P. SILVIO MORENO, IVE
LA CATHEDRALE DE TUNIS
« Saint Vincent de Paul
et Sainte Olive »
UNE LECTURE CHRETIENNE
DE SON HISTOIRE ET SA SYMBOLIQUE
Tunis – 2018
Imprimatur et Nulla obstat
R.P. Gustavo NIETO
Supérieur général de l’IVE
Edition de l’auteur
P. Silvio G. Moreno, IVE
4, Rue d’Alger Tunis 1000
Archevêché de Tunis
Premier édition 300 exemplaires
Janvier 2018 – Imprimerie FINZI
Tunis
A Mgr Ilario Antoniazzi,
actuel archevêque de Tunis.
A nos “vieux palmiers”
P. Michel Prignot et P. Fulvio Grazzini
qui intercèdent pour nous et notre cathédrale
auprès de Dieu dans l’Eglise Mère du ciel.
Au P. Dominique Tommy Martin et P. Yvon Jutard
témoignage vivant d’une église
citoyenne et tunisienne
TABLE DES MATIERES
PREFACE................................................................................. 9
PRESENTATION..................................................................... 13
PARCOURS DE LA CATHEDRALE DE TUNIS ........................... 15
LEXIQUE ............................................................................... 17
1. LA CATHEDRALE DE TUNIS AUJOURD’HUI ...................... 25
a. Une façade majestueuse................................................25
b. La nef centrale ..............................................................26
c. L’abside (chœur et déambulatoire) ...............................27
2. SAINT VINCENT DE PAUL, PATRON ................................. 29
a. Biographie ....................................................................29
b. Saint Vincent de Paul prisonnier à Tunis .....................32
3. SAINTE OLIVE DE PALERME, CO-PATRONNE .................. 41
4. HISTORIQUE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS ................... 45
Cimetière et chapelle saint Antoine, abbé ........................45
Cathédrale provisoire .......................................................47
Transfert du cimetière ......................................................49
Restauration du siège archiépiscopal de Carthage ...........49
Première pierre de la cathédrale .......................................51
Plan de la nouvelle cathédrale ..........................................53
La construction de la cathédrale .......................................53
Monseigneur Combes et nouvelle adjudication ...............56
L’inauguration de la cathédrale ........................................57
Les vitraux de la cathédrale ..............................................58
L’aménagement de la cathédrale ......................................60
5
Les clochers et les cloches ............................................... 62
La décoration de la cathédrale ......................................... 64
Le jubilé de Mgr Combes ................................................ 66
Le pontificat de Mgr Lemaître ......................................... 66
Les orgues de la cathédrale .............................................. 68
La fresque de la cathédrale .............................................. 69
Mgr Lemaître et sainte Bernadette................................... 71
Le nouveau curé de la cathédrale ..................................... 72
Le pontificat de Mgr Gounot ........................................... 73
Baptistère de la cathédrale ............................................... 75
Première restauration de l’orgue ...................................... 78
Viste du Nonce Apostolique Angelo Roncalli ................. 79
La consécration de la cathédrale ...................................... 80
Le pontificat de Mgr Perrin ............................................. 81
Deuxième restauration de l’orgue .................................... 81
Les nouveaux vitraux de la cathédrale ............................. 82
L’Abbé Soudun, curé de la cathédrale ............................. 87
De la réforme de la cathédrale à nos jours ....................... 87
5. LA CRYPTE DE LA CATHEDRALE ..................................... 95
La mission des capucins de Tunis.................................... 95
6. CENTENAIRE DE LA CATHEDRALE ................................. 99
7. JEAN PAUL II A LA CATHEDRALE ................................. 103
8. LES
RELIQUES ET LE RELIQUAIRE DE SAINT LOUIS A LA
CATHEDRALE ..................................................................... 107
9. LA STATUE DE NOTRE DAME DE CARTHAGE ............... 113
Le bas-relief de la Sainte Vierge.................................... 113
6
Description du bas-relief de la Vierge ............................114
Datation du bas-relief de la Vierge .................................115
La statue de Notre Dame de Carthage ............................116
10. LES ORGUES DE LA CATHEDRALE ............................... 119
11. LA BASILIQUE CHRETIENNE DE HENCHIR HRIRIA. PLAN
ARCHITECTURAL DE LA CATHEDRALE .............................. 123
12. LA
CROIX DES CHANOINES DU CHAPITRE DE LA
CATHEDRALE DE CARTHAGE ET DE TUNIS ....................... 127
13. LE LANGAGE SYMBOLIQUE DE LA CATHEDRALE ....... 135
Le langage symbolique et les églises .............................136
Le bâtiment porteur de sens............................................136
CONCLUSION ...................................................................... 143
7
PREFACE
Ancien adolescent fidèle de la cathédrale avant d’en
être jeune vicaire de 1958 à 1967 au temps de Mgr
Champenois, je découvre dans le livre de mon homologue et
jeune confrère d’aujourd’hui des informations sur beaucoup
d’éléments de cette cathédrale dont je ne m’étais jamais
douté !
De la crypte je n’avais jamais remarqué la plaque de
marbre et tout le mystère que cette inscription nous révèle de
l’affaire Plowman (Cf. p.95) ! Je ne connaissais que le local
des scouts dont j’étais l’aumônier et la partie centrale où nous
avons démarré avec l’abbé Fulvio Grazzini et quelques parents
la catéchèse d’enfants handicapés mentaux de familles
chrétiennes. Première expérience, lancée très modestement au
plus profond de la cathédrale et dont on ne se doutait pas
qu’elle donnerait naissance, par l’embrasement de l’Esprit
Saint, à une vie associative à travers toute la Tunisie autour
des personnes souffrant d’un handicap mental !
Dans la cathédrale elle-même, adolescent, je servais
régulièrement la messe du mercredi avant de me rendre au
lycée Carnot. La messe en semaine était dite par Mgr
Champenois, à l’autel du Sacré-Cœur où j’aime me recueillir,
lorsque je suis de passage à Tunis. Je revis toujours avec
émotion le jour de mon ordination, il y a plus de 61 ans, au
cœur de la cathédrale, à la croisée de la nef, du chœur, et du
transept ! Mgr Perrin n’avait que moi à ordonner cette annéelà, mes camarades de Grand Séminaire étant tenus par leurs
obligations militaires (j’en étais moi-même dispensé en raison
de mes deux frères tués à la guerre).
Lorsque je fus nommé vicaire, je retrouvai Yvon (abbé
Yves Jutard) déjà ordonné depuis quatre ans, et
jusqu’aujourd’hui nous aimons évoquer ce bon temps vécu
9
sous la houlette de Mgr Champenois dont nous apprécions la
confiance totale qu’il nous accordait pour les taches qui nous
étaient assignées.
Avant l’année du Modus Vivendi (1964) et de la
nationalisation des terres, le nombre des paroissiens restait
encore élevé, l’administration des sacrements et le catéchisme
nous prenait beaucoup de temps et la pastorale sur le terrain
était spécifique au charisme et à la mission de chacun : Yvon
se consacrait au monde populaire et au patronage de la rue du
Pirée, moi j’avais les scouts et les personnes handicapées ainsi
que la formation des catéchistes ; le curé recevait dans son
bureau. Je me souviens d’une fois où des gens furieux (je ne
sais plus pour quelle raison) sont venus le trouver ; il leur offrit
des fauteuils et les invita à s’assoir, ils se calmèrent
immédiatement…
Nous étions tellement heureux, Yvon et moi, dans cette
cathédrale, que nous n’hésitions pas à faire des farces à
Policcino, le sacristain, comme : lui dissimuler les cordes des
cloches pour voir la tête qu’il ferait en venant sonner
l’angélus... ou descendre en corde de rappel du haut de la
tribune pour lui faire croire que nous tombions du ciel !
J’admire le courage et la persévérance du Père Silvio
pour avoir réalisé toutes les recherches en vue de rédiger ce
livre sur la cathédrale, recherches qui concernent également
l’histoire des premiers chrétiens et des différents sites
d’époque antique qui s’offrent aujourd’hui aux visiteurs. Je lui
sais gré à ce sujet de s’être intéressé à un guide réalisé par mon
père à l’usage des touristes, guide portant sur les ruines
romaines et plus particulièrement sur les vestiges chrétiens.
Des fouilles ont eu lieu depuis, des recherches ont permis de
nouvelles découvertes que le Père Silvio fait partager avec
enthousiasme à tous les visiteurs désireux de découvrir sur le
terrain l’histoire de l’Eglise de Tunisie du temps où celle-ci
était l’Afrika.
« Ne savez-vous pas que vous êtes le temple de Dieu,
et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? » (1 Cor, 3,10). Au
10
moment du « modus vivendi » qui, tout en laissant la
cathédrale au culte, faisait perdre à l’Eglise de Tunisie la plus
grande partie de ses autres lieux de culte, ce moment-là fut une
grande épreuve pour les fidèles directement touchés, mais la
parole de saint Paul était là pour nous aider à dépasser cette
épreuve : c’était vrai, ce ne sont pas les murs des églises qui
sont le vrai temple de Dieu, c’est chacun de nous, c’est même
la vocation de tout être humain d’être appelé à devenir temple
de Dieu !
Quand je vois notre belle cathédrale, quand je lis tout
ce que le Père Silvio nous fait connaître de son histoire, de ses
trésors actuels et de son harmonie, je me dis : « et dire que
chaque être humain, si petit, si étranger, si pauvre, et si
méprisé soit-il, chaque être humain est encore plus
respectable, plus sacré et surtout plus objet d’AMOUR que la
plus belle des cathédrales ».
Merci Père Silvio de nous offrir ce superbe document
sur la cathédrale Saint Vincent de Paul et Sainte Olive pour
être chemin de croissance, maintenant et ici, dans notre vie de
Foi, d’Espérance et de Charité !
Abbé Dominique Tommy-Martin
Curé d’Ain Draham, Tunisie
11
PRESENTATION
La cathédrale de Tunis avec ses 120 ans de vie (1897 2017) n’a rien d’une cathédrale triomphale. Derrière un porche
de la fin du XIXème siècle, elle se présente extérieurement
comme un monument simple en face de l’ambassade de
France sur la nouvelle avenue Bourguiba. Extérieurement
simple elle attire cependant toujours l’attention et invite à la
visite.
Et pour qui daigne y entrer, c’est un émerveillement :
grandeur et mélange de styles. Pour qui prend le temps de
l’étudier et de la lire, la cathédrale devient un véritable
compendium d’histoire, d’art et d’archéologie.
En 1975, l’abbé Roger Jamin, vicaire de la cathédrale,
après avoir fouillé les archives du diocèse, a décrit avec détail
l’historique de la cathédrale dans un document qui,
malheureusement, n’a jamais été publié. Mais que de
changements a subit la cathédrale jusqu’à nos jours !
Pour cette raison, nous avons essayé de faire une mise
à jour du texte de Jamin, mais aussi d’ajouter, pour une vision
complète de la cathédrale, les articles qui ont été publiés sur
les œuvres d’art qui la composent et dont j’étais l’un des
consultants. Pour cela nous remercions ceux qui ont autorisé
la reproduction de leurs articles.
Ce livret ne poursuis pas un objectif scientifique mais
tout simplement de connaissance du lieu. Ceux donc qui
voudront en savoir davantage pourront accéder directement
aux archives du diocèse.
Bref, dans le but d’aider les fidèles chrétiens et les
visiteurs, nous avons :
- situé la cathédrale au milieu de la ville de Tunis,
- donné en abrégé son histoire depuis sa fondation,
13
-
décrit les éléments les plus importants de la
cathédrale en donnant les renseignements
essentiels.
Je suis donc heureux de pouvoir vous présenter ces
pages sur la cathédrale de Tunis. Chaque jour j’y célèbre la
messe et chaque jour des hommes et des femmes passent ses
portes et trouvent la paix à l’intérieur de ses murs. Je crois
certainement qu’aujourd’hui encore cette cathédrale rappelle
à l’Église en Tunisie et aux tunisiens en général, la grande
tradition historique et spirituelle dont elle est l’héritière et
l’inspire de mettre le meilleur de ce patrimoine dans la
construction d’une culture de la rencontre et du dialogue dans
la paix et la fraternité.
Bonne lecture et bonne visite !
P. Silvio Moreno, IVE
Vicaire de la cathédrale de Tunis
14
PARCOURS DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
15
16
LEXIQUE
Ce petit vocabulaire1 peut être utile pour tous ceux qui
d’une part, n’ont pas assez de connaissances symboliques, et
d’autre part, ne partagent pas forcement la foi chrétienne.
Autel : Table située dans le chœur de l’église
catholique sur laquelle est célébrée l’Eucharistie, réel
mémorial du repas du Jeudi Saint et du sacrifice de la Croix de
Jésus-Christ. L’autel est consacré par l’évêque au cours de la
dédicace de l’église.
Abside : du latin absis (voûte, arcade), est la partie
saillante en demi-cercle d’un bâtiment. Courante dans
l’architecture romaine, cette forme se perpétue dans les églises
chrétiennes, et termine le chœur généralement orienté vers
l’est, soit par un hémicycle, soit par des pans coupés, soit par
un mur plat : «... l’évêque, tenant l’évangile à la main, monta
sur son trône qui s’élevait au fond du sanctuaire, en face du
peuple. Les prêtres, assis à sa droite et à sa gauche, remplirent
le demi-cercle de l’abside. Les diacres se rangèrent debout
derrière eux ; la foule occupait le reste de l’église»2.
Ambon : pupitre surélevé, placé à côté de l’autel d’une
église. De l’ambon est proclamée la Parole de Dieu. Il est aussi
utilisé pour la prédication.
Baptistère : (du latin baptisterium «piscine») est un
bâtiment chrétien spécifiquement destiné à pratiquer le
baptême par immersion. Comportant une piscine baptismale
ou une cuve baptismale. Normalement il est à l’intérieur d’une
Les définitions ont été prises sur le site de la Conférence des Evêques de
France, sauf cas de situations particulières.
2
Cf. CHATEAUBRIAND, F.-R., Les Martyrs ou le Triomphe de la
religion chrétienne, t. 2, 1810, p. 199.
1
17
église ou d’une cathédrale. Ces édifices sont souvent de
formes ronde ou polygonale.
Basilique (chrétienne) : Quand le christianisme fut
accepté en 313, Constantin concéda aux évêques plusieurs
basiliques romaines, entre autres celle que le sénateur
Lateranus avait fait construire au temps de Néron.
Transformée en église, elle devint la première basilique de
Saint Jean-de-Latran à Rome. C’est à partir de cette époque
que le nom de basilique fut donné à certaines églises
(anciennes basiliques romaines transformées ou constructions
nouvelles établies sur le modèle romain). En Afrique il y aura
un modèle particulier de basilique chrétienne3.
Bénitier : Vasque disposée à l’entrée de l’église
contenant l’eau bénite. En entrant dans l’église, les fidèles se
signent, (font le signe de croix) après avoir trempé le bout des
doigts dans l’eau du bénitier. L’eau bénite est un
des sacramentaux.
Cathédrale : Une cathédrale est, à l’origine, une église
où se trouve le siège de l’évêque (la cathèdre en latin) ayant
en charge un diocèse.
Chapelle : Lieu dédié au culte chrétien. Une chapelle
intérieure est une partie d’une église comportant un autel. Le
plus souvent les chapelles sont situées sur les bas-côtés, on
parle alors de chapelles latérales. Une chapelle peut être
annexée à une église ou à un sanctuaire sans avoir
nécessairement le titre de paroisse. Ou encore un lieu dans un
établissement pour répondre aux besoins d’une communauté
particulière (religieuse ou non). Quelle que soit la chapelle,
elle doit toujours comporter un autel et l’exercice du culte est
subordonné à l’autorité.
Chrisme : est un symbole chrétien formé des deux
lettres grecques X et P, la première apposée sur la seconde. Il
s’agit des deux premières lettres du mot Χριστός (Christ). On
3
Cf. DUVAL, Noël, «Basilique chrétienne africaine», in Encyclopédie
Berbère, p. 1371-1377.
18
le lit aussi parfois comme le monogramme du Christ, et on le
trouve souvent accompagné des lettres Alpha et Oméga. Ces
dernières lettres symbolisent le commencement et la fin de
tout, étant la première et la dernière lettre de l’alphabet grec.
Chœur : du latin chorus, chœur. Dans une église le
chœur est le lieu où se trouve l’autel et où se déroulent les
liturgies. Le mot chœur désigne aussi un groupe de chanteurs
qui exécutent une œuvre musicale, chants liturgiques,
polyphonies, chants profanes, etc.
Christ : du grec χριστός / christos. Est la traduction du
terme hébreu Messie, signifiant «l’oint du Seigneur», c’est-àdire une personne consacrée par une onction divine. Il désigne
l’homme-Dieu Jésus de Nazareth, le Messie attendu et
consacré par Dieu son Père. Pour cela les chrétiens l’appellent
Jésus-Christ.
Chapiteaux : Tête d’une colonne. Elle est
habituellement sculptée.
Chapitre : groupe des prêtres appelés chanoines,
attachés à une cathédrale ou à une collégiale. Cette institution
remonte au début du IXème siècle. Depuis Vatican II le rôle
du chapitre se limite pour l’essentiel au domaine liturgique.
D’autres fonctions peuvent lui être assignées par l’évêque.
Crypte : L’étymologie du mot crypte (cacher) indique
assez bien sa signification. Les premières cryptes (aussi
appelées anciennement crutes, croutes ou grottes) ou grottes
sacrées ont été taillées dans le roc ou maçonnées sous le sol,
pour cacher aux yeux des profanes les tombeaux des martyrs ;
plus tard, au-dessus on éleva des chapelles et de vastes
églises ; puis on établit des cryptes sous les édifices destinés
au culte pour y renfermer les corps des saints recueillis par la
piété des fidèles4.
Communion : du latin «uni avec» – désigne le lien
spécifique d’union que nous avons avec une autre personne.
Cf. DURAND, M. Paul, Rapport sur l’église et la crypte de Saint Martin
au Val, à Chartres. Chartres, 1858.
4
19
Pour les chrétiens, il désigne aussi l’union avec Dieu qui se
réalise au cours de l’eucharistie, lorsque sont partagés le pain
et le vin, corps et sang de Jésus-Christ. La messe est le
moment qui privilégie la communion entre tous.
Croix grecque : les branches sont de même longueur
et se croisent en leur milieu.
Dernière Cène: nom donné par les chrétiens au
dernier repas que Jésus prit avec les douze apôtres le soir du
Jeudi Saint, avant la pâque, peu de temps avant son arrestation,
la veille de sa crucifixion, et trois jours avant sa résurrection.
Après avoir mangé la Pâque avec eux, il institua l’Eucharistie
et le sacerdoce en disant : «Ceci est mon corps, ceci est mon
sang. Faites ceci en mémoire de moi».
Evêché : L’évêché est, dans la tradition chrétienne,
une communauté que préside un évêque appelée «Église
locale». L’évêché généralement comprend : le «siège
épiscopal» d’un évêque : une cathédrale avec un baptistère ;
un évêque successeur des apôtres ; les reliques des saints ; une
tradition liturgique ; un peuple de fidèles et un territoire
canonique (diocèse)5.
Evêque : du latin episcopus, lui-même adapté du grec
Eπίσκοπος / episkopos qui veut dire «surveillant», c’est-à-dire
modérateur, tuteur, responsable d’une organisation ou d’une
communauté. Le mot est plusieurs fois utilisé dans les lettres
de saint Paul. Donc un évêque est celui qui a autorité
apostolique (successeur des Apôtres de Jésus) sur une Église
chrétienne locale. Les évêques assument à ce titre la
succession des apôtres qui les ont établis à la tête d’une
communauté chrétienne d’un territoire défini6.
Église paroissiale : Pour les chrétiens une paroisse
avec une église paroissiale est «une communauté précise de
5
Cf. JACQUEMET, G. Abbé, Tu es Petrus, encyclopédie populaire sur la
Papauté. Paris, Bloud & Gay, 1934, p. 210-211.
6
Cf. CONCILE VATICAN II, Constitution Dogmatique «Lumen
Gentium», n. 20-21.
20
fidèles qui est constituée d’une manière stable dans une Église
particulière ou locale (diocèse), et dont la charge pastorale
confiée au curé, comme à son pasteur propre, sous l’autorité
de l’évêque diocésain» (canon du droit canonique n. 515).
Fonts baptismaux : Cette expression désigne à la fois
la cuve baptismale destinée à recevoir l’eau baptismale et le
lieu où elle est placée. Dans la plupart des églises les fonts
baptismaux sont placés dans une chapelle appelée baptistère.
Liturgie : du grec λειτουργία/ leitourgía : «le service
du peuple», est l’ensemble des rites, cérémonies et prières
dédiés au culte public et officiel de l’Eglise, tels qu’ils sont
définis selon les règles éventuellement codifiées dans les
textes sacrés ou la tradition de l’Eglise7.
Nef : Partie de l’église comprise entre le portail et le
chœur. Au centre de l’église, elle est dite principale ; c’est le
plus grand espace de l’ensemble ; c’est là que sont les fidèles.
Narthex : Vestibule à l’entrée de l’église, avant la nef.
Il servait entre autre à l’accueil des catéchumènes.
Nonce apostolique : Agent diplomatique du Saint
Siège, accrédité comme ambassadeur du pape auprès des
États.
Messe : appelée aussi Eucharistie, célébration du
sacrifice du corps et du sang de Jésus-Christ présent sous les
espèces du pain et du vin. L’Évêque et les prêtres sont les
célébrants de l’Eucharistie. Le mot messe, déformation galloromaine de «missa», est au départ le participe passé du verbe
latin «mittere» qui signifie «envoyer». A la fin des assemblées
de prière eucharistique, le prêtre ou un diacre reprend cette
expression «ite missa est» «Allez, c’est l’envoi» pouvant alors
sous-entendre : Allez vivre votre mission de chrétien dans le
monde.
Prelature nullius : Mot latin employé dans le langage
ecclésiastique. Concerne certains prélats n’ayant pas de
juridiction épiscopale ordinaire.
7
Cf. BENOÎT XVI, L’esprit de la liturgie. Ad Solem, 2001.
21
Prêtre: du grec πρεσβύτερος/ presbiteros, qui signifie
«ancien», est un homme chrétien qui reçoit au moment de son
ordination, par l’imposition des mains de l’évêque, la mission
de «rendre présent» le Christ parmi les gens, en particulier par
des sacrements comme l’eucharistie (la messe), le sacrement
de réconciliation ou du pardon (la confession), le sacrement
des malades, en instruisant avec le catéchisme, en accueillant
ou en guidant toutes les personnes qui s’adressent à lui.
Primat d’Afrique : La primatie, du latin prima sedes
episcoporum, est la dignité d’un «primat», évêque qui possède
une suprématie sur tous les évêques et archevêques d’une
région. Le terme désigne aussi l’étendue du ressort de la
juridiction ecclésiastique du primat, et le siège de cette
juridiction. L’Église cathédrale du primat reçoit le titre de
«primatiale». Le plus ancien primat fut celui de Carthage, saint
Cyprien, qui présidait aux églises du Nord de l’Afrique. On le
trouve mentionné dans les synodes tenus dans cette ville en
390 et en 397. La juridiction de l’évêque de Carthage comme
primat d’Afrique couvrait approximativement le diocèse
d’Afrique qui comprenait les provinces de Maurétanie
Césarienne, Numidie, Carthage, Byzacène et Tripolitaine.
Procession : Cortège religieux plus ou moins solennel
qui s’effectue en allant d’un lieu sacré à un autre et destinée à
rappeler les bienfaits de Dieu et lui en rendre grâces, ou pour
implorer son secours. Elle s’effectue en chantant et en priant.
Reliques : Le mot «reliques» vient du latin reliquiae,
qui signifie littéralement «ce qui reste» et qui était employé en
particulier pour désigner les cendres ou le corps d’un mort. En
français moderne, il est employé pour désigner le corps des
saints, une partie de celui-ci, des objets qu’ils ont utilisés,
auxquels l’Église rend un culte de simple vénération8.
Vitrail : Composition translucide faite de pièces de
verre, en général colorées, enchâssées dans des cadres de
8
Cf. MORENO, Silvio, «Le Reliquaire de la Cathédrale de Tunis», Tunis
2014, in www.blogcathedraletunis.com
22
plomb ; aujourd’hui cette technique coexiste avec d’autres
plus récentes. Le vitrail peut être figuratif : représenter des
scènes de vie et raconter une histoire ou abstrait : constitué de
formes géométriques. Au Moyen Age, le vitrail avait un rôle
important dans l’enseignement religieux des populations
chrétiennes illettrées. En raison de son rapport particulier à la
lumière il est riche de significations plus profondes,
allégoriques, symboliques et morales.
Transept : Nef transversale coupant la nef principale
donnant ainsi la forme d’une croix latine. Plan le plus fréquent
des églises occidentales.
Tabernacle : Appelé aussi ‘Tente de la rencontre’
(Exode 33,7 – 29 ; 42). Durant le séjour des hébreux au désert,
la tente était le sanctuaire transportable, lieu privilégié de la
présence de Dieu parmi son peuple. Dans l’Eglise catholique
le tabernacle est la petite armoire destinée, depuis le XVIème
siècle, à conserver les hosties consacrées. Une petite lumière
signale la présence de la réserve eucharistique.
Sacristie : Lieu où l’on se prépare aux cérémonies, où
l’on garde les divers objets utiles au culte : vases liturgiques
(calice, ciboire, patène, ostensoir), ornements liturgiques,
vêtements et linges liturgiques.
23
Cardinal Charles Martial LAVIGERIE (1825 - 1892),
Archevêque de Carthage, Primat d’Afrique
et fondateur de la cathédrale de Tunis
24
1. LA CATHEDRALE DE TUNIS AUJOURD’HUI
Avant de rentrer dans l’histoire et la symbolique de
notre cathédrale je voudrais donner, en suivant Mohamed
Khaled Hizem9, une description actuelle du bâtiment et de son
architecture.
a. Une façade majestueuse
La composition architecturale de la façade s’organise
en trois registres verticaux, dont celui du milieu est encadré
d’une monumentale arcade, couronnée d’une croix pattée. La
partie inférieure du registre médian présente un porche à trois
arcs reposant sur quatre groupes de deux colonnes, qui sont
pourvues de chapiteaux très simples. Ceux-ci rappellent,
quoique de manière plus austère, les chapiteaux de l’art
byzantin. Les arcatures de la façade sont surmontées d’une
splendide mosaïque, à fond doré, illustrant le Christ
Pantocrator (signifiant «Christ en gloire»). Au-dessus de la
mosaïque, le tympan du grand arc est garni d’une ample
rosace, qui renferme une croix latine. L’arc est couronné d’une
remarquable sculpture représentant Dieu Père éternel. Cette
œuvre fut réalisée par le sculpteur italien Salvatore Figlia.
Flanquant la moulure externe de cet arc, deux statues, l’une
couronnée, l’autre aux yeux bandés, figurent respectivement
les allégories de l’Église et de la Synagogue. Ce thème est
ancien, et remonte au Moyen-Âge. Les registres latéraux se
prolongent, verticalement, par deux clochers jumeaux coiffés
en forme de tiare pontificale ; celles-ci s’achèvent par deux
Je suivrais librement l’article sur la cathédrale de Tunis de Mohamed
Khaled HIZEM, journaliste, avec qui j’ai travaillé intensément pour la
rédaction de ce bel article et qui a été publié sur la Presse Magazine N°
1516, le 20 novembre 2016, p. 14-18.
9
25
grandes croix de Lorraine (c’était la croix de Nancy d’où le
cardinal Lavigerie était évêque).
b. La nef centrale
La cathédrale de Tunis, épousant la forme d’une croix
latine, mesure 75 mètres de long sur 32 mètres de large. Elle
se compose de trois parties principales. La première, en
rectangle allongé, est divisée en une nef centrale bordée de
deux nefs latérales. La deuxième est représentée par le
transept, qui est une nef transversale coupant l’édifice, lui
conférant cet aspect en croix. Quant à la troisième, se
prolongeant en abside (partie en demi-cercle), elle comprend
le chœur et le déambulatoire. Son élévation consiste en trois
niveaux : la crypte (Cf. p. 95), les grandes arcades avec des
chaises et des bancs destinés aux fidèles et l’étage des tribunes
avec les vitraux.
Les ornements muraux consistent, essentiellement,
dans des niches polychromes, dotées de frontons triangulaires,
comportant des bas-reliefs qui représentent les 14 stations du
chemin de croix de Jésus-Christ.
Séparant la nef du chœur, le transept, qui accueille les
chapelles du Sacré-Cœur et du Saint-Sacrement, est,
admirablement, orné de deux ensembles de vitraux (Cf. p. 82).
La chapelle du Saint-Sacrement est dotée d’une niche abritant
la statue de Notre-Dame de Trapani, dévotion sicilienne, ainsi
qu’un vitrail représentant saint Roche, patron de la ville de
Tunis. Depuis la transformation de l’église en 1964 cette
chapelle possède le tabernacle original de la cathédrale qui
contient le Saint-Sacrement (les hosties consacrées, c’est-àdire le corps - le sang, l’âme et la divinité - du Christ). La
croisée du transept est coiffée d’une coupole sur pendentifs
restaurée en 1997.
26
c. L’abside (chœur et déambulatoire)
Succédant au transept, l’abside (chœur et
déambulatoire) est non seulement l’endroit le plus important
de la cathédrale, mais également le plus richement orné. Ceci
s’explique par le fait qu’il comporte l’autel majeur ou maître autel, où est célébrée l’Eucharistie (la messe). Disposé sur une
estrade, l’autel majeur, daté de la fin du XIXème siècle, est
réalisé en marbre clair, incrusté de marbres polychromes et
agrémenté de six mosaïques imitant les panneaux de
céramique tunisoise, garnis de vases et de rinceaux fleuris.
L’autel est pourvu d’une table monumentale ayant près de
quatre mètres de longueur.
La décoration du chœur est très belle. Ce dernier est
rythmé de neuf arcades, dont les colonnes sont pourvues des
plus beaux chapiteaux de l’édifice. Les intrados des arcs sont
sculptés de symboles eucharistiques (Cf. p. 136), inspirés
d’ornements trouvés sur des lampes votives funéraires qui
furent découvertes par le P. Louis Delattre, père blanc, dans
les ruines des basiliques paléochrétiennes à Carthage. La
partie en hémicycle s’agrémente d’un remarquable décor de
fresques (Cf. p. 69). Au fond du chœur et depuis 1964 trône la
belle statue en marbre blanc de Notre-Dame de Carthage (Cf.
p. 113). Celle-ci, au-dessus de laquelle se trouve le grand
crucifix installé en 2013, fut réalisée par Salvatore Figlia, le
même artiste ayant sculpté le Père éternel de la façade. Autour
du chœur, le déambulatoire se distingue par l’existence, sur
ses murs, d’un bas-relief et de sept mosaïques récentes
représentant de gauche à droite : la croix byzantine de Sbeïtla,
les trois saints papes africains d’origine berbère, saint Victor
Ier de Libye (189-198), saint Miltiade (311-314) et saint
Gélase Ier (492-496), les deux saints papes Jean-Paul II et Jean
XXIII qui ont visité la cathédrale, le premier en 1996 et le
deuxième en tant que nonce apostolique à Paris en 1957, ainsi
27
que le baptême de saint Augustin et le bas-relief d’une croix
byzantine avec le monogramme du Christ.
Il est important de signaler aussi qu’outre la présence
de diverses statues, parmi lesquelles figurent celles dédiées à
saint Cyprien, évêque et martyr de Carthage, saint Vincent de
Paul et sainte Olive, sainte Bernadette, sainte Thérèse de
l’Enfant-Jésus, saint Joseph, le saint Curé d’Ars, saint Antoine
de Padoue et Notre Dame de Lourdes, l’ameublement de la
cathédrale comprend, entre autres, deux confessionnaux en
bois, ainsi qu’un baptistère daté de 1941 et situé, actuellement,
dans la chapelle du Sacré-Cœur (Cf. p.75).
28
2. SAINT VINCENT DE PAUL,
PATRON DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
a. Biographie10
Sa naissance
Saint Vincent de Paul naît dans une famille de paysans
des Landes. C’est le 24 avril 1581 qu’il voit le jour, dans le
village de Pouy, près de Dax. L’enfant est intelligent et il est
orienté vers la prêtrise. A cette époque, être clerc c’est avoir
une situation qui le met, lui et ses proches, à l’abri du besoin.
A quinze ans, il part donc pour Toulouse étudier la
théologie. Il est ordonné prêtre à dix-neuf ans, à Châteaul’Évêque, le 23 septembre 1600. Prêtre âgé d’à peine vingt ans,
il part sans succès à la recherche d’un bénéfice ecclésiastique,
notamment à Bordeaux, puis à Rome. Au cours d’un voyage,
il est enlevé par des pirates turcs et réduit en esclavage à Tunis
pendant deux ans. Libéré, il monte à Paris en 1608 et devient
ami avec le secrétaire de l’ancienne reine, Marguerite de
Valois. Celle-ci le nomme aumônier, chargé de distribuer ses
libéralités. Il visite alors les pauvres malades de l’hôpital de la
Charité et parcourt les salles où s’entassent les malheureux.
Vincent est alors choqué par le scandale de la pauvreté.
Rencontre avec les grands spirituels français
Vers 1610, il rencontre Pierre de Bérulle qui fondera,
l’année suivante, la congrégation de l’Oratoire de France.
Vincent le prend comme conseiller spirituel. Il y
rencontre François de Sales. Vincent traverse à cette période
une profonde crise intérieure de doutes contre la foi. Bérulle
l’invite à prendre une cure de campagne proche de Paris, à
10
Cf. ORSINI, Histoire de Saint Vincent de Paul, Paris, 1842
29
Clichy. Le jeune prêtre restaure l’église en mauvais état et se
met avec enthousiasme au service spirituel de ses fidèles,
visite les malades, prêche avec ardeur et cherche à rendre la
foi à ses six cents paroissiens ruraux. L’année suivante,
Bérulle lui procure la charge de précepteur chez PhilippeEmmanuel de Gondi, Général des galères, l’une des plus
riches familles de France.
La conversion
1617 est l’année où tout va basculer dans sa vie. Un
jour de janvier, alors que Vincent accompagne madame de
Gondi au château de Folleville, en Picardie, arrive la nouvelle
qu’un paysan moribond désire le voir. Vincent accourt
immédiatement au chevet du malade et lui fait faire une
confession générale qui libère cet homme des fautes les plus
graves de sa vie qu’il n’avait jamais avouées. Pour Vincent,
c’est une révélation : il découvre la misère spirituelle des gens
de la campagne qui représentent l’immense majorité de la
population. À Folleville, près d’Amiens, Vincent prêche sur la
confession générale et y invite les fidèles. L’affluence est telle
qu’il faut appeler d’autres prêtres à la rescousse. En juillet, il
se retrouve dans les Dombes, à Châtillon, comme curé.
Là, c’est la misère corporelle des pauvres et le peu
d’organisation des secours qu’il découvre. Pour y remédier, il
crée la première Confrérie de la Charité, avec des dames de
diverses conditions sociales. En 1619, Vincent est chargé de
l’aumônerie générale des galères : les missions se feront aussi
dans les bagnes ! Mais il n’a que des coopérateurs
occasionnels et un homme seul ne peut suffire à la tâche. Le
projet d’une association plus stable germe peu à peu. En 1625,
grâce à la fortune des Gondi, il crée une société de prêtres
missionnaires dont il sera le supérieur. Le but est simple :
« Suivre le Christ évangélisateur des pauvres ». La
Congrégation de la Mission sera approuvée par l’archevêque
de Paris en 1626 et par Rome en 1633. Comme ils sont
installés depuis 1632 dans l’ancienne léproserie de Saint30
Lazare, on appellera ces premiers missionnaires les lazaristes.
La simplicité, l’humilité, la douceur, la mortification et le zèle
sont, pour Vincent de Paul, les vertus principales de ces
missionnaires : « Les cinq belles petites pierres avec
lesquelles on peut vaincre l’infernal Goliath ».
Au secours du clergé français
En juillet 1628, la préoccupation de l’évêque de
Beauvais face à l’ignorance des prêtres le pousse à inviter
Vincent de Paul à réfléchir au meilleur moyen de régénérer le
clergé de France. Il inaugure des retraites d’ordinands pour
préparer les futurs prêtres à recevoir les ordres. En 1633, il met
sur pied les Conférences des mardis, destinées aux
prêtres souhaitant « s’entretenir des vertus et des fonctions de
leur état ». En 1641, Vincent ouvre un grand séminaire à
Annecy. Pour aider les Dames dans le service corporel des
pauvres, de simples « filles de village » se sont présentées.
Louise de Marillac les regroupe en novembre 1633 ; ce
seront les Filles de la Charité (appelées aussi sœurs de SaintVincent-de-Paul).
À partir de 1632, les guerres dévastent les provinces,
la Lorraine d’abord, puis l’Ile-de-France, la Picardie, la
Champagne. Monsieur Vincent y organise inlassablement les
secours. Dès 1639, il se lance dans des fondations en Irlande
et en Pologne. Les terres non chrétiennes l’appellent :
l’Afrique du Nord, puis Madagascar.
Le corps épuisé, il meurt, à 79 ans, le 27 septembre
1660. Sa mort est ressentie par tous comme celle d’un saint
et une foule nombreuse, mêlant aristocrates et gens du
peuple, se presse à ses obsèques. Vincent est béatifié, puis
canonisé par le pape Benoît XIII en 1737 et déclaré patron des
instituts de charité.
31
b. Saint Vincent de Paul prisonnier à Tunis
« Cette misérable lettre »11
Tout ce que nous savons de la vie de Vincent durant
les années 1605, 1606 et 1607, nous le devons à deux de ses
lettres écrites le 24 juillet 1607 et le 28 février 1608, une
depuis Avignon et l’autre depuis Rome. Nous transcrivons la
première et plus importante.
En 1605 saint Vincent de Paul, jeune prêtre, trouva
qu’une personne qui lui portait beaucoup d’estime étant
décédée pendant son absence l’avait institué son héritier et il
fut obligé de se rendre à Marseille pour un petit recouvrement
de fonds provenant de cette succession. Il se disposait à
reprendre par terre le chemin de Toulouse lorsqu’un
gentilhomme du Languedoc avec lequel il était logé lui
conseilla de s’embarquer avec lui jusqu’à Narbonne en lui
faisant valoir des motifs d’agrément et d’économie. La mer
était belle le vent favorable ce petit trajet abrégeait le chemin
et d’ailleurs c’était la volonté de Dieu qu’il en fût ainsi.
Vincent de Paul céda sans se faire beaucoup presser et la
felouque mit à la voile pour une destination qu’elle ne devait
jamais atteindre.
Laissons raconter saint Vincent lui-même cette étrange
aventure dont il a fait le récit dans une lettre écrite d’Avignon
le 24 juillet 1607 à M. de Comet le jeune, son ancien élève :
« Je m’embarquai dit-il pour Narbonne afin d’y
être plus tôt et d’épargner ou pour mieux dire afin de
11
Cf. ORSINI, Histoire de Saint Vincent de Paul, Paris, 1842, p. 23-29.
TURBET-DELOF, Guy. ‘Saint Vincent de Paul a-t-il été esclave à Tunis ?’
In : Revue d’histoire de l’Église de France, tome 58, n°161, 1972. pp. 331340. L’histoire des lettres de la captivité a été racontée de nombreuses fois.
On peut voir en particulier le récit de Louis Abelly, évêque de Rodez : La
Vie du vénérable serviteur de Dieu Vincent de Paul, instituteur et premier
supérieur général de la Congrégation de la Mission. Paris, 1664, l.1, c.4,
p. 17-18). Le document fondamental se trouve en I, 1-2 ; VIII, 271, p. 513515).
32
n’y arriver jamais et de tout perdre. Le vent nous fut
favorable autant qu’il fallait pour arriver ce jour-là à
Narbonne, ce qui était faire cinquante lieues, si trois
brigantins turcs, qui côtoyaient le golfe de Lyon pour
attraper les barques qui venaient de Beaucaire, où il y
avait une foire, ne nous eussent donné la chasse et
attaqués si vivement que deux ou trois des nôtres étant
tués et tout le reste blessé et moi-même qui eus un coup
de flèche qui me servira d’ horloge tout le reste de ma
vie, n’eussions été contraints de nous rendre à ces
félons.
Les premiers éclats de leur rage furent de
mettre notre pilote en mille pièces, pour avoir perdu un
des principaux des leurs, outre quatre ou cinq forçats
que les nôtres tuèrent. Cela fait, ils nous enchaînèrent
et après nous avoir grossièrement pansés, ils
poursuivirent leur pointe, faisant mille voleries, et
donnant néanmoins liberté à ceux qu’ils avoient volés,
s’ils se rendaient sans combattre. Enfin, étant chargés
de marchandises, ils prirent, au bout de sept ou huit
jours, la route de Barbarie, tanière de voleurs sans aveu
du Grand Turc.
Etant arrivés à Tunis, ils nous exposèrent en
vente avec un procès-verbal de notre capture, qu’ils
disaient avoir été faite dans un navire espagnol, parce
que sans ce mensonge nous aurions été délivrés par le
consul que le roi tient en ce lieu-là pour rendre libre le
commerce aux Français. Leur procédure à notre vente
fut qu’après qu’ils nous eurent dépouillés, ils nous
donnèrent à chacun une paire de caleçons, un hoqueton
de lin avec une bonnette, et nous promenèrent dans la
ville de Tunis où ils étaient venus expressément pour
nous vendre. Nous ayant fait faire cinq ou six tours par
la ville, la chaîne au cou, ils nous ramenèrent au bateau,
afin que les marchands vinssent voir qui pouvait bien
manger et qui non, et pour leur montrer que nos plaies
33
n’étaient point mortelles. Cela fait, ils nous ramenèrent
à la place où les marchands nous vinrent visiter de
même que l’on fait à l’achat d’un cheval ou d’un bœuf,
nous faisant ouvrir la bouche pour voir nos dents,
palpant nos côtés, sondant nos plaies, et nous faisant
cheminer le pas, trotter et courir, puis lever des
fardeaux, et puis lutter pour voir la force d’un chacun,
et mille autres sortes de brutalités.
Je fus vendu à un pêcheur qui fut contraint de
se défaire bientôt de moi parce qu’il n y a rien qui me
soit si contraire que la mer. Ce pécheur me vendit à un
vieillard, médecin spagirique, souverain tireur de
quintessences, homme fort humain et traitable, lequel
avait travaillé cinquante ans à la recherche de la pierre
philosophale. Il m’aimait fort, et se plaisait à
m’entretenir de l’alchimie, et puis de sa loi à laquelle
il faisait tous ses efforts pour m’attirer, me promettant
de grandes richesses et tout son savoir. Dieu opéra
toujours en moi une croyance assurée de ma délivrance
par les prières assidues que je lui faisais et à la Vierge
Marie par la seule intercession de laquelle je crois
fermement avoir été délivré. L’espérance donc que
j’avais de vous revoir, Monsieur, me fit être plus
attentif à m’instruire du moyen de guérir de la gravelle,
en quoi je lui voyais chaque jour faire des merveilles ;
il me l’enseigna, et m’en fit même préparer et
administrer les ingrédients. Oh ! combien de fois ai-je
désiré depuis d’avoir été esclave avant la mort de
monsieur votre frère, car je crois que si j’eusse eu le
secret que je vous envoie maintenant, il ne serait pas
mort de ce mal-là.
Je fus donc avec ce vieillard depuis le mois de
septembre 1605 jusqu’au mois d’août 1606 qu’il fut
pris et mené au Grand Sultan afin de travailler pour
lui ; mais en vain car il mourut de regret par les
chemins. Il me laissa à un sien neveu, qui me revendit
34
bientôt après la mort de son oncle, parce qu’il ouït dire
que M de Brèves, ambassadeur pour le roi en Turquie,
venait avec bonnes et expresses patentes du GrandTurc, pour recouvrer tous les esclaves chrétiens. Un
renégat de Nice ennemi de nature, m’acheta et
m’emmena en son témat (ainsi s’appelle le bien que
l’on tient comme métayer du Grand Seigneur ; car là le
peuple n’a rien, tout est au sultan). Le témat de celuici était dans la montagne où le pays est extrêmement
chaud et désert. Une des trois femmes qu’il avait était
grecque chrétienne, mais schismatique ; une autre était
turque, qui servit d’instrument à l’immense
miséricorde de Dieu pour retirer son mari de
l’apostasie et le remettre au giron de l’Église, et pour
me délivrer de mon esclavage.
Curieuse qu’elle était de savoir notre façon de
vivre, elle me venait voir tous les jours au champ où je
fossoyais ; et un jour elle me commanda de chanter les
louanges de mon Dieu. Le ressouvenir du Quomodo
cantabimus canticum Domini in terra aliéna, des
enfants d’Israël, captifs en Babylone, me fit
commencer, la larme à l’œil, le psaume Super flumina
Babylonis, et puis le Salve Regina, et plusieurs autres
choses en quoi elle prenait tant de plaisir que c’était
merveille.
Elle ne manqua pas de dire le soir à son mari
qu’il avait eu tort de quitter sa religion, qu’elle estimait
extrêmement bonne, pour un récit que je lui avais fait
des grandeurs de notre Dieu et pour quelques louanges
que j’avais chantées en sa présence, en quoi elle disait
avoir ressenti un tel plaisir, qu’elle ne croyait pas que
le paradis de ses pères, et celui qu’elle espérait, fût
accompagné de tant de joie qu’elle en avait ressenti
pendant que je louais mon Dieu, concluant qu’il y avait
en cela quelque merveille. Cette femme, comme une
autre Caïphe ou comme l’ânesse de Balaam, fit tant par
35
ses discours que son mari me dit dès le lendemain, qu’il
ne tenait qu’à une commodité que nous ne nous
sauvassions en France, mais qu’il y donnerait tel
remède dans peu de jours que Dieu en serait loué.
Ce peu de jours dura dix mois, pendant lesquels
il m’entretint en cette espérance, et au bout de ce
temps-là, nous nous sauvâmes dans un petit esquif, et
nous abordâmes à Aigues-Mortes le 28 de juin ; de là
nous nous rendîmes bientôt après à Avignon, où le
renégat se présenta la larme à l’œil et le sanglot au
cœur, à monseigneur le vice-légat, qui le reçut
publiquement dans l’église de Saint Pierre, à l’honneur
de Dieu et à l’édification des assistants.
Mon dit seigneur nous a retenus tous les deux
pour nous mener à Rome, où il s’en ira aussitôt que son
successeur sera venu. Il a promis au pénitent de le faire
entrer à l’austère couvent des Fate-ben-Fratelli où il
s’est voué, etc. ».
Le style de cette lettre, certes, a vieilli, mais qu’elle est
touchante de courage, de confiance en Dieu, de charité
chrétienne. Elle n’indique que les faits principaux, et l’on y
trouve déjà cette répugnance extrême à parler de soi, qui fut
un des traits caractéristiques du caractère de saint Vincent. Il
dut y avoir bien des regrets pour la patrie absente, bien des
travaux, bien des douleurs au fond de ces évènements, dont on
ne découvre pour ainsi dire que la cime. Mais s’il était homme
de peu de mots il avait une longue et fidèle mémoire on s’en
aperçut dans la suite lorsqu’il établit des missions dans les
régences barbaresques.
On n’a jamais mis en doute l’authenticité de ces
lettres : nous possédons les originaux, de la main de Vincent
et avec sa signature, et les chercheurs ont patiemment
reconstruit l’histoire de leur conservation.
Toutes les deux sont adressées à M. de Comet, frère de
l’ancien protecteur de Vincent et continuateur du soutien au
36
jeune prêtre. Des archives de M. de Comet, elles passèrent à
son gendre, Louis de Saint-Martin, seigneur d’Agès et avocat
de la cour présidiale de Dax, marié avec Catherine de Comet
et frère du chanoine Jean de Saint-Martin. Ensuite, le fils de
Louis et de Catherine, César de Saint-Martin d’Agès, en
hérita. C’est celui-ci qui, un jour, voulut mettre en ordre les
papiers de son grand-père et qui les découvrit. Ceci arriva en
1658, alors que Vincent de Paul était déjà un personnage avec
une renommée nationale et la réputation d’un saint. Le jeune
Saint-Martin eut un frémissement d’émotion : il avait dans les
mains la jeunesse du grand homme racontée par lui-même.
Celui-ci se réjouirait sûrement de revoir ces vieux papiers qui
racontaient l’aventure la plus excitante de sa longue vie ! Sans
perdre de temps, il les communiqua à son oncle le chanoine.
Le bon chanoine s’empressa d’écrire, à son tour, à Vincent de
Paul en lui rendant compte de la trouvaille inespérée. Mais la
réaction de Vincent fut bien différente de celle espérée : il la
lut et la jeta au feu ; ensuite de quoi il écrivit à Jean de S.
Martin pour le remercier de l’envoi de cette copie et pour
réclamer avec une grande instance l’original auquel il
réservait, in petto, le même destin.
À ce moment et grâce à Dieu, d’autres personnes
entrent en action. Le secrétaire du saint mit au courant de la
chose les assistants du supérieur général de la Mission. On tint
un conseil : il fallait à tout prix sauver ces lettres du péril
imminent de la destruction et, pour cela, il fallait éviter
qu’elles arrivent dans les mains de leur auteur. Ainsi le
secrétaire coula furtivement un billet dans la lettre et pria Jean
de S. Martin d’envoyer l’original à quelque autre qu’à Vincent
de Paul, s’il tenait à ce qu’il ne fût pas perdu. Cela fut fait ainsi
qu’il avait conseillé, et la lettre autographe fut remise au
supérieur du séminaire des Bons Enfants, c’est par ce moyen
qu’elle fut conservée à l’insu de saint Vincent. Sans cette
précaution on eût toujours ignoré ce qui s’était passé pendant
son esclavage, ce grand serviteur de Dieu n’en parlant jamais.
37
Cependant le pauvre ancien se lassait d’attendre. Il
voyait la mort approcher et ces lettres étaient dans des mains
étrangères, exposées à Dieu sait quelles dangereuses
interprétations. Ainsi il écrivit de nouveau, le 18 mars 1660,
au chanoine Saint-Martin :
« Je vous conjure, par toutes les grâces qu’il a
plu à Dieu de vous faire, de me faire celle de
m’envoyer cette misérable lettre qui fait mention de la
Turquie ; je parle de celle que M. d’Agès a trouvée
parmi les papiers de M. son père. Je vous prie derechef,
par les entrailles de Jésus-Christ Notre-Seigneur, de
me faire au plus tôt la grâce que je vous demande».
Émouvants accents qui ne pouvaient pas ne pas
émouvoir le chanoine Saint-Martin : les lettres si ardemment
réclamées étaient en sûreté depuis deux ans, dans les mains
d’Alméras, premier assistant et ensuite successeur du saint.
Vincent mourrait six mois plus tard sans avoir pu mettre la
main sur ces papiers de jeunesse. Grâce à la pieuse
machination du secrétaire, des assistants et du chanoine, elles
étaient sauvées pour la postérité.
Malgré l’authenticité de ces lettres, malheureusement
depuis environ un demi-siècle, une violente bataille se livre
autour d’elles. Dans un intéressant article paru dans la revue
d’histoire de l’Eglise en France et titré «Saint Vincent de Paul
a-t-il été esclave à Tunis ? », Monsieur Guy Turbet-Delof
analyse et critique les Cahiers de Tunisie, dans leur numéro de
1965 (p. 53-83) qui ont eu l’idée de réunir trois études publiées
en 1928, 1929 et 1936, dans lesquelles Pierre Grandchamp12,
développant une intuition d’Antoine Redier, croyait pouvoir
établir, grâce à une critique serrée des lettres de Vincent de
12
GRANDCHAMP, Pierre (né le 16/06/1875 à Vitrac et mort le
16/10/1964) effectue une carrière de Directeur de service à la Résidence
de France à Tunis. Il publie de nombreux articles, tous consacrés à la
politique, à l'économie et à l'histoire de la Tunisie.
38
Paul du 24 juillet 1607 et du 28 février 1608, le caractère
«légendaire» du séjour que le fondateur des Lazaristes y disait
avoir fait à Tunis, en 1605-1607.
L’auteur soutient avec fondement qu’accepter cette
thèse, comme le font les historiens les plus compétents,
conduirait à voir en saint Vincent, ici du moins, un romancier,
ou peu s’en faut. Mais il dit également qu’aucun des
arguments de Pierre Grandchamp ne semble convaincant.
Leur accumulation, pas davantage. Au contraire, Turbet-Delof
considère les lettres en question, jusqu’à plus ample informé,
comme ressortissant aux relations de voyage et aux récits de
captivité non imaginaires. Mais une question nous vient à
l’esprit : pourquoi Vincent de Paul voulait-il détruire ces
lettres ?
Nous pouvons trouver une première tentative de
réponse à la fin de l’article, lorsque l’auteur affirme que
l’attitude paradoxale de saint Vincent a donné lieu, de la part
des contradicteurs de P. Grandchamp, à des explications
diverses qui se ramènent, pratiquement, à deux. La première,
qui se trouvait déjà chez Abelly, est reprise, entre autres, par
Guichard : c’est l’humilité, vertu fondamentale de Vincent de
Paul. Grandchamp l’a facilement réfutée. La seconde a été
avancée par Pierre Coste, par Mgr Calvet, par Daniel- Rops :
le souci (par crainte, sans doute, de l’Inquisition) de jeter un
voile sur les expériences d’alchimie faites à Tunis en
compagnie du vieux médecin. Or, Guichard a bien montré
qu’il s’agissait d’innocents tours de magie blanche.
Mais la réponse, la plus claire, nous la trouvons dans
les deux explications proposées par l’auteur :
1. La première c’est la contradiction, historiquement
très explicable, pourtant, que les contemporains de Vincent de
Paul, ceux de 1658, n’auraient pas manqué de relever entre les
«pièces noires » que la littérature lazariste versait alors au
dossier barbaresque, et cette « pièce rose » qu’était, en somme,
la lettre de 1606, où il n’est nullement question - sauf à propos
des formalités dégradantes, mais classiques, de la vente aux
39
enchères - de mauvais traitements subis en Barbarie par le
jeune captif, ni que son âme ou sa vertu aient été le moins du
monde en danger.
2° La seconde explication, c’est le remords que dut
éprouver saint Vincent, après sa «conversion» des années dix,
d’avoir caché, lors de sa captivité, sa condition de prêtre : lui
qui ne cessera d’exhorter les Lazaristes de Tunis et d’Alger à
être jusqu’au bout des témoins du Christ. Telle fut même,
quarante ans plus tard, sa constance à vouloir, son insistance à
réclamer qu’il y eût à Tunis et Alger des prêtres libres, les
prêtres esclaves étant trop souvent, selon, lui, « déréglés », et
les sacrements délivrés par eux d’une validité suspecte. Pour
cela l’auteur se demande si le rappel de ce séjour fait à Tunis,
à l’âge de vingt-cinq ans, ne réveillait pas, en Vincent de Paul,
le souvenir de quelque désordre désormais odieux au sage
«instituteur » des prêtres de la Mission.
La conclusion donc nous la laissons directement au
professeur Turbet-Delof :
« Quoi qu’il en soit, je ne vois aucune raison de
suspecter les lettres de saint Vincent sur sa captivité.
… Je ne jure de rien. Je ne dis pas non plus que tout
s’est passé pour Vincent de Paul, à Tunis, comme il le
raconte. J’affirme seulement que tout peut très bien
s’être passé ainsi. Rien, dans le texte en question, ni en
dehors, ne permet de le récuser comme témoignage.
Ainsi, de deux choses l’une : ou bien Vincent de Paul
a été esclave à Tunis en 1605-1607, ou bien il faut voir
dans sa lettre du 24 juillet 1607 et dans son «postscriptum » du 28 février 1608 un faux de génie, sans
commune mesure avec les sources, romanesques ou
non, dont il aurait pu s’inspirer ».
40
3. SAINTE OLIVE DE PALERME,
CO-PATRONNE DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
Sa mystérieuse figure
Le 10 juin l’Eglise célèbre la mémoire de sainte Olive
de Palerme, vierge et martyre en Tunisie. Depuis 1890 et par
la volonté du Cardinal Lavigerie elle est co-patronne de la
cathédrale de Tunis ensemble avec saint Vincent de Paul.
Parler de sainte Olive n’est pas chose aisée en raison
des très faibles éléments historiques. Cependant nous pouvons
avancer certains éléments sur lesquels la majorité des
historiens s’accordent.
Selon une première tradition, Olive aurait donc été de
noble famille palermitaine. Chrétienne et zélée, elle allait
réconforter les chrétiens apeurés par la lourde persécution
organisée par le roi Vandale Genséric (Vème siècle). Elle aurait
donc été exilée à Carthage (ou Tunis) pour lui faire perdre ses
envies de prosélytisme. Elle n’avait que treize ans.
L’autre tradition prétend qu’elle aurait plutôt vécu aux
IXème - Xème siècles, lors de la domination musulmane, le
sanguinaire Abd-Allah régnant sur la Sicile, et le non moins
cruel Hibraim-’ibn-Ahmed étant gouverneur du royaume
d’Afrique.
Cette sainte avait la particularité d’être honorée par
certains musulmans. La grande mosquée de la ville de Tunis
s’appelle « la mosquée d’Olive », et c’est parmi les
musulmans de cette ville que naquit le dicton : « Malheur à qui
parle mal d’Olive, car Allah sûrement le punira ! ». Des
recherches archéologiques ont par ailleurs confirmé que la
mosquée
a
été
construite
sur
les
vestiges
d’une basilique chrétienne, ce qui conforte la légende
rapportée par Ibn Abi Dinar sur la présence du tombeau (ou
41
d’une mémoire) de sainte Olive à l’emplacement de la
mosquée.
Le plus sérieux des commentateurs de 1716 en Sicile,
le P. Malatesta, affirme que Rocco Pirri, Fazello, Gaetani,
Ferrari, Mongitori soutiennent qu’Olive est née à Palerme en
442, exilée en Tunisie en 454 et décapitée le 10 juin 463. Mais
c’est seulement une hypothèse.
Son culte est attesté dès le XIIIème siècle ; par le
bréviaire « gallosiculo » de l’Eglise Palermitaine ; par un
manuscrit de Termere Imerese en dialecte sicilien de la même
époque ; par trois passions différentes mais malheureusement
très peu historiques et contradictoires, et par le puits « de
Olive » dans l’église paroissiale et couvent de frères minimes
fondé par saint François de Paola (périphérie de Palerme). Le
couvent des frères construit en 1518 a été l’objet de plusieurs
apparitions de la sainte. En effet des frères minimes ont
raconté avoir vu Olive plusieurs fois près du puits et dans le
jardin du couvent en disant « Je suis Olive la protectrice de
mon couvent ». C’est pour cela que l’on pense jusqu’à nos
jours que le tombeau d’Olive est près du puits (aujourd’hui
dans l’église paroissiale elle-même) ou dans les immédiations
du couvent. Rien n’a été trouvé, mais il est vrai aussi que
personne n’a pu pénétrer jusqu’au fond du puits pour
découvrir la vérité.
Quoi qu’il en soit sur les détails de sa vie, il est vrai et
tout le monde est d’accord, qu’Olive a été une jeune fille
martyre en Tunisie. Certainement sa plus grande vérité était la
richesse de sa vie spirituelle et sa profonde relation avec Dieu.
Olive, comme tant d’autres martyrs devant l’angoisse du
destin qui l’attendait, s’unissait à l’espoir indestructible du
tout proche Paradis et du salut éternel. En confirmant cette
vérité saint Jean Chrysostome écrivait :
« J’aime à lire les Actes des Martyrs ; mais
j’avoue mon attrait particulier pour ceux qui retracent
les combats qu’ont soutenus les femmes chrétiennes.
42
Plus faible est l’athlète, plus glorieuse est la victoire ;
car c’est alors que l’ennemi voit venir sa défaite du
côté même où jusqu’alors il triomphait… Au
commencement, la femme pécha, et pour prix de son
péché eut la mort en partage ; la martyre meurt, mais
elle meurt pour ne pas pécher. Séduite par une
promesse mensongère, la femme viola le précepte de
Dieu ; pour ne pas enfreindre sa fidélité envers son
divin bienfaiteur, la martyre sacrifie plutôt sa vie.
Quelle excuse maintenant présentera l’homme pour se
faire pardonner la mollesse, quand de simples femmes
déploient un si mâle courage ; quand on les a vues,
faibles et délicates… et, fortifiées par la grâce,
remporter de si éclatantes victoires ? »13.
Son histoire alors est une histoire qui donne force et
courage. Une histoire qui nous réveille de notre indifférence
religieuse. Une histoire, qui permet d’admirer le travail de la
grâce de Dieu, de la véritable amitié avec lui, qui élève une
créature humaine aux sommets de l’héroïsme. Il y a un mot
courant aujourd’hui : mondanité… esprit bourgeois… esprit
de commodité. Notre monde est un monde confortable…
toutes les inventions actuelles sont pour notre plaisir et
commodité… l’homme s’installe, et commence à naître en lui
un esprit paresseux, individualiste, égoïste. Il apparait donc
que l’héroïsme est difficile pour les chrétiens, cependant nous
trouvons beaucoup de gens, de jeunes chrétiens, qui ne veulent
pas se conformer à l’esprit du monde d’aujourd’hui, des âmes
créées pour de grandes choses, des héros… pour eux, nous
prions sainte Olive.
La cathédrale de Tunis possède aujourd’hui, pour la
première fois depuis plus de cent ans d’existence, une statue
de sainte Olive, réalisée par un artiste sicilien, inaugurée par
13
Homélie, De diversis novi Testamenti locis.
43
l’évêque de Tunis Mgr Ilario Antoniazzi le dimanche 25 juin
2017. Ce beau projet est le fruit des efforts des pères de
l’Institut du Verbe Incarné responsables de la cathédrale et du
M. Ugo Russo, palermitain et dévot de la sainte, à qui je
remercie pour m’avoir fourni les précieux données
hagiographiques que nous reproduisons dans ces pages.
Cette belle statue de sainte Olive, inspirée de l’art
byzantin, fait face à celle de saint Vincent de Paul et toutes les
deux gardent l’entrée de l’espace sacré le plus important de la
cathédrale : le chœur.
44
4. HISTORIQUE
DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
L’histoire de la cathédrale de Tunis tient dans une
courte période, puisqu’elle remonte seulement à 189014.
Cimetière et chapelle saint Antoine, abbé
La cathédrale est bâtie sur l’ancien cimetière « saint
Antoine », qui fut donné au XVIIème siècle par les Beys de
Tunis à la communauté catholique. D’abord destiné à
l’inhumation des esclaves des bagnes, il devient par la suite le
cimetière de la colonie européenne de Tunis.
Le Père Jean Le Vacher (Lazariste), disciple de saint
Vincent de Paul, Vicaire Apostolique et Consul de France à
Tunis dès 1648, le fit entourer d’un mur et y édifie une
chapelle sous le vocable de saint Antoine, abbé, en 1655 ou en
1659.
Dans une lettre adressée au Président des Conférences
de saint Vincent de Paul à Paris, et envoyée de Tunis le 10
14
Je suivrais librement pour ce long et principal chapitre du livre, avec
quelques modifications et mises au jour, les notes dactylographiées que
m’avait consignées le P. Michel Prignot (+2016), non-signées et non
datées, qui ont été rédigées par l’Abbé Roger Jamin, vicaire à la cathédrale
en 1975 et jamais publiées. Cependant dans les archives du diocèse on
retrouve, signé de son nom, le résumé de la plupart des renseignements ici
consignés. La bibliographie de ce chapitre et des différentes citations est la
suivante : Archives de la Prélature : manuscrits « Farde – Tunis »,
intitulée juillet 1949 - du 1 au 18. Volumes reliés de la « Tunisie
Catholique », « La Semaine paroissiale de Tunisie », « Bulletin de la
Cathédrale », « Echo du diocèse de Carthage », « Echo de la Prélature »,
publications éditées à partir de 1908. Les Cahiers de Tunisie – T. XIX, N°
75-76, et 4° Trimestre 1971. SOUMILLE, P., Le Cimetière européen de
Bab-El-Khadra et Tunis. Mgr. PONS, A., La nouvelle Église d’Afrique,
Tunis, 1930.
45
Mars 1884, le Cardinal Lavigerie note : « J’ai retrouvé à Tunis
un précieux souvenir de ce premier Vicaire Apostolique
français... c’est une pierre consacrée par lui en 1659... cet autel
sert aujourd’hui à l’ancien cimetière qui a été probablement
dans le passé celui des esclaves ».
Mais dans une autre note, il signale : « Le cimetière se
trouve au même lieu au moins depuis deux siècles, car l’autel
de la vieille chapelle qui existe encore est daté, et il porte la
date de 1655 ».
Cette première chapelle devient vite insuffisante, et
elle est rebâtie en 1773-74, par le Père Sebastiano de Cortone,
Préfet Apostolique de la mission des Capucins. Au vocable de
saint Antoine, abbé, il ajoute celui de sainte Marguerite de
Cortone, mais après le Père Sebastiano, la chapelle ne
conserve que le nom de saint Antoine.
En 1775, un règlement des sépultures précise que les
adultes et les enfants esclaves, seront enterrés dans la chapelle,
dans deux caveaux distincts ; seuls les négociants et les
hommes libres seront ensevelis dans le terrain adjacent à la
chapelle, chacun avec une tombe distincte.
En raison de l’accroissement de la population
européenne à Tunis, durant la première moitié du XIXème
siècle, le cimetière saint Antoine devient vite insuffisant : sous
l’Épiscopat de Mgr Fidèle Sutter (1843-1881), des travaux
d’agrandissement sont entrepris sur un terrain qui constituait
le jardin de la mission catholique. Au début du mois de
Décembre 1850, le Bey Ahmed en fait donation au Prélat, et il
lui écrit :
« Louange à Dieu. Notre écrit est entre les
mains de la personne vénérée, l’Évêque, le religieux,
l’un des grands : il est adressé à son Excellence
l’Évêque de la religion chrétienne. Nous avons acheté
ces terrains de nos deniers et nous les avons destinés à
servir de sépulture aux morts européens : les religions
prescrivent la générosité et la bienveillance envers les
hôtes. Ce jour donc, nous avons abandonné nos droits
46
sur ces terres, qui deviennent « Habous » du cimetière
européen. Son Excellence en a pris possession pour cet
usage. Que Dieu soit propice à tous ses serviteurs. Que
celui aux mains duquel parviendra notre écrit ait à s’y
conformer ».
Le cimetière présente bientôt des conditions
déplorables au point de vue de la salubrité publique et même
du respect dû aux morts. On est obligé pour pourvoir aux
sépultures, soit d’entasser les cadavres dans les terrains restés
vacants, soit de les mettre pêle-mêle, dans des caveaux creusés
sous la chapelle et autour des murs d’enceinte.
Le public lui-même s’émeut de cet état de choses et des
incidents se produisent entre Mgr Sutter et la population
catholique de Tunis. La situation est demeurée la même
lorsque Mgr Lavigerie prend possession au mois d’octobre
1881 du Vicariat Apostolique de la Tunisie, en remplacement
de Mgr Sutter.
Mais depuis la construction du Consulat de France,
d’autres édifices se sont élevés dans le quartier de la Marine
(actuelle Avenue Bourguiba), la présence d’un cimetière en
cet endroit présente donc des inconvénients sérieux, tant pour
la salubrité publique que pour l’extension de la ville. Le
Ministre Roustan, se faisant le porte-parole des européens s’en
ouvre à Mgr Lavigerie dès octobre 1881. Il lui rappelle les
inutiles démarches entreprises auprès de Mgr Sutter, et il
insiste pour obtenir une solution immédiate de la question.
Après une visite au cimetière, le Prélat est convaincu
de la nécessité de le supprimer, et dès le 9 Novembre 1881, il
envoie au Consul de France une note contenant un projet
d’arrêté beylical pour la translation des cimetières chrétiens.
Cathédrale provisoire
Une idée surtout pousse Mgr Lavigerie à obtenir l’édit
beylical, il pense à la construction d’une nouvelle église qui
47
lui servirait de cathédrale. Déjà, le 29 Juillet, il écrit : « Tunis
n’a pour une population de plus de 20.000 catholiques et
que la chapelle exigüe des religieux capucins. Une église
nouvelle donc est nécessaire ».
À l’occasion de la fête de Noël 1881, il répète : « La
ville européenne s’étend avec ses habitants nouveaux. Les
distances deviennent difficiles à franchir. Aussi, pour une telle
agglomération de chrétiens, une seule paroisse est-elle
insuffisante ».
Ce qu’il veut surtout, c’est une « église française »
bien à lui. L’église de Sainte Croix appartient en effet aux
capucins italiens et est considérée comme étant « l’église
italienne ». Ainsi dès le 27 novembre 1881, il entreprend la
construction d’une cathédrale provisoire, qui est inaugurée le
dimanche 2 avril 1882. Au sujet de cette cathédrale provisoire,
Lavigerie écrit, au printemps 1889, au Résident Général
Massicault :
« Il faut en effet, monsieur le Ministre, penser
à pourvoir à la reconstruction de l’église provisoire de
Tunis. C’est un simple hangar, comme vous le savez,
et il a été construit en l’espace de 80 jours, à mes frais
personnels, pour éviter à la France l’humiliation de
n’avoir aucune église à Tunis et de faire célébrer ses
cérémonies ou solennités dans l’église italienne des
capucins ».
Cette cathédrale provisoire était située à l’angle de la
promenade de la Marine (Avenue Bourguiba) et de la rue
d’Alger, sur une parcelle de jardin qui n’avait pas été
transformée en cimetière par Mgr Sutter (aujourd’hui l’espace
occupé par le ministère tunisien des femmes).
Dès 1881, Mgr Lavigerie a l’intention de construire sur
le même emplacement un presbytère pour son clergé et une
maison qui lui servirait d’Évêché.
48
En effet, lors de sa nomination d’Administrateur
Apostolique, il a fait appel à des « volontaires » du clergé
séculier d’Alger. L’abbé Polomeni, curé de N.D. des Victoires
à Alger, devient le premier curé de la cathédrale provisoire ; il
est ensuite curé de Sfax. L’abbé Tournier, curé de la CitéBugeaud, devient chancelier, délégué au temporel. L’abbé
Gazaniol, curé de Sainte Croix à Alger, ajoute bientôt à sa
fonction de Vicaire Général, celle de curé de la cathédrale.
Mgr Crussenmeyer est nommé « délégué de l’Administrateur
Apostolique » ; poste qu’il occupe de 1882 à 1887.
Transfert du cimetière
L’établissement d’un clergé régional et la construction
d’une église provisoire ne règlent pas pour autant la question
du cimetière saint Antoine. Ayant rencontré des oppositions
pour le transfert du cimetière dans un autre lieu de la part de
familles propriétaires de concessions à saint Antoine, Mgr
Lavigerie suggère à la fin de 1881, en février 1882 et en juin
1883, de décréter officiellement l’interdiction de toute
nouvelle sépulture à saint Antoine. Il finit par obtenir
satisfaction, tout d’abord de façon partielle, par le décret du 30
Juillet 1884, et de manière définitive par l’arrêté municipal du
7 Octobre 1885, qui prohibe toutes les inhumations dans les
cimetières publics ou privés à l’intérieur de la ville de Tunis.
Mais il faut attendre le 28 Avril 1891 pour que, par
décision beylicale, le cimetière saint Antoine soit
définitivement désaffecté. Il n’y a plus alors aucun
inconvénient pour que l’autorité diocésaine à qui appartient
l’emplacement, puisse y construire des bâtiments et
particulièrement une cathédrale.
Restauration du siège archiépiscopal de Carthage
Le 16 avril 1882, Mgr Lavigerie est élevé au
cardinalat. Peu de temps après sa promotion, il écrit à Léon
XIII :
49
« Le plus beau jour de ma vie sera celui où,
après avoir doté ce Vicariat de tout ce qui lui est
nécessaire en institutions, en hommes et en argent, je
pourrai aller me prosterner humblement aux pieds de
Votre Sainteté, pour lui demander de relever le siège
de Saint Cyprien, et de ressusciter la grande église de
Carthage, après mille ans de mort ».
Au consistoire du 10 Novembre 1884, Léon XIII
déclare dans une allocution aux cardinaux : « Nous avons cru
le moment venu de rendre à Carthage, par notre autorité,
l’honneur de son siège archiépiscopal ». En même temps il
faisait distribuer aux membres du Sacré-Collège, la Bulle
« Materna Ecclesiae Caritas » dans laquelle il exprimait la
suprématie séculaire du siège archiépiscopal de Carthage.
Dans la lettre qui porte la nouvelle à son peuple, le
Cardinal Lavigerie déclare :
« L’Église métropolitaine sera provisoirement
celle de saint Louis, en attendant la construction de la
Basilique de Carthage, déjà commencée. Mais l’Église
saint Vincent de Paul de Tunis reste à la disposition des
Archevêques pour la célébration des offices
pontificaux dans cette ville ».
Il divise aussi le nouveau diocèse en trois
archidiaconés ayant à leur tête un Vicaire général. Les trois
premiers archidiacres sont : pour Carthage, l’abbé Tournier,
pour Tunis, Mgr Grussenmeyer et pour Sfax, l’abbé Polomeni.
La restauration du siège archiépiscopal de Carthage
accomplie, le Cardinal songe à s’adjoindre un coadjuteur. Il
s’adresse tout d’abord à Mgr Combes, Évêque de Constantine,
son ancien Vicaire général d’Alger. Le peu d’enthousiasme
manifesté par ce Prélat, mais surtout les difficultés que laissent
entrevoir le Pape et le Gouvernement français pour son
remplacement à Constantine, lui font abandonner ce projet.
50
Son choix se porte alors sur un prédicateur fort goûté
en France : Mgr Jourdan de la Passadière, Évêque titulaire de
Rosea. Comme pour préluder à l’instauration d’une province
ecclésiastique en Tunisie, le Cardinal l’installe à Tunis, tandis
que lui-même continue à résider à Carthage. Mgr Jourdan ne
fait que passer, à peine reste-t-il un an en Afrique. Sa santé
délicate, mais surtout la tutelle des deux Vicaires généraux du
Cardinal, qui rétrécissent le champ de ses activités, avivent en
lui la nostalgie des « chaires parisiennes ». Il quitte
brusquement la Régence. À partir de là, les Vicaires généraux,
Mgr Gazaniol pour le spirituel et Mgr Tournier pour le
temporel, gèrent officiellement les affaires diocésaines.
Première pierre de la cathédrale
En 1890, le Cardinal Lavigerie sentant les approches
de la mort, veut bénir lui-même la première pierre de la future
cathédrale, qui sera ensuite posée à sa place définitive. Il
annonce la cérémonie au début de mai à Mgr Gazaniol, curé
de la cathédrale, en ces termes :
« Mon cher curé, je vous prie de rappeler à vos
paroissiens que la cérémonie de la bénédiction de la
première pierre de l’Église pro-cathédrale définitive
de Tunis15 doit avoir lieu le matin du dimanche 18
mai. Cette cérémonie suivra immédiatement celle de la
clôture du concile régional de Carthage, qui aura lieu
également dans votre église à 8h00 très précises du
matin. Cette cérémonie aura lieu dans le chœur même
de votre église à cause de l’impossibilité de placer cette
Une pro-cathédrale est une église paroissiale qui, bien que n’ayant pas
le statut d’église épiscopale, est destinée à accueillir l’évêque d’un diocèse.
Elle sert donc temporairement de cathédrale ou de co-cathédrale. Elle joue
le même rôle dans les juridictions missionnaires catholiques non habilitées
à avoir une cathédrale, telles que les préfectures apostoliques ou
les administrations apostoliques.
15
51
pierre à sa place définitive : elle se bornera par
conséquent aux prières qui regardent la bénédiction de
la pierre. Nos Seigneurs les Archevêques, Évêques et
Prélats qui font partie de cette assemblée y assisteront
sous ma présidence et prendront part avec moi à la
bénédiction de la première pierre. Pour donner un
caractère plus religieux encore à cette cérémonie, j’ai
résolu de la faire accompagner d’un acte public de
charité chrétienne, et je décide que la quête sera faite
en faveur de l’œuvre de la crèche, ouverte sur votre
paroisse, sous un haut et généreux patronage, qui
accueillera également les enfants pauvres de toutes les
nationalités. Vous voudrez bien, mon cher curé, la faire
vous-même en personne, afin de la rendre plus
fructueuse et de lui donner un témoignage plus visible
de votre sympathie pastorale et de la mienne. J’espère
que vos paroissiens répondront à cet appel avec leur
générosité ordinaire, et je les bénis d’avance avec les
sentiments les plus paternels. Vous voudrez bien lire la
présente lettre au prône du dimanche 11 mai courant,
et agréez l’expression nouvelle de tout mon affectueux
dévouement ».
La première pierre et les patrons de la cathédrale
Le 18 Mai 1890, trois jours après les grandes
cérémonies de la consécration de la Primatiale de Carthage, a
lieu, dans l’église provisoire de Tunis, la bénédiction de la
première pierre.
Au cours de la cérémonie, le Cardinal Lavigerie
demande au Résident général de donner le premier coup de
marteau à la pierre nouvellement bénite. Ensuite, les douze
Évêques présents à Tunis bénissent successivement la pierre.
L’office se déroule en présence de quarante Évêques, Prélats
et Chanoines. On lit en chaire une lettre pastorale qui donne
comme titulaires à la future cathédrale un saint français : saint
52
Vincent de Paul, et une sainte italienne : sainte Olive, tous
deux ayant vécu à Tunis, le premier comme esclave et la
seconde comme captive et martyre. Dans l’esprit du Cardinal,
ce double patronage symbolise l’union qui doit désormais
exister entre les fidèles français et italiens résidant en Tunisie.
Plan de la nouvelle cathédrale
À la fin de 1891, le plan de la cathédrale de Tunis est
mis en concours. Plusieurs architectes de Tunis et de Paris y
prennent part. Le plan qui est retenu est celui de Monsieur
Bonnet-Labranche, mais cet architecte ne semble pas avoir
suffisamment étudié son devis, car, alors qu’il prévoyait une
dépense de 475.000 francs auxquels s’ajoutaient 25.000 francs
d’imprévus, en réalité, le prix de la construction va dépasser
1.700.000 francs, valeur or.
Le plan de la cathédrale établi (c’est d’ailleurs le
Cardinal lui-même qui en a choisi le dessin architectural en se
référant aux ruines de la basilique découverte dans l’Henchir
Rhiria, près de Béjà (Cf. p. 123). On procède à l’adjudication
des travaux. Dix entrepreneurs sont admis à prendre
connaissance des plans et des devis : ce sont MM. Cartier,
Monnin, Chevalier, Ravotti, Rey frères, Ellal, Bevilacqua,
Poupart, Bianchi et Graygnic. Après un intervalle de 15 jours,
ils sont invités à envoyer à la chancellerie de l’Évêché leurs
propositions, ainsi que les certificats prouvant leur
compétence.
La construction de la cathédrale
Le 22 août 1892, une commission se réunit au salon de
l’Archevêché, afin de procéder à l’adjudication des travaux de
la cathédrale. Monsieur Cartier propose un rabais de 5 % et
offre les garanties les plus sérieuses, celle en particulier de
conduire les travaux jusqu’à leur terme, sans exiger autre
chose qu’un léger intérêt pour les sommes qu’il avancerait en
cas de besoin. Cartier, directeur d’une puissante société de
53
constructeurs de Paris, présente le détail des travaux exécutés
par lui en France et à l’étranger. A Tunis, il a reconstruit le
palais de la Résidence française et l’église grecque, à l’entière
satisfaction des intéressés.
Pour laisser une entière liberté aux membres de la
commission, Mgr Gazaniol propose alors de procéder par vote
secret, ce qui est rejeté, et le choix unanime se porte sur
Monsieur Cartier. Le président approuve ce choix en
exprimant le désir de le voir ratifier par l’autorité du CardinalArchevêque. Avant de se séparer, la commission émet le vœu
que le chantier soit immédiatement mis en œuvre, afin que les
pluies ne puissent nuire aux travaux de fondations.
Le 29 août 1892, Mgr Gazaniol envoie le Rapport de
la commission au Cardinal Lavigerie, il l’accompagne de ces
mots :
« Éminentissime Seigneur et très vénéré Père,
j’ai l’honneur de vous envoyer sous ce pli le procèsverbal de la dernière séance du conseil archiépiscopal
et le compte-rendu des travaux de la commission
chargée d’examiner les propositions des entrepreneurs
qui ont pris part au concours d’adjudication des
travaux de construction de la cathédrale de Tunis.
Comme votre Éminence pourra le constater, c’est
Monsieur Cartier qui a été déclaré adjudicataire.
Monsieur Cartier est installé à Tunis depuis plusieurs
années, il y a construit plusieurs bâtiments importants,
dont le pavillon de la Résidence française et l’église
grecque ; et enfin, il nous fait des propositions dont
votre Éminence pourra apprécier les avantages en
parcourant l’acte de soumission que l’adjudicataire a
fait parvenir à Mgr Tournier. J’ai fait joindre une copie
de cette pièce au procès-verbal. J’ajoute que Monsieur
Cartier est persona grata à la Résidence... ».
54
Les travaux sont bien vite commencés, et 2.133 troncs
d’eucalyptus sont enfoncés dans le sol boueux, afin de lui
donner la solidité du roc. Déjà, le 14 septembre 1892, Mgr
Tournier peut écrire au Cardinal : « Aussitôt après
l’approbation de votre Éminence, nous avons fait commencer
les travaux de la cathédrale de Tunis, afin de pouvoir creuser
les fondations avant l’arrivée des grandes pluies ».
Dès le 28 septembre 1892, Mgr Gazaniol envoie au
Cardinal un rapport sur l’avancement des travaux :
« Daigne votre Éminence me permettre de lui
adresser à la fin de chaque mois un petit rapport sur
l’état des travaux de construction de la cathédrale. Je
crois répondre ainsi à l’un de ses désirs. Dès que
l’approbation de l’adjudication par votre Éminence a
été connue, Monsieur Cartier a fait commencer les
travaux. En ce moment, tous les corps des fosses libres
ont été enlevés, tous les ossements soigneusement
recueillis et transportés dans des caveaux existants sur
l’emplacement de la future cathédrale. Les corps qui
doivent être placés dans la crypte ont été déposés dans
des caisses portant le numéro du registre. Les déblais
de la crypte sont sur divers points à trois mètres de
profondeur. Une grande partie des maçonneries des
caveaux et de la chapelle saint Antoine sont enlevées.
La pierre de taille pour les piliers et les socles de la
crypte est commandée et doit être rendue sur le
chantier au commencement d’octobre. Les bureaux de
l’entreprise et les magasins sont en cours d’exécution,
ils seront terminés à la fin de la semaine. Soixante-cinq
ouvriers ont été occupés à ces différents travaux ».
Le Cardinal Lavigerie n’a pu qu’assister au début de
l’œuvre, il s’éteint à Saint Eugène, près d’Alger, le 26
novembre 1892.
55
Bien vite des difficultés surgissent. L’entrepreneur est
rapidement en faillite, et c’est alors l’administration
diocésaine qui prend sous sa surveillance directe l’achèvement
des fondations de la crypte.
Monseigneur Combes et nouvelle adjudication
Préconisé au Consistoire du 15 juin 1893, Mgr
Combes, Évêque de Constantine et nouveau Primat d’Afrique
est solennellement intronisé dans la cathédrale de Carthage le
14 décembre 1893. Le même jour, il fait son entrée à Tunis.
La crypte est alors terminée, mais les fondations de la
cathédrale émergent seulement au niveau du parvis. Il faut se
remettre à l’œuvre en concentrant tous les efforts aux assises
de la façade, afin de leur donner la solidité du roc. Les
difficultés financières s’accumulant, le diocèse se voit
rapidement dans l’obligation pour faire face aux frais de
construction de céder une partie de ses terrains. Les travaux de
construction ayant été mis en veilleuse, sinon arrêtés, la remise
en chantier de la cathédrale donne lieu à une remise en
adjudication.
Plusieurs entrepreneurs viennent présenter leur devis.
Finalement, le choix se porte sur Monsieur Ramella,
entrepreneur à Tunis, c’est lui qui devient l’adjudicataire des
travaux. Le 4 juillet 1895, le contrat est signé entre Mgr
Tournier agissant en qualité d’administrateur de l’Archevêché
de Carthage et Monsieur Ramella, entrepreneur de travaux à
Tunis.
Dès octobre 1895, l’entrepreneur Ramella remet les
travaux en chantier. On voit alors s’élever les piliers et les
contreforts de l’édifice, faits d’une belle pierre à veine rose.
La construction s’élève rapidement puisque déjà le 4
décembre 1895, l’architecte demande à la chancellerie qu’un
quatrième acompte soit alloué à l’entrepreneur. Il faut des
dépenses considérables pour arriver en quelques années à
construire un vaste édifice sans tours, ni clochers, ni orgues,
56
ni sacristie, ni fonts baptismaux, mais dont la nécessité fait
précipiter l’inauguration.
L’inauguration de la cathédrale
En la fête de Noël, le 25 décembre 1897, Mgr Combes
livre au culte une cathédrale inachevée. La veille, il a procédé
à la bénédiction de l’édifice, cérémonie très simple, en
présence du seul clergé, mais qui permet désormais de célébrer
la messe dans le sanctuaire.
On est pourtant loin de la consécration, les niches
réservées aux images des saints sont dépourvues de leurs
icônes, l’autel majeur n’est pas encore paré de ses colonnes
ioniques ni de son baldaquin.
Le 25 décembre, Mgr Combes prend possession de la
cathédrale. Il est entouré non seulement du clergé de Tunis,
mais de tous les Pères Blancs, de l’Archiprêtre de Carthage et
de Mgr Tournier, Évêque in partibus d’Hippo-Zarite. La
cérémonie se déroule en présence du Résident Général entouré
de ses maisons civiles et militaires et de tous les chefs de
service du gouvernement du protectorat.
Dès son entrée dans la cathédrale, Mgr Combes monte
en chaire et donne lui-même lecture de son mandement de
prise de possession. Il déclare notamment :
« Qu’arrivé à Tunis à la fin de l’année 1893 et
voyant les travaux de la future cathédrale suspendus, il
s’est donné comme tâche de poursuivre l’œuvre
commencée par le Cardinal Lavigerie, mais il ajoute
que pour l’exécuter il faudrait le génie de celui qui l’a
conçue... Après quatre années de travaux que le
manque de ressources a parfois interrompus, nous
avons couvert la cathédrale... La cathédrale, il faut
maintenant l’animer de sculptures, de peintures, de
vitraux... Vous le savez, nous sommes encore loin du
terme, reste une étape à franchir et la plus longue, parce
57
que la dernière est toujours la plus fatigante... Dans le
cours de l’entreprise, nous sommes arrivés aux deux
tiers du chemin, et les dépenses durant le trajet montent
au-delà d’un million. De cette somme, le 9/10°
proviennent du diocèse : du diocèse réduit à se faire
courtier de commerce, à placer le vin de son clos, à
vendre ses dernières parcelles de terre, à chercher
acquéreur du domaine de La Marsa, à se résigner au
sacrifice total de l’héritage que lui avait laissé
l’intelligente et hardie prévoyance de son illustre
fondateur... Par ce simple aperçu, vous comprendrez
que je puisse désespérer de voir jamais le
couronnement de l’œuvre si je ne suis secouru... ».
Cette lecture achevée, la messe pontificale commence.
La Maîtrise des Pères Blancs de Carthage exécute la messe de
Gounod. L’office terminé, la cathédrale est désormais ouverte
au culte.
L’appel de l’Archevêque est entendu et les travaux
peuvent se poursuivre. Cependant bientôt surgit une difficulté
nouvelle : la construction des deux clochers. Le poids prévu
est trop lourd et on doit arrêter les travaux. Durant 10 ans, la
cathédrale tronquée de ses deux clochers va présenter une
forme disgracieuse. Dès 1901, les vitraux sont placés.
Les vitraux de la cathédrale
Des vitraux primitifs, il ne reste que la moitié, la guerre
étant cause de la destruction de la plupart d’entre eux.
Au fond de la nef, à droite en entrant, le vitrail
représente saint Léon le Grand, premier Pape de ce nom, qui
gouverne l’Église de 440 à 461. La seconde baie est occupée
par saint Fulgence, l’illustre Évêque de Ruspe en Byzacène
(région Est de la Tunisie) de 508 à 533. Il fut l’une des plus
grandes gloires chrétiennes de son temps. Sainte Monique, la
mère de saint Augustin, Évêque d’Hippone, a elle aussi sa
58
place dans la cathédrale. Le troisième vitrail la représente les
mains jointes et la tête penchée dans une inclinaison
méditative. À gauche, le premier vitrail au fond représente
saint Benoît, abbé du Mont Cassin, et fondateur de l’Ordre des
Bénédictins, 480-553. Dans le deuxième vitrail figure saint
Eugène, il trouve sa place dans la cathédrale au titre d’Évêque
de Carthage. Il fut élevé au siège de Carthage vers l’an 479.
Exilé trois ans plus tard par Hunéric, il fut rappelé vers 497
par Gontamond pour connaître un nouvel exil sous
Thrasimond. La chronique de Victor de Vita le fait mourir vers
505 au monastère de Viance près d’Albi, où sont vénérées ses
reliques. La troisième baie représente sainte Anne enseignant
la jeune Vierge Marie.
Au-dessus de la galerie, à droite, saint Jean de Matha
(1160-1213), fondateur des Trinitaires, rachète des
provençaux captifs à Tunis. Le saint accompagné d’un de ses
religieux est debout, il s’adresse à un chef musulman et
indique la justesse de la rançon dont la pesée est faite sur une
balance qu’un maure agenouillé tient suspendue.
Le vitrail suivant représente le grand roi de France
saint Louis (1214-1270) débarquant à Carthage. Les barons
sous leurs lourds harnois de guerre, que recouvre en partie la
tunique blanche, font face au roi, dont une des mains tient son
pennon fleurdelisé, tandis que l’autre s’appuie sur son
bouclier. Il est mort à Tunis.
La troisième baie est occupée par saint Jean Baptiste
de la Salle (1651-1719) dans le costume qu’il donna à son
Institut. Sa main droite tient une feuille où sont tracés des
caractères d’écriture, de la gauche, il attire à son côté un jeune
garçon très attentif aux enseignements du maître.
La galerie de gauche relate tout d’abord une scène
biblique. Jésus répondant aux pharisiens qui l’interrogent au
sujet de l’impôt : Rendez à César ce qui est à César, et à Dieu
ce qui es à Dieu.
Le deuxième vitrail retrace la scène de saint Vincent
de Paul présentant à Richelieu des négociants français
59
esclaves à Tunis. L’apôtre de la charité montre au Cardinal le
contrat signé avec le Bey de Tunis pour le rachat des captifs
français. Richelieu, revêtu de la pourpre, est assis auprès d’une
table. Derrière lui, les mains appuyées sur le dossier du
fauteuil, se trouve celui qu’on a appelé l’éminence grise, le
Père Joseph.
Dans la troisième baie se trouve l’effigie de saint
Bruno (1030-1101), fondateur de la Grande Chartreuse, dans
un costume de laine blanche. Les mains jointes, il regarde
devant lui dans une attitude de recueillement. La crosse
abbatiale est retenue dans le pli de l’un de ses bras.
Ces vitraux, dons des fidèles, sont l’œuvre du maîtreverrier, Bessac de Grenoble.
Le pape émérite Benoit XVI disait aux Etats Unis : « …les
vitraux qui inondent l’intérieur d’une lumière mystique.
Vues de l’extérieur, ces fenêtres semblent sombres, lourdes
et même lugubres. Mais quand on entre dans l’église, elles
prennent soudain vie ; reflétant la lumière qui les traverse,
elles révèlent toute leur splendeur. De nombreux écrivains
ont utilisé l’image des vitraux pour illustrer le mystère de
l’Église elle-même. Ce n’est que de l’intérieur, à partir de
l’expérience de la foi et de la vie ecclésiale, que nous
voyons l’Église telle qu’elle est vraiment : inondée de grâce,
resplendissante de beauté, embellie des multiples dons de
l’Esprit. Cela signifie que nous, qui vivons la vie de la grâce
dans la communion de l’Église, sommes appelés à attirer
tous les hommes à l’intérieur de ce mystère de lumière ».
L’aménagement de la cathédrale
Il faut aussi songer à la décoration de la cathédrale,
Monsieur Le Mare, artiste peintre, pose sa candidature. Le 10
février 1906, il écrit à Mgr Tournier :
60
« Je vous accuse réception de votre lettre du 8
février courant. Je vous remercie d’avoir bien voulu
appuyer ma dernière proposition auprès du Conseil de
Fabrique. Je suis heureux qu’il ait agréé ma demande.
Je me mets en devoir de me procurer les matériaux
nécessaires au commencement du travail, et je vous
adresserai dans quinze jours ou trois semaines la
facture représentant le montant de mes premiers
frais ».
Le 26 novembre 1906, il écrit à Mgr Raoul qui, en
1902, a succédé comme curé de la cathédrale à l’abbé
Bombard :
« Puisque votre bienveillance m’a fait espérer
de défendre ma cause devant le Conseil de Fabrique,
afin d’en finir avec cette affaire de fresque, je vous
serai reconnaissant de bien vouloir m’aviser du résultat
par un mot, afin de n’avoir pas à vous importuner
davantage. Mes idées sont les vôtres, car j’ai senti
depuis longtemps que vous aviez compris l’importance
de mes charges, et malgré tout, ma volonté d’atteindre
un but digne, je crois, d’encouragement ».
C’est le 29 mars 1908 que la lumière électrique brille
pour la première fois dans la cathédrale. L’installation de ce
nouveau mode d’éclairage a demandé plusieurs mois de
travail. Sept lustres et deux appliques formant un total de
quatre-vingt-dix bougies ornent le chœur. La table de
communion est éclairée à chaque extrémité par deux appliques
de cinq bougies. La nef principale est ornée de trois grands
lustres, qui portent ensemble soixante-huit lumières. Chaque
pilier de la nef, la chaire, la tribune et le grand orgue possèdent
en outre cinquante bougies électriques. Tous ces appareils sont
installés de façon à permettre plusieurs allumages séparés. Le
tout est commandé par un poste central établi à la sacristie.
61
Les clochers et les cloches
Le 13 mars 1910, la bénédiction des cloches est
annoncée aux fidèles pour le jour des Rameaux. En attendant
d’être transportées dans la nef où se fera le baptême, elles sont
déposées sous le parvis.
Au nombre de cinq, elles donnent comme notes : la, fa
dièse, ré, si, la grave. Elles pèsent en tout 8.000 kgs et coûtent
40.000 frs rendues sur place.
Sur le bourdon qui, à lui seul, pèse 3.600 kgs sont
représentés les traits de Mgr Combes, Archevêque de
Carthage, de Mgr Tournier, Évêque d’Hippo-zarite, de Mgr
Poloméni, Évêque de Ruspe, de Mgr Pavy, vicaire général, de
Mgr Raoul, curé de la cathédrale. Le nom des marraines,
Mmes Bodoy, Bottessini, Abadie, Nani et Morel se lit en
relief.
Les clochers sont enfin terminés. C’est en 1908 que les
tours de la cathédrale sont données en concours. Le jury réuni
à Paris le 5 aout 1908 attribue le premier prix à Monsieur
Louis Queyrel. « Ce projet, dit le rapport, se distingue
principalement par une grande simplicité de composition et
une bonne proportion de tours qui viennent heureusement
compléter la façade existante, en conservant à l’ensemble une
grande unité et une intéressante note d’art ».
L’année suivante, le 17 mai 1909, l’administration
diocésaine se réunit à l’archevêché pour adjuger les travaux ;
la maison Allard, Clamens et Fourneron-bey est déclarée
adjudicataire. Bientôt, on voit s’élever sur la cathédrale une
forêt de madriers et aussi se balancer des tiges légères de fer
de douze mètres de hauteur. C’est la première fois que du
béton armé est employé pour édifier des tours de cathédrale.
À la fin des travaux, la hauteur totale de l’édifice est
portée à 52 mètres et le poids des deux clochers est
approximativement de 700 tonnes.
62
Le clocher de gauche est appelé à recevoir le gros
bourdon de 3.600 kgs et de 1 m 80 de diamètre, tandis que
celui de droite abritera les quatre autres cloches.
Le dimanche 20 mars 1910, la cathédrale est envahie
par une foule d’environ 5.000 personnes avides de contempler
la cérémonie du baptême des cloches. Mgr Combes fait son
entrée dans le chœur entouré de Mgr Tournier, de Mgr
Poloméni, de Mgr Teissier, vicaire général d’Alger, de Mgr
Pavy, vicaire général de Carthage, de Monsieur Forconi,
Secrétaire général de l’Archevêché, de Mgr Raoul, curé de la
cathédrale, des Pères Delattre et Mallet, des curés et du clergé
de la ville.
Au milieu du transept, les cinq cloches revêtues de
leurs robes baptismales sont suspendues à deux solides
portiques. À côté de chacune d’elles ont pris place les parrains
et marraines : Madame Bodoy et Monsieur Piétri, Madame
Bottessini et Monsieur Rey, Madame Morel et Monsieur
Imbert, Madame Nani et Monsieur Mac-Inerny, Madame
Avadie et Monsieur Penfaillit.
Tandis que la Schola des Pères Blancs chante les
psaumes de la Pénitence, l’Archevêque bénit le sel et l’eau. Il
descend ensuite vers les cloches dépouillées de leur robe
baptismale, et, aidé de ses prêtres, il les lave. À l’extérieur, il
les marque de l’huile des infirmes et sur le limbe intérieur, il
fait l’onction du Saint-Chrême. Quand il a fini l’encensement,
l’Archevêque met en mouvement l’énorme battant de 350 kgs
du gros bourdon, et la voix d’airain éclate comme un coup de
tonnerre sous les voûtes. La cérémonie terminée, le Primat
d’Afrique monte en chaire. Dans son allocution, il félicite et
remercie ceux qui ont travaillé à l’édification de la cathédrale.
Il remercie particulièrement les marraines :
« Pour nos cloches, le Seigneur vous inspire la
généreuse pensée de les adopter, d’en devenir les
mères spirituelles, les marraines. Cette pieuse et
dévouée maternité, vous l’avez acceptée en esprit de
63
foi et avec un zèle qui m’a profondément ému. Déjà, je
ne connais plus vos filleules que par vos noms : Pia,
Marie, Pauline, Carmela, Rose... ».
Dès que la cérémonie prend fin, on s’active aux
travaux de placement de ces cloches. Elles ont été fondues par
Messieurs Georges et Francisque Paccardin d’Annecy-leVieux. Elles pèsent respectivement : Marie, 3.600 kgs, Pia,
1.553 kgs, Pauline, 1.097 kgs, Carmela, 747 kgs 500, et Rose,
453 kgs. Pour la première fois, elles carillonnent l’Alléluia de
Pâques 1910.
La décoration de la cathédrale
Les cloches installées, l’œuvre n’est pas pour autant
terminée. Rapidement de nombreux ouvriers sous la direction
de l’architecte Queyrel s’activent à achever la décoration
extérieure de la cathédrale. Déjà en juin 1910, des marbres
polychromes sont placés dans les colonnades, des faïences aux
motifs religieux dominent le portail. Il ne reste plus qu’à placer
au-dessus de l’entrée de l’église, la mosaïque qui occupera
toute la largeur de la façade.
Le 22 septembre 1911, la cathédrale fête les noces
d’argent sacerdotales de Mgr Raoul, Vicaire Général et curé
de la paroisse. Formé à l’école du Cardinal Lavigerie, l’abbé
Raoul fut ordonné prêtre à Maison-Carrée, le 22 septembre
1886. En 1900, il devient Vicaire Général et curé de la
cathédrale à la mort de l’abbé Bombard. Par cette
manifestation, la paroisse voulait manifester son attachement
à son curé. Le 6 octobre 1912, La semaine de Tunisie publie
cet article :
« Le chœur de notre cathédrale, contrairement
à l’usage, possède dans son magnifique autel en onyx
incrusté de mosaïques de Venise, un tabernacle où sont
conservées les Saintes Espèces, et ce Maître-autel,
depuis que l’imposante statue du Sacré-Cœur a trouvé
64
sa place au fond du sanctuaire, est devenu l’autel de la
Confrérie du Sacré-Cœur. Celle-ci l’a déjà doté des
riches candélabres qui l’ornent les jours de fête.
Maintenant elle se préoccupe de lui préparer un cadre
plus digne en faisant sculpter les chapiteaux à peine
dégrossis des piliers et colonnes qui entourent le chœur
et dont la vue contraste de façon choquante avec les
fines ciselures et les mosaïques resplendissantes du
Maître-autel. En ce moment, trente-cinq chapiteaux
sont à peu près sculptés, mais ce travail ne représente
pas le tiers de ce qui reste à faire. La Confrérie pourrat-elle mener à bonne fin une entreprise qui dépasse de
beaucoup ses modestes ressources ? Oui, nous
l’espérons et nous adressons un chaleureux appel à la
générosité des fidèles qui, comme chrétiens, doivent
avoir le zèle de la Maison de Dieu ».
Le 29 décembre 1912, la Semaine de Tunisie lance un
nouvel appel :
« Les sculptures des chapiteaux et corniches du
chœur sont presque terminées et l’on va s’occuper sous
la direction éclairée de Mgr Raoul, Vicaire Général, de
poser une teinte générale très légère sur la voûte. On
abordera ensuite les colonnes principales dont la dureté
rend l’opération assez couteuse. Il serait nécessaire que
tous
les
catholiques
qui
s’intéressent
à
l’embellissement d’un des plus beaux monuments de
Tunis, prennent à honneur d’aider à cette entreprise.
On a profité de la présence des ouvriers pour faire
agrandir l’abat-voix de la chaire dont la disposition
primitive était défectueuse ».
Au début de janvier 1913, les échafaudages qui
masquaient les travaux de sculptures du chœur sont enlevés. Il
reste enfin à terminer les chapiteaux des colonnes supportant
les arcatures principales du chœur.
65
Le jubilé de Mgr Combes
Dès le 30 mai 1914, la cathédrale prépare les fêtes du
Jubilé sacerdotal de l’Archevêque, Mgr Combes.
Pour offrir le plus de places possibles aux fidèles, un
entrepreneur est chargé de construire des tribunes et des
gradins autour du chœur et des nefs latérales. L’ornementation
intérieure et extérieure de la cathédrale est également prévue.
Pour perpétuer le souvenir de ces fêtes, le comité
organisateur fait frapper à Paris 5.000 médailles
commémoratives. La médaille de 3 cms de diamètre porte à
l’avers l’effigie de N.D. de Carthage avec l’invocation « Santa
Maria, adjuva nos » et au revers la Primatiale de Carthage
avec cette inscription « Souvenir du jubilé du Primat
d’Afrique – 1914 ».
Août 1914. C’est la guerre. Dès lors les travaux de la
cathédrale sont ralentis. Novembre 1918, la guerre a pris fin.
Le dimanche 24 novembre, un « Te Deum » est chanté à la
cathédrale. Les fidèles peuvent alors apprécier une décoration
électrique qui rehausse les grandes lignes architecturales de la
cathédrale et fait éclater les couleurs des drapeaux alliés,
semés à profusion. Mgr Combes est entouré de Tournier et
Poloméni, des chanoines de Carthage en chape et mitre, et de
tout le clergé de Tunis.
Le matin du samedi 19 juillet 1919, à gauche du
transept (aujourd’hui chapelle du Saint-Sacrement), est béni le
nouvel autel érigé en l’honneur de saint Vincent de Paul. Il
remplace un autel provisoire construit en bois. Cet autel, conçu
et dessiné par Monsieur Spiteri, a été exécuté par les ateliers
Ramella.
Le pontificat de Mgr Lemaître
Le 18 septembre 1920, la Semaine Catholique de
Tunisie annonce la nomination de Mgr Lemaître comme
Archevêque-Coadjuteur de Carthage.
66
Le Prélat arrive à Tunis le mardi 26 octobre. Mgr
Lemaître est intronisé solennellement dans la cathédrale de
Tunis, le jour de la Toussaint 1920. Le défilé des confréries,
des clercs de la Maitrise, du clergé de la cathédrale, du
Chapitre métropolitain de Carthage précède le nouveau
Pontife. Arrivé au pied de l’autel, Mgr Lemaître s’agenouille
et remet ses Bulles pontificales à Mgr Poloméni, qui en fait
aussitôt au clergé et au peuple la proclamation :
« Benoît, Évêque, Serviteur des serviteurs de
Dieu, à nos chers fils les membres du Chapitre de
l’église cathédrale de Carthage, salut et bénédiction
apostolique. En ce jour, en vertu de la plénitude de
Notre Pouvoir apostolique, Nous avons brisé les liens
qui jusqu’ici attachaient notre Vénéré Frère, Alexis
Lemaître, Évêque titulaire de Sitifis et Vicaire
Apostolique du Sahara, à cette église de Sitifis, et Nous
le relevons de sa charge de Vicaire Apostolique du
Sahara... Pour des raisons de Nous connues, sur les
conseils de Nos vénérables frères les Cardinaux de la
Sainte Eglise Romaine et toujours en vertu de Notre
autorité apostolique, Nous constituons à perpétuité et
irrévocablement celui qui vient d’être nommé
Archevêque de Casaba, comme coadjuteur avec
succession pour le gouvernement et l’administration
du diocèse de Carthage, de Notre vénérable frère
Barthélemy Clément Combes, Archevêque actuel de
Carthage, lequel Nous a donné son consentement...».
Dès son arrivée à Tunis, Mgr Lemaître manifeste le
désir de fonder une maîtrise à la cathédrale et il en confie la
direction à Monsieur Eugène Janssen, premier prix du
conservatoire royal de Liège.
Le 15 mai 1921, on annonce aux fidèles que de
nouvelles orgues ont été commandées à la Maison Cavaillé,
pour remplacer l’instrument vieilli et cent fois réparé, et dont
67
l’organiste, l’abbé Grevers, essaie de tirer le meilleur parti
possible. Février 1922, Mgr Combes meurt.
Le 12 mars 1922, Mgr Lemaître est intronisé
solennellement dans la cathédrale de Tunis comme
Archevêque de Carthage et Primat d’Afrique.
Partie de l’Évêché, la procession entre dans la
cathédrale par la grande porte. En tête, marchent les
Confréries, le séminaire, le clergé, les supérieurs du séminaire,
les chanoines ave leurs mitres blanches, les quatre Évêques
portant la crosse : Mgr Le Ruzic, Évêque de Madaura, Mgr
Dupont, Évêque de Thibar, Mgr Poloméni, Évêque de Ruspe,
Mgr Fournier, Évêque d’Hippone-Zarite. Arrivé à l’autel, le
nouvel Archevêque s’agenouille devant les quatre Évêques et
lit sa profession de foi. Ayant témoigné de son obédience
envers le Saint Siège, le Pontife occupant pour la première fois
le trône reçoit à son tour l’obédience de son clergé. Mgr Raoul
célèbre ensuite la messe.
En décembre 1922, le pallium16 rapporté de Rome par
le Père Delpuch est remis à Mgr Lemaitre.
Les orgues de la cathédrale
Le 28 octobre 1923 a lieu la bénédiction des orgues.
De son trône, le Primat donne la bénédiction. À peine est-elle
terminée que Monsieur Righo, l’organiste, fait entendre une
entrée majestueuse qui permet d’apprécier la puissance des
nouvelles orgues et la beauté du son. Les orgues de la marque
Mutin-Cavaillé-Coll ont été construites à Paris (Cf. p. 119).
Par décision archiépiscopale en date du 26 septembre
1924, Mgr Raoul, curé de la cathédrale, est nommé Supérieur
ecclésiastique diocésain des communautés religieuses, Mgr
Bayonne est appelé à lui succéder à la cathédrale.
16
Le Pallium est un insigne que reçoivent tous les Archevêques
résidentiels ; il est le symbole de leur union avec Rome et de leur
dépendance vis à vis du Saint Siège.
68
La fresque de la cathédrale
Dès le mois de mai 1927, des pourparlers sont entrepris
dans le but de décorer la cathédrale. Le 27 mai 1927, Monsieur
Guénard écrit à Mgr Lemaître :
« Mon vieil ami, l’abbé Brun, m’a rapporté que
vous seriez désireux d’avoir mon opinion sur Monsieur
Le Mare, artiste peintre. Je suis tout à fait à l’aise,
Monseigneur, pour répondre à votre désir, car je tiens
Monsieur Le Mare pour un des artistes les plus probes,
les plus modestes, les plus consciencieux qui soient. Il
est plus : c’est un grand artiste et solide constructeur,
connaissant à fond le dessin, capable de produire de
grandes œuvres et peignant avec un sérieux rare du
modelé, des valeurs et des nuances. C’est certainement
pour Tunis une bonne fortune de posséder un pareil
peintre dont la place est à Paris. Monsieur l’abbé Brun
ne m’a pas confié vos projets, mais il m’a laissé
entendre que vous seriez disposé à lui confier
l’exécution d’un travail. Je crois que vous ne pourriez
pas faire un meilleur choix... ».
Les transactions ne trainent pas en longueur, puisque
déjà le 5 octobre 1927, Monsieur Le Mare écrit à
l’Archevêque :
« J’ai l’honneur de vous adresser réception de
la lettre datée du 25 septembre que votre Grandeur a
bien voulu m’adresser elle-même. Empreinte d’un
sentiment de religieuse sollicitude pour moi et les
miens, cette lettre est un précieux encouragement dans
l’exécution d’une œuvre dont le succès, s’il plait à
Dieu, sera le plus beau couronnement de ma carrière.
Nous sommes pleinement d’accord, Monseigneur, sur
les conditions dans lesquelles s’effectuera le travail.
Mes occupations professionnelles ne me permettront
69
pas de mener aussi rapidement que je le désirerais
l’œuvre à entreprendre, mais je compte beaucoup sur
votre grande indulgence. Votre bénédiction secondera
mes efforts. Au retour de Monsieur l’abbé Brun et
après création d’une commission devant laquelle
j’exposerai mes projets, je commencerai aussitôt mes
études de décoration. J’y apporterai tout mon zèle,
toute ma foi ».
Il faut effectivement attendre le mois de juin 1929 pour
voir d’édifier dans le chœur les échafaudages qui permettront
à Monsieur Le Mare, assisté de son gendre, Monsieur Dumas,
professeur de dessin au lycée Carnot et d’un élève de l’école
des Beaux-Arts, de dessiner et de peindre la fresque.
Pressé par le Congrès Eucharistique de Carthage qui se
profile, l’artiste compte beaucoup sur les trois mois de
vacances officielles pour mener à bien son œuvre. La maladie
vient déjouer ses projets et il doit partir en France pour rétablir
sa santé et réparer ses forces. C’est alors Monsieur Dumas qui
transpose les dessins de Monsieur Le Mare à grandeur
d’exécution, de sorte que, lorsqu’il rentre de France, il peut
reprendre immédiatement la palette.
Le 4 mai 1930, en vertu d’un indult Pontifical, la
cathédrale célèbre la solennité de saint Vincent de Paul, son
Patron. C’est ce jour que choisit l’Archevêque pour procéder
à la bénédiction de la fresque.
La fresque de la voûte qui représente une surface
sphérique de 130 m2 s’intitule « L’apothéose de saint Vincent
de Paul ». L’artiste a voulu équilibrer trois idées, à trois
époques différentes et dans un même cadre. À gauche, la
Tunisie à l’arrivée du P. Jean Le Vacher (novembre 1647),
lazariste et consul de France, son plaidoyer en faveur des
esclaves auprès du Bey de Tunis et les soins donnés aux
malheureux esclaves par les fils de saint Vincent de Paul.
À droite, la Tunisie d’aujourd’hui, avec les filles de la
Charité de saint Vincent de Paul qui ont préparé le terrain au
70
Cardinal Lavigerie, dont la statue se détache sur le fond. La
représentation de la cathédrale, avec Mgr Combes, Mgr
Poloméni et Mgr Lemaître qui en descend les marches à la
suite d’une blanche procession. Au centre, l’apothéose de saint
Vincent de Paul, sa montée vers le ciel où les anges
l’accueillent.
Les trois idées sont reliées entre elles de façon à former
un ensemble, et il semble que l’artiste ait voulu exprimer une
continuité et une unité historique lorsqu’il représente les
murailles et les tours de la Kasbah, et leur faisant face, la
cathédrale. La fresque se complète par des arcatures où
figurent des martyrs et pères de l’Eglise africains des premiers
siècles.
Du 7 au 15 mai 1930 se célèbre le Congrès
Eucharistique de Carthage. Le 7 mai, l’ouverture solennelle du
Congrès a lieu sur le parvis de la cathédrale et sous la
présidence du Cardinal Lépicier, Légat apostolique. Durant le
Congrès, plus de 80 messes sont célébrées chaque jour à la
cathédrale, notamment par de nombreux Évêques (la
concélébration n’était pas autorisée).
Mgr Lemaître et sainte Bernadette
En 1934, la canonisation de sainte Bernadette
Soubirous a une grande répercussion dans l’Église de
Carthage, en effet, la guérison de Mgr Lemaître a été un des
deux miracles reconnus, après une longue et minutieuse
enquête, comme apportant un argument décisif à la cause de
la sainteté de Bernadette. L’Archevêque, dès la canonisation
décide d’élever dans un des nouveaux et des plus beaux
quartiers de la périphérie tunisienne une église, que la piété
populaire décore d’ailleurs du nom de Basilique, en l’honneur
de la nouvelle sainte.
71
Le nouveau curé de la cathédrale
Le 14 octobre 1934, l’abbé Rouvelet, curé-doyen de
Bizerte, est nommé curé de la cathédrale de Tunis ; en même
temps, il reçoit les insignes de Chanoine honoraire de la
Primatiale de Carthage. Le dimanche 18 novembre 1934, a
lieu à la cathédrale l’installation des nouveaux chanoines et du
nouveau curé.
Le rite d’installation terminé, Mgr Lemaître monte en
chaire où il déclare que cette nomination est une réponse à la
faveur que lui a faite sainte Bernadette en le guérissant, et que
c’est le bouquet qu’il lui offre en témoignage de
reconnaissance. De plus, l’année 1934, et plus spécialement
au mois de novembre, se situe le cinquantième anniversaire de
l’érection de l’Archidiocèse de Carthage par Léon XIII.
Les chœurs de la Chapelle Sixtine, que dirige Mgr
Casimiri, de passage à Tunis, donnent deux concerts religieux
et liturgiques à la cathédrale, l’un le jeudi 15 avril 1936, et
l’autre le dimanche 19 avril.
C’est le jeudi 23 avril 1936 que la cathédrale fête le
jubilé épiscopal des 25 ans de sacre de Mgr Lemaître.
En juillet 1936, l’Archevêque fatigué doit faire un
séjour en France. Il confie les pouvoirs de Vicaire Général à
Mgr Rouvelet, curé de la cathédrale, et en son absence, à
l’abbé Commarmond, secrétaire.
Le 25 avril 1937, les chœurs et orchestres composés de
180 exécutants sous la direction de Maurice Babin chantent à
la cathédrale la messe en Ut Majeur de Beethoven en faveur
des orphelins de La Marsa. Aux premières mesures du Kyrie,
les petits orphelins, vêtus sobrement d’un costume similaire,
les bras croisés sur la poitrine, font leur entrée dans la
cathédrale, provoquant un moment d’émotion.
La fête du 15 août 1937 revêt un éclat particulier. Sur
l’initiative du clergé et du Comité, les fidèles offrent à N.D. de
Trapani deux couronnes en or, ornées de pierres précieuses, et
cela, en souvenir du deuxième couronnement qui a eu lieu à
72
Trapani, et auquel ont participé 500 tunisiens. Les couronnes,
l’une pour la Vierge et l’autre pour son Fils, ont été exécutées
d’après l’original par le bijoutier Bianchi. Elles sont placées
sur la tête de l’Enfant Jésus et sur celle de sa Mère le samedi
14 août par Mgr Esposito, chanoine de Vico Aquense, près de
Naples. Quand le 15 août, elle sort dans les rues de Tunis,
portée par les pêcheurs, elle est acclamée par des milliers de
voix17.
Le pontificat de Mgr Gounot
La presse annonce le 29 août 1937, que le Pape a
nommé comme Archevêque coadjuteur de Carthage, Mgr
Charles Albert Gounot, lazariste.
Mgr Gounot qui porte le titre d’Archevêque de
Marcianopolis, est sacré Évêque le 28 octobre 1937, à la
maison-mère de Saint Lazare à Paris, par le Cardinal Verdier,
Archevêque de Paris. Mgr Gounot prend son premier contact
avec la Tunisie le jeudi 18 novembre 1937. À l’arrivée, il se
rend à la cathédrale pour mettre son ministère sous la
protection de Dieu.
Le mardi 23 novembre, Mgr Gounot est intronisé
solennellement dans la cathédrale de Tunis en présence de
nombreuses personnalités.
Le 16 Janvier 1938, la cathédrale reçoit la visite des
Petits Chanteurs à la Croix de Bois.
Le 24 janvier 1938, au soir, Mgr Raoul, Archidiacre de
Carthage et ancien curé de la cathédrale, meurt dans la 79°
année de son âge et la 52 ° de son sacerdoce.
Le mercredi 29 juin 1938, Mgr Lemaître célèbre ses
cinquante ans de sacerdoce. Au cours de la messe à la
cathédrale, il ordonne prêtre un élève du grand séminaire,
17
La procession avec N.D. de Trapani, à Tunis, a été arrêtée en 1962, mais
reprise symboliquement 55 ans après, le 15 août 2017 à la Goulette.
73
l’abbé Carrière. À cette occasion, il reçoit du Premier Ministre
du Bey cette lettre :
« Monseigneur, à l’occasion du cinquantième
anniversaire de l’ordination sacerdotale de Votre
Grandeur, je vous prie de me permettre de vous
adresser les vœux et souhaits ardents que je forme pour
que le Très-haut vous conserve en excellente santé
pendant de très longues années. Ces vœux sont
d’autant plus sincères que vous êtes dans ce pays
l’Éminent Grand Ami des musulmans auxquels vous
avez toujours cherché à faire du bien. Son Altesse le
Bey, mon auguste Souverain, qui a appris l’heureux
évènement que toute la Tunisie fête aujourd’hui m’a
fait l’honneur de me charger de faire parvenir à son
grand ami Monseigneur l’Archevêque, à cette
occasion, ses vœux très affectueux. Je vous prie
d’agréer, Vénéré Monseigneur, la nouvelle assurance
de mon profond respect et de mon entier dévouement.
Lakhoua, Premier Ministre de S.A. le Bey ».
Après le décès de Mgr Lemaitre le 16 mai 1939, dans
une lettre pastorale datée du 31 mai 1939, Mgr Gounot
annonce au clergé sa prise de possession du siège
archiépiscopal de Carthage.
Tout de suite, c’est le prélude de la guerre. Le 1°
octobre 1939, le Primat préside à la cathédrale la messe
militaire, messe qui, en période de guerre, sera célébrée tous
les dimanches à 11 heures 30.
Le 31 décembre 1939, il est annoncé que, sur
proposition de l’Archevêque, Mgr Rouvelet, curé de la
cathédrale, est nommé par le Saint Siège, chanoine théologal
du Chapitre.
74
Baptistère de la cathédrale
Dès le 19 janvier 1941, la cathédrale possède un
nouveau baptistère. Il est installé dans la chapelle de N.D. de
Trapani, à l’entrée gauche de la cathédrale, et séparé d’elle par
une grille (aujourd’hui boutique de la cathédrale). Le pied et
la cuve des fonts baptismaux (aujourd’hui à la chapelle du
Sacré-Cœur), taillés dans la même pierre que celle des piliers
de la nef, sont l’œuvre de Monsieur Sauver Figlia, auquel la
cathédrale doit déjà plusieurs œuvres, dont la statue de sainte
Bernadette. Sur la cuve, on lit l’inscription « Fons vivus aqua
regenerans unda purificans ». Elle est recouverte d’une
plaque de bronze à deux couvercles et surmontée d’une croix ;
ce travail est dû à Monsieur Schembri.
Le 13 juin 1941, on apprend la nomination de Mgr
Hervé Bazin, Vicaire Général, comme Chanoine titulaire et
curé de la cathédrale de Tunis. Mgr Rouvelet devient premier
Vicaire Général. Le dimanche 30 juin, Mgr Rouvelet procède
à l’installation du nouveau curé dont, dans une homélie, il fait
un brillant éloge.
Le 10 novembre 1941, la cathédrale est munie d’un
système de haut-parleurs. Poursuivant les démarches déjà
entreprises par son prédécesseur auprès des Établissements
Ducretet, Mgr Bazin demande qu’on procède à la pose de
douze diffuseurs. Vu les difficultés du moment, il ne lui est
pas possible d’obtenir plus d’un micro, qui, pour plus de
commodité, est placé sur un pied mobile près de la Table
Sainte.
Sous la direction de Charles Boisard, le vendredi 27
mars 1942, le « Requiem » de Mozart est exécuté à la
cathédrale.
La manécanterie des Petits Chanteurs de Gabès, filiale
des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, vient à Tunis, les 25
et 26 juillet 1942. À cette occasion, ils donnent un récital de
chant dans la cathédrale.
75
Le dimanche 27 juin 1943, le général de Gaulle assiste
officiellement à la messe à la cathédrale. À son arrivée,
l’Archevêque le salue en ces termes :
« Mon général, Je suis heureux et honoré de
saluer, à l’entrée de ma cathédrale, respectueusement,
et si vous le permettez, affectueusement, l’un des plus
grands chefs de la Nation Française. Ministre de Dieu
et chef spirituel, je n’ai jamais demandé aux
gouvernants que le respect des droits de Dieu et de la
conscience. Ma politique n’est que celle du Christ et de
son Église : la recherche du bien commun, spirituel et
matériel, dans l’obéissance à ceux que la Providence
établit détenteurs du pouvoir temporel. Je demande à
Dieu de vous bénir et de vous aider dans votre rude
tâche de libération et d’organisation du pays. C’est à
cette intention que la messe va se célébrer. Nous y
porterons un souvenir reconnaissant et ému pour ceux
qui ont sacrifié leur vie au salut de la Patrie, et, comme
je vous le disais hier, suivant vos désirs, la prière qui
montera de nos cœurs sera, avant tout, pour la
France ».
Dans ses remerciements, le général reconnaît le rôle
social important de l’Église, qui aura dans la réorganisation
française la grande place qu’elle mérite.
Le 25 février 1944, une ordonnance archiépiscopale
fixe la délimitation des paroisses de Tunis18.
18
Le territoire de la cathédrale est situé comme suit : partant du Sud-Est,
Chemin de Fer T.G.M., avenue Bourguiba, avenue de Carthage (côté
Ouest) jusqu’au Pont passant sur la ligne de Chemin de Fer. De ce Pont,
une ligne laissant à l’Est la Gare et aboutissant à l’angle de la rue EsSadikia. Rue Es-Sadikia, rue de Russie, rue Al-Djazira, Porte de France,
rue des Maltais, rue Bab-Souika, rue des Protestants jusqu’à
l’embranchement sur la rue Tronja. La rue Tronja et ses impasses
appartiennent à la cathédrale. De la jonction de la rue Tronja avec la rue
des protestants, une ligne allant aboutir à l’angle de la rue Ed-Drayed, à
76
Le 29 juin, l’Archevêque confère l’ordination
sacerdotale aux abbés de Fradel et Iacono, dans la cathédrale.
De retour en Tunisie, pour donner une série de récitals,
les Petits Chanteurs à la Croix de Bois, sous la direction de
l’abbé Maillet, se font entendre à la cathédrale le 15 avril 1945,
au cours de deux messes.
Mai 1945, c’est enfin la paix. Les paroissiens de la
cathédrale fêtent le 1° juillet 1945, le 25° anniversaire de
l’ordination sacerdotale de Mgr Hervé Bazin, leur curé. Le
même jour, l’abbé Roch Namura, fils de la paroisse, monte à
l’autel pour la première fois.
En juillet 1946, la crypte de la cathédrale, inutilisée
depuis longtemps est transformée en chapelle fermée, autour
de laquelle sont distribués les différents locaux scouts de la
paroisse. L’abbé Champenois, premier vicaire et aumônier des
scouts, réalise ce tour de force, de faire effectuer une centaine
de mille francs de travaux qui sont couverts par des chrétiens
charitables.
À la cathédrale encore, la salle des mariages
(aujourd’hui l’actuelle sacristie), mal éclairée, est aménagée
en un lieu coquet de réunion.
Par décision épiscopale du 1 février 1947, Mgr Hervé
Bazin, Vicaire Général, est nommé administrateur du
Temporel diocésain et président de la commission des
chantiers du diocèse de Carthage. L’abbé Champenois
administre comme vicaire économe la paroisse de la
cathédrale jusqu’à la nomination du curé.
son embranchement sur la rue Bab-El-Khadra. Ensuite une diagonale
partant de l’embranchement de la rue Ed-Drayed sur la rue Bab-El-Khadra,
traversant cette rue et aboutissant à la rue El-Bechtaoui. Rue El-Bechtaoui,
rue des Salines, avenue de Londres, avenue de Paris, rue Hoche et une ligne
droite en prolongation de la rue Hoche et allant jusqu’au lac.
77
Première restauration de l’orgue
Mai 1947, depuis plus d’un mois les orgues de la
cathédrale se sont tues. En effet, une réparation ayant été
reconnue nécessaire, c’est un facteur d’orgue de Casablanca,
Monsieur Renevier, qui entreprend la restauration, travail
considérable, car il faut sortir de l’orgue plus de 2.000 tuyaux,
les nettoyer, en réparer les défauts, revoir entièrement les
sommiers, la soufflerie, les soupapes, exercer un contrôle
minutieux sur une mécanique compliquée et la régler. Reste
enfin le travail le plus délicat, celui de replacer les tuyaux, de
l’accorder et de faire l’harmonie totale de l’instrument.
Dans une lettre pastorale datée du 13 juin 1947, Mgr
Gounot annonce la nomination de Mgr Perrin, comme Évêque
titulaire d’Utique et auxiliaire de Carthage, en ces termes :
« Le Saint Père a daigné m’accorder le 11 juin
dernier un auxiliaire dont l’élection réjouit mon cœur.
J’ai la conviction que ce choix connu du public la veille
même de la fête du Sacré-Cœur de Jésus, fait aussi la
joie de notre clergé et de tous ceux qui connaissent bien
le nouvel élu. Dieu soit béni de l’insigne faveur dont
bénéficie l’Église de Carthage ».
Le 18 août 1947, l’abbé Guy Champenois est nommé
curé de la cathédrale de Tunis. Le mardi 28 octobre 1947, la
foule se presse devant la cathédrale, attendant l’ouverture des
portes, pour assister à l’ordination épiscopale de Mgr Perrin.
C’est un évènement peu commun, puisque, depuis 30 ans, il
n’y a pas eu de sacre en Tunisie, le dernier étant celui de Mgr
Leynaud, Archevêque d’Alger.
Le 21 décembre 1947, la cathédrale fête les « noces
d’argent » de Monsieur Rigo, organiste et directeur de la
Maitrise archiépiscopale.
78
Le 11 juillet 1948, un jeune prêtre ordonné le 29 juin,
l’abbé Cyrille Ogna, célèbre sa première grand’messe à la
cathédrale.
À l’occasion du passage des Petits Chanteurs à la Croix
de Bois, le dimanche 6 février 1949, vingt petits chanteurs de
la cathédrale reçoivent leur aube des mains de l’abbé Maillet.
Mgr Perrin préside la cérémonie.
Viste du Nonce Apostolique Angelo Roncalli (pape
saint Jean XXIII)
Pour la première fois depuis sa restauration, le diocèse
de Carthage reçoit la visite du Nonce Apostolique, en la
personne de S.E. Mgr Ange Joseph Roncalli (future pape saint
Jean XXIII). Mgr Roncalli, accompagné de Mgr Forni,
premier auditeur de la nonciature, arrive en Tunisie, venant de
Constantine, par la route, le 25 mars 1950. Le dimanche 26,
dans la cathédrale de Tunis où se masse la foule des fidèles,
Mgr Roncalli, précédé de Mgr Gounot et de Mgr Perrin, fait
son entrée solennelle pour assister à la messe célébrée par Mgr
Champenois. Les stalles du chœur sont occupées par les
membres du Chapitre et un nombreux clergé. Dès que le
Nonce est parvenu au trône, assisté d’Hervé Bazin et Verhas,
l’office commence. À la fin de la cérémonie, Mgr Roncalli
prend la parole, et s’adressant avec une grande simplicité à la
foule, il commence par remercier la Tunisie pour son accueil,
et en soulignant combien cette cérémonie était un acte d’union
de la chrétienté autour du Souverain Pontife. Le Nonce
Apostolique quitte alors l’église en bénissant la foule qui se
presse sur son passage.
Le 23 mai 1952 meurt le Maître Antoine Rigo,
organiste de la cathédrale durant trente ans, Maître de chapelle
et directeur-fondateur de la Maitrise archiépiscopale.
L’absoute est donnée à la cathédrale par l’Archevêque.
La cathédrale a vieilli au cours de la guerre ; les
bombes tombées à la rue d’Athènes, au Palmarium et au
79
Casino, sont cause des fissures de la voûte et de la perte d’un
grand nombre de vitraux. Des réparations sont nécessaires,
mais il faut trouver des fonds. Tout est mis en œuvre et le
mercredi 10 décembre 1952, sous le haut patronage de la
Comtesse de Hautecloque et la présidence de Mgr Gounot, le
Comte Léonce de Saint-Martin, titulaire des grandes orgues de
N.D. de Paris, donne un récital au profit de la restauration de
la cathédrale.
La consécration de la cathédrale
En 1953, la cathédrale a 56 ans d’existence et pourtant
elle n’est pas encore consacrée. Mgr Gounot décide de fixer
cette cérémonie le 23 mai. Le 2 au soir, le coffret contenant les
reliques de saint Vincent de Paul, de saint Cyprien et de sainte
Restitute, qui doivent être scellées dans l’autel majeur, sont
déposées à la chapelle de l’Archevêché. Le samedi matin, 3
mai, à 7 heures, la cathédrale est complètement vide, les portes
sont fermées, seul un diacre garde le sanctuaire.
L’Archevêque, entouré des autres Prélats, Mgr Perrin,
Mgr Duval, Évêque de Constantine, Mgr Mercier, Vicaire
apostolique du Sahara, Mgr Pinier, Évêque auxiliaire d’Alger,
le Père Slattery, supérieur général de la Congrégation de la
Mission, se rend à la chapelle de l’Archevêché.
La procession se forme et se rend sur le parvis de la
cathédrale où sont chantées les litanies des Saints, à la fin
desquelles Mgr Gounot bénit l’eau et le sel. Le Prélat fait
ensuite par trois fois le tour de la cathédrale en aspergeant les
murs d’eau bénite. Ce rite terminé, les portes s’ouvrent, et
l’Archevêque accompagné de ses ministres et du maçon qui
doit sceller les reliques dans l’autel, entre dans le sanctuaire.
Il procède au rite de la consécration et la messe est chantée par
le Père Slattery, supérieur général des lazaristes. La cérémonie
de consécration est présidée par le Cardinal Roques,
Archevêque de Rennes et Primat de Bretagne.
80
Le pontificat de Mgr Perrin
Monseigneur Perrin, nommé Vicaire capitulaire du
diocèse, annonce au clergé et aux fidèles le décès de Mgr
Gounot en ces termes : « Notre vénéré et bien-aimé
Archevêque s’est éteint dans la paix du Seigneur, le samedi 20
juin 1953, vers 9 heures du soir, après une courte maladie...
Notre douleur est vive.... Nous perdons en lui un père très
bon... ». Il a été inhumé à la Primatiale de Carthage.
Le vendredi 30 octobre 1953, l’Agence France-Presse
répand la nouvelle que Mgr Perrin, Vicaire capitulaire, est
nommé Archevêque de Carthage et Primat d’Afrique.
Le dimanche 13 décembre, une douzaine de
manéchantres reçoivent de la main de Mgr Perrin l’aube. Les
90 Petits Chanteurs, sous la direction de Monsieur Léon Petit,
et accompagné à l’orgue par Monsieur Lejus, interprètent
plusieurs motets polyphoniques de la Renaissance.
La cérémonie publique de l’intronisation de Mgr
Perrin se déroule en la cathédrale, le mardi 22 décembre 1953.
Mgr Hervé Bazin, tourné face au peuple, donne lecture des
Lettres apostoliques nommant Mgr Perrin Archevêque de
Carthage et Primat d’Afrique. Aussitôt après, tous les
membres du clergé présents se rendent au trône et font acte
d’obédience au nouvel Archevêque. La cérémonie se termine
par le Te Deum.
Deuxième restauration de l’orgue
La restauration des orgues de la cathédrale est décidée
en mars 1954, par Mgr Champenois, curé. Une visite
minutieuse, faite par des experts qualifiés, a en effet révélé que
des pièces vitales de l’instrument étaient usées ou cassées,
qu’il y avait des fuites importantes dans les soufflets et que la
poussière accumulée au cours des années atteignait à certains
endroits un centimètre d’épaisseur.
81
Cet instrument est évalué à l’époque de 21 à 22
millions de francs, et de l’avis de personnes autorisées, comme
Monsieur Paul Franck et le Comte de Saint-Martin, titulaire
des grandes orgues de N.D. de Paris, il est considéré comme
les plus belles orgues de l’Afrique.
La remise en état est confiée à la Maison Merklen et
Kühn de Lyon. Les travaux prennent plus d’un mois. Il faut en
effet tout démonter, remplacer 3.000 écrous de cuir et plus de
300 soupapes, et coûtent la somme de 1.500.000 frs.
Les nouveaux vitraux de la cathédrale
Les vitraux abîmés par la guerre demandent de
nombreuses réparations, et en février 1954, Mgr Champenois
lance un appel à ses paroissiens. Il leur écrit :
« ...J’ai pensé que nous pourrions, en unissant
nos efforts, offrir une rose à la Vierge. ... Cette rose,
c’est un Maïtre-Verrier de Grenoble, Monsieur Paul
Monfollet, qui sera chargé de la réaliser. Elle
remplacera la grande verrière qui se trouve dans le bras
gauche du transept, du côté de l’autel de N.D. du MontCarmel, et représentera l’Assomption de Marie dans le
ciel. Nous en profiterons pour changer les vitraux des
quatre fenêtres qui entourent la Grande Rose, de façon
à réaliser un ensemble harmonieux. D’ailleurs ces
vitraux ont été abîmés sans doute par les
bombardements de Tunis, ce qui provoque dans
l’église de terribles courants d’air. Mais, comme le dit
le proverbe : « Il n’y a pas de roses sans épines », c’est
à dire, qu’il n’y a pas de joie sans peine. Le devis de
cette tranche de travaux s’élève à environ 1.600.000
frs. Cela demande de notre part à tous un sérieux
effort... ».
82
Les travaux de réalisation progressent rapidement, et
dès janvier 1955, dans une interview, Monsieur Paul
Montfollet déclare :
« ... Pour la cathédrale de Tunis, enserrée dans
les immeubles voisins, le sujet principal qui m’a guidé
a été la lumière, thème s’adaptant à la fonction même
du vitrail. Faire venir la lumière d’en-haut, des fenêtres
de la haute nef. L’étude générale a été faite en ce sens,
en partant de la tribune avec des couleurs assez
soutenues bleues et or, pour arriver au chœur avec une
lumière franche venant baigner l’autel majeur dans une
atmosphère dorée. Les transepts n’apportent pas la
grande lumière, mais des tâches colorées ; Chapelle de
la Ste Vierge, bleues ; chapelle du Sacré-Cœur, rouges.
Pour la haute nef, il est prévu l’emploi de plaques de
verre très inégales, inspirées de plateaux du Moyenâge. Elles donneront les vibrations et l’intensité de
lumière colorée recherchée. Présentement les vitraux
de la chapelle de la Vierge sont en voie de finition et
seront expédiés courant janvier. Il est probable que ces
premiers vitraux, dont la grande fenêtre centrale
représente l’Assomption de la Vierge, et les quatre
autres de côté, qui apportent un jeu de lumière bleue
surprendront par ce fait même. Mais il ne faut pas
perdre de vue qu’une toute autre lumière viendra de la
haute nef, et dirigera la clarté vers l’autel ».
En avril 1954, la rosace est posée ainsi que les vitraux
de côté représentant la Tour d’Ivoire et l’Arche d’Alliance et
en mars 1957, Mgr Champenois annonce à ses paroissiens que
le projet d’une rosace en l’honneur du Sacré-Cœur est à
l’étude. Il fait appel à leur générosité et profite de l’occasion
pour remercier les Bretons de Tunisie, qui ont donné près de
100.000 frs pour le vitrail de sainte Anne, et aussi les avocats
de Tunis qui offrent le vitrail représentant saint Yves.
83
Pendant tout le mois de janvier 1959, un échafaudage
d’une vingtaine de mètres de hauteur envahit le côté droit du
transept. En effet, Monsieur Paul Monfollet, aidé de sa fille
Françoise et d’une équipe de maçons, procède au démontage
des anciens vitraux pour les remplacer au fur et à mesure par
les nouveaux. Peu à peu, la grande rosace prend forme révélant
le mystère de la Pentecôte, dans une harmonie de rouge et de
jaune, avec quelques touches de bleu profond. Puis ce sont les
quatre grandes fenêtres du transept à dominance rouge et vert,
avec au centre, un motif discret symbolisant les quatre
évangélistes.
En mars 1959, les travaux sont terminés, et il est alors
possible d’admirer l’ensemble de l’œuvre. À gauche,
l’Assomption, la Vierge s’élève regardant le ciel, tandis que
les anges, au-dessus d’elle, soulèvent la couronne destinée à
son éternité. Sa longue robe s’attarde sur les disciples et les
fidèles qui la voient partir vers l’inaccessible. À droite, le
vitrail de la Pentecôte se lit un peu plus difficilement. Le Père
dans un geste large enveloppe le Christ aux bras cloués à la
croix. Du Christ se détache, sous sa forme de colombe, le vol
de l’Esprit Saint. Les langues de feu déferlent sur les Apôtres
prosternés, cependant qu’au milieu d’eux la Vierge étend les
mains pour accueillir le rayon de l’Esprit.
Dans la nef de droite, sont placés les vitraux
représentant saint Yves, saint Michel Archange et sainte Anne.
En octobre 1960, de chaque côté du déambulatoire,
trois nouveaux vitraux sont placés. Leurs teintes de plus en
plus riches, au fur et à mesure que l’on avance, conduisent au
vitrail principal, celui de saint Vincent de Paul, placé derrière
le maitre-autel. La statue de saint Vincent de Paul, qui
surplombait le Maître-autel est déplacée, et le mur du fond
abattu, afin de permettre de contempler le vitrail du patron de
la cathédrale depuis le portail d’entrée19.
En 2013 nous avons préféré remettre à nouveau le mur du fond du chœur
mais avec le crucifix qui se trouvait au milieu de la nef centrale, redonnant
19
84
Le dimanche 23 juin 1961, Mgr Perrin célèbre à la
cathédrale une messe pontificale à l’occasion du 25°
anniversaire de son ordination sacerdotale. Le 24 septembre
1961, Mgr Hervé Bazin, curé de la cathédrale de 1941 à 1947,
demande à être déchargé de son ministère. Durant 40 ans, il a
travaillé en Tunisie. Il quitte le pays pour prendre sa retraite
en France.
Modus Vivendi et la cathédrale
Après 8 ans de la déclaration de l’Independence
(1956), le 31 décembre 1963, Mgr Perrin annonce à ses
diocésains qu’il se réjouit, en tant qu’Archevêque, des
négociations qui se sont ouvertes entre le Saint Siège et le
nouveau Gouvernement Tunisien, au sujet du futur Statut du
diocèse. Il se réjouit aussi de voir se normaliser les rapports de
la communauté catholique avec un pays indépendant qui lui
accorde l’hospitalité.
Le 27 mai 1964, Mgr Champenois, curé de la
cathédrale et Chanoine Titulaire de Carthage, fait ses adieux,
et après 30 ans de ministère, quitte définitivement la Tunisie,
pour rentrer en France.
Ici nous nous posons la question : quelles étaient à
cette époque-là les œuvres établies sur la paroisse de la
cathédrale ? Voici un résumé de la réponse de Mgr
Champenois parue dans le bulletin paroissiale de 1951, p. 241
et suivantes :
Ames vaillantes (il y a trois groupes)
Archiconfrérie du Sacré Cœur (Dames priantes)
Archiconfrérie de N.D. du Mont Carmel
Archiconfrérie de N.D. des Sept Douleurs
Association des Enfants de Marie (quatre groupes)
ainsi la primauté à Jésus-Christ rédempteur qui a sauvé les hommes par sa
passion et sa résurrection.
85
Cercle Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus (catéchisme
de persévérance)
Cœurs vaillants (un groupe à N.D. du Bon Conseil)
Conférence de Saint Vincent de Paul
Conférence de N.D. d’Afrique (visite des pauvres de
toutes religions)
Dames de Charité
Dispensaire Saint Vincent
Les enfants des Chœurs de la cathédrale
Fourneau des Pauvres
Guides de France
Jeunesse ouvrière catholique
Ligue féminine d’action catholique
Louises de Marillac
Maîtrise archiépiscopale
Manécanterie des Petits chanteurs de la cathédrale
Œuvre de la protection de la jeune fille
Patronage (quatre groupes)
Scouts de France (deux meutes, deux troupes)
Le 27 juin 1964, avec un échange de notes
diplomatiques entre le Cardinal Cicognani, Secrétaire d’Etat
du Pape Paul VI et Monsieur Monji Slim, Secrétaire d’Etat
aux Affaires Étrangères de la République Tunisienne, un
« Modus Vivendi » est signé entre le Saint Siège et la Tunisie,
concernant la situation juridique de l’Église catholique dans la
République. Ceci change complètement la vie pastorale de la
cathédrale. À la suite des accords, la cathédrale reste donc
propriété de l’Eglise. Par bulle Pontificale, datée du 9 juillet
1964, le Saint Père nomme Mgr Perrin, jusqu’ici Archevêque
de Carthage, Archevêque titulaire de Nova et Prélat nullius de
Tunis.
86
L’Abbé Soudun, curé de la cathédrale
Dès le 20 septembre 1964, l’abbé Louis Soudun est
nommé curé de la cathédrale de Tunis.
Peu de temps auparavant, un arrêté signé du Président
de la Municipalité et daté du 12 septembre 1964, interdit sur
toute l’étendue de la zone municipale le son des cloches des
églises, pour quelque motif que ce soit.
Le 28 décembre 1964, Mgr Perrin célèbre sa dernière
messe officielle à la cathédrale. Pour la circonstance, il est
entouré du Père Callens, Archevêque nommé et de neuf
prêtres qui ont été choisis pour représenter l’ensemble du
clergé de Tunisie : deux Vicaires généraux, Mgr Forzy et le P.
Demeersman, les curés de la cathédrale, de Sfax et de Sousse,
et les quatre délégués des religieux en service dans la
Prélature.
L’assistance très nombreuse veut manifester une
dernière fois son attachement au Prélat qui, durant 17 ans, a
présidé aux destinées de son Église. Mgr Perrin quitte la
Tunisie le 30 janvier 1965. L’annonce officielle du successeur
de Mgr Perrin est faite en janvier 1965 par lettre apostolique :
« Paul, Évêque, Serviteur des serviteurs de Dieu. À mes fils
bien-aimés du clergé et du peuple (chrétien) de la ville et de la
Prélature de Tunis, salut et bénédiction apostolique. Nous
portons à votre connaissance que, usant de notre pouvoir et de
notre autorité suprêmes, nous pourvoyons à votre Église
devenue vacante par suite de la démission de votre Prélat ;
notre vénérable frère Maurice Perrin. Celui que nous
choisissons pour vous gouverner est notre fils bien-aimé
Michel Callens... donné à Rome le 9 janvier 1965 ».
De la réforme de la cathédrale à nos jours
Dès la signature du Modus Vivendi, la cathédrale de
Tunis devient le siège du Prélat et l’église-mère de la
Prélature. Des nombreuses transformations sont apportées à
87
l’aménagement intérieur. Dès le mois de mars 1966, la chaire
disparaît, le Maître-autel est masqué par des courtines, le siège
du Prélat est placé face au peuple derrière un autel provisoire,
les stalles des chanoines ont disparu, ainsi que le banc de
communion en fer forgé. Immédiatement des travaux sont
entrepris en vue de déplacer le Maître-autel. Le nouvel
aménagement tend à ne pas modifier le style de la cathédrale.
Dégagé de son Retable et du Tabernacle, l’ancien autel doit se
présenter sous la forme d’une grande table constituée par une
dalle de marbre posée sur un massif, où se retrouveront les six
motifs de mosaïque. En septembre 1966, l’aménagement est
terminé. Le déplacement de l’autel a nécessité de lourds
travaux pour en supporter le poids. Il a fallu, en effet, renforcer
les voutes de la Crypte.
Le 9 octobre 1966, l’abbé Guy Iacono est nommé à la
cathédrale dans le but d’assurer l’accueil de ceux qui sont
dispersés ou isolés. Pour lui aménager un local où il puisse
recevoir les visiteurs, la chapelle de N.D. de Trapani qui se
trouvait à l’entrée de la cathédrale est transférée à l’intérieur
de l’édifice, et le bureau d’accueil y est construit.
En 1967, l’abbé Soudun donne sa démission de curé
après vingt-quatre années d’activités en Tunisie, pour aller
prendre un Ministère en France. Le 15 septembre 1967, il est
remplacé comme curé de la cathédrale par l’abbé Paul
Ménassian. Le 19 novembre de 1967, 200 paroissiens sont
réunis par l’abbé Ménassian qui veut les faire réfléchir à leur
vie de foi : quelles orientations nouvelles y a-t-il dans
l’Eglise ? Changent-elles quelque chose à notre vie ? Quelles
tensions existent entre les anciens paroissiens et les nouveaux
(en général des coopérants) ? La conclusion est que l’Eglise
est affaire de toute la communauté chrétienne. Le 27 juin
1970, l’abbé Ménassian quitte la cathédrale. L’abbé Guy
Iacono lui succède comme curé. Par la suite, un intérim est
assuré par Mgr Michel Callens de juin 1975 à 1977. Mgr
Callens fut évêque Prélat de Tunis de 1965 à 1990. En 1980,
a été formée une équipe de prêtres : Michel Prignot, Augustin
88
de Clebsatel et Joseph Pace. L’équipe sera aidée par d’autres
prêtres ayant des fonctions autres que pastorales. L’équipe va
constituer treize groupes pour animer les liturgies dominicales
et prendre aussi d’autres responsabilités. Les groupes
diminueront petit à petit, le temps de coopérants ne sera qu’un
faible printemps, pour, finalement ne plus compter que des
religieuses. Les treize se seront évaporés faute de paroissiens.
La cathédrale réunira surtout les religieux, religieuses et les
anciens paroissiens. Le P. Michel Prignot, vicaire économe,
devient curé de juin 1977 à 2003.
Décédé Mgr Callens, le P. Paul Geers assure le
gouvernement de la Prélature pendant deux ans (1990 -1992).
En 1992, pour la première fois, le saint pape Jean Paul
II nomme Prélat de Tunis un évêque arabe : Mgr Fouad Twal
d’origine jordanienne et le 31 mai 1995 il érige canoniquement
le Diocèse de Tunis.
C’est Mgr Twal qui invite en 2003 les religieux de
l’Institut du Verbe Incarné pour s’occuper de la paroissecathédrale. Ainsi le P. Eugenio Elias, argentin, devient curé de
2003 à août 2009. Il est remplacé par le P. Sergio Perez,
également argentin et religieux de l’Institut du Verbe Incarné,
curé de septembre 2009 à juin 2018. En 2010 le P. Silvio
Moreno de la même congrégation religieuse rejoint l’équipe
de la cathédrale en tant que vicaire.
Dates importantes de la cathédrale. Restauration de
la cathédrale dans les années 90 notamment les vitraux par
Mgr Fouad Twal. Ordinations sacerdotales à la cathédrale
pour le diocèse de Tunis : en 1997 le P. Jawad Alamat,
jordanien ; en 2004 Nicolas Lhernould, français et Otello
Bisetto, italien ; en 2010 Gabriel Kitenge et en 2015 Albert
Badiata, tous deux d’origine congolaise. Le 30 octobre 2005
installation du nouvel évêque de Tunis Mgr Maroun Lahham
et le 22 mai 2010 élévation du diocèse au rang d’Archidiocèse
par Benoit XVI nommant Mgr Lahham archevêque à titre
personnel. En 2013, le 14 avril, installation du nouvel
archevêque de Tunis, Mgr Ilario Antoniazzi, italien.
89
Le nouveau visage des fidèles de la cathédrale :
Depuis 2003 le nombre de migrants à Tunis et notamment des
jeunes africains subsahariens, est toujours en augmentation.
Des milliers d’étudiants d’Afrique subsaharienne sont
présents à Tunis. Les jeunes répertoriés dans les associations
subsahariennes et présents dans tout le territoire tunisien sont
plus de 6000. Ils proviennent de différents pays d’Afrique
surtout francophone : Côte d’Ivoire, Cameroun, Congo,
Bénin, Togo, Mali, Gabon, Burkina-Faso, Guinée,
Centrafrique, etc.
Ils arrivent en Tunisie pour des motivations
différentes : études, football, clandestins et femme de ménage.
Cela comporte aussi des difficultés très variées.
La cathédrale de Tunis compte actuellement avec la
présence de plus de 300 jeunes aux messes du weekend et
environ de 150 engagés dans les activités de la paroisse. Nous
avons créés un réseau d’activités pour eux qui se rapproche du
modèle de leur paroisse au pays: Catéchèse, Servants de
messe, Légion de Marie, Chorale, Mission populaire, Visite
aux malades, Ecole de théâtre, etc. Ils participent aussi à
d’autres services de charité notamment chez « Caritas
diocésaine » et sont une aide précieuse pour leurs congénères
(association du pays pour défendre leurs droits, mise en place
de réseau de soutien moral et économique, etc.).
Notre objectif est de leur donner des repères humains,
moraux et spirituels (recollections, exercices spirituels de saint
Ignace de Loyola, direction spirituelle, rencontres
universitaires de formation éthique solide et profonde,
publications sur l’enseignement moral et social de l’Eglise).
Nous voulons également qu’ils soient plus protagonistes dans
la vie de nos églises en Tunisie. Nous voulons également donc
leur offrir un espace physique pour se retrouver et s’exprimer,
qui rende les changements moins traumatiques et qui aide à
mieux faire le pont avec les nouvelles situations du pays.
90
Quelles sont les œuvres établies sur la paroisse de la
cathédrale aujourd’hui ? Servants de Messe « Saint
Tarcicius » : Il s’agit d’un groupe des jeunes garçons
subsahariens. Leur rôle est donc d’aider le prêtre et
l’évêque lors des célébrations liturgiques pour qu’elles soient
dignes et belles. Groupe d’animation liturgique : ces jeunes
organisent l’animation de la messe (lectures, prière
universelle, offrandes, etc.). Chorale « N.D. de Carthage » :
cette chorale qui est composée de nombreux jeunes
subsahariens anime la célébration de la messe à travers les
chants traditionnels, polyphoniques et classiques. Légion de
Marie « N.D. Auxiliatrice » : groupe des garçons et filles
subsahariennes qui cultivent une grande dévotion à la Vierge
Marie surtout par la prière du chapelet quotidien et s’engagent
à l’apostolat en faveur de plus démunis. Patronage « Saint
Jean Bosco » : rencontre de tous les groupes de jeunes de la
paroisse-cathédrale une fois par mois pour partager un
moment d’amitié, de prière et de formation catholique.
Groupe théâtral de la cathédrale : des jeunes subsahariens
et tunisiens passionnés de théâtre se rencontrent pour donner
des spectacles aux moments fort de l’année liturgique (Pâques,
Noël, fête patronale, etc.). Groupe biblique « Saint Luc » :
tous les 15 jours des jeunes subsahariens se réunissent pour la
lecture, la compréhension et la méditation de la Parole de
Dieu. Groupe d’Adoration et de louange qui assure une
heure d’adoration eucharistique par semaine afin de prier pour
les jeunes, les vocations sacerdotales et religieuses, etc.
Groupe des catéchumènes : des jeunes adultes, surtout
subsahariens, qui se préparent pendant deux ans pour recevoir
les sacrements de l’initiation chrétienne. Résidence
universitaire de garçons subsahariens « Saint Jean Paul
II » et de filles subsahariennes « N.D. de Carthage » : des
jeunes qui collaborent aux apostolats de la cathédrale sous la
direction des religieux de l’Institut du Verbe Incarné.
91
92
93
94
5. LA CRYPTE DE LA CATHEDRALE
Guillaume Plowman et la mission des capucins de
Tunis20
Il est difficile d’imaginer que dans la nouvelle chapelle
de la crypte de la cathédrale de Tunis se cache un souvenir de
grande valeur pour l’histoire de la mission catholique en
Tunisie. En face de l’autel et enfoncé dans le mur, nous
observons une grande épitaphe de Guglielmus Ploruman,
anglo britannicus. Parmi les louanges décernées à sa mémoire,
par son fils Plowman, de même prénom, désigné sur le marbre
par les termes de « Guglielmus junior », on relève le titre de
consul à Tunis.
Les Plowman, père et fils, furent en effet consuls à
Tunis ; ils représentaient la Hollande, et leur nom fût mêlé à
l’histoire de la mission des capucins de Tunis, notamment au
lendemain des incidents de Tabarka. Lorsque Tabarka, avec
ses établissements créés par les Loemellini, tomba aux mains
d’Ali Pacha (1741), les malheureux chrétiens qui composaient
la population de ce comptoir de corailleurs furent conduits en
esclavage à Tunis. Au nombre de 842, ces captifs étaient dans
le plus complet dénuement, certains presque nus, et tous
épuisés. Le préfet apostolique, le P. Antonio de Novallera
(chef de la mission des capucins de 1738 à 1744) pris de pitié
essaya de secourir une si grande misère ; la situation financière
peu brillante de la mission ne lui permit pas de faire des
largesses. Devant l’indigence de ces nouveaux fidèles,
Antonio de Novallera n’hésita pas pour leur venir en aide, à
contracter un emprunt, donnant en gage l’argenterie, les
20
Nous suivons librement « La dépêche tunisienne » du 5 février 1935.
Avec les notes de Marcel Gandolphe, professeur au lycée Carnot.
95
ornements et les chandeliers de son église, et même un
reliquaire en cristal et argent, contenant une partie de la vraie
croix. Il commit aussi l’imprudence de se servir des économies
réalisées par les esclaves sur leurs salaires. Il se trouva alors
dans une fâcheuse position, ne pouvant rembourser ces
sommes qui lui avaient été confiées ; il eut à soutenir la colère
des esclaves, qui n’hésitèrent pas à le menacer
d’emprisonnement et même de mort.
Le P. Antonio, victime de son bon cœur fut rappelé à
Rome (1744). Mais avant de quitter Tunis, il contracta auprès
de Guillaume Plowman, avec l’assentiment de Rome, un
nouvel emprunt pour désintéresser les esclaves ; son
successeur, le préfet Carlo Felice (1744-1747) fut obligé
d’agir de même, tellement la mission des capucins était dans
la gêne. Ce fut toujours Plowman qui vint en aide aux
missionnaires capucins. Le hasard nous a permis de retrouver
un reçu écrit de la main de Guillaume Plowman, attestant que
toutes les sommes avancées par lui, avaient été remboursées,
et que le dernier versement avait été effectué par le P.
Lodovico d’Averna, préfet de 1747 à 1753. Ce reçu est ainsi
rédigé en italien :
« Tunisi le 4 xbre 1753. Noi Guglielmo
Plowman dichiariamo essere pieno sodisfatto di tutto il
débito contratto nella nostra casa consolare d’olanda,
tanto dal P. Antonio da Novallera, quanto dal P. Carlo
Felice d’Affori, amendue prefetti allora mediante;
l’ultima sborso fattoci il P. Lodovico d’Averna attuale
prefetto, sicche sequela di questa ci dichiariamo non
avere altro pretenzione sulla missione de r.r.p.p.
capuccini essistenti un questa citta, in fede di che la
sottiscriviamo di nostro proprio pugno, nonche la
siggilliamo colla marca ordinaria della nostra casa ».
Gugmo Plowman
Cachet de cire aux armes des Pays-Bas
96
« Tunis le 4 xbre 1753. Nous Guillaume
Plowman, déclarons éteinte la dette contractée dans
notre demeure consulaire de Hollande tant pour le P.
Antoine de Novallera, que par le père Charles Félix
d’Affori, tous deux préfets à cette époque ; le dernier
remboursement fut effectué par le P. Louis d’Averna,
préfet actuel, et par suite de ce paiement, nous
déclarons n’avoir aucun droit sur la mission des
révérends pères capucins, demeurant dans cette ville,
en foi de quoi, non seulement nous écrivons cette
reconnaissance de nos mains, mais nous la revêtons
aussi du sceau habituel de notre maison ».
Ce reçu attestant l’extinction des dettes des révérends
pères capucins de la mission, résidant à Tunis, est intéressant
à plusieurs points de vue. Il nous donne en premier lieu
l’orthographe exacte de Plowman, dont le nom a été souvent
déformé. Le P. Anselme des Arcs, qui a séjourné à Tunis de
longues années, et qui ne quitta cette ville qu’en 1881, a
mentionné dans son ouvrage « mémoires pour servir à
l’histoire de la mission de capucins dans la régence de Tunis »,
l’aide apportée par Guillaume Plowman aux prêtres italiens.
Mais Plowman est dénommé Ploruman et le marbre de la
chapelle de la crypte de la cathédrale porte également le nom
de Ploruman. L’épitaphe nous rappelle aussi que Guillaume
Plowman est décédé à l’âge de 99 ans accomplis, en 1745, et
que le monument a été élevé à la mémoire par « Guillaume
Plowman junior ».
L’acquit cité précédemment est daté du 4 décembre
1753, c’est donc Guillaume Plowman junior qui l’a signé.
Enfin, le reçu de Guillaume Plowman précise qu’en 1753, le
P. Lodovico d’Averna, préfet apostolique, était encore à
Tunis, alors que le P. Anselme des Arcs, dans son ouvrage cité
précédemment, fait finir son ministère en 1750. Les Plowman
furent donc les bienfaiteurs de cette mission des capucins
italiens de Tunis. Pour cela, nous les missionnaires en Tunisie,
97
ainsi que les catholiques de ce pays, nous devons leur être
reconnaissant d’avoir permis à ces missionnaires capucins de
continuer leur œuvre à Tunis.
En visitant la chapelle de la crypte de la cathédrale, le
marbre qui se trouve à droite (voir photo) ne sera plus donc
pour les visiteurs et les fidèles qui jour après jours participent
à la messe, une simple pierre froide, mais une invitation à la
prière et à l’action de grâces.
98
6. CENTENAIRE
DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
Nous transcrivons ici quelques propos sur la cathédrale
de Tunis écrits le 29 avril 1995 par le P. Michel Prignot, curé
de la cathédrale de 1977 à 2003. Ces propos tirés de
l’expérience du P. Michel, sont intéressants parce qu’ils nous
décrivent une transition importante de la vie de la cathédrale
qui va du protectorat, en passant par le Modus Vivendi, à
l’époque de l’après Concile Vatican II.
« La cathédrale est sur le point de fêter ses 100
ans d’existence. Les plus anciens se souviennent, avec
parfois un peu de nostalgie, des grandes cérémonies
qui se sont déroulées à l’abri de ses murs : Prédications
de Carême (notamment celles faites par Mgr Pons),
ordinations sacerdotales et confirmations, messes
consulaires, procession du 15 août, etc...
accompagnées de toutes les pompes familières à ces
temps-là: chanoines mitrés dans tous leurs atours,
enfants de chœur ensoutanés de rouge ou de noir,
suisse en costume traditionnel, avec hallebarde et fauxmollets..., piliers drapés, grands tapis déroulés,
chorales et grandes orgues, accompagnant les liturgies
célébrées en latin. Il fallut attendre 1965 pour qu’un
autre style se fasse jour, plus simple, moins grandiose,
sans doute plus intérieur et recueilli ».
« La fin de la guerre de 1940 a marqué, comme
en bien d’autres endroits, l’amorce d’une évolution de
la vie ecclésiale. Le Concile de Vatican II, tout
d’abord, et plus tard les conditions nouvelles créées
dans le pays par l’Indépendance, font donner à l’Eglise
un style nouveau ».
99
« La pratique religieuse va diminuer
considérablement, suivant les départs successifs d’une
population qui était très liée au système économique et
politique d’avant l’Indépendance ».
« C’est ainsi que vont disparaître toutes les
familles de militaires, suivies bientôt de celles liées à
l’Administration. Avec elles, un certain nombre de
personnes possédant un petit commerce, un petit
atelier, va partir à son tour ».
« Bien que les départs se fassent sans panique,
chaque étape nouvelle de la décolonisation entrainera
un nouvel exode : Autonomie interne (1955),
indépendance (1956), départs de troupes en divers
endroits du pays, Bizerte (1961), nationalisation des
terres de colons (1964), guerre du Kippour (1967),
pour n’en citer que quelques-unes ».
« Si l’on ajoute la situation nouvelle créée pour
l’Eglise par les accords signés entre le Gouvernement
tunisien et le Vatican, ainsi que les mesures prises en
faveur des rapatriés par la France et l’Italie, les retours
sur l’Europe s’intensifient. La population pratiquante
de la cathédrale va ainsi passer d’environ un millier en
1965 à quelques 300 en 1985, et 200 aujourd’hui. Il n’y
a plus de catéchisme dans la paroisse depuis 15 ans, les
rares enfants en âge d’être catéchisés ayant été confiés
à la paroisse voisine. En dehors de quelques
regroupements de type religieux (groupe de prière de
Padre Pio, étude biblique, etc...), les seuls
rassemblements qui vont demeurer seront les
rassemblements liturgiques du Dimanche ».
« La population chrétienne de la cathédrale va
prendre de l’âge, jusqu’à arriver à ce jour à une
moyenne tournant autour des 65-70 ans. Les familles
disparaissent au profit des personnes âgées prenant
leur retraite dans le pays qui les a vu naître, et des
100
religieuses qui constituent actuellement 20 à 25 % de
la population pratiquante habituelle ».
« Très majoritaire pendant longtemps, la
population chrétienne native en Tunisie va être relayée
par de nouveaux venus moins nombreux que par le
passé, moins marqués par les évènements de
l’Indépendance, plus naturellement prêts à accueillir
les changements du temps, avec les risques aussi d’une
rencontre plus superficielle avec le pays et ses
habitants, population plus mouvante, souvent moins
enracinée, mais ne manquant pas de générosité ».
« La fraction la plus jeune est essentiellement
constituée de jeunes africains venus en Tunisie pour y
faire des études ».
« A l’arrivée de Mgr Callens à la tête du
diocèse, beaucoup de prêtres ont suivi le mouvement
des paroissiens, estimant préférable d’aller se mettre au
service des communautés chrétiennes en Europe,
plutôt que de rester ici sans activité importante de type
pastoral. De 215, au moment de l’Indépendance, leur
nombre va diminuer des ¾ ».
« Les activités pastorales classiques vont être
progressivement relayées par d’autres engagements,
plus en lien direct avec la réalité du pays construisant
son Indépendance. Prêtres, religieuses, quelques laïcs,
en nombre croissant, vont ainsi s’engager dans les
institutions tunisiennes pour y apporter leur bonne
volonté et leur compétence ».
« […] La liturgie dominicale, devenue le
principal lieu de ressourcement, va s’efforcer, avec
plus ou moins de bonheur, d’apporter un
accompagnement à ces divers types d’engagement ».
« […] La paroisse de la cathédrale n’a sans
doute plus aujourd’hui une très grande activité
pastorale. La vie sacramentelle, hormis celle du
rassemblement dominical, s’est considérablement
101
réduite, mais, elle demeure un lieu où se rencontrent le
passé et l’avenir, un lieu qui se voudrait porteur d’une
Bonne Nouvelle adressée aux frères de ce pays ».
102
7. SAINT JEAN PAUL II,
A LA CATHEDRALE DE TUNIS
Le dimanche 16 avril 1996 pour la première fois depuis
les origines, un Pape est venu rendre visite à la Tunisie. Voici
en quels termes le P. Michel Prignot nous raconte
l’évènement21 :
« Cet événement a bien sûr marqué très fort, en
particulier pour la petite communauté chrétienne, mais
aussi pour une part de la population tunisienne. Le
Pape n’est pas tout à fait un inconnu du fait de la
Télévision italienne où il apparaissait souvent au temps
où la réception était possible ici, du fait aussi d’un
certain nombre de ses interventions reprises par la
presse sur divers sujets ».
« […] Recevoir le Pape dans une visite
officielle, c’est accueillir un chef d’État d’un genre
particulier, avec tout ce que cela comporte de
protocole, d’honneurs publics, de réceptions et de
discours, de déploiement de police pour des raisons de
sécurité, d’agitation de journalistes en quête de
sensationnel, de frais divers et importants pour faire
face à tout cela... ».
« […] Cette visite a été une grande joie aussi.
Derrière cet homme fatigué par les soucis, le travail et
les activités, j’ai aperçu un frère avec lequel je porte
une même foi, un Père qui a reçu mission de conforter
ses enfants, et mon cœur s’est serré de tendresse devant
ce vieil homme descendant difficilement de voiture,
comme absent, le regard perdu dans un rêve. Que se
21
Article du P. Michel Prignot du 18 avril 1996.
103
passait-il dans cette tête ? La volonté d’être présent à
la diversité du monde, la souffrance de voir le monde
encore déchiré ou douloureux, le « souci des Églises »
et le poids de l’Évangile... ».
« C’est spontanément que ses pas allaient vers
ceux qui étaient là sur la place pour l’applaudir, en un
geste de bénédiction ou de caresse quand une tête
d’enfant passait à portée de sa main ».
« Remontant la longue allée centrale de la
cathédrale, son sourire s’illuminait quand un petit bébé
lui était présenté pour obtenir sa bénédiction. Pas de
fatigue alors dans sa démarche, et pourtant ce n’est pas
évident d’avancer ainsi pressé de toutes parts, protégé
par une barrière symbolique et quelques gardes
efficaces et discrets ».
« La véritable joie, pour moi, a dès lors
commencé avec la célébration eucharistique. Ce n’est
pas que la messe soit plus valable quand le Saint Père
est là, mais il est bon de pouvoir vivre cette
communion, en présence de celui qu’on nomme à
chaque liturgie : le nom prend corps et donc force. À
travers lui, s’opère la rencontre avec toutes les
communautés qui vivent dans l’univers, à commencer
par celles d’Afrique du Nord, qui étaient représentées
par leur Évêque. Il est bon d’ouvrir son regard au-delà
des réalités de l’environnement immédiat ».
« Oui, j’ai aimé cette messe belle et simple où
la prière était plus importante que le rite qui la
soutenait. J’ai aimé les chants que tout le monde
reprenait, soutenu par une chorale au service du chant
de la foule, et non présente pour donner son numéro.
L’orgue aussi était de la fête, chantant beau sous les
doigts d’un organiste mettant son art au service de la
prière. C’était une messe de fête, où chacun joignait sa
voix à celle de son voisin pour dire ensemble merci à
Dieu ou présenter ses demandes en une prière
104
universelle. Comme bien souvent le français était
coupé d’italien, d’arabe, de langage africain, de latin,
d’espagnol ou d’anglais ; et l’usage de ces diverses
langues était aussi un symbole ». « Ç’aurait pu être une
« messe consulaire », ce fût simplement pour notre joie
la prière d’une petite communauté autour de son Père
et de ses frères aînés que sont les Évêques. J’aimais
aussi que soit présent à cette prière le Métropolite Grec
Orthodoxe, qui fêtait la Pâque en ce jour ».
« […] Après la messe, le Pape s’est retiré pour
se restaurer et reprendre quelque force, et nous aussi.
J’ai eu le plaisir de pouvoir à nouveau le saluer alors
qu’il partait pour accomplir la deuxième partie de son
voyage : la rencontre avec les autorités du pays au
Palais présidentiel. De cette visite, je n’ai entendu que
des échos positifs, comme aussi de la prière qu’il a faite
sur le chemin de l’aéroport à l’Amphithéâtre de
Carthage, où furent martyrisées entre autres les saintes
Perpétue et Félicité, il y a 18 siècles ».
« Avec tous les frères et sœurs de ce pays, je
considère comme un événement exceptionnel et peutêtre comme une grâce, ce passage du Saint Père. Il
n’est pas sans signification que le Pape se rende
présent à un pays modeste par la taille ou le nombre
d’habitants, à une Église encore plus modeste, réduite
à la valeur d’un signe au cœur de ce pays ».
« J’ai notamment apprécié ce passage de
l’homélie du Saint Père, disant :
« Petit troupeau certes, mais divers par les
langues, les cultures, les origines, vous êtes une image
parlante de l’Église universelle. Par vos liens avec le
Nord et le Sud, l’Orient et l’Occident, soyez ici des
ferments d’unité et de solidarité. Par votre implantation
dans ce pays accueillant, grâce à votre amitié
fraternelle avec vos compagnons de travail ou vos
105
voisins de quartier, par vos échanges dans la vie de tous
les jours comme dans la réflexion sur le sens de la vie
et sur la situation du monde, laissez transparaître la
grâce que vous avez reçue d’être disciples de Jésus
Christ ! ».
Certainement bien informé sur ce que nous
nous efforçons de vivre au quotidien, le Saint Père en
quelques paroles simples a apporté sa bénédiction à
ceux qui le vivent, et mis en valeur ce qui est modeste
et caché en cette terre, en cette Église […] ».
Saint Jean Paul II et le P. Michel Prignot
à l’entrée de la cathédrale de Tunis. 16 avril 1996
106
8. LES RELIQUES DES SAINTS
ET LE RELIQUAIRE DE SAINT LOUIS
A LA CATHEDRALE
Le nouveau reliquaire de la cathédrale de Tunis que
nous pouvons apprécier dans la nef latérale de gauche, a été
inauguré le 28 septembre 2014 à l’occasion de la fête patronale
de la cathédrale. A dire vrai il contient une bonne partie des
reliques des saints qui autrefois ont été vénérées dans les
différentes églises en Tunisie, pendant le protectorat et
désormais désaffectées au culte ou désacralisées, comme aussi
quelques-unes des reliques vénérées au Carmel de Carthage,
aujourd’hui école et bibliothèque privée. Vu leur importance
historique et religieuse pour notre diocèse et pour chaque
chrétien, nous avons essayé pendant plusieurs mois d’une
façon très modeste de restaurer les anciens reliquaires avec
leurs reliques et de les mettre en valeur à l’intérieur de la
cathédrale de même que le grand reliquaire de saint Louis Roi
de France.
Nous publions ici l’article de Jean-Christophe Palthey,
spécialiste de l’histoire des ordres de chevalerie et de leurs
marques d’honneur, la « phaléristique », sur le reliquaire de
saint Louis.
« Sur les pas de Saint Louis, le reliquaire de Carthage,
chef-d’œuvre méconnu d’Armand-Caillat »22.
22
Extrait de : « Les Nouvelles de la Lieutenance de France », Ordre
équestre du Saint-Sépulcre de Jérusalem, janvier 2017, n° 83 ». L’auteur
remercie dans cet article Mgr Jean-Louis Papin, évêque de Nancy, le R.P.
Silvio G. Moreno, vicaire de la Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul de Tunis,
et MM. Bernard Berthod, Étienne Martin, Ulrich Münstermann et Adel
Skhiri.
107
« Monumental et élancé, le reliquaire de Saint-Louis de
Carthage illumine aujourd’hui discrètement de son or mat et
de ses émaux polychromes la pénombre d’un collatéral de la
cathédrale de Tunis. Ciselé par le célèbre orfèvre lyonnais
Armand-Caillat23 ce chef d’œuvre, autrefois acclamé24, mérite
un coup de projecteur ».
« Revenons d’abord en 1884. Soutenu par la France qui
vient d’imposer le régime du protectorat au bey de Tunis25, le
cardinal Lavigerie26, alors archevêque d’Alger et vicaire
apostolique de Tunis fait relever à son profit par Léon XIII le
siège métropolitain de Carthage. Souhaitant rendre, après huit
cents ans de sommeil, la première place à son siège
archiépiscopal, le nouveau primat d’Afrique lance
d’ambitieux projets. Le premier d’entre eux est la construction
d’une cathédrale à Carthage. Elle prendra place sur la colline
de Byrsa, devant la modeste chapelle construite par LouisPhilippe sur le lieu supposé de la mort de Saint Louis le 25
août 1270. Financée par l’Œuvre de Carthage du comte de
Buisseret, qui fait appel aux descendants des compagnons de
Saint Louis27, la cathédrale est achevée en 1890 et
solennellement consacrée le 15 mai. Au centre de cette
23
Thomas Joseph Armand dit Armand-Caillat (1822-1901), de cet artiste
inspiré, Bernard Berthod écrit dans son Dictionnaire des arts liturgiques
« La grande originalité de son œuvre est sa portée spirituelle. L’objet
devient un poème centré sur un thème ou une idée auquel concourent les
scènes, les inscriptions, les couleurs, les gemmes et les formes».
24
Avant d’être installé à Carthage, il fut présenté à la Procure des Missions
d’Afrique en 1887 et à l’exposition universelle de 1889. Un commentaire
irremplaçable par l’Abbé Reure est consultable sur internet. Le reliquaire
de Saint-Louis de Carthage, Lyon, imprimerie Mougin-Rusand, 1887.
25
Traité du Bardo 12 mai 1881.
26
Chevalier du Saint Sépulcre depuis 1859, il en arborait volontiers les
insignes. Cf. l’article de M. Étienne Martin, À propos du portrait de Mgr
Allemand-Lavigerie, évêque de Nancy, conservé à l’Évêché de Nancy et de
Toul, Le Pays Lorrain, 90 (2009), 241-244.
27
Les armes de 234 souscripteurs, descendants de croisés, y sont toujours
gravées dans le marbre sur les murs et les colonnes.
108
imposante basilique byzantino-mauresque, chacun admire
alors ce reliquaire ».
« En bronze doré partiellement émaillé, il est composé
de trois registres distincts formant une sorte de pyramide et
mesure plus de deux mètres vingt de haut par près d’un mètre
quarante de large28. La base, soutenue par des dragons ailés,
est un socle rectangulaire historié, au-dessus, deux anges
agenouillés soutiennent à bout de bras une châsse en forme de
Sainte-Chapelle ».
« Les grands côtés du socle, structurés par les ailes des
dragons, sont ornés de motifs floraux encadrant deux scènes
de la vie de Saint Louis. Sur le devant, la dernière communion
du roi malade, soutenu par son fils Philippe, derrière, ses
adieux à sa femme Marguerite devant les remparts d’AiguesMortes. Sur les petits côtés, ciselés d’or sur fond noir,
apparaissent les noms des donateurs, en tête desquelles le
comte de Chambord et le comte de Paris29 ».
« L’âme de l’œuvre est sa partie centrale, constituée par
deux extraordinaires anges-chevaliers en costumes du XIIIe
siècle. Celui de droite, symbole de la France chrétienne se tient
sur un écu d’or à la croix de Jérusalem de gueules, et présente
la couronne d’épines. Celui de gauche, figure de la France
royale, sur un écu de France ancien bordé de gueules30, tient
délicatement le sceptre royal (aujourd’hui disparu). Chacun
Actuellement présenté sur une modeste structure métallique d’une
cinquantaine de centimètres, il était dans la cathédrale de Carthage au
sommet d’un imposant autel architecturé en marbre à deux étages, orné
d’une dédicace débutant par les acclamations carolingiennes XPC :
VINCIT : XPC : REGNAT : XPC : IMPERAT, derrière IN :
HONOREM : S.LUDOVICI : FRANCORUM : REG, et sur les côtés EX :
OSSIB : S.LUDOV / EX : PRÆC : S. LUDOV. L’ensemble devait alors
mesurer plus de cinq mètres de haut. L’autel est toujours en place à
Carthage.
29
Tous deux chevaliers du Saint Sépulcre, depuis 1822 et 1884.
30
Cette curieuse bordure de gueules est peut-être une volonté d’ArmandCaillat de représenter les armes d’Anjou, pour évoquer Charles d’Anjou,
frère du roi.
28
109
porte une épée au côté et un manteau fleurdelysé recouvrant
une partie de la cotte de mailles qui laisse saillir les muscles.
Encadrés par leurs ailes, ils portent, à bout de bras sur un
sudarium, un plateau sur lequel repose une Sainte-Chapelle
aux vitraux émaillés, le reliquaire proprement dit, vide
aujourd’hui ».
« L’histoire des reliques qu’il contenait est connue.
C’est une partie des viscères de Saint Louis rapportées en
Sicile par son frère cadet Charles d’Anjou en 1270, conservées
ensuite à l’abbaye de Monreale près de Palerme puis offerte
par François II des Deux-Siciles au cardinal Lavigerie31. Elles
sont vénérées à la cathédrale de Carthage jusqu’au modus
vivendi conclu en 1964 entre le Saint-Siège et la République
de Tunisie32. La majorité des biens de l’église est alors cédée
à l’État tunisien. La cathédrale Saint-Louis est désaffectée33 et
le reliquaire transféré à l’église Sainte-Jeanne-d’Arc de Tunis.
En 1985, Mgr Callens, prélat de Tunis en extrait les reliques
et les donne à l’évêché de Saint-Denis. Là, excepté pour un
voyage à Saint-Louis du Missouri en août 1999 avec le prince
Louis de Bourbon, duc d’Anjou, elles sont à peu près oubliées.
Enfin, le 16 octobre 2011, en présence d’une délégation de
chevaliers de l’ordre du Saint-Sépulcre, elles sont
solennellement transférées à la cathédrale Saint-Louis de
Versailles, où depuis, elles sont offertes à la vénération des
fidèles ».
« Quant au reliquaire d’Armand-Caillat, témoin de la
brève restauration du primat d’Afrique, il est transféré en
Ainsi qu’un petit morceau d’os du crâne ayant une autre origine.
Les catholiques ayant massivement quitté la Tunisie après
l’indépendance en 1956, le siège archiépiscopal de Carthage redevint un
siège titulaire dont le premier bénéficiaire fut, en 1967, le cardinal
Casaroli... signataire du modus vivendi. Après 1964, la Tunisie devint une
prélature territoriale, érigée en diocèse en 1995, puis en archidiocèse en
2010. Mgr Ilario Antoniazi, ancien séminariste à Beit-Jala, est depuis 2013
archevêque de Tunis, il succède à Mgr Maroun Lahham.
33
C’est aujourd’hui un centre culturel appelé Acropolium.
31
32
110
1996, sur ordre de Mgr Fouad Twal, alors évêque de Tunis, à
la cathédrale Saint-Vincent-de-Paul [et Sainte Olive].
Aujourd’hui, mis en valeur au centre d’un important ensemble
de reliques provenant des diverses églises désaffectées de
Tunisie, il mérite une visite, car, vide, mais toujours
admirable, il chante encore à celui qui l’écoute le poème du
roi chrétien ».
Le reliquaire de Saint Louis à la basilique de Carthage (gauche)
et à la cathédrale de Tunis aujourd’hui (droite).
111
9. LA STATUE
DE NOTRE DAME DE CARTHAGE
Le visiteur qui voit le chœur de la cathédrale remarque
immédiatement, derrière l’autel majeur et au-dessous du
Christ crucifié, la figure imposante de la Vierge Marie sous le
vocable de « Notre Dame de Carthage ».
Nous savons que celle-ci a été entourée d’une immense
dévotion à Carthage et dans toute la Tunisie, notamment
pendant le protectorat. Pourquoi tant de dévotion ? Qui est
N.D. de Carthage ? Quelle est son histoire ? D’où vient
l’image actuelle à la cathédrale de Tunis ?
Le bas-relief de la Sainte Vierge34
L’ancien bas-relief qui donne origine à l’actuelle statue
de la Vierge possède trois caractéristiques :
-Bas-relief de marbre blanc fouillé en 1881 dans les
ruines de la basilique Damous el Karita35, mais
malheureusement très mutilé.
-Il nous offre d’une façon certaine l’image de la Mère
de Dieu, peut-être la plus ancienne que le sol d’Afrique ait
fourni jusqu’à nos jours.
-Très probablement l’une des plus anciennes
sculptures de la sainte Vierge dans l’Eglise (les premières
représentations ce sont des peintures des catacombes à Rome
pour la plupart du milieu du IIIème siècle).
34
Cf. MORENO, Silvio, Notre Dame de Carthage, archéologie, histoire
et dévotion d’après les études du P. Delattre et P. Chales, missionnaires
d’Afrique, Tunis, 2017.
35
Cf. MORENO, Silvio, Carthage Eternelle, Tunis, 2013, p. 77-82.
113
Description du bas-relief de la Vierge
Le bas-relief, suivant la description du P. Delattre,
montre la sainte Vierge offrant son divin Fils à l’adoration des
Mages. Ceux-ci, par suite des graves mutilations qu’a subies
le marbre, ont entièrement disparu36. Il ne reste donc de la
scène religieuse que la Vierge et l’Enfant, un ange et deux
prophètes. Toutes les têtes sont brisées et n’ont pas été
retrouvées. La sainte Vierge est assise sur un trône d’honneur
porté et orné par d’élégantes colonnettes37. Marie est
représentée de trois quarts et tournée vers la gauche. Elle est
vêtue d’une ample tunique. Sur sa tête, laissant dégager le
front et la chevelure, un voile est posé. Il tombe sur les
épaules38, les bras et le trône.
L’enfant Jésus, tourné du même côté, est également
vêtu d’une longue tunique et d’un manteau. Il est assis sur les
36
« Dans la partie qui était occupée par les Mages, raconte le P. Delattre,
on voit encore trois pieds qui étaient chaussés. Des fragments de
personnages et d’autres n’ont pu retrouver leur place. Deux mains
étendues, couvertes d’un voile et portant une cassette ronde appartiennent
assurément à un des Mages présentant son offrande. D’ailleurs ce bas-relief
comportait deux scènes et nous en avons trouvé un second qui lui faisait
pendant, et dont la scène supérieure est l’Annonciation de l’Ange aux
bergers. Cela fait en tout quatre scènes. Les deux qui ont complètement
disparu devaient représenter l’Annonciation et l’adoration des bergers »,
Cf. Delattre, Le culte de la Saint Vierge en Afrique, Paris, 1907, p. 5.
37
« Le trône se compose d’un large escabeau servant de support à un
tabouret. Ces deux parties du trône sont ornées de fines colonnettes avec
base et chapiteau. La tranche du plateau, aussi bien de l’escabeau que du
tabouret, portent des rainures qui en font une sorte de corniche. Ce siège
d’honneur si soigné dans ses détails, n’a ni dossier ni bras. La Sainte Vierge
y est assise sur un épais coussin. Dans les plus anciennes images des
catacombes la Saint Vierge portant l’Enfant Jésus est ainsi assise sur un
siège d’honneur. Il en est de même dans les bas-reliefs des plus anciens
sarcophages ». Cf. Delattre, Le culte…, p. 5.
38
Pour la grande statue en bois de N. D. de Carthage, le sculpteur n’a pas
suivi exactement le dessin du bas-relief. Il a placé sur la pointe des épaules
un manteau qui retombe sur le trône, et sur la tête un voile court qui
chevauche sur le manteau. (Cf. P. Chales).
114
genoux de sa mère, plus sur le genou droit que sur le genou
gauche. Le pied gauche apparaît sous le bas de la tunique. Le
pied droit ne devait pas être visible. Outre la tête, l’avant-bras
droit manque. Il devait être étendu en avant vers les Mages. Le
bras gauche, replié devant la poitrine est bien conservé. La
main tenait un objet qu’il est impossible de déterminer. La
sainte Vierge tient l’enfant des deux mains, du côté droit par
le bras près de l’épaule et du côté gauche à la hauteur des reins
sous le bras. Derrière le trône, on voit deux prophètes, sans
doute Isaïe et Michée. Ils sont debout, drapés dans leur
pallium. On les dirait élevés de terre, les mains en avant dans
l’attitude de la prière. Peut-être aussi la main droite, la seule
qui soit conservée, indiquait-elle le ciel ou l’étoile qui
accompagnait les mages. C’est ce que semble révéler sa
direction oblique vers le sommet du bas-relief.
En avant du groupe, l’ange, vêtu d’une longue tunique,
se tient aussi debout. Il a les pieds chaussés de sandales. De
ses ailes, la gauche seule subsiste. Tout le haut du corps a
disparu, mais les amorces de la sculpture laissent deviner son
attitude. C’est l’archange Gabriel présentant les Mages à Jésus
et à Marie. Celle-ci, assise sur la cathedra, les pieds posés sur
le suppedaneum, en signe d’honneur, sert elle-même de trône
à Jésus qu’elle présente à l’adoration des personnages venus
de l’Orient. L’Enfant-Dieu n’est pas représenté au moment de
sa naissance, mais déjà âgé de plusieurs années. Le tableau se
terminait à gauche par un arbre.
Datation du bas-relief de la Vierge
Ce bas-relief a été étudié en détail par le grand
archéologue Jean Baptiste de Rossi, archéologue des
catacombes romaines. Après l’avoir minutieusement décrit, il
s’exprime ainsi : « Il s’agit de savoir s’il appartient à l’époque
où l’Afrique, recouvrée par Justinien, demeura sous
l’influence directe de Constantinople et de l’art byzantin, ou
115
bien au temps de l’Afrique romaine et chrétienne, lors de ses
relations intimes, avec Rome et l’Occident latin».
Jean Baptiste de Rossi répond à la question en
appuyant son jugement de savantes comparaisons. Voici sa
conclusion : le style du fragment carthaginois lui semble de la
première période de la sculpture chrétienne au IVème siècle :
« Certainement, dit-il, il n’appartient pas au style des
sarcophages de Ravenne et de Venise, au temps de l’exarchat
byzantin et de l’atelier du sculpteur Daniel et de son école »39.
Il serait, en effet, difficile de citer une œuvre d’art
byzantine que l’on puisse rapprocher de notre bas-relief. De
plus, dit le P. Delattre, c’était l’usage dans l’Eglise byzantine
de ne représenter Notre-Seigneur Jésus-Christ, la sainte
Vierge et les saints que par la peinture. « Cette magnifique
pièce d’art, écrivait encore de Rossi au P. Delattre, ne
provenant pas d’un sarcophage, mais d’un bas-relief de la
basilique, a une valeur exceptionnelle et forme le plus bel
échantillon connu de ce genre de représentation dans la
sculpture chrétienne ».
Malgré les difficultés à reconstituer l’originel, nous
avons là une sculpture artistique représentant d’une façon
certaine la sainte Vierge avec l’enfant Jésus et remontant selon
toute probabilité pour le moins au IVème siècle. On y sent une
expression et une vigueur de l’influence de traditions
excellentes, influence qui disparaît au Vème siècle, mais qui
correspond au règne de Constantin.
La statue de Notre Dame de Carthage
Quelle splendide statue de Notre-Dame de Carthage
donnerait la Vierge en bas-relief reproduite seule et agrandie !
Cette sculpture de la Vierge fut un projet du P. Delattre
et lui mérita les félicitations de tout le clergé diocésain. Le
DE ROSSI, Jean Baptiste, Bulle d’Archéologie chrétienne, Rome, 18841885, p. 146.
39
116
sculpteur de Tunis déjà cité, Sauveur Figlia, entreprit le travail
artistique. Et le 9 août 1914, à l’issue des vêpres, Mgr Forbes,
évêque de Joliette, au Canada, délégué par Mgr Combes, bénit
solennellement la superbe statue en marbre de carrare de
Notre-Dame de Carthage et elle fut placée dans la chapelle
gauche de la Primatiale de Carthage (Acropolium).
Autrefois, dans l’ancienne sacristie de la Primatiale se
trouvait une autre statue sculptée dans le bois qui était une
copie exacte de la statue de marbre : elle s’adaptait sur un
brancard pour être portée dans les processions.
Toujours dans l’ancienne Primatiale se trouvait contre
le pilier, à droite de l’autel de la Vierge, un beau petit basrelief (aujourd’hui à la Paroisse de la Marsa à Tunis). C’est
une reconstitution partielle et exacte du bas-relief véritable,
conservé aujourd’hui dans les réserves du Musée de Carthage
dans la colline de Byrsa (malheureusement il n’est pas exposé
au public). Il était placé là pour témoigner de l’origine antique
et carthaginoise de la grande statue.
La statue en marbre fut déplacée à la cathédrale de
Tunis en 1964 après le modus vivendi entre le Saint-Siège et
l’état tunisien.
Les Byzantins et les Carthaginois chrétiens aimaient
appeler Marie la « Mère de Dieu » (theotokos). Cette mission
de la Maternité divine, que de toute éternité le Seigneur voulait
lui conférer, est le fondement, la source de tous les privilèges,
prérogatives et excellences de Marie, la raison de tous les dons
reçus par Elle, la magnificence du Dieu Tout-Puissant. Et
parce que Marie est la Mère de Jésus-Christ elle est aussi la
Mère de tous ceux qui sont les membres de son corps
mystique. La statue de Notre-Dame de Carthage nous rappelle
toutes ces vérités, toutes ces grandeurs de notre céleste Mère.
117
10. LES ORGUES
DE LA CATHEDRALE DE TUNIS40
« Un orgue Mutin-Cavaillé-Coll, commandé en 1921
et installé deux ans plus tard, est encore fièrement posé sur la
tribune de la cathédrale de Tunis construite entre 1893 et 1897.
Cet instrument de trois claviers de 56 notes et un pédalier de
30 marches se compose depuis l’origine de 33 jeux réels et
1853 tuyaux. Certains jeux de pédale sont empruntés au
sommier de Grand-Orgue, d’autres fonctionnent par
dédoublements pneumatiques à partir de deux jeux réels,
comme sur le Mutin-Cavaillé-Coll (1918) de l’ancienne
cathédrale d’Oran, en Algérie ».
« La Tunisie Catholique (novembre 1923, pp. 714715) nous donne des précisons sur la cérémonie de
bénédiction de l’orgue le 28 octobre 1923, dans un article
consacré à l’inauguration des orgues de la cathédrale et de la
XIVème année de la Messe des Hommes : « Dimanche dernier
28 octobre eurent lieu d’abord la bénédiction des orgues de la
pro-cathédrale de Tunis par Mgr le Primat et leur inauguration,
et aussitôt après, la première conférence de Mgr Pons pour
cette quatorzième année. La bénédiction fut donnée par
Monseigneur, avant la messe, de son trône pontifical, et à
peine fut-elle terminée que l’organiste, M. Righo, fit entendre
une entrée majestueuse. On put ainsi apprécier tout de suite la
puissance des nouvelles orgues et la beauté du son. […] ».
Nous publions l’article de Olivier Geoffroy apparut en avril 2013 sur le
site http://www.musimem.com/orgues_en_Tunisie.htm. L’auteur remercie
toutes les personnes qui ont apporté leur contribution à la rédaction de cet
article : le P. Silvio Moreno, le P. Sergio Perez, Messieurs Marc
Boulagnon, Jérôme Legrand, Michael Soto, organistes, ainsi que monsieur
François Sabatier, directeur de la revue L’Orgue.
40
119
« C’est de la maison Cavaillé-Coll que sortent les
orgues de la cathédrale de Tunis. Les orgues que nous
possédions auparavant étaient les orgues d’accompagnement
de Versailles, achetées par le Cardinal Lavigerie pour la
cathédrale provisoire de ce temps-là et transportées ensuite
dans la cathédrale actuelle: elles étaient bien inférieures à ce
que les Tunisois veulent avoir dans la principale église de leur
ville:
aussi
des
réclamations
avaient-elles
été
respectueusement adressées, que Mgr Pons avait d’ailleurs
transmises et appuyées, au vénéré Mgr Combes: celui-ci
déclara qu’il ouvrait un crédit de trente mille francs. Dès ce
moment, l’achat de nouvelles orgues était donc une chose
décidée, mais les choses n’allèrent pas aussi vite qu’on aurait
souhaité et il fallut la vigoureuse impulsion de Mgr Lemaître
pour réaliser ce vœu unanime de la population. Il fallut aussi
naturellement augmenter beaucoup les crédits ouverts par Mgr
Combes : les orgues que l’on vient d’inaugurer sont des
Orgues de grande valeur. […] ».
« Vers la communion, on entend un chœur sur le
Psaume 150, composé par M. Righo, notre excellent organiste,
chœur parfaitement exécuté par la maîtrise archiépiscopale. Il
est d’une belle facture régulière et très religieux. On ne peut
que louer à la fois le maestro et ses exécutants, et se réjouir de
ce que peu à peu la maîtrise de Tunis arrivera à être tout à fait
remarquable. Mais Paris ne s’est pas bâti en un jour, et aucune
maîtrise non plus ».
« Comme cela est précisé dans l’article relatant son
inauguration, l’organiste titulaire est alors A. Rigo [nom
parfois orthographié «Righo»] qui avait sans doute
indirectement succédé à Mgr Emile Bayonne (organiste à
partir de 1900 et durant une douzaine d’années) : « […] notre
nouvel organiste, M. Righo. On sait qu’il nous vient d’Asie
Mineure, à la suite des troubles de ce malheureux pays»41.
41
«La Maîtrise» in : La Tunisie Catholique, 1923, p. 267.
120
« Nous apprenons avec plaisir que Monsieur Rigo, le
distingué organiste de la cathédrale de Tunis, et compositeur,
a reçu le Nicham Iftikar : nous lui présentons nos sincères
félicitations »42.
« Un premier relevage fut réalisé en 1947 par le facteur
Renevier de Casablanca. Léonce de Saint-Martin, organiste de
Notre-Dame de Paris, qui joua cet instrument lors d’une
tournée de concerts en Tunisie du 10 au 14 décembre 1952, le
considérait comme l’un des plus beaux d’Afrique. Maurice et
Marie-Madeleine Duruflé se produisirent également en
concert sur cet orgue le 9 décembre 1954 dans des œuvres de
Bach, Buxtehude, Haendel, Couperin, Franck, Widor, Vierne,
Dupré et Duruflé ».
« En mars 1954, une restauration de l’orgue fut réalisée
par la maison Merklin et Kühn de Lyon qui remplaça
notamment 3000 écrous de cuir et plus de 300 soupapes pour
un coût s’élevant à 1 500 000 francs ».
« En novembre 1992, l’organiste Marc Boulagnon, de
passage à Tunis, réalisa un descriptif de l’instrument.
Plusieurs informations contenues dans cet article en sont
extraites. La tribune, très spacieuse, se trouve à 9 mètres du
sol. L’accès se fait par la tour latérale, à droite en entrant, par
un escalier très large ».
« Le buffet se compose de quatre plate-faces ornées de
tuyaux de métal et encadrées de deux tourelles latérales
comportant – fait rare - des tuyaux de bois. Sur la console
indépendante, deux tirants supplémentaires «tacet» sont
ajoutés au niveau des gradins de jeux correspondant au récit et
au pédalier. La transmission est mécanique, tant pour le tirage
des jeux que pour la traction des notes, avec machine Barker
pour le Grand-Orgue et les sommiers sont en chêne43 ».
42
«Distinction méritée» in : La Tunisie catholique, 21 et 28 septembre
1924, p. 673.
43
Voici la composition relevée par Marc Boulagnon en 1992 et qui n’a
guère changé depuis l’origine : Grand – Orgue (56 notes) : Montre 16’,
121
« Dans le cadre des travaux de rénovation de la
cathédrale, l’instrument bénéficia d’une nouvelle restauration
menée en 1994-1995 par Laval-Thivolle et dont le
couronnement fut le concert d’inauguration donné par Louis
Robilliard les 15 et 16 novembre 1995: « Enfin, l’orgue
installé en 1921 [sic] par le célèbre facteur parisien MutinCavaillé-Coll et récemment restauré, fait encore aujourd’hui
de la cathédrale de Tunis un lieu prisé des artistes lyriques du
monde entier comme des catholiques pratiquants de la
région44 ».
« L’orgue est très régulièrement joué durant les
célébrations des messes dominicales et des concerts, en tant
que soliste ou accompagnateur de chœurs et dans l’actualité
c’est le facteur Bernard Cogez, de Tourcoing, qui en assure
l’entretien annuel ».
Une dernière restauration complète des soufflets de
l’orgue a été faite par M. Cogez dans l’été 2017 et le 25
novembre 2017 a été inauguré par un concert de Juan de la
Rubia, organiste titulaire de la basilique de la Sagrada Familia
à Barcelone.
bourdon 16’, montre 8’, bourdon 8’, flûte harmonique 8’, violoncelle 8’,
prestant 4’, quinte 2 2/3, plein-jeu III rgs, bombarde 16’, trompette 8’,
clairon 4’. Positif (56 notes) : Principal 8’, cor de nuit 8’, unda-maris 8’,
flûte douce 4’, nazard 2 2/3’, flageolet 2’, tierce 1 3/5’, clarinette 8’. Récit
expressif (56 notes) : Quintaton 16’, diapason 8’, flûte traversière 8’, viole
de gambe 8’, éoline 8’ (jeu ondulant), flûte octaviante 4’, octavin 2’,
trompette harmonique 8’, basson-hautbois 8’, voix humaine 8’, soprano
harmonique 4’. Pédale (30 marches) : Grosse flûte 16’, soubasse 16’, flûte
ouverte 8’, bourdon 8’, violonbasse 8’, flûte 4’, tuba magna 16’, trompette
8’, clairon 4’. Tir. I, II et III, acc. II/I, III/I en 16’ et 8’, III/II, anches I, III
et péd, trémolo III, appel machine I. Grâce aux emprunts et extension, ce
sont finalement 40 jeux qui sont obtenus à partir des 33 réels.
44
Cf. «La Cathédrale Saint-Vincent-de-Paul» in Saisons tunisiennes, n°4,
novembre 2012, p. 41.
122
11. LA BASILIQUE CHRETIENNE DE
HENCHIR HRIRIA. PLAN ARCHITECTURAL
DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
Dans mes nombreuses promenades pour la Tunisie
ancienne et chrétienne, j’ai trouvé les ruines d’une grande
basilique chrétienne qui a été le plan architectural, le modèle,
de la cathédrale de Tunis.
A 9 kilomètres à l’ouest de Béja, au lieu-dit HenchirRhiria, près de la piste d’Ain Draham, l’ancienne voie romaine
de Vaga à Thabraca (Tabarka), traverse un étroit plateau
qu’occupait à l’époque byzantine une agglomération de
quelque importance, dont une basilique, des citernes et des
restes de constructions diverses attestent encore l’existence45.
Cette agglomération a persisté au moins jusqu’à la fin du VIème
siècle, ainsi que le prouve l’inscription suivante, découverte
au mois d’octobre 1910 près de la basilique : la forme
caractéristique de certaines lettres ainsi que la nature des
formules employées empêchent de la faire remonter à une
époque antérieure :
+AUREA FIDELIS IN PACE BIXIT
ANNOS VIII MNS VIII DP SD
VIII KL IVLIAS INSP M +
Aurea fidelis in pace bixit
annos octo, m(e)n(se)s octo, d(e)p(osita) S(ub) d(ie)
octavo k(a)l(endas) Iulias. In sp(e) (?) m(ortua) (?)
45
Cf. MASSIGLI, René, Notes sur quelques monuments chrétiens de
Tunisie. In : Mélanges d’archéologie et d’histoire, tome 32, 1912, pp. 1826.
123
Du chemin nous pouvons voir parfaitement la
basilique en ruines, envahie par les chardons et les herbes
sauvages ; des débris de toutes sortes s’y sont accumulés
recouvrant en certains endroits le sol primitif ; l’ensemble est
cependant assez bien conservé pour permettre une étude
complète du monument.
Mesurée extérieurement, la basilique a, dans ses plus
grandes dimensions 19m, 13 de long et 22 de large, 14m, 18
et 13. Les murs sont construits avec grand soin en moellons de
petit appareil disposés en assises régulières qu’interrompent
de distance en distance des chaînages de pierres de taille
présentant par endroits sur la façade extérieure des bossages
très accusés ; solidement bâtis et d’une très grande épaisseur,
ils se dressent encore à une hauteur qui dépasse 8 mètres en
certains points.
Trois portes percées dans la façade donnent accès au
quadrutum populi (emplacement des fidèles) au fond duquel
s’ouvre une très belle abside, orientée à l’est. Deux rangées de
trois piliers à chacun desquels un autre correspondait le long
des murs latéraux ou sur la face interne du mur de l’ouest et
que reliaient des arcs, divisaient la salle en trois nefs, la nef
centrale et les bas-côtés : d’un pilier à celui qui lui faisait face
le long du mur, était jeté un arc doubleau. Enfin, pour remédier
à la poussée trop forte qu’auraient exercée sur le mur de façade
les deux rangées d’arcades, deux contreforts, inégaux du reste,
les contrebutaient extérieurement.
Quiconque se rend sur le site, sera immédiatement
frappé de la position qu’occupent les deux sacristies, situées à
droite et à gauche. Sans doute le diaconicum, destinée aux
ministres de l’autel et la prothesis, destinée à recevoir les
offrandes des fidèles. Au lieu d’encadrer l’abside, comme
dans toutes les églises africaines, elles s’ouvrent sur les murs
latéraux. Celle du nord, presque carrée, a deux portes et dont
la plus étroite seule est voûtée. La sacristie sud est plus
curieuse. On y pénètre par une porte dont le linteau est à 2m
au-dessus du niveau actuel ; le mur sud-est étant
124
complètement détruit, sont creusées de niches demicylindriques, et voûtées en cul de four. Selon les archéologues
tant que des fouilles n’auront pas été entreprises sur ce point,
il sera difficile de dire à quelle destination elles répondaient.
Cependant ce qui doit retenir l’attention, c’est la position
même des sacristies. En effet, à mon avis, les chapelles
latérales de la cathédrale de Tunis (aujourd’hui du SaintSacrement et du Sacré-Cœur) réalisent parfaitement l’idée de
ces deux sacristies de l’ancienne basilique. Paul Monceaux a
fait remarquer que cette position est «exceptionnelle dans
l’architecture du pays » et que le transept ainsi dessiné est une
anomalie en Afrique46. En effet, affirme M. Massigli, pareille
position du diaconicum, et de la prothesis est sans exemple en
Afrique et que c’est en Orient, en Syrie ou en Asie Mineure,
que nous la retrouvons : Henchir-Rhiria rappelle de très près
Kalat Sem’an et Daoulé. Nouvel exemple des rapports étroits
qui unissent l’architecture africaine à l’architecture orientale.
Cependant dans cette humble basilique, un autre détail
attire encore l’attention. La présence d’un transept47 dans une
église byzantine d’Afrique est assurément un fait curieux. Les
archéologues affirment très justement que les monuments
chrétiens de l’Afrique du Nord ressemblent beaucoup plus à
ceux de la Syrie et de l’Egypte qu’à ceux de Rome où l’on
trouve des transepts. Or, M. Massigli s’interroge : devonsnous admettre à cette théorie des corrections et que, dans
certains cas, une influence romaine directe, a pu s’exercer ? Il
répond négativement, en effet les recherches archéologiques
et les différentes publications ont mises en lumière, parmi
leurs plus importants résultats, celui de faire connaître
l’existence en Asie Mineure d’églises à transepts : Sagalassos
46
Cf. MONCEAUX, Paul, Bulle de la Société des Antiquaires, 1908, p.
174-176.
47
Un transept se définit essentiellement : « un vaisseau central placé devant
l’abside et de même hauteur que la nef centrale du quadratum ».
Exactement comme nous le voyons à la cathédrale de Tunis.
125
(première ville antique de la Pisidie, Turquie), Gul-Bagtché
(Turquie). Une origine orientale est donc ici encore très
vraisemblable.
126
12. LA CROIX DES CHANOINES
DU CHAPITRE DE LA CATHEDRALE
DE CARTHAGE ET DE TUNIS
Ce thème, issu d’un dialogue avec Jean-Christophe
Palthey, déjà cité par rapport au reliquaire de saint Louis,
touche indirectement la cathédrale de Tunis. Mais il me
semble un complément historique important pour comprendre
l’existence et la valeur des deux cathédrales en même temps :
Carthage et Tunis.
Puisque j’ai voulu laisser toute la discussion en entier,
veuillez excuser la répétition de quelques éléments historiques
déjà cités dans les pages précédentes.
Révérend Père Silvio,
Passionné d’histoire, je suis spécialiste de l’histoire
des ordres de chevalerie et de leurs marques d’honneur, la
« phaléristique ». …Je travaille actuellement avec le Dr.
Bernard Berthod, conservateur du Musée de Fourvière à Lyon
à un catalogue qui retracerait l’histoire de ces croix en
France et en Afrique du Nord. Ainsi les chanoines de Carthage
portaient-ils une croix obtenue par Mgr Lavigerie. Auriezvous quelques éléments sur celle-ci ? Savez-vous s’il existe
plusieurs modèles de cette croix ?
Jean-Christophe Palthey
Cher ami,
La réponse sur la croix du chapitre de la cathédrale de
Carthage d’époque moderne se relie comme je l’avais imaginé
à l’ancienne époque de Carthage.
Le Cardinal Lavigerie avait à cœur le fait de redonner
à Carthage sa splendeur première en faisant valoir à juste titre
127
la primauté de l’évêque de Carthage héritage reçu du grand
évêque saint Cyprien.
Sur la colline de Byrsa, à Carthage, là même où Didon,
adoratrice de Baal et de Tanit, découpa une peau de bœuf en
fines lanières pour délimiter l’étendue de Kart-Hadasch, là
même où s’élevait le temple de Eschmoun et le Capitole
Romain, le Cardinal conçut le projet dès 1882 d’édifier une
cathédrale en l’honneur de saint Louis et de saint Cyprien,
symbole de la résurrection glorieuse de l’antique et toujours
belle Eglise de Carthage. Les plans du monument furent
dessinés par l’abbé Pougnet, architecte diocésain, auteur
également des plans de la cathédrale saint Vincent de Paul à
Marseille. La première pierre provenant de la basilique de
saint Cyprien au bord de la mer, fut posée le 11 mai 1884 et la
consécration eut lieu le 27 août 1894.
Immédiatement après la pose de la première pierre, le
4 novembre 1884 le souverain pontife Léon XIII avec sa lettre
apostolique Materna Ecclesiae Caritas, De sede
archiepiscopali Carthaginiensi restituenda, supprime
l’administration apostolique de Tunis et restitue à Carthage la
dignité d’archidiocèse :
« Donc, après avoir considéré avec soin ce que
Nous venons de rappeler, et après avoir pesé chaque
chose à sa valeur, et aussi réclamé l’avis de la Sacrée
Congrégation chargée de la propagande du nom
chrétien, pour le bonheur de la société chrétienne, et
surtout pour le salut et l’honneur des Africains, Nous
rétablissons, par l’autorité de ces lettres, le siège
archiépiscopal de Carthage. En conséquence, Nous
ordonnons que les… temples, oratoires, pieux
établissements, et avec tous leurs habitants catholiques
de l’un et de l’autre sexe, passent de la puissance du
vicaire apostolique de la Tunisie sous celle de
128
l’archevêque de Carthage, et lui obéissent à
l’avenir»48.
Dans cette lettre apostolique le Pape Léon XIII affirme
avoir pris cette décision par la considération de la grandeur de
la vie chrétienne à Carthage aux premiers siècles (pères de
l’Eglise, martyrs, etc.). Il fonde aussi son argument sur la bulle
de Léon IX qui confirma le 17 décembre 1053 aux évêques
Thomas et Jean, la primauté de l’évêque de Carthage49. Léon
XIII écrit :
« Que Carthage ait présidé aux débuts de
l’Eglise africaine, personne n’en doute. Les évêques de
cette ville ont acquis de bonne heure une puissance qui
primait celle des autres, et l’Eglise même de Carthage,
comme on le voit dans saint Augustin, est appelée la
tête de l’Afrique. En effet, telle était l’autorité des
Pontifes carthaginois en Afrique, qu’ils connaissaient
d’ordinaire des causes des Églises ; ils donnaient aussi
des réponses aux évêques, envoyaient des légats au
prince, ordonnaient les conciles de toutes les
provinces. Sur ce sujet, le témoignage de Notre
prédécesseur saint Léon IX est très honorable et très
grave ; on lui demanda son avis sur le droit de
l’archevêché de Carthage, et il répondit à l’évêque
Thomas en ces termes : « Sans doute, après le Pontife
romain, le premier archevêque et le métropolitain
suprême de toute l’Afrique est l’évêque de Carthage :
et il ne peut perdre, au profit d’aucun évêque en toute
l’Afrique, le privilège une fois concédé par le Saint48
Cf. LEON XIII, Materna Ecclesiae Caritas. Version latin-français
http://www.liberius.net/livres/Lettres_apostoliques_de_S._S._Leon_XIII_
(tome_2)_000000828.pdf
49
Cf. MUNIER, Charles, Le Pape Léon IX et « l’archevêque de Carthage»
(JL 4304 et 4305). In : Revue des Sciences Religieuses, tome 76, fascicule
4, 2002. pp. 447-466.
129
Siège Apostolique et Romain ; mais il le gardera
jusqu’à la fin des siècles et tant qu’on y invoquera le
nom de Notre-Seigneur Jésus-Christ, soit que Carthage
gise abandonnée, soit qu’un jour elle revive en sa
gloire ». Cela est clairement démontré par le concile du
bienheureux martyr Cyprien, par les synodes
d’Aurélius, par tous les conciles africains : et, ce qui
est plus important encore, par les décrets de Nos
vénérables prédécesseurs, les Pontifes Romains».
Pour cela, le Cardinal Lavigerie lors de la construction
de la cathédrale fit peindre au-dessus de galeries l’inscription
mémorable de saint Léon IX en latin : « Sine dubio post
romanum pontificem primus archiepiscopus et totius africae
maximus metropolitanus est carthaginensis episcopus, sed
obtinebit illud usque in finem soeculi et donec invocabitur in
ea nomen Domini Nostri Iesu Christi, sive deserta jaceat
Carthago, sive resurgat gloriosa aliquando ».
Finalement, Léon XIII dans sa lettre apostolique
demande à l’archevêque de Carthage entre autres choses, celle
de constituer le plutôt possible un chapitre de la cathédrale :
«…Qu’il établisse, le plus tôt possible, un chapitre de
chanoines métropolitains, suivant les prescriptions des lois
ecclésiastiques. — Que l’un des chanoines soit le premier
dans le chapitre, et soit honoré de la dignité d’archidiacre ;
que deux autres soient canoniquement élus pour remplir
l’office, l’un de théologal, l’autre de pénitencier... ». Ainsi le
Cardinal avec décret du 9 août 1885 établi un chapitre de la
cathédrale avec son propre règlement disciplinaire, confirmé
définitivement par Léon XIII avec décret de constitution le 14
août 1888.
Or, dans les insignes des chanoines du chapitre,
particulièrement dans la croix pensée par le Cardinal Lavigerie
lui-même, il résuma à pérenne mémoire toute l’histoire que
nous avons exposée ci-dessus. Ainsi au titre troisième du
130
règlement disciplinaire (1885) des chanoines du chapitre de la
cathédrale de Carthage, nous lisons :
« De l’habit de chœur et des insignes des
chanoines de Carthage.
Article 20 – L’habit de chœur des chanoines de
Carthage pour les affaires ordinaires, sera le suivant :
une soutane violette avec rochet brodé et camail en
soie de la même couleur que la soutane. Sur le camail,
ils porteront une croix d’or émaillée, à huit points, avec
un médaillon double portant d’un côté l’image de saint
Cyprien, et de l’autre ces paroles du Pape saint Léon
IX : « Primus post Romanum Pontificem
Archiepiscopus
maximus
totius
Africae
Metropolitanus ». Autour du médaillon sera gravé
d’une part : « Leo P.P. Decimus Tertius instituit », et
de l’autre part : « Karolus Cardinalis Lavigerie
impretavit »50.
Le 20 octobre 1915 Mgr Clément Combes, successeur
de Lavigerie, supprime le chapitre de la cathédrale, mais
immédiatement a été créé un nouveau avec les mêmes habits
et insignes du chapitre précédent51.
Providentiellement nous avons pu trouver un
exemplaire de la croix du chapitre de la cathédrale de
Carthage. D’après mes connaissances c’est l’unique
exemplaire qui existe actuellement à Tunis. Cette croix a été
inspirée à Monseigneur Lavigerie par celle du Chapitre de
Nancy52 qu’il avait recrée, elle-même inspirée de la croix
Cf. Archives de l’Archidiocèse de Tunisie : section chapitre de la
Cathédrale de Carthage.
51
Cf. Ibid.
52
Revers de la croix de chapitre des chanoines de Nancy demandée par
l'évêque Menjaud et octroyée le 28 mars 1857, en vermeil et émail, 61 x
73 mm de diamètre, fabrication de l’orfèvre Daubrée à Nancy, France, 2e
moitié du XIXème siècle.
50
131
octroyée au XVIIIème siècle par Stanislas roi de Pologne et duc
de Lorraine aux chanoines de Nancy. Le Cardinal Lavigerie
fut évêque de Nancy et le plus jeune de France, en 1863.
2. Comment expliquez-vous la suppression du chapitre
par Mgr Combes le 20 octobre 1915 et la création d’un
nouveau, serait-ce lié au transfert du chapitre de Carthage
vers la cathédrale de Tunis ?
Réponse : Le chapitre de la cathédrale de Carthage n’a
jamais était déplacé. La suppression du chapitre était due tout
simplement à une réorganisation. En effet la lettre de Mgr
Combes au clergé de son Diocèse a comme titre :
« Réorganisation du chapitre primatial de Carthage ». Puis il
écrit :
« ... Le diocèse de Carthage ayant, par la grâce
de Dieu, pris un développement considérable durant
ces vingt dernières années, l’organisation et le
fonctionnement du chapitre de l’église primatiale, tels
qu’ils résultent des actes et conventions antérieures, ne
semble plus répondre aux besoins actuels de cette
132
église. Il nous a donc paru très désirable de procéder à
de nouveaux arrangements, qui permettent de donner à
ce chapitre insigne un statut mieux en harmonie avec
le droit commun et plus en rapport avec la situation du
diocèse ».
Et dans le décret d’institution du 20 octobre 1915 à
l’article II, Benoit XV écrit : « Un nouveau chapitre est
institué dans la Primatiale de Carthage qui sera composé
d’un archidiacre et de sept chanoines ». Donc il fait référence
clairement que le chapitre est celui de la Primatiale de
Carthage (la cathédrale), à Carthage.
Dans l’article IV du même décret, il affirme que
« l’habit de chœur et les insignes des chanoines seront les
mêmes que ceux qui sont indiqués dans l’ordonnance du 9
août 1885 c’est-à-dire... ». Il décrit ensuite l’habit et la croix
des chanoines, tel que l’avait fait Lavigerie.
3. Cette idée soulève pour moi une tout autre question :
pendant la période du protectorat comment se
« répartissaient » les rôles entre la cathédrale de Carthage et
celle de Tunis ? D’ailleurs portaient-elles toutes deux le titre
de cathédrale ?
Réponse : Pour bien comprendre la question des deux
cathédrales et leur fonction il faut revenir à octobre 1881.
C’est à ce moment que Mgr Lavigerie arrive à Tunis pour
succéder à Mgr Fidele Sutter, capucin italien, âgé de 84 ans.
En 1881 il n’y avait pas de diocèse, mais seulement un vicariat
apostolique de la Tunisie. On comptait 40.000 italiens, alors
que les français n’étaient que 700. Mgr Sutter n’avait donc pas
de cathédrale. Il célébrait à l’église de sainte Croix, dans la
Medina de Tunis, qui appartenait aux capucins. Mais le
nombre de français augmente et Mgr Lavigerie pense à la
construction d’une nouvelle église à Tunis qui lui servirait de
cathédrale.
133
À l’occasion de la fête de Noël 1881, il répète : « La
ville européenne s’étend avec ses habitants nouveaux. Les
distances deviennent difficiles à franchir. Aussi, pour une telle
agglomération de chrétiens, une seule paroisse est-elle
insuffisante ». Le 27 novembre 1881, il entreprend la
construction d’une cathédrale provisoire, qui est inaugurée le
dimanche 2 avril 1882.
Au consistoire du 10 Novembre 1884, Léon XIII
déclare dans une allocution aux cardinaux : « Nous avons cru
le moment venu de rendre à Carthage, par notre autorité,
l’honneur de son siège archiépiscopal ».
Dans la lettre qui porte la nouvelle à son peuple, le
Cardinal Lavigerie déclare : « L’Église métropolitaine sera
provisoirement celle de saint Louis (derrière l’actuelle
basilique de Carthage, mais aujourd’hui détruite
complétement), en attendant la construction de la Basilique de
Carthage, déjà commencée. Mais l’Église saint Vincent de
Paul de Tunis reste à la disposition des Archevêques pour la
célébration des offices pontificaux dans cette ville ».
Donc la cathédrale de Tunis reste pour ainsi dire une
cathédrale auxiliaire ou pro-cathédrale, devenant Carthage le
siège primatial et principal de l’archidiocèse. Il décide
également à la fin de sa vie (1890) faire la construction de
l’actuelle cathédrale de Tunis. Cela faisait partie de son projet
original.
L’archevêque normalement prenait possession des
deux cathédrales : Carthage d’abord et puis celle de Tunis.
Après l’indépendance de la Tunisie, la cathédrale de
Carthage est supprimée ainsi que son chapitre. Donc la
cathédrale de Tunis est laissée comme paroisse-cathédrale par
le modus vivendi et l’archidiocèse de Carthage est réduit à
‘Prélature de Tunis’. En 2005 la Prélature est élevée au rang
du diocèse de Tunis et en 2010 au rang d’archidiocèse.
134
13. LE LANGAGE SYMBOLIQUE
DE LA CATHEDRALE DE TUNIS
Un jour que le poète allemand Henri Heine
contemplait, avec ravissement, la magnifique cathédrale de
Cologne, il lui échappa des lèvres cette phrase qui a été
beaucoup répétée depuis : « Les anciens pouvaient bâtir, parce
qu’ils avaient des dogmes, mais nous, nous n’avons que des
opinions, avec lesquelles on ne peut pas bâtir…on ne bâtit pas
des cathédrales avec des opinions ».
En effet la cathédrale de Tunis est bâtie sur une pierre
solide : la foi chrétienne. La construction d’une cathédrale est
un art sacré. Et une cathédrale solide est toujours vivante. Il
s’y passe des choses qui, pour le non averti, demeurent
totalement inaperçues. Elle est la représentation de la colline
sacrée du mystère de la Rédemption, du calvaire. Elle doit être
ouverte à tous car c’est un endroit de prière et de spiritualité.
Mais pour bien comprendre une cathédrale, et dans notre cas
la cathédrale de Tunis, il faut savoir lire et découvrir sa
symbolique53.
La cathédrale de Tunis a la forme d’une croix latine.
Elle est construite, sur trois niveaux : la Crypte puis le sol et
les colonnes et enfin la voûte. L’Autel est le cœur de l’église
et il doit être toujours fixe et en pierre. Il représente ainsi la
table du sacrifice où le Christ pierre angulaire, victime et
prêtre au même temps est immolé pour le salut de tous.
Tout ce qui concerne la décoration de la cathédrale
(tableaux, statués, vitraux, mosaïques, etc.) révèle un
enseignement religieux qui permet à l’homme de se
53
Cf. SCHWARZ, Felix, Symbolique des cathédrales, Paris, 2003 ;
FEUILLET, Michel, Lexique des symboles chrétiens ; collection Que saisje ? PUF, 2004. Vocabulaire de théologie biblique ; MORENO, Silvio,
Symboles eucharistiques de Carthage, Tunis, 2016.
135
perfectionner intérieurement jusqu’à s’élever sur un plan
supérieur, sacré. C’est une catéchèse vivante !
La symbolique de la cathédrale est inspirée donc par la
spiritualité chrétienne. Autrement, elle perd toute sa valeur et
ne devient qu’une simple œuvre architecturale. La cathédrale
est une invitation à découvrir le sens caché de la réalité de
l’homme sur terre, en adoptant une attitude intérieure, ouverte,
contemplative. La cathédrale est un outil extraordinaire pour
aider l’homme dans sa quête de la Vérité et de spiritualité.
Le langage symbolique et les églises
Les symboles sont présents dans les édifices religieux
depuis l’antiquité. Les églises chrétiennes recèlent dans leur
plan, leur construction, leur ornementation quantité de
symboles. Nombre d’entre eux trouvent leur origine dans
l’antiquité. Ainsi visiter une église et en comprendre la
structure implique de connaître les bases qui ont présidé à sa
construction ainsi que la signification de certaines
représentations.
Au-delà de ces généralités la symbolique est
certainement présente dans de nombreux points de la
construction ou du décor de la cathédrale de Tunis.
Le bâtiment porteur de sens
L’édifice est lui-même un symbole. Le clocher et sa
hauteur est déjà significatif. Il signifie qu’en cet endroit, au
cœur de la ville et du quartier musulman, se trouve la maison
des chrétiens. Ses cloches, bien que silencieuses aujourd’hui,
rappellent les devoirs religieux (par exemple l’angélus,
l’annonce de l’office dominical, etc.). Le portail ouvre
symboliquement pour les chrétiens la voie qui conduit au salut
éternel. Les voûtes représentent la voûte céleste ; les murs
portent un décor qui se veut enseignement ; la nef est le
vaisseau qui protège l’homme durant son pèlerinage à l’image
du navire qui protège les voyageurs des intempéries. C’est la
136
barque de l’évangile. Le mobilier liturgique est toujours
porteur de sens : l’autel rappelle la dernière cène et le Christ
lui-même, la chaire et l’ambon sont le lieu de proclamation de
la Parole de Dieu, les fonts baptismaux : l’eau de la Vie
éternelle, etc.
a. Symboles géométriques : Pour comprendre les
symboles géométriques de la cathédrale de Tunis, il faut se
placer dans le contexte de l’époque des premières églises : au
Moyen Âge les moyens de mesure et de tracé n’étaient pas
ceux d’aujourd’hui. Les bâtisseurs d’alors disposaient d’outils
très simples et les tracés sont réalisés avec un cordeau et
consistent essentiellement en carrés, cercles et triangles.
Le cercle : lors de la construction d’une église le
maître d’œuvre commence par tracer un cercle qui délimite le
premier espace de construction : l’espace entre le chœur et la
nef. Ce cercle est appelé cercle primitif. En son centre le
maître plante un bâton dont l’ombre, projetée au soleil levant,
définit l’orientation de l’édifice : l’axe est-ouest. À midi
l’ombre projetée indique la direction du nord. On dit qu’une
église est orientée c’est-à-dire axée vers l’orient et non vers
Jérusalem54. Le cercle est une figure géométrique parfaite,
dessiné d’un seul trait, il n’a pas de commencement ni de fin.
Il représente la totalité, l’unité, il est figure de l’incréé,
symbole de Dieu55. Devant l’autel majeur et en dessous de la
grande coupole de notre cathédrale vous noterez le cercle
primitif.
L’octogone : C’est une figure géométrique à huit
côtés. « Octo » signifie étymologiquement « sept plus un».
Dans le livre de la genèse (premier livre de la Bible) le
huitième jour succède aux six jours de la Création et au
septième, jour où Dieu se repose. Le Christ est ressuscité le
huitième jour. Huit est donc le symbole de la résurrection.
54
Cette pratique tombe en désuétude après le Concile de Trente, certaines
églises peuvent ne pas être orientées.
55
Certaines églises sont construites sur un plan circulaire.
137
L’octogone dans la construction d’une cathédrale constitue un
lien entre le monde matériel et le monde spirituel. La figure de
l’octogone matérialise le signe de la résurrection, de la vie
nouvelle, de la renaissance par le baptême. Cela explique la
forme octogonale de nombreux baptistères ou de fonts
baptismaux dont celui de notre cathédrale.
Le triangle : Le triangle représente la sainte Trinité.
Dans l’art sculptural il est souvent représenté avec trois
faisceaux de lumière et assez souvent il porte un œil en son
centre, regard omniprésent, symbole de la connaissance
divine. Ce symbole nous le trouvons tout particulièrement
dans la cathédrale de Tunis dans la porte d’entrée derrière
l’autel majeur.
b. Symbolique des nombres : La symbolique des
chiffres dans notre cathédrale, comme d’ailleurs pour les
anciennes églises africaines, trouve son origine dans l’Orient
ancien qui aimait la symbolique des nombres. La Bible ellemême confère à certains chiffres des emplois symboliques
mais n’accorde à aucun un caractère sacré. Les chiffres ont
pour fonction de donner du sens56. Ainsi par exemple :
Le nombre 3 représente pour les chrétiens la Trinité ;
elle est représentée par : un triangle équilatéral ; trois cercles
entrecroisés ; le trèfle ;… saint-Patrick a évangélisé l’Irlande
et il a notamment enseigné à ce peuple celte le mystère de la
sainte Trinité en utilisant le symbole du trèfle. Plus largement
il signifie aussi les trois vertus théologales (Foi, Espérance,
Charité). Dans notre cathédrale la nef et les deux bas-côtés
forment trois espaces. Un portail central et deux portails
latéraux en façade annoncent la nef et les collatéraux. En
élévation on retrouve trois niveaux : crypte, grande arcade et
fenêtres hautes (vitraux).
Le nombre 4 représente la terre, les quatre points
cardinaux, les quatre saisons ainsi que les quatre vertus
Cf. BROSSIER, François, professeur à l’Institut catholique de Paris, in
Journal La Croix le 7 janvier 2012.
56
138
cardinales (Prudence, Force, Justice et Tempérance). La
cathédrale même en forme de croix latine est composée de
quatre branches.
Le nombre 7 suggère un nombre assez considérable, il
est le nombre parfait. Il est récurent dans l’Ancien Testament
de la Bible : les sept jours de la création, le chandelier à sept
branches, l’année jubilaire « Tu compteras sept semaines
d’années, sept fois sept ans … ». Pierre doit « pardonner 77
fois 7 fois ». Il caractérise surtout le septième jour de la
semaine jour du sabbat, jour saint par excellence.
Normalement dans la liturgie il est permis de mettre à l’autel
majeur 6 chandeliers avec la croix au centre.
Le nombre 12 (3x4) est à rapprocher du nombre 7
(4+3) chacun est le produit ou la somme de 4 et 3. Douze
correspond à des réalités terrestres selon une ascendance
divine (3). C’est le nombre des heures, des mois, des tribus
d’Israël. Dans l’Apocalypse on trouve les 12 gemmes. Les
apôtres de Jésus-Christ sont douze. Ainsi on trouvera
fréquemment dans nos églises des ensembles de douze
colonnes soit autour du chœur soit pour la nef centrale comme
par exemple dans la cathédrale de Tunis.
c. La faune et flore de la cathédrale : Dans les
écritures il est fréquent de trouver de références à la nature,
psaumes et autres textes en sont riches ; les éléments sont
objets d’enseignement : … Tu marcheras sur la vipère et le
scorpion, tu écraseras le lion et le Dragon (Ps 90). … Je suis
pareil au pélican du désert comme le hibou sur ses ruines (Ps
102). Le Christ, dans ses discours, utilise souvent l’image
d’animaux : moineaux (Math 10, 29) serpent, (Math. 10, 6)
colombe (Math. 10, 16) brebis … ou de végétaux : vigne,
sarments.
On les retrouve dans différentes représentations
picturales ou dans la statuaire. L’art roman est probablement
le plus riche en reproductions animalières. En Afrique du Nord
c’est surtout une caractéristique de l’époque byzantine. Dans
les intrados de l’abside de la cathédrale de Tunis nous pouvons
139
apprécier beaucoup de bas-reliefs avec ce type de
reproductions. Ils représentent les symboles eucharistiques du
IVème au VIème siècle, retrouvés lors des excavations
archéologiques à Carthage. Chacun a une signification
symbolique :
L’aigle : il est le roi des oiseaux, il vole très haut
«jusqu’au firmament» il rappelle l’ascension du Christ.
L’agneau : il est le symbole de l’innocence. JeanBaptiste dit de Jésus : Voici l’agneau qui enlève le péché du
monde. L’agneau est souvent représenté de profil tenant une
croix ou une bannière avec la croix.
Le paon : selon la croyance populaire sa chair est
incorruptible il est ainsi le symbole de la vie éternelle
(immortalité).
Les poissons : est employé par les premiers chrétiens
pour désigner l’image du Christ, poisson en grec se dit
ICHTUS et représente la première lettre de : Iesus Kristos
Theou Yios Soster - Jésus Christ Fils de Dieu, Sauveur.
La colombe : symbolise la paix en rappel du rameau
apporté dans l’arche à Noé. Par sa blancheur elle est signe de
pureté et représente l’âme humaine en grâce de Dieu. Dans le
symbolisme chrétien elle représente aussi le Saint-Esprit :
Comme il priait, le ciel s’ouvrit et l’Esprit Saint descendit sous
une forme visible comme une colombe (Luc 3, 22).
Le pélican : Il a la réputation de nourrir ses petits avec
ses entrailles alors qu’il régurgite les aliments péchés et
stockés dans son bec. Il est devenu le symbole du sacrifice du
Christ pour l’humanité.
Le lion : Il a pris la place de l’ours comme roi des
animaux au XIIème siècle. Il est le symbole de la puissance.
Dans l’Ancien Testament de la Bible la tribu la plus puissante
est celle de Juda ; on cite le Lion de Juda. Le lion ailé est
l’attribut de l’apôtre saint Marc. Il cite au début de son
évangile Isaïe (40, 3) : une voix crie dans le désert.
Le cerf : au Moyen Âge le cerf est considéré comme
symbole de résurrection. Il est considéré comme un animal
140
vertueux. Le psaume 41 illumine sa figure : Comme un cerf
altéré cherche l’eau vive, ainsi mon âme te cherche toi, mon
Dieu.
Croix de consécration de la cathédrale. Enfin, on
peut voir sur les piliers, dans les murs de la cathédrale de
Tunis, de petites croix peintes : ce sont les croix de la
consécration de la cathédrale. Il ne faut pas les confondre avec
le chemin de croix. Elles nous rappellent que l’édifice a été
dédicacé, c’est-à-dire consacré. Lorsque l’on fête la dédicace
d’une église, on fête sa consécration ou, en d’autres termes, le
baptême de l’église. Ce jour correspond souvent à la fête du
village : la ducasse, nom qui vient de dédicace. Ces croix sont
normalement au nombre de douze. Elles sont peintes ou
gravées sur les piliers de la nef et du chœur ou les murs s’il
n’existe pas de piliers. Le jour de la dédicace l’évêque, car ce
n’est que lui qui a autorité pour consacrer une église, a tracé
une onction avec le saint chrême sur chacune des croix. Ce
cérémonial rend « apte l’édifice à servir pour le culte, c’est-àdire à rendre visible le mystère de l’Eglise : l’assemblée des
Pierres vivantes ». Douze croix pour symboliser les douze
apôtres.
141
CONCLUSION
Un lieu de culte, présence de Dieu, accessible à tous
Comme dans toutes les églises catholiques, la vie
religieuse au sein de la cathédrale de Tunis est centrée, chaque
jour, par la célébration de la messe. La messe est dite tous les
jours en français, le dimanche a lieu une messe en italien et les
deuxièmes et troisièmes samedis du mois elle est dite
respectivement en espagnol et arabe. Au cours de l’année, des
moments liturgiques jalonnent, également, cette vie religieuse.
Parmi ces derniers, on peut citer : le temps de l’Avent,
précédant la fête de Noël, le temps de Carême, correspondant
aux périodes de jeûne et d’abstinence des chrétiens, ainsi que
le temps de Pâques, de Pentecôte, la fête Dieu et la fête
patronale qui ouvre et conclue l’année pastorale de la
cathédrale.
Si la cathédrale de Tunis est le lieu principal du culte
catholique de toute la Tunisie (car elle est la mater ecclésiae –
mère des églises- du diocèse), elle n’est pas pour autant fermée
aux individus ayant d’autres croyances. On ne peut que
souligner l’accessibilité de ce temple chrétien à tous les
visiteurs quelles que soient leurs origines et confessions.
Ainsi, quiconque peut entrer et découvrir, à son aise, ses
caractéristiques et sa religiosité et voir en quelque sorte un
monde diffèrent.
En effet, encore aujourd’hui, pour chaque visiteur,
l’atmosphère et le calme de la cathédrale de Tunis contraste
singulièrement avec le monde extérieur de l’avenue HabibBourguiba. La vie moderne et ses bruits semblent étrangers à
un édifice qui n’est pas perçu comme démodé mais plutôt
intemporel. Ainsi tout comme à ses débuts, la cathédrale
143
continue de répondre à sa double fonction : matérielle et
spirituelle. Matérielle en tant que construction solide et
protectrice, spirituelle en sa qualité de médiatrice entre le
visible et l’invisible, entre Dieu et les hommes.
La lecture correcte de la cathédrale de Tunis suppose
donc la connaissance d’un langage historique et religieux qui
ne s’improvise pas. Ces pages ont voulu justement accomplir
cette mission. Malheureusement il y a souvent des lectures
rapides et trop incomplètes. Prouesse technique ? Symbole
émouvant d’une foi transcendante ? Lieu d’histoire ? Lieu de
mémoire ? Lieu de prières ? Lieu de régénération ? Notre
cathédrale est tout cela et bien plus encore car au-delà du
peuple chrétien, premier destinataire, la cathédrale interpelle
l’ensemble des visiteurs de la Tunisie et d’ailleurs. Avec elle
et en elle se trouve résumée l’ultime étape de la destinée
humaine : la comparution devant l’Eternel.
La cathédrale de Tunis parle aux hommes par les
symboles qui ornent la majesté et la simplicité de son
architecture. Certes, elle reflète le savoir des hommes qui se
sont associés pour la construire, mais elle se veut aussi et
surtout témoignage et enseignement, illustration d’un ordre
voulu par Dieu dans l’univers. Dans cette cathédrale
catholique, comme d’ailleurs dans toutes les églises, l’homme
est petit et se retrouve en face du mystère central de la foi
chrétienne : Dieu fait homme, Jésus-Christ, qui a donné sa vie
pour sauver les hommes.
144
S’est achevé d’imprimer le 8 janvier 2018
Solennité du Bapteme du Seigneur