sur des principes capacitistes. D’une part, les personnes suicidaires voulant parvenir à leur(s) fin(s) doivent rester silencieuses ; manifester leur désir ferait échouer leur plan, en raison d’une pléthore de mesures de sécurité cherchant à prévenir leur suicide. Arcan parle d’ailleurs de ces mesures de sécurité dans ses chroniques (Arcan, 2004b ; 2008), ses œuvres fictives (Arcan, 2009) et ses autofictions (Arcan, 2004a). D’autre part, lorsque les personnes suicidaires s’expriment, leur désir de mourir est jugé irrationnel et illégitime et doit à ce titre faire l’objet d’une éradication. Autrement dit, le désir de mourir n’accède pas au domaine du pensable, du dicible et du faisable, il ne peut pas être entendu en lui-même, il peut seulement l’être dans une logique préventive. Découlant de ce capacitisme mental, le suicide est souvent perçu comme un geste irréfléchi, irrationnel et impulsif (Beattie et Devitt, 2015 ; Corriveau et al., 2016 ; Hewitt, 2010, 2013 ; Szasz, 1999). Pourtant, en réitérant dans chacune de ses œuvres de fiction, d’autofiction et dans certaines chroniques ses idées sur le suicide, Arcan/Fortier montre bien que ses idéations suicidaires et celles de ses personnages sont loin d’être irréfléchies, irrationnelles et impulsives. La missive de suicide que constitue Folle (Arcan, 2004a : 205) mentionne d’ailleurs que l’écriture de la lettre s’est échelonnée sur un mois, laissant amplement le temps à la narratrice/Isabelle Fortier de penser aux conséquences de son choix. En revenant constamment sur le suicide dans son œuvre, Arcan/ Fortier démontre la persistance de son désir de mort. Une lecture anticapacitiste du suicide, qui ne réduirait pas les sujets suicidaires à des victimes de troubles mentaux incapables de prendre des décisions sur leur mort, ainsi qu’une lecture queer du suicide, qui resignifierait le caractère anormal, déviant et inintelligible des gestes suicidaires, permettent de renouveler les modèles d’interprétation du suicide et d’intervention, dans lesquels les discours 19. « Are we afraid of the one who says no to society and to life ? » Queeriser le geste suicidaire ◆ 335 suicidaires ne sont pas délégitimés. Une interprétation anticapacitiste/crip et queer du suicide invite plutôt à se laisser interpeller par ces discours et les valeurs qu’ils portent. Paradis clef en main ou l’aide médicale à mourir pour les personnes suicidaires S’il y a un sujet qu’il faut aborder avec une bonne épaisseur de gants blancs, tenu en laisse par une rectitude politique indécrottable, c’est bien le suicide. Quelque chose à voir avec une aura de contagion (Arcan, 2008). Arcan a raison de dire que le sujet du suicide est difficile à aborder et qu’il fait émerger des débats publics houleux, comme cela a été le cas au Canada avec les discussions sur le suicide et le suicide assisté suivant l’adoption du projet de loi C-14 concernant la décriminalisation de l’aide médicale à mourir en 2016. Dans sa formulation actuelle, la loi vise à fournir une aide médicale à mourir aux personnes dont la « mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible » (Gouvernement du Canada, 2016), y compris aux personnes handicapées et psychiatrisées ; elle demeure interdite aux « personnes atteintes uniquement d’une maladie mentale », incluant les personnes suicidaires voulant mourir en raison de leur souffrance mentale, psychologique ou émotive, comme Isabelle Fortier ou Adam Maier-Clayton20. Cette loi et d’autres similaires21 représentent un double affront envers les personnes handicapées22. D’une part, en fonction de diktats âgistes, capacitistes, néolibéraux et productivistes, ces lois légitiment le suicide assisté pour des sujets construits comme « abjects », notamment les personnes âgées, malades ou handicapées physiquement. Conformément aux régimes d’intelligibilité dominants, il semble normal que ces personnes veuillent mourir et qu’elles aient accès à une aide pour le faire. D’autre part, en fonction des mêmes diktats, ces lois considèrent comme irrationnelles 20. Adam Maier-Clayton a revendiqué publiquement l’inclusion des personnes suicidaires dans la loi sur l’aide médicale à mourir, en vain. Il s’est donné la mort seul (BBC, 2017 ; Chiose, 2017 ; Maier-Clayton, 2016). 21. Voir les travaux de Stefan (2016) sur les lois à l’échelle internationale concernant le suicide assisté. 22. Je développe les réflexions suivantes en détail dans Baril (2017 ; 2018). 336 ◆ QuébeQueer les personnes suicidaires et délégitiment leurs voix. Il serait anathématique d’aider à mourir une personne jeune, non handicapée ou malade physiquement et ayant un futur prometteur. Bref, ces lois reposent sur une double forme de capacitisme. D’un côté, les personnes handicapées et malades physiquement ont le droit de mettre fin à leurs jours à partir de la présomption d’une qualité de vie réduite. De l’autre, les personnes suicidaires vivant avec des handicaps émotifs ou psychologiques à la source de leur désir de mort demeurent inaudibles en raison d’un capacitisme mental. En plus d’être inhumaine, cette exclusion capacitiste des personnes suicidaires de l’aide médicale à mourir est motivée par des idéologies injustifiées et injustifiables, telles que l’injonction à la vie et à la futurité23. Arcan évoque d’ailleurs ce qu’il y a d’inhumain à forcer des gens à vivre au-delà de leur volonté ou de leur capacité à le faire. La narratrice de Folle écrit : « Si je faisais partie de n’importe quelle autre espèce animale, il y a longtemps qu’on m’aurait laissé crever tranquille, les animaux ont parfois plus de cœur que les hommes, ils ne trouvent pas de remède pour ressusciter leurs morts » (Arcan, 2004a : 39). À partir d’une approche anticapacitiste/crip et queer du suicide, de même qu’une approche fondée sur la compassion et la réduction des méfaits (Baril, 2017), mon objectif ne consiste pas à rendre la loi sur l’aide médicale à mourir plus inclusive, mais de proposer un projet aux fondements différents. Je suggère un renversement des lois actuelles. Je postule que les personnes qui devraient être prioritairement ciblées pour recevoir une aide médicale à mourir sont les personnes qui veulent mourir, telles les personnes suicidaires, indépendamment de leur condition physique ou de l’imminence de leur mort naturelle. Je répète qu’il ne s’agit pas de faire l’apologie du suicide par sa vision romancée, au contraire. Je crois qu’un changement des lois et politiques permettrait de réduire le contrôle et la surveillance exercés sur les personnes suicidaires et leur permettrait de s’exprimer, facilitant l’intervention pour sauver plus de vies, tout en accompagnant les 23. Injonction à laquelle on pourrait ajouter l’injonction au bonheur dont parle Ahmed (2010) ou Cvetkovitch (2012) dans leurs analyses des affects négatifs. Arcan aborde celle-ci lorsque la narratrice de Folle écrit : « Très tôt j’ai compris que, dans la vie, il fallait être heureux ; depuis, je vis sous pression » (2004a : 145). Queeriser le geste suicidaire ◆ 337 personnes déterminées à mourir dans un processus de suicide assisté. Si on peut lire Paradis clef en main (2009) comme une critique du suicide assisté, ce roman peut aussi être interprété comme un plaidoyer en faveur du suicide assisté et une critique de l’industrie illicite du suicide assisté que produit la criminalisation (in)directe du suicide. Comme Fortier le rappelle, la criminalisation, l’interdiction et la stigmatisation de certains phénomènes (usage de drogues, travail du sexe, suicide, etc.) ne sont pas des solutions aux problèmes sociaux : Mais aborder un problème en interdisant ce problème, en plaçant le « bonbon » hors de portée, derrière des barrières, est la meilleure façon de ne pas l’aborder. Les suicidaires empêchés de sauter du pont Jacques-Cartier vont aller sauter ailleurs, c’est tout. En posant ces barrières, on agit comme devant les prostituées et les commerces de babioles érotiques : on leur désigne un quartier, on les repousse seulement un peu plus loin, hors de la vue (Arcan, 2004b). Selon les modèles d’interprétation du suicide et des stratégies de prévention en place, il n’existe pas d’espaces sûrs pour les personnes suicidaires pour exprimer leur désir de mourir (Baril, 2017 ; Stefan, 2016 ; Webb, 2011). La mise en place de formes de soutien au suicide aurait le potentiel de créer des espaces sûrs. C’est par des discussions franches sur le suicide dans ces espaces et processus d’accompagnement qu’il serait possible de prévenir certains suicides en permettant aux personnes suicidaires de parler, car comme le montrent les recherches, malgré les campagnes de prévention et les efforts déployés pour inviter les personnes suicidaires à parler, celles-ci continuent de se suicider en silence (Beattie and Devitt 2015 ; OMS, 2014 ; Stefan, 2016 ; Szasz, 1999). Je suggère donc une approche fondée sur la compassion et l’imputabilité envers les personnes suicidaires, visant à adopter des « approches de prévention non coercitives » (Szasz, 1999), tout en accompagnant dans une mort assistée les personnes ayant un désir de mourir continu et qui auraient pris leur décision de manière éclairée. J’émets également l’hypothèse qu’une telle approche pourrait sauver plus de vies que les stratégies de prévention actuelles24. 24. Webb (2011) et Werth (1998) évoquent cette possibilité à partir d’approches différentes de la mienne. 338 ◆ QuébeQueer Dans les rares pays fournissant notamment une aide médicale à mourir aux personnes suicidaires dont les demandes se fondent sur des souffrances émotives (Stefan 2016 ; The Economist, 2015), plusieurs personnes changent d’idée au fil du processus ; cela leur permet de discuter avec leurs proches et des professionnel·le.s de leurs idéations suicidaires, leur évitant ainsi de se tapir dans le silence et de se suicider sans avoir envisagé toutes les avenues possibles. En d’autres termes, l’accès au suicide assisté pourrait avoir des effets préventifs, comme le montre le cas d’Emily, cette jeune Belge ayant reçu l’autorisation d’une mort assistée au vu de ses souffrances psychologiques, et qui a choisi la vie durant la préparation de sa mort. Quand un journaliste lui demande ce qui se serait produit si ce processus n’avait pas été offert, elle dit : « Sans l’option de l’euthanasie, des années de souffrance auraient été exacerbées et conclues par une mort horrible et esseulée. Je me serais tuée » 25 (The Economist, 2015). La narratrice de Folle insiste d’ailleurs sur le fait que c’est la possibilité réelle de mourir qui l’a gardée en vie : « C’est la mort fixée au jour de mes trente ans qui m’a tenue, au fond, en vie si longtemps »26 (Arcan, 2004a : 202). N’est-il pas aussi possible de lire le dernier roman d’Arcan dans le sillon de cette idée voulant qu’un accès au suicide assisté puisse donner lieu à un processus transformateur dans lequel certaines personnes reprennent le goût de vivre ? L’héroïne de Paradis clef en main mentionne à plusieurs reprises comment le processus de suicide assisté l’a conduite à embrasser la vie (Arcan, 2009). L’approche proposée ici aurait peut-être l’avantage de sauver davantage de vies, mais la queerisation du suicide n’a pas pour but de sauver toutes les vies, particulièrement celles des personnes qui ne veulent pas « être sauvées ». Si, comme Arcan (2008) le défend, on doit travailler à prévenir les suicides qui pourraient l’être, on ne peut pas exiger d’une personne qu’elle reste en vie pour faire plaisir aux autres, encore moins parce qu’au nom d’une injonction à la vie et à la futurité, les personnes non suicidaires pensent qu’elles 25. « Without the option of euthanasia, years of suffering would have been compounded by a gruesome, lonely death. I would have killed myself ». 26. L’écriture d’une lettre de suicide sur plusieurs semaines pourrait avoir un effet similaire chez certaines personnes suicidaires, comme Arcan le décrit dans Folle (2004a). À ce sujet, voir Calderón (2017). Queeriser le geste suicidaire ◆ 339 savent mieux que les personnes suicidaires ce qui est bon ou mauvais pour elles. Lorsque Bayliss a exprimé son désir de mourir à The Current (CBC Radio, 2016), il était désolant de voir les psychologues, sociologues et autres « logues » de tout acabit se prononcer comme « expert·e·s » sur le sort devant lui être réservé. Si la queerisation du suicide peut s’effectuer par l’entremise de plusieurs réinterprétations et resignifications des idéations et gestes suicidaires, elle ne peut être faite, selon moi, sans d’abord prêter attention aux propos des premières personnes concernées. Queeriser le suicide, c’est parier que les personnes suicidaires et leurs discours « abjects » ont peut-être davantage à nous apprendre sur le suicide et les modèles d’intervention que les discours et modèles actuels. Dans ce contexte, je laisse la parole, pour conclure, à Arcan qui écrit que « [s]i on en veut aux gens qui se suicident, c’est parce qu’ils ont toujours le dernier mot » (2004a : 14). bibliographie Ahmed, Sara (2010), The Promise of Happiness, Duke University Press. Arcan, Nelly (2001), Putain, Seuil. Arcan, Nelly (2004a), Folle, Seuil. Arcan, Nelly (2004b), « Se tuer peut nuire à la santé », Magazine P45, no 14. Arcan, Nelly (2008), Pour un pet…, [En ligne], http://fr.canoe.ca/divertissement/chroniques/nelly-arcan/2008/05/15/5577551-ici.html. Arcan, Nelly (2009), Paradis clef en main, Coups de tête. Baril, Alexandre (2017), « The Somatechnologies of Canada’s Medical Assistance in Dying Law : LGBTQ Discourses on Suicide and the Injunction to Live », Somatechnics, vol. 7, no 2, p. 201-217. Baril, Alexandre (2018), « Les personnes suicidaires peuvent-elles parler ? 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La pensée queer 7 Isabelle Boisclair, Pierre-Luc Landry et Guillaume Poirier Girard [INTER MÈDE] [sans titre] 33 Charline Bataille CORPS ET AFFECTS L’enfant mascara et le double mouvement de la honte sous le manteau du camp 37 Nicole Côté Prendre parole : bégaiements queer dans Mouthquake de Daniel Allen Cox 53 Domenico A. Beneventi Souffrance et résistance : l’art queer de la dépression 69 Marie Darsigny Politique de l’inceste. Les colères de Pattie O’Green dans Mettre la hache 87 Isabelle Boisclair [INTER MÈDE] Qui de nous toutes inspire(nt) les autres MP Boisvert 105 MODES DE VIE Queues théorie, ou le « suçage » comme mode de vie 117 Loïc Bourdeau « Fourre-moi jusqu’à ce que j’oublie que j’existe » : subjectivité queer et usages ascétiques de l’abjection 135 Étienne Bergeron « Assister, informer, défendre ». Le Virulent (1986-1989 ?), bulletin du Comité Sida Aide Montréal (C-SAM) et outil de lutte contre le VIH et le sida 153 Nicholas Giguère [INTER MÈDE] Mon profil sur OkCupid 171 Lora Zepam ESPACES ET TEMPORALITÉS Subjectivités lesbiennes queer et hétérotopies dans Les nuits de l’Undergound de Marie-Claire Blais 179 Guillaume Poirier Girard Géographie queer d’un Montréal exalté. Urbanité trans et (en)jeux de frontières dans Fierce Femmes and Notorious Liars de Kai Cheng Thom 197 Roxane Nadeau Jouer le village de deux façons. With Bated Breath et Faire des enfants 211 Robert Schwartzwald Autonomie hétéronormative et auto-hétéronomie queer. Espace et socialité dans Ourse bleue de Virginia Pésémapéo Bordeleau 229 Zishad Lak « Fuck l’enfant ». Le temps queer et québécois au féminin 247 Corrie Scott [INTER MÈDE] Les Rois-marges Alex Noël 261 BIOPOLITIQUE Hosanna, l’art queer du « flop » 271 Jorge Calderón I pour intersex(ué)e, incorporation et imaginaire 289 Maude Lafleur FAT + QUEER : réflexions sur l’intersection entre la grosseur et l’identité queer 305 Pierre-Luc Landry Queeriser le geste suicidaire : penser le suicide avec Nelly Arcan 325 Alexandre Baril [INTER MÈDE] Ne tolérez pas le transmédicalisme 343 Sophie Labelle PRÉSENTER/REPRÉSENTER Une histoire de blackface 347 Marilou Craft Pratiques scéniques queers chez projets hybris : échecs et utopies, en fragments 363 Marie-Claude Garneau À la recherche de « quelque chose qui échappe, qui se déplace et se recompose en glissant » ou comment est né mon goût pour la science-fiction 379 Sylvie Bérard [INTER MÈDE] [sans titre] Tiger Opal 397 CULTURE POP Dépasser les stéréotypes et le conformisme. Queeriser les représentations LGBT* à la télévision québécoise 401 Tara Chanady Juste humoriste 419 Joyce Baker Identités de position queer dans la musique populaire au Québec 437 Stéphane Girard Céline, es-tu queer ? 457 Thomas Leblanc Xavier Dolan : queer ou coincé ? 475 Florian Grandena et Pascal Gagné Les collaborateur·trice·s 491 Dans la collection nouvelles études québécoises Titres parus aux Presses de l’Université de Montréal Manon Auger, Les journaux intimes et personnels au Québec. Poétique d’un genre littéraire incertain Chantal Bouchard, Méchante langue. La légitimité linguistique du français parlé au Québec Karine Cellard, Leçons de littérature. Un siècle de manuels scolaires au Québec Karine Cellard et Martine-Emmanuelle Lapointe, Transmission et héritages de la littérature québécoise Sophie Dubois, Refus global. Histoire d’une réception partielle Hervé Guay, L’éveil culturel. Théâtre et presse à Montréal, 1898-1914 Martin Jalbert, Le sursis littéraire. Politique de Gauvreau, Miron, Aquin Daniel Laforest, L’âge de plastique. Lire la ville contemporaine au Québec Sous la direction de Karim Larose et Frédéric Rondeau, La contre-culture au Québec Adrien Rannaud, De l’amour et de l’audace. Femmes et roman au Québec dans les années 1930 Frédéric Rondeau, Le manque en partage. La poésie de Michel Beaulieu et Gilbert Langevin Lori Saint-Martin, Au-delà du nom. La question du père dans la littérature québécoise actuelle Nathalie Watteyne (dir.), Le centenaire d’Anne Hébert. Approches critiques Titres parus chez Fides Frédérique Bernier, Les essais de Jacques Brault. De seuils en effacements Antoine Boisclair, L’École du regard. Poésie et peinture chez Saint-Denys Garneau, Roland Giguère et Robert Melançon Chantal Bouchard, La langue et le nombril. Une histoire sociolinguistique du Québec Pascal Brissette, Nelligan dans tous ses états. Un mythe national Micheline Cambron, Le journal Le Canadien. Littérature, espace public et utopie, 1836-1845 Daniel Chartier, L’émergence des classiques. La rédemption de la littérature québécoise des années 1930 Nicole Deschamps et Jean Cléo Godin, Livres et pays d’Alain Grandbois Sous la direction de Carla Fratta et Élisabeth Nardout-Lafarge, Italies imaginaires du Québec Rainier Grutman, Des langues qui résonnent. L’ hétéroliguisme au xixe siècle québécois André Lamontagne, Le roman québécois contemporain. Les voix sous les mots Gilles Lapointe, L’envol des signes. Borduas et ses lettres Martine-Emmanuelle Lapointe, Emblèmes d’une littérature. Le Libraire, Prochain épisode et L’avalée des avalés Sous la direction de Benoît Melançon et Pierre Popovic, Saint-Denys Garneau et La Relève Ginette Michaud, L’autre Ferron Élisabeth Nardout-Lafarge, Réjean Ducharme. Une poétique du débris Jean-Christian Pleau, La Révolution québécoise. Hubert Aquin et Gaston Miron au tournant des années soixante Pamela V. Sing, Villages imaginaires. Édouard Montpetit, Jacques Ferron et Jacques Poulin Christine Tellier, Jeunesse et poésie. De l’Ordre du Bon Temps aux Éditions de l’Hexagone Agnès Whitfield, Le métier du double. Portraits de traducteurs et traductrices littéraires NOUVELLES ´ ETUDES ´ ´ QUEBECOISES Une collection qui témoigne des nouvelles voies de la recherche en études québécoises. Isabelle Boisclair est professeure titulaire d’études littéraires et culturelles à de l’Université de Sherbrooke. Pierre-Luc Landry est auteur, directeur littéraire aux éditions Triptyque et professeur adjoint au Département de français de l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique. Guillaume Poirier Girard a été chargé de cours à Simon Fraser University et à l’Université de Sherbrooke, où il termine un doctorat en études littéraires et culturelles. 44,95 $t40 e Couverture : © Virginie Jourdain, L’avant-propos, aquarelle, . Disponible en version numérique www.pum.umontreal.ca ISBN ---- t E n plus d’offrir un portrait des productions culturelles queer au Québec tant francophones qu’anglophones, dont certaines autochtones, cet ouvrage s’attarde à révéler le caractère queer de celles qui ne le sont pas de facto. Il se présente comme un manuel de référence sur le sujet, avec des essais critiques – qui portent autant sur la littérature et le monde du spectacle que sur les arts médiatiques ou la presse gay – et des textes expérimentaux – fictions, dessins, récits autobiographiques. Plus de  œuvres de fiction publiées entre  et  y sont analysées sous différents aspects, avec des méthodologies diverses, mais toujours sous l’éclairage queer (un terme à la nature instable, paradoxale, que calque la forme éclatée de l’ouvrage). Du polyamour à l’inceste, en passant par le racisme, l’urbanité, le suicide, le non-désir d’enfant, l’alimentation ou les processus de production, le queer met en scène des personnages hétéros ou homosexuels, intersexués, cis, trans, travailleur·euse·s du sexe, gros et plusieurs autres… Cette juxtaposition d’états, de genres, de thèmes, de formes et de pratiques constitue l’une des forces de ce livre qui intéressera bien sûr un lectorat d’intellectuel·le·s et de personnes issues des communautés LGBTQIAS+, mais pas seulement. Il deviendra, sans nul doute, une ressource indispensable pour l’enseignement de nouvelles perspectives dans le cadre des sciences humaines et sociales.