L'interactivité Dans L'apprentissage: La Perspective Des Sciences Cognitives
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L'interactivité Dans L'apprentissage: La Perspective Des Sciences Cognitives
ISSN
0318-479X (print)
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Robert Brien
Professeur
Université Laval
Introduction
Selon Gordon Davies {In Oyston, 1997), commissaire aux études supérieures
de l'Etat de la Virginie, pour qu'une technologie puisse résoudre les problèmes
actuels de l'enseignement, elle doit pouvoir répondre de façon satisfaisante aux
trois questions suivantes: «1) Est-ce que cette technologie rend le savoir plus dis-
ponible? 2) Est-ce qu'elle améliore l'apprentissage? 3) Est-ce qu'elle permet de sa-
tisfaire les conditions précédentes au même coût ou à un coût moindre?» (p. 27;
notre traduction). En nous appuyant sur les résultats de recherches effectuées dans
les sciences cognitives depuis deux ou trois décennies, nous traiterons de la
18 Revue des sciences de l'éducation
Ce qu'on apprend
Lorsque des individus s'engagent dans des activités de formation, c'est pour
acquérir des connaissances, des attitudes et des compétences qui leur permettent
d'interagir adéquatement avec l'environnement dans lequel ils évoluent. L'étude
de tels «objets mentaux» 2 a constitué un sujet d'intérêt dès les premières recher-
ches en sciences cognitives. De fait, les spécialistes de la cognition se sont toujours
intéressés à la façon dont les connaissances sont emmagasinées en mémoire hu-
maine, à la façon dont elles sont représentées et à la manière dont elles sont utili-
sées (Minsky, 1981). Dans les sections qui suivent, nous traitons des éléments
constitutifs des compétences humaines et étudions ensuite le processus de leur
acquisition par l'être humain. Nous soulignerons enfin l'apport important du
multimédia interactif dans l'apprentissage.
Le concept de compétence
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Accomplissement
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Le rôle de l'affectivité
Dans ce contexte, nous pouvons définir une compétence comme «un ensem-
ble de connaissances déclaratives, de connaissances procédurales et d'attitudes qui
sont activées lors de la planification et de l'exécution d'une tâche donnée» (Brien,
1997, p. 97). La capacité à résoudre des équations quadratiques, celle d'élaborer un
projet, celle de négocier un contrat sont des exemples de compétences.
Comment on apprend
Les résultats de recherches effectuées dans les neurosciences, dans les der-
nières décennies, permettent de mieux saisir les concepts de connaissance, d'utili-
sation des connaissances et de construction de connaissances et de compétences
auxquels nous avons fait allusion dans les sections précédentes. Pour le neuro-
scientifique Hebb(1980), nos connaissances sont encodées dans des réseaux ou
assemblées de neurones:
les souvenirs ne sont pas représentés par un neurone particulier, mais par
des réseaux de neurones — par une assemblée de neurones - dans le cortex
cérébral. Beaucoup plus, on croit que ces neurones sont distribués et peu-
vent participer à plus d'un souvenir (Driscoll, 1994, p. 261; notre traduc-
tion; à ce sujet voir aussi Changeux, 1983).
22 Revue des sciences de l'éducation
Dans la même veine, les résultats de recherches obtenus par les psycholo-
gues de la cognition mettent en évidence un certain nombre de facteurs dont
l'incidence est primordiale sur l'apprentissage. Parmi les facteurs mentionnés, il
faut noter ceux relatifs au rattachement des nouvelles connaissances à celles que
possèdent déjà l'apprenant, à la répétition et à la motivation de celui qui ap-
prend (Marieb et Laurendeau, 1993). Baddeley (1993) résume bien ces facteurs
dans son ouvrage sur la mémoire de travail.
Ces facteurs qui influencent l'apprentissage font partie intégrante des modèles
d'apprentissage de psychologues en éducation tels Bruner (1967), Ausubel (1968),
Gagné (1985) et Gagné et al (1993). En nous inspirant des événements proposés
par Gagné (1985) pour l'acquisition de capacités et d'Anderson (1995), nous avons
regroupé ces facteurs sous trois grands processus nécessaires à l'acquisition de con-
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Nous pouvons considérer que, lors du montage, l'apprenant intègre des ré-
seaux de neurones existants en un nouveau réseau dans lequel est encode l'objet
mental visé. Il y a alors identification des composantes de l'objet mental à cons-
truire, tentative d'association de ces composantes et mise à l'essai de l'objet
mental. Mais le montage d'un nouvel objet mental ne provient, en fait, que
d'une esquisse de l'objet mental à construire. Pour être de quelque utilité, cet
objet doit être consolidé, et ce sera par des exercices fréquents ou par d'autres
méthodes propres à l'activation de l'objet mental, que le concepteur et l'anima-
teur d'activités de formation favoriseront la potentialisation à long terme néces-
saire à l'acquisition de la nouvelle connaissance ou de la nouvelle compétence.
Dans la plupart des cas, le rodage devra assurer la transférabilité de l'objet
mental visé. Par ailleurs, le montage et le rodage de nouveaux objets mentaux
nécessitent un effort intellectuel considérable et des mesures visant à soutenir la
motivation de l'apprenant devraient être assurées par le système d'apprentissage
si l'on veut que son attention soit maintenue tout au long de l'apprentissage.
Interactivité et apprentissage
Le concept d'interactivité
Le modèle TOTE
premier test, l'individu juge, en tentant d'accomplir une tâche, par exemple, s'il
possède l'objet mental requis. S'il ne dispose pas de cet objet, il travaille au mon-
tage et au rodage de celui-ci. Il identifie alors des composantes hypothétiques de
l'objet, tente des associations et vérifie la pertinence de ces associations par des
mises à l'essai suivies de corrections jusqu'à ce que le travail d'encodage de l'objet
mental soit complété.
Pour amener l'apprenant à construire les objets mentaux visés, les environ-
nements d'apprentissage qu'on crée, qu'ils soient ou non assistés de l'ordinateur,
doivent inciter l'apprenant à réaliser la démarche suggérée dans le système T O T E .
Pour cela, l'environnement doit d'abord permettre à l'apprenant de déterminer si,
oui ou non, il possède la connaissance, l'attitude ou la compétence visée. A cette
fin, le système d'apprentissage doit fournir un standard ou un but à l'apprenant,
d'où la nécessité d'objectifs d'apprentissage formulés d'une manière appropriée.
L'environnement d'apprentissage doit aussi aider l'apprenant à identifier les ré-
seaux de neurones dans lesquels sont encodes les objets mentaux qu'il possède déjà
et qui peuvent être utilisés pour construire l'objet mental visé. Enfin, l'environne-
ment doit inciter l'apprenant à formuler des hypothèses, c'est-à-dire des associa-
tions, et fournir la rétroaction appropriée.
question
yS de l'apprenant
information
du système N^
d'apprentissage ^ question _ ^ réponse ^ rétroaction
W du système de l'apprenant du système
*N _ I
Pour le montage, les aspects les plus importants de l'interactivité sont ceux
qui permettent l'accessibilité à l'information et le contrôle de l'information. La
navigation joue alors un rôle structurant en soutenant un double encodage cogni-
tif et physique de l'information par une structuration du contenu qui matérialise
les liens (Hannafîn et al, 1996; Norman, 1992). La qualité et la quantité des
efforts cognitifs et physiques et la répartition de ces efforts (allocation référentielle
des ressources) influencent la qualité du traitement de l'information et, consé-
quemment, l'apprentissage. Le contrôle de l'information par l'apprenant (sélec-
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Parmi les facteurs les plus appréciés par les apprenants, Giardina (1992)
cite le fait de pouvoir progresser à son propre rythme, l'impression d'être évalué
d'une façon plus objective, la présence d'une réaction constante et significative
de la part de l'ordinateur, la possibilité de commettre plusieurs erreurs sans se
sentir coupable.
Conclusion
Nous avons tenté de montrer que c'est l'interactivité qui rend possible et qui
assure, jusqu'à un certain point, l'efficacité d'un environnement pédagogique.
D'autres facteurs importants doivent toutefois être pris en compte lorsqu'on traite
de systèmes d'apprentissage multimédias interactifs. À ce titre, nous voudrions
soumettre au lecteur deux préoccupations qui nous semblent devoir accompagner
le concepteur et le gestionnaire dans leur démarche d'implantation de tels sys-
tèmes d'apprentissage. La première concerne la démarche de conception à adop-
ter; la deuxième, plus générale, se rapporte à la place qu'on désire voir occuper par
de tels systèmes dans l'enseignement.
Ecrire, comme nous l'avons fait dans l'introduction, que le but d'un système
d'apprentissage est d'aider l'apprenant à acquérir des connaissances, des attitudes et
des compétences peut paraître banal dans un article portant sur l'apprentissage.
L'analyse de certains systèmes multimédias et l'emploi de certaines technologies à
des fins pédagogiques nous laissent toutefois perplexes. À ce titre, nous partageons
la position de Davies, citée dans l'introduction de cet article, et de Paquette {In
Meunier, 1997). Dans certains cas, on peut se demander s'il n'y a pas confusion
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Une autre préoccupation, non moins importante, a trait à la place que de-
vraient occuper les systèmes multimédias interactifs dans l'enseignement. À ce su-
jet, deux tendances se dessinent actuellement: celles des inconditionnels qui
voient l'ordinateur partout et qui, trop souvent, lui attribuent des vertus qu'il n'a
pas vraiment, du moins en 1999. Nous nous rattachons à une deuxième tendance
qui considère les systèmes multimédias interactifs comme des outils ou des sup-
ports nécessaires à un enseignement de qualité où la présence de l'être humain est
indispensable.
En effet, force nous est d'admettre que le rôle que peut jouer l'ordinateur
dans l'enseignement est considérable, mais qu'il ne s'agit pas d'une panacée. Parmi
les objets mentaux que l'apprenant doit acquérir pour accomplir les tâches d'un
domaine donné, il ne fait pas de doute que certains peuvent être acquis partiel-
lement ou totalement par interaction avec un ordinateur. Cependant, les matières
scolaires foisonnent de concepts, d'attitudes et de stratégies cognitives et métaco-
gnitives dont la totalité de l'apprentissage nous apparaît difficile à réaliser unique-
ment par interaction avec une machine. L'ordinateur a toutefois, il nous semble,
un rôle clé à jouer dans l'acquisition des concepts et des stratégies de base de disci-
plines dont le contenu est bien défini. Nous croyons qu'actuellement, beaucoup
trop de temps de l'enseignant est alloué, dans les écoles et les universités, à la pré-
sentation de concepts qui pourraient être acquis au moyen d'un matériel didac-
tique de qualité. La majeure partie du temps de l'enseignant devrait être consacrée,
croyons-nous, à la résolution de problèmes mal définis, à l'organisation du travail
d'équipe et à l'animation de discussions de groupe visant à parfaire ou à préciser
des connaissances déclaratives, des connaissances procédurales, des attitudes et des
compétences apprises par interaction avec d'autres moyens didactiques.
Ces questions et bien d'autres constituent des défis pour les chercheurs en
sciences de la cognition et de l'éducation; elles requièrent d'autres réponses à
donner aux responsables du monde de l'éducation pour l'adoption de technolo-
gies dans l'enseignement.
NOTES
1. Un système d'apprentissage multimédia interactif combine, dans le but d'optimiser l'ap-
prentissage, plusieurs messages (voix/audio, texte /données, images/graphiques, anima-
tion/images vidéo) qui peuvent se prolonger dans une dimension multisensorielle (le goût,
l'odorat, l'ouïe, la vue et le toucher). On considère aujourd'hui qu'au moins trois messages
doivent pouvoir être combinés et présentés simultanément pour qualifier un système de
multimédia. Outre la combinaison de plusieurs messages, l'interactivité est une caractéristi-
que essentielle du système d'apprentissage multimédia interactif qui [...] intègre une di-
mension physique et cognitive issue des différents contacts possibles entre l'apprenant et le
système pour cheminer dans un réseau d'information à sa disposition mais, aussi et surtout,
elle témoigne des choix cognitifs de l'individu en fonction des manipulations des informa-
tions disponibles (Gardina, 1992).
2. L'expression «objet mental» est de Changeux (1983). Elle est utilisée pour désigner autant
les connaissances, les attitudes que les compétences.
3. http://kermit.eecs.umich.edu/website
roscience and cognitive psychology frame of reference, they explain the process of acqui-
sition of new knowledge and competencies. Learning is defined in terms of constructing
new neural networks from those the learner already possesses. The article underscores the
importance of interactive processes during the acquisition of new knowledge and compe-
tencies and especially the use of multimedia interactive systems to support learning.
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W. H. Freeman.
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