Images Re-vues
Histoire, anthropologie et théorie de l'art
Hors-série 8 | 2020
Images fondatrices
Une théologie de l’image mariale
À propos de la translation de la sculpture de la Vierge Vulnerata à
Valladolid en 1600
A Theology of Marian Image. Some Reflexions about the Translation of the
Statue of Our Lady Vulnerata to Valladolid in 1600
Cécile Vincent-Cassy
Electronic version
URL: http://journals.openedition.org/imagesrevues/9087
DOI: 10.4000/imagesrevues.9087
ISSN: 1778-3801
Publisher:
Centre d’Histoire et Théorie des Arts, Groupe d’Anthropologie Historique de l’Occident Médiéval,
Laboratoire d’Anthropologie Sociale, UMR 8210 Anthropologie et Histoire des Mondes Antiques
Electronic reference
Cécile Vincent-Cassy, “Une théologie de l’image mariale”, Images Re-vues [Online], Hors-série 8 | 2020,
Online since 25 November 2020, connection on 31 January 2021. URL: http://
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Une théologie de l’image mariale
Une théologie de l’image mariale
À propos de la translation de la sculpture de la Vierge Vulnerata à
Valladolid en 1600
A Theology of Marian Image. Some Reflexions about the Translation of the
Statue of Our Lady Vulnerata to Valladolid in 1600
Cécile Vincent-Cassy
1
En 1596, une Vierge conservée dans la
cathédrale de Cadix fut défigurée par une
attaque iconoclaste lors du sac de la ville1.
Celui-ci eut lieu lorsque 120 vaisseaux
d’une
coalition
anglo-hollandaise
débarquèrent dans le plus grand port
espagnol sur l’Océan atlantique avec
quelque 6000 soldats, faisant subir à
plusieurs ports de la côte atlantique
espagnole de terribles représailles. La
Couronne anglaise répondait ainsi à
l’expédition de 1588 de l’Invincible
Armada, pourtant mise en échec2. La
mission secrète de 1596, soldée par très
peu de pertes humaines et matérielles du
côté des assaillants, humilia la Couronne
d’Espagne. Elle fut d’abord interprétée
comme un châtiment du ciel pour les
péchés de la Monarchie hispanique par le
duc de Medina Sidonia, qui avait pris le commandement de la riposte andalouse 3. Mais à
travers le transfert de l’image outragée de la Vierge à Valladolid en 1600, l’attaque de
Cadix et de ses villes voisines fut par la suite présentée comme un épisode fondateur du
martyre des catholiques dont les Anglais apostats étaient les bourreaux. En particulier
chez les catholiques anglais des collèges jésuites fondés en Castille.
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1
Une théologie de l’image mariale
Fig. 1
Vierge Vulnerata, bois polychromé, Valladolid, collège Saint-Alban. Photo DR.
2
On pourra s’étonner de trouver l’un de ces collèges en un lieu aussi éloigné de
l’Angleterre que Valladolid. Mais cette ville du nord de Madrid, où était né le roi
Philippe II, était l’une des plus importantes de Castille4. Siège de l’une des deux
audiences de la Couronne (la Real Chancillería), elle était aussi située près des terres du
favori de Philippe III (r. 1598-1621), le duc de Lerma, qui à la toute fin du XVIe siècle
désirait que le roi y installât la Cour et, par là, la capitale de la Monarchie. Il obtint gain
de cause à la fin de l’année 1600, même si le séjour de la Cour ne durerait que cinq ans.
Il faut tenir compte de ce contexte politique pour comprendre l’enjeu de la translation
de cette image mariale effectuée juste avant cette installation. Mais en réalité les
circonstances sont multiples. Il importera tout d’abord d’exposer les autres
circonstances qui ont présidé à la fondation du collège des jésuites anglais lui-même.
Après cette contextualisation, nous verrons comment la portée symbolique de la
translation de l’image défigurée de la Vierge Marie s’est déployée pour en faire la reine
fondant un nouveau royaume catholique. Enfin, nous examinerons comment les
cérémonies de réception de cette sculpture ont été l’occasion d’exprimer une théologie
de l’image mariale en actes et en récits. En effet, cet événement rapporté par deux
textes montre le pouvoir qu’avait alors la dévotion mariale, capable de convertir les
cœurs des spectateurs dans et par son image martyrisée.
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2
Une théologie de l’image mariale
La fondation des collèges de jésuites anglais au cœur
de la Castille à la fin du XVIe siècle
3
En 1585, Élisabeth Ire d’Angleterre (1533-1603) signa le traité de Nonsuch avec les
représentants des Provinces Unies et envoya une armée commandée par le comte de
Leicester soutenir les rebelles des Flandres soulevés contre le Roi catholique, Philippe II
d’Espagne (1527-1598). En 1587, elle fit exécuter sa cousine Marie Stuart, reine,
catholique, d’Écosse. Cet événement fut le déclencheur de la funeste expédition de
l’Invincible Armada, qui portait bien mal son nom puisqu’elle représenta un échec
cuisant pour la Monarchie hispanique. Elle jeta sérieusement le doute sur la capacité de
la puissance espagnole à affronter les hérétiques et à étendre la foi catholique. Cette
expédition inaugura alors un temps nouveau : dorénavant, l’affrontement
confessionnel ne pourrait plus (plus seulement) emprunter la voie des armes. Après
l’échec de 1588, le jésuite anglais Robert Parsons (1546-1610), très écouté par le
Monarque, sut le convaincre de continuer à affronter la Couronne d’Angleterre par le
patronage d’un collège de jésuites anglais au cœur de la Castille 5. En effet, en 1589,
Parsons se rendit à Madrid pour s’adresser à Philippe II, convaincu qu’il était le seul à
pouvoir reconduire l’Angleterre dans le giron de l’Église catholique. L’ouvrage qu’il
écrivit pendant les années de ce séjour en Castille (1589-1592), Conference of the Next
Succession to the Crowne of England, plus connu sous le titre de The Book of Titles, et publié
en anglais 15946, envisageait la succession du trône d’Angleterre après la mort sans
héritier de la reine d’Angleterre en déterminant comme facteur principal le retour à la
foi catholique. Il proposait notamment l’infante Isabelle Claire Eugénie (1566-1633), fille
aînée de Philippe II, et même si d’autres lignées royales que celle des Habsbourg
d’Espagne étaient envisagées pour sa succession, son ouvrage offensa le Parlement
anglais qui le condamna à mort. Parsons voulait aussi que le roi vînt en aide aux
collèges anglais déjà existants car ceux-ci ne pouvaient plus répondre à la demande
croissante d’accueil et de formation de la part des catholiques anglais, opposants
politiques tout autant que religieux de la reine Élisabeth Ire.
4
Le premier de ces collèges avait été fondé à Rome sous le nom de San Tommaso di
Canterbury en 1579. Il avait déjà été confié par le pape Grégoire XIII aux jésuites. Un
autre collège anglais, cette fois gouverné par le clergé séculier, avait aussi été créé à
Douai au début des années 1560, même si, en raison des dissensions avec l’université
fondée par Philippe II en 1560-62 dans cette ville, ce séminaire fondé par William Allen
en 1563 avait été temporairement transféré à Reims entre 1578 et 1593. En plus de
convaincre le souverain d’apporter une aide financière au collège de Douai, Parsons
obtint de lui la permission de fonder un nouveau collège à Valladolid, au cœur des
territoires de la Monarchie hispanique sur lesquels il régnait, sous son patronage. Selon
le programme dessiné en cette fin de XVIe siècle, la refondation de l’Angleterre
catholique se ferait donc sous l’égide des jésuites.
5
Le collège de Valladolid fut fondé fin 1589, et prit le nom de Saint-Alban. Deux autres
collèges de jésuites anglais verraient ensuite le jour dans la Couronne de Castille : à
Séville, en 1592, et à Madrid en 1610. Finalement, à Saint-Omer, au plus près des terres
anglicanes, un autre collège fut aussi fondé en 1593. L’appui du Roi catholique aux
jésuites de Valladolid attira la colère de la reine Élisabeth Ire, car ce collège, selon elle,
formait des rebelles politiques. Le fondateur jésuite ne la démentit pas. L’attachement
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3
Une théologie de l’image mariale
de Philippe II à la fondation du collège de Valladolid se mesure à celle qu’il manifesta
pour la relique du premier saint martyr anglais dont le collège porte le nom. Une partie
de cette relique de saint Alban, vénérée aujourd’hui dans l’église, fut offerte par le roi
peu de temps avant sa mort en 1598 à Robert Parsons, qui la légua au collège. Par ce
geste hautement symbolique, le monarque partageait le don que le pape Clément VIII
(pont. 1592-1605) lui avait fait des restes du saint martyr accompagnés d’indulgence
plénière. Or c’est cette relique qu’il réclama au moment de son agonie. Comme le
rapporte le hiéronymite José de Sigüenza, le Roi Prudent est mort en tenant le crucifix
de son père Charles Quint dans une main, et la relique de saint Alban dans l’autre 7. La
dévotion vouée par Philippe II, à l’heure de son trépas, au premier martyr anglais
sanctifié, est indéniablement liée au transfert de la Vierge défigurée de Cadix à
Valladolid en 1600 auquel nous nous intéressons ici. C’était une Vierge martyrisée par
les Anglais. En effet, l’arrivée de la Vierge Vulnerata à Valladolid en 1600 est sans aucun
doute une forme tardive d’expression de l’attachement du monarque Philippe II
d’Espagne au collège des jésuites anglais fondé au cœur de la Castille en 1589.
6
Par conséquent, le patronage du Roi Prudent sur ce que l’on peut présenter comme une
école de martyrs8 se situe dans le contexte de l’affrontement confessionnel de la fin du
XVIe siècle. Les Anglais formés dans les murs du collège Saint-Alban de Valladolid se
destinaient à partir en mission en Angleterre pour reconvertir leurs compatriotes — ils
furent d’ailleurs nombreux à trouver la mort. Ils avaient pour modèle premier le saint
patron du collège, protomartyr de l’Angleterre.
La fondation d’une nouvelle ère par l’image et sa
traduction textuelle
7
L’arrivée de la Vierge outragée à Valladolid a été mise en récit par un auteur dont on ne
connaît pas d’autres écrits, Antonio Ortiz. Les deux relaciones ont été imprimées très
peu de temps après les cérémonies9. Leur écriture et leurs publications respectives,
selon Ortiz lui-même s’adressant à Isabelle Claire Eugénie de Habsbourg, fille de
Philippe II et souveraine des Pays-Bas catholiques, ont été conçues conjointement. Si la
première relación décrit la visite de Philippe III (1578-1621), fils et successeur de
Philippe II, et de son épouse Marguerite de Habsbourg (1584-1611) en août, la seconde
est consacrée à l’arrivée de la Vierge elle-même à Valladolid en septembre — Ortiz
rapporte que son transfert espéré pour août avait pris du retard.
8
Le double récit d’Ortiz est fondateur en ce sens qu’il garde mémoire du don de l’objet
symbolique, l’image de la Vierge outragée, qui a été transportée, dans ce qui est
présenté comme une épopée (de Cadix à Valladolid via Madrid), pour être implantée à
Valladolid, lieu qui sera désormais son royaume, ou pour le dire autrement, lieu où elle
règnera. Le don de la statue a été fait par la comtesse de Gadea, épouse de l’adelantado
mayor de Castille10, Martín de Padilla, en qui Philippe II avait mis sa confiance après
l’échec de 1588 dans la guerre anglo-espagnole qui dura jusqu’en 1604. Le comte l’avait
lui-même recueillie à Cadix en 1596 lors du sac de la ville par les Anglais, contre l’avis
de la population, confié à son épouse pour la chapelle de leur palais à Madrid. Le don de
la Vierge est donc l’œuvre de celui qui a dirigé plusieurs expéditions maritimes de
riposte contre l’Angleterre après le sac de Cadix. Il vient aussi de celui qui a eu la
charge, et le privilège, d’accompagner la reine Marguerite de Habsbourg, venue de
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Une théologie de l’image mariale
Styrie, jusqu’à son époux le roi Philippe III depuis Gênes en 1598. À travers l’adelantado
mayor, qui incarne à lui seul la lutte contre l’hérésie anglaise, le don de la statue devient
donc un acte fondateur. Celui-ci est mis en valeur par le rôle attribué dans le récit
d’Antonio Ortiz à la comtesse sa femme. La comtesse refusa d’abord de s’en séparer,
nous dit l’auteur, car elle avait pour elle une dévotion particulière. Puis elle céda à la
demande des jésuites anglais.
9
Ce geste provenant d’une femme, pécheresse et maternelle par définition, permet, dans
le récit de sa translation et de son installation, de doter l’image de la Vierge outragée
d’une puissance d’engendrement effaçant tout ce qui la précède : celle d’une nouvelle
histoire à l’avènement de laquelle le lecteur du récit assiste. Un nouveau temps, celui
du Salut, se définit et s’incarne dans cette image de Vierge Marie qui, en outre, a perdu
son Enfant. Cette Vierge en bois répond au type de l’image outragée par les
iconoclastes. Avec son visage martelé, elle est une incarnation criante de l’hérésie à
combattre par les catholiques. L’image elle-même n’est pas seulement une
représentation, d’autant qu’elle ne pourrait pas représenter ce qu’elle n’est plus, la
Vierge à l’Enfant. Elle est devenue une relique de ce qu’on lui a fait subir arborant les
traces de l’attaque des ennemis anglais. Le vide, la béance dans le giron de la Mère du
Rédempteur, invite automatiquement la communauté à la combler, créer un nouveau
temps du Christ au sens propre, à racheter la perte.
10
Nous trouvons ici la distinction entre origine et fondation, telle que le dictionnaire la
formule. Le temps du récit de l’arrivée de la Vierge (qui n’est d’ailleurs nommée
Vulnerata qu’à la fin du texte), n’est pas le temps de l’origine. En effet, tout comme celle
du Salut, l’origine du collège des jésuites anglais, est antérieure. Elle remonte à la fin du
XVIe siècle. Le temps du récit est plutôt celui d’une projection manifeste de l’avenir dans
un regard en arrière. L’image de la Vierge, portant le passé honteux en étendard, avec
ses bras manquants, son visage martelé et son enfant disparu, accueille ce regard à
Valladolid à partir de 1600. Le « martyre » que l’image elle-même, arborant ses
« plaies », a subi, déclenche le processus de mise en récit, jusqu’au moment précis de
son arrivée dans la ville. Les stigmates imposent le regard en arrière vers ce n’est plus,
mais fonde le présent et le futur d’un nouveau temps auquel l’image matérielle donne
corps, enclenchant inévitablement sa mise en récit. Les deux relaciones d’Antonio Ortiz
donnent corps à ce dernier. Elles sont donc consubstantiels à l’acte de fondation. Sans
eux, toutes ces cérémonies n’auraient eu qu’un statut d’anecdote. Sans eux,
l’événement serait resté sans postérité. Il n’aurait pas non plus eu de public autre que
celui qui était présent physiquement à l’arrivée de l’image mariale.
Fonder : donner à l’image un nouveau sens
11
Antonio Ortiz enregistre donc les éléments essentiels permettant au lecteur de
comprendre la portée de l’événement. Tout d’abord, la sculpture fut placée dans un
nouvel écrin. Le retable primitif de l’église lui fut logiquement consacré. Ortiz signale
que le maître-autel de l’église, aujourd’hui détruit, comprenait en son centre la
sculpture de saint Alban, entourée de saint Thomas de Canterbury à sa gauche, et de
saint Edmond à sa droite11. Ce retable surmontait la châsse de saint Alban, placée sur le
maître-autel. Ce dispositif artistique présentait donc trois saints incarnant la vocation
du collège. Les trois saints étaient des figures du martyre : Thomas de Canterbury, saint
du XIIIe siècle représentait l’attachement de la communauté de Valladolid à l’Église de
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5
Une théologie de l’image mariale
Rome face au pouvoir civil — puisque Henri II l'avait fait assassiner. Il était le saint
patron du collège des jésuites anglais de Rome, et un modèle pour les catholiques de
l’Angleterre d’Élisabeth Ire, qui devaient choisir entre l’obéissance à la reine et
l’obéissance à Rome. On trouvait aussi la figure d’Edmond, dernier roi d’Est-Anglie,
mort en 869, répondant au double modèle de saint martyr et de saint roi 12. Ainsi placés
sous le patronage de trois saints « fondateurs » de l’Église catholique anglaise, les
jésuites du collège de Saint-Alban prolongeaient une histoire marquée par la rupture
du royaume d’Angleterre avec le pouvoir de Rome par Henri VIII et Élisabeth Ire.
12
S’il est un lexique que l’on trouve de multiples fois décliné dans cette page de l’histoire
des guerres confessionnelles à l’époque moderne, c’est bien celui de « fondation ». Il
s’agit tout d’abord de fonder le collège lui-même. Il s’agit dans le même temps, avec ce
collège de jésuites anglais, de refonder l’Angleterre catholique depuis la Castille, en
préparant des missionnaires dans des institutions placées sous le patronage du roi
d’Espagne. D’après le dictionnaire Littré, le fondateur est « celui, celle qui a fondé une
institution, un gouvernement, une religion, une doctrine, etc13. ». Or cette définition
correspond au rôle que deux hommes ont joué pour le collège de Valladolid : Parsons
d’une part, qui en a été l’initiateur, et Philippe II d’autre part, qui le mit sous sa
protection morale et financière. La deuxième définition du dictionnaire précise que le
fondateur, peut être « celui, celle qui a fondé quelque maison religieuse ou quelque
hôpital et lui a donné un revenu fixe pour subsister », ce qui correspond au rôle que le
Roi Prudent a eu, celui que de nombreux monarques ont associé à leur maiestas en
exerçant la protection et le financement d’institutions religieuses de ce type 14.
13
La multiplicité des sens de cette « fondation » se retrouve d’ailleurs dans la tension
permanente dans laquelle vécurent les membres du collège anglais, pris entre les trois
éléments constitutifs de leur identité et de leur mission : le patronage royal, le retour
de la nation anglaise dans le giron de l’Église catholique, et la Compagnie de Jésus à
laquelle Philippe II confia ce collège. À Valladolid, les intérêts des jésuites espagnols et
ceux des catholiques anglais furent difficilement conciliables. Les critiques vinrent de
tout côté. D’une part, les jésuites furent accusés de récupérer ces collèges pour leurs
intérêts propres au lieu de tourner tout entière leur mission vers les Anglais ; d’autre
part, ils reprochèrent aux Anglais, soupçonnés d’espionnage et d’hérésie, de ne pas être
suffisamment disciplinés ou intégrés dans la Monarchie hispanique. Dans ces
circonstances, le duc de Lerma dut imposer que le recteur du collège Saint-Alban fût un
jésuite espagnol15. Mais ce qui permit malgré tout à ce collège de faire la synthèse et
d’être encore aujourd’hui un lieu de dévotion fort à Valladolid fut l’image de la Vierge
outragée, capable à elle seule de bouleverser le sens des événements, d’ouvrir une
nouvelle ère et de fonder un nouveau royaume16.
La reine d’un nouveau royaume
14
L’image de la Vulnerata dota le collège jésuite anglais d’une identité catholique
affirmée et reconnaissable. D’une part, elle fonda le culte de la Vierge Vulnerata à
Valladolid : l’entrée triomphale de cette image associa en effet tous les sujets du Roi
catholique résidant à Valladolid. D’autre part, elle fut présentée comme celle qui
refondait le royaume catholique d’Angleterre. Antonio Ortiz, porte-parole très officiel
de l’union entre communauté jésuite et le couple royal qui l’a visité en 1600, formule
clairement cette idée en concluant la première des relaciones. Dans un ton très lyrique,
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Une théologie de l’image mariale
il commence par projeter des temps meilleurs pour les Anglais persécutés en leurs
terres17, mais affirme ensuite qu’ils sont déjà présents « depuis la venue de l’image de
Notre Dame la Vierge Marie que les hérétiques anglais ont endommagée à Cadix », car
les catholiques anglais de ce collège de Saint-Alban l’y ont fait venir avec tant de
solennité festive et de grandeur, et un tel concours de fidèles illustres et dévots,
qu’il semble à beaucoup que nous sommes là dans les débuts de la renaissance et de
la refloraison de l’Église d’Angleterre, et que le triomphe et l’acclamation de cette
image si grande et si pieuse de la très sainte Vierge Marie, est l’aurore de ce jour 18.
15
Il annonce alors la publication de la seconde de ses relaciones, dans laquelle il rend
compte des festivités qui ont eu lieu à l’occasion de l’arrivée de la Vierge après que
Philippe III et Marguerite de Habsbourg vinrent ensemble visiter le collège en août.
Marie, présentée comme véritable rempart de l’hérésie19 s’y lie à son image, et
s’implante à travers elle dans une nouvelle terre de dévotion, source du renouveau
catholique.
16
Un nouveau royaume, avec une nouvelle reine, rachetant le royaume antérieur,
s’incarne ainsi à travers le récit traçant une limite entre un avant et un après à travers
cet événement. Il montre qu’une authentique renaissance a été orchestrée : l’entrée
triomphale a été organisée à la fête de la Nativité de Marie (le 8 septembre), venant
ainsi rejouer toute l’histoire du Salut au cœur de la Castille. En outre, cette fête
liturgique a été remplacée dans l’Église anglicane par la célébration de l’anniversaire de
la reine Élisabeth Ire. Le discours symbolique se densifie ainsi à travers la restitution de
la fête de la reine des cieux à la communauté catholique le 8 septembre. De la sorte, la
reine céleste reprend sa place à cette reine abusive et tyrannique qui s’est octroyée le
pouvoir de médiation entre Dieu et l’humanité que l’Église de Rome a défini pour la
Vierge Marie. En accueillant dans le faste l’image outragée de la Vierge, les jésuites du
collège anglais s’arrogent la responsabilité — on pourrait dire le rôle — de ceux qui
rachètent le péché. Ils rejouent par leur geste la religion catholique elle-même. C’est
dans ce jeu conscient qu’ils fondent leur communauté nouvelle, autour de l’image de la
Vierge :
il sembla que c’était une volonté claire et évidente de Dieu que de réparer le
dommage fait à sa Très sainte Mère par les hérétiques anglais par son image, mais
aussi à travers ce qu’ils ont eux-mêmes fait lors de la fête glorieuse de sa sainte
Nativité, début de la félicité et du bonheur de tout le genre humain 20.
17
Les emblèmes et les poèmes dont l’église et le collège étaient décorés pour la cérémonie
allaient dans le même sens21. En outre, l’image voyagea de Madrid à Valladolid, portée
sur une litière prêtée par la comtesse de Santa Gadea elle-même, à laquelle elle avait
ajouté une robe, un manteau brodé et couvert de pierres, des bijoux et une couronne de
fleurs. La reine Marguerite de Habsbourg, vint en personne accueillir la Vierge en
septembre 1600. Le roi étant alors à Madrid, son épouse, nous dit l’auteur de la relación,
se chargea de représenter la Couronne. Elle prêta à son tour sa litière à la Vierge à
l’entrée de la ville, et la reçut ensuite à la porte de l’église. La reine catholique se
chargea par son don et sa présence de refonder l’Église anglaise détruite par une autre
reine, Elisabeth Ire, à travers l’image de cette Vierge, reine de la terre et du ciel, que la
communauté de Saint-Alban protégeait et, inversement, qu’elle protégeait contre
l’hérésie, qu’elle offrait à la ville de Valladolid pour qu’elle en fît le point de départ de
son royaume.
18
L’image mariale incarnait donc la rage iconoclaste des ennemis de la foi catholique
défendue par les aspirants à la mission formés au collège de Saint-Alban. En accueillant
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Une théologie de l’image mariale
en 1600 la Vierge, baptisée la Vulnerata en septembre 1600, le collège de Saint-Alban
trouva son véritable moment de fondation, sous la forme de cette image matérielle, qui
devint en somme sa pierre fondatrice. La figure de cette Vierge outragée fut en effet
l’objet d’une union sacrée entre la royauté, l’identité de l’Angleterre, les jésuites,
connus pour être de fervents défenseurs de la dévotion mariale, et la population locale.
L’Angleterre, selon l’expression attribuée à Bède le Vénérable, n’était-elle pas la « dot
de la Vierge22 » ?
Une image bouleversante qui convertit les cœurs
19
À en croire Antonio Ortiz, la portée de son arrivée à Valladolid, réunissant autour d’elle
la reine, les jésuites et le peuple de la ville fut manifeste car elle provoqua un
bouleversement partagé. Les pleurs des novices, quand ils la découvrirent, les pleurs,
dissimulés, de la reine Marguerite de Habsbourg, seule présente car Philippe III avait été
retenu à la cour de Madrid, et ceux du peuple de Valladolid, se mêlent en effet dans le
récit de l’acte de fondation que l’auteur de la relación livra aux presses immédiatement.
Dans ce court texte, Antonio Ortiz souligne tout d’abord la réaction des élèves du
collège s’adressant à la Vierge à son arrivée. Si Marguerite de Habsbourg n’était pas
autorisée à montrer ses émotions, elle manifesta son trouble, la mise en scène du
dévoilement de l’image provoqua des réactions très vives dans la communauté formée
de jésuites et d’étudiants anglais :
On mit la Vierge dans un endroit secret, dans une pièce aménagée à cette fin, sur un
autel, à l’heure où la communauté des étudiants vient dire les heures devant lui, ils
se trouvèrent devant l’image, qui était vêtue de son manteau et de son voile. Et
quand elle fut découverte, et qu’ils virent ses bras coupés près des coudes, et son
corps battu et lacéré de coups de couteau, et en particulier son visage qui contenait
sept blessures, leurs larmes et leurs sanglots furent si abondants, qu’ils purent à
peine achever la litanie. Leur zèle dévot contre l’hérésie, qui a plongé leur patrie
dans tant de malheur, s’en trouva encouragé, et ils offrirent leurs vies à Dieu, à sa
très sainte Mère, pour venger cet outrage, non pas en se retournant contre les
personnes qui avaient fait cela (leur misérable état mérite plutôt la pitié) mais
contre la cause et racine de ce malheur et de cet aveuglement. C’est pourquoi je
comprends que cette image sera pour eux un réveil perpétuel les incitant à revenir
dans leur patrie pour la convertir et honorer la Vierge23.
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Une théologie de l’image mariale
Fig. 2
Vierge Vulnerata, bois polychromé, Valladolid, collège Saint-Alban, détail. Photo DR.
20
Les pleurs du peuple affluant dans l’église pour voir la Vierge sont aussi évoqués. À
travers le même processus de dévoilement, l’image, dont l’auteur décrit comme elle est
impatiemment attendue, provoque une réaction prêtant à l’image des sentiments
humains, par un transfert pur et simple de l’aura de Marie à celle de la sculpture
défigurée :
Le chapitre de l’église cathédrale, en procession dans l’église principale, était en
train d’attendre, avec force musique et fête, de recevoir la sainte image qui arrivait
comme en pèlerinage. Une fois arrivée, on la descendit de sa litière, sur laquelle elle
se trouvait par décence le visage couvert d’un voile de gaze transparent, et on la
mit sur un palanquin d’argent, sur lequel elle fut transportée en procession sur les
épaules de quatre prébendiers de l’église sur l’autel disposé au milieu de la chapelle.
La pieuse foule de toute la ville venue voir et adorer l’Image fut telle qu’il fallut
mettre des barrières et poster des personnes pour empêcher les vagues de gens de
faire tomber l’autel. Et ceux qui ne pouvaient l’atteindre cette nuit-là l’adoraient de
loin, et ceux qui le pouvaient appliquaient leurs rosaires sur le manteau de la
Vierge et même sur les cierges qui brûlaient en sa présence. Et chaque fois que le
prêtre qui en avait la charge découvrait le visage de l’Image, caché par le voile, pour
répondre à la dévotion de personnes de haut rang qui le désiraient et le
demandaient, on ne peut expliquer le sentiment, la tendresse et les larmes que son
geste provoquait chez ceux qui l’entouraient en la voyant si maltraitée 24.
21
Le texte transcrit ainsi la conversion immédiate, par la vue de l’image, de tous les
cœurs à l’unisson. Les spectateurs dont les diverses réactions sont décrites sont
présentés comme percevant spontanément le mystère marial dévoilé, littéralement,
par le retrait du voile. Ainsi se met en place une théologie mariale qui est unie à celle de
son image. Nous exposerons pour finir comment celle-ci se trouve définie.
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Une théologie de l’image mariale
Une théologie de l’image mariale
22
C’est celle d’une figure qui, contrairement à Dieu, dont la vérité est ontologiquement
imperceptible25, se révèle directement en faisant éclater la vérité « au premier regard »
comme elle fait éclater les pleurs et les sanglots devant son image outragée. Si nous
sommes loin dans le temps de ce que Gumppenberg déclara presque soixante ans plus
tard à l’adresse du lecteur de son Atlas Marianus en 1658 26, la confiance dans le pouvoir
des images, la foi dans leur participation à la grâce de Marie ne fait aucun doute dans
l’Espagne de 1600, théâtre de ces scènes de bouleversement collectif.
23
L’image devint ici le mémorial des gestes et actes qui l’ont tout d’abord abîmée, puis
transférée et installée à Valladolid. Elle en vint à incarner elle-même la fondation d’une
nouvelle ère et d’un nouveau royaume. Ces festivités se déroulèrent quelques mois
avant que la Cour de Philippe III ne s’installât à Valladolid pendant 5 ans, à partir de
février 1601. En quelque sorte, elles annoncèrent, et préparèrent sa venue. Valladolid
s’étant définie en septembre 1600 comme un rempart contre l’hérésie, la mise en scène
du transfert de la Vulnerata donna un tour résolument confessionnel à la décision d’y
installer la capitale de la Monarchie. L’accueil de la sculpture par la souveraine
Marguerite de Habsbourg en septembre était celui d’un objet sacré martyrisé. Celui
d’un objet portant en lui la frontière confessionnelle, resté muet aux cœurs des
iconoclastes anglais et hollandais lors de leur attaque de 1596 à Cadix, mais « parlant »
ouvertement à tous les catholiques qui la recueillaient loin de ses terres originelles.
Ceux-ci lui dressaient un monument de mémoire, prenaient appui sur l’image pour
alimenter le désir de martyre et à la fois réconforter les âmes endolories par les
supplices des guerres de religion.
24
Les jésuites accueillant la Vulnerata démontrèrent dans la translation de l’image leur
habileté pour utiliser les images sacrées, pour structurer, autour d’elles, un lieu à
l’identité aussi dévotionnelle que politique. Ils régénérèrent le culte de la Vierge Marie
grâce à une image mariale dont le sens se trouva revitalisé, bouleversé, dans son
nouveau contexte de dévotion, accueillant un (des) nouveaux regard(s). Ce faisant, ils
développèrent une théologie de l’image autour de la monstration de cette sculpture et
des commentaires des effets émotionnels produits.
25
Les auteurs des discours et sermons de la fête de réception de la statue de la Vierge
outragée, recueillis par Antonio Ortiz, ont tous pris part à cette théologie de l’image
revenant sur le lien entre la forme et la figure. En rapportant les discours et sermons
des festivités de septembre 1600, notamment ceux de la neuvaine de la Vierge Marie
commencée par la fête de la Nativité et close par celle de l’Assomption, l’auteur des
relaciones déroule cette théologie. En sa qualité de témoin premier, il souligne tout
d’abord l’effet produit par la Vulnerata dès son arrivée.
26
Il raconte que la statue endommagée fut exposée dans la cathédrale d’où elle fut
conduite le lendemain au collège de Saint-Alban. Pendant cette première nuit, un
peintre fut chargé de la « portraiturer », c’est-à-dire de la reproduire en peinture. Ce
détail est l’occasion pour lui de mettre en valeur sa « beauté grave imposant révérence
et respect particulier à tous ceux qui la regardent, de sorte que les coups reçus par elle,
qui lui enlèvent un peu de lustre, ne tiédissent pas la dévotion qu’on a pour elle, mais
au contraire l’éveillent et l’excitent grandement »27. La beauté est donc liée à son
humilité. Elle est ce qui suspend les regards, impose le silence, manifestant ainsi aux
fidèles le mystère marial dans le paradoxe d’une image défigurée. Sur le statut de
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Une théologie de l’image mariale
l’image, les passages peuvent manifester toutefois un certain embarras de la part
d’Ortiz. Faisant parler les étudiants du collège à l’arrivée de la sculpture, l’auteur leur
fait réfuter les accusations d’ignorance : leurs yeux, disent-ils, « ne s’arrêtent pas aux
couleurs et aux nuances » des images des saints, à la « forme extérieure de la figure de
pierre ou de bois ». Les âmes catholiques « élèvent haut le regard et le vol de leur
pensée car elles comprennent que l’honneur ou la révérence faite aux images est celle
que l’on porte aux saints représentés eux-mêmes »28.
27
Comme dans le texte du décret de la XXVe session du concile de Trente cette distinction
est posée comme un point de départ de la théorie de l’image. Mais après cet
éclaircissement, qui pourrait laisser penser que les accusations d’iconoclasme sont
balayées par des hommes soucieux de distinguer le prototype de son support matériel
de culte en soulignant que le second renvoie au premier, l’auteur n’en reste pas à cette
affirmation. Il affirme au contraire le lien entre image et prototype, et même justifie le
culte des images en raison de leur « composition ». Dans ce qu’Ortiz rapporte du
sermon prononcé au premier jour de la neuvaine de la Vierge par Antonio de Padilla,
recteur du collège jésuite de San Ambrosio de Valladolid et frère de la comtesse de
Santa Gadea — il dit sélectionner des morceaux choisis — il fait au contraire en sorte de
mettre au jour le statut sacré de l’image fondé sur un discours théologique qui rend
indissociables l’original — la figure sacrée — et sa représentation. Il exprime clairement
non pas seulement l’analogie entre l’image et le prototype, mais aussi l’idée d’une
importation des propriétés de l’un — la vie — dans l’autre, et ce malgré l’appartenance
respective de l’une et de l’autre à des espèces différentes (des « géneros » dans le texte
espagnol). Tout le culte des images se trouve dès lors justifié par la « composition », à
l’œuvre dans l’image sacrée, dont la Vulnerata est ici l’exemple, entre la représentation
et le prototype.
28
Ce dernier mot de « composición » est associé à celui de la « compostura », qui signifie
« apparence ». L’intériorité et l’extériorité, autrement dit la figure vivante et la figure
morte, ne font plus qu’une :
Non seulement, dit Padilla, la théologie et les saintes Écritures, mais aussi la raison
naturelle et la philosophie (auxquels ceux qui ont fermé les yeux à la lumière du
ciel demeurent aveugles) nous apprennent qu’avec l’image et l’original qui y est
représenté, on fait une sorte de composition, important par le biais de l’imagination
(comme on le fait dans d’autres cas) l’original dans l’image, et ainsi dans son espèce
celle-ci en vient à être la même chose que lui, tout comme on fait un homme dans
une autre espèce, dans la composition naturelle de corps et d’âme : la personne
ainsi représentée dans l’image est être et vie de l’image elle-même. D’où l’on déduit
que, de même que l’on attribut à l’homme les œuvres de l’âme qui donnent ainsi vie
à l’image (qui est une apparence de cette figure extérieure et de la personne
représentée), de même on attribut les propriétés, les vertus, les actions et les
passions de la personne représentée à l’image, puisqu’en tant qu’image elle a son
être et sa vie. C’est l’origine de la très ancienne coutume de l’Église de peindre des
images pour rendre présents à nos sens, dans la mesure du possible, le Christ et sa
très sainte Mère, et les saints absents, en nous apprenant à importer par
l’imagination dans l’image qui nous met en face de nous leur représentation : pour
obtenir de cette forme de présence une partie des bénéfices que nous pourrions
obtenir de la communication avec les personnes elles-mêmes, nous délectant de
leur vue, nous encourageant de leur exemple, respectant leur sainteté, demandant
humblement leur aide, et conversant finalement, traitant avec eux, comme s’ils
étaient présents à nous. D’où l’on déduit que le respect que l’on a pour l’image, on
l’a pour la personne qui y est représentée29.
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Une théologie de l’image mariale
29
Le régime de l’image sacrée en terres catholiques se trouve ainsi justifié et défini, et
même fondé dans la matérialité de cette image mariale endommagée par le geste
iconoclaste. Valladolid, terre d’accueil de la Vulnerata, se retrouve par cette occasion
au centre du dispositif de définition de son essence. Mais l’enjeu de cette affirmation
théologique de l’image sacrée ne se referme pas sur elle-même. L’événement de 1600
montre au contraire à quel point cette question était centrale d’un point de vue
politique. En effet, Valladolid, trois mois après cet épisode fondateur, fut choisie comme
nouvelle capitale de la Monarchie hispanique — la Cour s’y installa dès février 1601 et
jusqu’en 1606 —, parce qu’elle était alors devenue le cœur du renouveau catholique. Par
cet événement, les Monarques, en particulier la reine, s’employèrent à l’y identifier dès
le début de leur règne. Autrement dit Valladolid, terre d’accueil de la Vierge attaquée
par les iconoclastes, devint le centre du nouveau royaume catholique à visée
universelle, à travers une fondation en image matérielle.
Conclusion
30
L’arrivée de la Vulnerata fut par conséquent un événement fondateur de la pensée
religieuse des souverains et de la forme du combat contre les persécutions de l’Église
catholique. En octobre 1613, Diego de Sarmiento, ambassadeur espagnol à Londres,
soulignait encore la très grande « utilité » des collèges de Valladolid et de Séville,
religieusement comme politiquement. Les motivations politiques visant à la
récupération du royaume perdu auxquels adhéraient les prêtres anglais furent peu à
peu élargies par la Compagnie de Jésus au combat de l’Église militante et à l’envoi des
missions en Asie ou en Amérique. Après le Concile de Trente, la Vierge de Valladolid
symbolisa le début du renouveau de la piété catholique que la reine Marguerite de
Habsbourg se chargea d’accueillir au cœur de la Monarchie hispanique. En donnant un
visage à la définition théologique de l’image sacrée pour les Catholiques, elle traça les
frontières d’un nouveau royaume catholique à portée universelle : celui où l’image, dans
toute sa matérialité, et son prototype forment une « composition ».
NOTES
1. Sur cette Vierge et le contexte de cette translation, on pourra consulter Javier
BURRIEZA, Virgen de los ingleses entre Cádiz y Valladolid: una devoción desde las guerras de
religión, Valladolid, Real Colegio de Ingleses, 2008 ; Anne J. CRUZ, « Vindicating the
Vulnerata : Cádix and the Circulation of Religious Imagery as Weapons of War », dans
ID., Material and symbolic circulation between Spain and England, 1554-1604, Aldershot,
Ashgate, 2008, p. 39-60; Peter DAVIDSON, « The Solemnity of the Madonna Vulnerata,
Valladolid, 1600 », dans Peter DAVIDSON et Jill BEPLER (éd.), The Triumphs of the Defeated.
Early Modern Festivals and Messages of Legitimacy, Wiesbaden, Harrassowitz in
Kommission, 2007, p. 39-54.
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Une théologie de l’image mariale
2. On consultera sur le sac de Cadix la Historia del saqueo de Cadiz por los ingleses en 1596, escrita por
Fr. Pedro de Abreu, Cadix, Revista Médica, 1866, publication d’un manuscrit du début du XVIIe siècle
(1609) d’un franciscain témoin de la prise de la ville portuaire. Plusieurs relaciones de 1596 sont
aussi réunies dans ce volume. Elles font état des actes iconoclastes qui ont eu lieu dans les églises,
par exemple dans Relacion de lo sucedido en la toma de Cadix año de 1596, II, p 15, et Pedro Andreu y
consacre un long passage, p. 121-125. Stephen et Elizabeth
USHERWOOD,
The Counter-Armada 1596.
The Journal of the ‘Mary Rose’, Londres-Sydney-Toronto, The Bodley Head, 1983.
3. Sur le rôle du duc de Medina Sidonia lors du sac de Cadix, on lira le chap.
XI
de Peter
PIERSON,
Commander of the Armada. The Seventh Duke of Medina Sidonia, New Haven-Londres, Yale University
Press, 1989, p. 193-213.
4. Sur la place de Valladolid dans la Monarchie hispanique et plus spécifiquement dans
la Couronne de Castille, on consultera Bartolomé BENNASSAR, Valladolid au Siècle d'or. Une
ville de Castille et sa campagne au XVIe siècle, Éd. conforme à l'éd. originale de 1967, augm.
d'une préf., Paris, Éd. de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, 1999.
5. Sur Robert Parsons, on consultera Francis
EDWARDS,
Robert Persons. The Biography of an
Elizabethan Jesuit 1546-1610, St. Louis, Missouri, The Institute of Jesuit Sources, 1995 et Victor
HOULISTON,
Catholic Resistance in Elizabethan England. Robert Persons’s Jesuit Polemic, 1580-1610,
Aldershot-Burlington-Rome, Ashgate-Institutum Historicum Societatis Iesu, 2007.
6. Robert PARSONS, A Conference about the next succession to the crowne of Ingland, divided
into two partes... Published by R. Doleman, [Anvers, Arnout Conincx], 1594. Des éditions du
même texte, en latin, en flamand, en français, ont vu le jour l’année précédente.
7. José de
SIGÜENZA,
Fundación del Monasterio de El Escorial. Prólogo de Federico Carlos Sainz de Robles,
Madrid, Aguilar, 1963, Première partie, Discurso XX : « La última enfermedad y feliz muerte del Rey don
Felipe II, Fundador de este convento, con otros particulares que toca a su fundación », p. 172-183 et
Discurso XXI : « Prosigue el tránsito y muerte del Rey don Felipe II. Las preparaciones de su muerte, su
entierro, codicilo último para las cosas de esta casa », p. 183-194. Le paragraphe sur les derniers
instants de Philippe II se trouve p. 193 : « Las últimas palabras que pronunció y con que partió de este
mundo fue decir, como pudo, que moría como católico en la Fe y obediencia de la santa Iglesia Romana; y
besando mil veces su crucifijo (teníale en la una mano, y en la otra la candela, y delante la reliquia de San
Albano, por la indulgencia), se fue acabando poco a poco, de suerte que con un pequeño movimiento, dando
dos tres boqueadas, salió aquella santa alma y se fue, según lo dicen tantas pruebas, a gozar del Reino
soberano. »
8. Sur les collèges jésuites de Valladolid, et en particulier sur Saint-Alban, je renvoie à Javier
BURRIEZA, Valladolid,
tierra y caminos de jesuitas: presencia de la Compañía de Jesús en la provincia de
Valladolid, 1545-1767, Valladolid, Diputación provincial, 2007.
9. Antonio ORTIZ, Relacion de la venida de los Reyes Catholicos, al Collegio Ingles de Valladolid,
en el mes de Agosto de 1600, Madrid, Andrés Sánchez, 1600 et Recebimiento que se hizo en
Valladolid á una imagen de Nuestra Señora, Madrid, en la imprenta de Tina, 1600. Il existe
aussi un manuscrit racontant cette cérémonie à Rome, au collège des jésuites anglais de
San Tommaso di Canterbury, que nous n’avons pas pu consulter : Venerable English
College Liber 1422, cité par Peter DAVIDSON, « The Solemnity of the Madonna
Vulnerata », art. cit., p. 41.
10. Titre militaire hérité du Moyen Âge attribué à un noble se voyant confier la gouvernance
d’une région (ici la Castille) par le roi.
11. A.
ORTIZ,
Relacion de la venida de los Reyes Catholicos, op. cit., fol. 7v. : « En el altar mayor esta un
retablo nuevo de escultura con tres imagines de bulto. En el medio està S. Albano Protomartyr de Inglaterra,
y patron del Collegio. A la mano derecha Santo Thomas Cantuariense, y a la yzquiera Sant Edmundo Rey de
Inglaterra, y martir gloriosissimo, que murio asaeteado y cortada la cabeça. Sobre la ara estava debaxo de
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Une théologie de l’image mariale
un dosel la insigne reliquia de la carne de Sant Albano, guarnecida en un cerco y pie de una piedra preciosa
de mucho valor, la qual dio el Rey don Phelipe II al Padre Roberto Personio para este Collegio. »
12. Dorothy
WHITELOCK,
« Fact and Fiction in the Legend of King Edmund », Proceedings of the
Suffolk Institute of Archaeology, vol. 31, 1969, p. 217-233. Acta Sanctorum, 20 novembris,
13. Dictionnaire Émile Littré, éd. établie et mise à jour sous la direction de C. BLUM, t. 8,
Paris, Garnier, 2007 [éd. originale, Paris, Hachette, 1863-1877] p. 399-400 : « Fondation :
« 1) action d’asseoir les fondements d’un bâtiment. Commencer la fondation d’un
bâtiment. 2) par abus. Les fondements mêmes ; en ce sens, il se dit souvent au pluriel. 3)
Fig. Action de créer quelque établissement. La fondation d’une colonie. La fondation
d’un hôpital. La fondation d’une société savante. Je place, avec Caton, la fondation de
Rome à la fin de la première année de la VIIe olympiade, qui est l’an du monde 3253 et
avant Jésus-Christ 751, Rollin. Traité des Et. IV, 1. « Depuis la fondation de la monarchie,
cette guerre est la seule dans laquelle la France ait été simplement auxiliaire, Voltaire,
Louis XV, 19 ». 4) Fonds légué pour une œuvre pieuse, ou charitable, ou louable d’une
façon quelconque. « Parcourrai-je les fondations qu’elle a faites en divers lieux ? »,
Fléch. Aiguillon ». « Il resta donc encore à la piété de la troisième race assez de
fondations à faire et de terres à donner, Montesquieu, Esp. XXXI, 10.
14. J’ai traité la question des fondations religieuses dans La dame de cœur. Patronage et mécénat
religieux des femmes de pouvoir, Rennes, Presses Universitaires de Rennes, 2016, en particulier dans
l’introduction co-écrite avec Murielle Gaude-Ferragu.
15. Cf. Guy LAZURE et Cécile VINCENT-CASSY, « Le moment anglais des jésuites en Espagne. Réflexions
autour de la série de rois saints de Francisco Pacheco (v. 1600) », dans Pauline
RENOUX-CARON
et
Cécile VINCENT-CASSY (éd.), Les jésuites et la Monarchie Catholique (1565-1615), Paris, Éd. Le Manuscrit,
2012, p. 195-236.
16. Dans cette publication, Laïla
GHERMANI
étudie l’image fondatrice dans son article intitulé
« L’image fondatrice est-elle corporelle ? Milton et la théologie de l’image » dont j’examine ici
une sorte de réponse, d’écho, voire de miroir : celui de la fondation d’une image corporelle,
comme l’autorisait et réaffirmait la théologie catholique après le Concile de Trente. L’image est
ici, avant tout, un objet matériel. La signification que les différents acteurs de cette histoire, de
cette mise en récit fondateur, lui ont donnée, est liée à sa matérialité.
17. A. ORTIZ, Relacion de la venida de los Reyes Catholicos, op. cit., fol. 59v. : [El colegio] nos da
una firme esperança que presto passarà este largo camino, y riguroso invierno, de la persecucion
de los Catholicos Ingleses, y vendra el verano sereno, apazible y florido, passara la noche triste y
lobrega de la heregia, y començarà a amanecer el dia claro y alegre de la religion Catholica en
esse Reyno. »
18. Traduction de l’auteure. Ibid., fol. 59v.-60r.
19. Même si le propos porte sur la place des gravures dans l’ouvrage postérieur de Gumppenberg,
je renvoie à Olivier CHRISTIN et Estelle LEUTRAT, « Une théologie de l’image en images. Les
frontispices de l’Atlas Marianus », dans Olivier CHRISTIN, Fabrice FLÜCKIGER et Naïma GHERMANI (dir.),
Marie mondialisée. L’Atlas Marianus de Wilhelm Gumppenberg et les topographies sacrées de l’époque
moderne, Neuchâtel, Éd. Alphil-Presses Universitaires suisses, 2014, en particulier au chapitre
intitulé « La Vierge, rempart de la foi : une théologie de l’image en images », p. 188-191, car les
auteurs y expliquent une idée commune à l’Atlas et aux récits d’Antonio Ortiz : l’image de la
Vierge est la première cible des attaques protestantes, et le premier instrument de la lutte contre
l’hérésie pour les catholiques. La conscience du fait que la refondation de l’Église contreréformiste passe par cette image est exprimée par les courts récits d’Ortiz de façon beaucoup très
précoce — en 1600 — sans la portée universaliste qu’elle a dans l’ouvrage du bavarois
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Une théologie de l’image mariale
Gumppenberg, car elle est une image de riposte important la frontière confessionnelle au sein de
la Castille.
20. A. ORTIZ, Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op. cit., fol. 6r. : « y parecio
traça patente y clara de Dios, querer no solo deshazer el agravio hecho a su santissima Madre por
los hereges Ingleses en su Imagen, sino tambien el que los mesmos han hecho en la gloriosa fiesta
de su santa Natividad, principio de la felicidad y dicha de todo el genero humano. »
21. Un manuscrit de la bibliothèque nationale d’Espagne permet de compléter notre
connaissance de l’événement. Il contient les emblèmes accompagnés d’épigrammes en latin à
l’adresse de Philippe III qui étaient disposés dans le collège pour l’occasion : Biblioteca Nacional
de España (BNE), Ms 2492. Ces 15 emblèmes (qui suivent le blason du roi d’Espagne) sont faciles à
interpréter. Par exemple, Philippe III est le soleil qui permet à l’Angleterre de sortir de l’obscurité
dans laquelle elle est tombée, la rose (représentant l’Angleterre) est tournée vers le soleil qui lui
permet de croître, la Vierge une rose qui permettra de nourrir les abeilles et de tuer les
bourdons, et le Phénix est présenté renaissant de ses cendres. Sur les emblèmes, cf. Peter
DAVIDSON, « The Solemnity of the Madonna Vulnerata », art. cit., p. 46-48.
22. Antonio Ortiz reproduit à la fin de la seconde de ses relaciones un rapport envoyé par le Comte
de Puñonrostro, protecteur des collèges jésuites anglais, plaidant pour la libéralité auprès des
conseils de l’administration royale. Il fournit une série d’arguments pour leur demander une aide
financière (dont il ne détaille pas le contenu). Il fait tout d’abord référence aux « raisons de
piété » justifiant les aumônes ou cessions de biens. Parmi elles, le fait que l’Angleterre ait été le
premier royaume chrétien du monde entier, ce qui lui donne le statut de « fille aînée de l’Église,
et de dot de Notre Dame » (Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op. cit., fol. 55v.) Bède
le Vénérable est l’auteur de l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais, écrit vers 730, publié à de très
nombreuses reprises en latin, mais aussi dans bien des langues vernaculaires, en irlandais ancien,
en anglais, par exemple. Voir
BÈDE LE VÉNÉRABLE,
Histoire ecclésiastique du peuple anglais (Historia
ecclesiastica gentis Anglorum), introduction et notes par A. CRÉPIN, texte critique par M. LAPIDGE et
traduction par P. MONAT et Ph. ROBIN, Paris, Éd. du Cerf, 2005, 3 vols.
23. Traduction de l’auteure. A.
ORTIZ,
Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op. cit.,
fol. 6r.-6v. : « se puso de secreto en una pieça adereçada para este fin, sobre un altar, y a la hora señalada
en que los estudiantes van de comunidad cada dia a dezir las delante de la Imagen, que estava cubierta con
su manto y velo: y quando se descubrio, y la vieron los braços cortados por cerca de los codos, y con tantos
golpes y cuchilladas por el cuerpo, y en particular con siete heridas en el rostro, fueron tantas sus lagrimas
y solloços, que apenas pudieron acabar la Litania, y entraron en un santo corage y zelo contra la heregia,
que ha reduzido su patria a tanta desventura, ofreciendo sus vidas a Dios, y su santissima Madre, para
vengar este agravio, no en las personas que lo hizieron (cuyo miserable estado mas merece compassion) sino
en la causa y rayz desta miseria y ceguedad. Y assi entiendo, que les ha de ser esta santa Imagen un
perpetuo despertador a volver por la conversion de su patria y honra de la Virgen. »
24. Traduction de l’auteure. A. ORTIZ, Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op.
cit., fol. 8r.-8v. : « A la yglesia mayor estava aguardando el Cabildo de aquella santa yglesia, en
procession, con mucha musica y fiesta a recebir la santa Imagen que venia como de camino: y
llegado que fue, sacaronla de la litera en que venia cubierto el rostro con una toca de gassa
transparente por mayor decencia, y la pusieron en unas andas de plata, y en hombros de quatro
Prebendados de la yglesia la llevaron en procession a un altar que estava aprestado en medio de
la capilla mayor. Fue tan grande el devoto concurso de la gente de toda la ciudad, a ver y adorar
la Imagen, que fue necessario poner reparos, y personas para contrastar las olas de la gente, que
no derribassen el altar, y los que no podian llegar cerca por aquella noche, la adoraban desde
lexos, y los que podian hazian tocar sus rosarios al manto de la Virgen y aun a las velas que
ardian en su presencia: y todas las vezes que el Sacerdote que 8v.: alli estava de aguarda
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Une théologie de l’image mariale
descubria el rostro de la Imagen, que estava cubierto con el velo, por cumplir con la devocion de
personas principales que lo desseavan y pedian no se puede explicar el sentimiento, ternura y
lagrimas de los circunstantes de verla tan maltratada. »
25. Je renvoie, sur ce point complexe de théologie catholique, au chapitre intitulé « L’image
voilée et le goût de la monstration », p. 165-170, de l’article d’Angela
figurer le merveilleux chez Athanase Kircher », dans Olivier
GHERMANI
CHRISTIN,
MAYER-DEUTSH,
Fabrice
« Penser et
FLÜCKIGER
et Naïma
(dir.), Marie mondialisée. L’Atlas Marianus de Wilhelm Gumppenberg et les topographies
sacrées de l’époque moderne, Neuchâtel, Éd. Alphil-Presses Universitaires suisses, 2014, p. 163-178.
26. Wilhelm GUMPPENBERG, Atlas Marianus, 1658, t. I, adresse au lecteur, s. p., trad. Fabrice
FLÜCKIGER dans L’Atlas Marianus de Wilhelm Gumppenberg, édition et traduction par
Nicolas Balzamo, Olivier Christin et Fabrice Flückiger, avec la collaboration de Laurent
Auberson, Naïma Ghermani et Anton Serdeczny, Neuchâtel, Éditions Alphil-Presses
universitaires suisses, 2015, p. 198 : « lorsque le lecteur regardera les images avec
dévotion, il ne se peut que la grâce de Marie ne s’insinue pas en lui par une bonne
pensée, qui se glisserait en lui par une bonne pensée (...). Je ne croirai jamais que
quelqu’un ait pu contempler une image de Marie sans en tirer profit. »
27. Traduction de l’auteure. A. ORTIZ, Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op.
cit., fol. 8v. : « tiene una hermosura tan grave, que pone reverencia y respeto particular a todos
los que la miran: de manera que los golpes, aunque la deslustran algo, no entibian la devocion,
antes la despiertan y avivan grandemente. »
28. A. ORTIZ, Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op. cit., fol. 15r-v.
29. Traduction de l’auteure. A. ORTIZ, Recebimiento que se hizo en la Ciudad de Valladolid, op.
cit., fol. 22v-23r. : « que de la imagen y del original que en ella se representa, se haze una
manera de composicion, trayendo por la imaginacion (como en otras cosas se suele) el original a
la imagen, que en su genero biene a hazer una mesma cosa, a la manera que en otro genero se
haze un mismo hombre, en la composicion natural de cuerpo y alma: quedando la persona que en
la imagen se representa, como ser y vida de la misma imagen. De donde viene, que ansi como al
hombre se atribuyen las obras del alma que le vivifican ansi a la imagen (que es una compostura
dessa figura exteriro y de la persona que se representa) se le atribuyen las propiedades, virtudes,
acciones, y passiones de la persona que en ella se representa, y que en razon de imagen es su ser
y su vida. De aquí nacio la antiquissima costumbre de la Iglesia, de pintar imagines, para hazer
presentes a nuestros sentidos en la manera possible a Christo y a su santissima Madre; y a los
santos ausentes, enseñandonos a traerlos, por la imaginacion a la imagen que nos pone delante
para representarlos: para sacar desta manera de presencia, parte de los frutos que pudieramos
de la comunicacion de sus propias personas, regalandonos con su vista, alentandonos con su
exemplo, respetando su Santidad, pidiendo humilmente (sic) su socorro, y finalmente
conversando y tratando con ellos, como si nos estuvieran presentes. De aquí es, que es el respeto
que se haze a la Imagen, se haze a la persona que en ella se representa: y de la mesma persona
tambien es la injuria que a su imagen se hiziere. »
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Une théologie de l’image mariale
ABSTRACTS
This paper examines the meaning of the event related by a chronicler named Antonio Ortiz
through two short narratives (relaciones) printed in 1600 in Madrid: the arriving at the English
Jesuit college of Valladolid, in presence of the queen Margaret of Austria, of a wooden statue of
the Virgin ‘outraged’ by the iconoclast attack of the English when the sack of the town of Cadiz in
1596. The college itself has been founded in 1589 in the heart of Castile under the royal patronage
of Philip II. At the moment of the translation of the statue of the Virgin to Valladolid, his son and
successor Philip III was reigning since he had died in 1598. This arriving and its narrative form
make this solemnly staged event an act of founding or refounding the jesuit college dedicated to
instruct who would were bound to be future martyrs in heretic England. In this paper the image
is not examined under its metaphorical form but under its singular material aspect (it was
stabbed with a knife), which is at stake in all the theological discourse in the Catholic World after
the Council of Trent. It is the object of the foundation but also the object founded, as it is
renamed on this occasion. It founds a political and religious regime of catholic reformation and,
with its safe haven, it is placed at the center of the universal Catholicity.
Cet article examine la portée de l’événement raconté par un chroniqueur dénommé Antonio
Ortiz à travers deux courts récits (relaciones) imprimés en 1600 à Madrid : l’arrivée au collège des
jésuites anglais de Valladolid, en présence de la reine Marguerite de Habsbourg, d’une statue en
bois polychromé de la Vierge, « outragée » par l’attaque iconoclaste des Anglais lors du sac de la
ville de Cadix en 1596. Le collège avait lui-même été fondé au cœur de la Castille en 1589 sous le
patronage royal de Philippe II. Au moment de la translation de la statue de la Vierge à Valladolid,
son fils et successeur Philippe III régnait depuis sa mort en 1598. Cette arrivée, et sa mise en récit,
font de cet événement solennellement mis en scène un acte de fondation ou de refondation du
collège jésuite voué à former de futurs martyrs dans l’Angleterre hérétique. Dans cet article,
l’image est considérée non pas sous sa forme métaphorique mais sous son aspect matériel
singulier (elle a reçu des coups de couteau), qui constitue l’enjeu de tout le discours théologique
catholique après le Concile de Trente. Elle est l’objet de la fondation, mais aussi l’objet fondé, en
étant renommé à cette occasion. Elle fonde un régime politique et religieux de renouveau
catholique. Elle se trouve ainsi placée, avec sa terre d’accueil, au centre de la Catholicité
universelle.
INDEX
Chronological index: XVIIe siècle
Keywords: Virgin Mary, Holy Image, Valladolid, foundation, Catholic Monarchy, Post-tridentine,
1600, Iconoclasm, Vulnerata, Theology of Image.
Mots-clés: Vierge Marie, image sacrée, Valladolid, fondation, Monarchie catholique, posttridentin, 1600, iconoclasme, Vulnerata, théologie de l’image.
Geographical index: Espagne
Images Re-vues, Hors-série 8 | 2020
17
Une théologie de l’image mariale
AUTHOR
CÉCILE VINCENT-CASSY
Cécile Vincent-Cassy est maître de conférences HDR à l’université Sorbonne Paris Nord.
Spécialiste d’histoire et d’art religieux dans le monde hispanique, elle est l’auteure de Les saintes
vierges et martyres dans l’Espagne du XVIIe siècle. Culte et image, Casa de Velázquez, 2011, et a co-dirigé
La imagen religiosa en la Monarquía hispánica en el siglo XVII. Usos y espacios, Casa de Velázquez, 2008,
Les jésuites et la Monarchie Catholique (1565-1615), Le Manuscrit, 2012 ; La Cour céleste. La
commémoration collective des saints au Moyen Âge et à l’époque moderne, Brepols, 2015 ; La dame de
cœur. Patronage et mécénat des femmes de pouvoir en Europe ( XIVe-XVIIe siècle), PUR, 2016 ; Miquel
Barceló. Portraits / autoportraits, Mare & Martin, 2016 ; Hacedores de santos. La fábrica de santidad en la
Europa católica (ss. XVI-XVII), Doce Calles, 2019.
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