L'islam Au Mali: #04/09 - Novembre 2004
L'islam Au Mali: #04/09 - Novembre 2004
L'islam Au Mali: #04/09 - Novembre 2004
L’islam au Mali
Josef Stamer
1° Le titre suggère quelque chose que nous portons plus ou moins tous dans notre imagi-
naire : L’islam comme une réalité globale et compacte, quelque chose de monolithique et par le fait
même menaçant. Si on prend l’islam dans le sens d’un système religieux avec un projet
d’organisation de la société, il a certainement une grande cohérence et se présente comme une réali-
té qui englobe tous les aspects de la vie des personnes comme de la société. Mais l’islam est vécu
par des hommes et des femmes, et en l’occurrence des Africains, des Maliens. C’est pourquoi, au
lieu de parler de « l’islam au Mali»,j’aimerais mieux parler des «musulmans au Mali».
2° On ne peut pas parler des musulmans au Mali sans faire un retour sur l’histoire. Il y
aura donc une première partie sur l’héritage culturel et religieux laissé par un millénaire d’histoire.
Je tâcherai d’y être bref, même si c’est mon sujet de prédilection. Une deuxième partie essaiera de
donner quelques éclairages sur la situation présente. Seulement plus les réalités sont proches dans le
temps, plus il est difficile d’en avoir une vue d’ensemble. D’avance je demande donc votre indul-
gence si cette deuxième partie est plus « touffue ».
Les connaisseurs sont unanimes pour dire qu’il y a actuellement fondamentalement deux
islams au Mali qui se chevauchent, se compénétrent, s’influencent réciproquement et parfois se
combattent: - l’islam traditionnel ou d’une manière lapidaire « l’islam des marabouts »
- l’islam restauré ou « l’islam des prêcheurs ».
1
Voir R. de Benoist :Tendances actuelles de l’islam en Afrique de l’Ouest , in Se Comprendre n° 84/03 ; G.
Nicolas : L’Islam au sud du Sahara aujourd’hui, in Se Comprendre n°87/07 ; K. Duran : Menace
d’extrêmisme musulman en Afrique, in Se Comprendre n° 96/08 ; J. Stamer: Religion et politique en Afrique
de l’Ouest, in Se Comprendre n° 01/09 ;
2
AED, Königstein, 1995, 154 p.
La grande majorité des musulmans maliens se rattachent certainement au premier, mais ils
sont constamment interpellés, sinon mis en défi, dans leur islamité, par le second.
Essayons donc de découvrir dans un premier temps l’héritage religieux et culturel de
l’islam au Mali auquel se réfère également les tenants de l’islam restauré quand il s’agit, par
exemple, d’investir l’espace politique.
1.1 Pendant des siècles, les musulmans étaient une minorité au Mali ; on l’oublie bien souvent
dans le débat actuel ! L’islam est pourtant un élément déterminant de l’histoire et de la culture ma-
lienne : il a marqué de son vocabulaire – religieux comme profane – toutes les langues et, par le fait
même, toutes les mentalités du pays. Sans l’islam, le Mali serait un pays sans histoire. En effet,
l’histoire événementielle du Mali est surtout l’histoire de l’avancée et du recul de l’islam au cours
des siècles. Sa présence millénaire a laissé des empreintes profondes dans les mentalités. L’islam
traditionnel malien, fruit d’une histoire millénaire, présente un visage très diversifié. Chaque ethnie
se l’est approprié à sa manière et la diversité des familles religieuses (confréries) ne fait qu’ajouter à
cette variété. La première islamisation, commencée par les commerçants et lettrés et poursuivie dans
les ramifications des confréries, pour devenir un mouvement de masse sous la colonisation, était peu
profonde. L’islam était adopté comme cadre de vie en société sans que les références profondes de
la société traditionnelle soient reniées
Dans ce processus, nous pouvons voir rapidement quels sont les éléments qui distinguent
l’islam de la religion traditionnelle tout en restant très proche d’elle.
1.2 L’islam a d’abord été le fait des nomades, éleveurs comme commerçants, des zones saha-
rienne et sahélienne. La mobilité et la réussite matérielle ont façonné très tôt une image de marque
de l’islam, encore valable aujourd’hui : religion de la réussite rapide et que l’on peut pratiquer
n’importe où. Il y a quelques treize ou quatorze années, nous avons célébré le centenaire de l’arrivée
du christianisme sur le sol malien. Il serait beaucoup plus difficile, voire impossible, de chercher à
dater l’arrivée des premiers musulmans sur les bords du Niger, quelque part au VIIIe ou IXe siècle,
c’est-à-dire, il y a bien plus d’un millénaire.
Il ne fait aucun doute que le commerce a été le premier porteur de l’islam, commerce
transsaharien d’abord, à travers la savane, jusqu’à la lisière de la forêt tropicale ensuite. Il restera un
des principaux propagateurs de l’islam, tout au long des siècles jusqu’à nos jours. D’emblée il faut
s’arrêter un moment sur ce lien très fort, presque intrinsèque, entre commerce et islam. L’islam est
né dans une cité de commerce, et son Prophète, avant d’avoir entendu l’appel de Dieu, était com-
merçant, caravanier. Le message religieux du Coran est véhiculé en partie dans un langage emprunté
au vocabulaire commercial, notamment dans le domaine de la justice et de la rétribution dernière.
Ainsi, par exemple, l’aumône est appelée « un prêt fait à Dieu ». Dans le contexte africain d’alors, et
jusqu’à maintenant, ce qui se voyait d’abord et qui impressionnait, était la mobilité de ces commer-
çants et leur réussite rapide. Comparée à la religion traditionnelle, leur religion était facile à prati-
quer. Elle pouvait être pratiquée partout et assurait une prospérité rapide, signe manifeste de la bé-
nédiction divine. Dès cette époque, l’islam apparaît à l’Africain comme la religion qui assure, à la
fois, l’ici-bas et l’au-delà.
Aujourd’hui encore, les milieux commerçants et tous ceux qui s’y rattachent, de près ou
de loin, transporteurs, hommes d’affaires, etc. sont les milieux d’une pratique religieuse régulière et
forte. Les réseaux commerciaux modernes, y compris le pèlerinage à la Mekke, sont en même temps
les réseaux de la solidarité islamique.
1.3 Beaucoup de commerçants musulmans étaient et sont encore des lettrés en arabe. C’est au-
tour de ces deux pôles, lettrés et commerçants, que les grands empires, celui du Mali (XIIIe et XIVe
s.) et l’empire songhay de Gao (XVe et XVIe s.) se sont construits. Du fait que les capitales étaient
excentriques par rapport à ces ensembles et réputées être des fiefs de pratiques « païennes », les
vrais centres en étaient les villes universitaires de Tombouctou et de Djenné. Les chefs guerriers
n’étaient souvent que sommairement convertis, mais autour d’eux, il y avait toute une administra-
tion qui reposait sur des lettrés musulmans. Quoi qu’il en soit, ces grands ensembles avaient, comme
principe majeur de cohésion, l’islam, un islam bien particulier, pratiqué seulement par une minorité
et qui ne cherchait pas une islamisation générale. L’explication en est assez simple : pour faire fonc-
2 Se Comprendre N° 04/09
tionner la cour impériale et l’armée, on avait besoin de deux choses : d’or et d’esclaves. D’une part,
une islamisation des régions aurifères ferait tarir la source, étant donné que l’extraction de l’or est
liée à des pratiques « spéciales ». D’autre part, des populations, une fois converties à l’islam, ne
peuvent plus être réduites à l’esclavage..
Même sans islamisation générale, ces grands empires ont laissé des traces, dans la cons-
cience collective des Maliens. Dès cette époque, l’islam est la religion du prestige, du pouvoir. De-
venir musulman signifie accéder à un monde supérieur, le monde du savoir et du pouvoir, les deux
étant étroitement liés. Ainsi, parmi des populations à tradition purement orale et sans écriture, savoir
lire et communiquer par écrit, devient inévitablement le moyen d'accéder à un rang supérieur. Ce
fait prendra un impact encore plus fort, lorsque dans le système des confréries, le marabout, déten-
teur d’un savoir ésotérique, exercera un pouvoir magico-religieux. Encore aujourd’hui le lettré en
arabe, le marabout , est-il un personnage à part dans la société malienne. D’autre part, et quel que
soit le régime politique, le lettré musulman a tendance à se rapprocher du pouvoir politique, comme
celui-ci a toujours tendance à s’appuyer sur le prestige du premier.
1.4 Il y a un autre héritage de cette longue période de gloire des cités islamiques (Djenné et
Tombouctou ) que nous oublions souvent. Il n’y a pas eu d’islamisation massive, mais pratiquement
toutes nos langues maliennes, à des degrés divers, véhiculent un vocabulaire d’origine arabe et donc
islamique. Certains mots sont tellement limés par l’usage, et intégrés dans le génie propre de la
langue, qu’ils sont à peine reconnaissables. D’autres, surtout dans la terminologie abstraite et reli-
gieuse, sont plus faciles à déceler. Mais le fait est là. Chez beaucoup de peuples, l’islamisation est
précédée, et donc facilitée, par la présence d’une terminologie empruntée à l’islam.
Enfin, cette longue période où les musulmans, tout en étant les détenteurs du pouvoir, sont
restés une minorité, a certainement contribué à forger cet esprit de tolérance, ce vivre-ensemble
entre musulmans et non musulmans dont nous profitons encore aujourd’hui. Du moins dans les dis-
cours officiels, il est fortement revendiqué, comme une caractéristique fondamentale de la société et
de la culture malienne. Dès le début de sa présence en Afrique, l’islam a montré une grande sou-
plesse et adaptabilité en ce qui concerne la pratique religieuse et l’imposition des prescriptions cora-
niques. Ibn Battûta, voyageur nord-africain, qui a séjourné quelque temps à la cour de Mansa Sou-
leymane vers le milieu du XIIIe siècle, a été choqué de la manière dont l’islam s’y pratiquait.
L’islam s’enracine vraiment au Mali par l’arrivée des confréries. Cette manière de vivre l’islam, en
dépendance d’intermédiaires humains, deviendra la caractéristique même de l’islam africain.
1.5 Qu’est-ce qu’une confrérie ? Le temps nous manque pour en parler en détail. Le terme traduit
très maladroitement, dans les langues européennes, un mot arabe tarîqa qui veut simplement dire «
sentier » ou « voie ». L’islam, dans sa version sunnite du moins, est d’abord religion de la loi. Etre
musulman, c’est suivre la sharî’a, le chemin tracé par le Coran et la Sunna ( la tradition authentique
du Prophète). Mais, bien vite, des musulmans, dans leur recherche de Dieu, ont dépassé la pure ob-
servation de la loi, pour se consacrer à des pratiques d’ascèse et des expériences mystiques (les sûfî).
C’est à partir de ces cercles mystiques que naissent les premières confréries au XIIe siècle (le Ve de
l’islam), associations hiérarchisées analogues à nos congrégations religieuses. Au départ, il y a un
maître spirituel reconnu pour sa science religieuse, sa piété, mais aussi pour ses pouvoirs surnaturels
de guérison, d’interprétation des songes, sa capacité de prédire et de garantir l’avenir... Les disciples
s’efforcent d’imiter systématiquement les pratiques et les techniques spirituelles du maître, pratiques
auxquelles ils sont progressivement initiés. Plus l’initiation est étendue, plus le disciple participe au
pouvoir spirituel du maître. Chaque confrérie a son rituel (wird), fait de prières et d’invocations
supplémentaires, soit en privé, soit lors de réunions hebdomadaires. Il y a tout un règlement interne
et surtout aussi la participation financière à travers la ziyâra, la visite qui peut s’effectuer dans les
deux sens : les disciples se rendant auprès du maître, ou ce dernier faisant « sa tournée » pour visiter
ses disciples.
Les principales confréries au Mali :
a) La Qâdiriyya
Elle est la plus ancienne sur le sol malien et l’une des premières dans le monde islamique.
Fondée à Bagdad au 12e siècle par Abd-el-Qâdir al-Jilânî, elle existe chez nous surtout dans la
branche Bekka’iyya, dont le centre se trouve chez les Kunta, une tribu arabo-berbère au nord de
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Tombouctou. Aussi les populations du nord du Mali en font-ils surtout partie : Songhay, Tuareg et
Peuls du Maasina. Les Qâdirî sont reconnaissables à leur chapelet qui ne comporte de séparation
qu’après trente trois grains chaque fois.
b) La Tijâniyya
Elle fut fondée au 18e siècle en Afrique du Nord par Ahmad al-Tijânî. Au Mali, comme
dans le reste de l’Afrique de l’Ouest, elle fut introduite principalement par le jihâd d’al-Hâjj ’Umar
Tall entre 1850 et 1864.
Elle se veut la confrérie qui réunit en elle tous les avantages et tous les bienfaits des
autres, car le fondateur se disait en communication directe avec Mohammed. En collaborant forte-
ment avec le pouvoir colonial, elle a supplanté, dans une large mesure, la Qâdiriyya, notamment
dans les villes. Aujourd’hui, elle se présente sous des affiliations multiples, sans qu’il y ait un cloi-
sonnement étanche entre elles. Au Mali il y en a surtout deux :
- Les ‘Umariens, descendants d’al-Hâjj ‘Umar ou de ses compagnons : Toucouleurs, Sa-
rakolé, Wolofs, etc…
- La Tarbiya, adaptation sénégalaise de la Tijâniyya insistant sur l’éducation religieuse
(d’où le nom), mais aussi sur l’initiation aux phénomènes et pratiques ésotériques. Nous la trouvons
principalement dans les milieux marka et bozo (cf. p. ex. les chorales islamiques à la T.V.).
c) La Hamâlliyya ou Tijâniyya originelle
Elle est née sur le sol malien à Nioro du Sahel, au début de ce siècle. Le véritable fonda-
teur est peu connu. C’est Shaykh Hamâ’ullâh (sharîf) qui est considéré comme le « saint » dont il
faut chercher à capter la force spirituelle. La réaction violente du pouvoir colonial, suite à des af-
frontements sanglants, a eu comme conséquence, la dispersion des principaux disciples et la nais-
sance de nouvelles branches. Aujourd’hui, Nioro du Sahel reste toujours la « zâwiya-mère », mais la
Hamâlliyya a pris des expressions très différentes selon les pays. Parmi les Hamâllistes, il faut aussi
compter des esprits lumineux et éclairés tels que Tierno Bokar Tall et Amadou Hampate Ba.
1.6 Qu’est-ce qui nous fait dire que les confréries sont des voies africaines de l’islam et ont préparé
le terrain pour une islamisation rapide et massive sous la colonisation ? Si nous analysons le proces-
sus du passage de la religion traditionnelle à l’islam, nous trouverons, entre les deux, beaucoup de «
passerelles » ou des « pierres d’attentes », comme disent certains. La « passerelle » principale se
situe dans le fait qu’aussi bien la religion traditionnelle que l’islam sont plus qu’une religion au sens
occidental du mot. Ce sont des systèmes globaux qui sécurisent et assurent la survie et le fonction-
nement du groupe social dans tous les domaines. En rejoignant la communauté musulmane, une
solidarité nouvelle se substitue progressivement à la solidarité clanique ou villageoise, sans trop
changer les modalités en profondeur. Des prescriptions et interdits nouveaux prennent progressive-
ment la place de ceux de la coutume. La seule nouveauté, vite acceptée, est la centralisation du culte
sur Dieu, surtout à travers la prière rituelle et le jeûne. Mais même celle-ci peut aller de pair pendant
longtemps avec d’autres pratiques cultuelles orientées vers les forces intermédiaires.
Il y avait pourtant deux réalités dans la religion traditionnelle, qui, dans leur logique pro-
fonde, ne trouvaient pas leur correspondant en islam: le culte des ancêtres et le fait qu’un
Islam rigoureux refuse précisément toute compromission avec les forces intermédiaires, symbolisées
dans les fétiches. Ce sont précisément ces « deux nœuds de résistance » que les confréries, ou la
pratique musulmane véhiculée à travers elles, ont réussi à débloquer. C’est là qu’elles ont réussi
« l’inculturation ».
D’abord, par rapport au culte des ancêtres. A travers le système du pouvoir spirituel, se
transmettant à travers des générations de représentants de confréries et selon les degrés d’initiation,
le fondateur de la confrérie et, au-delà de lui, le Prophète Mohammed, deviennent comme l’ancêtre
éponyme du clan ou de l’ethnie. En entrant dans la confrérie, l’Africain musulman se rattache déli-
bérément à une nouvelle chaîne de dépendance spirituelle, en devient le maillon. Elle lui procurera
une meilleure garantie de survie et de réussite que celle des ancêtres.
Par rapport aux forces intermédiaires (fétiches). Il y a transfert du recours aux forces in-
termédiaires des fétiches sur les diverses formes de matérialisation de la lettre du Coran, que ce soit
le nassi-ji ou les sebe . Le Coran est Parole de Dieu jusque dans la plus petite lettre, le plus petit
signe. Il y est dit explicitement que chaque lettre porte en elle une force insoupçonnable. A travers
les confréries, s’est répandue toute une science occulte donnant, à chaque lettre de l’alphabet arabe,
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une valeur numérique et utilisant ensuite le texte sacré pour toutes les situations critiques que l’on
puisse rencontrer. Le marabout, chaînon local de la hiérarchie confrérique, et, dans une société
analphabète, seul à même de manier et aussi de manipuler l’Ecriture et d’en découvrir et d’en utili-
ser les secrets et les forces occultes, remplace avantageusement le féticheur, devient l’intermédiaire
incontournable pour « gérer » ces deux réalités.
Il y a un dernier aspect, et non le moindre, pour expliquer le succès des confréries en
Afrique et au Mali. L’islam, dans sa pratique officielle, est très sobre, impressionnant certes, mais
peu en accord avec une expression africaine, vivante et spontanée, du sentiment religieux. Ce « vide
pour les sens », comme on pourrait l’appeler, est comblé par les divers rituels des confréries, les
rassemblements nocturnes et les célébrations nombreuses en l’honneur du fondateur de la confrérie
ou du Prophète. Dans ce domaine, comme cela se passe actuellement aussi pour le vocabulaire reli-
gieux chrétien, des emprunts et influences chrétiennes ne sont pas à exclure.
C’est à partir d’un de ces foyers confrériques qu’est parti, au début du 19e siècle, «l’éveil
islamique peul », qui, à son tour, sera battu en brèche, cinquante ans plus tard, par al-Hâjj ‘Umar,
autre conquérant prestigieux au service de la même foi musulmane, mais d’une confrérie rivale. Ces
« guerres de religion » successives ont perturbé pour la première fois l’équilibre séculaire des popu-
lations sédentaires animistes. Nous sommes à la veille de l’arrivée des troupes coloniales.
1.7 La situation actuelle de l’islam traditionnel. Jusqu’à la veille de la colonisation, malgré cette
forte inculturation évoquée précédemment, l’islam est resté confiné à certaines ethnies et à certains
foyers plus fervents de vie musulmane. On peut citer toute une série de raisons pour expliquer le fait
que, sous le pouvoir colonial, la plupart des grandes ethnies du Mali aient progressivement passé de
la religion traditionnelle à l’islam, processus qui n’est pas entièrement terminé :
- l’appui réciproque entre le colonisateur et les chefs religieux musulmans. Au début, l’ad-
ministration coloniale se méfiait beaucoup des chefs traditionnels.
- La nouvelle sécurité des routes, permettant aux propagateurs de l’islam (commerçants et
prédicateurs itinérants) des déplacements plus fréquents.
- D’une manière plus générale, le développement des communications et des transports.
Ainsi, par exemple, la construction du chemin de fer comportait une percée de l’islam en pays de
religion traditionnelle
- Le développement des centres urbains, avec école, administration, dispensaire ou encore
le service militaire..., plus tard l'exode rural. Tout ce qui comportait éloignement et déracinement du
territoire ancestral favorisait l’adoption de la religion musulmane. Dans la mesure où l’on ne peut
plus valablement pratiquer la religion traditionnelle, dans la mesure où elle ne peut plus garantir la
sécurité dans tous les aspects et les situations critiques de la vie, l’islam s’est tout naturellement
substitué à elle. La communauté musulmane, à travers notamment le réseau confrérique décrit plus
haut, procure une nouvelle solidarité immédiatement efficace. Il suffit de changer de nom, de suivre
les pratiques musulmanes élémentaires (prière rituelle et fêtes), alors que, pendant longtemps en-
core, les cadres de référence profonds restent ceux de la société traditionnelle. C’est sur ce dernier
point que les choses sont en train de changer.
Cet islam, vécu à l’africaine, est toujours resté suspect, entaché d’idolâtrie, aux yeux des
musulmans venus d’ailleurs. Depuis une cinquantaine d’années, des mouvements de réforme font
leur apparition. Nous aurons à en parler plus en détail tout à l’heure. Depuis une vingtaine d’années,
les communautés musulmanes, au Mali, sont dans un processus de profond changement ; un proces-
sus de prise de conscience de leur islamité. Cela nous mènerait trop loin d’en donner les raisons. Si,
jusque là, le marabout, quel que soit le degré de ses connaissances, était le pivot de la vie musul-
mane, maintenant la mosquée, et tout ce qui s’y rattache, en devient le centre. Les communautés
s’organisent en tant que musulmanes, se structurent et s’équipent avec tout ce que leur offre la tech-
nique moderne. C’est à partir de la mosquée que tous les besoins personnels et communautaires sont
pris en compte...
Le signe le plus évident d e cette prise de conscience est la multiplication des medersas,
en partie au dépens des écoles coraniques traditionnelles. L’école coranique était étroitement liée à
la personne même du maître et, par lui, à la structure hiérarchique de la confrérie. Les premières
medersas, au Mali, furent fondées par des réformateurs pour se démarquer de l'islam traditionnel.
Mais, bien vite, les principales confréries ont récupéré ce mouvement pour fonder elles-mêmes leurs
Se Comprendre N° 04/09 5
medersas et institutions, afin de donner à la pratique musulmane un visage plus moderne. Les con-
fréries participent pleinement à ce mouvement de structuration des communautés, en créant, no-
tamment dans les villes, des formes nouvelles de solidarité et d’interdépendance à travers de mul-
tiples associations. Même changement dans les « cadres » des confréries où nous pouvons rencon-
trer aujourd’hui des personnes d’une double culture, occidentale et arabo-islamique, qui exercent
des professions modernes : professeurs, médecins, diplomates...
Cette prise de conscience est donc en train de remodeler le visage de l’islam traditionnel
au Mali, sans pour autant mettre en question ses structures profondes. Par contre, l’accentuation de
l’islamité, même dans les milieux traditionnels, pose question à tous les non-musulmans. Elle réduit
progressivement cet espace de tolérance et d’acceptation réciproque qui faisait la caractéristique de
l’islam malien pendant des siècles. C’est cela aujourd’hui, l’enjeu de la rencontre.
Depuis quelques décennies cet islam traditionnel est vivement contesté par des courants
de réforme, raison pour laquelle nous parlons aujourd’hui du double visage de l’islam malien.
Qui sont ces courants de « réforme » ? Il y a eu d’abord ce qu’on peut appeler « les licen-
ciés d’al-Azhar », prônant un islam purifié, mais ouvert sur la modernité. Nous les retrouvons au-
jourd’hui encore dans l’administration, puisqu’ un bon nombre d’entre eux ont été intégrés dans la
fonction publique sous le régime du CMLN. Il y a, d’autre part, les « revenants » de la Mekke et
d’Arabie Saoudite convertis au Wahhâbisme. Les deux mettent en doute et contestent l’authenticité
de la pratique de l’islam et surtout l’exploitation de la crédulité des fidèles par les marabouts.
2.1 Aujourd’hui l’islam confrérique, auquel la majorité des musulmans maliens se rattache, est
principalement contesté par le courant « wahhâbite ». Ils s’appellent eux-mêmes « Sunnites », dé-
tenteurs de la vraie tradition . Ce nouveau courant religieux, dont les principaux porteurs sont encore
les commerçants et « les étudiants en religion » partis en Arabie Séoudite, récuse la médiation des
marabouts, le culte des saints et leur intercession, fut-ce celle du Prophète Mohammed lui-même, et
toutes les pratiques et innovations introduites pour composer avec la mentalité traditionnelle afri-
caine. Une masse de jeunes lettrés arabisants, formés sur place ou à l’extérieur, concurrence au-
jourd’hui fortement les marabouts classiques tant sur le plan théologique, où ils reprochent à ceux-ci
leurs pratiques ésotériques et occultes, que sur le plan de la maîtrise de la langue et la culture arabe,
nécessaire pour avoir accès à la révélation coranique et pour la pratique de la prière rituelle, ou en-
core sur le plan « pastoral », puis qu’ils investissent la communauté musulmane par leurs prêches en
toute circonstance, d’où le qualificatif d’« islam des prêcheurs ».
Ainsi la communauté musulmane du Mali est-elle profondément divisée. Des heurts,
même sanglants, sont quasi-quotidiens entre les tenants d’un islam traditionnel et les adeptes d’un
purisme fondamentaliste. Des mosquées rivales se construisent à quelques dizaines de mètres l’une
de l’autre. Les fêtes religieuses musulmanes sont rarement célébrées à la même date par tous. La
représentativité des responsables religieux est toujours contestée par une fraction de la communauté.
On pourrait multiplier les exemples de ces clivages profonds.
2.2 Depuis une vingtaine d’années, le gouvernement malien est obligé de prendre des initiatives
qui, à première vue, sont autant d’entorses à la laïcité, mais qui semblent nécessaires pour maintenir
un semblant de paix et d’unité entre les membres de la communauté religieuse majoritaire du pays.
Déjà le régime défunt a dû inviter, aux frais de l’Etat, des personnalités musulmanes éminentes des
pays arabes pour faire le tour des régions du Mali et pour prêcher l’entente entre frères musulmans.
Il avait surtout mis en place «l’ Association pour l’Unité et le Progrès de l’Islam » (AMUPI), struc-
turée sur le modèle du parti unique, avec mission de faire baisser les tensions entre musulmans au
niveau local, régional et national. Dans chaque instance de l’AMUPI, on devait veiller à une repré-
sentation équitable des divers courants en présence. Enfin diverses solutions ont été préconisées
pour contrôler la prolifération anarchique des medersas et autres institutions islamiques dispensant
un enseignement systématique en arabe à forte teneur islamique, voire islamiste. Depuis la libération
politique en 1991, les divers courants dans la communauté musulmane s’affirment et s’affrontent au
grand jour : ce n’est plus seulement la radio et la T.V. nationales qui diffusent des émissions reli-
6 Se Comprendre N° 04/09
gieuses musulmanes. De nombreuses stations F.M. s’en chargent à longueur de journée. La presse
islamique présente régulièrement des nouveaux titres. Des cassettes audio et vidéo circulent en
grand nombre, glorifiant les succès politiques et économiques des Etats vraiment musulmans (Ara-
bie Séoudite, Koweit, Libye…). Toutes les cérémonies religieuses musulmanes, notamment les cé-
rémonies funéraires, sont l’occasion de prédications publiques. Le Mali ne compte aujourd’hui pas
moins de 106 associations islamiques enregistrées, regroupées dans diverses coordinations dont
l’AMUPI toujours, la Ligue des Imams (LIMAMA), la Ligue des prédicateurs, l’Union Nationale
des Femmes Musulmanes (UNAFEM), l’Association Malienne des Jeunes Musulmans (AMJM),
etc… Tout récemment, le Président malien s’est investi personnellement pour forcer la mise en
place d’un Haut Conseil Islamique du Mali (HCIM) où toutes les tendances sont représentées et qui
servira d’interlocuteur unique entre le gouvernement malien et la communauté musulmane. Par la
même occasion un règlement pour l’exercice et le contrôle du « prêche musulman », notamment sur
les ondes, a été adopté. Sera-t-il appliqué ?
2.3 J’ai essayé de me renseigner un peu plus sur les associations musulmanes féminines. Elles sont
très nombreuses, surtout ici à Bamako, mais très peu d’entre elles (huit en tout) ont une existence
officielle par dépôt de leurs statuts. La plupart sont des regroupements informels autour d’une «
leader » avec le but d’approfondir ou d’améliorer la pratique religieuse : apprentissage de quelques
sourates du Coran, alphabétisation en arabe, enseignements sur les points spécifiques de la pratique
religieuse féminine, de la morale familiale, organisation de veillées de prière et de chant religieux
pour certaines… On ne peut pas dire qu’il y ait une vraie prise en compte des problèmes actuels de
la place de la femme dans la société. C’est l’UNAFEM qui a ses ramifications dans tout le pays et à
laquelle, d’une manière souple, toutes ces associations se rattachent.
2.4 La nouvelle situation politique a ainsi porté au grand jour les divisions et les antagonismes au
sein de la communauté musulmane. Il y a les nombreux contentieux qui opposent les Wahhâbites
aux communautés traditionnelles, surtout dans les campagnes. D’autres mouvements se font jour au
sein de l’Islam malien et certains de leurs prêches ont déjà provoqué des incidents graves : p. ex. le
grand prêcheur Ousmane Madani Haidara que l’on dit appartenir à la secte Qadyâniya. A l’ombre
du Centre Culturel iranien, il y a des groupuscules shi’ites en gestation. Les Wahhâbites se montrent
particulièrement préoccupés par l’introduction du Shi’isme au Mali et sont prêts à le combattre par
tous les moyens. Puis il faut signaler la secte des « Pieds nus » opposée à tout progrès technique, à
toute production occidentale… La liste n’est certainement pas exhaustive, mais montre qu’une fois
la liberté d’expression garantie, la communauté musulmane aura beaucoup de mal à parler d’une
seule voix et encore moins à trouver une unité profonde. L’installation mouvementée, au mois de
janvier, du Haut Conseil Islamique n’est que le dernier épisode de ce phénomène commencé en
1991. Le gouvernement malien cherche désespérément un interlocuteur unique du côté musulman et
n’en trouve pas un qui soit représentatif de toutes les tendances.
La dispute sur les diverses manières de vivre l’islam au Mali cache en fait un autre débat,
celui sur l’avenir politique du pays. Selon les courants islamisants, aucune des trois expériences
politiques du passé (socialiste, régime de parti unique, démocratie) n’a répondu à l’attente de la
majorité des Maliens. L’heure est venue, selon eux, d’expérimenter un régime inspiré pleinement de
la Loi Coranique. « Alors même que l’explosion des associations religieuses est la conséquence de
l’élargissement des droits et des libertés démocratiques, certaines d’entre elles n’en formulent pas
moins des attaques contre la démocratie… A leurs yeux, la « vraie démocratie », c’est la « solution
islamique », qui consisterait à asseoir la Loi du Coran. » (Drissa Diakité, p. 26)
2.5 C’est donc ici que se pose la question de la relation, en islam, entre religion et pouvoir poli-
tique. Il y a en islam un lien originel entre religion et pouvoir. Il est très significatif que le calendrier
musulman ne commence ni à la naissance de Mohammed, ni à la « descente » de la première « révé-
lation », mais bien à 622 quand Mohammed s’installa à Médine pour devenir chef d’une commu-
nauté politiquement indépendante. Son rôle de « leader charismatique » se confond avec ses initia-
tives politiques et guerrières pour défendre et élargir l’espace de la sa communauté. En soi, ceci n’a
rien de particulier. Ailleurs aussi, nous avions la même confusion entre religion et pouvoir politique.
Seulement Mohammed à Médine reste « Prophète », c’est-à-dire que la proclamation du Coran con-
Se Comprendre N° 04/09 7
tinue, et pour les musulmans les sourates médinoises ont même plus de poids que celles de La Mek-
ke. La « révélation » coranique, durant la période médinoise, comporte ainsi des prescriptions con-
cernant aussi bien le domaine spirituel que le domaine temporel et notamment politique : conduite
de la guerre, à quelles conditions des alliances sont-elles possibles avec les non-musulmans, partage
du butin, rôle des responsables, devoir de consultations ( shûrâ ), droit pénal, statut personnel des
musulmans et des non-musulmans, etc… Tous ces textes font partie de la « révélation » pour les
musulmans jusqu’à aujourd’hui, ils sont pour eux « Parole de Dieu ». Souvent ces textes sont liés à
des faits précis des dix dernières années de la vie de Mohammed, mais la Tradition musulmane les
prendra en absolu, hors du contexte des circonstances historiques, pour dire que l’islam est une reli-
gion globale, un système qui réglemente aussi bien la vie de chaque musulman que celle de la socié-
té et de l’Etat. L’islam est à la fois religion et principe d’organisation de la cité ( dîn wa dawla ).
Au cours de l’histoire, l’islam a connu divers modèles pour gérer cet héritage du fonda-
teur de l’islam. Ce que nous appelons « l’islamisme politique » est né sous la colonisation dans les
années 1930 – 1940, notamment en Egypte et au Pakistan. Mais la démarche d’une restauration de
l’islam par un retour à l’ordre ancien est déjà présent dans le « Wahhâbisme » dès le XVIIIe siècle.
Selon les fondamentalistes musulmans, il n’y a pas d’opposition entre le Coran et une modernité
scientifique bien comprise. Le Coran a tout prévu. Ainsi, dans la situation politique actuelle, la solu-
tion à tous les problèmes est-elle la pratique rigoureuse de l’islam, qui comporte la restauration d’un
ordre politique où la Loi de Dieu a toute sa place. Voilà le projet de base.
Le Wahhâbisme, qui nous intéresse en premier lieu, était initialement sans projet poli-
tique précis. Mais il a fait alliance avec la dynastie séoudienne, actuellement gardienne des Lieux
Saints de l’islam et jouant ainsi un rôle de substitut du califat ancien. Il s’est donné ainsi les moyens
d’imposer la « restauration ». L’adversaire principal est la « laïcité des institutions de l’Etat ». La
stratégie wahhâbite n’est pourtant pas violente, comme celle des « Frères Musulmans » et leurs mul-
tiples sous-groupes et émules, mais passe normalement par les structures existantes pour faire pres-
sion de l’intérieur : propagande, aides et avantages divers, parti islamique, revendications politiques
au nom même de la liberté et du principe démocratique de la loi de la majorité.
2.6 Qu’en est-il de la relation islam et pouvoir politique au Mali ? Nous avons déjà
constaté précédemment la grande proximité entre l’islam et le pouvoir politique tout au long de
l’histoire millénaire de la présence musulmane dans notre pays. Après les grands empires du
Moyen Age, où les lettrés musulmans étaient un facteur important pour la cohésion et le fonction-
nement de ces empires, il y a eu, plus récemment, des expériences originales d’Etats musulmans sur
le sol malien comme la dîna peul du Maasina. Il y a eu le jihâd d’al-Hâjj ‘Umar et celui beaucoup
moins spirituel de Samori. Ce sont des modèles historiques qui pourraient un jour être récupérés par
des courants islamistes, comme c’est le cas actuellement au Nigeria où des islamistes se réclament
de l’héritage historique de ’Utmân dan Fodio. Ce n’est là, pour l’instant, qu’une hypothèse. Ajou-
tons une remarque : on entend couramment dire que la colonisation aurait favorisé le christianisme
et aurait été, par principe, contre l’islam. Pour le Mali (ex Soudan français), on pourrait facilement
prouver le contraire. Bien vite, en effet, les principaux chefs musulmans se sont alignés et ont été
largement récompensés de leur loyauté par rapport à la France.
Pour ce qui est du Mali moderne, comme pour d’autres pays voisins, on peut distinguer
trois phases dans les rapports entre musulmans et pouvoir politique : celle de l’indépendance, celle
du pouvoir « monolithique », et celle de la démocratisation et du multipartisme.
1) La période de l’indépendance. D’une manière générale, l’islam ne figurait pas parmi
les motivations exprimées dans les divers programmes des partis et mouvements. Les meneurs de
ces partis sortaient pour la majeure partie du « syndicat de la bureaucratie africaine », habituée à la
séparation entre « Eglise et Etat ». Ainsi, dans toutes les Constitutions de l’Afrique de l’Ouest, ex-
cepté la Mauritanie, la laïcité était affirmée clairement, une laïcité positive et non agressive vis-à-
vis du fait religieux. Au Mali, les réformateurs musulmans ont soutenu pendant un temps le parti
US-RDA en vue d’un changement radical dans la structure de la communauté musulmane. Mais,
une fois au pouvoir, le parti socialiste, par sa politique centraliste, interdisant tout autre courant ou
association, a complètement marginalisé l’effort du courant réformiste musulman. Dans le Mali
socialiste, l’islam devient une affaire purement privée
2) La période du pouvoir monolithique. La fin des années 60 et le début des années 70 sont
8 Se Comprendre N° 04/09
marqués, en Afrique de l’Ouest, par toute une série de coups d’Etat instaurant des régimes fort :
pouvoir militaire et/ou parti unique. Quelle place l’islam occupe-t-il dans ce scenario assez général ?
D’une part, les musulmans sentent le besoin de s’organiser sur un plan national pour se faire en-
tendre et, d’autre part, le pouvoir a besoin de s’appuyer sur la religion, comme un des instruments
les plus efficaces pour mobiliser les masses. Nous assistons à la politisation de l’islam. Il y a aussi
l’influence croissante des pays arabo-musulmans avec la fondation de l’O.C.I. (Organisation de la
Conférence Islamique) Au Mali, les dirigeants militaires du coup d’Etat de 1968 ont commencé par
réadmettre l’U.C.M. (Union Culturelle Musulmane), interdite sous le régime précédent. Beaucoup
d’étudiants revenus des universités islamiques sont intégrés dans la fonction publique. Les émis-
sions religieuses musulmanes à la radio se multiplient, etc… Les diverses sécheresses ont amené un
flot important de pétrodollars dont une bonne partie disparaît dans des « entreprises privées », reli-
gieuses ou autres. Le malaise croissant devant le développement anarchique des institutions isla-
miques oblige le gouvernement à prendre des mesures. C’est la création de l’AMUPI (Association
Malienne pour l’Unité et le Progrès de l’Islam). Elle est structurée sur le modèle du parti unique en
sections régionales et comités locaux. Elle a survécu au 26 mars et, jusqu’à tout récemment, elle est
restée l’interlocuteur principal du gouvernement en ce qui concerne les affaires des musulmans.
3) La période de la démocratisation et du multipartisme. Etant donné le lien antérieur
entre le pouvoir en place et les communautés musulmanes, organisées en communautés nationales,
il n’est pas surprenant que leurs dirigeants n’étaient généralement pas parmi les forces progressistes
qui ont poussé au changement politique. Au Mali, une partie du courant réformiste, en réaction
contre la collusion de l’AMUPI avec le pouvoir du parti unique, a ouvertement soutenu les étudiants
et les travailleurs dans leur lutte pour le renversement du régime. Mais ce n’est que lors de la Confé-
rence Nationale que les voix musulmanes se font vraiment entendre. La nouvelle situation révèle des
choses importantes sur la situation de l’islam au Mali qui étaient restées cachées derrière l’écran de
l’AMUPI et du pouvoir monolithique. Des musulmans se présentent maintenant ouvertement avec
un discours socio-politique , comme une solution possible pour sortir de la crise. La nouvelle liberté
d’expression permet à certains courants de réclamer l’islamisation de la vie et des structures du pays
au nom même du principe démocratique de la majorité.
Voyons un peu plus en détail quelles sont les principales revendication des courants isla-
mistes les plus radicaux dans le champ politique. Elles tournent principalement autour de quatre
thèmes :
1° L’Etat doit positivement instaurer un climat où les valeurs islamiques puissent
s’épanouir. Il doit favoriser la vie de la communauté musulmane, soutenir la foi des musulmans, et
l’accomplissement de leur devoir religieux. Ceci va des horaires de travail adaptés, d’une certaine
retenue durant le Ramadân, de l’aide pour la construction de mosquées, de l’organisation décente et
sécurisée du pèlerinage à la séparation des sexes dans les lieux publics, les transports, les écoles, etc.
2° L’éducation islamique doit être prise en compte par l’Etat à travers le renforcement de
l’enseignement de l’arabe, la reconnaissance des medersas, l’intégration des diplômés des universi-
tés islamiques, l’enseignement religieux musulmans dans les écoles publiques, etc…
3° Une place plus grande doit être faite à la législation islamique dans le « Code de la
famille »3. Un compromis semble avoir été trouvé et le Code de la famille, approuvé en Conseil de
Ministres, devrait être voté avant la fin de la législature actuelle.
4° La mise en question croissante de la laïcité de l’Etat. Les leaders musulmans considè-
rent la laïcité comme un phénomène d’importation, une séquelle de la colonisation, introduite pour
contrecarrer la progression de l’islam. «Il y a un contentieux latent entre l’islam et l’Etat qu’à
l’avenir, si l’on n’y prend garde, certains milieux fanatiques pourraient saisir pour une entreprise de
déstabilisation. Paradoxalement, les tendances minoritaires de l’islam tirent à eux la couverture de la
laïcité qui garantit la libre expression de toutes les confessions religieuses. » (Drissa Diakité, p.26)
La pression d’un islam radical, qui s’exprime à plusieurs voix, augmente donc. Le gouver-
nement doit rester très vigilant. Mais certaines réactions ne vont pas toujours dans le sens de la clar-
té et entretiennent la confusion dans les esprits. On pourrait citer beaucoup d’exemples. Je me limite
à l’ambiguïté des relations internationales avec les pays musulmans arabes où la fraternité islamique
3
cf. la communication de Mme Bouaré dans « A la rencontre des Musulmans du Mali » pp. 37 – 39.
Se Comprendre N° 04/09 9
est fortement évoquée, non seulement par les pays hôtes, mais par les représentants de l’Etat laïc
malien.
Conclusion :
Le Professeur Drissa Diakité, dans son étude prospective, résume ainsi la situation : « Les
dynamiques en cours se traduisent par la constitution de groupes religieux divergents, voire de
sectes… On notera que les divergences internes sont plus porteuses de conflit que les divergences
externes. En effet, si entre les grandes religions la cohabitation reste pacifique, les tensions sont
réelles entre différents courants d’une même religion. Ces tensions sont parfois nourries par des
influences extérieures… » En clair ceci veut dire pour nous chrétiens : même si les tensions et les
divergences dans la communauté majoritaire maintiennent, peut-être pour un temps, un espace
d’expression libre pour les confessions minoritaires dont nous sommes, il n’y a pas à s’en réjouir.
Au contraire, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour que la communauté majoritaire
ne s’entredéchire pas dans des querelles stériles dont finalement les non-musulmans « paieront les
pots cassés », mais pour que la majorité de nos frères et sœurs musulmans redécouvrent et réactivent
cet héritage millénaire de tolérance et de convivialité pour le traduire dans une société ouverte et
moderne.
Je termine avec les paroles de Jean-Paul II aux évêques du Mali, ici même à Bamako :
« Certes le dialogue avec eux (les musulmans) n’est pas toujours aisé ni souhaité par tous … C’est
ici que la générosité chrétienne doit savoir être réaliste et courageuse, tout à la fois. »
J. Stamer
Compléments
I. Quel dialogue islamo-chrétien au Mali 4? (Josef Stamer)
Les premiers missionnaires avaient trouvé un pays en pleine islamisation. Leur «stratégie»
était purement défensive : mettre les petites communautés chrétiennes, fondées à la sueur de leur
front, en garde contre, sinon à part de, toute influence musulmane. Ainsi furent fondés des villages
chrétiens et des quartiers chrétiens. Ceci est resté sans grand effet. Dans les communautés les plus
anciennes, on peut trouver encore une attitude de rejet, sur le plan doctrinal, de tout ce qui rappelle
l'islam, mais des liens familiaux et de voisinage se sont tissés par-delà les barrières religieuses.
C'est ce dialogue de la vie, où chrétiens, musulmans et adeptes de la religion traditionnelle
vivent intimement mêlés, qui fait l'originalité de la situation malienne. Ils habitent les mêmes carrés
de ville, les mêmes villages, travaillent ou étudient côte à côte, se rendent visites entre voisins, par-
tagent les peines et les joies les uns des autres. Les membres d'une même famille se réclament par-
fois de « voies différentes », sans que cela mette en cause la solidarité familiale. La convivialité
ainsi décrite est une valeur profondément enracinée dans la tradition africaine. À la base, il y a cette
conception que tous font partie d'une seule communauté, qui a une même origine et une même des-
tinée, et que les différences de culte ou de « voie » ne doivent pas entamer ou menacer ces réalités.
Alors la question surgit: cette seule base suffit-elle, à un moment de polarisation religieuse crois-
sante, pour maintenir un climat de paix, pour garantir un espace de liberté pour tous? Le dialogue
islamo-chrétien au Mali est d'abord le fait de la vie de tous les jours, mais une autre forme de dia-
logue doit nécessairement intervenir pour garantir la convivialité traditionnelle.
Pourtant on chercherait pratiquement en vain ce que l'on entend communément par dia-
logue interreligieux : des rencontres plus ou moins officielles entre personnalités en vue d'un
échange sur des questions de foi. Il n'existe aucune structure permanente pour organiser ou favori-
ser de telles rencontres. Malgré cela, la voix de l'Église se fait entendre bien au-delà de ses limites
visibles. Dans les événements politiques de la dernière décennie, le renversement du régime mono-
partite, les balbutiements de la jeune démocratie, la détérioration du climat social, la rébellion dans
le nord du pays, les interventions courageuses et judicieuses de l'archevêque défunt, Mgr Luc San-
gare (+ 1998), ont fait de lui une autorité morale au-dessus de la mêlée et respectée de tous.
4
Cf Chemins de Dialogue, n°22 (ISTR, Marseille, déc. 2003) p. 126
10 Se Comprendre N° 04/09
Les lettres pastorales de la Conférence des Évêques du Mali sur les problèmes d'intérêt
national, adressées à tous les Maliens, rencontrent la même estime. Au niveau des responsables reli-
gieux, chrétiens et musulmans, il y a bien quelques rencontres, parfois provoquées par les pouvoirs
publics au moment d'événements exceptionnels ou de situations cruciales. Souvent ces rencontres ne
dépassent guère un niveau d'échange de salutations protocolaires ou de formule de politesse. Parfois
le côté chrétien reproche aux responsables musulmans leur manque de réciprocité dans l'initiative
des rencontres. On y oublie la distance qui sépare ceux-ci des responsables chrétiens quant à la for-
mation religieuse, la culture générale, la manière de raisonner et de s'exprimer.
C'est à un niveau plus bas qu'il faut chercher le vrai dialogue : par la collaboration entre
chrétiens et musulmans dans les divers chantiers de la construction du pays, que ce soit la promotion
humaine, l'éducation, la santé ou les affaires sociales. Beaucoup de musulmans sont engagés en tant
que croyants dans les oeuvres caritatives, éducatives ou sociales initiées par l'Église. Rien que dans
l'Enseignement Privé Catholique, plus de 80 % des élèves viennent de familles musulmanes qui font
confiance à cette institution et un bon pourcentage des enseignants sont également des musulmans
qui épousent pleinement le projet éducatif de l'Église, basé sur une vision spirituelle de l'homme.
La formation à la convivialité, commencée dans les écoles catholiques, est poursuivie
dans les mouvements de jeunesse chrétiens : jeunes étudiants, jeunes travailleurs des villes, jeunes
ruraux. Partout ces mouvements sont ouverts aux musulmans et sont parfois davantage le fait de
musulmans que de chrétiens. Des actions sur leur milieu de vie respectif sont réfléchies et portées en
commun sur une base spirituelle et en référence à la foi commune au Dieu Unique.
Il faudrait parler encore de l'impact, souvent méconnu, de petites communautés chré-
tiennes (parfois une ou deux familles seulement) immergées en plein pays musulman et soutenues
par les visites sporadiques des équipes apostoliques implantées dans le nord du Mali, comme à Nio-
ro du Sahel ou à Gao. Leurs liens d'amitié gratuite avec des musulmans et leur témoignage d'un
service désintéressé sont d'un prix inestimable pour créer un espace de liberté et de reconnaissance
pour l'ensemble de la minorité chrétienne au Mali.
L'Église au Mali a vécu en concurrente de l'islam dans certaines régions. Aujourd'hui en-
core, dans une large mesure, elle vit « à côté » de l'islam et des musulmans. Ce n'est que peu à peu
qu'elle découvre sa vraie vocation : être Église au milieu des musulmans et pour eux, et être recon-
nue en tant que telle par eux. Ce sont surtout les laïcs chrétiens qui ont à vivre au jour le jour cette
vocation. Un gros effort de formation a été fait et continue à être fait pour leur faire découvrir « la
grâce du petit nombre » au milieu de la masse musulmane. Un Centre est sur le point de naître à
Bamako pour soutenir cet effort de formation à la rencontre 5.
Nous l'avons dit plus haut : l'espace de liberté et de tolérance semble de plus en plus me-
nacé au Mali. Sous diverses influences, les communautés musulmanes sont marquées par une prise
de conscience de leur islamité. Devant la situation de pauvreté et un avenir sans espoir, beaucoup se
réfugient dans une religiosité plus intense. Les règles de l'islam sont appliquées rigoureusement dans
tous les domaines de la vie sociale et, par le fait même, celle-ci s'islamise. Le non-musulman y de-
vient l'étranger, voire l'exclu. Les médias, appuyés par des influences islamisantes de l'extérieur, ont
fortement contribué à cette prise de conscience islamique. Le dialogue entre chrétiens et musulmans
devient une nécessité, du moins du côté chrétien. Il en va de l'avenir de l'Église au Mali. La vraie
rencontre entre les deux communautés de croyants ne peut être le fait que de chrétiens convaincus,
enracinés dans leur foi et dans leur milieu de vie africain qui vont à la rencontre de musulmans ou-
verts, mais non moins convaincus.
Ensemble ils chercheront des réponses à des questions telles que:
• Comment sauvegarder l'héritage africain commun à travers les différences de confessions
religieuses pour qu'il puisse continuer à servir de base à la convivialité?
• Comment épuiser toutes les possibilités d'épanouissement données aux communautés reli-
gieuses par la laïcité positive des institutions de l'État sans faire tort à aucune des communautés?
• Comment la foi commune en Dieu peut-elle continuer à être déterminante de la vision de
l'homme qui lutte pour sa survie et pour son développement intégral?
Actuellement les interlocuteurs se cherchent encore, mais le temps presse...
5
Le Centre « Foi et Rencontre » dont s’occupent les PP. J. Stamer et A. Fontaine, inauguré le 12 oct. 2004
Se Comprendre N° 04/09 11
II. Les quarante ans du Centre Djoliba6 de Bamako (correspondance particulière)
1964. Le Mali indépendant fait ses premiers pas. Les premières années sont exaltantes,
mais aussi pleines de défis. Les besoins sont immenses : appel à la fierté nationale, au sens des res-
ponsabilités, aux performances économiques, mise en valeur du patrimoine culturel. L'abbé David
TRAORE sent profondément les mutations en cours, et fonde le Centre Djoliba. Au départ simple
bibliothèque, le Centre devient peu à peu un lieu de documentation, puis d'échanges, de rencontres,
d'enrichissement mutuel entre les cadres de toutes disciplines, de toutes confessions et de toutes
obédiences politiques. « Lieu de tolérance, de médiation, de renforcement de la démocratie »
comme le dit un ancien. Des hommes, des femmes épris de liberté des idées peuvent débattre dans
cette liberté et développer une volonté commune d'action : rendre l'homme malien citoyen de son
pays, responsable de son développement. Ce sont, durant de longues années, les célèbres « cause-
ries-débats ». sur les thèmes les plus divers. Un objectif : proposer des principes de réflexion, déga-
ger des critères de jugement, à partir de valeurs qu'il faut respecter , défendre et aimer.
Un peu d’histoire. Le Centre Djoliba n'a pas suivi un programme préétabli ; il trouvé sa
forme au cours d'un longue évolution, d'une activité de terrain, s'adaptant ans cesse aux réalités
mouvantes et aux besoins nouveaux. A la bibliothèque universitaire de 1964, et aux conférences-
débats de 68, s’ajoutent en 1981 des activités de promotion féminine, en 88 le forum des Jeunes, en
89 le premier programme annuel de formation. Le Centre est enregistré en 1992 sous le nom d’
« Association Djoliba Hommes et développement ». En 1995, il s’ installe dans de nouveaux bâti-
ments, plus fonctionnels.
Le Centre est né de l'initiative de l'Eglise catholique, d'un prêtre malien, croyant convain-
cu. Sa perspective, restée inchangée au long des années, était d'étudier les réalités sociales, écono-
miques et culturelles à la lumière de sa foi, en s'inspirant des grandes Encycliques des Papes, de la
réflexion du Concile Vatican II et de la doctrine sociale de l'Eglise.
Aucun prosélytisme, ce serait le contraire même de l' « esprit Djoliba ». Mais respect, col-
laboration, dans le souci de l'homme, de sa vocation d'homme dans toute sa dimension. Comme le
disait, au IIe siècle de notre ère, Irénée de Lyon, « la gloire de Dieu, c'est l'homme vivant ».
Dans ce but, le Centre Djoliba veut être un instrument de travail, un lieu de dialogue et de
formation, au service de tous, fidèle à cette orientation fondamentale. II veut rester ouvert à tous les
hommes et femmes, adultes et jeunes, dépassant tous les particularismes et les frontières, pour se
mettre au service de tous, « tout l'homme et tous les hommes » (Paul VI). Dans le respect de toutes
les convictions philosophiques et religieuses et des options politiques de chacun, il se veut un lieu
d'échanges francs et corrects, « un des arbres à palabres disséminés à travers l'Afrique » (Abbé Da-
vid Traore). Le Centre est dirigé par notre confrère Francis Verstraete.
Des témoignages :
« Carrefour indispensable et incontournable de réflexion de haut niveau des populations ma-
liennes, le Centre Djoliba est sans conteste le lieu consensuel où tous finissent par s'écouter, se parler, et
s'accorder dans des débats courtois qui sont à l' honneur de toutes et de tous »
(Mme Rokia Ba Toure, collectif des Femmes du Mali)
« Les premières décennies d'indépendance sont marquées en Afrique par l'instauration de régimes
politiques de partis uniques... Le corollaire fut la limitation des cercles de libre expression... La création et le
développement du Centre Djoliba donnèrent à l'intelligentsia malienne et aux cadres en général les possibili-
tés de dire et d'écouter librement d'autres pensées » (Dr Ngolo Traore, ancien ministre)
« Le Mali est pays multiracial, composé de noirs et de blancs... un pays multiconfessionnel... II y
avait donc, en 1964, un espace de tolérance » (M.Bakari Kamian, historien)
« Cet espace fut, 25 ans durant, l'unique Agora du Mali... espace de débats politiques vrais, car
ancrés dans la vie sociale sur de véritables résultats de travaux scientifiques, le Centre Djoliba a été et de-
meure un défricheur d'idées et un lieu ouvert à l'espérance concrète »
(M. Boubakar Bah, ancien ministre)
« Nous avons besoin de parler des sujets qui nous intéressent et pas seulement d'écouter nos aî-
nés... C'est ainsi qu'est né le Forum des Jeunes » (M. Nouhoum Diakite, Forum des Jeunes)
« Je témoigne du rôle prépondérant du Centre Djoliba dans l'éveil des consciences en matière de
lutte contre l'excision » (Mme Assitant Diallo, sociologue)
6
Djoliba, en bambara, désigne le Niger, « fleuve nourissier »
12 Se Comprendre N° 04/09
« C’est le lieu de rendre hommage à l’Eglise du Mali…Cette œuvre est indissociable de la vision
de l'Eglise par rapport à l'homme malien. Et l'on ne peut parler de l'Eglise du Mali sans parler de Mgr Luc
Sangare... Incontestablement, c’est lui qui était ici, au Mali, la voix des sans voix. A travers les différents
régimes qui se sont succédés, il était le seul à porter courageusement et résolument la souffrance et le cri du
peuple malien. II aura consacré sa vie à plaider la cause du pauvre.»(Mamadou Diaby, président de parti)
«La raison pour laquelle je voudrais témoigner, c'est pour la place des femmes dans tout ça...
Avant que ce ne soit à la mode, au Centre Djoliba, on a toujours travaillé avec les femmes, traité les sujets qui
les intéressent et tout ce qui pouvait les mettre en valeur et les amener à prendre leurs responsabilités ».
(Mme Bintou Sanankoa, Historienne)
L'Eglise Catholique a vécu cent années d'une histoire singulière et merveilleuse, grâce à
l'héroïsme des pionniers, l'enthousiasme des premiers convertis, le dévouement des catéchistes et
l'engagement d'innombrables laïcs; et tout cela, malgré les inévitables lourdeurs d'un certain pater-
nalisme, des grandes structures, des rivalités, des préjugés et du prosélytisme. Actuellement, elle est
interpellée par le phénomène des sectes et l'inflation du religieux, défis qui, malheureusement, rem-
placent l'engagement social et la lutte pour la justice8.
A travers cette histoire résumée de la vie des deux communautés, pendant le siècle dernier,
on mesure quels furent les conflits que les communautés ont connus et risquent encore de connaître.
En principe, il y a eu liberté de religion sous les différents régimes, mais en pratique la religion ca-
tholique a été privilégiée. L'islam a eu beaucoup de peine à se faire reconnaître. Ses tentatives de
1952 et 1959 échouèrent. Il fut enfin reconnu à l'indépendance et par la Constitution. La COMI-
ZA9, avec statut juridique et représentant légal, n'a été reconnue officiellement qu' en 1972.
Les plus grandes difficultés et les plus gros conflits ont eu lieu au plan religieux. Influen-
cés par les positions théologiques du temps, tous ont fait du prosélytisme. On s'est traité mutuelle-
ment d'infidèles. C'est un comportement qu'il faut certainement oublier et, si on en parle, c'est sur-
tout pour reconnaître les erreurs du passé et évaluer le chemin parcouru. Les catholiques assimi-
laient volontiers les musulmans aux païens. D'ailleurs ils n'étaient pas très "ouverts" avec les Protes-
tants, avec lesquels on pratiquait, au mieux, la coexistence pacifique .Les musulmans ont toujours
affiché un penchant pour le commerce. Ils choisissaient, comme aides, des musulmans ou ceux qui
devenaient musulmans, au point qu'on peut affirmer que, localement, le commerce a été un moyen
efficace de prosélytisme islamique. Pas de préférence pour d'autres professions, étant exclues celles
qui demandaient un diplôme ou un haut degré d'instruction. De toute façon, le prestige de la per-
sonne se mesurait à la réussite et à la richesse, signes de bénédiction et de rang social.
Il est évident que les Missions chrétiennes ont beaucoup investi dans les écoles : l'instruc-
tion religieuse pour les enfants et les jeunes se faisait dans le cadre de l'école et les villages éloignés
de la Mission centrale avaient une chapelle-école dont l'enseignant était le catéchiste. Les adultes
étaient instruits dans le cadre extra-scolaire. Il en fut ainsi jusqu'à la nationalisation des écoles par le
président Mobutu en 1976. Les écoles ont, depuis lors, de nouveau été confiées aux confessions
religieuses et le réseau des écoles conventionnées catholiques est, de loin, le plus important dans le
pays. L'enseignement et la catéchèse y étaient souvent liés au baptême. On comprend alors aisé-
ment qu'il y eut opposition et boycottage de la part musulmans: c'était chose admise et tout le monde
faisait ainsi, car choisir une école c'était accepter son enseignement et ses perspectives religieuses.
D'autre part. les musulmans ont ouvert très peu d'écoles musulmanes conventionnées, parfois même
avec des enseignants chrétiens. Aujourd'hui les écoles catholiques donnent un cours de religion,
indistinctement, à tous les élèves, mais la préparation aux sacrements est réservée à la catéchèse
paroissiale. Nul ne conteste les difficultés et les équivoques qu'a causées le système des écoles sub-
ventionnées par l'Etat, mais gérées par les réseaux conventionnés.
7
cf Islamochristiana n° 29 (Rome 2003) p.159. Né en 1935 en Italie, le P. Lazzarato a enseigné en Algérie de
1962 à 1973 avant d’être, dans le Manyema (RDC), agent pastoral dans une région à forte présence musul-
mane. Depuis 2002, il est, à Kinshasa, responsable des relations islamo-chrétiennes en Afrique Centrale.
8
Sur un total de 47 millions, il y en a aujourd’hui 22, 3 de catholiques (47,5 %) avec 57 diocèses (60 évêques
congolais), 5.250 prêtres et frères, 6.400 religieuses.
9
Communauté Islamique en République du Zaïre
Se Comprendre N° 04/09 13
Qui plus est, l'ensemble des comportements individuels et collectifs n'a pas facilité la ren-
contre et le dialogue. Souvent, les chrétiens recouraient à la raillerie et au mépris, avec des argu-
ments terre à terre, du genre: "musulmans d'habit" (kanzu, kilemba: soutane blanche et turban) ou
encore on rappelait le passé esclavagiste. La réplique insistait sur l'impureté de qui mangeait la
viande de cochon, de singe ou la viande non-saignée. Les blancs avaient chassés les arabes, le chris-
tianisme avait remplacé l’islam. Aux yeux des gens, le christianisme était la religion des blancs et
des colonisateurs, l'islam, celle des "arabisés", que la propagande présentera, de plus en plus,
comme la "religion des noirs".
Au plan politique, l'Administration coloniale a installé des chefs coutumiers musulmans et
a pris du personnel musulman qualifié, mais ses rapports, avec l’islam, furent de méfiance et de
concurrence (cf. le cas des tribunaux coraniques), ce qui a engendré une opposition passive. Et
comme l'islam est "religion et état", les musulmans ont toujours eu difficulté à accepter un pouvoir
non-musulman, qui leur refusait une reconnaissance officielle et qui entravait leur expansion. Les
conduites de l'Administration coloniale ont donc toujours été ressenties comme discriminatoires,
injustes et vexatoires. Qui plus est, les idéaux de panarabisme et d'indépendance sont venus compli-
quer toutes choses, si bien qu'à l'indépendance, les musulmans ont choisi les partis nationalistes.
Si l'on a souligné les difficultés et les conflits, il faut aussi rappeler qu'en Afrique Centrale
le fanatisme religieux est rare. Il y arrive souvent que les membres d'une même famille suivent des
religions différentes, sans problème. On vit en harmonie au niveau de la famille et du village. La
solidarité familiale prend toujours le dessus en cas de maladie, de deuil et de décès: elle est plus
forte que le fait d'appartenir à la religion chrétienne ou musulmane, toutes deux étant importées.
Le Concile Vatican II a encouragé les chrétiens à s'ouvrir au dialogue interreligieux, en
particulier avec les musulmans. Un rôle de précurseur y a été joué par Mgr Pirigisha, évêque de
Kasongo. Actuellement, on s'invite pour les fêtes religieuses et pour les deuils; on bâtit l'école du
village ensemble, comme aussi l'église ou la mosquée. On respecte, de plus en plus, le choix reli-
gieux de chacun. La collaboration se vit le plus souvent dans le social, les services de santé et les
activités de développement. On se retrouve ensemble dans les petites coopératives agricoles, les
caisses d'épargne, les associations, les comités de parents des écoles conventionnées catholiques, les
foyers de promotion de la femme, les cercles sportifs et culturels. La Caritas s'adresse à tous…
A l'occasion du Jubilé de l'Année 2000, le Cardinal Etchegaray a invité le signataire de ce
Message, le Président du Conseil National, El Hadji Mudilo, à participer au pèlerinage à Assise «sur
la collaboration entre les différentes religions». Qui plus est, les musulmans de Kinshasa ont voulu
fêter, avec les chrétiens, le "Centenaire de l'Evangélisation du diocèse de Kasongo".
Dans leur message, A1 Hadji Awazi Mwinyi Hussein a déclaré que: «Dès l'arrivée des
missionnaires catholiques à Kasongo, les musulmans ont bien accueilli leurs frères catholiques,
venus chez eux avec la mission d'évangélisation. Pour leur faciliter la tâche, les musulmans ont
cédé aux missionnaires catholiques une partie de Kabondo qui appartenait aux arabes et où est
érigée la Cathédrale... Les missionnaires se sont donnés à l'Education et à la Formation de la jeu-
nesse, entre autre la jeunesse musulmane et, d'ailleurs, d'une manière générale, la plupart des intel-
lectuels musulmans originaires de Kasongo ont étudié dans les écoles catholiques... A Kasongo,
catholiques et musulmans vivent vraiment dans un climat de parfaite convivialité... On s'invite mu-
tuellement pour les grandes fêtes religieuses...».
C'est pour faciliter ce dialogue interreligieux qu'ont été récemment créées des structures
pour les relations islamo-chrétiennes. En effet, il existe, à Kinshasa, une Association qui réunit les
cinq grandes religions traditionnelles. Son Président et porte-parole est le Cardinal Frédéric Etsou,
Archevêque de Kinshasa, et son Vice-Président est Al Hadji Mudilo, représentant légal de la CO-
MICO10. Au plan national, il existe un Conseil de Dialogue interreligieux, pris en charge par le Se-
crétariat pour l'œcuménisme. Il existe aussi, depuis dix ans, le Centre RIAC (Relations Islamo-
chrétiennes en Afrique Centrale), créé par les Missionnaires d'Afrique et mis au service de la Confé-
rence Episcopale. A l'intérieur du RIAC est en train de naître la "Maison d'Abraham". Elle réunit
des jeunes étudiants chrétiens et musulmans qui désirent promouvoir la compréhension, le respect
mutuel et le dialogue interreligieux, en vue de construire la paix11.
10
la COMIZA étant devenue la COMICO : Communauté Islamique en République du Congo
11
e-mail: riac@ic.cd et www.maisondabraham.st.fr.
14 Se Comprendre N° 04/09
A la suite du Concile Vatican II, chrétiens et musulmans semblent être tous invités à lais-
ser résolument de côté les perspectives de croisades et de guerres dites saintes, pour passer du mé-
pris à la connaissance mutuelle, de la rivalité au respect et au dialogue. Les religions ont assez de
force pour transformer le monde, à condition que chacun de leurs fidèles souligne résolument le
bien qui est dans l'autre, avec la conviction que tout ce qui est bon vient de Dieu, et que tout ce qui
est bon conduit à Dieu.
Le Niger, pays enclavé au sud du Sahara, est un immense territoire peu peuplé. Une mo-
saïque d'ethnies s'y côtoie et se mêle pour construire la nation nigérienne : Haoussas et Djenuas,
Gourmantches et Sourayes, Peuls et Touaregs, Toulous et Bouyoes, riches de leurs langues, de
leurs cultures différentes, mais rassemblés, pour la plupart, dans l' Oumma, la communauté musul-
mane (entre 90 et 95 % de la population). C'est l'islam d'Afrique, conciliant et ouvert à la rencontre,
tolérant, qui prédomine : un islam marqué par le culte des "Saints", l'influence des marabouts et des
confréries, un peu syncrétiste. Il est aussi traversé par les tendances pures et dures du wahhâbisme,
portées par des groupes influencés et financés par les Émirats du Moyen-Orient ... avec la Lybie,
transitant par les États du Nord-Nigéria qui ont adopté la charia...
Dans les populations encore attachées aux religions traditionnelles, il se manifesta une ré-
sistance à la pression musulmane. Certaines familles font appel aux Églises chrétiennes, surtout dans
le monde rural, pour découvrir une dimension religieuse ouverte à la "modernité" sans être obligées
de devenir musulmanes. Les autorités politiques, largement musulmanes, en responsabilité de gou-
vernement, tiennent à garder la "laïcité" au coeur de la Constitution, et non de promouvoir un État
islamique. Elles reconnaissent l'intérêt des Églises chrétiennes - et de l'Église catholique - pour le
développement de toute la population.
Le petit village de Bermo tient son nom du chef de famille Boddado, propriétaire du
"puits" qui a accueilli le Père Brosse, rédemptoriste, à cet endroit, il y a quarante ans. A l'époque, il
n'y avait là aucune agglomération, seulement le puits où venaient s'abreuver les troupeaux nomadi-
sant dans la région. Le projet de l'Église, en envoyant un prêtre dans ce secteur, c'est de partager la
vie des nomades peuls, waddabs et touaregs, qui étaient marginalisés. Dès le départ, c'est le service
de la santé qui va créer des liens entre la population et la petite communauté chrétienne. Une frater-
nité religieuse féminine13 s'installe quelques années plus tard et met en place un vrai dispensaire,
reconnu et apprécié du service public. Le village va sortir de terre et se développer peu à peu autour
de ce poste de santé : l'école, les services de l'Élevage, des Eaux et Forêts, le Poste administratif et
une unité de Gardes Républicains vont s'installer dans ce village. Aujourd'hui, le village peut comp-
ter 600 à 800 personnes.
La communauté chrétienne reste très "modeste" : trois religieuses et un infirmier chrétien
nigérien. Elle participe à la vie quotidienne du village et des nomades qui vivent dans la campagne.
Autour du dispensaire se développent des actions qui responsabilisent les gens : formation sanitaire,
pharmacopée traditionnelle, spiruline,... L'attention aux besoins des éleveurs s'est concrétisée par la
création d'une coopérative d'éleveurs, les banques de mil, l'entretien du puits, et ...1'alphabétisation :
le dévouement de Jean-Marc Cornier reste dans toutes les mémoires ! Dans le village, avec les fa-
milles d'artisans bouzous, s'est créée une coopérative d'artisanat qui commercialise les bijoux en
argent et les travaux de maroquinerie dans et hors du Niger. Merci à "Artisans du Monde" ! La
Communauté se soucie du développement et participe aux initiatives : l'adduction d'eau potable, la
bibliothèque pour petits et grands, le matériel scolaire et même la construction d'une mosquée...
Guy Romano, ancien Evêque de Niamey, insistait pour que les communautés chrétiennes
manifestent, dans leur façon de vivre, « que nous sommes des croyants et des priants » ! Le ju-
gement courant des musulmans que nous côtoyons reconnaît : « vous êtes sympathiques, vous
rendez service à tout le monde, mais vous ne priez jamais » ! Notre petite communauté se cons-
truit, au jour le jour, sur la prière, le partage de la Parole de Dieu et l'eucharistie : le temps de l'ado-
12
cf Mission de l’Eglise n° 143, d’avril 2004. Prêtre du diocèse de Tours, F. Tricoche a une grande expérience
de Fidei donum au Bénin, puis au Niger
13
Sœurs de Notre-Dame des Apôtres
Se Comprendre N° 04/09 15
ration à la tombée de la nuit est respecté par tous : on attend la fin de la prière pour appeler l'infir-
mière, s'il y a une urgence ...qui peut attendre un petit moment !...
La chapelle est toujours ouverte : on peut s'y arrêter dans le calme. Parfois, l'un ou l'autre
vient prier avec nous le soir, ou le dimanche. Des familles qui accompagnent un malade, installent le
campement tout près de la chapelle : elles aiment bien nous entendre prier et même reprennent les
chants qu'elles ont mémorisés !... Des gens qui ont des soucis nous demandent de prier pour eux !
Dans les rencontres quotidiennes, il n'est pas rare de partager nos convictions religieuses : le temps
du Ramadan est propice pour nous dire comment nous vivons le jeûne, la prière, le partage et l'au-
mône. La fête de Noël nous a donné l'occasion d'inviter tous ceux et celles qui le désiraient à une
célébration de prière pour la paix du monde : les événements politiques intérieurs ou internationaux
nous y poussaient très fort... Nous participons silencieusement aux prières solennelles qui marquent
la fin du Ramadan ou la fête de la Tabaski : le geste de paix que nous échangeons à la fin de ces
rencontres n'a rien de formel ou de forcé! Une commission diocésaine réfléchit aux relations islamo-
chrétiennes. C'est un lieu fort de découvertes, de réflexions pastorales et missionnaires. Le diocèse
de Niamey, depuis son premier Évêque, Mgr Berlier, a pour option prioritaire d'évangélisation, de se
mettre au service de toute la population. Guy Romano disait : « mon diocèse, ce ne sont pas seule-
ment les quelques 20 000 catholiques du pays, mais bien les dix millions de Nigériens »... Des
mouvements comme la JOC, la JEC, l'ACE se veulent lieux de formation humaine et de dialogue
entre chrétiens et musulmans. Toutes les activités de formation, de développement, de solidarité,
sont ouvertes à toutes et à tous, sans distinction ethnique, linguistique ou religieuse !
La découverte d'un peuple de croyants, avec ses formalités, ses pressions, mais aussi les
valeurs de partage, le courage des femmes pour se tenir debout dans l'adversité, le sens de l'hospita-
lité, l'acceptation des situations qui n'est pas que fatalisme, le goût de la fête et de la vie, m'oblige à
"reconnaître" le travail de l'Esprit de Dieu, bien au-delà des frontières ecclésiales. Si le musulman
s'inquiète de mon sort pour l'éternité, car je ne suis pas muslim, pour ma part, je crois que beaucoup
de ceux et celles que j'ai eu la joie de rencontrer pourraient bien être aux premières places dans le
Royaume de Dieu, notre Père ! Au milieu de ce peuple, la Bonne Nouvelle de Jésus de Nazareth
retentit comme une nouveauté qui dérange mon confort et mes habitudes, qui ouvre des horizons
sans limites à la promotion de la liberté et de la dignité humaine, qui engage à lutter pour la justice
et le respect des droits des personnes et des peuples. Car cette Bonne Nouvelle nous fait toucher du
doigt l'infinie tendresse de Dieu pour chacun, chacune !
C'est vrai que je n'ai pas enseigné 1a catéchèse pendant ces six années. Je n’ai baptisé per-
sonne ! Mais j'ai essayé d'être disponible à chacun et de « rendre compte de l'Espérance qui nous
fait vivre », chaque fois qu'on me le demandait ! La rencontre avec Dieu notre Père en Jésus-le-
Christ se réalise de mille et une façons ! Peut-être est-ce un peu "chrétien" que d'aider un frère,
une soeur à être un bon muslim plutôt qu'un faux disciple de Jésus ? Et je crois que Pierre Claverie
disait: « J'ai besoin de mon frère différent pour devenir un disciple de Jésus » !
SE COMPRENDRE
Rédaction et Administration : Philippe THIRIEZ
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