La voix de Lucien
Par François Mercier
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À propos de ce livre électronique
À PROPOS DE L'AUTEUR
François Mercier réunit voyage, connaissance, magie et alchimie autour de récits surprenants axés sur le mystère de la vie. Il est le président de l’association de la route des mines Dômes Combrailles en Auvergne et auteur de deux ouvrages publiés : Voyages d’un chien amoureux et Voyages d’un antiquaire amoureux.
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Aperçu du livre
La voix de Lucien - François Mercier
Cérémonie funèbre
La salle du crématorium était bondée. Beaucoup plus de monde qu’il ne l’aurait imaginé s’était déplacé pour lui dire adieu. La famille, bien sûr, enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants. Quelques cousins curieux, désireux de connaître ces jeunes descendants qu’ils n’avaient aperçus qu’en photo ; mais aussi une ex-épouse et une importante délégation de son club philosophique. Il y avait encore une poignée de vieux confrères journalistes, comme autant d’anciens combattants des années soixante-dix. Son éditeur était là, un commissaire-priseur, un marchand de peinture, et ces commerçants auxquels il était resté fidèle, boulanger, pâtissier, boucher, épicier, caviste, libraire. Un psychiatre aussi. La présence d’un curé, qui avait surpris l’assistance, lui avait décroché un sourire malicieux. Pour autant qu’on puisse appeler sourire un rictus discret apparu sur un ectoplasme dépourvu de cette enveloppe terrestre qu’on appelle « corps ». Pas d’oraison, comme il l’avait souhaité, mais quelques citations philosophiques en guise de viatique. On le croyait agnostique, animiste peut-être. Lui-même n’avait jamais vraiment su dans quelle case se ranger sur le plan spirituel. Il tenait en grippe cette église hypocrite, devenue politique, qui avait récupéré les folklores païens pour mieux affirmer son pouvoir et asservir le peuple. Et toute une partie de sa vie avait été consacrée à rechercher sous l’écorce chrétienne les messages des cultes antiques. Bon, assez de divagations, il lui fallait revenir à ce qui se passait là, dans ce crématorium, avec son nouveau regard d’être invisible. Car ce qu’il avait découvert, après l’abandon de son corps physique, c’est la survivance de sa conscience. Et, pour le moment, il en savourait les effets…
Pas de célébration religieuse donc, mais une chaîne d’union fraternelle. Quelques paroles d’adieu, un peu trop larmoyantes, un peu trop élogieuses à son goût, et quelques morceaux de musique avaient conclu la cérémonie. Certains avaient reconnu du Monk ou peut-être du Coltrane et quand même pour conclure, un joyeux « Here comes the Sun » des Beatles :
Here comes the sun do, do, do
Here comes the sun
And I say it's all right
It’s all right… c’était tout à fait exact pour lui. Le passage dans cet autre monde dont il commençait à découvrir les dimensions s’était déroulé pour le mieux. L’opération s’était effectuée pendant son sommeil terrestre et donc, doucement, sans violence, sans souffrance, comme un glissement, comme un changement de vêtement. Et il allait devoir s’habituer à ses nouveaux habits tissés dans une matière inconnue. Non, ce n’était pas du « made in China », mais du « made in Caelum »… peut-être ? En tout cas, il en avait immédiatement perçu tous les avantages. Plus aucune douleur. Disparue cette ankylose du matin, disparue cette migraine persistante, disparue ces vertiges… Cette nouvelle enveloppe était formidable. La capacité de déplacement de ce corps parfait était phénoménale. Voler ! Il en avait souvent appréhendé la sensation en rêve. Et, aujourd’hui, il suffisait d’une légère impulsion, d’un désir, d’une simple intention, comme un coup de talon au fond d’une piscine, pour s’élever dans les airs, sans effort aucun et flotter, et planer comme une plume au vent à l’identique des personnages de Folon qui annonçaient la fin des émissions d’Antenne 2 dans les années quatre-vingt. Ce qui l’avait interrogé, pendant ce temps que les humains appellent la vie, était la question de savoir s’il existait, là, encore de la souffrance et du stress, mais non, ni douleur, ni plus ces appels incessants du banquier, ni plus ces factures d’eau, d’électricité, de téléphone et autres, ni plus toutes ces tracasseries matérielles en tout genre. Il aurait trouvé très dommage de ne pas pouvoir en profiter pleinement. C’est sur ce simple constat qu’il en avait conclu qu’il était indispensable, nécessaire, obligatoire, évident, qu’il y avait « quelque chose » après la mort. Et aujourd’hui, il en avait la preuve, la certitude. Quel bonheur ! Bon ! Cela venait juste de se produire il y a quelques jours seulement. Et il n’en avait pas encore exploré toutes les potentialités… la première découverte, extraordinaire, fantastique, magique, était cette réponse tant attendue de son vivant, de sa part, comme de tous les êtres terrestres qu’il avait côtoyés et comme tous ceux qui l’avaient précédé, que la conscience continuait à fonctionner et que la notion d’individu était intacte.
Finalement, il avait constaté avec une grande satisfaction que la mort n’était pas si différente de la vie et que la distinction entre le mort et le vivant n’était pas si claire. Il imaginait qu’il aurait un peu de temps pour découvrir ce nouvel espace à conquérir. D’abord, il n’était pas, pour le moment, séparé, éloigné de ces vivants qui faisaient partie de son environnement immédiat… et il n’était pas encore si pressé de s’en détacher. On verrait plus tard. Plus tard ? Ça ne voulait peut-être plus rien dire à présent. À présent ? Non plus ? Il se surprenait à penser « comme avant ». Avant ? Après ? Aujourd’hui, hier, demain tous termes obsolètes.
Allons. Il fallait cesser de se torturer encore l’esprit avec des questions idiotes…
Et dommage qu’il ne puisse pas en faire profiter ses frères et sœurs humains encore vivants… cette histoire de tunnel de lumière ? Foutaise ! Pas de lumière et personne pour l’accueillir… Dans un premier temps, dont il avait du mal à mesurer la durée, tout était noir ! Il avait conscience de s’être réveillé… d’un long, très long songe et petit à petit, il avait eu l’impression de nager, de nager dans un liquide vaseux et vaguement lumineux puis, après avoir émergé de cet espace inconsistant et chaotique, il avait reconnu la chambre, le lit dans lequel il aperçut cet autre lui, couché, là au-dessous… Et il avait accompagné tous les instants de son passage vers cet autre univers qu’il commençait à percevoir.
D’abord, vers neuf heures précises, comme il l’avait constaté sur la pendule du salon, son « auxiliaire de vie » du réseau Petit Fils était arrivée, comme à son habitude, pour l’aider à se lever. Après le décès de son épouse, ses enfants avaient tenu à le faire assister dans les tâches de la vie quotidienne. Mais il avait résisté longtemps, peu enclin à laisser s’introduire une « étrangère » dans son intimité. D’autant plus que les échanges étaient plus que limités. Non pas que cette personne fut désagréable, bien au contraire, mais elle ne parlait pas français et il regrettait qu’il fût un peu tard pour apprendre le portugais !
Ne le voyant pas attablé à son petit déjeuner, elle avait frappé à sa chambre, puis en l’absence de réponse, elle avait discrètement entrouvert la porte et en s’approchant du lit, elle avait rapidement constaté une absence de respiration. Un médecin, appelé en urgence, avait pu confirmer un arrêt cardiaque. Ses enfants étaient arrivés rapidement. Toutes ces visites, il avait pu les observer depuis le plafond de l’appartement qu’il semblait occuper depuis quelques heures, à la manière d’une grosse mouche. Cette idée l’amusait et il ne put empêcher un fou rire nerveux qu’il tenta bêtement de dissimuler… même s’il n’y avait personne pour y prêter attention. Il allait devoir abandonner ces réflexes de vivant. Assis à côté du chauffeur, il avait accompagné le véhicule qui emportait sa carcasse au centre funéraire pour la mise en bière… Il n’avait jamais réfléchi à ce terme qui ne manqua pas de l’amuser. Mise en bière ? La bière conservait elle les corps ? Plus sympathique que le formol assurément !
Puis un commissaire vint apposer les scellées sur le cercueil. Et là… il n’en crut pas ses yeux… ses yeux, façon de parler ! Il n’était pas encore trop habitué à cet état. Le commissaire portait un tee-shirt sur le dos duquel était inscrit en lettres géantes « GAME OVER ». La partie était-elle vraiment terminée ? S’agissait-il d’un avertissement ? Une nouvelle vie lui était-elle donnée ? Décidément, cette mort devenait la chose la plus drôle de sa vie !
Mikael
Mikael Rousseau, l’aîné de ses petits-enfants, qui avait déjà atteint la trentaine était bien triste, même si son grand-père l’avait bien préparé à cette séparation. Ils avaient tant de fois évoqué cet événement, tant de fois débattu du « Qu’est-ce qu’il y a après ? ». Et voilà, le jour fatidique était arrivé. Depuis quelques mois déjà, Lucien, c’était le nom du grand-père, était impatient, oui, impatient de trouver la réponse à cette question. La famille avait célébré, l’année passée, son centième anniversaire. Atteindre cet âge ne relevait plus d’un exploit, et beaucoup le dépassaient encore d’une dizaine d’années. Mais la performance consistait surtout à garder toute son autonomie jusqu’au bout, à pouvoir communiquer avec ses proches, à pouvoir se déplacer sur ses deux pieds, à pouvoir voir, parler et entendre, bref à demeurer vraiment vivant et ne pas ressembler à ces zombies entretenus par une technologie médicale absurde. Un beau matin, Lucien ne s’était tout simplement pas réveillé. Il ne s’était même pas senti partir. Aujourd’hui, c’est en fumée que son corps avait fait le dernier voyage. Son corps, oui, pensait Mikael, mais qu’en était-il de son esprit ?
Au bout de quelques heures, la famille avait pu récupérer l’urne contenant les cendres du défunt et afin