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SeÌ Ance 13 (Faute)

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Grégory MAITRE

Maître de conférences en droit privé


gregory.maitre@sciencespo.fr

DROIT DES OBLIGATIONS (II)


RESPONSABILITE CIVILE ET REGIME DE L’OBLIGATION

Cours-Séminaire

SEANCE N°13

LA FAUTE DELICTUELLE

I. Indications méthodologiques :

- Importance des lectures préalables

- Rôle de l’interactivité

- L’importance de la maîtrise des fondamentaux

- L’éclairage de politique (not. juridique) concernant le droit de la


responsabilité

- L’entraînement aux épreuves juridiques : mini cas pratiques en


séance, réflexions autour d’un texte par exemple.

II. Modalités d’évaluation :

- Galop de mi-semestre : OUI, durée 2h00. Cas pratique et sujet


théorique (sous forme de question de cours problématisée). Code civil
autorisé.

- Examen de fin de semestre : OUI, durée 4h00 : deux sujets à


traiter = un sujet pratique, et un sujet théorique (commentaire de
texte ou de doctrine ou une dissertation). Tous les documents sont
autorisés.

Composantes de la notation :
La participation orale en cours peut servir à l'ajustement à la hausse
des notes (si en dessous de la moyenne)
III. Plan du séminaire :

Seule sera ici indiquée la trame des 6 premières séances car le cours
devrait un peu changer de physionomie, en plaçant les quasi-contrats
après le régime de l’obligation, et non l’inverse comme c’était le cas
jusqu’à présent.

Séance n°13 : Les conditions de la responsabilité civile délictuelle (I) :


Le fait personnel

Séance n°14 : Les conditions de la responsabilité civile délictuelle (II) :


Le fait des choses

Séance n°15 : Les conditions de la responsabilité civile délictuelle


(III) : Le fait d’autrui

Séance n°16 : Les conditions de la responsabilité civile : le préjudice

Séance n°17 : Les conditions de la responsabilité civile : le lien de


causalité

Séance n°18 : Les effets de la responsabilité : aspects procéduraux et


théorie des dommages et intérêts.

Séance n°19 : Condition et terme

Séance n°20 : Les obligations plurales

Séance n°21 : Cession et transmission des obligations

Séance n°22 : Paiement et novation

Séance n°23 : Remise de dette et prescription


IV. La notion de responsabilité civile

A. Définition de la responsabilité civile

Il convient de donner une définition positive de la responsabilité civile


(1) avant de distinguer la notion de notions voisines (2)

1. Définition positive de la responsabilité civile

Responsabilité civile : “toute obligation de répondre civilement du


dommage que l'on a causé à autrui, en offrant à la victime une
compensation pécuniaire ou en nature”

Exemple 1 : une personne boit plus que de raison dans un bar et


provoque une bagarre avec un camarade de beuverie. Il casse
plusieurs verres dans la bagarre, et blesse un client à la mâchoire. Il
devra réparer le dommage causé au client et au propriétaire du bar,
c'est à dire leur verser une somme d'argent correspondant au
préjudice subi.

Exemple 2 : une personne promène son chien en laisse. Sans raison,


l'animal saute à la gorge d'une grand mère qui s'était arrêtée pour
deviser avec le maître du chien, et faire quelques papouilles à l'animal.
Le propriétaire devra indemniser la victime du préjudice causé
(blessures, dommages matériels).

Ainsi entendue, la responsabilité civile englobe a priori deux grands


corps de règles relatives à la responsabilité :

• La responsabilité contractuelle, qui correspond aux règles


applicables lorsque le dommage est causé dans le cadre de relations
contractuelles préexistantes entre l'auteur du dommage et la victime.

• La responsabilité extra-contractuelle, qui correspond à


l'ensemble des règles applicables lorsque le dommage est causé en
l'absence de toute relation contractuelle préexistante entre l'auteur du
dommage et la victime. La responsabilité extra-contractuelle englobe
elle-même plusieurs types de responsabilité, dont la responsabilité
délictuelle et quasi-délictuelle (régie par les articles 1240 et
suivants du Code civil), ainsi que différentes hypothèses de
responsabilités légales (régie par des textes spéciaux et instaurées
par la loi).

En réalité, on assimile assez souvent “responsabilité civile” à


“responsabilité extra-contractuelle” (et plus précisément à
“responsabilité délictuelle ou quasi-délictuelle”).

Cette position n'est pas unanimement partagée par les auteurs.

Il existe certes plusieurs raisons d'employer l'expression


« responsabilité civile » pour désigner à la fois la responsabilité
contractuelle et la responsabilité extra-contractuelle :

• les deux responsabilités relèvent du droit civil


• les deux responsabilités suivent très largement le même régime,
bien que les règles applicables diffèrent parfois

Pourtant, cette assimilation sera écartée dans le présent cours pour les
raisons suivantes :

• Historiquement, la responsabilité civile désignait la seule


responsabilité extra-contractuelle, car le concept même de
responsabilité contractuelle n'a pas été forgé avant la fin du XIXème
siècle.
• Si le régime des deux sortes de responsabilité paraît similaire sinon
identique, il n'en reste pas moins qu'il est inspiré de considérations
radicalement différentes. Ainsi, la responsabilité contractuelle tend
essentiellement à assurer, indirectement, la bonne exécution du
contrat. En revanche, la responsabilité extra-contractuelle poursuit
d'autres objectifs, que nous étudierons au titre des fonctions de la
responsabilité civile. Si les règles sont donc semblables, l'esprit est très
nettement différent, ce qui justifie et même commande, un traitement
séparé.
• Pour une raison purement pratique, il est traditionnel d'inclure
l'étude de la responsabilité contractuelle dans celle du droit des
contrat, laissant au second semestre l'étude de la seule responsabilité
civile extra-contractuelle.

Cette définition globale de la responsabilité civile, même ainsi


délimitée, n'est pas encore suffisamment précise, car il faut distinguer,
en son sein, deux formes de responsabilité, qui correspondent à
deux régimes distincts :

1. La responsabilité pour faute (ou subjective), où c'est la faute


de l'auteur du dommage qui fait naître l'obligation de le réparer. Cette
forme de responsabilité est d'inspiration très morale, où le responsable
répare le dommage causé à la victime parce qu'il a mal agi.

2. La responsabilité sans faute (ou objective), où l'obligation de


réparer naît d'un fait dit « générateur », imputable au responsable
alors même qu'il n'a commis aucune faute, parce que le droit estime
que c'est néanmoins à lui d'assumer les conséquences du dommage
subi par la victime. Il faut bien comprendre que la responsabilité sans
faute n'est pas une responsabilité d'innocent, comme nous le verrons
par la suite.

2. Définition négative de la responsabilité civile

Il convient de distinguer la notion de responsabilité civile de quelques


notions voisines :

• Indemnisation : l'indemnisation représente la compensation,


pécuniaire ou en nature, d'un préjudice subi par une personne. Elle
représente la sanction d'une responsabilité civile éventuelle, mais peut
également intervenir même sans aucun responsable : par exemple,
dans le cadre d'un arrêt maladie, ou en cas de sinistre (vol, incendie),
pour désigner la somme versée par l'assureur. Il existe même des
régimes d'indemnisation de préjudice qui ne relèvent pas de la
responsabilité civile (par exemple, pour les accidents liés à l'activité
nucléaire)

• Punition : la responsabilité civile n'a pas pour objet de punir, bien


que le terme même de responsabilité implique souvent, dans
l'inconscient collectif, l'idée de culpabilité (alors même qu'il se
contente de signifier « répondre de »)

• Prévention : la responsabilité, par hypothèse, ne peut pas être


préventive puisqu’elle intervient a posteriori, une fois le dommage
causé. Mais cela ne signifie pas qu’elle peut remplir un rôle préventif
(cf. infra sur la fonction normative de la responsabilité civile).
B. Fonctions de la responsabilité civile

Les fonctions de la responsabilité civile désignent les différents buts


que poursuit l'institution de la responsabilité civile.

Le nombre exact des fonctions de la responsabilité civile diffère selon


les auteurs, et aussi selon les époques. Il est toutefois possible de
regrouper ces fonctions autour de trois grands pôles.

1. Fonction de réparation du dommage

La responsabilité civile a pour but l'indemnisation du dommage


subi par la victime, c'est à dire sa compensation. La victime doit
pouvoir obtenir du responsable, soit en nature, soit sous la forme de
dommages et intérêts (le plus souvent), une prestation qui permette
de restaurer, autant que possible, la situation dans laquelle elle se
trouvait avant la survenance du dommage.

Exemple : si l'auteur du dommage a détruit le sac de marque de la


victime, il devra lui verser une somme d'argent lui permettant de
remplacer ce sac, et correspondant à la valeur pécuniaire de ce
sac.

Certains auteurs (G. Viney et P. Jourdain) relient cette fonction


principale de réparation à une fonction accessoire de dilution de la
charge du dommage. Cette dilution s'entend de la ventilation de la
charge résultant de l'indemnisation entre plusieurs personnes, c'est à
dire soit en la répartissant entre plusieurs responsables (exemple de la
responsabilité in solidum), soit en la déplaçant sur une personne
mieux à même de la supporter (l'assureur).

Cette fonction peut être reliée à « l'idéologie de la réparation », selon


laquelle la responsabilité civile aurait pour but principal, prioritaire,
l'indemnisation de la victime, mais sans s’y identifier.

2. Fonction normative

A l'opposé de la fonction de réparation du dommage subi par la


victime, la responsabilité joue également un rôle dit « normatif », car
la condamnation prononcée à l’encontre du responsable aurait pour
effet de conduire toutes les autres personnes (dont les responsables
potentiels) à modifier leur comportement pour éviter de commettre un
fait dommageable similaire.

En d’autres termes, il en ressortirait comme un effet d’éducation.

C’est pour cela qu’on parle d’effet normatif : la responsabilité civile


édicte des normes de comportements.

La responsabilité civile, par la compensation qu'elle implique, agirait


comme une menace qui dissuaderait les responsables potentiels de
commettre un dommage.

On peut ajouter que, pour certains auteurs (C. Thibierge par ex.) il
faudrait aller plus loin et admettre la possibilité d’une responsabilité
préventive, permettant de condamner une personne au titre du
risque de dommage qu’elle crée (et non du dommage lui-même, qui
n’est qu’éventuel).

S’il ne s’agit que d’une proposition doctrinale, on peut observer que


l’article 1237 de l’avant projet, prévoit que :

« Les dépenses exposées par le demandeur pour prévenir la


réalisation imminente d’un dommage ou pour éviter son
aggravation, ainsi que pour en réduire les conséquences
constituent un préjudice réparable dès lors qu’elles ont été
raisonnablement engagées ».

3. Fonction punitive

On propose parfois d’adjoindre à la responsabilité civile une fonction


punitive.

Il ne s’agirait plus uniquement de compenser le dommage subi, ni


même de créer des normes de comportement, mais bien de
sanctionner la responsabilité en raison d’un comportement
particulièrement répréhensible en ajoutant à la réparation
compensatoire une somme supplémentaire, à seul but de
punir.
Le droit français n’admet pas cette fonction punitive de la
responsabilité, admise dans des dimensions variables par d’autres
droits, et notamment certains droits d’Etats américains (cf. affaire
Liebeck v Mc Donald’s, 1994).

On notera cependant qu’un article 1266 de l’avant projet permet une


telle punition de l’auteur d’un dommage, sous la forme d’une amende
civile.

V. Evolution historique de la responsabilité civile

A. Avant le Code civil

1. Le droit romain

Le droit romain est à l'origine de nombreux mécanismes du droit


français actuel. Toutefois, son influence sur le droit de la
responsabilité n'est pas aussi grande que celle ressentie en droit des
contrats.

En effet, le droit romain repose principalement sur une « procédure


formulaire », c'est à dire qu'une action ne pouvait être menée devant
le préteur que si elle était reconnue par le droit objectif. Il existait
donc une multitude d'hypothèses permettant à une personne d'obtenir
l'indemnisation du dommage subi, mais aucun principe général de
responsabilité (même si cela est sans doute moins vrai vers la fin de
l'Empire romain)

En outre, la responsabilité au sens civil du terme n'est pas à l'époque


véritablement distinguée de la responsabilité au sens pénal.

Enfin, la responsabilité civile, en droit romain, est une responsabilité


essentiellement sans faute, c'est à dire qu'une obligation de réparer le
dommage naît dès lors que les conditions prévues par les textes sont
réunies, indépendamment de la preuve effective d'une faute par
l'auteur du dommage. La notion de faute ne sera utilisée que
tardivement, également à la fin de l'Empire romain.
2. L'Ancien Droit

L'Ancien Droit, c'est à dire le droit de l'Ancien Régime, se caractérise


par son hétérogénéité, puisqu'il regroupe, au nord d'une ligne
imaginaire tracée par la Loire, les pays de coutumes (les coutumes
étant des lois non écrites, en général propre à une région ou une ville
donnée), et au sud les pays de droit écrit, très influencés par le droit
romain.

Cette hétérogénéité ne permet pas une construction parfaitement


cohérente du droit civil, notamment du droit de la responsabilité civile.
C'est pourquoi l'évolution du droit, à cette époque, relève moins de la
pratique que de la doctrine, qui joue un rôle essentiel.

Il s'agit bien sûr de la doctrine de l'Eglise catholique, et notamment


celle de Saint Thomas (le thomisme). Mais cette doctrine résulte
également d'éminents auteurs, et tout particulièrement Domat, au
XVIIème siècle, dont on estime qu'il est à l'origine des principales
évolutions de la responsabilité civile à l'époque. On peut déceler deux
apports importants dans l'oeuvre de Domat :

• La distinction de la responsabilité civile et de la responsabilité


pénale.
• L'émergence d'un principe général de responsabilité, fondé sur la
notion de faute.

B. Le Code civil

Le Code civil de 1804 se veut un code transactionnel, c'est à dire


perpétuant la tradition de l'Ancien Régime, tout en intégrant l'apport
de la Révolution française. Cette volonté se traduit, s'agissant de la
responsabilité civile, par trois caractères :
1. Universalisme : le Code civil conserve l'acquis de Domat,
préconisant le recours à un principe général de responsabilité. Ce
principe général sera exprimé dans l'article 1240 du Code civil, qui
représente, encore aujourd'hui, une originalité française.
2. Individualisme : s'il existait encore des formes de responsabilités
collectives dans l'Ancien Droit, issue des lois barbares, le Code civil
privilégie une responsabilité personnelle et non plus familiale,
directement inspirée de la morale chrétienne, qui, combinée à la
philosophie des Lumières, a permis l'émergence de la notion de liberté
individuelle.
3. Moralisme : le Code civil place la faute au centre du système de
responsabilité civile, ici encore sous l'influence de la morale
chrétienne. La réparation du dommage subi par la victime est donc
subordonnée à la preuve d'un comportement blâmable de l'auteur du
dommage.

C. L'évolution contemporaine

La responsabilité civile a énormément évolué depuis 1804, au point


qu'on a pu parler, sur la période récente, d'une « crise de la
responsabilité civile » (G. Viney). On peut distinguer trois évolutions
principales.

1. L'objectivation de la responsabilité civile

La première évolution marquante du droit de la responsabilité est liée


au développement technique et industriel de la société française.

En effet, la fin du XIXème siècle coïncide avec une révolution


industrielle d’où vont émerger de nouvelles sources de dommages.
L’emploi de techniques nouvelles de production industrielle multipliera
ainsi les causes d’accidents du travail, aux conséquences souvent
désastreuses pour les ouvriers qui en sont victimes. Par ailleurs, le
développement de nouveaux moyens de transport participera
également à cet accroissement de la fréquence de dommages
accidentels, alors même que ces nouveaux modes de locomotion
apparaissent synonymes de progrès pour l’époque.

Dans ce contexte, la faute ne suffit plus pour répondre à ces nouveaux


besoins d’indemnisation, car elle est souvent impossible à établir. En
outre, il est parfois même possible de reprocher à la victime une faute
dans la manipulation de la machine cause de son dommage, alors
même que cette machine présente un danger intrinsèque.

La jurisprudence comme la doctrine vont réagir à ces circonstances


nouvelles qui perturbent la conception traditionnelle d’une
responsabilité civile fondée sur la seule faute.
La Cour de cassation va forger une nouvelle règle de responsabilité,
dont la mise en œuvre ne repose plus sur l’appréciation du
comportement de l’auteur du dommage, c’est à dire sur la preuve
d’une faute. Un premier arrêt du 27 octobre 1885 (Civ. 27 octobre
1885, DP 1886, 1, p.207 ; S. 1886, 1, p.33 ; H. CAPITANT, F. TERRE, Y.
LEQUETTE, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, Tome 2 , 11ème
édition, 2000, n°190) marque une étape importante de cette
démarche prétorienne, en considérant que la responsabilité du fait des
animaux prévue à l’article 1385 du Code civil repose sur une
présomption de faute qui ne peut être combattue que par la preuve
d’une force majeure, du fait d’un tiers ou de la victime. Bien
qu’officiellement fondée sur la faute, cette solution nie implicitement
cette dernière, puisque le responsable ne peut précisément se
décharger de son obligation par la preuve de son absence de faute. La
faute n’est plus alors un élément nécessaire à la responsabilité du
gardien de l’animal cause du dommage.

Cette solution sera reprise et généralisée à l’ensemble des choses à


l’origine d’un dommage par un arrêt Teffaine du 16 juin 1896 ( Civ. 16
juin 1896, D. 1898, 1, p.433, note R. SALEILLES ; S. 1897, 1, p.17, note
A. ESMEIN) puis définitivement confirmée par un arrêt Jand’heur du 13
février 1930 (Ch. Réunies, 13 février 1930, DP 1930, 1, p.57, concl.
MATTER, note RIPERT ; S. 1930, 1, p.121, note ESMEIN) qui parle de
« responsabilité présumée ». P

Par ailleurs, on verra également de nouvelles formes de responsabilité


sans faute naître au cours du Xxème siècle, notamment l'émergence
d'un principe général de responsabilité du fait d'autrui, l'aggravation
de la responsabilité des parents du fait de leur enfant, ou encore le
développement de la responsabilité contractuelle fondée sur une
obligation de sécurité de résultat.

2. Le développement de l'assurance de responsabilité

La responsabilité civile n'aurait pu ainsi se développer, au bénéfice des


victimes, si l'obligation d'indemniser avait seulement pesé sur le
patrimoine du responsable. C'est en réalité grâce au développement
de l'assurance de responsabilité, qui garantit le responsable contre la
condamnation, puisque l'indemnité sera payée par l'assureur, que la
victime n'a plus hésité à agir en responsabilité civile. En d'autres
termes, le développement de l'assurance de responsabilité a
permis le développement de la responsabilité civile, ce
développement ayant lui-même à nouveau nourri celui de
l'assurance de responsabilité.

Si cette évolution paraît surtout favorable à la victime, en lui offrant un


débiteur solvable, elle a également conduit à une transformation
profonde du droit de la responsabilité civile :

• déclin du rôle de la faute en jurisprudence, au point qu'on prête


parfois aux tribunaux une tendance officieuse à prononcer une
condamnation plus facilement, si l'auteur du dommage est assuré.
C'est ce qu'on appelle l'idéologie de la réparation (en France), ou
encore l’effet de poche profonde (deep pocket) en économie.
• Effacement du responsable derrière l'assureur, qui devient le
véritable interlocuteur de la victime. Cette transformation est
également souvent critiquée, car elle « déresponsabiliserait » l'auteur
du dommage, qui serait moins prudent puisqu'il sait être couvert par
son assureur.

3. La concurrence d'autres modes d'indemnisation du dommage

Même plus objective qu'en 1804, même garantie par une assurance, la
responsabilité civile demeure relativement insatisfaisante pour la
victime, dans la mesure où l'obtention d'une indemnisation suppose
souvent de longues années de procédure.

Or, la victime a souvent besoin d'une indemnisation rapide. La célérité


de l'indemnisation a certes été améliorée avec le développement de
l'assurance (où l'indemnisation se compte en mois, si un accord est
trouvé entre l'assureur et la victime), mais demeure insuffisante dans
certains cas (par exemple le dommage corporel). En outre, il peut
arriver qu'aucun responsable ne puisse être désigné (par exemple
parce qu'il est inconnu, ou insolvable).

C'est pourquoi le droit positif a vu émerger plusieurs procédés dits


de « socialisation du risque ». Il s'agit de procédés destinés à
assurer l'indemnisation de la victime par le versement d'une somme
d'argent compensant son préjudice indépendamment de la preuve
d'une responsabilité.
C'est par exemple le cas de la sécurité sociale, qui intervient pour
l'indemnisation des dommages corporels.

C’est aussi le cas de différents fonds de garantie créé par la loi (pour
les accidents de la circulation, pour les infractions aux personnes, pour
les accidents médicaux, notamment), qui ont vocation à indemniser la
victime si celle-ci ne peut agir contre un responsable, par exemple
parce qu’il n’est pas connu ou insolvable.

Ici encore, ces procédés ont influencé le devenir du droit de la


responsabilité civile, à la fois en le rendant plus complexe, lorsqu'il
s'agit d'articuler responsabilité et socialisation directe, ou en l'excluant
(hypothèse des accidents du travail)

VI. Evolution des fondements de la responsabilité civile

La recherche du fondement de la responsabilité civile a pour objet


l'étude du rôle social de cette responsabilité, et de son ou ses critères
corollaires.

Nous présenterons les différents fondements proposés par la doctrine


pour expliquer le rôle de la responsabilité civile dans leur ordre
chronologique.

A. La faute

La faute représente une idée très ancienne en responsabilité civile,


puisqu’elle se manifeste dès l’époque classique romaine. Toutefois,
elle ne s’applique alors qu’à la responsabilité résultant de la Lex
Aquilia, applicable aux dommages causés intentionnellement aux
choses, aux animaux, ou aux esclaves Elle n’intervient par conséquent
que dans un domaine limité, et en dehors de toute réflexion générale
sur le système de responsabilité civile. En d’autres termes, elle n’est
pas envisagée comme un fondement de la responsabilité puisque la
question n’a pas lieu d’être.

Il faudra attendre le XVIIème siècle pour que la faute acquière une


toute autre envergure, à la suite d’une lente et profonde évolution du
droit de la responsabilité. Cette évolution se traduit en plusieurs lignes
de force. En premier lieu, dès le XIIIème siècle, certaines coutumes
prévoient l’indemnisation du préjudice subi par la victime, aux côtés de
la sanction pénale prévue à l’encontre de l’auteur du dommage. Cet
intérêt nouveau pour le sort de la victime facilitera en second lieu la
distinction entre responsabilités civile et pénale, la seconde
incorporant la première jusqu’alors. Cette distinction va permettre
l’émergence d’une responsabilité civile autonome, dont le but consiste
précisément dans l’indemnisation des victimes de dommages.

Enfin, les responsabilités collectives et le mécanisme de solidarité


familiale, gouvernant le système de responsabilité pénale depuis
l’Antiquité, vont céder la place à une conception individuelle de la
responsabilité, notamment sous l’influence du droit canon puis de
l’Ecole du droit naturel et de l’Esprit des Lumières. Cette conception
exalte la liberté de l’homme, et le condamne, lorsqu’il se conduit mal,
à assumer les conséquences de ses actes. En d’autres termes, la faute
de l’homme est l’aune de sa responsabilité, civile comme pénale. La
responsabilité est pénale lorsque la faute présente une gravité telle
qu’elle perturbe l’ordre social. La responsabilité civile sanctionne en
revanche la faute même légère, et se concentre sur la réparation de la
victime.

Cette évolution du système de responsabilité sera officiellement


consacrée par le Code Napoléon, réceptacle transactionnel des
traditions issues de l’Ancien Droit et de la Révolution française.
L’ouvrage consacre en effet la faute en tant que critère de la
responsabilité civile, en exprimant, dans son article 1240 : « tout fait
quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui
par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Par conséquent, il n’est pas interdit de voir dans la faute le fondement


« historique », ou encore originel, de la responsabilité civile. Ce
constat n’est guère étonnant. La faute traduit une conception
individualiste et libérale de l’homme, fruit des idées révolutionnaires et
de la philosophie des Lumières. Son développement en responsabilité
est parallèle à l’émergence de la responsabilité civile, en tant
qu’institution autonome. Dans cette mesure, il est compréhensible que
ces deux mouvements se rejoignent pour former un tout cohérent à
l’époque. L’évolution ultérieure montrera cependant les limites de
cette convergence, et permettra l’apparition d’un fondement
concurrent de la faute, tiré de l’idée de risque.
B. Le risque

Nous avons déjà évoqué l'apparition de nouveaux préjudices


consécutifs à l'évolution technique et industrielle de la société
française à la fin du XIXème siècle.

La faute ne suffit plus à expliquer les solutions retenues en


jurisprudence, c'est pourquoi la doctrine a tenté de renouveler sa
réflexion sur le fondement de la responsabilité civile.

Plusieurs auteurs ont en effet tenté de prendre en compte les


conséquences dommageables de la révolution industrielle, pour
adapter le droit de la responsabilité existant. Ces auteurs se rattachent
et à la « théorie du risque », dans le sillage des travaux de R. Saleilles
et L. Josserand.

Il ne fait guère de doute que l’attention des auteurs favorables à cette


théorie se tournait principalement vers les victimes, manifestant un
souci évident pour une amélioration de leur indemnisation. Il restait
cependant à déterminer quel critère, destiné à remplacer la faute,
pourrait permettre la désignation du responsable. C’est la notion de
« risque » qui devait assumer ce rôle. Toutefois, la compréhension de
cette notion n’est pas unanime parmi ses partisans.

Pour Saleilles, la théorie du risque répond à des préoccupations de


justice et à un idéal moral. C’est sans doute la raison pour laquelle sa
première formulation de la théorie repose sur l’idée de « risque
contrepartie d’un profit », ou « risque profit ». L’auteur écrit : « […]
que celui qui a les profits supporte les risques ». Même lorsqu’il se
ralliera à la théorie, plus large, du « risque créé » élaborée par
Josserand, Saleilles demeurera attaché à cette vision morale du risque
comme fondement de la responsabilité. Confusément, la théorie du
risque de Saleilles persiste à reprocher quelque chose au responsable,
ce qui ne la détache pas totalement de la responsabilité fondée sur la
faute.

Au contraire, Josserand procédera à une formulation extrême de la


théorie du risque, afin d’en extraire définitivement toute idée de faute.
Pour cet auteur, la responsabilité est fondée sur la simple preuve
d’une causalité matérielle entre l’agent et le dommage. C’est
l’établissement quasi-scientifique d’une causalité mécanique qui
permettrait de déterminer qui est responsable du dommage causé.
Josserand en déduit l’idée de « risque créé », selon laquelle toute
personne qui crée un risque de dommage pour autrui doit en assumer
les conséquences si ce risque se réalise. Cette approche relève d’une
démarche proche de celle du matérialisme historique, qui nie
l’individualité de l’homme, et par conséquent sa dimension morale.

L’impact de la théorie du risque, en tant que vecteur d’une


amélioration de l’indemnisation des victimes par le développement de
la responsabilité sans faute, est indéniable.

En revanche, son influence en tant que théorie du fondement de la


responsabilité civile demeure limitée. Après avoir exercé une séduction
certaine sur une partie de la doctrine, une résistance particulièrement
vigoureuse s’est organisée, notamment sous l’impulsion de Planiol,
afin de restaurer la notion de faute. En outre, l’imprécision de l’idée de
« risque créé », liée à sa trop grande généralité, a conduit à la
restreindre à l’alinéa 1 de l’article 1384 du Code civil, et plus
précisément à la responsabilité du fait des choses. En d’autres termes,
la tentative d’une définition théorique du risque a été abandonnée au
profit d’une interprétation des termes employés par cet article, et
notamment le concept de « garde ».

En définitive, la doctrine contemporaine accepte dans son ensemble


un certain pluralisme des fondements de la responsabilité civile. Un
auteur a cependant tenté de dépasser la classique opposition entre
faute et risque, afin de réfléchir à l’articulation des deux régimes de
responsabilité auxquels ces fondements correspondent.

C. La théorie de la garantie

Pour B. Starck (1947) les difficultés ressenties par la doctrine pour


définir le fondement de la responsabilité civile tiennent pour l’essentiel
à une approche erronée du problème. Traditionnellement, on
recherche ce fondement en s’interrogeant sur la raison pour laquelle le
responsable doit être condamné. En réalité, il convient de se placer
également du point de vue de la victime, et se demander à quel titre
cette dernière peut prétendre à la réparation du dommage qu’elle a
subi.
Selon l’auteur, la responsabilité civile a essentiellement pour objet la
résolution d’un conflit de droits entre l’auteur du dommage et la
victime. D’une part, l’auteur du dommage dispose d’un droit d’agir. Le
condamner systématiquement à réparer les conséquences de droit,
comme le préconise la théorie du risque créé, imposerait l’immobilisme
à la société. D’autre part, la victime bénéficie d’un droit à la sécurité,
qui est par définition violé lorsqu’elle subit un dommage à cause
d’autrui. Il faut alors déterminer si ce dommage était autorisé ou non
par l’ordre juridique. Si ce n’est pas le cas, l’auteur du dommage
encourt une responsabilité.

L’auteur en déduit que la source de la responsabilité ne réside pas


dans le fait générateur, mais dans le dommage qui résulte de ce fait.
Il propose alors de distinguer selon la nature du dommage afin de
résoudre le conflit qui oppose victime et auteur du dommage.
• Lorsque le dommage représente la suite nécessaire et normale de
l’exercice d’un droit ou d’une liberté, il est par hypothèse licite, à
moins de la preuve d’une faute de l’agent. Boris Starck considère que
cette situation concerne les dommages purement économiques ou
moraux.
• Lorsque le dommage porte atteinte au droit à une sécurité
minimale de la victime, il convient en revanche d’octroyer une
indemnisation à cette dernière, que l’auteur du dommage ait ou non
commis une faute. Cette sécurité a minima s’entend d’une garantie de
la victime contre tout préjudice corporel ou matériel.

Parallèlement à l’idée de garantie qui innerve l’essentiel de ses


travaux, B. Starck prévoit l’intervention complémentaire du mécanisme
de la peine privée, afin de sanctionner la faute caractérisée de l’auteur
du dommage, même en présence d’un dommage corporel ou matériel,
pour aggraver sa responsabilité, et servir ainsi la prévention du
dommage, qui représente « un objectif que l’ordre juridique ne peut
ignorer ».

Si la majorité de la doctrine s’accorde aujourd’hui pour reconnaître


l’impact marginal de la théorie de la garantie, en tant que fondement
de la responsabilité civile, cette théorie a ouvert la voie à d’autres
propositions qui empruntent son sillage. C’est particulièrement vrai des
propositions en faveur d’un droit des accidents (André Tunc) qui
suggèrent à l’instar de la théorie de la garantie de séparer les deux
questions habituellement traitées par le système de responsabilité
civile : la réparation de la victime, la sanction de l’auteur du
dommage.

Selon ces propositions, il conviendrait d’assurer l’indemnisation


automatique des victimes de dommages corporels. Cette
indemnisation ne serait plus assurée par le biais du droit de la
responsabilité, dont elle serait totalement abstraite, mais par d’autres
moyens sur lesquels les auteurs divergent, tout en insistant sur leur
aspect mutualiste. Selon le cas, la préférence peut aller à l’assurance,
à un fonds d’indemnisation, voire à la sécurité sociale. En tout état de
cause, il semble que tous les auteurs admettent le caractère forfaitaire
de l’indemnisation, pour tenir compte d’« impératifs budgétaires ». Par
ailleurs, la responsabilité civile serait maintenue pour sanctionner les
hypothèses dans lesquelles une faute « grave » ou « qualifiée » est
démontrée, afin de maintenir une fonction de prévention des
dommages, tout en permettant à la victime d’obtenir un surcroît
d’indemnisation pour les préjudices qui n’auraient pas été déjà
réparés, en raison notamment de leur caractère non essentiel. Cette
fonction de prévention peut être complétée par le mécanisme de la
peine privée, dans des termes proches de ceux déjà préconisés par
Boris Starck.

L’instauration d’un droit général des accidents demeure une


perspective de lege ferenda. Elle souscrit à un profond
bouleversement de la conception traditionnelle de la responsabilité,
prônant la réduction de son domaine d’application tout en cherchant à
restaurer ce qui serait sa pureté originelle. Cette approche
réformatrice est également partagée par les partisans d’un principe de
précaution, bien que leurs conclusions revêtent une portée plus
grande que celle liée à l’idée de garantie.

D. Le principe de précaution

Le principe de précaution « définit l’attitude que doit observer toute


personne qui prend une décision concernant une activité dont on peut
raisonnablement supposer qu’elle comporte un danger grave pour la
santé ou la sécurité des générations actuelles ou futures, ou pour
l’environnement. Il s’impose spécialement aux pouvoirs publics qui
doivent faire prévaloir les impératifs de santé et de sécurité sur la
liberté des échanges entre particuliers et entre Etats. Il commande de
prendre toutes les dispositions permettant, pour un coût
économiquement et socialement supportable, de détecter et d’évaluer
le risque, de le réduire à un niveau acceptable, et si possible de
l’éliminer, d’en informer les personnes concernées et de recueillir leurs
suggestions sur les mesures envisagées pour le traiter. Ce dispositif de
précaution doit être proportionné à l’ampleur du risque, et peut être à
tout moment révisé ». Cf : G. VINEY et P. KOURILSKY, Le principe de
précaution, Rapport au Premier Ministre, La Documentation française,
1999, p.157.

Cette large définition fait la synthèse de ce principe nouveau, à


l’origine formulé par la communauté scientifique, puis repris par le
législateur dans le domaine de l’environnement ( Loi « Barnier » du 2
février 1995, JO 3 février 1995) pour enfin pénétrer plus
profondément la réflexion juridique, et particulièrement la sphère de la
responsabilité civile ( V. par ex. : D. MAZEAUD, Responsabilité civile et
précaution, RCA, Hors-série, juin 2001, p.72 ; O. GODARD, La
précaution : des hésitations aux questions, PA 30 nov. 2000, p.4 ; A.
GUEGAN, L’apport du principe de précaution au droit de la
responsabilité civile, Rev. Jur. Envir., 2000, p.147 ; P. JOURDAIN,
Principe de précaution et responsabilité civile , PA 30 nov. 2000, p.51 ;
J.-P. DESIDERI, La précaution en droit privé, D. 2000, Chr., p.238).

Un auteur a proposé de voir dans ce principe de précaution un


nouveau fondement de la responsabilité, et même suggéré que ce
fondement absorbe ceux existants (cf C. Thibierge). Il en résulterait
un dédoublement de la responsabilité civile, en fonction des moyens
nécessaires à assurer le respect du principe de précaution.

1° Un volet « curatif » de la responsabilité civile assignerait à cette


dernière une fonction de réparation du dommage causé à la victime,
tout en assurant la sanction de l’auteur de ce dommage. Cette
sanction serait fondée sur la carence préventive de l’agent. Cette
carence peut se traduire par une faute, dont la définition est élargie
par le principe de précaution, en considérant comme condamnable le
fait de « créer des dangers encore inconnus ». Cet élargissement irait
de pair avec une « densification de la faute de prudence et de
négligence » qui imposerait notamment une obligation de vigilance et
de prévoyance de la création de risques potentiels, ainsi que des
obligations corollaires d’information, de suivi, voire de retrait en ce qui
concerne les produits commercialisés sur un marché.
Parallèlement, la responsabilité objective servirait également le
dessein du principe de précaution, car sa sévérité conduirait l’auteur
potentiel du dommage à tenter tout son possible pour l’éviter.

2° Aux côtés de ce volet curatif, expression traditionnelle de la


responsabilité civile, le principe de précaution forgerait un volet
« préventif », consacrant une nouvelle fonction d’anticipation du
dommage par la responsabilité civile.

Cette rénovation du système de responsabilité civile serait liée au


constat de l’insuffisance actuelle de ce système. Tout d’abord, de
nouveaux dommages apparaissent, dont l’ampleur empêche toute
réparation décente. Mieux vaut alors les éviter qu’en compenser les
conséquences. De plus, certains de ces dommages ne touchent pas
une victime en particulier, mais plutôt la société en général, voire
n’auront de conséquences qu’à l’égard des générations futures. Il
faudrait alors repenser la responsabilité civile afin d’y inclure la
possibilité d’agir contre ceux qui créent un risque de dommage
« grave et irréversible », avant même que ce dommage ne se
produise effectivement.

L’impact du principe de précaution en droit de la responsabilité est


encore aujourd’hui trop récent pour en mesurer l’ampleur exacte. Il
n’en suscite pas moins une profonde réflexion sur le rôle social que
joue le système de responsabilité civile, et surtout sur l’évolution
éventuelle de ce rôle. Cette réflexion implique également un
renouvellement des conceptions relatives au fondement de cette
institution. A cet égard, le fondement tiré du principe de précaution
peut nous aider, au même titre que les autres théories précédemment
exposées, à mieux cerner le rôle joué par le fondement en
responsabilité civile.

VII : Le fait personnel

§1. La notion de faute

L'article 1240 du Code civil énonce un principe général de


responsabilité pour faute, sans pour autant définir cette notion.
Dans la mesure où il admet la responsabilité de l'auteur d'un
dommage dès lors qu'une faute est commise, il est pourtant crucial de
déterminer la ligne de séparation entre la faute ou l'absence de faute :
c'est la question du critère de la faute (§1). A supposer la faute
démontrée, certaines circonstances peuvent purger l'agissement de
l'auteur du dommage de tout caractère fautif : ce sont les
circonstances exonératoires (§2).

A. Le critère de la faute

Le célèbre juriste Marcel Planiol définissait la faute comme la violation


d'une obligation préexistante. Cette définition n'est cependant pas
suffisamment claire, car elle indique seulement que la faute n'est
constituée qu'à supposer l'existence préalable d'une
obligation qui n'a pas été respectée.

Cette obligation ne saurait être de nature contractuelle, puisqu'en


application du principe de non cumul des responsabilités contractuelle
et délictuelle, seule la responsabilité contractuelle peut alors intervenir.

Il ne peut donc s'agir que d'une obligation de nature extra-


contractuelle. Il peut s'agir d'une obligation de nature légale (1), ce
qui ne fait pas particulièrement difficulté. En revanche, se cantonner à
la seule violation d'obligation légale priverait l'énoncé d'un principe
général de responsabilité de toute efficacité, c'est pourquoi la faute
s'entend également de la violation d'un devoir général de prudence et
de diligence (2).

1. La violation d'une obligation légale

La faute extra-contractuelle peut tout d'abord s'entendre de la


violation d'une obligation légale, c'est à dire d'une obligation
expressément imposée par la loi.

On peut distinguer deux variétés de législation imposant des


obligations aux individus.

a. Lois réglementant les comportements

Il s'agit de l'ensemble des dispositions législatives prescrivant un


comportement.

Certaines de ces dispositions sont sanctionnées :


• Ainsi, la violation d'un texte du code pénal implique
nécessairement une faute au sens civil du terme. Le fait de causer
intentionnellement la mort d'autrui (c'est à dire de commettre un
meurtre) constitue une faute, de la même manière que le fait de voler,
d'escroquer autrui, ou encore de dégrader un bien.
• Il en est de même de la violation d'un texte en dehors du Code
pénal, mais également pénalement sanctionné. Ainsi, la violation d'une
obligation imposée par le Code de la route constitue également une
faute extra-contractuelle.
• Il peut également s'agir d'un texte assorti d'une sanction civile. Par
exemple, le fait d'être à l'origine d'une cause de nullité du contrat peut
constituer une faute ; ou la violation d'un devoir conjugal ou parental.
Le droit du travail prévoit également de nombreuses obligations à la
charge de l'employeur, et plus rarement du salarié.

Mais il est également possible aux tribunaux de considérer


qu'un comportement prescrit par la loi, sans être assorti d'une
sanction, est de nature impérative. Cela démontre l'appréhension
très large de la notion de faute.

b. Lois protégeant les droits subjectifs reconnus à autrui

Bien que la loi ne prévoie pas systématiquement de sanction en cas


d'atteinte à un droit subjectif (droit à la vie privée, droit à l'image,
droit de propriété, etc.), il n'en reste pas moins que la seule
violation d'un droit subjectif reconnu par la loi suffit à
démontrer l'existence d'une faute.

Il faut observer que, s'agissant de l'hypothèse particulière de la


violation d'une atteinte à la vie privée, la Cour de cassation paraît
même écarter la responsabilité civile au profit d'un système de
sanction sui generis fondé sur l'article 9 du Code civil, où la seule
preuve de l'atteinte suffit à enclencher l'ensemble des
sanctions prévues par la loi, indépendamment de la preuve des
autres conditions traditionnellement exigées en matière de
responsabilité civile (c'est à dire la causalité et le préjudice) : Civ.
1Ère, 5 nov. 1996, JCP 1997, II, 22805, note J. Ravanas.
2. La violation d'un devoir général de prudence

Au-delà des devoirs extra-contractuels expressément prévus par la loi,


l'article 1240 du Code civil permet également de reconnaître
la responsabilité civile d'une personne qui a manqué à un
devoir général de prudence et de diligence, c'est à dire à une
norme générale de comportement.

Cette solution n'est pas douteuse. En effet, la formulation des articles


1240 et 1241 du Code civil démontre clairement que les rédacteurs du
Code civil ont entendu abandonner la méthode casuistique héritée de
l'Ancien Régime et du droit romain, où la responsabilité civile ne
pouvait être envisagée que dans des cas spéciaux.

Ainsi, le juge peut sanctionner, au titre de la responsabilité pour faute,


tout comportement contraire à une norme fondamentale de
comportement, ou encore une norme générale de civilité, ou
encore un devoir général de prudence et de diligence.

Afin d'assister le juge dans la détermination d'un tel devoir, on formule


généralement une directive générale, selon laquelle la faute est
révélée si l'auteur du dommage ne s'est pas comporté comme
l'aurait fait une personne normalement prudente et diligente,
c'est à dire, selon la terminologie héritée du Code civil, le
« bon père de famille ». C'est d'ailleurs la raison pour laquelle
certains auteurs définissent la faute comme un « écart de conduite ».

On remarquera qu’à la suite d’un amendement déposé par certains


députés, à la faveur de l’examen du projet de loi pour l’égalité
homme-femme, la suppression de la notion de bon père de famille a
été votée par l’Assemblée Nationale, pour la remplacer par l’adverbe
« raisonnablement ». En droit, ce changement, purement symbolique,
n’a strictement aucune incidence, notamment sur l’appréciation de la
faute.
B. L'appréciation de la faute

1. Le débat entre appréciation in abstracto et in concreto

Même en définissant la faute comme un écart de conduite par rapport


au comportement qu'aurait adopté le bon père de famille, l'indication
demeure encore trop floue pour le juge. Celui-ci doit en effet savoir
plus précisément quels sont les éléments de comparaison lui
permettant d'apprécier la faute.

Afin de résoudre la difficulté, la doctrine envisage traditionnellement


deux modes différents d'appréciation de la faute :

1. Appréciation in abstracto : mode d’appréciation d’un


comportement lorsqu’on se règle, non sur la personnalité de son
auteur, mais sur le modèle du bon père de famille incarnant une
compétence et une diligence moyennes.
2. Appréciation in concreto : mode d’appréciation d’une conduite
prenant en considération les seules circonstances de l’espèce,
spécialement les aptitudes propres à l’individu en cause .

On enseigne habituellement que la faute civile est appréciée in


abstracto. La solution paraît évidente, tant l'appréciation in concreto
serait inadapatée, puisqu'elle conduirait, dans de nombreuses
hypothèses, à rejeter l'existence d'une faute.

Exemple : Bernard est un très mauvais conducteur. S'il a obtenu son


permis de conduire, sans doute par miracle, il n'a pas de bons réflexes
sur la route, tellement il est angoissé à l'idée de prendre le volant. Il
cause un dommage à une autre voiture. Selon une appréciation in
concreto, une faute ne sera constituée qu'à la condition que, par
rapport à ses compétences habituelles de conduite, Bernard s'est
encore plus mal comporté. Il sera donc facile de l'exonérer de toute
responsabilité, alors même qu'une autre personne, meilleure
conductrice, serait donc jugée plus sévèrement.
Dans sa formulation la plus extrême, l'appréciation in abstracto
présente cependant un inconvénient majeur, qui résulte de sa trop
grande sévérité. La référence au bon père de famille exclut en effet, a
priori, toute considération sur la personnalité de l'auteur du dommage.
C'est pourquoi la jurisprudence compare le comportement de
l'auteur du dommage à celui qu'aurait adopté une personne
normalement diligente, mais placée dans les mêmes
circonstances de fait extérieures (ce qui permet de prendre en
considération les conditions climatiques ou économiques dans
lesquelles le dommage est survenu), dans les mêmes conditions d'âge
et de santé (pour tenir compte, le cas échéant, du fait qu'il s'agit d'un
enfant, ou d'une personne handicapée ou malade), et exerçant la
même activité (pour les adultes).

Il n'est donc pas interdit au juge de prendre en compte certaines


circonstances concrètes. C'est pourquoi l'opposition entre les deux
types d'appréciation n'a guère de sens, car les juges, dans un esprit
de pragmatisme, procèdent à une appréciation nuancée du
comportement de l'auteur du dommage.

2. La gravité de la faute

a. Le principe : l'absence de prise en compte de la gravité de


la faute
En principe, une simple faute, même très légère, suffit pour engager
sa responsabilité, sur le fondement de l'article 1240 ou 1241 du Code
civil.

Cela signifie qu'en responsabilité civile, le juge ne doit pas tenir


compte de la gravité de l'agissement à l'origine du dommage pour
décider s'il constitue ou non une faute. Cette directive d'interprétation
doit se comprendre de deux manières complémentaires :
1. Le juge n'a pas à tenir compte du caractère intentionnel ou non de
l'acte. Qu'il ait été commis volontairement (faute intentionnelle), voire
délibérément (faute dolosive), ou par simple imprudence, cet acte
peut constituer une faute.
2. Le juge n'a pas à vérifier que la faute atteint un certain degré pour
être constituée. Cela signifie que la responsabilité civile n'est jamais
subordonnée à la preuve d'une faute lourde, c'est à dire résultant d'un
comportement particulièrement blâmable en raison de l'énormité de
l'erreur commise, ou des conséquences importantes qui en résultent.

On précisera que cela ne signifie pas, à l'inverse, que la


commission d'une faute lourde ou dolosive ou intentionnelle,
n'ait aucune conséquence juridique. Ainsi, en droit du travail, la
commission par l'employeur d'une faute inexcusable aggrave la
responsabilité qu'il doit assumer lorsqu'il est la cause d'un accident du
travail. De la même manière, la faute inexcusable de la victime d'un
accident de la circulation peut la priver de tout droit à réparation dans
certaines conséquences.

b. Les atténuations au principe

Ce principe doit cependant être tempéré : il arrive parfois que le juge


« réhausse » le seuil exigé pour constater une faute, bien
qu'officiellement le principe de l'absence de nécessité de la gravité de
la faute demeure.

Nous prendrons trois exemples particuliers de cette exigence plus


sévère afin de démontrer l'existence d'une faute.

α. La faute commise dans l'exercice d'un droit

Lorsque le droit positif reconnaît à un individu un droit subjectif, on


peut légitimement se demander s'il est concevable que cet individu
commette une faute en exerçant ce droit. En effet, il semblerait
cohérent qu'une personne exerçant un droit qui lui a été reconnu ne
puisse être inquiétée pour avoir exercé ce droit, même s'il cause un
dommage à autrui à l'occasion de cet exercice.

C'est la question dite de l'abus de droit, désormais plutôt


évoquée comme celle de la faute dans l'exercice d'un droit.

Une affaire fameuse permettra d'illustrer cette question : affaire


Clément Bayard c/ Coquerel, Req. 3 août 1915, D. 1917, 1, p.79. Dans
cette affaire, Adolphe Clément-Bayard avait bâti sur un terrain lui
appartenant un hangar dans lequel il entreposait des dirigeables, qu'il
faisait décoller de ce terrain. Son voisin, Jules Coquerel, avec qui il
vivait en totale mésentente, décida d'ériger sur son propre terrain des
palissades en bois, hérissées de pointe en fer de plusieurs mètres de
haut, ce qui empêchait en pratique les dirigeables de décoller sans
crever. La question posée en l'espèce était de savoir si le sieur
Coquerel, en agissant ainsi, avait ou non abusé de son droit de
propriété, pourtant considéré comme un droit absolu (article 544 du
Code civil).
L’abus de droit représente une théorie destinée à limiter l’exercice
des droits subjectifs par les individus qui en sont titulaires. Summum
jus, summa injuria écrivait Cicéron (plus le droit est fort, plus on
peut en faire un mauvais usage au détriment d’autrui) : plus le
droit subjectif en cause est important, plus son exercice peut dériver
en abus, et c’est particulièrement vrai du droit de propriété,
traditionnellement présenté comme l’archétype du droit subjectif.

Il s’agit d’une théorie d’origine essentiellement doctrinale. Elle n’a


jamais été consacrée en tant que telle par la jurisprudence, de
manière générale, les juges se contentant de l’appliquer au cas par
cas. Aucun texte n’a de plus cristallisé cette théorie, c’est pourquoi il
faut rester prudent en procédant à son exposé : il s’agit d’une
question soumise à controverses, qu’il faut donc comprendre en tant
que telle.

A l’origine, la théorie de l’abus de droit n’a pas été bien reçue en


France. Planiol enseignait en effet qu’il n’est pas possible d’accomplir
un acte à la fois conforme au droit et qui lui serait contraire : si on
exerce un droit subjectif, on ne peut mal faire, en d’autres termes.

Mais Josserand à répondu à cet argument en distinguant droit objectif


(le système juridique) et droit subjectif (prérogative reconnue à un
individu par le droit objectif). En effet, on peut exercer un droit
subjectif, mais cet exercice peut être contraire au droit objectif, c’est à
dire à la finalité du système juridique. Si la thèse de Josserand n’a pas
parfaitement convaincu, il n’en reste pas moins qu’elle a permis
d’asseoir la pertinence d’une théorie de l’abus de droit.

Il restait alors à définir le critère de l’abus de droit. 3 propositions ont


pu être faites pour caractériser l’abus :

1. L’intention de nuire : c’est le premier critère à avoir vu le jour


dans la théorie de l’abus de droit. Si un individu exerce un droit avec
l’intention de nuire à autrui, c’est à dire de lui causer volontairement
un dommage, alors qu'il n'en retire aucune utilité, alors il agit
contrairement à la morale. Il faut donc le sanctionner. C'est la solution
retenue dans l'arrêt Clément-Bayard. Mais ce critère est également
contestable pour deux raisons. D’abord, la référence à la morale est
désuète en droit. Ensuite, c’est un critère trop étroit, car l’intention de
nuire est rare, et surtout difficile à prouver.
2. L’atteinte à la finalité sociale du droit : pour développer sa
conception de l’abus de droit, Josserand indiquait que l’abus est
caractérisé dès lors que le droit est exercé contrairement à sa finalité
sociale, c’est à dire à la raison pour laquelle le droit objectif a reconnu
son existence. Il suppose donc que chaque droit subjectif sert un but
qui dépasse l’intérêt de l’individu qui en est titulaire. Mais cette
conception a été critiquée, tout d’abord parce que sa mise en œuvre
est délicate (le but poursuivi par le législateur en reconnaissant
l’existence d’un droit n’est pas toujours évident), et ensuite parce
qu’elle ruine la notion même de droit subjectif (un droit subjectif est
un droit reconnu à l’individu. Si on subordonne ce droit à un but social,
alors on nie la liberté de l’individu dans l’exercice de ses droits, on fait
de l’individu l’instrument d’une politique économique et sociale qui le
dépasse. On ne sera pas étonné de savoir que Josserand avait des
sympathies communistes…D’ailleurs, le Code civil soviétique de 1923
disposait : les droits civils sont protégés par la loi, sauf dans le cas où
ils sont exercés dans un sens contraire à leur destination économique
et sociale).
3. La faute dans l'exercice d'un droit : l’abus de droit ne serait
que l’expression d’une faute délictuelle (au sens de l’article 1240, c’est
à dire un comportement défaillant, contraire à ce qu’aurait fait dans
des circonstances similaires un homme normalement prudent. Par
exemple, frapper une autre personne est une faute), engageant la
responsabilité civile de son auteur. Il est vrai qu’un abus de droit est
une faute, par définition. Mais certains ont contesté cette conception
car, en droit français, toute faute, même très légère, peut donner lieu
à responsabilité. Or, l’abus de droit suppose un excès, il faut donc qu’il
revête une certaine gravité. Il y a donc une importante différence
d’intensité entre abus et faute. On peut cependant aujourd’hui
affirmer que c’est le critère retenu en jurisprudence, même si elle
recherche sans le dire une faute grave pour caractériser l’abus de
droit.

Ces 3 critères ne sont pas cumulatifs, mais alternatifs. C’est


aujourd’hui la théorie de la faute qui semble dominer en
jurisprudence, car c’est la plus souple à manier pour le juge.
L’intention de nuire est en effet trop exigeante (et caractérise de
toutes les manières une faute), et l’atteinte à une finalité sociale est
trop objective, elle ne tient pas suffisamment compte du
comportement des individus.
On trouve aujourd'hui deux manifestations principales de la faute
commise dans l'exercice d'un droit :

1. Le droit de propriété, où la faute est caractérisée par un dommage


causé volontairement par l'exercice d'un droit, sans retirer aucune
utilité de cet exercice. Il n'est plus nécessaire de prouver l'intention de
nuire.
2. Le droit d'ester en justice : c'est la faute commise en saisissant le
juge, alors même que le demandeur ne développe aucun moyen
sérieux à l'appui de sa demande, et agit soit pour nuire au défendeur,
soit das un but dilatoire (pour ralentir par exemple le cours d'un
contentieux qui l'oppose au défendeur).

Dans ces deux hypothèses, ce n'est pas une simple faute qui est
sanctionnée, mais une faute appréciée plus sévèrement.

En outre, il faut préciser qu'il existe deux séries d'exceptions, qui ne


permettent pas de reconnaître une faute dans l'exercice d'un droit :

1. Exercice de droits fonctions, qui ne sont octroyés que dans l'intérêt


d'autrui ou d'un groupe. La sanction est alors la nullité, mais pas la
responsabilité.
2. Exercice d'un droit discrétionnaire (par ex : l'opposition à mariage
de l'article 179 du Code civil), dont le juge ne peut apprécier la
pertinence.

β. La faute sportive

L'avènement de la société de loisirs s'est naturellement accompagné


d'un développement du sport, à la fois comme pratique individuelle,
mais aussi comme spectacle collectif. Cet accroissement des activités
sportives n'a pas été sans multiplier les occasions de dommage, et la
jurisprudence a été plusieurs fois saisie de demandes d'indemnisation
de sportifs malheureux, blessés au cours d'un jeu.

Le terrain employé a pu varier, et nous verrons une application du


dommage causé à l'occasion d'une activité sportive dans le cadre de la
responsabilité du fait d'autrui. Mais la plupart du temps, la
responsabilité est recherchée sur le fondement de la faute délictuelle
(article 1240 du Code civil).

La question principale est alors de caractériser la faute sportive de


nature à être également qualifiée de faute délictuelle.

Plusieurs arrêts se sont penchés sur la question.

Par exemple : Civ. 2Ème 10 juin 2004, Bull. Civ. II, n°296.

Alors qu’il participait à un match de polo, un joueur fut grièvement


blessé en chutant du cheval qu’il montait, en raison d’un contact
provoqué par un joueur de l’équipe adverse. Lors de la rencontre,
les arbitres ont estimé que ce dernier n’avait pas commis de faute,
ce qui n’empêcha pas la victime d’agir à son encontre pour obtenir
réparation du dommage subi.

Ou encore : Civ. 2Ème 23 septembre 2004, Bull. Civ. N°435.

Dans cette affaire, lors d'un entraînement de karaté, l'un des


participants a été blessé à l'oeil par une autre participante au
cours.

Dans les deux cas, la Cour de cassation énonce que « la responsabilité


de la personne qui pratique un sport est engagée à l’égard d’un autre
participant dès lors qu’est établie une faute caractérisée par une
violation des règles de ce sport ». La faute sportive délictuelle
serait donc une « faute caractérisée par une violation des
règles du sport considéré ».

La précision n'est pas suffisante, car à lire ces arrêts, on pourrait


penser que n'importe quelle faute sportive pourrait constituer une
faute délictuelle. Inversement l'absence de faute sportive devrait
conduire à l'absence de faute délictuelle (il n'y avait pas de faute au
sens arbitral du terme dans l'affaire du match de polo).

C'est pourquoi la Cour de cassation a ajouté qu'il était possible de


retenir une faute civile, alors même qu'une faute sportive n'aurait pas
été constatée. Un auteur a exprimé à cet égard le principe suivant : il
n'existe pas d'autorité de la chose arbitrée au civil.
Cette affirmation, si elle permet au juge de reconnaître l'existence
d'une faute civile même en l'absence de faute sportive, ne doit pas
faire croire qu'il n'existe aucun lien entre faute civile et faute sportive.

En effet, la faute civile doit s'apprécier au regard du comportement


qu'aurait adopté le bon père de famille exerçant le sport considéré,
c'est à dire respectant les règles de ce sport. La violation des
règles sportives implique donc en principe un comportement fautif,
tandis que le respect de ces règles est un indice de l'absence de faute
délictuelle.

Cette influence des règles du jeu sur l’appréciation de la faute civile


implique, en outre, une certaine adaptation de la définition
traditionnelle de la faute. En effet, la pratique de certains sports
implique une certaine violence, ou au moins certains risques, qui
imposent de repousser le seuil de la faute. Il faut alors rehausser le
seuil de la faute, alors qu’en principe, la gravité de la faute n’a aucune
influence sur la reconnaissance ou non d’une responsabilité civile.

Pour cela, la doctrine et la jurisprudence ont forgé la théorie de


l’acceptation des risques (également appelée théorie du risque
accepté), selon laquelle la victime qui participe à un sport dangereux
en accepte les risques normaux, tant que l’auteur du dommage
respecte les règles du jeu. La théorie du risque accepté exige que
l’auteur du dommage ait respecté les règles du jeu, pour le laver de
tout soupçon.

A cet égard, la jurisprudence distingue traditionnellement deux


hypothèses. Lorsqu’il y a simple faute de jeu, c’est à dire un
manquement technique aux conditions du jeu, aucune responsabilité
civile ne saurait en découler (Civ. 2 ème 4 novembre 2004, Bull. Civ. II,
n°). En revanche, lorsque la faute commise intervient contre le jeu (on
dit aussi qu’il y a faute dans le jeu), la responsabilité civile de son
auteur peut alors être engagée. Or, les arrêts les plus récents, depuis
Civ.2ème 20 novembre 2003, bull. Civ.n° précisent que ce type de
faute s’entend d’une faute « caractérisée par la violation des règles du
jeu » qui constitue « une infraction aux règles du jeu de nature à
engager » la responsabilité de son auteur.

Il y a donc une certaine contradiction à affirmer l'autonomie de la


faute civile en matière sportive, alors que son appréciation dérive très
clairement du comportement sportif adopté par l'auteur du dommage.
Mieux vaudrait affirmer clairement la spécifité de la faute
sportive, dérivant de l'appréciation in abstracto du
comportement sportif de l'auteur du dommage, plutôt que
d'utiliser tant de détours.

γ. La faute dans l'exercice de la liberté de caricature

La caricature consiste dans une description ou des propos


accentuant les traits ridicules ou déplaisants de la personne visée,
dans un but humoristique ou satirique. Il s'agit donc de rire de
quelqu'un.

Le développement de nouveaux modes de communication (TV,


internet, radio) ont permis un grand essor de cette pratique, entre les
Guignols de l'info ou les imitations d'artistes comme Laurent Gerra,
Nicolas Canteloup ou Gerald Dahan.

La caricature n'est pas sans poser de délicats problèmes d'ordre


juridique, dans la mesure où elle exprime un conflit entre la liberté
d'expression, constitutionnellement reconnue, et le droit à la vie
privée, également consacré au plus haut niveau. Il arrive ainsi
fréquemment que la victime de la caricature « prenne mal » cette
dernière, et recherche la responsabilité de l'auteur de la caricature sur
le fondement de l'article 1240 du Code civil. Il faut alors rechercher si
une faute a été commise.

Or, l'appréciation de cette faute doit tenir compte d'une certaine


liberté du caricaturiste, puisque la caricature tend précisément à
« forcer le trait ». Dans le cas contraire, cela reviendrait à assimiler la
caricature à une faute, c'est à dire à interdire la caricature.

C'est pourquoi la Cour de cassation a affirmé, par un arrêt important,


que la caricature relève de la liberté d'expression, et ne constitue pas
une faute par elle-même, à moins qu'elle ne vise clairement à nuire
une personne ou une marque en particulier (l'intention de nuire se
dissociant alors de la caricature) : Ass. Plén. 12 juillet 2000, Les
guignols de l'info, Bull. Civ. AP n°7 (il s'agissait d'une action de la
marque Citroën pour dénigrement, dont la Cour de cassation a rejeté
le pourvoi en cassation car les propos mettant en cause la marque
n'était pas dissociables de la caricature de J. Calvet, le président de
Citroën).

Voici l’attendu pertinent de cet arrêt :

« Attendu que la société Automobiles Citroën fait grief à l'arrêt d'avoir rejeté
ses demandes alors, selon le moyen,

1° qu'en relevant le caractère outrancier, provocateur et répété des propos


tenus lors de l'émission litigieuse à l'encontre des véhicules produits et
commercialisés par la société Automobiles Citroën, sans pour autant
reconnaître l'existence d'une faute commise par la société Canal Plus, la cour
d'appel a omis de tirer les conséquences légales de ses propres constatations
et partant, violé l'article 1382 du Code civil ;

2° qu'en n'analysant pas, comme il lui était demandé, les propos prêtés à la
marionnette de M. X... et dirigés contre les produits Citroën, pour en conclure
à tort que les moqueries ne visaient pas la société Automobiles Citroën en tant
qu'entreprise commerciale, mais les attitudes de son PDG, la cour d'appel a
privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et suivants du
Code civil ;

3° qu'en affirmant que les moqueries étaient dirigées, non contre la société
Automobiles Citroën, mais contre les attitudes de son PDG, puis en
reconnaissant l'existence de propos dirigés contre la production même de la
société Automobiles Citroën, la cour d'appel a statué par des motifs
contradictoires et partant privé sa décision de motifs ; 4° qu'en se bornant à
affirmer sans s'en expliquer que les phrases désobligeantes prêtées à la
marionnette de M. X... ne sauraient avoir aucune répercussion sur le
téléspectateur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard
des articles 1382 et suivants du Code civil ;

Mais attendu que l'arrêt constate que les propos mettant en cause
les véhicules de la marque s'inscrivaient dans le cadre d'une
émission satirique diffusée par une entreprise de communication
audiovisuelle et ne pouvaient être dissociés de la caricature faite de
M. X..., de sorte que les propos incriminés relevaient de la liberté
d'expression sans créer aucun risque de confusion entre la réalité et
l'oeuvre satirique ; que de ces constatations et énonciations, la cour
d'appel, répondant aux conclusions sans se contredire, a pu déduire
que la société Canal Plus n'avait commis aucune faute et a ainsi
légalement justifié sa décision ».

La limite à cette liberté d’expression reconnue aux humoristes réside


dans l’éventuelle commission, sous le couvert de l’humour, d’une faute
d’une certaine gravité, en règle générale en ce qu’elle se heurte à un
droit particulièrement fondamental.

C’est par exemple le cas lorsque cette faute est de nature pénale.

On peut en trouver une illustration très actuelle avec l’humoriste


Dieudonné M’bala M’Bala, lequel a été pénalement condamné pour
« injure publique envers une personne ou un groupe de personnes à
raison de leur origine ou de leur appartenance ou leur non-
appartenance à une ethnie, une race ou une religion déterminée ».

La Cour de cassation a approuvé cette condamnation (Crim., 16


octobre 2012, Bull. crim., n°217) en considérant que :

« Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M.


Dieudonné M’Bala M’Bala a été cité à la requête du ministère public devant le
tribunal correctionnel sous la prévention d'injure publique envers une
personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur
appartenance ou leur non-appartenance à une ethnie, une race ou une
religion déterminée, pour avoir, au cours d'un spectacle s'étant déroulé le 26
décembre 2008 dans la salle du Zénith, à Paris, tenu notamment les propos
suivants : " Vous savez que le Zénith, c'est toujours pour moi une étape assez
importante chaque année, alors quand je veux le faire, c'est toujours plus
difficile. Je me suis dit : faut que je trouve une idée quand même sur ce
Zénith, une idée pour leur glisser une quenelle comme y fallait... Evidemment,
je réfléchis, hein ça m'arrive, et donc euh... je me suis inspiré un petit peu de
la critique très élogieuse de C..... (inaudible,- huées dans le public) qui
décrivait la soirée au Zénith, le spectacle, cette soirée, cette soirée au Zénith
comme le plus grand meeting antisémite depuis la dernière guerre mondiale...
(...). Alors évidemment, il me laissait une petite marge de progression, parce
que je me suis dit, il faut que je fasse mieux cette fois-ci, hein ? " ; que la
citation a précisé que lesdits propos devaient être lus au regard du sketch
consistant à faire monter sur scène un acteur déguisé en déporté juif, revêtu
d'un costume rappelant celui des déportés (pyjama et étoile jaune-supportant
la mention " juif "- cousue sur la poitrine), pour faire remettre à M. Robert
D..., dont les théories consistent à contester l'existence des chambres à gaz et
la réalité de la Shoah, " le prix de l'infréquentabilité et de l'insolence ",
représenté par un chandelier à trois branches, supportant trois pommes " ;
que, déclaré coupable de l'infraction reprochée par le tribunal, M. X... a relevé
appel de la décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient notamment


que le fait de tourner en dérision, par le biais de la parole, de l'étoile jaune,
support du mot " juif ", et de l'emblème du chandelier remis par un " déporté
" à un spécialiste des thèses négationnistes, la déportation et l'extermination
des juifs par les nazis durant la seconde guerre mondiale constitue à l'égard
de l'ensemble des personnes d'origine ou de confession juive un mode
d'expression à la fois outrageant et méprisant qui caractérise l'infraction
d'injure poursuivie ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, exempts d'insuffisance comme de


contradiction, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard des
dispositions de l'article 23 de la loi du 29 juillet 1881 et des dispositions
conventionnelles invoquées ».

Dans un tel cas, l’humoriste peut être pénalement condamné et il


encourt également une responsabilité civile éventuelle envers les
victimes de l’infraction (ici des associations de lutte contre le racisme
et l’antisémitisme). Il y a, en ce cas, bien faute au sens de l’article
1240 du code civil.

On ajoutera, sur cette question, que le recours de Dieudonné devant


la CEDH a été rejeté (CEDH, 20 octobre 2015, n°25239/13), la Cour
ayant précisé qu’il ne pouvait pas se réfugier derrière la liberté
d’expression dans la mesure où, en réalité, il s’agissait d’un prétexte
pour commettre un acte visant à la destruction des droits et libertés
reconnus par la Convention (art. 17), ce qui est une bonne définition
de l’abus de droit.

Dans un autre registre, on peut évoquer un arrêt récent du 20 mars


2014 (n°13-16.829, Bull. civ. I, 57), dans lequel un humoriste avait
énoncé sa chronique satirique en contrefaisant la voix d’une petite
fille, dont on comprend qu’il s’agit de la petite fille de Jean-Marie Le
Pen.

Or, énonce la Cour de cassation, « le droit de chacun au respect de sa


vie privée et familiale s’oppose à ce que l’animateur d’une émission
radiophonique, même à dessein satirique, utilise la personne d’un
enfant et exploite sa filiation pour lui faire tenir des propos imaginaires
et caricaturaux à l’encontre de son grand-père ou de sa mère, fussent-
ils l’un et l’autre des personnalités notoires et dès lors légitimement
exposés à la libre critique et à la caricature incisive ».
3. Les différents types de faute

L'article 1240 du Code civil sanctionne tout type de faute. Cela


s'entend, à l'évidence, des fautes de commission (a), mais également
des fautes d'omission (b).

a. La faute de commission

La faute de commission peut se définir le fait de causer un


dommage par son action.

Cela ne fait aucune difficulté d'admettre qu'une faute puisse résulter


d'un comportement positif. Ainsi, le fait de frapper une personne, de
mal conduire un véhicule constitue une faute.

b. La faute d'omission

En revanche, on a pu avoir plus d'hésitation à sanctionner une faute


résultant d'une simple omission. Il peut en effet sembler injuste de
sanctionner une personne pour n'avoir rien fait, dans une société qui
reconnaît par ailleurs la liberté individuelle. Une telle sanction revient à
imposer une obligation d'agir à l'individu, ce qui n'est pas très
conforme à ce principe cardinal de liberté individuelle.

Pourtant, la jurisprudence admet depuis longtemps qu'une omission


puisse constituer une faute délictuelle. Il faut, à cet égard, préciser la
notion d'omission, qui est susceptible de deux sens :

1. Omission dans l'action : il s'agit pour l'agent d'exercer une


activité, mais en s'abstenant de faire quelquechose qui aurait dû être
fait. Il peut s'agit par exemple d'un entrepreneur qui est chargé de
construire une maison, et qui omet d'étanchéifier le toit. Dans cette
hypothèse, la jurisprudence n'hésite pas à sanctionner une telle
omission dans l'action. Cette solution a d'ailleurs été explicitement
consacrée dans un arrêt fameux : Civ. 27 février 1951, GAJC, Branly.
Dans cette affaire, un historien avait omis de citer dans son ouvrage
sur l'histoire de la TSF le nom de son inventeur, T. Edison. Il s'agissait
bien d'une faute, puisqu'il y a un manquement à l'obligation
d'objectivité de l'historien.
2. Omission pure et simple : la question de la sanction d'une
omission pure et simple est plus délicate. Il ne fait guère de doute que
doit être sanctionnée l'omission pure et simple dictée par une intention
de nuire (on ne secourt pas intentionnellement une personne de la
noyade), ou contrevenant à une obligation spéciale imposée par la loi
(par exemple, la non assistance à personne en danger). Au-delà règne
un certain flou jurisprudentiel. Sur le plan des principes, une faute
peut être admise, même en l'absence d'obligation légale particulière :
Civ 2ème . 22 juin 1956, Bull. Civ. II, n°390. Mais tout est ensuite
affaire d'espèce, et la Cour de cassation a semble-t-il même exigé la
preuve de la violation d'une obligation légale ou réglementaire : Civ.
1Ère, 18 avril 2000 bull. Civ. I, n°117.

C. L'absence d'imputabilité de la faute

Il a longtemps été exigé, pour caractériser l'existence d'une faute


délictuelle, qu'elle soit imputable à l'auteur du dommage. On
peut définir l'imputabilité comme la possibilité d'attribuer à un
individu un fait digne de blâme, c'est à dire de lui reprocher l'acte dont
il est à l'origine. En d'autres, l'imputabilité suppose la faculté de
discernement de l'auteur de la faute.

Cette condition fut exigée jusqu'en 1968, elle a été supprimée par une
loi du 3 janvier 1968.

1. La condition d'imputabilité avant 1968

On tirait habituellement deux conséquences de la condition


d’imputabilité :

1. Les personnes sous l’emprise d’un trouble mental (incapables) ne


pouvaient être considérées comme responsables de leurs actes,
puisqu’elles n’avaient pas conscience du dommage qu’elles causaient à
autrui.
2. Les enfants en bas âge, ou infans, étaient également considérés
comme inconscients de leurs actes, et par conséquent étaient jugés
irresponsables de leur fait personnel dommageable.

Ces solutions ont été critiquées par plusieurs auteurs (H. et L.


Mazeaud, A. Tunc), car elles privaient certaines victimes de leur droit à
réparation, alors qu’elles auraient obtenu une indemnisation si l’auteur
du dommage avait été pleinement conscient de ses actes. C’est
pourquoi la jurisprudence a assoupli la condition d’imputabilité à
plusieurs égards :

1. La notion d’absence de discernement a été strictement entendue :


le trouble mental s’entend d’une aliénation totale, qui existait au
moment du fait dommageable. Les simples d’esprits, en revanche,
sont considérés comme responsable. Il en est de même des aliénés
s'ils commettent le dommage lors d’un intervalle de lucidité.
2. Lorsque le trouble mental résultait d’une faute antérieure de
l’aliéné, celui-ci demeurait pleinement responsable (Par exemple :
trouble résultant d’un alcoolisme).
3. Un arrêt de la 2ème chambre civile du 18 décembre 1964 a
considéré que la condition d’imputabilité ne s’appliquait pas en cas de
responsabilité du fait des choses. Elle était par conséquent cantonnée
à la responsabilité pour faute. L'enfant qui manipule une chose qui
cause un dommage est donc pleinement responsable en tant que
gardien.

2. La loi du 3 janvier 1968

Les critiques de la doctrine, combinée à un besoin grandissant


d'indemnisation des dommages a conduit le législateur à abandonner
la condition d'imputabilité, par une loi du 3 janvier 1968.

Cette loi insère un article 489-2 au sein du Code civil qui supprime
l’absence de responsabilité des incapables majeurs : « celui qui a
causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble
mental, n’en est pas moins obligé à réparation ».

La solution législative ne vise expressément que l'incapable majeur.


Toutefois, la jurisprudence l'a étendu aux mineurs affectés d’un
trouble mental : Civ. 1ère, 20 juillet 1976, Bull. Civ. I, n°270, JCP 1978
II, 18793.

Puis, elle a appliqué la solution aux infantes par trois arrêts rendus par
l’Assemblée Plénière de la Cour de cassation le 9 mai 1984 : les arrêts
Derguini, Lemaire et Samir. Ass Plén, 9 mai 1984, Bull. Civ. AP, n°1 à
3.
On peut aujourd’hui considérer qu’il n’est plus nécessaire de prouver
l’imputabilité de la faute à l’auteur du dommage pour le déclarer
civilement responsable. Cette évolution du droit positif consacre une
conception objective de la faute civile, qui est désormais dépourvue
de toute considération morale. Elle s’inscrit plus largement dans un
mouvement d’objectivation de la responsabilité civile, qui concerne
également la responsabilité sans faute (voir par exemple la nécessité
d’un simple fait causal, non fautif, pour engager la responsabilité des
parents du fait de leurs enfants).

Pour autant, la Cour de cassation a ultérieurement assoupli sa position


pour considérer que l’enfant ne pouvait se voir reprocher une faute
qu’à la condition d’avoir pu avoir conscience qu’il commettait une faute
(Civ. 2e, 4 juillet 1990, Bull. civ. II, n°167 : doc, p. 115).

En d’autres termes, il n’existe plus aujourd’hui d’âge qui,


automatiquement, écarterait toute responsabilité de l’enfant. Mais
l’enfant ne peut engager sa responsabilité civile qu’à la condition
d’avoir eu conscience, compte tenu des valeurs que peut avoir un
enfant du même âge.

Cela dit, la solution n’a, désormais, qu’une portée limitée car, en


pratique, il n’est plus nécessaire de prouver la faute de l’enfant pour
engager la responsabilité de ses parents, or il est rare de faire un
procès à un enfant seul…

§2. Les faits justificatifs

Le fait justificatif s'analyse dans une circonstance qui purge le


comportement de l'agent du dommage de son caractère a priori fautif.

La notion de fait justificatif se distingue de celle de circonstance


exonératoire, qui consiste dans un événement qui rompt le lien de
causalité entre le fait générateur (quelle qu'en soit la nature) et le
préjudice.

Il s'agit donc de l'hypothèse où il semble qu'une faute ait été


commise, mais où l'acte fautif en lui-même est en réalité justifié d'une
manière ou d'une autre. A cet égard, on peut faire assez facilement un
parallèle avec les faits justificatifs applicables en droit pénal.
A. L'ordre de la loi et le commandement de l'autorité légitime

1. L'ordre de la loi

Selon l'article 122-4 du Code pénal, la personne qui accomplit un acte


prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires
n'est pas pénalement responsable. Il en résulte, par application du
principe d'identité des fautes civile et pénale, qu'elle ne sera pas non
plus responsable civilement.

Il faut toutefois indiquer que cette autorisation de la loi ne dispense


pas l'auteur du dommage de respecter une obligation générale de
diligence et de prudence, ce qui restreint largement la portée de cette
autorisation. En outre, le seul fait de se conformer aux règles en
vigueur ne permet pas de purger un acte dommageable de son
caractère fautif : Civ. 2Ème, 31 mai 1965, D.1965 p.579.

2. Le commandement de l'autorité légitime

Le commandement de l'autorité légitime s'analyse dans l'ordre, donné


par l'administration, d'accomplir un acte pourtant dommageable à
autrui ( cf article 122-4 alinéa 2 du Code pénal).

La qualification de commandement de l'autorité légitime est cependant


plus difficilement acquise que celle de l'ordre de la loi, car elle requiert
la réunion de plusieurs conditions :
1. L'ordre doit provenir d'une autorité compétente
2. Il doit s'agir d'une autorité publique
3. L'ordre ne doit pas être manifestement illégal ou arbitraire.

B. La légitime défense

La légitime défense se définit comme l'acte rendu nécessaire par


une attaque injuste, qui est proportionné à la gravité de cette attaque
(article 122-5 du Code pénal).
La légitime défense constatée au pénal s'impose au civil : Crim 31 mai
1972, Bull. Crim. n°184.
Il s'agit d'une forme particulière d'autorisation de la loi, qui suppose la
réunion de trois conditions :
1. Une attaque injuste, qui vise les biens ou les personnes : la
légitime défense est donc la réaction à une faute.
2. Une réaction nécessaire : la faute commise dans le cadre d'une
légitime défense ne peut pas être évitée. Assez souvent, ce sera
l'urgence de la réaction qui démontrera son caractère nécessaire.
3. Une réaction proportionnée, c'est à dire adaptée à l'attaque subie.

C. L'état de nécessité

Selon l'article 122-7 NCP, l'état de nécessité désigne le cas où un


individu a délibérément causé un dommage parce que c'était le seul
moyen d'en éviter un plus grave, auquel les circonstances l'exposaient
ou exposaient autrui.

L'état de nécessité suppose la réunion de plusieurs conditions :


1. Le préjudice qui en résulte est moins important que celui qui serait
survenu en l'absence de la commission de la faute en état de
nécessité
2. La situation où s'est trouvé l'auteur du dommage ne résulte pas de
sa propre faute.

Il faut également distinguer deux hypothèses :


1. Si l'état de nécessité consiste à causer à la victime un dommage
moindre que celui auquel elle s'exposait d'abord, il y a certainement
état de nécessité.
2. Si l'état de nécessité consister à causer à la victime un dommage
moindre que celui auquel s'exposait l'auteur du dommage, celui-ci fait
subir à la victime le dommage à sa place. L'admission de l'état de
nécessité dans ce cas est plus problématique.

D. Le consentement de la victime

Le consentement de la victime s'exprime souvent par l'adage latin


Volenti non fit injuria : On ne peut faire de mal à qui y consent.
Lorsque la victime a accepté que le dommage lui soit causé, on
conçoit mal qu'une faute soit ensuite reprochée à l'auteur du
dommage.

Il faut toutefois souligner que ce principe trouve une importante limite


: le dommage causé à l'intégrité physique de la victime n'est
jamais autorisé, même si elle l'accepte.

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