De l’onocentaure.
Étude de mythologie comparée
Bertrand Châtelain
chatibeb@aol.fr
Châtelain B. 2011. – De l’onocentaure. Étude de mythologie comparée. Anthropozoologica 46.2 : 51-61.
MOTS CLÉS
anthropozoologie
âne
cheval
mulet
hybridation
rapt
mythologie grecque
la Bible.
La présente analyse se propose d’étudier et de comparer deux mythes issus de milieux culturels diférents et dont le tissu narratif n’ofre que peu de points de convergence au premier
abord : le mythe de Pélops et Hippodamie dans le monde grec et celui de Sichem et Dina
dans le livre 34 de la Genèse.
Les hypothèses d’ordre anthropologique et zootechnique seront étayées par les paradigmes
associant la structure du récit, les connaissances éthologiques et la lexicologie. La subtile
anthropomorphisation des équidés dans ces deux versions autorise une lecture à plus hault
sens à même de dévoiler, dans l’imaginaire mythologique, les liens féconds entre le monde
des hommes et celui des animaux.
Nous aborderons de ce fait les problèmes zoologiques, liés à la revitalisation des espèces domestiques (retrempage) et à l’hybridation, dans une perspective de transposition à l’échelle
humaine où les alliances matrimoniales (exogamie) et les enfants légitimes, dans un environnement agonistique et marchand, étaient vécus comme autant de maux nécessaires à ce
que l’on a coutume de nommer le « développement culturel ».
KeywOrDS
anthropozoology
donkey
horse
mule
hybridization
abduction
greek mythology
the Bible.
ABSTRACT
he Onocentaur: A comparative study in mythology
he following analysis is meant to study and compare two myths belonging to diferent
cultural backgrounds, namely Pelops and Hippodomeia in Ancient Greece and Sichem and
Dina in Genesis, book 34. Initially, the narrative patterns of these myths seem to have very
little in common.
he hypotheses, based on research in anthropology and zootechnics, will be supported by
paradigms associating both narrative pattern and knowledge of ethology and lexicology.
he subtle anthropomorphization of the Equidae in those two versions allows an interpretation liable to reveal, in the imaginative world of myths, the fertile links between the
animal world and that of Man.
hus, we will tackle zoological problems in connection with the regeneration of domestic
species (crossbreeding ) and hybridization, in order to apply them to human beings, whose
marriages ( exogamy) and legitimate ofspring in an agonistic and commercial environment, were considered as necessary evils to what we commonly refer to as “cultural development”.
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46.2. © Publications Scientiiques du Muséum national d’Histoire naturelle, Paris.
Châtelain B.
Nous allons tenter dans cette brève analyse de
comparer structurellement deux mythes géographiquement et culturellement éloignés et qui, a
priori, présentent des situations assez diférentes
: celui de Pélops et Hippodamie dans le monde
grec1 et celui de Sichem et Dina (Gn 34. 1-31)
dans la culture hébraïque. Ces mythes, qui
abordent le thème de l’exogamie, et l’hubris
qui l’accompagne, le rapt d’une jeune femme,
même si cette notion est moins visible dans le
mythe grec, semblent également traiter du problème lié à l’hybridation des équidés dans les
cultures indo-européennes et sémitiques et se
prêter à une lecture anthropozoologique.
NarratioN
Si le livre 34 de la Genèse ne soufre d’aucune
autre version qui complexiierait la tâche entreprise, il en va autrement du mythe grec qui propose des textes quelque peu diférents selon les
auteurs. Nous essaierons donc d’être aussi précis que possible dans les versions grecques du
mythe de Pelops et Hippodamie tout en préservant une lecture luide aux lecteurs. La trame
générale du mythe grec, qui ne difère pas réellement d’un auteur à l’autre, est la suivante :
Le roi d’Elide, Œnomaos, déie tous les prétendants
de sa ille Hippodamie dans une course de char. Au
prétendant vainqueur, la main d’Hippodamie et la
mort du roi, au vaincu, une mort par décapitation.
Ain de s’assurer une victoire certaine, outre ses merveilleux chevaux, dons d’Arès, Œnomaos utilisait sa
ille qu’il plaçait sur le char de son concurrent pour
le distraire. Grâce à ses chevaux divins et à ce stratagème, le roi accumulait les victoires autant que
les crânes des aspirants jusqu’au jour où Pélops et
son cocher Killas se présentèrent en Elide. À l’aide
d’une ruse fomentée par le cocher du roi, Murtilos,
qui avait retiré, ou changé en cire, les clavettes des
essieux du char royal, Pélops remporte la course et
prend Hippodamie pour femme.
1. Voir pour l’essentiel héopompe, F.G.H., II, 2, n° 115 ; Pausanias, V, 1.6-8, 10.6-8, 17.7 ; Pindare 2003, Olympiques, 1.109
sq ; Strabon, Géographie, 13.1.63.
52
Dans le livre 34 de la Genèse, c’est la ille de Jacob,
Dina, qui est enlevée par Sichem, ils du roi de la
ville de Sichem, Hamor le Hivvite. Après avoir acquis une parcelle de champ de la main des ils de Hamor, Jacob plante sa tente près de la ville de Sichem
et y érige un autel. Dina, qui était sortie pour voir
les illes du pays, se fait alors enlever par Sichem. Ce
n’est qu’après l’avoir possédée qu’il en devient amoureux et qu’il la demande pour femme. Pour venger
cette infamie, les ils de Jacob fomentent eux aussi
une ruse : ils exigent que tous les Sichémites soient
circoncis pour qu’ils ne forment qu’un seul peuple
avec la famille de Jacob. Proitant alors de leur alitement après l’opération, les ils de Jacob, Siméon et
Lévi, massacrent tous les mâles, capturent femmes,
enfants et bêtes pour enin piller Sichem et ses alentours.
Si l’on entrevoit ici et là quelques similitudes
entre ces deux mythes, il reste néanmoins des
diférences notables au niveau de la narration.
ZOOTECHNIE ET HyBRIDATION
Avant d’envisager une étude comparative et
anthropozoologique de ces deux mythes, il
faut discuter des équidés en présence dans ces
deux régions et expliciter comment est perçue
l’hybridation au sein de ces cultures. Ce mot,
associé au grec hubris, la « démesure », même
s’il n’est pas d’origine antique2, connote précisément les problèmes liés à cette pratique
culturelle. On n’accouple pas impunément
deux espèces dissemblables, surtout lorsque les
animaux concernés, l’âne et le cheval ici, ont
fait l’objet d’une réelle et profonde anthropomorphisation. La technè de l’homme ne devrait
rien changer à la parfaite création divine et à
la « démesure » grecque répond l’interdiction
hébraïque d’une telle « invention » (Lv 19.19).
Cette zootechnie, qui était très codiiée en
Grèce, voire même interdite dans certaines
régions comme l’Elide, était tout de même largement répandue, et ce, depuis que les trois es2. Le mot « hybride » vient du latin hibrida, de sang mêlé, altéré
en hybrida, sous l’inluence du grec hubris.
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
De l’onocentaure. Étude de mythologie comparée
pèces d’équidé en présence dans ces régions ont
été domestiquées et rapprochées spatialement.
« Domestiquées » est une manière de dire, car
si l’âne et le cheval le furent efectivement en
Mésopotamie et en Eurasie, l’hémione (Equus
hemionus onager), quant à lui, fut seulement
apprivoisé au Moyen-Orient, notamment pour
le croiser avec l’âne.
L’animal hybride est à proprement parler une
créature monstrueuse qui accueille en un même
corps deux, voire plusieurs, espèces. La mythologie grecque a largement exploité ces igures
signiiantes : les satyres, les centaures et autres
chimères sont aussi l’expression fantasmagorique d’une réalité concrète. Or, même s’il faut
distinguer les hybrides naturels des hybrides
monstrueux, l’exemple le plus connu et le plus
répandu de ces hybridations dans le monde
antique est le mulet, produit de l’accouplement
d’un âne et d’une jument, et l’on peut subodorer que la stérilité efective de ce « monstre »,
au moins dans l’imaginaire culturel sémitique,
était comprise comme une sorte de punition
céleste3. C’est d’ailleurs à cet égard que la igure
des centaures pourrait être exploitée ici. Cette
créature hybride, qu’elle ait avec l’homme une
moitié cheval (le centaure à proprement parler
ou « hippocentaure ») ou une moitié âne (onocentaure), évoque la démesure. Nonobstant la
igure singulière et atypique de Chiron, modèle
parfait du pédagogue, les centaures sont plus
généralement représentés comme des êtres
sauvages, lubriques et ivrognes. Ils ne peuvent
résister ni aux arômes du vin, ni aux phéro3. Un midrash précise qu’en guise de châtiment à l’acte d’Ana,
le descendant d’Esaü qui le premier croisa ces deux espèces (Gn
36.24), Dieu it s’accoupler un serpent et un lézard qui engendrèrent le Hababar, animal dont la morsure est mortelle, « tout
comme celle de la femelle du mulet » (Ginzberg 1998 : 174). L’on
pourrait aussi évoquer le bardot dans cette étude, hybride issu de
l’accouplement d’un cheval et d’une ânesse, pour autant, ce dernier était beaucoup moins recherché par les civilisations antiques
qui privilégiaient le mulet, bien plus à même de satisfaire le transport de marchandises de par sa taille et son pied sûr. Précisons ici
que lors d’une hybridation chez les équidés, le produit de l’accouplement hérite du corps de la femelle tandis qu’il acquiert la voix
du mâle, ainsi le mulet connaît un corps caballin et brait tandis
que le bardot hennit et hérite du corps de l’ânesse.
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
mones dégagées par une femelle, voire par une
femme en œstrus dans une perspective anthropomorphique. On comprend alors pourquoi ils
font irruption lors des célébrations de mariage
où les femmes et l’alcool deviennent de puissants catalyseurs de leur hubris. Un système
équivalent, en structure inverse, est également
employé pour capturer ces créatures sauvages :
la concupiscence et l’ivresse. La plus vieille épopée connue à ce jour en témoigne : c’est grâce à
la Courtisane-La-Joyeuse, une prostituée sacrée
vouée au culte de la déesse Ishtar, que l’on parvient à capturer et à « civiliser » Enkidu (Bottero 1992 : 70-76). C’est aussi grâce à Dalila que
les Philistins rendent le nazir de Dieu, Samson,
inofensif (Jg 13-16). Ce dernier, prototype de
l’homme sauvage qui ne doit pas fréquenter de
femme, boire de l’alcool ou encore connaître le
rasage, pratique une exogamie, voire une hybridation, qui déplaît à Dieu. Ses relations étroites
avec l’âne devraient à ce titre le rapprocher de la
igure du héros asinien4.
Ces mythes mettent en relief une zootechnie, connue sous le nom de retrempage, qui
consiste à améliorer le patrimoine génétique
des animaux domestiques en y incorporant du
sauvage, pour ne pas dire du divin. C’est un
système simple et plein de bon sens qui utilise
les femelles domestiques en œstrus que l’on
place à des endroits stratégiques, les aiguades
par exemple, pour attirer les mâles sauvages.
Ainsi, dans toute la Mésopotamie, spécialement dans la Diyala, à Tell Brak et dans la
région du Hamrîn (Fedele 2000 : 28-29 ;
Forest 1996 : 205-206), c’étaient des ânesses
domestiques qu’on postait à la marge des espaces civilisés pour « amadouer » les étalons
qui vivaient seul en dehors des périodes œstrales des femelles. Mais quels étalons étaient4. Nous pouvons diicilement parler d’onocentaure dans l’univers culturel sémitique puisque aucune iguration ou mention de
ce dernier n’est connue dans le monde mésopotamien et il apparaîtrait quelque peu infondé que d’associer une igure purement
grecque à une mythologie sémitique et biblique même si certaines
correspondances structurelles restent tout à fait probables, ce qui
est d’ailleurs le propos de cet article.
53
Châtelain B.
elles conviées à séduire ? La présence attestée
d’au moins deux espèces d’équidé sauvage
dans cette région, Equus hemionus onager et
Equus asinus africanus, pouvait poser des problèmes à la métis de ces éleveurs qui souhaitaient soit une hybridation (ânesse domestique et hémione), soit un retrempage (ânesse
domestique et âne sauvage). Or, la lexicologie
sémitique, depuis l’akkadien jusqu’à l’hébreu,
montre qu’ils privilégiaient le retrempage, un
système excluant toute stérilité et autorisant
des sacriices sanglants à même de satisfaire
le processus complexe des alliances dans le
monde sémitique (Châtelain 2009 : 315330). Le sacriice d’un ânon, petit des ânesses,
selon l’expression consacrée5, l’hipšum amorrite, légitimait devant les dieux de la tribu
un large éventail de pratiques cultuelles et
culturelles : sacriice d’ânon aux divinités au
sein même de leur temple (Sîn, Dagan, Adad,
Samash, Sakan …), la fondation ou l’achat
d’une ville6, le libre passage des troupeaux et,
ce qui nous intéresse plus particulièrement ici,
les alliances militaires et matrimoniales. On
voit, par exemple, le roi de la ville de Mari
sur l’Euphrate, Zimri-Lîm (1775-1761), donner jusqu’à douze de ses sœurs et illes à des
vassaux qui, pour renouveler leur allégeance
au roi bensimalite, doivent régulièrement
lui sacriier des ânons, petits d’ânesse (Lafont 2001 : 313-315).
L’analyse étymologique du nom de ces équidés
permet d’envisager une certaine interprétation
(Tableau 1). Les racines consonantiques utilisées pour désigner l’onagre incitent à penser
que ces derniers n’ont pas leur place dans la
domus et qu’ils doivent, au moins symboliquement, en être chassés ou expulsés et que leur
5. « Pour tuer l’ânon, on a fait se tenir un chiot et une chèvre, mais
par respect pour mon seigneur, je n’ai accepté ni le chiot ni la chèvre.
J’ai tué un ânon petit d’une ânesse entre Bédouins et Idamaras » (Lafont 2001 : 265). L’expression amorrite hayâram mâr atâni (ânon
petit d’une ânesse) correspond à l’hébreu ‘aîr bèn ’atonôt également employé en Ex 13.13 à propos du rachat des premiers-nés.
6. On notera que l’hébreu utilise la même racine trilitère pour
nommer l’ânon (‘aîr / )עִַיִדet la ville (‘îr / )עיד.
ׅ
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croisement avec les ânes briserait une iliation
pérenne excluant la stérilité efective de ces
hybridations. C’est précisément ce que semble
signiier la racine sémitique désignant le mulet
puisque celle-ci dit qu’il « sépare » et « divise »
ce qui auparavant devait être uni. La racine
consonantique désignant l’âne sauvage exprime
très exactement le contraire : son étroite relation
avec les notions d’ensauvagement et de fertilité
démontre qu’il était envisagé comme l’équidé
idéal destiné au retrempage et à l’amélioration
des races domestiques. On peut subodorer que
l’ânon issu d’un tel retrempage (ânesse domestique et âne sauvage) possédait une certaine
puissance symbolique à même de le qualiier
pour un sacriice sanglant honorant les divinités
tutélaires. S’il n’était pas sacriié, il devait alors
peut-être bénéicier d’un statut spéciique qui
l’exemptait des travaux communs de ses congénères pour devenir l’étalon exclusif de la domus
(Vila 2005 : 202-203), celui qui, à l’instar d’un
Gilgamesh outrepassant ses droits dans la ville
d’Ur, s’accaparait toutes les femelles. Selon la
culture où l’on évoluait, l’équidé promu au
retrempage ou à l’hybridation n’était donc pas
le même (cheval sauvage en Grèce, âne sauvage
en Mésopotamie) et à en croire les textes et la
lexicologie, c’est l’hémione indomptable qui
apparaîtrait comme le candidat propre à revêtir
la peau du centaure.
Les Grecs eux-mêmes avaient un lexique approprié à ces hybridations (Tableau 2). Faire monter une jument par un âne (cas le plus usité)
n’était visiblement pas une chose qui allait de
soi en Grèce et pour que la cavale accepte un
tel amant, il fallait auparavant l’humilier en lui
rasant la crinière (Xénophon, De l’art équestre,
5.9). Un autre mot, plus rare celui-ci (Hésychius, Lexicon, O 900), onobateo, désignait
également cet accouplement mais servait aussi
à qualiier le rituel infamant appliqué aux adultères : monter à rebours sur un âne tout autour
de la cité avant d’en être expulsé. On soulignera ici la similitude dans le traitement de ces
protagonistes dans le monde grec et mésopotamien puisque à l’atimie des adultères grecs
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
De l’onocentaure. Étude de mythologie comparée
espèce*
Langue
akkadien
amorrite
araméen
hébreu
signiication
Equus hemionus onager
hémione/onagre
Equus asinus africanus
âne sauvage
sirrimu
serrêmum
‘ârôd
‘ârôd
expulser, chasser, briser, rompre
purîmu
parûm
fara’
pèrè’
s’ensauvager, féconder
Equus asinus X Equus caballus
mulet
perdum
pèrèd
séparer, diviser
*Pour un lexique des noms des équidés dans le Proche-Orient antique, voir Châtelain (2009 : 110-202).
Tableau 1 – . Analyse étymologique du nom des équidés.
Équidés femelles domestiques
Jument
Anesse
Cheval
RETREMPAGE
chez les Grecs
HyBRIDATION
chez les Sémites
Ane
HyBRIDATION
chez les Grecs
RETREMPAGE
chez les Sémites
Hémione
HyBRIDATION
chez les Grecs
HyBRIDATION
chez les Sémites
Équidés mâles sauvages
Tableau 2 – . Hybridation et retrempagne chez les Grecs et chez les Sémites.
répondait celle des parias et des meurtriers
dans la sphère culturelle sémitique : « Que
Sîn, le grand seigneur, d’une lèpre son corps,
comme d’un vêtement, habille, et qu’ainsi, tel
un onagre de la steppe, hors les murs il erre ! »
(Nougayrol 1948 : 203-205). Ce texte tiré d’un
fragment de Kudurru datant probablement de
Nabuchodonosor I (1125-1104) est repris dans
la Bible : « Il fut chassé d’entre les hommes, son
cœur devint semblable à celui des bêtes, il eut sa
demeure avec les onagres » (Dn 5.21). Peut-on
dès lors envisager que ces équidés « centaurins »
étaient avant tout l’incarnation d’êtres sauvages, mais surtout étrangers, qui menaçaient
les mariages et les enfants légitimes, fondement
de la cité grecque et des alliances militaires et
matrimoniales sémitiques ? Ainsi, aux Grecs
hippophiles, l’âne et l’hémione, aux Sémites
onophiles, le cheval et l’hémione. Il faut sans
doute se dégager de la notion stricte du centaure grec (créature homme-cheval) pour proposer une alternative à cette équation (homme-
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
âne, homme-hémione). La conceptualisation de
la symbolique du centaure, sa « mutualisation »
dirions-nous, pourrait efectivement permettre
de mieux l’adapter à l’environnement sémitique
et mésopotamien où les équidés sauvages présents, l’âne et l’hémione, ont très tôt incarné
cette igure du héros à caractère équin associé
aux problèmes de l’exogamie.
Où SE CACHENT LES éQUIDéS DANS
CES DEUX MyTHES ?
Il nous reste efectivement à préciser l’éventualité d’une identiication à des Équidés dans ces
deux versions. Dans le récit biblique, le couple
que forment Hamor et Sichem est limpide
puisque la racine ḥmr, dans les langues sémitiques (ḥamôr hébreu, ‘imêrum amorrite, ‘imêru
akkadien) désigne l’âne domestique et qu’ainsi,
on peut raisonnablement identiier Sichem à
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Châtelain B.
un ânon, ou plus exactement à un ânon pubère
comme la trame du texte l’explique (rapt d’une
jeune femme). Le couple de Jacob et Dina n’a
aucun rapport lexical avec les équidés, mais l’on
peut au moins supposer pour le moment que
l’attirance de cet ânon de Sichem pour la ille
de Jacob montre que cette dernière entretient
quelques liens avec ces quadrupèdes7. Dans le
mythe grec, le couple de Pelops et Killas, qui
représenterait avec Hamor et Sichem les centaures, est tout aussi explicite puisque le cocher de Pelops, Killas, désigne en grec un des
noms de l’âne. Quant au couple que forment
Œnomaos et Hippodamie, on notera que leurs
noms renvoient également à des caractéristiques
équines : Œnomaos est « celui qui désire du
vin », une des passions typiques des centaures8,
et Hippodamie est « celle qui maîtrise les chevaux », autant dire qu’ici nous verrions plutôt
qu’une experte en dressage, la métaphore lexicale d’une jument en œstrus qui « maîtrise »,
par les phéromones qu’elle libère, ses prétendants équins.
Mais ces identiications posent malgré tout un
problème car si l’on voit bien une opposition
entre les ânes (Pelops et Killas) et les chevaux
(Œnomaos et Hippodamie) dans la version
grecque, on perçoit mal cette dichotomie dans
le texte biblique. En efet, si Hamor et Sichem
sont indubitablement des ânes, qu’en est-il de
Jacob et Dina ? Faut-il voir en eux des chevaux
ou des hémiones dans la perspective d’une hybridation ? La réponse ne peut être que négative
puisque la culture sémitique, dans son rapport
aux divinités, aux sacriices, aux rituels et aux
systèmes d’alliance et jusque dans son lexique,
assume une anthropomorphisation de l’âne,
voire une onomorphisation de l’homme (Châtelain 2009 : 202-214), tandis qu’elle exclut les
deux autres équidés qui n’étaient de toute façon
pas endémiques sur leur territoire d’origine (péninsule Arabique, pourtour de la mer Rouge et
Proche-Orient). Nous sommes alors en droit de
nous interroger sur la pertinence des propos tenus jusqu’ici. Mais si nous avons efectivement
deux couples d’âne dans le récit biblique, le schéma ne correspond apparemment pas au croisement d’équidés perceptibles dans le mythe grec.
Il faut, pour expliquer ce décalage, renvoyer au
système d’alliance pratiqué dans toute la Mésopotamie au moins depuis que les Amorrites se
sont installés dans cette région autour du milieu
du 3e millénaire où l’on ne légitimait une union
exogamique que d’une seule manière : le sacriice sanglant d’un ânon, « petit des ânesses »,
par au moins une des parties selon sa position
hiérarchique (à propos du bîtum amorrite, voir
Lafont 2001 : 232-243). Or, le récit biblique
dit au moins deux choses : (1) une phratrie
nomade (la famille de Jacob) s’installe sur un
territoire étranger contre une somme d’argent
et (2) une de leurs jeunes femmes se fait enlever pour enin être demandée en mariage. On
voit bien que cela ne concorde pas du tout avec
le système d’alliance de l’époque et il apparaît
vraisemblable que le récit a subi quelques modiications d’usage. En efet, pour tout Bédouin
désirant une parcelle de terrain ain de s’installer
durablement en pays étranger, il faut satisfaire
à deux obligations : contracter un mariage en
donnant une femme de sa parenté9 et sacriier,
en le renouvelant, un ânon par devant les dieux.
Deux rites d’alliance inconcevables pour la tribu d’Israël et leur dieu unique qui proscrivent
des alliances exogamiques strictes (Gn 27.46
à 28. 1-2) et interdisent que l’on sacriie un
animal impur (Lv. 11). On peut donc émettre
l’hypothèse que Sichem ait légitimement décidé
de se servir lui-même ou que l’occasion qui se
présentait à lui était trop aguichante. Les com-
7. Pour d’autres ainités asiniennes avec les ils et illes de Jacob
et Léa et le rôle de la mandragore arrachée par l’âne de Ruben,
voir Ginzberg 1997 : 52, 154-157 et 269-270, notes 284-288 et
Ginzberg 1998 : 256, note 193.
9. Le nišûtum est le groupe où l’on place les femmes disponibles.
La racine sémitique NŠT dénote le fait de s’éloigner. En hébreu,
cette racine consonantique donne nâšat/nišat qui signiie « se dessécher, s’épuiser » et l’expression nâštâh gevoûrâtô « sa force est
tarie » révèlerait à elle seule le problème que pouvait soulever
l’exogamie pour un peuple bédouin.
8. Sur l’assimilation d’Œnomaos à un centaure, voir Sergent 1997 : 473-482.
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ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
De l’onocentaure. Étude de mythologie comparée
mentaires midrashiques concernant Dina ne
disent-ils pas qu’elle était, tout comme sa mère
Léa, une « coureuse » et une « aventurière » et
qu’elle n’aurait pas dû sortir avec les illes du
pays (note n°7). En terme zootechnique, on ne
lâche pas impunément la bride à une femelle
en œstrus, surtout lorsqu’on se trouve aux côtés
d’étalons, voire d’« onocentaures ». Au pays des
ânes, l’exogamie est une forme d’hybridation
et, malgré l’homogénéité des couples (Hamor/
Sichem, Jacob/Dina), l’union violente équivaut
à un croisement « centaurin ».
Ainsi peut-on considérer que cette alliance exogamique ait été perçue comme une hybridation
par la tribu d’Israël, d’autant plus hybride que
les commentaires talmudiques donnaient une
ascendance bien singulière à la famille des rois de
Sichem. En efet, Hamor aurait eu pour grandpère un homme dont le nom laisse perplexe
quant à leurs intentions puisqu’ils précisent
que ce dernier portait le nom de Pèrèd, c’està-dire le « Mulet » (Ginzberg 1998 : 154-155).
Voulaient-ils alors signiier par cette ascendance
mulâtre que la famille de Hamor et Sichem
était bâtarde et hybride et donc impropre à la
phratrie d’Israël ?
En Grèce, outre la dichotomie soulignée entre
la jument Hippodamie et ses prétendants Pelops et Killas, dont on sait qu’au moins un est
un âne, l’on peut revenir sur une particularité
de l’Elide, patrie du roi Œnomaos. « Mais une
chose m’intrigue – puisque mon récit ne s’est jamais
encore refusé une digression : pourquoi ne naît-il
point de mulets en Elide, bien qu’il n’y fasse pas
froid et que rien apparemment ne justiie ce fait ?
Les Eléens eux-mêmes l’attribuent à une malédiction. Quand vient la saison de l’accouplement, ils
emmènent leurs juments dans les pays voisins et les
font saillir là par des ânes, jusqu’à ce qu’elles soient
pleines ; ensuite ils les ramènent chez eux » (Hérodote IV, 30). Six siècles plus tard, cette malédiction semblait toujours d’actualité : « Une
singularité [de l’Elide] est que les juments qu’on
fait saillir par des ânes dans le pays n’engendrent
point. Il faut qu’elles soient couvertes hors des frontières : on dit que leur stérilité est l’efet de quelque
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
imprécation » (Pausanias III, 5). Il apparaît donc
vain, au su de cette malédiction, de pratiquer
l’onobatein en Elide.
ANALySE COMPARATIVE
Après ce bref état des lieux, tentons d’entreprendre l’analyse des deux mythes qui nous occupent ici. Quels liens unissent ces deux mythes
qui, de prime abord, semblent n’avoir rien de
commun ?
On peut tout d’abord objecter que la narration
est tout à fait diférente et qu’aucune forme
de rapt ou d’hubris n’est présente dans les versions grecques. Il semble que Pélops conquiert
légitimement Hippodamie après sa victoire à
la course de chars que proposait Œnomaos
aux prétendants de sa ille tandis que Sichem
enlève bel et bien Dina pour enin demander
sa main à Jacob. Œnomaos est roi en Elide,
Jacob n’est qu’un chef de tribu qui nomadise.
Or les études comparatistes en anthropologie
structurale ont depuis longtemps démontré
qu’il fallait posséder un œil critique capable
d’entrevoir des diférences notables entre les
traditions orales et mythiques qui narrent
une ritualité vécue, et leur passage à l’écrit, où
l’écart, l’édulcoration et une certaine incompréhension vont croissants dans le temps et
l’espace. C’est justement ce sentier opaque,
comme l’airmait Marcel Détienne, que l’ethnologue doit défricher (Détienne 1989 : 236237). C’est ainsi qu’il paraît tout à fait vraisemblable de formuler l’hypothèse d’un rapt
ritualisé dans la geste de Pélops : Hippodamie
se trouve sur son char lorsqu’il est poursuivi
par son père Œnomaos qui cherche à le tuer.
On rencontre également dans ces deux versions
une violence et une démesure extrêmes liées
à un mariage visiblement contre nature ou,
faudrait-il dire, contre culture. Rapt, mariage,
violence, démesure... Autant d’indices, autant
d’empreintes centauresques laissées, de-ci de-là,
dans ces deux versions par trop absconses qui
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Châtelain B.
doivent mettre en appétit tout chercheur de
substantiicque moelle.
La structure narrative et anthropologique de
ces deux versions est l’appropriation d’une
femme (Dina/Hippodamie) protégée par son
père (Jacob/Œnomaos) qui n’était pas destinée à son ravisseur (Sichem/Pelops). En terme
zootechnique et anthropozoologique, la jument
grecque prête à être saillie par un cheval est enlevée par un âne, l’ânesse biblique qui attendait
un âne sauvage est enlevée par un descendant de
mulet10. Au cœur de ces deux versions, même
si ce n’est pas pour des ins similaires (obtenir
la victoire dans la version grecque = travail sur
les essieux ; obtenir vengeance dans la version
biblique = circoncision), apparaît ce que les
Grecs nommaient la métis, l’intelligence rusée11.
Les pères utilisent leur ille pour « distraire » les
prétendants : Œnomaos place Hippodamie sur
le char du concurrent, Jacob laisse Dina sortir
avec les illes du pays. L’hubris accompagne également les deux parties avec d’un côté les pères
qui usent d’une extrême violence (Œnomaos
veut bâtir un temple avec les crânes des prétendants, Jacob et ses ils rasent la ville de Sichem) ;
et de l’autre Sichem, comme Pelops, qui désire
une femme qui ne lui est pas destinée.
Soulignons tout d’abord l’hétérogénéité des versions grecques du mythe de Pélops et Hippodamie. Si la trame du récit reste sensiblement
la même, le nom de personnages importants
pour la possible comparaison avec le livre 34
de la Genèse change selon les versions. Il en est
10. On me pardonnera cette incohérence, les mulets sont stériles
(dans 98,5% des cas), au su de ce qui vient d’être expliqué. On
notera avec Hérodote que cette impossibilité était presque proverbiale ; alors que Darius assiège Babylone, du haut des remparts les
Babyloniens le raillent : « À quoi bon perdre ici votre temps, Perses,
au lieu de vous retirer ? Vous prendrez la ville le jour où les mules
auront des petits ! Le Babylonien qui prononça ces mots était bien loin
de penser qu’une mule pût jamais mettre bas » (Hérodote III, 151).
11. On trouvera des exemples de cette métis à propos des accouplements hybrides dans Aristote, Histoire des animaux, VI, 23,
3 ; Varron, De l’économie rurale II, 8 et Columelle, De l’agriculture, VI, 37.8 où l’auteur explique qu’il faut habituer dès le plus
jeune âge l’ânon à se nourrir de lait de jument et à remplacer au
dernier moment l’ânesse par une jument lors d’une saillie ain que
l’âne soit moins rétif à cet accouplement hybride.
58
ainsi pour le cocher de Pélops qui n’apparaît pas
dans la version de Pindare (2003) ou qui porte
le nom de Killas ou Killos chez héopompe
(F.G.H. II, 2, n°115 et Strabon XIII, 1, 63)
et celui de Sphairos chez Pausanias (périégèse
II, 33,1 ; V, 10, 7). On ne discutera pas ici de
l’ancienneté ou de la primauté de telle ou telle
version, on analysera celle qui nous paraît être
la plus à même de révéler une similarité opportune avec le texte biblique et de lui donner par
conséquent une certaine légitimité. Or, c’est la
version de héopompe où le cocher de Pelops
se nomme Killas, qui retiendra plus particulièrement notre attention dans cette analyse, et ce,
pour plusieurs raisons essentielles.
Killas est tout d’abord un des noms grecs de
l’âne, ce qui apparaît relativement important
dans une analyse qui tente de repérer une
anthropomorphisation des équidés. Killas est
également éponyme d’une réalité géographique
dans le territoire même de Pélops dans la vaste
Anatolie : la ville de Killa en Mysie où Apollon
Killaios avait un sanctuaire et peut-être même
la région de Cilicie selon Strabon (XIII.1.64).
Ces deux faits justiient que l’on privilégie la
version de héopompe (IVe s. av. J.-C.) dans
cette analyse comparatiste puisque dans le texte
biblique, le personnage auteur du rapt et son
père, Sichem et Hamor, sont en parfaite symétrie avec le couple que forment Pélops et son
cocher (Fig. 1).
Hamor, à l’instar de Killas, signiie « âne » en
hébreu et connaît lui aussi une ville éponyme
sur les rives de l’Euphrate, la ville commerçante
de Imâr à quelques kilomètres au sud des villes
caravanières de Karkemiš et de Harrân.
Sichem, à l’instar de Pélops qui a donné son
nom à la région du Péloponnèse, est aussi le
nom de la ville dont Hamor est le roi. La ville
de Sichem était une étape caravanière sur la
route menant à l’Égypte (Albright 1961 : 3654). Ainsi donc, si l’on suit l’hypothèse de Strabon et la signiication du nom de Killas en grec,
la Cilicie serait à proprement parler la région de
l’âne, exactement le terme qu’employaient les
Assyriens pour nommer la région (la Damas-
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
De l’onocentaure. Étude de mythologie comparée
Homonymie
Ville
Signification
Région
Hamor
Killas
Killa
âne
Imer
Cilicie
âne
mât Ša-imer(i)-šu
Sichem
Pelops
Clair/obscur
Epaule
Sichem
Clair/obscur
Epaule
Péloponnèse
Fig.1 – . Structure onomastique.
cène) autour des villes de Sichem et Imâr : mât
Ša-imer(i)-šu, c’est-à-dire le « Pays de l’âne »
(Schifer 1919 : 238-240).
Sous des modalités peut-être moins transparentes, nous pouvons établir une autre comparaison entre Sichem et Pelops. Les noms des
deux personnages éponymes d’une réalité géographique, renvoient aussi à deux notions qui
ne sont pas sans rappeler les qualités de porteur
attribuées unanimement à l’âne, et au vocabulaire nomade des caravaniers de l’époque.
Les deux protagonistes ont un rapport lexical
avec l’« épaule », l’idée de « porter » et l’intermédiaire clair/obscur. Pelops, prototype
ANTHROPOZOOLOGICA • 2011 • 46. 2.
du cavalier phrygien combinant les cultures
grecques et sémitiques selon Georges Dumézil (1929 : 248), a une particularité physique :
son épaule est en ivoire. En efet, son père
Tantale l’avait tué et ofert en repas aux dieux
mais seule son épaule gauche fut consommée
par Déméter. Zeus le ressuscita et la déesse
lui confectionna une prothèse en ivoire, pour
remplacer son épaule de chair. Or, cette iliation avec son père Tantale permet d’établir
une comparaison avec Sichem. Tiré du verbe
tlaô qui signiie « porter », Tantale renvoie
directement au nom de Sichem dont la racine hébraïque signiie « épaule » et « porter »
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Châtelain B.
(šèkhèm). Le nom de Pelops peut également
être rapproché de celui de Sichem. Il vient très
probablement de pelidnos, « blême, livide, grisâtre », pellos, pelos, « gris, de couleur sombre »,
polios, « gris, blanchâtre, presque blanc » (Sergent 1997 : 473-474), notions qui évoquent
l’intermédiaire clair/obscur, celui-là même que
l’on retrouve dans le nom de Sichem. En efet,
la racine hébraïque škm signiie dans de nombreuses langues sémitiques et le vocabulaire
des nomades, outre l’idée de « porter », celle
de « partir de bon matin » ou de « partir juste
avant la nuit », c’est-à-dire au moment où le
soleil n’est pas encore levé et où la nuit n’est
pas tout à fait tombée (Delcor 1975 : 309310), « entre chien et loup » dirions-nous en
français (voir Fig. 1).
Nous voyons donc que les quatre protagonistes
qui se comportent comme des « onocentaures »
sont tous liés à une toponymie qui, pour deux
d’entre elles au moins, renvoie à des étapes caravanières reliant la Mésopotamie (Sichem et
Imâr) à la Grèce (le Péloponnèse) via l’Anatolie
(Killa en Mysie) et à deux régions étymologiquement rattachées à l’âne (Cilicie et Damascène), ainsi qu’un lexique, encore présent dans
les noms propres des protagonistes des deux
mythes, intimement lié au nomadisme et au
commerce caravanier. Autant d’indices nous
autorisant à émettre l’hypothèse que les premières versions de ce mythe étaient étroitement
liées aux échanges constants entre ces deux aires
culturelles qui, outre les produits courants,
devaient également s’échanger leurs équidés.
L’hybridation entre ces derniers, outre le choc
culturel et zootechnique que cela a dû entraîner,
a certainement fait l’objet d’une conceptualisation et d’une transposition à l’échelle humaine
puisque, à n’en pas douter, le mariage exogamique et l’échange des femmes entre ces deux
cultures étaient un moyen de contracter des
alliances militaires et d’assurer une paix malgré
tout toute relative. Or, c’est assurément la production de mulets qui était la plus recherchée et
la plus rentable : l’onobatein, comme un mal nécessaire, portera jusque dans l’Occident médié60
val, sous le nom d’assouade, les stigmates de ces
maris trompés et cocus chers aux Carnavaleux,
et vaudra aux Juifs, depuis l’Antiquité, l’accusation d’onolâtrie qui était encore en vogue au
début du XXe siècle12.
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Soumis le 3 mars 2011,
accepté le 3 octobre 2011
61