Actes Aix2006
Actes Aix2006
Actes Aix2006
Rencontres économiques
d’Aix-en-Provence 2006
Remerciements
Pour leur collaboration aux Rencontres économiques d’Aix-en-Provence 2006,
nous tenons à remercier :
le CEFI-Université de la Méditerranée Aix-Marseille II,
l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-Provence,
la Faculté de Droit d’Aix-en-Provence,
l’Université Paul Cézanne Aix-Marseille III,
la Mairie d’Aix-en-Provence,
la Communauté du Pays d’Aix,
le Festival d’Aix-en-Provence,
Areva, Caisse des Dépôts et Consignations, CM CIC Securities, Deutsche Bank,
EDF, Euronext, Groupe Caisse d’Épargne, Groupe Suez, Hachette Livre, ING,
La Poste, Lyonnaise de Banque, Mc Kinsey, Pernod Ricard,
PricewaterHouseCoopers, Rise Conseil, SAP, Total,
et Automobiles Peugeot, Dexia, France Telecom, Jeantet et Associés, LaSer;
Gérard Bonos (Radio Classique), Éric Le Boucher, Frédéric Lemaître (Le Monde),
François Lenglet (Enjeux-Les Échos), Quentin Peel (Financial Times),
François-Xavier Pietri (La Tribune), Dominique Rousset (France Culture),
Jean-Marc Sylvestre (TF1);
Les Amis du Cercle des économistes, Marie Castaing et son équipe,
Pour le suivi éditorial de cet ouvrage, Hélène Clément, Anne Raffaelli
et Hervé de La Haye (studio Hcl).
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Anticiper et éveiller les consciences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CHRISTINE LAGARDE 101
L’eau plus inaccessible que rare en Afrique . . . . . . . . . . . . KORDJÉ BEDOUMRA 105
L’Europe est-elle rare ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . MARIO MONTI 109
Quatre défis à la théorie économique contemporaine . . ISMAÏL SERAGELDIN 111
V. L’allocation de l’épargne
L’épargne, ressource rare pour les uns,
pléthorique pour les autres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CATHERINE LUBOCHINSKY 156
Allocation de l’épargne mondiale :
le monde à l’envers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . AGNÈS BÉNASSY-QUÉRÉ 160
Une globalisation bancale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ANTON BRENDER 164
Transition démographique, croissance mondiale
et allocation de l’épargne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . MICHEL AGLIETTA 167
Rareté des investissements directs à l’étranger,
promotion de l’attractivité et innovation . . . . . . . . . . . . . . . . . C.-A. MICHALET 174
La politique des services financiers en Europe
et la rareté des investissements en R&D . . . . . . . . . . . . . . . . ANDRÉ CARTAPANIS 179
Témoignages
Currency Asymmetry, Global Imbalance,
and the Needed Reform of Global Monetary System . . . . . . . . . FAN GANG 186
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Chercher l’équilibre entre épargne et investissement . . . CHRISTIAN NOYER 189
Les cycles financiers dans les pays émergents . . . . . . . . . . ROBERTO LAVAGNA 192
Globalisation de la finance . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . MICHEL CICUREL 195
L’Europe victime des tensions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . KENNETH COURTIS 198
Le développement à l’international des PME :
l’exception peut-elle devenir la règle ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . RÉMY WEBER 200
Assurer la sécurisation des pensions et de l’épargne . . . . MICHEL TILMANT 203
Rassurer l’épargnant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . CHARLES MILHAUD 205
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Le XXIe siècle sera celui du capital humain . . . . . . . . . . . . . . . . . . PHILIPPE WAHL 286
Impliquer les entreprises dans la formation . . . . . . . . . . . JEAN-LOUIS REIFFERS 289
L’énergie humaine renouvelable . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . PHILIPPE LEMOINE 292
Jean-Hervé Lorenzi
Président du Cercle des économistes
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I.
Un monde de ressources rares
Bertrand Jacquillat
Mon rôle est de rendre compte du « festival off » des Rencontres économiques,
initié en 2005, c’est-à-dire d’essayer d’apporter un éclairage juridique sur le
thème des Rencontres. Une approche droit et économie. En 2005, le thème était
les relations entre l’Europe et les États-Unis. Et effectivement, un sujet s’imposait,
qui était la concurrence ou la convergence entre le droit de la common law, le
droit anglo-saxon d’une part, et le droit romain germanique d’autre part, avec
toutes les incidences que cela avait sur la conduite des affaires mondiales, la concur-
rence internationale et la mondialisation. Cette année, nous avons recommencé
le même exercice, et les juristes, les économistes et les hommes d’entreprise qui
ont travaillé sur ce sujet l’ont fait avec l’éclairage droit et économie, ont évoqué
une problématique et fixé une axiomatique.
Une problématique : après deux siècles de fausses alertes et 40 ans après les
conclusions du Club de Rome, on redoute toujours une pénurie de ressources. Que
cette crainte soit justifiée ou corresponde à un dogmatisme sclérosé, ou un mal-
thusianisme déguisé, elle a la vie dure dans les domaines de l’eau, des ressources
alimentaires ou de l’énergie. Dans ce dernier cas par exemple, les raisons ne
manquent pas de se détourner des énergies fossiles, et nous le ferons probable-
ment au cours de ce siècle, programme de réduction des émissions de CO2 ou pas.
Car après tout, il n’a pas été nécessaire d’interdire le transport hippomobile du
début du XXe siècle pour que celui-ci disparaisse et que nos villes soient assainies
et de meilleure qualité. Les économistes, pour la plupart d’entre eux, ont une vision
schumpeterienne du monde; ils pensent que les besoins, les forces du marché, les
systèmes de prix relatifs et les réponses technologiques apportées à tous les défis
rendent peu pertinente sur la durée la notion même de ressource rare. D’autres
économistes, d’autres juristes, des hommes politiques, relayés par les médias,
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La rareté et le droit
Quatre thèmes
Le premier thème qui a été abordé était de savoir s’il était nécessaire d’avoir
de nouvelles théories juridico-économiques ou d’en ajouter à celles qui existent
déjà. La réponse a été donnée par un brillant avocat d’affaires : « oui et non, bien
sûr ». Oui parce que la preuve est suffisamment faite par des décennies et des
siècles d’action de la puissance publique ou de la législation et du droit pour une
gestion socialement et politiquement responsable et adéquate de la rareté. Non,
parce qu’effectivement le monde est évolutif et les situations, les conceptions poli-
tiques et sociales qu’offre l’économie politique, la nature et la rareté des ressources
se modifient constamment.
Deuxième thème : faut-il un droit de l’environnement? On sait tous les pro-
blèmes qui se posent à la planète, mais tout de suite la table ronde a conclu que
le droit de l’environnement est lié au commerce international et étant lié au
commerce international, il n’y a pas de gouvernance mondiale, et comme il n’y
a pas de gouvernance mondiale, il est difficile à mettre en œuvre. En tout cas,
les industriels présents à la table ronde ont constaté qu’ils avaient intégré les pro-
blèmes d’environnement, qu’ils acceptent ces contraintes supplémentaires à
condition qu’il y ait un même playing field.
Troisième thème : le droit de la propriété intellectuelle et des innovations et
le droit de la concurrence. Il y a à la fois un droit de la propriété intellectuelle qui
favorise l’innovation et qui protège ceux qui découvrent, et un droit efficient ex
ante, qui n’est pas forcément un droit efficient ex post, parce que c’est le droit
de la concurrence, qui veut au contraire favoriser la dissémination de l’innova-
tion, le plus vite possible, auprès du plus grand nombre de consommateurs. L’un
des économistes en service extraordinaire auprès de la Cour de Cassation a donné
une vision un peu pessimiste du problème en ce sens qu’il a dit que l’analyse éco-
nomique est éminemment absente pour traiter des contradictions entre le droit
de la propriété intellectuelle et le droit de la concurrence.
Le dernier thème était celui des droits de propriété et des facilités essentielles.
Les facilités essentielles, ce sont tous les biens dans lesquels les concurrents, pour
exercer leur activité dans un contexte concurrentiel, doivent avoir accès à une infra-
structure possédée par l’un des concurrents. Et nous avons eu une brillante
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I. Un monde de ressources rares
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La rareté au cœur de la nouvelle croissance mondiale
Pierre Jacquet
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I. Un monde de ressources rares
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La rareté au cœur de la nouvelle croissance mondiale
duction l’illustre rapidement dans les trois exemples évoqués ci-dessus : la rareté
du pétrole, le développement durable et l’action collective internationale autour
de la production de biens publics globaux.
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I. Un monde de ressources rares
Développement durable
La promotion du développement durable n’est ni une lubie d’écologistes
attardés, ni un luxe de pays riches. Il correspond à la prise en compte de phéno-
mènes de rareté non signalés par les marchés. C’est un processus de construction
de la perception de la rareté, de transformation de « biens libres » en « biens éco-
nomiques », pour reprendre la terminologie de Samuelson. Bien qu’ils n’aient pas
de prix de marché, et que les signaux économiques donnés sur leur rareté soient
donc erronés, la qualité de l’air, la biodiversité, le silence ambiant, la qualité des
paysages et bien d’autres biens ne sont pas des « biens libres ». Y a-t-il, au demeu-
rant, de vrais biens libres?
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La rareté au cœur de la nouvelle croissance mondiale
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I. Un monde de ressources rares
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Quatre raretés : État, eau, forêt, terre arable
Érik Orsenna
Académie Française
Je me suis promené deux ans et sept minutes. Car la durée fait partie de l’ana-
lyse et j’ai cette chance de pouvoir prendre mon temps.
A priori, rien n’est plus abondant que le coton. Entre 37 nord et 32 sud, je
parle de parallèles, 90 pays tout autour de la planète cultivent du coton. On est
dans le cas d’une plante, d’un végétal, d’autant plus abondant qu’il est annuel.
Donc a priori, c’était le lieu même où il n’y avait pas de rareté. Au cours de ce
tour du monde (c’est quand même 100000 kilomètres sur tous les continents),
j’ai, en résumé, retrouvé quatre raretés.
1. La rareté d’État, rareté institutionnelle. Par définition, les matières pre-
mières concentrent les richesses. Si vous n’avez pas un État qui est plus ou moins
le lieu de l’intérêt général, les matières premières sont une malédiction et sont
contraires au développement au lieu de le faciliter. Je l’ai vu un peu partout, je
l’ai vu en Afrique, je l’ai vu en Ouzbékistan, et aussi dans d’autres pays, mais
principalement dans ces deux régions-là.
2. La rareté d’eau. Le coton reçoit son eau soit de l’irrigation, soit de la pluie.
Je vais parler de l’irrigation, dépendante de deux sortes de rareté. Une rareté liée
au prélèvement; j’ai vu ainsi dans le haut Texas des cultivateurs qui m’avouaient
tranquillement qu’il ne restait plus que 20 à 30 % de la nappe phréatique, et
quand je leur demandais si ce n’était pas inquiétant, ils me répondaient : « Voilà
bien une question de la vieille Europe. Vous êtes un continent à problèmes. Nous,
nous sommes une nation à solutions. » Rareté et conflits : il se trouve que je me
suis changé plus en géographe qu’en économiste, et ce serait bien qu’il y ait un
peu plus de géographie dans l’économie. On parle beaucoup de la mer d’Aral,
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I. Un monde de ressources rares
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Quatre raretés : État, eau, forêt, terre arable
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La crainte de la rareté fait monter les prix
Thierry Desmarest
Total
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La crainte de la rareté fait monter les prix
Ce qui manque aujourd’hui, c’est la volonté d’une partie des États produc-
teurs de développer leurs réserves de pétrole et de gaz au rythme auquel la
demande a progressé ces dernières années. Le risque de tension est d’autant plus
fort que la production d’hydrocarbures de l’OCDE a déjà entamé son déclin
et que celle de la Chine plafonne. L’essentiel des réserves est concentré dans
quelques régions, au premier rang desquelles le Moyen-Orient pour le pétrole,
et la Russie pour le gaz. Dans les années récentes, les États producteurs ont sen-
siblement renforcé le contrôle sur leurs réserves. Plusieurs circonstances les y
ont poussés : la concurrence entre pays consommateurs qui se pressent à leur
porte, le désir de développement des compagnies pétrolières nationales dans les
pays hôtes, la puissance considérable de certaines de ces sociétés qui pèsent
beaucoup plus que les « Majors ». Ces évolutions ont pour toile de fond une
montée du nationalisme pétrolier et gazier, varié dans ses expressions et selon
les régions du monde.
L’hésitation des pays producteurs à augmenter leur production, et plus
encore à faire participer à leur développement les compagnies pétrolières inter-
nationales, sauf sur les projets les plus risqués et les plus techniques, tend à ral-
longer le délai de réponse pour adapter l’offre à la demande. Plus complexes,
les nouveaux projets majeurs demandent 5 à 10 ans pour s’accomplir. La réserve
de capacité de production inutilisée qui, dans les années 80 et 90, permettait
de faire face aux aléas, est désormais très faible et les pays producteurs hésitent
à la reconstituer à leurs frais et sans contrepartie.
La hausse du prix des hydrocarbures exerce sur le marché des effets contras-
tés. Elle entraîne, avec un certain retard, une modération de la consommation
et, à moyen terme, elle favorise le recours à des énergies de substitution rendues
plus compétitives. Du côté de l’offre, elle rend économiquement viable le déve-
loppement de projets nouveaux. Par contre la hausse de prix incite certains États
producteurs à réduire leur production, leur budget s’équilibrant avec un volume
plus faible. La balance de ces effets en partie contradictoires est incertaine.
Quelles marges d’action?
Pour éloigner la perspective d’un nouveau choc et éviter une trop grande
dépendance, les pays consommateurs doivent résolument s’appliquer à maîtri-
ser leur demande énergétique et à diversifier leurs sources d’énergie primaire.
Les pays développés, et notamment ceux de l’Union européenne, ont engagé
des efforts ambitieux et cohérents en ce domaine.
Trois remarques à ce sujet.
1. Chaque acteur économique doit prendre sa part des efforts de maîtrise :
l’industrie mais aussi les transports et le secteur résidentiel et tertiaire.
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I. Un monde de ressources rares
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S’adapter aux transformations technologiques
Édouard Brézin
Académie des Sciences
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I. Un monde de ressources rares
aux neutrons rapides (génération IV) on peut multiplier la durée de vie du stock
d’uranium sur terre par un facteur supérieur à cent. Nous sommes donc dans
une situation où nous ne risquons pas de pénurie d’énergie. En revanche, nous
sommes dans un monde dans lequel les changements climatiques vont dominer
les problèmes de la planète; ils sont déjà présents parmi nous. Mais il est clair
que si nous ne faisons rien, les tendances que nous voyons à l’heure actuelle sont
dangereuses. Le charbon est abondant et bon marché dans des pays qui ont de
grands besoins d’énergie; si on se contente de brûler le charbon sans techniques
de séquestration de CO2, qui pour l’instant sont balbutiantes, nous allons vers
une catastrophe absolue. Les énergies renouvelables sont excellentes, il faut cer-
tainement augmenter la part du solaire et de l’éolien; mais ce sont des énergies
intermittentes. Il faudrait donc, si on les utilise de manière abondante, les
stocker, et on ne sait pas réellement le faire. On se contente de temps en temps
de remonter de l’eau dans des réservoirs, ce qui n’est pas une façon très habile
de stocker de l’énergie. Nous sommes donc très loin d’avoir actuellement les
technologies nécessaires pour ce monde de transformations inéluctables qui est
devant nous, même si l’on hésite encore sur la distance qui nous sépare de la
fin du pétrole. Je n’analyserai donc pas le problème de l’énergie en termes de
rareté, mais de transformation de technologies auxquelles il faut s’adapter.
Problèmes géopolitiques
En revanche, il y a d’autres domaines où nous sommes beaucoup plus dans
une problématique de rareté. Érik Orsenna a abordé la question de l’eau. Un
rapport à venir de l’Académie des Sciences sur les eaux continentales, montre
qu’on peut attendre encore beaucoup des techniques agricoles. Par exemple, en
matière de culture de riz, on peut faire des gains importants sur la quantité d’eau,
en ne repiquant pas mais en utilisant des boues pour faire germer et en utili-
sant des techniques simples de lasers pour contrôler le niveau en eau. Si on veut
optimiser pour l’ensemble de la planète, par exemple en utilisant les pays où les
rendements sont optimaux pour une quantité donnée d’eau, on rentre immé-
diatement dans des problèmes géopolitiques considérables, parce que cela
signifie qu’on va produire dans les pays à grand rendement. Si l’on pousse hors
du champ les pays à faible rendement, ceux qui consacrent énormément d’eau
à l’agriculture, on réduit à la misère des millions de paysans des pays les plus
pauvres, ceux qui très précisément sont dépourvus de toute ressource. Le
problème est beaucoup plus géopolitique, un problème d’organisation politique
du monde qu’un problème de ressources. La conclusion de ce rapport, c’est que
la planète est capable de nourrir neuf milliards d’habitants, à condition de s’or-
ganiser et d’éviter les conflits auxquels cette situation peut conduire. Là encore,
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S’adapter aux transformations technologiques
rareté certes, mais aux hommes d’être sages pour s’y adapter s’ils le veulent. Nous
en sommes capables.
Enfin, il y a une autre rareté qui, à mon avis pour les pays développés, est
celle qui domine ; c’est celle de la matière grise. Il existe une compétition
énorme, à l’heure actuelle, pour attirer les meilleurs esprits de la planète. Pour
la situer, je prends un exemple tiré d’un rapport du National Research Council
des États-Unis, qui donne la liste des prix Nobel de sciences – que les écono-
mistes me pardonnent, je n’ai retenu que la physique, la chimie et la médecine!
Dans les 15 ans qui vont de 1990 à 2004, on y trouve 102 scientifiques. 102
citoyens américains ont obtenu le prix Nobel en 15 ans, ce qui fait plus de 6
par an. Mais sur ces 102, 51 sont nés citoyens américains, 51 le sont devenus.
Sur les 51 qui sont devenus américains, 42 le sont devenus après leur thèse, c’est-
à-dire à un moment où ils avaient déjà été formés, pour un coût quasi nul pour
les États-Unis, et où on pouvait déjà juger de leur potentiel et de leur créati-
vité. Ce combat pour la matière grise est absolument essentiel pour le futur de
nos sociétés. Je ne suis pas très sûr que l’Europe, et la France en particulier, y
soit bien placées bien que nous le clamions depuis longtemps. Cette rareté-là
est une rareté de riches, mais elle est importante pour le futur de l’Europe.
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A scarcity of institutions for resolving conflicts
Francis Fukuyama
Johns Hopkins University
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A scarcity of institutions for resolving conflicts
numbers of players with diverse interests. The problem of public goods provi-
sion can be unsurmountable in many cases because nobody has the incentive
to provide them. And the possibilities for free-riding by the other players in
the system are very great. Olson argued that there are really two solutions to
the collective action problem. The first was when you had a single hierarchi-
cal source of authority that had the power to enforce rules on all of the players,
which is a situation that simply does not exist in international relations today.
But the second was a case in which one of the players was significantly larger
than all of the others and had an interest in unilaterally providing those public
goods and accepting free-riding by the other players in the system simply
because there is no other way to achieve a collective action. And I would argue
that in many respects, the provision of public goods in the cold war era was of
this nature, done largely by the United States which had both an interest in main-
taining an open trading system in the world, and in a security system, to protect
itself and its trading partners. It permitted free-riding by, for example, becoming
an export market of last resort to the fast developing countries of East Asia,
and obviously provided security to its alliance partners in NATO and in the
Far East. And I would say, even to this day, by absorbing Chinese exports, and
allowing this build-up of American reserves in Chinese hands, it has also con-
tributed to global economic stability.
Now the problem is that this system is very difficult to maintain for a
couple of reasons. First, that Americans have to be convinced that providing
global public goods is in the American interest. And secondly, non-Americans
have to believe that this unilateral provision of public goods is legitimate. And
I think the Iraq war underlines the difficulty of both of those. Now I know that
it is difficult for many Europeans to believe this, but I think that the Bush admin-
istration in approaching the intervention in Iraq actually believed that it was
providing a global public good.That is to say they believed that weapons of mass
destruction in an unstable region of the Middle-East would be highly desta-
bilizing and that the collective decision-making processes would not fix this
problem, and therefore the United States would provide that unilaterally. And
of course, as we know very well, the international community did not find this
legitimate, and did not accept this particular American logic. It was not simply
a question of whether other countries believed that the United States was
behaving in a disinterested matter, which I think they did not, but also there
was not a high degree of confidence in the judgment of American policy-makers
to carry out the policy. Unfortunately, in this respect, the war and its aftermath
confirmed all of these fears. It’s one thing to be a benevolent hegemon, but to
be a benevolent incompetent hegemon makes the world a fairly unstable place.
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I. Un monde de ressources rares
And so I think that we have got a big problem for the future. This pattern of
the United States acting first and receiving legitimation only ex post I would
maintain actually worked reasonably well during the cold war. But this unbal-
anced provision of public goods will not persist into the future, and I think you
can see the problems that will continue to arise, just thinking about the possi-
bility of Iran and Iran’s nuclear program and the like.
So, what’s the solution? I think that, first of all, the global public institu-
tions like the United Nations will continue to play an important role in peace-
keeping and certain forms of nations-building, in certain forms of security. But
for the most important and difficult ones that institution will not be able to
resolve the conflicts of interest, for reasons that are built into the current system
because the Security Council was deliberately designed to be a weak institu-
tion. The quest for legitimacy that underlies current efforts at UN reform are
only going to increase the collective action problems. And therefore, my own
preferred solution is a world that I would call a multi-multilateral one, in
which we have a multiplicity of international institutions that are sometimes
competitive and sometimes overlapping that deal with these issues on both a
functional and a regional basis. And we can discuss this in the question and
answer period further if you want some specific elaborations.
I would just like to note at the end one important issue. Domestic level insti-
tutions in developing countries are also absolutely critical. And there is both
good news and bad news there. The last time we had an oil shock in the 1970’s,
the inability of institutions in Latin-America to recycle petrodollars and to deal
with aggregate demand led to the Latin-American debt crisis, which set that
region back for an entire generation. Today, by contrast, while you have energy
nationalism in places like Venezuela and Bolivia, and instability as a result, you
also have incomparably better institutions to manage precisely this kind of
external shock, and I think people sometimes are unaware of the good news in
terms of institutional development, in especially the larger countries, Chile,
Brazil, Mexico, and the like.That is also an absolutely critical dimension of insti-
tutional development if we are to deal with a world of increasing scarcities.
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II.
Les ressources en énergie
Jean-Marie Chevalier
Quelques chiffres
Il ne s’agit donc pas d’un troisième choc pétrolier mais plutôt d’un change-
ment de paysage. Et il va falloir le résoudre rapidement. Je rappelle quelques
chiffres. Les Chinois consomment à peu près un peu moins d’une tonne équiva-
lent pétrole par habitant et par an. Nous, en Europe, nous consommons 4 tonnes,
les États-Unis consomment 8 tonnes par an et par habitant. Supposons un instant,
toutes choses étant égales par ailleurs, que les Chinois consomment comme les
Américains, il faudrait les ressources de cinq planètes. Ce n’est évidemment pas
possible! Supposons, autre cas, que les Chinois se motorisent comme nous le
sommes en Europe, avec des voitures plutôt efficaces, ils consommeraient sous
forme de carburant l’équivalent de la production annuelle du Moyen-Orient
chaque année. Ce n’est pas possible. Donc, on a bien là une contradiction majeure,
que j’appelle parfois l’équation de Johannesburg. On a une planète où il faut
32
L’énergie, un bien à la fois public et privé
33
II. Les ressources en énergie
sachant qu’on a bien une asymétrie entre des énergies fossiles avec des émissions
et des énergies renouvelables dont on n’a pas encore révélé très bien la valeur
pour l’humanité, des ressources fossiles qui sont des biens privés, même si c’est
la propriété des États, confrontées à des biens publics énergétiques comme le
solaire ou le vent, tout en sachant que les énergies privées fossiles attaquent un
autre bien public général qui est le climat. Il est très intéressant de voir que, pour
la première fois dans l’histoire de l’humanité, nous avons affaire à un bien public
collectif, le climat, qui appartient indissociablement à 6 milliards d’habitants,
bientôt 9 milliards, ce qui implique une gestion collective et mutualiste dont nous
sommes encore loin.
34
L’énergie, un bien à la fois public et privé
35
Énergie nucléaire : le nouveau débat mondial
Christian Stoffaës
36
Énergie nucléaire : le nouveau débat mondial
Le charbon
En outre, face au risque de rareté des hydrocarbures, le charbon demeure une
ressource abondante, dont l’épuisement n’est pas prévu, dans l’état actuel des
connaissances géologiques, avant plusieurs siècles. Et ses gisements sont large-
ment répartis dans le monde – notamment dans les grands pays consommateurs
actuels : États-Unis, Chine, Inde – limitant de ce fait les transactions internatio-
nales et les risques de sécurité d’approvisionnement liés à la dépendance exté-
rieure qu’on observe pour les hydrocarbures.
Mais le charbon engendre quant à lui des nuisances écologiques qui sont de
plus en plus mal tolérées : transport et stockage de milliards de tonnes; pollutions
atmosphériques de proximité; impact mondial sur l’effet de serre et le change-
ment climatique, etc.
37
II. Les ressources en énergie
38
Énergie nucléaire : le nouveau débat mondial
Et le nucléaire?
La seule variable de bouclage de la rareté énergétique qui menace est l’éner-
gie nucléaire. Le vrai choix pour la production dé électricité en masse est charbon
ou nucléaire.
Les générations futures s’étonneront sans doute du sort historique étrange
de cette technologie, hautement sophistiquée et suscitant l‘enthousiasme d‘une
génération de scientifiques, ayant donné lieu à un spectaculaire développement
des années 1950 jusqu’au milieu des années 1970 (10 à 20 réacteurs construits
chaque année pour un total proche de 450 aujourd’hui), avant que d’être rejetée
par une large coalition politique et sociale dans la plus grande partie des pays
occidentaux (notamment aux États-Unis qui en étaient pourtant l’inventeur),
puis de l’ancien Bloc de l’économie planifiée (la France, le Japon, la Chine et
quelques autres faisant figure d’exception). Depuis vingt ans on ne construit
pratiquement plus de réacteurs nucléaires dans le monde (deux ou trois par an,
essentiellement en Asie de l’Est), même dans les pays demeurés pro-nucléaires dont
la capacité est arrivée à saturation.
Le nucléaire présente beaucoup d’atouts pour répondre à la rareté. La tech-
nologie est parvenue à la maturité; à la suite des tâtonnements des origines, c’est
la filière à eau légère (pressurisée ou bouillante) qui s’est imposée sur ses concur-
rentes (eau lourde, gaz-graphite, etc.). Son coût de production est essentiellement
l’amortissement de l’investissement technique dans la construction des centrales
et des usines d‘enrichissement en isotope 235 : le coût variable, celui de la matière
première uranium naturel 238, n’y rentre que pour une faible proportion. En outre,
ses ressources minières sont abondantes et assez largement réparties par la
géologie, surtout si l’on accepte de payer un peu plus cher pour l’exploitation du
minerai. Grâce à la technologie des surgénérateurs, mise au point notamment par
la France, la ressource est quasiment renouvelable – les réacteurs à neutrons
rapides générant autant de matières fissiles (plutonium) qu’ils n’en consomment.
À long terme, l’énergie de fusion offre des perspectives. À plus court terme, les
réacteurs à haute température, de sûreté intrinsèque et non proliférants, offrent
des solutions modulaires pour les pays en développement.
Enfin ses atouts écologiques sont considérables : faible occupation d’espace
(les grands barrages ou les champs d’éoliennes mobilisent des milliers de kilomètres
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II. Les ressources en énergie
40
Énergie nucléaire : le nouveau débat mondial
Et l’arme atomique?
La seule vraie question que pose l’énergie nucléaire est celle de la proliféra-
tion de l’arme atomique. Si l’énergie nucléaire veut gagner sa réhabilitation, elle
doit faire la preuve que le cordon ombilical qui la relie à l’arme atomique – dont
elle est une retombée – est coupé. À l’origine, les réacteurs producteurs d’éner-
gie nucléaire se dénommaient des « piles atomiques », dont la finalité primor-
diale était la production de plutonium de qualité explosive par l’irradiation de
l’uranium. On ne produit plus d’explosif atomique avec les déchets des centrales
civiles depuis longtemps. La technologie proliférante aujourd’hui ce sont les cen-
trifugeuses, qui permettent l’enrichissement de l’uranium naturel en uranium mili-
taire avec une technicité à la portée de tous, ainsi qu’en témoigne la question
iranienne. Si vingt pays au-delà du « club » fermé actuel des pays atomiques sont
demain dotés de la bombe, le monde peut en effet se faire du souci pour sa
sécurité.
Le fait que les États-Unis démontrent qu’ils sont prêts à faire la guerre pour
dissuader la prolifération (voir l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, etc.) et qu’ils soient
suivis dans cette politique par le concert des nations constitue en réalité une bonne
nouvelle pour le retour en grâce de l’énergie nucléaire civile. La matière fissile
doit être placée sous contrôle international par une Agence dotée de pouvoirs
renforcés et respectés.
Parmi les pays candidats les plus évidents pour la reprise du nucléaire figurent
les États-Unis, la Chine, l’Inde afin de les délivrer de leur trop grande dépendance
à l’égard du charbon; l’Australie, la Pologne, l’Afrique du Sud, trop charbonnières;
en Europe, l’Italie, trop dépendante du pétrole et du gaz arabe; l’Allemagne et
l’Europe de l’Est afin de réduire leur dépendance à l’égard du gaz russe; les
grands pays émergents de haute densité démographique tels que l’Indonésie, le
Pakistan, le Brésil, la Turquie, le Nigéria, etc.
41
Améliorer l’efficacité énergétique
Claude Mandil
Agence Internationale de l’Énergie
À l’AIE, nous avons fait nos perspectives à 2050 pour répondre à une
demande qui nous était formulée par le G8 l’année dernière, et nous les avons
publiées à nouveau avant le G8 de Saint-Pétersbourg. Au passage, j’indique
que dans les domaines de l’énergie et de l’environnement, le G8 est en réalité
déjà un G13 puisqu’il inclut les cinq grands pays non G8 : Brésil, Chine, Inde,
Mexique et Afrique du Sud. Nous nous sommes d’abord demandé ce qui se
passerait si rien ne changeait. En 2050, la consommation d’énergie du monde
ferait plus que doubler, et la part des énergies fossiles augmenterait par rapport
à la situation actuelle, passant de 80 à 85 %. C’est naturellement complète-
ment inacceptable. Est-ce inacceptable du point de vue des ressources ? On
ne peut pas dire qu’il y ait un problème de ressource ; en revanche, il y a un
problème de ressources accessibles à bon marché par les compagnies interna-
tionales. Mais le problème majeur, c’est que les émissions de CO2 en 2050
seraient multipliées par 2,5, ce qui est également inacceptable. Et pour évoquer
le thème de ces Rencontres, la ressource rare devant laquelle nous nous
trouvons vraiment, c’est la capacité d’absorption de notre planète du CO2 et
des gaz à effet de serre émis.
Des émissions de CO2 en décroissance
La bonne nouvelle, c’est qu’il est possible d’aboutir en 2050 à une situation
nettement plus sustainable. Sustainable voulant dire, dans ce cas particulier, des
émissions de CO2 pas plus importantes qu’aujourd’hui et en décroissance, le
tout en apportant l’énergie dont le monde a besoin à des coûts acceptables. Mais
c’est une tâche extrêmement difficile et par conséquent, la première conclusion
42
Améliorer l’efficacité énergétique
43
Producers and consumers must have
a constructive dialogue
Adnan Shihab-Eldin
Former OPEC
44
Producers and consumers must have a constructive dialogue
earlier, how do we manage the available in a way that is consistent with sus-
tainable economic growth and with other constraints such as the environ-
ment? And here, let me just mention, quickly, that I think CO2 sequestration,
especially in conjunction with storage in depleting oil and gas fields and
enhanced oil recovery, offers a good potential that should not be overlooked,
side by side with other resource development that are low in CO2 emission (or
zero CO2 emission), like renewable or nuclear. I think you can almost double
your proven reserves with maximum utilization of enhanced oil-recovery in con-
junction with the CO2 sequestration. The technology is already commercial.
Many fields in the United States and Canada already deploy and use CO2
sequestration, not for environmental reasons, but simply to produce more from
the known oil fields. So there is a huge potential there. Of course, the poten-
tial is greater if we develop CO2 sequestration and storage beyond enhanced
oil-recovery, such as storage in saline aquifers or the oceans, but such technologies
are yet to be developed.
Energy, security and prices
Now the concern in recent years about energy security, which is of course
related to the fear from scarcity, stems from the high prices that we have seen
over the last few years. Oil prices have more than doubled over the last three
years, reflecting in turn heightened concerns, not so much about availability in
the present times, but about the future availability of oil resources at affordable
prices. What we had before is that prices used to be related to the stock level
through a simple inverse linear relationship. You could almost guess what the
price would be if you knew what the commercial stock level was in OECD oil
importing countries. That inverse linear relationship has broken down com-
pletely. We are in a new environment and what we have is a set of factors or
forces that have been working in tandem, all of them, for the last two to three
years, pushing prices up. Foremost among these factors is the strong demand
growth, which is related to globalization and the increasing synergy between
the economies of developed and developing countries.The large increase in trade
between major trading blocks, particularly China and USA, had enabled all
trading partners to absorb the increasing energy prices with no visible impact
on economic growth. It used to be three or four years ago, that when people
started talking about concerns about higher energy prices people would say “well,
if prices go up by ten dollars a barrel, there will be doom and gloom to economic
growth in the world”. Well, this has not happened simply because we are in a
different environment. China is able to absorb the increase in prices because it
has cheap labor. It has an almost infinite pool of available cheap labor for the
45
II. Les ressources en énergie
time being and maybe for decades to come. China is thus able to convert this
advantage – even with the increase in prices in energy – into very profitable and
expanding exports, sustaining exceptionally high GDP growth. Industrial
countries are therefore able to take advantage of these cheaper imports, gen-
erating more consumer purchasing power to drive economic growth. At the same
time, industrial countries have been able to turn their economies around in order
to take advantage of increased productivity from innovations and applications
of IT throughout the economy, leading in turn to increase in their export of
high value services and products, again enabling them to absorb the increase
in energy prices.
This probably will not go on forever because every economic growth cycle
will come to a halt. But there are other factors in addition to the robust demand
growth, of course, such as concerns about supply disruptions, geopolitical
factors, and the noise from “peak oil” theory; all these factors have also con-
tributed to higher energy prices, through the increased activities (speculations)
on the future’s markets which correlate very nicely with increasing prices.
Now what are the prospects on the medium term? First, from now until 2010,
I think the capacity constraints of the upstream and the downstream are on their
way to being resolved. There have been enough investments in the upstream,
whether from OPEC or non-OPEC countries. OPEC countries have com-
mitted more than a hundred billion dollars of investments in over a hundred
of upstream projects. Combined with even higher level of upstream investments
by non-OPEC countries and the international oil companies, we can have,
probably, twelve to thirteen million barrels of additional net capacity over the
next five years. Even if it is ten million barrels, the demand growth will not exceed
seven and a half million barrels per day over the next same period (through 2010).
So there is an opportunity to increase the spare capacity significantly, and that
would moderate prices in the next few years, probably starting 2007. But I think
prices will most likely remain supported because investments in the downstream
are still lagging further behind. True, we have recently seen sizable investments
in the downstream after negligence of more than two decades, but expansion
of refining capacity is probably going to fall behind the investments in the
upstream.
Now I cannot tell you what prices will be, but I can tell you they are not
going to continue escalating. I do not believe that sixty or seventy dollars per
barrel in real terms can probably be supported beyond 2007. More likely we
will go to something more in the range of forty, fifty and perhaps up to sixty
dollars per barrel. But who knows?
46
Producers and consumers must have a constructive dialogue
47
Russia should not allow itself to use energy as a weapon
Igor Yurgens
Renaissance Capital
Russia possesses 30% of the world gas, 18% of the world oil, so we are blessed
to be a serious player in the international energy arena. Russia is so far a
mineral resource oriented economy. After the collapse of the Soviet Union there
was no debate how to modernize the country – we use our vast natural resources
to liberalize command economy and then seek ways to diversify it. Private com-
panies assured great leap forward in terms of productivity and production of
oil and other energy commodities, but after Yukos case the State decided to
restore its positions in the strategic industries, energy first of all. The newly
nascent Russian State realized that oil and gas can be both precious commodities
but also an important tool of the international policy. There could be quite per-
tinent questions about the economic efficiency and political necessity to nation-
alize oil and gas industry in Russia – but this is a vast subject for different
conference. At the moment it is virtually nationalized and the market failures
in other sectors of Russian economy and considerable social pressure virtually
predermined such course of events. Since we are such an important player inter-
nationally the rest of the world naturally asks questions: What’s next in Russian
energy? The best case scenario is the integration with the rest of Europe in the
framework of the energy charter, constructive solutions to the problems of the
security of supply and demand, which divides us now, the acceptable solution
to the legitimate concerns of Russia on the transit protocol to the Charter and
Western concerns on the level of Russian monopolization and equal access of
the independent producers to the pipelines. There could be nasty twists to the
best case scenario. Political pressures from the neighbors like Baltic States and
Georgia, NATO advances to Ukraine and Belarus, geographically motivated
48
Russia should not allow itself to use energy as a weapon
closeness to China, its huge energy demand, radical Islamic regimes on our
borders can be the factors derailing Russia from the West. In the short to medium
term Russia will be reliable partner to the West on energy and other scarce
resources. In the long run a lot will depend on geopolitical conditions on the
world arena. I agree with the idea, formulated by the previous speaker Francis
Fukuyama that only institutions, which are not yet in place in Russia, will deter-
mine how close Russian politics and economics will be to one of the sides of
the great triangle, which encloses us – China, European Union, USA.
One thing is clear in my mind – Russia should not allow itself to use energy
as a weapon. If some hotheads try to do it we’ll end up like the Soviet Union
did, we will fall and disintegrate. The simple truth is that if we use it as the
weapon, the world will find an adequate answer. One of such answers in the
80th was the deal between the US and Saudi Arabia to put the oil price to 8
dollars per barrel and the USSR collapsed.
So far the doors of dialogue and mutually fruitful cooperation are open. More
and more pipelines connect Russia and Europe; more and more joint projects
are underway. But the difficulties exist and everybody should learn their lessons,
Russia, probably harder than others.
49
Le nucléaire est une partie de la solution
Anne Lauvergeon
Areva
50
Le nucléaire est une partie de la solution
51
II. Les ressources en énergie
de cas, ce sera aussi une ressource-clé. Dans le nucléaire, nous sommes aujour-
d’hui dans une logique où les premiers arrivés seront les premiers servis. Et nous
ne sommes pas sûrs, si nous utilisons tous les moyens à notre disposition, de
pouvoir faire face à toutes ces demandes.
Dernier sujet, ce sont les interconnections entre institutions. Aujourd’hui,
nous sommes dans un contexte où chaque autorité de sûreté nationale licence
chaque type de nouvelle centrale. Nous démarrons la génération 3 et nous
sommes obligés de la certifier de A à Z, dans chacun des nouveaux pays, avec
des autorités de sûreté qui ont tendance à vouloir montrer que celles qui les ont
précédées faisaient un petit galop d’essai. Là aussi, si on veut effectivement un
grand déploiement logique et efficace, il va falloir de vraies interconnexions entre
les différentes institutions. Cela démarre entre l’Europe et les États-Unis.
J’espère que cela s’accélérera. Mais le nucléaire n’est pas valable pour des petits
pays, qui n’ont ni les technologies ni les capacités, en termes de sûreté, en
termes de surveillance, de le développer.
Enfin, et c’est vraiment fondamental, on ne pourra réellement faire des
progrès dans ce monde de ressources rares et régler ce problème du temps que
si on en débat. Ce sujet n’est plus du seul ressort des spécialistes, parce que les
conséquences, qu’elles soient climatiques, qu’elles soient économiques, qu’elles
soient géopolitiques, nous concernent tous. Tous ces sujets énergétiques doivent
passer d’un cercle de spécialistes à un cercle de très grands public pour être un
accélérateur fantastique d’efficacité – efficacité énergétique, efficacité des bonnes
décisions énergétiques, et efficacité de la responsabilité collective.
52
La biomasse, une alternative au pétrole
Mauricio Tomalsquim
EPE Brasil
53
II. Les ressources en énergie
pétrole. On consomme au Brésil 1,8 million de barils par jour, la même quantité
qu’en France. En 2010, la production brésilienne de canne à sucre équivaudra
à 2 millions de barils équivalent pétrole par jour, plus que le pétrole.
Un million d’emplois directs
Le Brésil possède un énorme potentiel en bioénergie, combustible et bio-
électricité. Tout d’abord, le Brésil possède des conditions géographiques et
naturelles favorables, quantités de terres disponibles pour l’agriculture, carac-
téristiques du sol, conditions climatiques privilégiées. Les technologies sont dis-
ponibles : éthanol, biodiesel, cogénération à partir des résidus, autres utilisations.
Pour mieux comprendre le secteur brésilien de la canne à sucre, il faut savoir
qu’il occupe une surface de 5,5 milliards d’hectares, que sa capacité productive
d’éthanol est de 20 millions de m3 par an. Nous comptons 60000 exploitations
de canne à sucre et 324 usines industrielles. Le gouvernement n’intervient pas
directement sur ces usines, qui sont toutes privées. Il y a 50 producteurs exclu-
sifs d’éthanol, 22 exclusifs de sucre. Le rythme des gains de productivité est de
2,6 % par an. Le secteur crée 1 million d’emplois directs. Les perspectives de
production de canne à sucre au Brésil sont diverses. La concentration de la pro-
duction à Sao Paulo connaît des émigrations vers le centre-ouest du pays. Une
nouvelle région d’expansion se trouve dans le nord-est du Brésil, le Maranhão.
Elle possède une infrastructure routière et portuaire qui la rapproche des
marchés importants que sont les marchés américains et les marchés européens.
Cette région possède également un grand potentiel d’intégration avec le bio-
diesel. La perspective pour les 10 prochaines années est de doubler la produc-
tion du pays. Cette donnée du ministère de l’agriculture est également utilisée
par le secteur privé, ce n’est pas seulement un objectif du gouvernement.
Revenons un peu dans le passé pour comprendre le sens du programme bré-
silien d’éthanol. La canne à sucre est un vieux produit brésilien, qui a presque
le même âge que le pays. Elle a été introduite au début du XVIe siècle dans le
but de produire du sucre. Après la seconde guerre mondiale apparaissent les pre-
mières initiatives de développement de l’alcool de canne à sucre et d’alcool en
général. Mais c’est après le premier choc pétrolier que le gouvernement brési-
lien crée le programme national de l’alcool, le Proalcool. C’est à partir du pro-
gramme de Proalcool que s’intensifie l’intervention du gouvernement sur les
marchés. La première forte intervention se fait par l’intermédiaire de subven-
tions pour la production de l’alcool hydraté. Lors d’une deuxième phase, avec
l’augmentation des exportations du sucre et la stabilisation du prix du pétrole,
l’attention se tourne sur l’alcool anhydre, additionné à l’essence. Ces dernières
années, la production s’intensifie et répond au mouvement international pour
54
La biomasse, une alternative au pétrole
une production propre ou sans polluants. Le prix élevé du pétrole, les objectifs
de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le protocole de Kyoto sont
une des raisons de cette poussée de l’alcool.
En 2003, on a vu apparaître au Brésil une nouvelle technologie, les véhi-
cules flex fuel. L’introduction sur le marché des véhicules flex fuel a très bien été
acceptée par les consommateurs. En effet, en 2006, sur les 6 premiers mois, ces
véhicules représentent pratiquement les trois quarts de la vente de véhicules
légers. C’est une nouvelle ère pour l’alcool, car il n’y a plus d’intervention du
gouvernement. Car la compétitivité de l’alcool issu de la biomasse de la canne
à sucre comme énergie électrique est reconnue, et il existe une vraie accepta-
tion de la technologie par le marché, par les consommateurs.
Le chemin pour conquérir cette compétitivité a été long. Dans les années
70, la production d’éthanol est équivalente à 16 barils par hectare. Actuellement,
elle est de 25. L’augmentation de la productivité implique une diminution de
la quantité de la surface totale de canne à sucre cultivée. Fondamentalement,
la seule décroissance bioénergétique n’est pas nécessairement reliée à une explo-
sion de la demande par région. Il n’existe pas de réelle dispute de l’espace entre
l’agriculture alimentaire et l’agriculture énergétique. L’évolution des technolo-
gies de la production est synonyme de réduction des coûts. L’introduction
d’une composante technologique se reflète sur les coûts entre les années 80 et
la fin des années 90. Par exemple, pour le bio-éthanol anhydre, on peut consta-
ter une réduction d’un tiers du coût de production du baril d’éthanol. Il est passé
de 90 à 30 dollars par baril.
Nous prévoyons une réduction de la flotte de véhicules à essence et alcool
et une augmentation de la flotte flex fuel, 30 % de la flotte ou presque en 2010.
Il existe plus de 6 millions de véhicules flex fuel sur les routes brésiliennes sur
un total de 22 millions. Il faut également souligner qu’en 2003, quand a été intro-
duite la technologie, il existait une projection pour 2010, qui a déjà été atteinte
en 2006. Les prévisions de l’évolution du marché mondial montrent une crois-
sance de plus de 70 % en 2010. Nous pouvons voir que le Brésil a un rôle impor-
tant par la consolidation et l’augmentation de sa vocation d’exportateur d’éthanol.
L’utilisation de l’énergie renouvelable peut réduire la dépendance au pétrole.
55
La dérégulation de l’électricité
a-t-elle atteint ses limites?
Christian Stoffaës
Incidents de parcours?…
La libéralisation de l’industrie électrique pourrait avoir touché ses limites.
Quelques incidents majeurs ont marqué l’actualité du secteur au cours de ces
dernières années.
– Les coupures de courant intervenues en Californie en 2001, qui ont causé
de graves dommages économiques et les mises en dépôt de bilan des compagnies
de distribution électrique de cet État à la suite des hausses brutales des prix sur
les marchés de gros.
– La faillite frauduleuse en 2001 d’Enron, à l’origine entreprise de transport
gazier engagée depuis 1985 en tant que champion des « nouveaux entrants » dans
le secteur électrique, faillite et procès qui ont en outre entraîné la disparition de
la firme d’audit chargée du contrôle de ses comptes et plus généralement a
frappé de discrédit une certaine forme de capitalisme spéculatif.
– Les coupures de courant intervenues en 2003, dans plusieurs pays dont
l’Italie et le Nord-Est des États-Unis.
– Plus récemment la hausse des prix de l’électricité en Europe due à l’aug-
mentation du prix du gaz naturel et du pétrole, et ce y compris dans les pays dis-
posant de ressources de production à prix stables (comme le nucléaire français).
– Dans les pays en développement qui ont adopté les privatisations et la déré-
gulation au cours des années 1990, les investissements dans la production et le
transport se sont ralentis, voire interrompus, provoquant des pénuries d’énergie
lourdes de conséquences pour le développement. Les capitaux publics font défaut
pour la construction des infrastructures cependant que les investisseurs étrangers,
56
La dérégulation de l’électricité a-t-elle atteint ses limites ?
qui avaient été attirés dans un premier temps par l’attrait des privatisations, se
sont retirés du fait de multiples contentieux avec les autorités régulatrices, se consi-
dérant spoliées cependant que les critiques démagogiques sur leur comportement
prédateur leur étaient opposées. Cette situation de pénurie électrique, est par-
ticulièrement sensible en Amérique Latine, en Inde, en Afrique.
… ou crise systémique?
S’agit-il de simples incidents de parcours ou d’une crise systémique mettant en
cause la notion elle-même de concurrence appliquée à ce secteur si particulier?
Coordination imparfaite entre les divers stades de la production à la distri-
bution, déficience des investisseurs, développement accéléré des centrales à gaz
à faible intensité de capital mais à forte variabilité des coûts du combustible et
aux risques élevés de sécurité d’approvisionnement : l’origine commune de ces
difficultés apparaît être la réticence des investissements privés à s’engager dans
un secteur où les règles du jeu sont instables et où la dé-intégration entre les stades
successifs de la production, du transport et de la distribution suscitent des risques
économiques pour les investissements à long terme.
En outre, on ne peut que constater qu’à la suite d’une première période de
hausse des prix et de fragmentation des anciens monopoles publics démantelés
par la dérégulation, les prix ont eu tendance à remonter et les entreprises du
secteur à se concentrer ou à se cartelliser. Ainsi se forment de grands groupes de
dimension multinationale tirant partie de l’effacement des frontières de démar-
cation géographique par des fusions et acquisitions engageant des montants colos-
saux et des capitaux spéculatifs : des oligopoles à capitaux privés multinationaux
prennent la place des anciens monopoles publics nationaux ou régionaux pré-
existant à la dérégulation.
En réalité la situation actuelle présente, à beaucoup d’égards, des analogies
avec la situation préexistante à la période historique où s’est imposée la régula-
tion publique, prenant la forme extrême, dans certains pays, comme la France,
le Royaume-Uni, l’Italie, de la nationalisation des entreprises d’électricité.
57
II. Les ressources en énergie
58
La dérégulation de l’électricité a-t-elle atteint ses limites ?
59
II. Les ressources en énergie
allant jusqu’à faire évoluer le parti Travailliste vers le social libéralisme qu’incarne
depuis dix ans Tony Blair.
Avant l’électricité, entre 1983 et 1988, ce sont les transports aériens, les télé-
communications, le gaz, les agences de l’eau, les aéroports etc qui ont été l’objet
des mesures de privatisation et d’ouverture de la concurrence. Avec l’électricité,
où le conflit social avait duré une année avec le syndicat des mineurs de charbon,
le gouvernement choisit d’abord de fragmenter et de dé-intégrer la production,
le transport et la distribution avant de privatiser, et ce afin d’éviter de simplement
remplacer un ancien monopole public par un monopole privé. Un régulateur indé-
pendant est institué dans le but de susciter un marché véritablement concurren-
tiel entre la vingtaine d’entreprises héritières de l’ancien opérateur historique.
L’effet économique immédiat de l’audacieuse expérience thatchérienne est de
rompre le lien historique d’intégration entre les mines de charbon et les centrales
électriques, de susciter la construction de turbines à gaz naturel et de cycles
combinés, avec des effets sensibles sur la baisse du coût et des prix. Plus tard sur-
viendront des évolutions moins positives, telles que les changements fréquents
d’investisseurs, fusions et concentrations limitées par la législation de la concur-
rence, ententes plus ou moins démontrées sur la fixation du prix, plafonnement
pour l’État de la part de marché des centrales à gaz.
Quoi qu’il en soit du jugement qu’on puisse porter sur les conséquences à long
terme de la réforme britannique, et des circonstances particulières de ce pays –
à savoir l’inefficacité économique du système préexistant et le rôle excessif du tout-
charbon et des pouvoirs syndicaux, l’expérience fait école pourtant dans le
monde. Les griefs contre les monopoles électriques préexistants étaient en général
moins hostiles que ceux prévalant dans la situation britannique. C’est pourquoi
les régimes de dérégulation apparaissent très divers selon les pays, dont aucun
ne va aussi loin que le Royaume-Uni.
En Europe, le modèle thatchérien du marché concurrentiel de l’électricité,
inspire directement les directives de libéralisation du marché intérieur de l’élec-
tricité et leur transposition dans les régimes nationaux. De nombreux pays
d’Amérique Latine s’inspirent de la réforme britannique, notamment sous la
pression du Fonds Monétaire et de la Banque Mondiale suggérant partout des
politiques de libéralisation.
D’autres pays vont moins loin : les États-Unis se contentent d’imposer la pro-
duction indépendante avec « utilities » traditionnelles (voir plus haut) et relâchent
quelque peu l’application de la loi anti-trust autorisant quelques mouvements de
concentration-restructuration : comme rappelé plus haut, les échecs d’Enron et
de la crise d’approvisionnement de la Californie limitent l’ardeur des dérégula-
teurs. En Europe, la France et l’Allemagne ouvrent leur marché, mais ne changent
60
La dérégulation de l’électricité a-t-elle atteint ses limites ?
61
II. Les ressources en énergie
62
Investir dans la diversification
Pierre Gadonneix
EDF
63
II. Les ressources en énergie
64
Investir dans la diversification
Au-delà des efforts qui vont être faits pour trouver plus de pétrole, plus de
gaz, des énergies renouvelables, il y a deux énergies incontournables qui sont
le charbon et le nucléaire. Mais l’un et l’autre posent un problème d’accepta-
bilité. Le problème du nucléaire aujourd’hui, n’est pas technique; EDF et la
France ont démontré dans le monde qu’on pouvait avoir un parc nucléaire de
58 centrales qui fonctionnent de façon sûre et compétitive. Le problème est celui
de l’acceptabilité par les opinions publiques. Le charbon, qui contribue de
façon très importante aux émissions de gaz à effet de serre, pose lui aussi un
problème.
Il y a également un problème de coût. Le prix actuel de l’électricité sur le
marché européen se situe en moyenne entre 45 et 55 euros/mégawattheure. Sur
cette base, l’éolien a fait des progrès de compétitivité remarquables au cours des
dix dernières années, il est aujourd’hui dans un facteur qui est de l’ordre de 1,5
fois ce prix « étalon » pour une durée d’utilisation de 2500 heures, et on arrive
presque à un facteur 1 pour une durée d’utilisation de 4000 heures, dans des
zones très ventées comme au Canada. Pour la capture et la séquestration du CO2
émis par les centrales thermiques, nous espérons être en dessous d’un facteur
2, mais cette technologie n’en est encore qu’au stade du développement. Avec
le solaire thermique qui est un substitut à l’électricité et au fioul, on arrive à des
ordres de grandeur qui sont probablement de 1,5 à 5. En revanche, le solaire
sous forme photovoltaïque est encore très coûteux, puisque le facteur est de l’ordre
de 5 à 10. Pour toutes ces alternatives, les solutions techniques existent déjà,
mais il y a encore des efforts de recherche et de développement à faire pour les
rendre plus compétitives.
EDF, leader mondial en nucléaire, a une politique qui est aujourd’hui de
relancer l’investissement, et nous sommes en train d’investir dans un parc
diversifié. Avec le nucléaire et l’hydraulique, 95 % de l’électricité est produite
par EDF en France. Mais nos investissements sont diversifiés. Nous faisons du
thermique, en particulier pour répondre aux besoins de pointe, nous relançons
le nucléaire avec la construction d’une nouvelle centrale EPR à Flamanville, mais
nous développons aussi l’éolien et le solaire. Éventuellement même de la
biomasse ou différentes formes d’énergies renouvelables.
65
Iter: a project for forty years
Kaname Ikeda
Iter
This Iter project was initiated almost twenty years ago. And this is a project
to built machine to realize fusion reaction so that we can produce power. And
for this construction, it takes ten years, and for operation, it takes another twenty
years. And until it is finished, for de-commissioning, it takes another fifteen
years or so. And in this project, by the end of last year, we came to have par-
ticipation of seven partners: European Union, Japan, the United States, Russia,
China, Korea and India. And they are committed to invest ten billion euros for
that construction, operation and decommissioning. And you could imagine that
more than half of the population of the earth is now represented in this project.
We have an international team working for many years to design, research and
develop, but now, we are about to build teams to construct machine, on the site
next to the Cadarache centre. We have such opportunity to use this beautiful
environment, to build such machine, with such participation of many countries,
more than thirty countries. Now, they are committed to provide their expert-
ise and this project is made of quite unique mechanism. Participating countries,
partners are supposed to provide major components, like a super-conducting
magnet or coils, or a vacuum vessel, as an in-kind contribution. Such major com-
ponents are produced in each partner’s country and then, carried to the
Cadarache site and assembled. And then, we have organization now in a form
of international team, but the treaty was already initiated, last may, and now
we are waiting for a signature by participating partners and, after that, we are
expecting to realize a legal entity so that we can employ people directly, so that
we can carry out this project for more than 40 years, there.
66
Iter: a project for forty years
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Une politique européenne de l’énergie s’impose
Gérard Mestrallet
Suez
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Une politique européenne de l’énergie s’impose
69
II. Les ressources en énergie
terme. Puisque nos investissements sont des investissements de long terme, nous
avons besoin d’être éclairés sur une vision, pas forcément définitive, de ce à quoi
l’Europe de l’énergie pourrait ressembler dans 30 ans. Ce n’est évidemment pas
du tout la même chose si on veut en faire un énorme champ d’éoliennes, si on
veut en faire une chasse gardée en matière gazière pour un grand producteur
de l’est à partir d’un réseau de gazoducs qui l’alimenteraient – et on pourrait
concevoir, au fond, une économie de ce type – ou encore si on refaisait à
l’échelle de l’Europe le pari qui a été fait par la France il y a 30 ans avec une
couverture complète à partir d’EPR. Dans ces choix, ce n’est pas le marché qui
va répondre tout seul. Il a sa place. Mais il faut une orientation, une volonté
publique, et ensuite, à l’intérieur de cette volonté publique, les acteurs privés,
eux, feront leur choix et prendront leur risques. C’est un peu ce qu’ont fait les
États-Unis avec l’Energy bill qui ne contraint personne, mais fixe des orienta-
tions et éventuellement des initiatives. Je pense même que nous n’avons pas
besoin d’initiatives en Europe. Mais en matière de concurrence, il faut aller plus
loin, il faut un régulateur unique européen. Il faut également augmenter les capa-
cités de production, notamment électriques, et les infrastructures. L’Agence a
parlé de mille milliards d’euro d’investissements dans les infrastructures éner-
gétiques entre maintenant et 2030. Il faut développer massivement le gaz
naturel liquéfié. Le gaz, qui ne viendra pas par voie terrestre, doit venir par voie
maritime, avec une plus grande flexibilité sur les origines; si l’une des filières
fait défaut, les autres pourront marcher.
Diplomatie géopolitique
Enfin, je suis partisan – mais je crois que ce n’est pas tout à fait pour demain
– d’une diplomatie européenne géo-économique de l’énergie, pour la sécurisa-
tion de l’approvisionnement énergétique. On constate que la plupart des grands
ensembles économiques en ont une. Les États-Unis ont une politique énergé-
tique internationale, on peut même dire d’une certaine façon que leur géostra-
tégie est orientée vers la satisfaction de leurs besoins énergétiques. La Chine a
une politique internationale extrêmement claire, je dirais presque transparente,
mue par des raisons commerciales et par des raisons liées à l’accès aux ressources
énergétiques fossiles. La Russie, également. Mais c’est vrai aussi de l’Inde, c’est
vrai du Brésil. Les grandes puissances économiques sont en train de se consti-
tuer des stratégies collectives énergétiques. L’Europe, le plus gros consomma-
teur d’énergie du monde, le plus gros acheteur d’énergie doit aussi avoir une
politique énergétique.
70
III.
Ressources rares et rôle des États
Pierre Dockès
Il est des raretés courantes, banales. Elles sont le sujet de l’analyse économique
générale et du ressort de l’économie de marché. Elles posent des problèmes
qu’un système de marchés fonctionnant correctement peut résoudre. D’abord,
le problème de la distribution des biens et des moyens rares à ceux qui veulent
et peuvent y mettre le prix. Ensuite, les prix peuvent permettre de desserrer
l’étreinte de la rareté en incitant à l’accroissement de la production et, au-delà,
à l’augmentation de l’offre des facteurs de production. Enfin, lorsque ce n’est pas
suffisant, il reste la substitution. Si le vin est cher, on peut boire de la bière, si le
travail est coûteux, on peut utiliser plus de capital. L’articulation allocation, pro-
duction, substitution dans une « bonne » économie de marché constitue une
machine à gérer la rareté. L’État et les agences régulatrices qui en dépendent et
le prolongent, ou s’en distinguent, ne sont pas inutiles pour mettre en place les
institutions de marché, pour encourager la libre concurrence ou faire que des
marchés en concurrence imparfaite ou oligopolistiques voire monopolistiques se
comportent « comme en concurrence », pour accroître la transparence, pour
ôter les contraintes et lever les obstacles.
Mais il est des raretés opiniâtres; ce sont celles qui nous retiennent ici. Alors
l’État est souvent appelé à jouer un rôle important. En effet, par définition les
raretés opiniâtres sont telles parce que les marchés sont plus ou moins en échec,
d’où le recours, soit en soutien, soit exclusif, à des modes non-marchands de
gestion de la rareté, d’où l’intervention de l’État et des collectivités locales, d’où
aussi les autres systèmes à organisation hiérarchique et les associations. Trois obser-
vations sont cependant nécessaires.
– L’État peut être appelé à la rescousse d’un marché déficient seulement
quand les rapports de force entre les groupes sociaux le permettent. Si des forces
72
Pourquoi la rareté ?
73
III. Ressources rares et rôle des États
mais l’épargne peut être rare, et d’une rareté résistante à l’accroissement de son
prix, donc opiniâtre. Et lorsqu’elle est abondante, la question de la rareté des occa-
sions rentables d’investir peut se poser. Lorsque les investissements ont été insuf-
fisants pendant une longue période, l’offre ne peut rapidement s’adapter à une
demande accrue. Dans le cas des matières premières et des produits énergé-
tiques, à une rareté fondamentale due à l’épuisement des gisements vient s’ajou-
ter une rareté due à la faiblesse durable de l’investissement ou de la recherche
de nouveaux gisements. De son côté, la faiblesse de l’investissement vient souvent
de prix trop bas, d’où des cycles de prix de grande amplitude, parfois de relati-
vement longue durée, les prix bas appelant l’arrêt des investissements et celui-ci
préparant les hausses futures. Aujourd’hui, nous connaissons une phase longue
de hausse des prix des matières premières, depuis le pétrole jusqu’au cuivre et à
l’or, due à la fois à une forte demande (rapide croissance de la Chine), à des guerres
locales, et à des défauts antérieurs d’investissements et, dans certains cas, à un
épuisement qui semble devenir général. Si des prix élevés (le pétrole à 100 €) ne
sont pas toujours suffisants pour relancer les investissements, ils les favorisent en
tendance, et surtout, ils permettent la mise en œuvre de solutions de substitu-
tion.
– Reste enfin la troisième modalité de desserrement de la rareté, la substitu-
tion. On peut certes substituer à un bien, à un moyen de production ou à une
technique de production un autre bien, un autre moyen ou facteur de produc-
tion ou une autre technique existant. Mais on peut devoir chercher un substitut
qui n’existe pas encore : c’est la voie de la recherche et de l’innovation. On
retrouve donc le problème de la production de connaissances scientifiques et tech-
niques nouvelles.
74
Pourquoi la rareté ?
Dans l’histoire se sont succédé des grandes peurs dues à des raretés sévères,
souvent réelles parfois partiellement fantasmées. Aux XVIIe et XVIIIe siècles, la
rareté des grains pour nourrir les villes, des hommes – « il n’est de richesse que
d’hommes » disait-on – de la monnaie et de l’épargne. Dans les trois cas, l’État
est intervenu pour régler l’approvisionnement – la police des grains – pour mettre
les hommes au travail – workhouses, lois colbertismes – pour attirer l’or et l’argent,
pour lutter contre les dépenses somptuaires et les achats stériles à l’étranger. Rareté
des ressources naturelles comme le bois, d’où les efforts de Sully, de Vauban
pour planter et gérer, il y eut même une véritable panique à la fin du XVIIIe siècle,
d’où une stricte réglementation.
Au XIXe siècle, la croissance démographique forte, en particulier en Angleterre,
a fait disparaître la rareté des hommes et il y a même surabondance. Le facteur
considéré comme rare est la terre, d’où les peurs malthusiennes et la thèse de la
hausse de la rente au détriment du taux de profit, donc de l’accumulation du
capital. La solution anglaise est le libre-échange et l’impérialisme, pour desser-
rer la rareté des terres par le recours aux terres abondantes du reste du monde.
La France va au contraire défendre sa paysannerie en faisant intervenir l’État pro-
tectionniste. Ici ou là certains réformistes demanderont une intervention radicale
de l’État et la collectivisation des terres. Le capital, accumulable, ne connaît pas
ces problèmes, mais la rareté de l’épargne en a été un dans les phases de décol-
lage. Ainsi la France du Second empire demandera l’intervention des pouvoirs
publics pour aider à la collecte de l’épargne par des institutions publiques.
La question rebondira au cœur du XXe siècle avec la rareté croissante des
produits énergétiques et plus généralement des ressources naturelles, en quantité
et, de plus en plus souvent en qualité. D’où les propositions du type « halte à la
croissance » ou « croissance zéro » des années 1960-70. D’où surtout l’interven-
tion des États pour contrôler les ressources naturelles nationales, réglementer leur
production et leur distribution (charbon, électricité) et pour mettre la main sur
des ressources naturelles extérieures. Le cas le plus classique est évidemment
celui du pétrole, mais d’autres matières premières ont entraîné des interventions
armées, le fer, le charbon, l’eau, etc. La rareté d’espace, largement fantasmée,
conduisit également à des rivalités inter-impérialistes et à la première guerre
mondiale, puis à la revendication allemande d’espace vital qui mena à la seconde.
En ce qui concerne le capital, à la rareté de l’épargne, les années trente voient
se substituer la rareté des occasions d’investir. L’intervention des pouvoirs publics
fait alors se transformer en profondeur le capitalisme lui-même.
La seconde partie du siècle voit surtout monter, à côté de la rareté des res-
sources naturelles qui continuent de provoquer des interventions des États, des
raretés sinon nouvelles, du moins devenues plus pressantes ou mieux reconnues.
75
III. Ressources rares et rôle des États
Du rôle de l’État
Dans la très grande diversité des raretés opiniâtres, il nous faut faire des
choix pour montrer comment se présente, aujourd’hui, la question des raretés
sévères ou ressenties comme telles. En nous appuyant sur la typologie des types
de rareté présentées ci-dessus, nous présenterons trois situations.
76
Pourquoi la rareté ?
2. La production
Prenons d’abord le cas traditionnel des matières premières et des produits éner-
gétiques. Nous avons vu que les caractéristiques de leur production font qu’ils
connaissent souvent à la fois une forte volatilité et des cycles de grande ampli-
tude et de durée variable. Nous sommes en présence de raretés cycliques : dans
la relativement longue durée, le prix régule les quantités offertes, mais les consé-
quences de phases longues de hausse ou de baisse des prix sont dommageables
pour les économies productrices, surtout lorsqu’il s’agit de pays en développement,
et pour les niveaux de vie. Les prix élevés, favorables aux producteurs, sont causes
des effondrements futurs, et lorsqu’il s’agit de pays en développement, ces varia-
tions peuvent s’avérer catastrophiques. Aussi, très classiquement, on considère
qu’une régulation publique s’impose, particulièrement pour les biens vitaux. Le
cadre de l’État-nation est cependant inadéquat et il faut mettre en œuvre une
régulation inter-étatique à l’échelle mondiale visant à stabiliser les prix.
À côté des matières premières, on doit aujourd’hui mettre l’accent sur d’autres
biens dont la production pose des questions spécifiques. Divers cas, d’ailleurs
parfois apparentés, peuvent nous retenir : la production de biens publics, celle
de biens productifs d’externalités positives, celle de biens et services en réseaux
tendant au monopole naturel.
La rareté des biens publics tient, on le sait, à la difficulté de leur financement
décentralisé par le marché, le phénomène du free entravant leur financement.
La production de biens producteurs d’utilité directe et d’effets externes sur la
consommation ou la production pose le problème de la différence entre rende-
ment privé, qui détermine les quantités produites, et rendement social, c’est-à-
dire en tenant compte de l’effet externe qui détermine la quantité optimale qu’il
faudrait produire. Dans les deux cas, l’intervention des pouvoirs publics s’avère
souhaitable ou nécessaire.
Il ne s’agit pas d’un problème nouveau puisque les biens publics les plus
importants sont la paix, la sécurité intérieure et extérieure, la liberté et l’ordre
contractuel. On reconnaît les fonctions régaliennes de l’État, mais leur rareté pose
aujourd’hui un problème essentiel aux pays en développement. Le bon gouver-
nement, l’honnêteté et le désintéressement des fonctionnaires, la paix et l’ordre
publics y sont des raretés opiniâtres.
Quant aux monopoles naturels, on sait la nécessité de l’intervention de l’État,
sous une forme ou sous une autre. Aujourd’hui, les processus de déréglementa-
tion et de privatisation ne se sont pas toujours réalisés avec le minimum de
garantie pour la continuité des flux d’investissements indispensables au renou-
vellement, à l’extension et à l’entretien des réseaux et des grandes infrastructures,
depuis les chemins de fer anglais jusqu’à l’électricité californienne, avec des
77
III. Ressources rares et rôle des États
78
Pourquoi la rareté ?
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Retour des États et expression de la volonté collective
Michel Didier
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Le retour des États comme expression de la volonté collective
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III. Ressources rares et rôle des États
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Le retour des États comme expression de la volonté collective
Les biens industriels courants sont en haut à droite car ils sont productibles et
privés (exemple : automobile). Le pétrole est en haut à gauche car il est limité (res-
source rare) et privé. L’atmosphère de la planète est en bas à gauche car elle est
limitée par l’effet de serre qui risque de la détruire et c’est un bien public pur.
L’éclairage public (ou le réseau routier) sont en bas à droite. Ce sont des biens
publics productibles. En classant ainsi les biens sur ce diagramme, on observe que
beaucoup de ressources environnementales sont plutôt vers le bas et plutôt vers
la gauche du graphique (par exemple l’eau pure, les ressources en poissons, etc.).
Elles ont un certain caractère de biens publics, la protection de l’environnement
présente un intérêt collectif, et une certaine rareté, ces deux propriétés étant au
demeurant liées entre elles. Un bien public est en effet soumis aux effets de
« congestion ». Au-delà d’un certain nombre d’utilisateurs, l’arrivée d’un nouvel
utilisateur perturbe tous les autres (encombrement, pollution, etc.). Le bien
devient « rare ». Les mécanismes de marché ne fonctionnent plus bien et l’État
doit donc intervenir pour lever ou organiser la rareté.
Les ressources naturelles sont de deux types : d’une part, des ressources épui-
sables telles que le pétrole ou le charbon, d’autre part des ressources renouve-
lables dont le rythme de reproduction permet leur utilisation indéfiniment. Parmi
les ressources renouvelables, certaines se renouvellent d’elles-mêmes, le vent par
exemple, d’autres voit leur reproduction affectée par le niveau d’exploitation.
Alors que des ressources telles que l’énergie solaire ou géothermique ne seront
jamais épuisées, les ressources en poissons, oiseaux, forêts, par exemple peuvent
s’épuiser si on n’y prend garde. La rareté des ressources renouvelables est donc
contingente à leur utilisation et le rôle des États peut être de régler cette utili-
sation.
La question de la gestion optimale des ressources en quantité limitée a été
étudiée notamment par Hotelling. Le principal résultat est que dans une économie
de concurrence parfaite, la hausse du prix des biens rares est déterminée par l’évo-
lution des coûts d’exploitation et du taux d’intérêt. La rareté croissante est com-
pensée par la hausse du prix relatif. La gestion des ressources rares peut aussi ne
pas être optimale en raison d’une mauvaise définition des droits de propriété.
Dans un ouvrage célèbre, Poverty and Famines, Amartya Sen a montré que
les famines ne sont en général pas dues à un manque absolu de nourriture mais
à une organisation sociale qui prive certains de l’accès à la nourriture. À partir
d’une observation minutieuse de plusieurs famines (Inde, Bangladesh, Sahara, etc.),
Amartya Sen montre par exemple que certains pays où sévissaient de graves
famines exportaient en même temps de la nourriture, ou que les famines sont
apparues sans que la quantité de nourriture disponible ait véritablement diminué.
83
III. Ressources rares et rôle des États
Dans le domaine des biens publics, Hardin a proposé en 1968 dans la revue
Science l’exemple classique de la « tragédie des biens communaux » pour montrer
les conséquences de l’exploitation d’une ressource commune lorsque son accès
est libre. Un paysan fait paître par priorité ses animaux sur un terrain communal
puisqu’il est libre et gratuit. Cela ne lui coûte rien. Mais comme chaque éleveur
adopte le même comportement, on assiste à une disparition progressive de
l’herbe et à une disparition des animaux. La surexploitation des pêcheries dans
les eaux internationales, la culture sur brûlis dans les pays en développement, le
trou dans la couche d’ozone ou l’aggravation de l’effet de serre sont autant
d’exemples de « tragédie des biens communaux » dans lesquels des ressources
deviennent de plus en plus rares, au point de disparaître si l’on n’y prend pas garde.
Une intervention publique est nécessaire. Mais laquelle? Faut-il rationner, répartir
autoritairement des droits d’usage en quantité limitée? Faut-il tarifer l’accès aux
ressources rares?
Henri Lepage fait observer avec justesse que la rareté croissante, qui touche
désormais de plus en plus des ressources considérées jusqu’ici comme des biens libres,
appelle plus d’État mais aussi plus de propriété privée et de marchés performants.
Les économistes libéraux reconnaissent en effet que l’État doit intervenir,
mais soutiennent que le marché est aussi la meilleure réponse à l’allocation des
ressources rares. Le rôle de l’État est dès lors de mettre en place des « structures
de propriété compatibles avec l’émergence de nouveaux marchés là où les
échanges marchands efficients sont actuellement rendus impossibles du fait
d’une pénurie de « droits de propriété » bien définis et efficacement protégés ».
L’augmentation de la rareté et l’accroissement de valeur des biens environne-
mentaux entraîneront donc progressivement des zones marchandes nouvelles.
« Demain, nos successeurs ne s’étonneront pas quand on leur parlera de droits
de propriété sur l’eau, de droits à polluer, ni de devoir payer pour accéder à l’usage
de biens environnementaux élémentaires… C’est l’une des principales leçons de
l’histoire de la civilisation. La rareté appelle la propriété ». On retrouve ici une
observation classique. L’économie est la science de la gestion de la rareté.
84
Le retour des États comme expression de la volonté collective
85
III. Ressources rares et rôle des États
86
Le retour des États comme expression de la volonté collective
blement traités au niveau national et nécessitant donc une action collective sur
une base multilatérale. Le Plan de campagne du Secrétaire général de l’Onu
relatif à l’application de la Déclaration du Millénaire (Onu 2001) dresse ainsi une
liste de dix « biens publics mondiaux » où apparaissent des objectifs comme
« réduire l’extrême pauvreté et la faim », « assurer l’accès universel à l’éducation
de base » ou « combattre le sida, le paludisme et d’autres maladies ».
La fourniture des biens publics mondiaux pose le problème de la gouvernance
mondiale et du rôle des grandes institutions internationales : Organisation
Mondiale du Commerce, Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle,
Conseil de Sécurité de l’Onu, Fonds Monétaire International, Programme des
Nations Unies pour l’Environnement, Organisation Mondiale de la Santé.
Elle pose aussi la question du financement. Plusieurs travaux ont exploré la
faisabilité technique de diverses options de financements internationaux : rapport
du groupe quadripartite et rapport sur les nouvelles contributions financières inter-
nationales, rapport du groupe de travail présidé par Jean-Pierre Landau qui
porte sur le financement « des biens publics globaux tels que l’environnement,
la santé publique ou les ressources rares ».
Conclusion
La rareté n’est pas une notion nouvelle pour les économistes. C’est le principe
fondateur de la science économique. Comment créer de l’abondance à partir de
ressources rares? Jusqu’ici le progrès technique et une meilleure organisation
sociale ont permis de résoudre cette contradiction. Le marché reste la forme
d’organisation la plus efficace et la plus stimulante. Mais le marché est lui-même
une institution que les États nationaux et une gouvernance mondiale à construire
doivent sans cesse compléter, structurer et réguler pour en garantir l’efficacité.
87
Le passage du monopole à la concurrence régulée
Jean-Paul Bailly
La Poste
Moi qui ai passé ma vie dans des monopoles et qui suis de plus en plus
convaincu des vertus dynamiques du marché, j’ai envie d’aborder le sujet à partir
de mon parcours, en commençant par les transports et en terminant par La Poste.
Les transports, en réalité l’accès à la mobilité, constituent fondamentalement
une ressource rare. Quand s’est développée l’automobile, la mobilité est devenue
une nécessité à laquelle tout le monde n’avait pas accès. Pour permettre l’accès
de tous à ce bien rare, on a créé un dispositif collectif. Développement, donc,
des transports collectifs. Il fallait évidemment qu’ils offrent un accès à la
mobilité à tous, et on s’est très vite rendu compte qu’ils coûtaient plus cher que
ce qu’on souhaitait les tarifer : on a donc décidé de les sous-tarifer. Et il a fallu
faire appel à l’argent public et mettre en œuvre une gestion publique. Là-
dessus est arrivé un deuxième phénomène de ressource rare : l’espace urbain.
Et, de ce fait, les transports urbains sont devenus absolument vitaux. Les villes
ne peuvent plus vivre sans les transports en commun, et, pour gérer cette rareté,
de la gestion publique on est passé au monopole public. On voit donc bien
comment, autour des phénomènes de rareté, peuvent se développer des approches
monopolistiques. Les monopoles publics ayant aussi démontré leurs limites, je
pense que le rôle de l’État, ou de la puissance publique de manière générale,
porte sur quatre points; ce n’est évidemment pas exhaustif. Le premier, c’est de
promouvoir les modèles de délégation de service public; le deuxième, c’est
d’essayer de passer des systèmes de monopole à une concurrence régulée; le troi-
sième, c’est de développer des partenariats public/privé; et le quatrième, c’est
d’encourager le développement durable.
88
Le passage du monopole à la concurrence régulée
89
III. Ressources rares et rôle des États
de ces processus, que considère-t-on comme une facilité essentielle ou une res-
source rare (c’est exactement la même chose)? Dans les télécoms, par exemple,
tout le monde admet que le dernier kilomètre est une ressource rare, une facilité
essentielle qu’il faut partager. Dans le monde postal, ce n’est absolument pas
évident. Il y a deux grandes théories qui s’affrontent pour savoir ce qui est une
ressource rare – la distribution finale est-elle une ressource rare? Pour moi, ce
n’en est pas une car il existe des opérateurs qui se sont développés et sont aujour-
d’hui rentables, de bout en bout, sur l’ensemble du processus, de la collecte jusqu’à
la distribution; mais si on considère au contraire que la distribution finale est
une ressource rare, il y a alors obligation de réguler son accès, pour permettre
aux opérateurs alternatifs de se concentrer sur les secteurs urbains, rentables,
où on peut pratiquer des prix en dessous du prix « péréqué » et de sous-traiter
à l’opérateur historique dans les zones peu rentables, rurales, où les prix sont
très élevés. Ce modèle ne fonctionne absolument pas, sauf si on fait une « dé-
péréquation » géographique ou si on recrée un monopole de la distribution.
Aujourd’hui, trois modèles sont en place, il y a le « bout-en-bout », l’accès régulé
avec « dé-péréquation » géographique, comme en Angleterre, où il y a cinq zones
de prix en fonction de la densité, et le modèle américain où il y a régulation de
l’accès mais monopole de la distribution.
On pourrait avoir exactement le même type d’approche avec le livret A. Avec
le livret A, il y a une vraie obligation de service public, car La Banque Postale
est obligée d’ouvrir un livret A à tous ceux qui le demandent. L’accès est excep-
tionnel, avec notamment 1500 points de contact en zone urbaine sensible, et
il touche une population extrêmement modeste, puisque 60 % des 23 millions
de livrets A ont moins de 150 euros d’encours; ils représentent 50 % des opé-
rations et 50 % des coûts. Cette fonction qui consiste à gérer cette moitié de
livrets A peu remplis représente une mission de service public qui coûte à peu
près 400 millions d’euros parce que sa rémunération est nulle. En effet, la
rémunération est calculée en proportion des encours et ceux de ces 60 % de livrets
A les moins remplis représentent seulement 0,7 % des encours. Cette mission
est financée par le fait que la gestion du livret A forme un tout : ce sont les com-
missions sur les livrets les mieux remplis qui financent la mission de service
public. Si un jour on veut changer ce modèle, il faudra bien examiner comment.
On ne passe pas d’un modèle de monopole qui finance une mission de service
public à un autre modèle sans y réfléchir.
Les mairies, maisons de service public
Un dernier mot au sujet des partenariats privé/public (PPP), avec juste un
exemple : le micro PPP dans nos campagnes. On a essayé de développer, avec
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Le passage du monopole à la concurrence régulée
91
Investir et réguler en Europe
Guy Nossent
Suez
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Investir et réguler en Europe
Le deuxième élément, c’est que nous n’avons pas suffisamment investi dans
les infrastructures, que ce soit dans la production d’électricité ou dans les stoc-
kages. L’Europe a vécu dans l’illusion de surcapacité. Aujourd’hui, ce n’est évi-
demment plus le cas. Elle a largement sous-estimé les effets néfastes du
moratoire de certains pays européens sur le nucléaire. On n’a pas vraiment
cherché d’alternative, et aujourd’hui il faut envisager des investissements impor-
tants de l’ordre de mille milliards d’euros pour remplacer notamment les équi-
pements qui, dans les trente ans à venir, vont être hors service.
Malgré une régulation existante, cette rareté, résultat d’un manque de pré-
vision, a pour conséquence classique une augmentation des coûts de l’énergie,
donc un impact sur l’ensemble des économies européennes, et pour autre consé-
quence des risques sur l’emploi. Les victimes de cette rareté sont et seront les
pays en voie de développement ne disposant pas de ressources naturelles. Nous
avons un devoir à leur égard, puisque nous sommes les gros consommateurs.
Consciemment ou inconsciemment, nous avons créé cette rareté. Il faut savoir
aussi que les ajustements prennent énormément de temps, dans le domaine de
l’énergie. Le cycle d’investissement est long. Par exemple, pour une centrale
nucléaire, à condition d’avoir les autorisations, il faut sept ou huit ans; pour une
centrale gaz, il faut trois à cinq ans avant de produire le premier kWh; pour les
stockages gaz pour lesquels il y a un risque de sous capacité, il faut de dix à vingt
ans pour réaliser l’investissement.
La France est également en déficit prévisible. Suez a fait cette analyse
depuis déjà un bon moment. Étant donné la nature stratégique de ces secteurs,
il revient bien sûr aux autorités publiques de décider du cadre et des grandes
orientations dans lesquelles ces marchés doivent se déployer, avec une garantie
d’équilibre. Que se soit dans le monde libéral ou non, personne ne conteste en
matière énergétique le besoin de régulation. Il faut réguler et bien réguler. Je
vois trois missions importantes pour les États, qui sont d’ailleurs déjà concré-
tisées dans une régulation existante mais qu’il faut absolument rénover.
L’équilibre instantané dans la durée entre production et consommation
d’électricité ne peut pas émerger spontanément, puisque l’électricité, on le sait,
n’est pas stockable. C’est la première mission : il revient aux États, à travers l’au-
torité du régulateur, de mettre en place une structure de marché garantissant
cet équilibre à travers un système de fixation des prix qui fournisse les bonnes
incitations à investir.
Deuxième mission, il faut garantir la sécurité d’approvisionnement en
décidant conjointement par étapes du niveau de sécurité de fourniture et du
bouquet énergétique des pays concernés.
93
III. Ressources rares et rôle des États
94
Le temps et l’irréversibilité, biens publics
Jean-Paul Fitoussi
Institut d’Études Politiques
Ressources naturelles et rôle de l’État, c’est une question difficile. C’est une
problématique essentielle parce qu’elle remet au cœur du processus écono-
mique deux considérations qui sont liées mais généralement oubliées : le temps
et l’irréversibilité. C’est la raison pour laquelle le temps importe, c’est-à-dire la
flèche de temps. Joan Robinson, comme tous les économistes le savent, avait
dit que le temps est ce que les hommes ont inventé pour que tout ne se produise
pas en même temps. Elle avait probablement raison. Mais le temps prend ici
une texture particulière, puisqu’il est le temps de l’humanité, il est le temps de
la succession infinie des générations. Et donc, au cœur du problème, existe
l’échange inter-temporel entre générations.
La rareté est ce qui est constitutif de la science économique – il n’existe de
science économique que de la rareté. S’il n’y avait pas de rareté, on n’aurait pas
besoin d’économie. Quel manque terrible nous connaîtrions alors! Et tout ce
qui a un prix est évidemment rare. Cela ne signifie pas que ce qui n’a pas de
prix n’a pas de valeur. Heureusement, il existe des transactions hors marché, y
compris les plus intimes, qui ont une valeur essentielle par rapport aux tran-
sactions du marché.
Comment régler ce problème de l’épuisement des ressources naturelles et
de la destruction des fonds environnementaux? Nous n’avons pas de réponse à
cette question; nous sommes en train d’en chercher. J’ai eu la chance, il y a très
longtemps de cela, de travailler avec Nicholas Georgescu-Roegen, qui était LE
penseur du temps en économie, de la loi d’entropie, c’est-à-dire des phénomènes
thermodynamiques. Il pensait que l’économie était régie par la thermodyna-
mique davantage que par la mécanique. Car les modèles de marché ne prennent
95
III. Ressources rares et rôle des États
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Le temps et l’irréversibilité, biens publics
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Fixer un cadre régulateur
Olivier Fleurot
Financial Times
98
Le temps et l’irréversibilité, biens publics
éolienne, il faudrait 100 millions d’éoliennes. Je suis sûr qu’il y aurait quelques
pétitions si on en mettait une sur la montagne Sainte-Victoire!
Que faut-il faire en Europe? Je propose deux choses très concrètes. On a
vu que quand Poutine décidait de fermer plus ou moins un gazoduc, les prix
flambaient. Un rôle important des États est d’essayer de lisser les prix et d’or-
ganiser le marché de façon à pouvoir lisser ces prix. Fixer un cadre régulateur,
investir sur le long terme, par exemple, dans le domaine du gaz, car il est
certain qu’il n’y a pas assez de capacité de stockage et que l’interconnexion des
réseaux est encore largement déficiente. Donc, fixer un cadre régulateur, mais
ensuite, laisser faire le marché. Ce marché est aujourd’hui, comme on le sait,
très peu ouvert et surtout, les négociations en matière d’approvisionnement sont
très peu coordonnées. En fait, chacun va voir le nouveau tsar en essayant d’avoir
sa faveur, et si l’on continue ainsi, on court à la catastrophe. Les États doivent
encourager les efforts de coordination en matière d’approvisionnement, de dis-
tribution et d’économies d’énergie.
La filière nucléaire
Dans le domaine très controversé du nucléaire, je voudrais dire la chose
suivante. Il est probable que Tony Blair va laisser la place à Gordon Brown au
printemps 2007. Au même moment, nous aurons des élections en France.
Dans les deux cas, nous assisterons à un changement de génération.
Il est très intéressant de voir que les Anglais, d’ailleurs sur l’impulsion de
Tony Blair, sont en train d’aller vers des positions plus équilibrées sur le
nucléaire. On pourrait organiser, à l’échelle de quelques pays, pas forcément au
niveau européen, une filière nucléaire qui répondrait mieux aux deux soucis qu’ex-
priment, de façon légitime, les opinions publiques, c’est-à-dire les problèmes
d’environnement liés au retraitement des déchets et les problèmes de sécurité.
Je passe au second sujet, la matière grise. Beaucoup des dirigeants d’entre-
prise que je rencontre depuis quelques années me disent qu’ils vont créer leur
prochain laboratoire de recherche-développement plutôt en Asie qu’en Europe.
Il y a un gâchis terrible, des frustrations énormes, on le voit bien, réguliè-
rement en France, en matière d’investissement en recherche et développement.
À l’échelle européenne, c’est pire; la duplication des recherches et l’essaimage
du financement est très inefficace. Donc pourquoi pas – pas forcément à
l’échelle européenne, et je sais que l’Europe a fait des efforts dans ce sens – orga-
niser des pôles de recherche plus forts qui permettraient de garder nos meilleurs
étudiants, sans quoi ils continueront à aller aux États-Unis, et bientôt peut-être,
pourquoi pas, en Chine.
99
III. Ressources rares et rôle des États
100
Anticiper et éveiller les consciences
Christine Lagarde
Ministre déléguée au commerce extérieur
C’était il y a vingt ans. Dans des fonctions antérieures, j’ai eu recours légi-
timement aux services d’une jeune fille au pair polonaise. Et j’observais son com-
portement curieux concernant l’utilisation de l’eau. Elle ouvrait le robinet,
sortait de la pièce, vaquait à ses occupations, puis revenait vers le robinet, se lavait
les mains, repartait, se changeait, revenait. Interloquée, je l’interrogeai. Elle me
répondit : « Ça ne coûte rien. » Cette petite histoire un peu anecdotique illustre
le principe selon lequel ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur, et je crois que
les deux principes sont intimement liés et s’appliquent à un certain nombre de
biens et de services. Ce qu’on appelle les ressources, soit sont rares, soit se raré-
fient. Certaines d’entre elles obéissent au mécanisme de marché, ont un prix,
subissent les règles de l’élasticité. Et d’autres n’ont pas encore de prix, je pense
par exemple à l’air pur, à l’eau potable, d’une certaine manière, à la santé, et très
certainement à la sécurité. Ou par des mécanismes directs et indirects élaborés,
on pourrait probablement arriver à trouver une valorisation, mais en tout cas
pas un prix.
Cette raréfaction résulte de deux phénomènes. D’une consommation débridée
et souvent infiniment déraisonnable dans les pays développés. Je rappelle qu’au-
jourd’hui, il y a aux États-Unis plus de voitures qu’il y a de gens qui savent
conduire. Et de la consommation croissante des pays en développement, des
pays émergents en particulier. À cet égard il a été calculé que si nous ne chan-
geons rien à nos profils de consommation, les besoins énergétiques mondiaux
seront en 2030 supérieurs de 50 % à ce qu’ils sont aujourd’hui, que les émis-
sions de gaz à effet de serre auront augmenté de 57 % par rapport à leur niveau
101
III. Ressources rares et rôle des États
de 2000 et que cette augmentation sera imputable, pour les deux tiers, aux pays
qui sont aujourd’hui dits émergents.
Dans ces conditions, quels sont les modes d’intervention de l’État? J’évoquerai
plutôt les modes de type classique, législatifs et réglementaires, plutôt que
militaires, puisque après tout cela relève aussi des modes d’intervention de
l’État mais je l’exclus pour les besoins du propos laissant à d’autres plus quali-
fiés que moi, le soin de l’évoquer. Ce moyen législatif et réglementaire est en
général l’expression de la volonté générale, dans les démocraties telles que nous
les connaissons; c’est parfois l’expression de la volonté de quelques-uns, ou d’un
seul, et on peut espérer, à l’exception malheureusement d’un certain nombre de
pays, que c’est en tout cas dans l’intérêt général qu’il s’exerce.
Quelles formes et quels mécanismes adopte-t-il? J’exclus également pour
les besoins du propos le rationnement, la réquisition, la nationalisation ou
renationalisation. Ces mécanismes peuvent inclure des règles de fixation des prix,
régimes de prix administrés qui sont utilisés par exemple dans la plupart des
pays producteurs de matières énergétiques, Arabie Saoudite, Bolivie et autres,
qui pratiquent deux niveaux de prix : le niveau intérieur de la consommation
domestique pour les nationaux, en général, et le niveau extérieur qui correspond
aux prix de marché. Deuxième type de mécanismes, les mécanismes de type fiscal,
impôt, crédit d’impôt. Je rappelle qu’en France, notamment, le crédit d’impôt
recherche a été utilisé pour encourager l’investissement des entreprises dans le
domaine de la recherche et du développement. En ce qui concerne les talents,
nous avons mis en place le système de la « jeune entreprise innovante », qui
permet à de jeunes talents qui sont partis juste après leur thèse, de penser à revenir
très peu de temps après. Actuellement, nous réfléchissons à des mécanismes per-
mettant de faciliter le retour des talents, et de le rendre fiscalement moins réd-
hibitoire. Troisième type de mécanisme, le mécanisme subventionnel, qui est
appliqué, bien entendu, dans le domaine des produits agricoles; c’est celui qui
vient le plus rapidement à l’esprit, qu’il s’agisse de la politique agricole commune
réformée dans l’Union européenne ou qu’il s’agisse du Farm Bill aux États-Unis.
Dans le premier cas, on subventionne le revenu des producteurs, alors qu’aux
États-Unis, on subventionne encore la production de produits agricoles.
Autre type d’intervention de l’État, la dépense publique pure et simple,
consistant à affecter le produit de l’impôt à des domaines ou des stratégies qui
sont déterminantes pour, justement, économiser la ressource. L’affectation, par
exemple, par la France de plus de 3 milliards d’euros à l’Agence nationale pour
la recherche ou à l’Agence pour l’innovation industrielle est un témoignage de
ce type de politique. Je pense également aux autorités de régulation, en parti-
culier dans les secteurs d’activité soit monopolistiques, soit duo-polistiques, soit
102
Anticiper et éveiller les consciences
en tout cas à faible degré de concurrence, qui sont indispensables pour main-
tenir des règles de respect des principes habituels lorsqu’il y a une concurrence
plus avérée.
Tout cela, c’est tout simplement l’application du devoir de l’État, qui est à
la fois d’anticiper et d’éveiller des consciences. Deux exemples. L’éveil des
consciences engagé par M. Koizumi au Japon, qui a interdit à ses fonctionnaires
de porter la veste et a requis qu’ils portent tous des chemises à manches courtes
pendant les périodes d’été pour éviter d’avoir à consommer trop d’air condi-
tionné. Deuxième exemple d’anticipation, la politique des new towns, envisa-
gée par le gouvernement britannique pour anticiper les effets probablement
inéluctables de la montée des océans résultant du réchauffement climatique.
Écueil géographique, écueil temporel
Ces modes d’intervention sont-ils véritablement pertinents? Je voudrais
évoquer ce que j’appelle le double paradoxe, le double écueil, l’un de nature géo-
graphique, l’autre de nature temporelle. L’écueil géographique est le suivant. Les
ressources que l’on évoque et la rareté qui les caractérise sont à l’évidence des
phénomènes mondiaux. Il n’y a pas de frontières pour la grippe aviaire. Il n’y a
pas de passeport pour un terroriste. En revanche, les modes d’intervention sont
bien entendu limités par les frontières d’un État, par la souveraineté de chacun
des États, qui a compétence pour régir les règles et comportements, et disci-
pliner les nationaux ou non-nationaux vivant, en tout cas, sur ce territoire. Ce
principe de territorialité vient clairement faire échec au principe de mondia-
lité qui caractérise et ces ressources, et leur rareté.
Deuxième aspect de cet écueil, la partie temporelle. Les politiques énergé-
tiques des États nécessitent des interventions dans le long terme : le temps de
développement d’une mine d’uranium est de quinze ans, le développement des
neutrons et autres fabricants d’énergie indéfinie, est de trois fois trente ans, si
j’ai bonne mémoire, et peut-être plus. Le temps du politique est un subtil
mélange entre le temps de l’intérêt général, qui est du temps long, et le temps
de l’intérêt particulier du politique, qui est un temps court, puisqu’il est en général
borné par la prochaine élection.
En face de ces deux écueils, dispose-t-on de solutions? Dans le cadre de cette
espèce de protectionnisme nationalisme patriotisme exacerbé qui s’exprime
notamment à l’occasion des matches de football, il est probablement illusoire
d’imaginer que des solutions de type global, mondial, pourront être déclinées
de manière coercitive. Je crois personnellement beaucoup plus fondamentale-
ment à des concertations, à des partages d’expérience, à des plans d’action, qui,
un peu comme des bonnes pratiques dans le domaine corporate, pourraient
103
III. Ressources rares et rôle des États
donner lieu ensuite à une révision des engagements qui ont été pris par les États,
avec un mécanisme de peer pressure.
Je voudrais finir avec deux citations qui nous engagent à la réflexion, mais
surtout à l’action. La première est d’Aimé Césaire : « Une civilisation incapable
de résoudre les problèmes que suscite son fonctionnement est une civilisation
décadente. » La seconde est de Denis de Rougemont : « La décadence commence
lorsqu’on se demande ce qui va arriver au lieu de se demander ce qu’il faut faire. »
104
L’eau plus inaccessible que rare en Afrique
Kordjé Bedoumra
Banque africaine de développement
105
III. Ressources rares et rôle des États
106
L’eau plus inaccessible que rare en Afrique
de gestion commune des ressources en eau, pour faire face aux différents risques
qui sont liés à cet état de fait : les risques de pollution, de détournement de l’eau
par un État au détriment d’un ou d’autres, etc. D’où la mise en place des orga-
nismes intergouvernementaux pour gérer ces bassins en commun.
Accéder à l’eau potable en milieu rural : payer un minimum
Autre priorité : l’accès à l’eau potable en milieu rural. Quel est le rôle de l’État,
quel est le rôle des institutions de financement? Parce qu’en Afrique la majorité
de la population vit en zone rurale, une initiative de la Banque soutient l’accès
à l’eau potable en milieu rural, connue sous le nom de l’Initiative pour l’eau et
l’assainissement en milieu rural au niveau national. L’accès, ou plutôt le non-accès
à l’eau potable et à l’assainissement dans ces zones concerne pratiquement
57 % de la population. Cela a comme conséquence la prévalence des maladies
d’origine hydrique; on parle d’un million de personnes dans le monde qui
meurent chaque année à cause de ces maladies. 2 à 6 heures sont perdues
chaque jour par des femmes et des enfants pour aller puiser de l’eau à plusieurs
kilomètres de leur lieu de vie. Ces enfants ne vont donc pas à l’école et ces femmes
ne peuvent pas se consacrer à d’autres activités. Il faut investir pour amener l’eau
potable à ces populations pour qu’elles puissent se consacrer à autre chose, à
produire, à aller à l’école, à développer leur savoir. Depuis le démarrage de ce
vaste programme, les besoins ont été estimés à environ 14 milliards de dollars
d’ici 2015 pour permettre un accès à l’eau et l’assainissement pour 80 % des popu-
lations concernées.
Comment rendre cela durable et pérenne? Des investissements ont été
effectués dans le passé, mais ils n’ont pas été maintenus. Je me rappelle l’anec-
dote d’un paysan venu en ville, qui a vu un robinet couler et a dit « l’eau sort du
mur ». Simplement parce qu’il est habitué à faire un effort pour puiser l’eau du
puits, et là il n’a eu qu’à ouvrir le robinet. Dans les villages, si les communau-
tés elles-mêmes ne sont pas organisées et ne participent pas, les investissements
ne servent à rien. C’est une situation paradoxale où les individus n’ont pas les
moyens de mettre en place des systèmes d’adduction d’eau, où le secteur privé
n’intervient pas pour investir, tout simplement parce la rentabilité y est trop faible;
mais si l’État intervient, si les populations ne s’impliquent pas suffisamment,
les efforts accomplis n’auront, eux non plus, pas d’avenir. Le grand dilemme est
d’arriver à convaincre les individus et les communautés pour qu’ils paient une
somme devant assurer au minimum l’exploitation et la maintenance des ins-
tallations. Il faut sensibiliser les populations à l’idée que l’État doit jouer un rôle
majeur, parce que l’eau est une ressource rare qui a un impact important dans
tous les domaines de la vie, mais pour laquelle il faut payer un prix. Tous les
107
III. Ressources rares et rôle des États
consommateurs ne paieront pas le prix du coût total des services, mais la société
dans son ensemble devra en payer le prix, avec une approche équitable et trans-
parente. Les résultats obtenus à ce jour sont relativement encourageants et les
communautés villageoises, sensibilisées et organisées, contribuent de plus en plus
aux investissements et assurent, par leur contribution, les coûts d’exploitation
et de maintenance. La décentralisation dans la prise de décision de l’investis-
sement et l’entretien des installations est un facteur important pour permettre
de payer un minimum qui puisse assurer la viabilité et la durabilité du système.
Chaque consommateur et chaque communauté en Afrique mais aussi chaque
institution doit s’impliquer pour que l’accès à l’eau et à l’assainissement soit
pérenne et durable et que l’eau reste pour longtemps au cœur de la vie et du
développement.
108
L’Europe est-elle rare?
Mario Monti
Université Bocconi
109
III. Ressources rares et rôle des États
crises monétaires qui, il y a quinze ans, ont amené les États membres à s’aper-
cevoir que la notion de souveraineté nationale était fictive dans le domaine moné-
taire, et à marcher vers l’intégration de ce domaine à la politique monétaire.
Peut-être ferons-nous le même constat un jour pour la politique énergétique.
Les coups de frein de la France
Et rareté de gouvernance au niveau mondial. La dernière phrase de la
contribution de Michel Didier est très claire : « le marché reste la forme d’or-
ganisation la plus efficace et la plus stimulante. Mais le marché est lui-même
une institution que les États nationaux et une gouvernance mondiale à construire
doivent sans cesse compléter. » Il reste beaucoup à faire pour compléter cette
gouvernance du marché sur le plan mondial.
Je me permettrai une remarque sur le rôle de la France, une remarque de
quelqu’un qui n’est pas français mais qui s’efforce d’étudier la France. S’agissant
de la gouvernance mondiale tellement nécessaire pour le marché, la France a
dans sa tête la clé intellectuelle pour la déclencher mais elle a sous ses pieds la
pédale du frein. Elle a l’intuition, beaucoup plus poussée que dans le reste de
l’Europe, qu’une économie de marché a fortement besoin d’une composante de
pouvoir public, qui aujourd’hui ne peut être exercé qu’au niveau européen ou
mondial. Et l’Union européenne est sur le marché international la seule force
capable d’encourager l’idée d’une gouvernance mondiale avec une puissance
publique solide. Nous savons bien, ces derniers temps, que la France a exercé
un effet de frein sur la possibilité concrète de mettre en œuvre le modèle qu’elle
a en tête et dont nous avons tellement besoin. Deux manifestations de cette
attitude : le coup de frein, temporaire je l’espère, concernant le projet de traité
constitutionnel, qui évidemment, empêche l’Europe d’étendre les domaines dans
lesquels elle est capable de parler d’une seule voix; et aussi une certaine préfé-
rence pour les champions nationaux, qui sont évidemment légitimes, et que la
France a mis en place sans violer les règles européennes, mais parfois on a la
tentation d’aller un peu au-delà… Et d’ailleurs, les champions nationaux ne sont
pas tellement faciles à mettre en œuvre. Pas seulement parce qu’il y a parfois
des contraintes extérieures, telles que la vigilance de la Commission, mais aussi,
parce que parfois il y a des fragilités plus intimes, comme dans le cas où le volet
politique social, dans un pays, peut se heurter au volet patriotisme écono-
mique, politique industrielle, dans ce même pays.
Telle est la façon admirative et pleine d’espoir avec laquelle un non Français
regarde la France à propos de cette ressource vraiment rare, beaucoup plus impor-
tante que l’énergie à mon sens, qui est la gouvernance sur le plan européen et
sur le plan mondial.
110
Quatre défis à la théorie économique contemporaine
Ismail Serageldin
Bibliothèque d’Alexandrie
Je dois dire que j’ai été assez surpris de voir de nouveau posée la question
des ressources rares. On se rappelle que depuis Malthus ces discussions ont
toujours eu lieu et se sont toujours avérées fausses. Plus récemment, les termes
du pari engagé entre Paul Erlich et Julian Simon gageaient que les cours des
cinq matières premières (laissées au choix de Erlich) auraient vingt ans plus tard
un cours inférieur à ce qu’ils étaient lors du premier rapport du club de Rome,
or Erlich a perdu le pari contre Julian Simon. Même aujourd’hui, le prix du baril
de pétrole augmente moins vite qu’en 1980. En réalité, le prix des ressources
naturelles a baissé depuis plusieurs siècles. Or cela est un grand problème.
C’est pourquoi j’ai été particulièrement heureux de voir que dans ce débat de
qualité, on a introduit des conceptions nouvelles comme « rareté de gouver-
nance », « rareté des institutions », qui sont beaucoup plus réelles. Et je remercie
le Cercle des économistes d’avoir fait cette démarche qui dépasse donc la
conception malthusienne traditionnelle qui a été prouvée comme étant infondée
génération après génération.
Je voudrais lancer, en fait, un défi à la théorie économique contemporaine.
Ce défi aura quatre axes. Mais d’abord, je voudrais insister sur le fait qu’au-
jourd’hui nous vivons la troisième révolution mondiale – la première étant la
révolution agricole, la deuxième la révolution industrielle sur laquelle les débuts
de l’économie et la théorie économique ont été fondés. Aujourd’hui, nous
vivons vraiment une nouvelle révolution, de mondialisation, de technologie, d’in-
formation, de communication, ce qui change les données principales. Beaucoup
de problèmes sont des enjeux à caractère mondial à savoir, par exemple, l’effet
de serre ou le réchauffement climatique, et demandent une action au-delà de
111
III. Ressources rares et rôle des États
112
Quatre défis à la théorie économique contemporaine
les plus pauvres, les plus démunis ne participent pas au marché. Cela a été
démontré il y a quinze ans de manière théorique dans une œuvre remarquable
par Sir Partha Dasgupta, An Inquiry into Well-Being and Destitution. L’œuvre
de Mendel sur l’hérédité a traversé un demi-siècle avant que les gens ne l’ap-
précient à sa juste valeur; j’espère que les économistes ne tarderont pas à appré-
cier cet ouvrage, qui a très bien démontré en quoi ces populations ne peuvent
pas participer au mécanisme du marché. Une intervention publique s’impose
donc pour 20 % de la population humaine, ce qui n’est pas peu, quand on parle
théorie économique.
Le quatrième défi est le problème de l’information, ainsi que le problème
de l’équilibre relevé par certains économistes en 1985, avec la thèse révolu-
tionnaire de la modélisation fondée sur les agents économiques. Par exemple,
le Santa Fe Institute, aux États-Unis, soutient que les gens ne possèdent pas
l’information réelle. En effet, on dit communément qu’on doit investir sur le
marché boursier, acheter au plus bas et vendre au plus haut. Mais qui sait
quand on est arrivé au plus bas ou au plus haut? Ainsi, les gens agissent avec
un énorme manque d’informations, alors même que ce sont leurs actions qui
créent l’équilibre des prix, qui n’est en réalité jamais un équilibre. Cette nouvelle
approche de modélisation fondée sur les agents économiques et non pas sur les
modèles économiques ou macroéconomiques, se développe, tout comme l’ap-
proche écologique pour laquelle on peut également simuler le jeu de cette
manière. On a donc besoin d’une nouvelle approche parce que la complexité
des systèmes socioéconomiques mondiaux ne se prête pas à la simplification des
modèles économiques actuels. Dans le domaine de la science par exemple, à un
moment donné, Newton a dû inventer intégration et différentiation pour faire
ses calculs, et plus tard, Einstein a dû faire appel à la géométrie non euclidienne.
Il arrive ainsi qu’à certains moments on ait besoin de nouveaux instruments.
Or aujourd’hui les modèles économiques existants sont trop faibles pour faire
face à la complexité de la réalité socioéconomique mondiale et à la réalité éco-
logique mondiale.
113
IV.
Innover pour surmonter la rareté
Patrick Artus
116
Analyse économique et expériences de soutien à l’innovation
Politiques publiques
Qu’apprend-on des expériences nationales? Le premier débat porte sur le
niveau de compétence. Ce débat en rejoint un autre, assez vif en France, depuis
2-3 ans, qui est de savoir si l’innovation est le fait des grands groupes ou des petites
entreprises. Le gouvernement français a eu la sagesse de ne pas trancher, en faisant
à la fois des pôles de compétitivité et l’agence pour l’innovation industrielle. La
question de niveau est importante. Le niveau des grands groupes est forcément
européen. L’une des questions qui peut être posée aux autorités françaises, c’est
le choix d’un niveau trop français pour le soutien à l’innovation dans les grands
groupes. Le débat sur les PME, les pôles de compétitivité, les clusters, comme
diraient les Anglais, doit plutôt se traiter au niveau local et régional. On peut sans
doute critiquer le choix français de traiter au niveau national cette association
de petites entreprises ou de PME qui se regroupent dans les clusters.
Le second sujet, c’est le lien avec les politiques de la concurrence. Des politiques
de la concurrence trop tournées vers le consommateur découragent-elles l’inno-
vation, en faisant disparaître les marges des entreprises? Faut-il des rampes d’oli-
gopoles pour innover? Ou à l’inverse, faut-il vraiment une politique très dure de
la concurrence et casser les grands groupes pour fabriquer de l’innovation et que
les brevets sortent des cartons où les grands groupes monopolistiques les ont
stockés?
117
IV. Innover pour surmonter la rareté
Troisième sujet, c’est celui de l’argent qu’il faut mettre dans cette affaire. On
entend beaucoup, en France, vanter les politiques suivies depuis quelques années
pour soutenir l’innovation. Pourtant, nous sommes extraordinairement loin de
ce qui est fait dans d’autres pays. Si mes calculs sont exacts, la France va dépenser,
par exemple pour les pôles de compétitivité, un milliard et demi d’euros en 3 ans.
Les Espagnols vont dépenser 10 milliards d’euros par an. Et même chose quand
on regarde les grandes agences de la recherche aux États-Unis, le « National
Institute of Health », la Nasa, etc. Nous sommes dans des rapports de 1 à 10, toutes
proportions gardées, entre l’argent qui est mis aux États-Unis dans le soutien de
l’innovation et l’argent qui est mis en Europe. On retombe sur la question sordide
de l’argent public et de la mauvaise utilisation de l’argent public. Nous avions fait
des calculs assez compliqués qui disaient combien il faudrait mettre d’argent public
en plus en France si on voulait innover dans tous les domaines c’est-à-dire l’en-
seignement supérieur, la recherche, les agences publiques, les contrats publics, pour
avoir le même niveau qu’aux États-Unis; il faudrait dépenser à peu près 2 points
de PIB de plus chaque année sur le soutien à l’innovation toutes formes confon-
dues.
118
Analyse économique et expériences de soutien à l’innovation
Troisième sujet, le fait que les facteurs de production dans les pays européens
ne vont pas vers les entreprises les plus innovantes. Il y a des travaux tout à fait
convaincants de différentes universités qui montrent qu’aux États-Unis, les entre-
prises les plus productives croissent beaucoup plus rapidement que les entreprises
peu productives. Donc on réalloue les facteurs vers les entreprises productives,
ce qui fabrique la croissance qui à son tour soutient l’innovation. Dans le cas de
l’Europe continentale, les chiffres sont assez effrayants, puisque les entreprises
les moins innovantes croissent plus vite que les plus innovantes. On a un achar-
nement terrible à fabriquer de la stagnation économique… D’où cela vient-il?
Est-ce le marché du travail? Est-ce la qualification, l’éducation? Est-ce que ce sont
les règles du marché du travail? Est-ce que ce sont les institutions du marché du
travail, les agences publiques du marché du travail? Est-ce que c’est la protection
de l’emploi?
Dernier point et dernière grande différence transatlantique. Les nouvelles tech-
nologies et l’innovation, en Europe, sont surtout une affaire industrielle. Quand
on regarde les chiffres, c’est l’industrie, bien entendu, qui innove. Aux États-Unis,
c’est surtout une affaire non industrielle. Exemple : le fameux « Wal-Mart
paradox » : 7 % de gain de productivité chez Wal-Mart tous les ans, 0 % dans la
grande distribution européenne. Et c’est vraiment de l’innovation : informatisa-
tion des stocks, gestion de l’approvisionnement, etc. Même chose dans les services
aux entreprises. Pourquoi la non industrie européenne reste-t-elle en dehors de
l’innovation et de l’accumulation de capital?
Enfin, il y a un débat entre économistes pour savoir si les règles de rentabi-
lité du capital favorisent ou découragent l’innovation. Ceux qui pensent qu’elles
la favorisent disent : « Bien sûr, on est forcé d’innover pour avoir des nouveaux
produits, pour avancer et pour conserver des marges. » Et les autres répondent :
« Comment pouvez-vous avoir 20 % de ROE si vous développez un médicament
pour lequel il y a 5 années de recherche avant d’avoir le moindre revenu? » Donc
comment voient-ils l’effet sur l’innovation et la recherche des nouvelles règles de
la finance?
119
Les fréquences radioélectriques : une ressource rare
indispensable à la société de l’information
Dominique Roux
Les fréquences radioélectriques sont une des principales ressources rares mises
en œuvre dans les services de télécommunications. La rareté, résulte des limites
de l’offre et de l’importance croissante de la demande. Elle est fonction du lieu
géographique considéré : la congestion de la bande de fréquences Wi-Fi est
moins forte au cœur de la Sibérie qu’au centre de Paris. Le domaine des fréquences
radioélectriques est physiquement et donc définitivement borné, alors qu’il y a
de plus en plus de services sans fil candidats à l’utilisation de la radio. Les fré-
quences radioélectriques font partie du domaine inaliénable de l’État et les auto-
risations de leur utilisation sont toujours précaires et révocables.
En plus de cette rareté, les fréquences ont une autre caractéristique : leur imma-
térialité. En l’absence de connaissance scientifique, le public a peine à imaginer,
à quoi peut ressembler la fréquence utilisée par son portable GSM, dont il entend
dire qu’elle peut être actuellement de 900 ou de 1800 MHz, et qui porte la voix
ou ses SMS vers une antenne rarement identifiable, vraisemblablement raccor-
dée quelque part à des téléphones.
120
Les fréquences radioélectriques : une ressource rare indispensable à la société de l’information
121
IV. Innover pour surmonter la rareté
122
Les fréquences radioélectriques : une ressource rare indispensable à la société de l’information
123
IV. Innover pour surmonter la rareté
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Les fréquences radioélectriques : une ressource rare indispensable à la société de l’information
125
Recherche publique et recherche privée :
une bonne répartition
Bruno Amable
Université Paris X
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Recherche publique et recherche privée : une bonne répartition
127
IV. Innover pour surmonter la rareté
128
Innovations institutionnelles au Japon
Yuko Harayama
Tohoku University
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IV. Innover pour surmonter la rareté
130
Innovations institutionnelles au Japon
de 5 ans maintenant avec cette politique et nous entrons dans la deuxième phase.
Au début, comme en France, c’est l’État central qui a initié cette politique. On
a demandé aux administrations locales, aux industriels locaux de proposer des
plans pour favoriser l’innovation au niveau régional. Mais comme on n’était pas
habitués à travailler de cette manière, au Japon, avec le gouvernement centra-
lisé, c’est un processus d’apprentissage qu’on a vécu pendant 5 ans. Les admi-
nistrations locales ont maintenant plus de facilité à proposer des projets. C’est
une phase de transition du centralisé au décentralisé. Il a fallu 5 ans pour
apprendre.
Troisième point, l’innovation n’est pas seulement l’affaire des grandes entre-
prises. Il y a les PME, les start-ups. Au Japon, les petites entreprises sont
vraiment petites. Des mesures politiques d’accompagnement ont été mises en
place pour pouvoir créer des entreprises. Le résultat est qu’un millier de spin-
offs des universités a été créé. Mais, le plus difficile est de faire vivre ces entre-
prises et d’accompagner leur croissance. C’est dans cette phase que l’intervention
de l’État devient indirecte. On essaie par exemple de favoriser des mesures de
standardisation, des mesures d’achat par l’État de ces biens produits.
Dernier point fort : les réformes structurelles. Il y a beaucoup d’initiatives
privées qui sont bloquées par des réglementations formelles mais aussi infor-
melles. On va essayer de débloquer ces situations. Une des directions sera de
faciliter la mobilité des gens. C’est un énorme chantier.
131
China’s experiences and commitment to innovate
and overcome scarcity
132
To innovate to overcome scarcity: China’s experiences and commitment
Wolf Foundation of Israel, which awarded Mr. Yuan Longping the prestigious
Wolf Foundation Prize in Agriculture in 2004.
The quotation says “Professor Yuan Longping has developed innovative strate-
gies to significantly enhance rice yields…” “Under his leadership and after a decade
of cooperative research efforts among hundreds of rice scientists from numerous research
institutes and universities, rice yields were generally enhanced by 20 percent, and China
rice production, by 50 percent.” “As an agricultural scientist, Yuan Longping’s concerns
go beyond China’s food supply and extend to the enormous problem of world hunger.
To help increase world food supply, he has shared his knowledge, techniques, and
breeding materials, with scientists worldwide.”
We can find many such innovations in other countries and in China that
have greatly improved human being’s welfare. Fish farming is another example.
Intensive fish farming has increased China’s aquatic products supply by 10 times,
freshwater aquatic products by 20 times over the last quarter of a century. This
has greatly improved the food structure of Chinese people.
China is still a poor country. The previous speakers mentioned that at
current stage, the oil consumption per capita in China is still only 1/10th to
1/20th of those in other more developed countries. In our way to move to an
industrial society, we are faced with daunting problems, concerning resource
scarcity and deteriorating environment. The Chinese government believes
that, to solve these problems we have to rely on science and technologies, to
rely on innovations. In February this year, the Chinese government issued the
Outline for China’s Program on Science and Technology Development in
Medium to Long Run (2006-2020). Main points of this outline include:
– developing core technological competence in manufacturing sector,
– developing agriculture technologies for food security and food safety,
– developing new energy technologies that improve energy efficiency,
– developing a cyclic economy in certain industries or certain cities to
increase resource efficiency,
– developing new technologies to improve human health,
– developing defense technologies for national sovereignty and territory
integrity, since China still faces discrimination when it comes to technology
import.
During the “11th five-year plan (2006-2010)”, innovation will be concen-
trated on solving the problems that constraint China’s economic growth and
social development. The Chinese government has specifically targeted energy
efficiency through innovation, and explicitly stated that the energy intensity
should be reduced by 20% by 2010.
133
IV. Innover pour surmonter la rareté
134
An Italian contribution to industrial innovation
Luca Silipo
Universita La Sapienza
I have been asked to talk about Italian success stories, and there are not that
many and to say a few things also about Spanish successes, which is of course
a different story from Italy. I will accept the challenge.
Their plan is called the national plan for reforms. It is a plan on seven pillars,
very similar to what Mr Gao was saying about China. Instead of listing those
7 pillars, I would say it is a plan on innovation although innovation is only one
of the pillars; innovation covers all the pillars of the plan. The plan tries to
overcome smartly the main problem of innovation and productivity in Spain
which is a problem of size. Spanish firms are small, so they do not, did not invest
in research because they are small, because they are not or were not interested.
As a result Spain was cruising towards becoming a service economy. This plan
means to correct this, to correct the problem of scale, not by saying to firms “Well,
you have to be bigger” but by financing consortia of firms. If a single firm goes
to the government asking for money, they will not get any but if a group of four
firms with at least two research and development firms go to the State, they
will be given basically all the money they need. So this is an important plan.
The reason why they can do that is their budget discipline and they are spending
the money that their budget discipline allows them to spend.
So a problem of scale, which was also the problem of Italy.The Italian indus-
trial sector is made up of a lot of very small firms. We are speaking about inno-
vation here, but here it is not innovation in computers, high-tech, that is
concerned: innovation is also innovation in industrial policy, in industrial
organisation. I think I can say with pride that the most important innovation
in industrial organisations in the last 50 years has happened in Italy with the
135
IV. Innover pour surmonter la rareté
136
The regeneration of industrial districts
Paolo Garonna
United Nations Economic Commission for Europe
137
IV. Innover pour surmonter la rareté
tries. We may find the advantages of peripheries in terms of being able to have
a new vision of industrial development.
What is the future of industrial districts? Industrial districts in Italy are under-
going a very profound crisis. The context has changed… Now, the question is
this: declining form or regeneration? We are concluding that after all it is
regeneration and we present this idea of the phoenix, this mythical bird that
continuously dies and is reborn. Industrial districts are really going to be regen-
erated; now that it is the second or third generation, industrial districts are based
essentially on three new aspects.
Emergence of medium-size firms
First of all, the emergence of local cluster leaders of medium-size firms,
around which the cluster of networks becomes organised. This is not uncon-
troversial, and it is very interesting that this is accepted at the level of local dis-
tricts because industrial districts were born in reaction, as a way to break away
from the dependency relationship with the strong, single provider. So now they
have collectively accepted that to be more effective collectively, they needed
medium-size firms. And I think in Italy, for instance, there are more or less 3000
such firms. Whatever growth, the industrial growth that is in Italy is due to this
kind of firms. And this is really the secret of why Italy is, in spite of all the dif-
ficulties, at the moment surviving. There are multinationals, but of pocket size
because they behave really aggressively in extra market with the niche strategy
so they really possibly want to have a niche but then they become world leaders
on a certain niche.
Second, vertical reintegration: there is an effort of extending the supply
change above upstream towards research and linking up with universities and
the sign and re-conceptualising the products; but also downstream towards dis-
tribution, towards marketing, towards delivery and towards the logistics. So I
think the supply change of the district has become more complete. It started
as subcontractors and now it is becoming complete. And third, the relocation
effort, they are really relocating.
Now, we have come to conclude to the challenges. Relocation, relocating
and industrial districts are really a major challenge because it really goes to the
heart, to the essence of the strength of the district. If you had to ask Robert
Putnam, who invented by the way social capital by looking at the ways of the
districts in Northern Italy. If you had to ask Piore, whether you can export social
capital, you can export this network of informal trust somewhere else, the
answer theoretically would be no. But if you look at what is happening in Italy,
the answer is maybe. Just one example, the Samorin case. There is an indus-
138
The regeneration of industrial districts
139
Un manque d’investissement dans le savoir en Europe
Leo Apotheker
SAP
Une entreprise est faite pour gérer la rareté. C’est par essence même sa nature,
c’est ce qu’elle fait tous les jours. S’il y a débat sur l’innovation et la recherche,
il y a lieu de faire au préalable la distinction entre ces deux disciplines.
La recherche est beaucoup plus souvent fondamentale que l’innovation. Et
quand l’on parle d’innovation, elle n’est pas nécessairement scientifique ou
technologique, elle peut être un modèle de « business ». L’exemple le plus
frappant que je puisse donner, c’est Google. Il n’y a pas beaucoup de recherche
fondamentale chez Google, que l’on pourrait apparenter à un énorme centre
de calculs. Par contre, chez eux, quelqu’un a su réfléchir à un business model
innovant. C’est exactement la même chose chez Apple. L’Ipod n’est pas très
innovant, même si c’est un outil bien conçu, mais le business-model qui s’y
rapporte est réellement innovant. Aussi, quand l’on parle d’innovation, il ne faut
pas oublier l’aspect Business-model, qui est devenu crucial.
Évoquons maintenant la gestion de la recherche ou de la rareté, et réflé-
chissons à partir d’un exemple très simple. L’ampoule classique, que nous uti-
lisons tous, a été inventée il y a 125 ans par Edison; elle est citée comme
l’exemple type de l’innovation simple, brillante, efficace. Elle est pourtant inef-
ficace en utilisation d’énergie. Si les ampoules modernes dont nous disposons
aujourd’hui sur le marché étaient utilisées partout, sachant que l’ampoule
conventionnelle est toujours utilisée dans 50 % des foyers, nous pourrions
réduire la consommation d’électricité à travers le monde de 10 % : c’est une simple
question de distribution et de modèle économique.
Considérons un autre exemple, le pétrole. Au lieu de réfléchir de façon per-
manente sur des sources d’énergie alternatives, qui coûtent très cher et, qui
140
Un manque d’investissement dans le savoir en Europe
141
IV. Innover pour surmonter la rareté
La deuxième barrière, ce sont les séparations – pour ne pas dire les barrages
– qui existent entre le monde académique et celui des entreprises, également avec
l’État. Il est temps que les entreprises se mobilisent pour impacter de façon réelle
et forte le contenu de l’enseignement délivré dans les universités. Je risque d’en
choquer plus d’un, mais il est inimaginable de penser pouvoir développer une
entreprise comme SAP, en continuant à créer, chaque année, quelque 5000 étu-
diants en sociologie de l’Amérique Latine… C’est sympathique, c’est très cer-
tainement important, mais on ne crée pas pour autant les leaders de demain.
Or, nous avons besoin d’un plus grand nombre de personnes capables de com-
prendre à la fois le monde d’aujourd’hui et celui de demain, en particulier des
personnes capables de comprendre les évolutions technologiques comme les évo-
lutions des affaires – de la notion de globalisation…
Les entreprises ont un rôle à jouer! Et il y a bien une critique que nous
méritons : nous ne sommes pas capables, surtout en France – car le problème
se pose beaucoup moins en Allemagne, d’intégrer des stagiaires. Si l’on veut que
les étudiants sortant des universités aient une connaissance du monde réel, il
est nécessaire de leur faire faire des stages, des stages valorisants il va sans dire.
Nous nous devons de lever cette barrière!
Une entreprise comme SAP, qui investit 14 % par an en Recherche et
Développement, et qui prend des risques en investissant si gros, ne peut pas faire
autrement que d’investir dans tous les pays du monde. Tout d’abord parce que
notre marché est mondial, mais aussi parce qu’il y a pénurie de ressources – nous
ne trouvons tout simplement pas assez d’ingénieurs en Europe de l’Ouest, en
France, mais aussi en Allemagne…
Dernier point, nous avons beaucoup entendu parler de l’Agenda de Lisbonne,
nos Politiques se sont beaucoup exprimés sur ce sujet… Mais de quoi parle-t-
on aujourd’hui, si ce n’est d’une vaste plaisanterie ? Car le programme de
Lisbonne est bien passé aux oubliettes… En revanche nos amis chinois, eux,
progressent… En 2010, la Chine va dépenser 3 % de son PIB en Recherche et
Développement, pendant que nous, nous allons stagner autour de 2,1 points.
Nous risquons de manquer cette date de 2010, qui aurait voulu que l’Europe
devienne la plus grande économie basée sur le savoir.
Dès lors, il devient majeur, si nous souhaitons conserver le niveau de vie que
nous connaissons aujourd’hui, si nous voulons nous attaquer aux questions de
pollution, des énergies alternatives…, d’investir dans la connaissance et le
savoir. Sinon, nous n’aurons pas l’avenir escompté.
142
L’obligation d’innover à très grande vitesse
Didier Lombard
France Telecom
France Telecom, bien que son nom soit France Telecom, a une forte com-
posante Orange. Nous avons plus de la moitié de notre activité à l’étranger. Cela
nous conduit à avoir une approche qui n’est évidemment pas qu’hexagonale. Je
fais le maximum pour que la France se porte bien dans le système, mais elle n’est
qu’un des points du système. Et tout de suite, dès que l’on regarde notre métier,
nos métiers, on s’aperçoit que nous devons innover à très grande vitesse, sous
la pression de la concurrence, sous la pression de l’évolution des technologies
et de nos marchés vers les services. Il ne s’agit pas d’une innovation à rythme
lent et étudié. Il s’agit d’une innovation marketing, qu’il faut soutenir par une
innovation technologique, qui va à un rythme effréné. Suivre ce rythme est une
condition indispensable pour survivre. C’est ce que nous avons décidé il y a trois
ans avec mon prédécesseur. Nous avons augmenté les crédits de la R&D, qui
alimente un pipeline que j’ai installé, le Technocentre, pour mettre sur nos
marchés des services aussi innovants que possible dans les meilleurs délais. Le
tout est piloté par les besoins de nos clients et non par les créations technolo-
giques de nos ingénieurs. Comme je suis moi-même ingénieur, je suis crédible
quand je leur dit que ce sont les clients qui commandent. C’est une modifica-
tion assez forte de l’organisation de la maison, sachant que le pipeline d’inno-
vations est alimenté par tous nos centres de recherche. Nous avons de nombreux
chercheurs en France, mais aussi à San Francisco, au Japon, en Corée et en
Chine : les informations que nous recevons de ces équipes sont absolument extra-
ordinaires, surtout sur les nouvelles technologies. C’est cet ensemble qui fait vivre
le futur de France Telecom.
143
IV. Innover pour surmonter la rareté
Quand j’ai fait l’opération de rebranding, essentielle, j’ai annoncé que nous
aurions une collection de nouveaux services tous les trois mois. Cela donne le
rythme, cela veut dire que le pipeline d’innovations R&D doit fonctionner. Si
cela ne fonctionnait pas, nous aboutirions à une situation de stagnation. Sur les
réseaux, sur nos métiers traditionnels, cela ne serait pas acceptable. Quand on
regarde les performances des grands opérateurs historiques de telecom et que
l’on retire tout ce qui est à l’extérieur de l’Europe centrale, on s’aperçoit que sur
le métier traditionnel, sur l’Europe même, la viabilité économique de ces vieux
opérateurs n’est pas garantie. En fait, les quatre opérateurs historiques doivent
se transformer pour s’adapter aux nouvelles conditions du marché; l’innovation
est donc au cœur de ce défi.
Risque de pénurie de personnel formé
Deuxième sujet, l’innovation ne porte pas seulement sur cet aspect marke-
ting produit. Elle couvre aussi la façon dont nous faisons évoluer nos person-
nels, qui est absolument fondamentale. Dans dix ans, alors que tout le monde
me raconte que j’ai beaucoup trop de gens, il y aura des secteurs d’activité sur
lesquels France Telecom manquera dramatiquement de personnel formé. Il faut
donc que je fasse migrer rapidement nos salariés actuels vers ces nouvelles
technologies, car nous allons être en pénurie dans quelques années. Cela peut
paraître bizarre, mais tous les chiffres le montrent. Il faut anticiper.
Troisième sujet, les relations avec les PME. Nous voyons cela un peu comme
une relation avec un tissu industriel, ayant de nombreuses PME qui travaillent
dans notre environnement proche. Nous essayons d’éviter le syndrome classique
du succès qui engendre des traumatismes graves de conséquences. Cela arrive
fréquemment : quand nous trouvons une PME qui a une idée géniale, France
Telecom commande 10 millions d’unités. Si rien n’est fait, cela se passe mal.
Un exemple récent : nous avions une société qui s’appelait Inventel, qui a fait
tous les logiciels de la Livebox, l’un des produits-phares de la maison. D’un seul
coup, il a fallu augmenter les commandes de quelque 50000 à plusieurs millions.
C’est une croissance difficile à supporter pour une PME. Finalement, Thomson
a racheté Inventel dans des conditions qui ont fait le plaisir des chercheurs de
cette maison, qui continuent à produire parce que Franck Dangeard les a
protégés contre le groupe qui aurait pu les détruire. Cela marche très bien, et
nous allons même aller plus loin puisque nous allons rendre publiques les
normes d’interface de ces produits pour ouvrir à d’autres PME la possibilité de
nous apporter des évolutions et nouvelles propositions.
Dernier point : les financiers m’empêchent-ils d’agir? Pas du tout. Nous avons
toujours dit de façon tout à fait publique nos ambitions en matière d’innova-
144
L’obligation d’innover à très grande vitesse
145
Autres raretés : l’espace, la vie, le temps
Denis Ranque
Thales
146
Autres raretés : l’espace, la vie, le temps
147
IV. Innover pour surmonter la rareté
148
Le temps court très vite
Francis Lorentz
Idate
L’innovation
L’innovation a été dans des secteurs comme les Telecoms, l’informatique,
l’Internet, souvent « boostée » par les secteurs militaires, les grands investisse-
ments publics. On a dit qu’Internet avait été largement créé par la DARPA,
une agence dépendant du ministère de la défense américain. Aujourd’hui, le
vecteur essentiel d’innovations dans ce domaine est la consommation de masse.
L’exemple le plus clair est le mobile, mais avant cela, c’était le PC et Windows.
Or qui dit marchés de masse dit effets d’échelle. Si l’industrie des systèmes
d’information informatique a disparu en Europe, c’est largement dû au fait que
le marché de masse en informatique était au départ les États-Unis d’où le
succès de Windows et du PC.
Les Européens ont réussi dans le domaine de la téléphonie mobile parce qu’ils
ont réussi à s’entendre autour d’une norme européenne, GSM, qui a fait leur
succès. Le marché de masse crée le standard et le standard, c’est bien souvent
le support de la puissance industrielle.
La Chine dispose dans ce domaine d’un avantage de départ du fait de ses
1 milliard 300 millions d’habitants, avantage dont elle s’engage à tirer parti.
L’innovation n’est pas seulement technologique
Elle n’est même pas seulement marketing, elle est également dans les
modèles de business, dans l’application de la technologie à l’ensemble des
process. J’irais même encore un peu plus loin, quand on évoque Yahoo! ou
Google, ebay ou Amazon, c’est non seulement du business model au sens finan-
cier, ce sont aussi des gens qui ont compris qu’autour d’Internet, le marché
149
IV. Innover pour surmonter la rareté
mondial serait organisé pour s’intégrer; ils ont l’ambition de devenir les orga-
nisateurs de ce marché mondial en organisant un espace à la fois de confiance
et de marché, c’est-à-dire simple, à l’usage de l’ensemble des consommateurs
mondiaux. Pour cela, ils se servent de la technologie. Je pense qu’ils seront parmi
les grands gagnants du monde de demain.
En matière d’innovation, il faut s’appuyer sur ce qui existe
Quand on parle d’innovation, on pense toujours à créer, à rajouter des
couches et rarement à exploiter ce qui existe. Or, il y a un formidable potentiel
d’innovation dans nos universités, dans nos écoles, dans nos start-ups. On ne
s’intéresse pas tellement aux process qui permettraient d’extraire ces innovations
de leur gangue et de les valoriser sur le marché mondial. De ce point de vue, il
y a deux dimensions au moins; l’une, c’est tirer l’innovation de là où elle est et
il s’agit-là de s’intéresser à ce qui marche plutôt qu’à ce qui ne marche pas. Dans
le secteur que je connais, il y a un contribuant manifeste, l’INRIA, qui est exem-
plaire du point de vue de cette productivité en matière de recherche, mais qui
a su très tôt qu’il fallait transférer cette recherche vers l’industrie, a créé INRIA
transfert et a sécrété autour un cercle de capitaux-risqueurs qui aujourd’hui trans-
forment de la recherche de base en entreprises.
Pour les PME et pour les start-ups, le plus important, ce n’est pas l’argent
public, c’est l ‘accès aux marchés, l’accès à l’échelle qui fait que les grandes entre-
prises vont leur faire confiance et ne vont pas s’interroger au jour le jour sur leur
pérennité. Dassault système, qui s’est appuyé sur IBM pour accéder non seu-
lement au marché américain mais au marché mondial, est un très beau contre-
exemple français de réussite absolu dans ce domaine.
L’importance de la variable temps
Internet, on le sait se mesure en « années de chien », c’est-à-dire qu’une année
en vaut sept. Cela signifie que les innovations, même les plus percutantes se dif-
fusent instantanément, sont instantanément, sinon copiées, du moins complé-
tées à l’échelle du monde par les meilleurs chercheurs, les meilleurs innovateurs.
Donc il n’y a plus de barrières, plus de prés carrés, tout se diffuse, l’avantage
revient à ceux qui vont le plus vite, qui sont les plus agiles. Cela pour plusieurs
raisons, d’abord parce que les meilleurs innovateurs sont souvent – pas toujours
– sélectionnés par le marché, mais aussi parce que cela leur permet de gagner
plus d’argent. Il est évident, quand les prix baissent comme dans les PC de 20 %
par an, que celui qui va sortir six mois avant ses concurrents va gagner beaucoup
plus d’argent qu’il va réinvestir demain dans la R&D. C’est l’exemple absolu-
ment vertueux d’Intel qui, grâce à cela, maintient sa prééminence depuis trois
décennies.
150
Le temps court très vite
151
Augmenter la tolérance au risque
Serge Weinberg
Weinberg Capital Partners
152
Augmenter la tolérance au risque
153
IV. Innover pour surmonter la rareté
154
V.
L’allocation de l’épargne
Catherine Lubochinsky
156
L’épargne, ressource rare pour les uns, pléthorique pour les autres
157
V. L’allocation de l’épargne
158
L’épargne, ressource rare pour les uns, pléthorique pour les autres
Un manque d’investissements
Ceci permet peut-être de comprendre pourquoi Bernanke dit que les États-Unis
ne souffrent absolument pas d’une insuffisance d’épargne, ce sont les autres qui
souffrent d’un excès d’épargne. Je ne sais pas si on doit comprendre que les États-
Unis souffrent du coup d’un excès d’investissements et les pays asiatiques d’une
insuffisance d’investissements mais si on raisonne en pourcentage du PIB, cela ne
tient pas non plus et les travaux économétriques très récents du NBER semblent
effectivement indiquer que c’est plus la rareté de l’épargne aux États-Unis et non
une reprise de son investissement qui contribue à son déficit extérieur.
Pour Charles-Albert Michalet, la vraie rareté réside dans les projets innovateurs.
C’est l’innovation même qui est à la source de l’investissement et de la croissance.
Quand il y a des exigences de rendement sur fonds propres de l’ordre de 15 %,
effectivement, on comprend que peu de projets puissent paraître attractifs.
Résultat : la part de profit des entreprises augmente aux États-Unis, en Allemagne,
au Japon, mais ces profits supplémentaires ne sont pas utilisés à financer des inves-
tissements tant domestiques qu’internationaux. Ils sont principalement utilisés à
la diminution de la dette des entreprises et au rachat d’actions et à l’acquisition
d’actifs financiers, ça c’est plus étonnant. Pourtant les occasions d’investisse-
ments ne manqueraient pas si le double critère de rendement à très court terme
et risques était adapté par les investisseurs occidentaux, s’ils élargissaient leurs
critères d’investissement en incorporant des critères de croissance durable ou de
développement durable.
159
Allocation de l’épargne mondiale : le monde à l’envers
Agnès Bénassy-Quéré
160
Allocation de l’épargne mondiale : le monde à l’envers
Graphique 1
Solde extérieu r couran t en milliards de d ollars US
600
400
200
0
1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005
-200
-400
-600
Sou rce : FMI, World Economic Outlook, avril 2006. Economies émergentes e t en développement Economies avancées
161
V. L’allocation de l’épargne
Banque centrale elle-même qui place les excédents dans les pays riches, sans
chercher forcément les rendements les plus élevés.
Graphique 2
Niveau de développement et excès d'épargne en 2004
40
30 Koweit Singapour
Nigeria
20 Suisse
Compte courant (% du PIB)
Norvège
10
Irlande
0
-10 Islande US
A
-20
Bosnie
-30
Azerbaïdjan
-40
0 5000 10000 15000 20000 25000 30000 35000 40000
Source : Banque Mondiale. PIB par habitant ($ de PPA)
162
Allocation de l’épargne mondiale : le monde à l’envers
– Enfin, une dernière explication est que le rendement marginal du capital est
moins élevé que ce qu’il devrait dans les économies émergentes et en dévelop-
pement, soit parce que les infrastructures publiques sont défectueuses, soit parce
que le niveau d’éducation de la population est insuffisant soit, enfin, parce que
les institutions au sens large (respect du droit et en particulier des droits de pro-
priété, probité des bureaucrates, efficacité de l’administration…) ne sont pas au
niveau. Plusieurs travaux empiriques récents ont démontré l’importance de ce
dernier facteur pour l’orientation des flux de capitaux.
Il faut sans doute faire appel à tous ces phénomènes à la fois pour expliquer
le renversement des flux de capitaux. Le dernier d’entre eux explique la faiblesse
structurelle des flux de capitaux vers les économies émergentes, mais il est diffi-
cile de croire que les institutions se soient dégradées dans les années récentes au
point d’engendrer le mouvement de ciseaux illustré par le graphique 1. La qua-
trième explication ne vaut que pour les pays producteurs de pétrole, qui ne sont
pas les seuls à dégager aujourd’hui des excédents. Quant aux trois premières expli-
cations, elles ne peuvent être isolées les unes des autres.
Dans ce contexte, il ne reste plus qu’à espérer un développement rapide des
flux de capitaux Sud-Sud. Mais en dehors des investissements stratégiques dans
le secteur énergétique, on sait que les flux de capitaux sont très influencés par
la géographie. Supposons par exemple que la Banque Populaire de Chine cesse
d’intervenir sur le marché des changes et que, simultanément, le contrôle des
changes soit assoupli dans ce pays. L’allocation de l’épargne chinoise serait alors
du ressort des épargnants chinois. Où placeraient-ils leurs économies? Les modèles
prédisent qu’ils les placeraient dans des grands pays et/ou dans des pays proches.
On le voit, à moins d’un rebond des initiatives pour améliorer les institutions, le
continent africain n’est pas près de recevoir les capitaux privés qui lui font si cruel-
lement défaut. Car si elle est abondante au niveau mondial, l’épargne est rare
sur ce continent dont seul le sous-sol suscite un réel intérêt de la part des inves-
tisseurs étrangers.
163
Une globalisation bancale
Anton Brender
164
Une globalisation bancale
165
V. L’allocation de l’épargne
La croissance particulièrement rapide des pays d’Asie risque de rendre plus aiguë
encore le caractère bancal de la globalisation en cours. Ces pays ont en effet un
trait commun : leur croissance et leur puissance industrielle impressionnantes
s’appuient sur un système financier national relativement peu développé. Cette
particularité fait de leurs économies des colosses aux pieds d’argiles. Elle est
d’autant plus préoccupante que leur taux d’épargne est souvent très élevé. La com-
binaison qui en résulte est bien sûr explosive. Le Japon l’a montré le premier.
L’énorme accumulation de capital qui a eu lieu là-bas, après la seconde guerre
mondiale, a été financée essentiellement par des intermédiaires. Compte tenu de
l’aversion au risque forte des ménages qui ont fourni l’épargne nécessaire, les
risques impliqués par cette accumulation se sont trouvés concentrés dans le bilan
de ces intermédiaires. Dans le passif des banques, les dépôts « sans risques » occu-
paient traditionnellement une place prépondérante, alors que leurs actifs étaient
lourds en positions risquées : des prêts bien sûr mais aussi des actions. Quant aux
assureurs, ils ont longtemps garanti une rémunération à leurs clients sans forcé-
ment détenir toujours les actifs leur assurant de pouvoir la verser. Surtout, face à
cette prise de risque massive, ces banques comme ces assureurs étaient sous capi-
talisés. Là encore, lorsque la conjoncture euphorique qui avait conduit, pendant
la deuxième partie des années 1980, à la formation d’une bulle boursière se
retourna, les dangers de cette accumulation de risques éclatèrent : de nombreuses
banques se trouvèrent plongées en situation de quasi-faillite. Le gouvernement
japonais creusa alors massivement son déficit et engagea des travaux publics dont
l’objectif premier était d’éviter une aggravation de la déflation. Une partie de
l’effort d’épargne japonais s’est ainsi trouvée gâchée. Le risque de voir la Chine
suivre la même voie est sérieux. La Chine a aujourd’hui un taux d’épargne plus élevé
que celui du Japon d’il y a quelques décennies et son système financier est plus
rudimentaire et moins solide encore. Incapable de mobiliser chez elle – plus ou
moins efficacement d’ailleurs – la totalité de l’épargne qu’elle dégage, elle n’a donc
d’autre choix que d’en exporter une partie. Faute d’un développement financier
suffisant, l’effort d’épargne chinois risque, lui aussi, d’être largement gâché.
Contrairement à une idée fréquemment reçue, la finance compte. Un déve-
loppement industriel qui ne s’appuie pas sur un système financier adéquat risque
vite de porter à faux, comme une globalisation commerciale qui ne peut s’appuyer
solidement sur une globalisation financière. La rareté contre laquelle il faut ici
lutter n’est ni celle de l’épargne ni celle des opportunités d’investissement, mais
bien celle des capacités dont dispose l’économie mondiale pour mettre efficace-
ment la première au service des secondes.
166
Transition démographique, croissance mondiale
et allocation de l’épargne
Michel Aglietta
terme. C’est, en effet, la démographie qui domine les facteurs structurels dont
dépend l’allocation de l’épargne. Les changements majeurs découlant de la tran-
sition démographique doivent s’apprécier au moins sur le premier demi-siècle.
À cet horizon de temps, un outil d’analyse approprié est indispensable pour
aboutir à des résultats définis et quantifiables. Cet outil doit être un modèle de
croissance qui découpe le monde en grandes régions et prend en compte à la fois
le commerce mondial des biens et l’intégration des marchés de capitaux. Ce doit
être un modèle qui analyse les comportements microéconomiques à l’origine de
la formation de l’épargne à long terme et qui les incorpore dans les structures
par âge de la population pour agréger les montants d’épargne individuelle. Ce
doit donc être un modèle à générations imbriquées qui exprime le comportement
d’optimisation de l’utilité des ménages sur leur cycle de vie, modulé par les trans-
missions d’héritage. Le modèle INGENUE2 a été construit pour étudier ce type de
problème 1. On présentera les résultats atteints dans le scénario central qui a été
1. Le modèle INGENUE2 est l’outil construit pour le projet INGENUE développé à partir de
2000 sous la responsabilité conjointe du CEPII, du CEPREMAP et de l’OFCE. Ce projet est
mené collectivement par une équipe composée de Michel Aglietta et Vladimir Borgy
(CEPII), Jean Château (OCDE), Michel Juillard (CEPREMAP), Jacques le Cacheux, Gilles Le
Garrec et Vincent Touzé (OFCE). Le modèle INGENUE2 découpe le monde en 10 grandes
régions. C’est un modèle d’équilibre général calculable à anticipations rationnelles de long
terme dont la période unitaire est un quinquennat.
167
V. L’allocation de l’épargne
168
Transition démographique, croissance mondiale et allocation de l’épargne
à l’autre au cours des décennies à venir. Les régions dont la population active va
décroître vont atteindre successivement leur maximum de capacité à épargner
avant 2050. Les régions dont la population active va augmenter rapidement vont
progressivement épargner plus, mais le poids des classes d’âge à forte épargne
ne culminera pas avant 2050. Il s’ensuit que l’épargne va migrer des pays pré-
cocement à forte épargne vers les pays tardivement à forte épargne au cours des
prochaines décennies.
• Le rattrapage technologique
Pour que ce processus mondial d’accumulation se déploie effectivement, il faut
un moteur de croissance. C’est la diffusion internationale du progrès technolo-
gique. Une mesure synthétique du progrès technique est le taux de croissance de
la productivité globale des facteurs (PGF) à prix constants. L’équipe INGENUE a
fait une estimation de l’évolution de la PGF pour ces dix régions du monde à partir
des meilleures données existantes. Exprimées en valeurs relatives par rapport à
l’Amérique du Nord, ces estimations mettent en évidence la position leader de
l’Amérique du Nord et les rythmes de rattrapage des autres zones. On remarque
les échecs de convergence à partir des années 1980 pour la Russie, l’Europe de
l’est, l’Amérique du sud et le monde méditerranéen, à partir des années 1990 pour
le Japon et l’Europe occidentale. Seules la Chine et l’Inde progressent plus vite
que l’Amérique du Nord depuis les années 1970. Quant à l’Afrique, son évolution
catastrophique est illustrée par son recul relatif permanent depuis 1950.
L’enseignement principal de l’évolution de la PGF au cours du dernier demi-
siècle est que les pays rattrapent inégalement. Bien que les histoires soient
diverses, deux processus modélisables interfèrent étroitement. Le premier pro-
cessus est l’accélération de l’innovation technologique assimilable par les pays en
retard. Il s’ensuit que la probabilité qu’un pays particulier décolle à un moment
quelconque est une fonction croissante du niveau des connaissances accumulées
dans le monde (approximé par le revenu mondial par tête). La rationalité de cette
hypothèse est le coût décroissant de la diffusion technologique au fur et à mesure
où les connaissances s’accumulent. Le second processus est que la trajectoire de
rattrapage d’un pays qui a décollé est d’autant plus rapide (la croissance de sa
PGF est d’autant plus forte) que la distance du niveau de son revenu moyen par
tête à celui du pays leader est grande. Cette dynamique conduit à la convergence
en niveau. Mais les échecs du passé montrent qu’il y a des obstacles difficiles à
franchir pour engager cette dynamique vertueuse. Ils tiennent à la réunion des
conditions sociales de l’assimilation du progrès technique dans les pays. La résis-
tance des élites au développement d’une classe entrepreneuriale et le manque
de leadership de l’état pour produire les facteurs collectifs de l’accumulation du
capital constituent un frein à la vitesse de rattrapage.
169
V. L’allocation de l’épargne
170
Transition démographique, croissance mondiale et allocation de l’épargne
vorable est combinée à une faible progression des revenus. En Chine et dans le
bassin méditerranéen l’augmentation de la population à forte épargne soutient
le taux d’épargne pendant les deux premières décennies. En Afrique le profil est
très différent puisque la proportion de la population à forte épargne n’augmente
qu’à partir de 2020, alors que le taux de dépendance du côté des enfants diminue
dans les premières décennies. Il en résulte une forte augmentation du taux
d’épargne jusque vers 2030.
• Allocation internationale de l’épargne : balances courantes et taux de
change
Le ralentissement de la croissance mondiale sur le demi-siècle à cause de la
transition démographique entraîne la baisse continue du taux d’intérêt réel
mondial. Les taux d’intérêt régionaux suivent ce profil général. La hiérarchie des
taux d’intérêt est liée à l’évolution tendancielle des taux de change réels. Dans
chaque région le taux d’intérêt réel régule l’équilibre épargne investissement
conjointement avec le solde de la balance courante. Ces soldes déterminent les
mouvements nets de capitaux entre les zones, dont les montants sont tels que
les différences de rendement sur les stocks d’avoirs ou de dettes de chaque
région avec le reste du monde s’égalisent entre les régions. Ce processus tend vers
un état stationnaire à très long terme où les balances courantes sont en équilibre,
de sorte que les stocks d’actifs et de dettes deviennent stationnaires.
Les taux de change réels sont définis par rapport à un numéraire qui est
l’indice des biens finaux dans la région Amérique du Nord. Le taux de change réel
s’apprécie systématiquement dans les deux régions à faible croissance et expor-
tation de capitaux que sont le Japon et l’Europe de l’Ouest. Il s’apprécie aussi en
Russie par les termes de l’échange du bien intermédiaire dont la Russie est expor-
tatrice. Dans les autres régions, le taux de change est assez peu sensible aux mou-
vements de capitaux et les effets Balassa sont faibles, de sorte que leur évolution
tendancielle est très limitée.
Parce que les taux de change varient peu, les balances courantes varient
beaucoup pour ajuster les croissances différenciées de l’économie mondiale ;
Pour représenter ces flux nets de capitaux sur une échelle commune on a calculé
l’évolution des soldes courants en proportion du PIB mondial.
Le résultat le plus spectaculaire est l’évolution divergente de l’Amérique du
Nord. Le déficit du début du XXIe siècle est dû à l’effondrement du taux d’épargne
à cause de la croissance de l’endettement, insoutenable à long terme, des
ménages. L’ajustement des ménages conduit à une convergence de leur com-
portement d’épargne vers celui des autres régions développées. La combinaison
de ce changement structurel et d’une population qui reste plus jeune que celle
de l’Europe et du Japon entraîne une hausse de l’épargne qui se répercute dans
171
V. L’allocation de l’épargne
Conclusion
L’élaboration d’hypothèses précises sur les sources de la croissance mondiale
et l’utilisation d’un modèle théorique de simulation approprié au problème posé
a permis d’apporter des éléments de réflexion à la question de l’allocation de
l’épargne en se gardant de la myopie du court terme. Ces hypothèses sont expli-
cites, donc scientifiquement réfutables. Si on les accepte, il en résulte un panorama
bien défini sur la position de l’Europe de l’Ouest dans l’économie mondiale.
D’ici 2050, l’Europe sera probablement une région à croissance basse à cause
de son profil démographique défavorable et de la progression lente de sa pro-
ductivité globale des facteurs. Cependant les ménages européens bénéficieront
de la mondialisation en devenant les rentiers du monde. Étant une des deux
régions (avec le Japon) où les taux d’intérêt sont les plus bas, l’Europe sera un
créancier permanent du reste du monde. De plus son taux de change réel s’ap-
préciera systématiquement, ce qui augmentera le pouvoir d’achat des résidents
sur les biens importés. Les ménages européens tireront donc avantage à la fois
des revenus provenant de leurs capitaux placés à l’étranger et de la force de leur
monnaie. C’est pourquoi la consommation par tête augmentera de concert avec
l’appréciation réelle du change.
Toutefois ces avantages s’amenuiseront au fur et à mesure que la proportion
de la population à forte épargne diminuera avec le vieillissement. Ils devraient
disparaître dans la seconde partie du siècle. Si cette vue prospective était reconnue
par le débat politique, ce qui n’a pratiquement aucune chance de se produire, il
faudrait éviter de se laisser entraîner dans les délices de la position de rentier. Il
faudrait favoriser un développement massif de l’activité féminine à tous les
niveaux de responsabilité de la gouvernance économique. En évitant de stérili-
ser délibérément ou de sous-utiliser la moitié des ressources humaines des pays
172
Transition démographique, croissance mondiale et allocation de l’épargne
173
Rareté des investissements directs à l’étranger,
promotion de l’attractivité et innovation
Charles-Albert Michalet
174
Rareté des investissements directs à l’étranger, promotion de l’attractivité et innovation
au profit d’autres pays, voisins ou éloignés, dont l’attractivité serait plus forte.
Les firmes multinationales, pensent-ils plus ou moins implicitement, ne peuvent
pas investir simultanément dans tous les pays. Elles doivent effectuer des choix,
car des ressources financières sont limitées. La mondialisation est un jeu à somme
nulle. Si un investissement est effectué dans le pays A, il ne sera pas effectué dans
le pays B. D’où la faveur rencontrée par les mesures visant à renforcer l’attracti-
vité du territoire : abaissement de la fiscalité, au premier rang, celle de l’impôt
sur les sociétés; attribution d’incitations (primes à l’emploi créé, crédits d’impôt,
offre gratuite ou subventionnée des terrains industriels, formation sur mesure de
la main d’œuvre, création de clusters ou de pôles d’excellence, ouverture de
zones franches à l’exportation, mais aussi, amélioration des infrastructures de com-
munications qu’il s’agisse des moyens de transport matériels ou de ceux, imma-
tériels, de l’information et des télécommunications.
Les conseils ne manquent pas qui aboutissent souvent à réduire les recettes bud-
gétaires et à accroître, simultanément, les dépenses publiques. Mais, qu’importe!
Il s’agit avant tout de ne pas rater le train de la mondialisation, de l’implantation
des firmes multinationales, car il risque de ne jamais repasser! Est-ce bien sûr de
croire cela? Est-ce que les hypothèses de départ – souvent implicites – celles de la
limitation des ressources et de la substituabilité des territoires sont-elles perti-
nentes? Elle ne sont pas remises en cause, elle sont oubliées, refoulées car le
discours dominant, menaçant, place les firmes dans une position souveraine. Elles
vont apporter plein de trésors, mais il faut être un bon élève car le stock de leurs
disponibilités est fixe.
175
V. L’allocation de l’épargne
des pays hôtes (fiscalité sur les prêts intrafirmes en Allemagne en 2004; incita-
tions au rapatriement des profits extérieurs aux États-Unis la même année). Ils
peuvent rendre les flux d’investissement à l’entrée temporairement négatifs. Les
multinationales peuvent encore emprunter aux banques locales ou internatio-
nales; leur crédit est généralement bon, meilleur que celui des PME. Donc, fina-
lement, il n’y a pas réellement à s’inquiéter, les moyens financiers ne sont certes
pas illimités mais ils ont une souplesse considérable.
Cette constatation est indéniable mais elle n’éteint pas, bien au contraire, les
craintes de certains pays. En effet, l’allocation des capitaux est déséquilibrée; les
firmes n’investissent pas également dans tous les pays, elles ont des préférences.
Remarquons d’abord, que la reprise des flux d’IDE en 2004 n’a pas été due aux pays
les plus développés mais aux pays en développement. La part des premiers dans
le total des IDE a baissé au profit des seconds (qui accumulent 36 % du total, un
record). Mais parmi ceux-ci, la répartition est inégale : 60 % des IDE en 2004 se sont
dirigés vers une poignée d’économies émergentes (Chine, Hongkong, Corée, Brésil,
Mexique et Singapour) auxquels il faut ajouter, dans une proportion moindre, les
Pecos et la Russie. Bien qu’en retard, l’Inde constitue depuis peu un nouveau pôle
d’attractivité, entre autre dans les services à haute technologie que les firmes
externalisent de façon croissante. Enfin, pour achever ce tour d’horizon, il est
nécessaire de mentionner la forme préférée des investissements entre pays de
l’OCDE et plus particulièrement entre les deux rives de l’atlantique : les fusions et
acquisitions. Depuis le milieu des années 90, elles constituent sensiblement la
moitié du total des investissements directs. Après un léger déclin au tournant du
siècle, les F/A reprennent de plus belle à la grande joie des banques d’investisse-
ment : elles ont augmenté de 28 % en 2004. La liste des « deals » qui dépasse le
milliard de dollars ne fait que s’allonger. Parmi les raisons qui expliquent cette vague
qui touche surtout les États Unis et l’Europe, les plus souvent citées sont une situa-
tion où les taux d’intérêt sont peu élevés et l’abondance des capitaux que les
banques partenaires aux opérations de F/A drainent globalement. Incidemment,
ajoutons que ce phénomène de concentration industrielle démontre que le champ
de manœuvre des grandes firmes dépasse les territoires nationaux et qu’il atteint
aussi les pays émergents (Pemex, Mittal, etc.). Dans cette perspective, le « patrio-
tisme économique » apparaît comme un mot d’ordre bien désuet. Tout conduit à
penser que nous sommes dans une période, celle de la globalisation financière, où
la question majeure pour les firmes est de trouver un emploi pour leurs cash flow,
en rachetant par exemple leurs propres actions ou en distribuant davantage de divi-
dendes à leurs actionnaires, entre autres pour décourager les OPA menaçantes.
Il existe donc apparemment un hiatus entre les tenants de l’attractivité qui
croient à la rareté des investissements et l’abondance potentielle de ceux-ci au
176
Rareté des investissements directs à l’étranger, promotion de l’attractivité et innovation
177
V. L’allocation de l’épargne
178
La politique des services financiers en Europe
et la rareté des investissements en R&D
André Cartapanis
179
V. L’allocation de l’épargne
180
La politique des services financiers en Europe et la rareté des investissements en R&D
181
V. L’allocation de l’épargne
182
La politique des services financiers en Europe et la rareté des investissements en R&D
183
V. L’allocation de l’épargne
dans des contrats bilatéraux noués sur des marchés. De même, grâce à leur taille,
les intermédiaires financiers peuvent plus facilement diversifier leur portefeuille,
tant à l’actif qu’au passif, et donc mieux répartir l’ensemble des risques (risque
de contrepartie, risque de taux, risque de prix d’actifs…) inhérents à l’activité finan-
cière. Ensuite, au cœur des contrats financiers figure la gestion des asymétries d’in-
formation, liées au fait que les agents à besoin de financement ont généralement
plus d’information sur leur propre situation, et sur leurs propres intentions, que
n’en possèdent les créanciers éventuels. Cela peut avoir deux conséquences : des
sélections adverses, conduisant à choisir ex ante les émetteurs les plus risqués en
fixant les primes de risque à des niveaux tels que seuls les débiteurs poursuivant
les projets les plus aventureux, ou ceux dont la situation financière est la plus
dégradée, sont prêts à les accepter; des situations dites d’aléa moral conduisant
certains emprunteurs, ex post, à décider de ne pas pleinement respecter leurs enga-
gements contractuels, ce qui exige un surcroît de contrôle et de surveillance
après que le financement a été accordé ou l’acquisition d’un actif réalisée. Or, les
banques disposent ici d’un avantage comparatif vis-à-vis des marchés financiers
dans la mesure où elles gèrent les moyens de paiements et accèdent à une infor-
mation privée tout à fait privilégiée, en temps continu, sur la situation financière
de leurs clients, ce qui permet de réduire les asymétries d’information, de créer
des relations de confiance mutuellement profitables et s’exprimant dans la durée.
En outre, l’intermédiation financière est seule à même de répondre aux exi-
gences de transformation des caractéristiques des fonds prêtables, sur le plan des
montants unitaires, des échéances, des types de taux (fixes, variables), tout en
rendant possible le financement de certains agents économiques, en l’occur-
rence les PME innovantes, dont le poids global dans une économie peut s’avérer
tout à fait significatif sans atteindre individuellement une taille critique, sans pré-
senter une lisibilité ou une fiabilité suffisantes, les rendant éligibles aux finan-
cements de marchés.
Les marchés d’actifs offrent la possibilité de placer facilement des titres pour
les émetteurs dont la signature est reconnue et qui répondent à des exigences
de taille ou de risque relativement standardisées. Mais cela exclut objectivement
nombre d’emprunteurs, notamment en l’absence d’un marché secondaire d’ac-
tions ou d’obligations d’une certaine profondeur et de nature à assurer une
liquidité minimale. En revanche, les intermédiaires peuvent répondre à des
besoins spécifiques en assurant du sur mesure, tant du côté des déposants que
s’agissant des emprunteurs. Les marchés offrent très certainement des rendements
financiers plus élevés que les intermédiaires, ne serait-ce qu’en raison de l’absence
d’infrastructures et de charges d’intermédiation. Mais ils peuvent s’avérer
défaillants dans l’évaluation et le monitoring des risques de défaut, tout en
184
La politique des services financiers en Europe et la rareté des investissements en R&D
185
Currency Asymmetry, Global Imbalance,
and the Needed Reform of Global Monetary System
Fan Gang
National Economic Research Institute China Reform Foundation
186
Currency Asymmetry, Global Imbalance, and the Needed Reform of Global Monetary System
187
V. L’allocation de l’épargne
188
Chercher l’équilibre entre épargne et investissement
Christian Noyer
Banque de France
189
V. L’allocation de l’épargne
chez eux, mais parce que le marché américain est le marché actuellement le plus
liquide, le plus profond, le plus sûr du monde même si cet avantage compara-
tif se réduit manifestement, par exemple par rapport au marché de la zone euro.
Cet argument de l’efficacité, de la sécurité du marché peut rendre logique pour
les épargnants du monde entier d’allouer une fraction de leurs placements
même s’ils y obtiennent un rendement inférieur à celui d’autres emplois natu-
rellement plus risqués.
Le deuxième argument est celui du développement, de l’industrialisation;
c’est l’argument du passage par l’exportation. Il peut être avantageux du point
de vue des Chinois de financer la consommation américaine si cette consom-
mation permet de développer les exportations chinoises et donc la production
et la croissance chinoises. C’est la thèse du « nouveau Bretton-Woods » : en sta-
bilisant son taux de change par rapport au dollar, la Chine se dote d’un ins-
trument de soutien à l’industrialisation de son économie. Bien sûr il y a un prix
à payer, c’est celui de l’accumulation des réserves de change qui sont mal rému-
nérées et soumises au risque de perte en capital si la valeur de ces actifs se
déprécie; mais c’est un prix qui peut être jugé faible par rapport aux avantages
que procure une telle stratégie d’industrialisation. C’est une thèse qui conduit
à espérer une certaine stabilité pendant encore quelques années.
Le troisième argument auquel notre Martien serait sans doute sensible si,
au cours de son voyage interstellaire, il s’est familiarisé avec la notion de dark
matter, de matière noire – elle est équivalente aujourd’hui à 1/4 du PIB des États-
Unis. Il se pourrait que l’image que nous nous faisons de l’ampleur des besoins
de financement américain soit biaisée. Alors que les États-Unis accumulent une
dette extérieure nette croissante, la balance des revenus américaine continue à
dégager un excédent. On peut rapprocher ce paradoxe du paradoxe de matière
noire, que les statistiques usuelles ne comptabilisent pas. Ce peut être simple-
ment la traduction de l’avance technologique américaine qui fait qu’il y a sur-
rémunération des actifs détenus par les Américains dans le reste du monde par
exemple sous forme d’investissements directs faits avec l’exportation, la mise
en place de technologie dans des activités de production à l’extérieur, la sur-rému-
nération de leurs actifs par rapport à ceux qui sont détenus aux États-Unis par
les créditeurs nets des États-Unis. À ce stade, je suppose que notre Martien est
ébranlé, mais pas totalement convaincu. Il a eu le temps de réfléchir pendant
que nous développions notre argumentation et il nous demande si la Chine ne
pourrait pas obtenir les mêmes avantages en développant son marché interne
des capitaux et en stimulant sa consommation et son investissement domes-
tiques. Avec un marché développé, il serait possible d’offrir aux épargnants
chinois des placements sûrs, liquides. Une consommation plus élevée leur per-
190
Chercher l’équilibre entre épargne et investissement
191
Les cycles financiers dans les pays émergents
Roberto Lavagna
Ancien ministre des Finances d’Argentine
Il y a une vision globale de l’épargne, des cycles financiers, qui est surtout
une vision du monde développé. Mais il y a aussi la vision des pays émergents
et je voudrais faire quelques remarques sur cette vision.
Un savoir conventionnel dit que les périodes de hautes liquidités sur le marché
international des capitaux, sont des périodes très favorables au développement
des pays émergents. Évidemment, il y a des taux d’intérêts, des primes de
risques réduits, quantités de fonds disponibles et tout cela fait penser que ce sont
normalement des périodes très favorables au développement.
Mais je le conteste. Je crois au contraire que ce sont des périodes où appa-
raissent ce que personnellement j’appelle la « maladie mexicaine ». On peut
définir cette maladie mexicaine par rapport à la maladie hollandaise, the dutch
disease, bien connue des économistes : il y a une augmentation de l’offre des
devises sur le marché des changes, une réduction du taux de change ou une valo-
risation de la monnaie nationale. Le résultat est un ensemble de prix relatifs
différents de ceux qui existaient avant dans l’économie.
Il y a la disparition ou l’affaiblissement de certains secteurs liés au commerce
international; parfois il y a une augmentation du chômage, mais surtout il y a
des changements négatifs de structures de l’emploi qui se rapportent aux chan-
gements dans les structures productives.
La différence entre ces deux maladies, c’est que dans la « maladie hollan-
daise », la raison fondamentale est la découverte de ressources naturelles, du gaz,
du pétrole qui augmente les exportations et attire les investissements. C’est donc
une situation permanente ou du moins assez durable dans le temps et dont l’effet
192
Les cycles financiers dans les pays émergents
n’est pas simplement sur la partie financière de l’économie, mais aussi sur les
structures et sur l’économie réelle.
Dans le cas de la « maladie mexicaine », au contraire, c’est tout à fait
endogène à la politique économique. La politique économique, normalement
profite de la disponibilité des capitaux – qui sont habituellement des capitaux
spéculatifs, très volatils et en général à court terme – pour faire agir le taux de
change du pays comme un élément de lutte contre l’inflation et surtout pour
continuer à financer le déficit public, bien sûr au prix d’une très forte augmen-
tation de la dette du pays.
Ce type de périodes de hautes liquidités finalement sont des périodes qui
permettent de faire des politiques économiques, comme c’était le cas de la conver-
tibilité, le currency board, qu’on a pratiqué pendant 11 ans en Argentine, ou bien
des politiques de mobilité des taux de change préétablis comme on l’a fait en
Amérique Latine à la fin des années 70 et au début des années 80. Après une
certaine euphorie initiale, ces modèles finissent toujours, étant donné ces chan-
gements de prix relatifs, par produire une désarticulation industrielle, certai-
nement dans le cas de la maladie mexicaine, par augmenter le chômage et
certainement aussi par augmenter fortement la dette.
Pourquoi tout le monde applaudit
Il faut dire que ces modèles d’endettement sont des modèles très applaudis
au niveau international; les banques applaudissent, la presse financière inter-
nationale, les investisseurs et même les institutions comme le Fonds Monétaire
International applaudissent aussi. La raison est simple, pendant des périodes
très courtes, parfois de six à douze mois, il est possible d’obtenir des rentabili-
tés équivalant à 5, 6 ou 7 ans sur les marchés mondiaux : il y a une combinai-
son des taux d’intérêts beaucoup plus élevés que ceux qui existent sur les
marchés internationaux, plus une valorisation de la monnaie nationale.
Normalement, la fin de ce type de modèle est une crise économique qui
devient aussi une crise sociale et politique. C’est ce qui s’est passé en 1982 et
en 1995. Au Mexique en premier, c’est pourquoi je l’appelle la « maladie mexi-
caine », mais on pourrait aussi bien l’appeler maladie latino-américaine, maladie
argentine, maladie brésilienne puisque nos pays ont eu ce genre de problèmes;
mais c’est au Mexique qu’en 1982 et en 1995, la crise s’est produite en premier.
Si cette interprétation est valable, il doit y avoir certaines prescriptions, cer-
taines normes de politique économique. Je voudrais en citer trois :
1. Notamment, je crois qu’il faut discuter le contrôle d’entrée – pas de
sortie – des capitaux à court terme. Le Chili l’a fait avec beaucoup de succès,
il y a quelques années. C’est ce qui a été fait en Argentine, il y a deux ans et
193
V. L’allocation de l’épargne
194
Globalisation de la finance
Michel Cicurel
Compagnie Financière Edmond de Rothschild
L’argent n’est pas une ressource rare, c’est même une ressource très abon-
dante puisque la dépression mondiale qui menaçait au début des années 2000
a été combattue victorieusement par une inondation de liquidités. On a déjà
rendu sur ce thème hommage à Greenspan et je crois qu’un jour on rendra
hommage à Bush, mais c’est un peu tôt pour être politiquement correct!
On murmure que cette inondation de liquidités peut générer une hyper-infla-
tion. Aujourd’hui, peu de gens y croient et notamment pas les marchés de taux,
en raison de l’immense réservoir de main-d’œuvre asiatique à coût très faible
qui anéantit la fameuse courbe de Phillips. Par conséquent les banques centrales
qui pompent énormément l’excès de liquidité depuis 18 mois ou 2 ans ont sans
doute cessé plus vite qu’on l’imagine.
La croissance économique ne manque nullement de carburant, mais cet équi-
libre financier n’est réalisé qu’au niveau mondial. Nous avons des déséquilibres
intercontinentaux considérables et ces déséquilibres suggèrent deux diagnos-
tics et deux pronostics très différents. Le plus fréquent, et peut-être malheu-
reusement le plus sérieux, est plus ou moins pessimiste. On dit que la résorption
des twin deficits américains est incontournable. Elle est affreusement doulou-
reuse dans sa version Apocalypse now : un effondrement du dollar, de la production
et du niveau de vie américains suivi d’un effet domino dans la zone quasi-dollar,
en Asie, en Chine et en Amérique Latine. Dans sa version Soft landing, le ralen-
tissement américain donc chinois passe le relais de croissance à l’Europe et au
Japon : les corrections de change se font à un rythme pacifique, les déséquilibres
commerciaux se résorbent gentiment et je trouve que c’est cette version qui res-
195
V. L’allocation de l’épargne
196
Globalisation de la finance
De ces propos généraux, je voudrais tirer une conclusion sur les circuits finan-
ciers. En réalité, il est surprenant qu’on ne tire pas toutes les conséquences de
la globalisation sur le plan des flux financiers. On admet que le jeu est plané-
taire mais on n’en tire pas toutes les conclusions. Un exemple : l’affaire des pré-
tendants d’Euronext.Tout le monde sait qu’il n’y a pas d’actionnaires à long terme
en Europe continentale. Tout le monde sait que les marchés d’actions en
Europe Continentale sont irrigués par les fonds de pensions anglo-saxons et
que cette situation est durable puisque le régime de retraites par répartition
demeure la règle dans l’Euroland. De ce point de vue, le mariage d’Euronext à
la Deutsche Börse, en dehors des inconvénients techniques du modèle de fonc-
tionnement, présente un inconvénient évident puisque c’est l’union de l’aveugle
et du paralytique : ce sont des bourses sans actionnaires. Et je trouve que de ce
point de vue-là, l’union avec le New York Stock Exchange est une juste noce,
même si, comme tous ceux de ma génération, je suis un défenseur hystérique
de l’Union européenne. Mais en finance aussi, la globalisation est un fait, et la
mondialisation des marchés financiers se produira inévitablement. Rien ne sert
de dresser des lignes Maginot suicidaires!
On pourrait dire la même chose des banques d’investissements. De même
qu’il y a une consolidation mondiale des Bourses, il y a une consolidation
mondiale des banques d’investissements. Elle se poursuit à marche forcée. Les
banques européennes avaient un peu de retard, mais elles sont en train de le rat-
traper et probablement dans une dizaine d’années, il n’y aura plus guère de
banques d’investissements que mondiales puisqu’elles doivent répondre aux
besoins de leurs clients corporate qui sont déjà mondiaux et ont besoin d’être
servis partout.
Ainsi, les marchés du financement bancaire comme les marchés publics d’ac-
tions deviennent globaux et risquent d’alimenter le national-populisme en
donnant l’impression de laisser sur le bord de la route les entreprises plus
petites, plus locales, et aussi, plus créatrices d’emplois. De ce point de vue, la
progression spectaculaire du private equity dans les années récentes peut apporter
un élément de réponse. Les montants deviennent significatifs. On dit grosso
modo 100 milliards de dollars collectés par an pour des émissions d’actions sur
les marchés publics de 300 milliards. Et même si le private equity est tiré vers
de très grosses opérations, l’essentiel des flux se dirige encore vers les PME. Je
suggère donc un débat inédit : le private equity comme réponse à l’altermon-
dialisme!
197
L’Europe victime des tensions
Kenneth Courtis
Asia Capital partners
198
L’Europe victime des tensions
des hedge funds, les fonds d’investissement – que presque tout le monde qui voulait
avoir de l’argent pour investir pouvait en trouver. Ces conditions sont aujour-
d’hui en train de changer. Les banques centrales pourraient monter les taux et
renverser très rapidement la situation en mettant en difficulté ces investissements
plus ou moins marginaux, une fraction de tous les investissements financiers
depuis 4 ou 5 ans. Les pays qui n’ont pas mis en place un système de marché
et une structure de loi fortement codifiés continuent à avoir de grandes diffi-
cultés à trouver des capitaux pour investir et comme les politiques d’aide devien-
nent elles-mêmes de plus en plus faibles, il y a là une zone où on a besoin d’un
travail collectif sur le plan international. On pourrait par exemple imaginer que
les Chinois, qui auraient un grand intérêt à le faire, suggèrent de créer un fond
international où ils mettraient du capital auquel le Fonds Monétaire garanti-
rait un certain rendement. Si les Chinois voulaient être malicieux [au sens de
méchants, vicieux], ils proposeraient qu’ils soient garantis en SDR plutôt qu’en
dollars, mais comme ils ont intérêt à maintenir le système, ils ne feraient pas
cela. Avec ces fonds, même si pour d’autres raisons ces pays ont choisi de ne
pas avoir d’économie de marché, on pourrait trouver des financements.
Lorsqu’on voit les besoins d’investissements en Asie, ce qui est frappant en
dépit du discours ambiant sur les marchés, c’est le rôle important des États d’une
part, dans les investissements importants, les investissements de structures, de
garantie d’investissements des entreprises, et d’autre part le rôle important des
familles. Entre les deux, il n’y a presque rien. Comme les marchés de capitaux
sont très peu développés en Asie, même au Japon, l’entre-deux n’existe prati-
quement pas. En fait c’est l’inverse de ce qu’on voit sur les marchés occidentaux.
Je conclus en disant un mot sur les systèmes monétaires mondiaux. Il y a
deux systèmes monétaires mondiaux. Il y a le système euro, très codifié, très ins-
titutionnalisé. Il y en a un autre qui marche très bien, le système yen, dollar amé-
ricain et devise chinoise, qui est très informel, très flexible, mais qui aujourd’hui
entre à mon avis dans une zone de tension importante et cette tension va s’ex-
primer dans les marchés de devises et l’Europe pourrait en être une des victimes
car si le yen japonais, le yuan chinois et le dollar sont dans un système plus ou
moins géré, si le dollar à terme est dévalué, les Chinois et les Japonais vont essayer
de maintenir une certaine parité par rapport au dollar américain, et comme ce
sont des vases communicants, à terme, on verra un euro très fort avec les rigi-
dités et les difficultés d’innovations européennes qui va casser la croissance et
pourrait à terme aussi soulever des tentations protectionnistes qui rendrait le
recyclage des surplus et des déficits encore plus difficile.
Cette question, à mon avis, est une question qui va être au centre de l’ordre
du jour monétaire et financier international.
199
Le développement à l’international des PME :
l’exception peut-elle devenir la règle?
Rémy Weber
Lyonnaise de banque
200
Le développement à l’international des PME : l’exception peut-elle devenir la règle ?
201
V. L’allocation de l’épargne
202
Assurer la sécurisation des pensions et de l’épargne
Michel Tilmant
ING
203
V. L’allocation de l’épargne
manière plus efficace dans les pays en développement rapide que dans nos pays
traditionnels.
Deuxièmement, il y a la recherche d’un marché financier le plus efficace
possible.Tous les pays qui se développent rapidement essaient de mettre en place
un marché financier le plus efficace possible dans lequel il y a tous les instru-
ments à court et à long terme pour l’investisseur et tous les instruments à court
et à long terme pour financer les entreprises.
La troisième solution est évidemment d’augmenter la croissance économique.
C’est probablement là que le bât blesse le plus, parce qu’aujourd’hui, nous
sommes face à un paradoxe : la crainte de ce manque d’épargne à long terme
entraîne une certaine timidité dans l’investissement. Pour la première fois, on
constate par exemple, que la croissance du profit des entreprises dans le G7 a
été plus rapide que les investissements en biens durables de ces entreprises. Ce
qui signifie que les entreprises, soit se désendettent fortement, soit épargnent
pour un avenir qu’elles considèrent peu suffisamment porteur d’un investisse-
ment à court terme. Mais manque d’investissement à court terme veut dire aussi
manque de croissance économique, manque d’épargne à long terme, manque
de croissance à long terme, et en fait, un renforcement du problème des pensions
à long terme. C’est la problématique la plus importante, et notre rôle, en tant
qu’entreprise financière, est d’assurer cette transition et cette sécurisation des
pensions et de l’épargne à très long terme. Telle est la partie la plus intéressante
et la plus passionnante de notre métier.
204
Rassurer l’épargnant
Charles Milhaud
Groupe Caisse d’Épargne
205
V. L’allocation de l’épargne
incertitudes qui pèsent sur l’avenir des systèmes par répartition. Le problème
est que les pouvoirs publics ne tirent pas de cette situation les conclusions qui
s’imposent en ce qui concerne la durée du travail sur l’ensemble de la vie, mais
seulement en ce qui concerne l’emploi. Or, quand on observe l’âge d’entrée sur
le marché du travail par rapport à la sortie, la solution consistant à créer des fonds
de pension aujourd’hui semble arriver un peu tard. Il n’en demeure pas moins
qu’il est aujourd’hui indispensable de s’engager dans cette voie.
Confronté à cette situation, l’intermédiaire est là pour mettre en adéqua-
tion les choix des ménages, les besoins de l’économie et l’obligation de renta-
bilité qui lui incombe en matière de placements. Dans ce système, les pouvoirs
publics jouent également un rôle non négligeable. En effet, l’action du gou-
vernement influe sur l’orientation de l’épargne, notamment par le biais fisca-
lité qui détermine la rentabilité réelle des divers types de placements. Il faut aussi
compter avec l’action des régulateurs, dans la mesure où l’orientation de
l’épargne vers l’entreprise suppose pour les banques de reconsidérer la notion
de risque. C’est notamment le cas lorsque ce processus de transformation
aboutit à un investissement en fonds propres.
On en vient même, aujourd’hui, à considérer qu’il faut transférer le risque
vers les particuliers. Dans ce contexte, la difficulté que les banques doivent
résoudre, c’est de proposer aux épargnants des produits permettant d’orienter
leur épargne vers des placements en actions, tout en leur offrant une protec-
tion suffisante. Ces aspirations diverses traduisent le contrecoup psycholo-
gique du krach boursier de 2000-2003 : même si les épargnants ont accepté
l’éclatement de la bulle Internet, on observe chez eux une forme de désen-
chantement vis-à-vis de la bourse.
En conséquence, les intermédiaires financiers doivent répondre par une
inventivité accrue dans la conception de leurs produits. Un intermédiaire finan-
cier efficace doit en effet offrir un produit, qui limite au maximum la part de
risque inhérente à tout investissement, afin que l’allocation des actifs puisse se
faire ensuite sur les marchés financiers. Dans un tel système, l’intervention du
régulateur garantit en outre que cette transformation se fasse dans les meilleures
conditions.
Toutefois, beaucoup reste à faire dans les pays de la zone euro. Sur ce point,
une étude de Patrick Artus doit être mentionnée. Elle détaille le mal chronique
dont souffrent nos économies : l’épargne investie en actions par les Européens
est insuffisante pour que nous puissions définir nos propres règles. Si l’on n’y
prend pas garde, on verra dans les années à venir un décalage croissant entre
les besoins de l’économie réelle et la façon dont l’épargnant oriente ses place-
ments financiers.
206
VI.
Nourrir la planète
Jean-Paul Betbèze
208
L’équilibre alimentaire mondial
salinité, faible épaisseur des sols, érosion, capacité d’échange de cations). Elles
affectent trois quarts des terres disponibles, dont notamment l’érosion, la toxicité
due à l’aluminium, la faible profondeur des sols ou l’insuffisance de drainage
(autour de 15 % de la terre pour chacune). Les terres insuffisamment irriguées
occupent ainsi 45 % des terres et abritent 38 % de la population mondiale. Le
potentiel agricole est de l’ordre de 4 milliards d’hectares, dont 40 % seulement
sont cultivés. Mais le reste se trouve en forêt humide ou utilisé à d’autres usages.
Enfin, ce sont les pays les moins sujets à des contraintes agraires qui offrent la
plus forte activité agricole, notamment en blé, et qui sont les plus exportateurs.
Il ressort de ces travaux qu’il est indispensable de prendre des mesures desti-
nées à sauvegarder, au moins, la surface arable. Les experts notent ainsi que
209
VI. Nourrir la planète
nombre de pays où la terre disponible est la plus faible ont été affectées par des
guerres ou des tensions sociales.
210
L’équilibre alimentaire mondial
Cible 10 • Réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès de façon
durable à un approvisionnement en eau potable.
Cible 11 • Améliorer sensiblement la vie d’au moins 100 millions d’habitants de taudis,
d’ici à 2020.
8. Mettre en place un partenariat mondial pour le développement.
Cible 12 • Poursuivre la mise en place d’un système commercial et financier multila-
téral ouvert, fondé sur des règles, prévisible et non discriminatoire. Cela suppose un
engagement en faveur d’une bonne gouvernance, du développement et de la lutte
contre la pauvreté, aux niveaux tant national qu’international.
Cible 13 • S’attaquer aux besoins particuliers des pays les moins avancés. La réalisa-
tion de cet objectif suppose l’admission en franchise et hors contingents de leurs expor-
tations, l’application du programme renforcé d’allégement de la dette des pays
pauvres très endettés, l’annulation des dettes bilatérales envers les créanciers officiels,
et l’octroi d’une aide publique au développement plus généreuse aux pays qui démon-
trent leur volonté de lutter contre la pauvreté.
Cible 14 • Répondre aux besoins particuliers des États enclavés et des petits États insu-
laires en développement.
Cible 15 • Traiter globalement le problème de la dette des pays en développement
par des mesures d’ordre national et international propres à rendre leur endettement
viable à long terme.
Cible 16 • En coopération avec les pays en développement, créer des emplois décents
et productifs pour les jeunes.
Cible 17 • En coopération avec l’industrie pharmaceutique, rendre les médicaments
essentiels disponibles et abordables dans les pays en développement.
Cible 18 • En coopération avec le secteur privé, mettre les avantages des nouvelles tech-
nologies, en particulier des technologies de l’information et de la communication, à
la portée de tous.
211
VI. Nourrir la planète
212
L’équilibre alimentaire mondial
En résumé
• Nous ne sommes pas au-devant, mais dans une crise alimentaire mondiale.
Elle touche aujourd’hui les pays les plus faibles d’Afrique, elle se réduit dans les
pays d’Asie en croissance, elle va se développer avec l’évolution démographique
dans les années qui viennent.
• Comment nourrir les 3 milliards d’êtres humains qui vont naître dans les vingt
prochaines années, sur quelles terres, avec quels moyens techniques et financiers?
• Comment traiter les problèmes de l’Afrique, qui sont les plus aigus de tous,
avec leurs cortèges de violences et de tensions ethniques et religieuses?
• Comment enfin prendre en compte les pandémies cachées, qui peuvent naître
bientôt, et qui se développent dans les pays les plus pauvres, où leur éradication
est la moins facile?
213
VI. Nourrir la planète
214
L’équilibre alimentaire mondial
dans celles-là, ce qui est perdu dans une des parties du pays se trouve, jusqu’à un
certain point, compensé par ce qu’on gagne dans l’autre » poursuit ainsi le même
Adam Smith.
215
VI. Nourrir la planète
216
L’équilibre alimentaire mondial
des dépendances majeures entre certains pays vis-à-vis d’autres, avec les risques
qui vont avec. Ces risques sont évidemment géopolitiques (tensions diplomatiques,
risque de représailles, embargos partiels ou totaux, guerres…). Ils sont aussi tech-
niques, tant il paraît que la régulation économique par les prix butte à traiter les
spécificités agricoles.
Quand William Petty assure que « l’Angleterre aurait… avantage de jeter par-
dessus bord son agriculture, à ne se servir de ses terres que pour faire des jardins,
des vergers », son compatriote Jacob mesure le risque de dépendance qui en
résulte. Il pose le problème de l’autonomie politique en cas de tension. « Doit-
on renoncer à notre dignité simplement parce que l’on craint que ces pays
desquels on est dépendant pour notre nourriture risquent de nous réduire à la
famine, si nos revendiquons nos droits »? Quand Ricardo indique qu’il lui paraît
bon que le Portugal se spécialise dans le vin, alias un produit agricole, et
l’Angleterre dans le drap, alias un produit industriel, est-ce à dire que toute ce
qui est agricole doit basculer d’un côté (pour autant que l’avantage relatif
perdure bien sûr) et tout ce qui est industriel de l’autre? Des experts pourront
alors dire que ce choix est très partiel, car les conséquences stratégiques de la
maîtrise industrielle d’un côté ne sont pas pris en compte, non plus que ceux de
la dépendance agricole de l’autre. Certes, dans un monde pacifique, tout ceci est
envisageable. Certes, les liens d’échange réduisent les tensions, mais ils ne peuvent
les supprimer.
La question de l’échange agricole se complique encore, au-delà de ce que l’on
a pu noter sur les spécificités des produits agricoles quand il s’agit de comprendre
les comportements des agents en matière d’offre et de demande et de forma-
tion des prix. Elle va au delà même de cette imprévisibilité, puisqu’elle fonde l’éco-
nomie politique de l’échange agricole, avec ses greniers et ses protections, alias
ses politiques tarifaires. Mais la question se poursuit avec l’hétérogénité croissante
des produits agricoles en matière de qualité, dont la première est la sécurité. Il
ne s’agit pas seulement d’avoir des produits abondants à prix faibles, il faut
encore que les produits soient sûrs. Les blés doivent être bons, comme les riz ou
les viandes. Il n’y a plus d’échange si cette caractéristique est mise en doute. Il ne
reprend qu’après un temps de certitude et de vérifications, tandis que l’industrie
et la distribution font part de leurs spécifications. La pomme doit être bonne du
point de vue sanitaire, comme la viande ou le poisson, fraîche et calibrée du point
de vue de la chaîne de production-distribution.
C’est bien pourquoi la production agricole s’est de longue date organisée pour
mutualiser des investissements, notamment dans la production et dans la distri-
bution, et pour obtenir de meilleures conditions en matière de crédit ou d’assu-
rances. Les coopératives de production, de distribution, les banques et les
217
VI. Nourrir la planète
218
L’équilibre alimentaire mondial
On comprend assez vite que ces logiques ne peuvent continuer seules. En effet,
le couple développement interne des activités agricoles dans les grands pays
+ protections, affecte profondément les échanges mondiaux et la situation même
des agricultures dans les pays moins ou très peu développés. Les agricultures
vivrières sont menacées, alors qu’elles sont un important réservoir de main-
d’œuvre. Les populations vont alors trop rapidement dans les villes, où elles
trouvent seulement des conditions de vie dégradées.
Entre ces cas extrêmes, toute une variété de solutions est possible, sachant que
les gains de productivité continuent dans les agricultures les plus développées et
donc que les prix sont orientés à la baisse, a fortiori si les agricultures des pays
riches sont aidées. Ainsi, on pourrait considérer que la solution mécanique des
pays les plus exposés au risque alimentaire est d’importer davantage encore de
produits, avec les effets sur la populations agricole que cela implique. Autre
exemple des limites des approches mécaniques : réduire les soutiens à la production
dans les pays les plus avancés. Cela ne devrait pas nécessairement les empêcher
d’exporter, au prix d’une concentration des activités chez eux, notamment s’ils
sont relativement peu subventionnés, tandis que des possibilités considérables s’ou-
vrent alors aux pays émergents les plus avancés.
On voit donc pourquoi il s’agit dans ces domaines de politiques d’ensemble,
complexes et négociées.
En résumé
• L’agriculture traite d’un produit spécifique, car il est la combinaison de rela-
tions économiques spécifiques au prix (élasticités différentes côté offre et côté
demande) et de contraintes particulières au domaine agricole (incertitude sur
l’offre et temps de réaction des acteurs). Dans ce contexte, le marché ne converge
pas nécessairement vers une situation d’équilibre, c’est même plutôt le contraire.
• L’économie de l’agriculture est donc tributaire de cette logique chaotique.
Elle cherche la protection soit par le stock et le contrôle des échanges (le grenier)
soit au contraire par la diversification des sources d’approvisionnement, chacun
usant au mieux de ses capacités productives (le marché).
• Chacune de ses voies polaires a des effets pervers pour les pays moins déve-
loppés (crises interne des cultures vivrières), mais aussi pour celui qui la met en
œuvre (risque de rentes abusives).
• D’où l’idée que l’économie agricole est aussi politique, mettant en jeu les
équilibres sociaux des pays. Mais comme l’économie ne donne pas de solution
unique, c’est bien aux échanges et aux dialogues de jouer, c’est-à-dire aussi aux
stratégies et aux alliances.
219
VI. Nourrir la planète
CONCLUSION
L’économie ne peut seule résoudre les problèmes posés. C’est le domaine des
politiques, qui sont évidemment aidés par des modèles qui reprennent les données
économiques, les conditions techniques du secteur, ainsi que leurs propres idées
et, autant que possible, celles qu’ils se font des autres partenaires. C’est aussi le
domaine des nouvelles technologies. Par exemple, dans le domaine des biocar-
burants, on ne mesure pas encore les effets des choix actuels en faveur des pro-
ductions agricoles et leur effet sur les productions alimentaires. De manière plus
générale, les innovations technologiques, au sens large, peuvent peut-être nous
permettre de prendre de vitesse les questions posées par la démographie (qu’elle
soit asiatique ou africaine), et la croissance économique (avec les besoins des pays
émergents en produits animaux par exemple). Comment intégrer les ruptures tech-
nologiques dans les évolutions à moyen et long terme, quels sont les investisse-
ments à faire, avec leur accompagnement, pour permettre la naissance et la
diffusion de ces ruptures?
Les modèles agricoles sont des guides partiels pour les négociations, avec des
accords de plus en plus complexes faisant intervenir de plus en plus de partici-
pants. Les évolutions économiques sont évidemment puissantes dans la longue
période, en fonction des prix relatifs des facteurs et des gains mutuels à l’échange,
mais leur poids est souvent plus faible dans la courte. Les cheminements sont donc
particulièrement complexes à appréhender.
L’économie et l’économie politique de l’agriculture sont donc les deux com-
posantes des démarches à suivre. Il s’agit de connaître les enjeux économiques
du débat et le fonctionnement de chaque institution. Pour chacune, les règles sont
souvent assez claires, en fonction de sa propre feuille de route, c’est l’interdé-
pendance qui crée évidemment la difficulté, avec la capacité qu’auront certains
acteurs de mieux jouer que d’autres, c’est-à-dire de créer des coalitions gagnantes.
Mais n’oublions pas que le problème est ailleurs : c’est celui de la malnutrition
aujourd’hui, en attendant de nouveaux hommes sur cette planète.
220
Nouvelles raretés et nouvelles contraintes
Michel Griffon
Centre de coopération internationale en recherche
agronomique pour le développement
221
VI. Nourrir la planète
Pour faire face aux besoins alimentaires mondiaux, il n’y a pas que les pro-
ductions végétales qui occupent de l’espace; il y a aussi les productions animales,
le poulet, le porc, la viande bovine, etc., qui utilisent de très grandes surfaces agri-
coles pour produire les aliments (principalement maïs et soja) nécessaires pour
nourrir les animaux, avant que nous les consommions nous mêmes. Un accrois-
sement de la consommation humaine de viande a donc un rôle important d’ac-
célération des besoins en terre pour produire l’alimentation animale.
L’espace supplémentaire disponible d’ici à 2050 étant limité, il va donc
falloir accroître considérablement les rendements à l’hectare. Or depuis dix ans,
sont apparus des plafonnements de rendements, principalement dans le monde
tropical, qui connaît depuis trente ans ce qu’on appelle une révolution verte, c’est-
à-dire une technologie très productive fondée sur l’utilisation de semences
améliorées, de fortes doses d’engrais et de subventions à la production. Ce que
nous avons connu, ici en Europe, depuis une cinquantaine d’années.
Plafonnement des rendements, questions environnementales, rareté progres-
sive de l’eau, salinisation des sols due à l’utilisation répétée d’eau d’irrigation
un peu salée, utilisation d’engrais et de pesticides qui laissent des résidus, sont
autant de grandes difficultés pour cette agriculture intensive en intrants chi-
miques partout dans le monde.
Alors qu’il y a dix ans encore nous pensions qu’alimenter la planète n’était
pas un grand problème, nous percevons maintenant des limites. Il faut le dire
de façon claire, il sera impossible à l’horizon 2050, en utilisant tout l’espace dis-
ponible et toute l’eau disponible, y compris les capacités des barrages qui sont
prévus, à la fois de produire l’alimentation nécessaire pour la population
mondiale selon les hypothèses actuelles de croissance démographique, et de
produire les biocarburants liquides qui se substitueraient en totalité au pétrole.
En essayant de produire un maximum d’aliments et d’énergie à base de végétaux,
même selon des scénarios relativement réalistes, il sera difficile de produire à
haut rendement tout en protégeant l’environnement et surtout en conservant
au mieux la biodiversité. Il faudra donc faire des choix. Ils se feront sous
contrainte de rareté d’espace et de rareté d’eau, et sous contrainte de respect de
la biodiversité.
Ces choix pourraient être cependant facilités par une des conséquences de
ces raretés potentielles : l’augmentation des prix agricoles. On pourrait alors
assister à une inflexion de la tendance séculaire à la réduction des prix agricoles
et alimentaires, ce qui faciliterait sans doute l’accès à des technologies plus pro-
ductives.
Que faire, donc, pour aborder plus sereinement cette échéance de 2050?
Réduire la population, comme certains le proposent? Ce n’est plus possible car
222
De nouvelles raretés et de nouvelles contraintes
223
VI. Nourrir la planète
qui dépend de cette mutation. Après des millions d’années d’existence de nos
sols, nous allons les solliciter encore plus afin de produire pour nos besoins; et
nous nous rendons compte que l’on ne sait que peu de choses sur la manière
dont ils peuvent avoir une fertilité élevée et durable. Il y a sur la planète 2,5 mil-
liards d’agriculteurs qui manipulent quotidiennement le sol avec des tech-
niques qui, malheureusement, conduisent à leur dégradation. Et ce n’est pas le
moindre paradoxe que, parmi les 800 millions de personnes qui souffrent de la
faim, 600 millions sont des agriculteurs très pauvres dans les mains desquels se
joue en partie l’avenir des sols. La mutation technologique qu’il faudra donc
opérer devra donc intéresser particulièrement la grande masse des agriculteurs
pauvres, ce qui n’est pas sans poser des questions de politique économique par-
ticulièrement difficiles pour les inciter au changement.
224
Privilégier la biodiversité
Philippe Tillous-Borde
Lesieur
225
VI. Nourrir la planète
226
L’Occident doit modifier son comportement
Mamadou Cissokho
ASPRODEB
227
VI. Nourrir la planète
voitures américaines n’est pas pour aller loin ou pour aller vite. Le niveau de
vie est un niveau de vie qui n’est pas compatible avec le futur. Et si cela n’est
pas pris en compte, on pourra faire tous les exercices que l’on veut, l’agrono-
mie ne peut pas sortir des rendements pour le gaspillage. On peut faire des
travaux pour produire de la nourriture, pour produire du diesel, etc. C’est un
élément fondamental.
C’est pourquoi je voudrais rendre hommage à un Français qui a eu très tôt
raison. Paix à son âme, le professeur René Dumont, qui disait que l’Afrique est
mal partie. Et c’est vrai! Jusqu’à aujourd’hui, nous sommes dans ce blocage. Nous
sommes mal partis, parce que ce que tout le monde a fait, l’Afrique hésite ou
prend du temps à le faire. Ce qui a fait la promotion de l’agriculture en France,
ce n’est pas seulement le produit de la recherche, ce n’est pas seulement la liberté
du commerce, ce sont des politiques agricoles avec des soutiens publics! La spé-
cificité de l’agriculture ne peut être remise en cause. Personne ne peut imaginer
le développement agricole sans des politiques agricoles, sans l’implication de
la puissance publique, et donc sans le soutien financier. Le taux du crédit
agricole dans la région Afrique est de 20 %. En France, à 3,5 % on trouve que
c’est trop! Je pense donc que les politiques agricoles font que les pays émergents
aujourd’hui sont au niveau que nous connaissons.
La solution de l’alimentation ne peut pas se faire sans l’Afrique, parce que
l’Afrique a la terre, l’Afrique a l’eau, et l’Afrique a l’énergie impérissable, le soleil.
Il faut qu’on s’occupe du soleil! Le soleil est une source d’énergie qui n’a pas
de limites et qui peut régler des problèmes. Et là, le monde entier et les Africains
eux-mêmes doivent investir. Pourquoi beaucoup d’investisseurs mettent de
l’argent dans les OGM? Ils disent que c’est pour régler les problèmes d’avenir…
L’une des contraintes que nous avons, si nous demandons à l’agriculture, en plus
de nourrir les 9 milliards de personnes, de fournir de l’énergie pour ces 9 mil-
liards de personnes, je ne suis pas sûr que les disponibilités des ressources
puissent y faire face. On va faire un choix, on garde l’agriculture pour nourrir
les hommes et on va trouver d’autres solutions pour l’énergie. C’est du court
terme. Mais le long terme ne peut pas être la recherche de l’énergie dans l’agri-
culture.
Injustice économique
L’Occident doit prendre conscience que son attitude et ses comportements
vis-à-vis du bien-être condamnent le monde dans l’avenir, parce que les autres
régions sont en train de faire comme lui! L’Inde, la Chine, le Brésil, et un jour
l’Afrique le prennent pour modèle. Mais on ne peut pas avoir ce modèle pour
tous les pays du monde. Et on ne peut pas dire que certains pays ont le droit
228
L’Occident doit modifier son comportement
de vivre ainsi et les autres n’auront pas le droit de le faire. Je pense donc que le
comportement et les attitudes sont des éléments à prendre en compte.
L’Afrique a les réponses pour les questions de son alimentation. Rien qu’en
Afrique de l’Ouest, dont je suis ressortissant, il y a 500 millions d’hectares de
terres disponibles. Ce sont 15 pays avec 6 millions de km2. Nous en exploitons
actuellement 30 % et nous avons des problèmes pour nous nourrir. J’en viens
au deuxième problème : l’injustice économique qui est imposée à l’Afrique. On
n’en parle pas, on dit que l’Afrique est en retard et ne rattrape pas son retard.
Mais pendant ce temps, combien de choses sont exploitées de l’Afrique, sont
tirées de l’Afrique, sur lesquelles personne ne dit un mot? Ce sont des ques-
tions de fond. Je pense que le commerce est une guerre sans armes. Quand on
dit que le commerce peut amener la paix, en tout cas pour le moment, nous,
les Africains, nous ne voyons pas cela. Depuis la nuit des temps que nous
sommes dans le commerce mondial, nous nous appauvrissons, nous perdons nos
ressources… C’est un constat. Peut-être que cela va changer, mais la réalité
aujourd’hui c’est que le commerce ne nous enrichit pas, en tout cas avec le reste
du monde.
Autre élément important : à l’intérieur de notre continent, nous avons
négligé de créer les conditions du marché régional. Mais heureusement, depuis
quelque temps, il y a des changements importants ; et c’est sur cette note
d’espoir que je pense que nous allons pouvoir nous réveiller. Les solutions des
problèmes de l’Asie sont parties de l’Asie; celles de l’Afrique partiront de
l’Afrique. Et je crois que l’Occident a la double responsabilité d’accompagner
ces changements, et ne pourra le faire qu’en revenant sur ses propres attitudes
et ses propres comportements.
229
Rester optimiste et développer la recherche
Marion Guillou
INRA
Oui, il y a des raretés dans ce monde. Oui, il y a encore des difficultés d’accès
à la nourriture pour 800 millions d’habitants. Oui, il y a des manques d’eau. Oui,
la chimie verte à partir de l’agriculture occupera des terres cultivables. Oui, la
biodiversité diminue. Pourtant je voudrais mettre l’accent sur quelques éléments
permettant de conserver un certain optimisme sur « la capacité du monde à
nourrir le monde » dans les années à venir. Je rappelle qu’un grain de blé semé,
en 1800, donnait six grains de blé. Un grain de blé semé, aujourd’hui, donne
35 à 40 grains de blé. Cela donne une idée des évolutions rapides des techniques
agricoles. En sélectionnant des blés à tiges courtes, on produit moins de tige
et plus de grain. Plusieurs dizaines de pour cent de productivité sont venus de
ces changements techniques issus de la recherche comme de l’inventivité des
agriculteurs.
Deuxième élément, les équilibres généraux. Quand je regarde la biomasse
produite sur la terre, la photosynthèse n’a pas un très bon rendement, mais l’éner-
gie est tellement grande que même avec un rendement de 1 %, cela donne des
choses assez extraordinaires. Quelques chiffres. Chaque année, la production
végétale de biomasse est de 73 milliards de tonnes équivalent pétrole (TEP).
J’ai exprimé sa quantité par l’équivalent énergétique pour permettre d’évoquer
le potentiel énorme que cela représente. Les consommations humaines tout
compris – parce que la biomasse utilisée pour l’énergie, c’est assez ancien, la
biomasse matériau bois aussi, ou la biomasse utilisée pour l’alimentation – ce
sont 8,8 milliards de TEP, donc à peine plus du dixième de la biomasse produite
chaque année par la photosynthèse. Si j’essaie d’imaginer ce que seraient les
besoins alimentaires de 10 milliards de personnes, à 3000 kilocalories par jour,
230
Rester optimiste et développer la recherche
ce n’est pas déraisonnable, c’est moins que ce que nous mangeons mais c’est plus
que ce que d’autres mangent, cela produit des besoins de 1,1 milliard de TEP.
Actuellement l’agriculture doit produire 4,5 milliards de TEP. Ce sont des ordres
de grandeur qu’il faut avoir en tête quand on parle des limites physiques de pro-
duction sur la terre. Certes on est en limite physique sur certains facteurs, à
certains moment et dans certains lieux du monde, mais pour l’instant, cette
énorme machine à convertir l’énergie du soleil qu’est la photosynthèse produit
73 milliards de TEP par an sur la terre.
Il y a aussi les marges non exploitées dans tous les pays. Si on regarde glo-
balement le résultat des exploitations dans notre pays, on a presque 10 % de
marges non exploitées, des marges de progrès, à travers les pratiques des agri-
culteurs, du fait des superficies cultivables non cultivées. Chaque année, en France
et en Europe, on abandonne des surfaces cultivées. Environ 70000 hectares par
an sont regagnés par la forêt dans notre pays. Dans le monde aussi, on n’utilise
que 36 % de la superficie cultivable, siège de biodiversité, donc il reste des pos-
sibilités de mise en culture complémentaire. Alors grenier ou négoce. Et si on
réduisait les aléas? Et si on réduisait les risques? Les pertes par maladie? Les
pertes du fait de la précocité des cultures ou de la mauvaise adaptation à la saison
de plantation? Les pertes du fait des défauts de stockage? Si on réduisait la vul-
nérabilité aux conditions climatiques prévisibles? Si on utilisait des systèmes
de culture plus robustes dans leur ensemble?
Au-delà de ce dualisme économique, je dirais que pour nous agronomes, la
réduction des aléas, la réduction des pertes, qu’elles soient économiques, qu’elles
soient agronomiques, qu’elles soient sanitaires, créera sans doute un nouvel équi-
libre.
Mais les choses ne sont pas si simples, et on peut se demander si les raretés
ne sont pas différentes selon les échelles du regard.
– Au niveau mondial, les raretés, c’est la qualité de l’atmosphère, comment
préserver la qualité de l’air, comment éviter ces changements climatiques, ces
concentrations de gaz à effet de serre, comment utiliser au mieux l’eau, comment
utiliser au mieux les sols. La biodiversité diminue; comment faire en sorte de
stopper cette diminution rapide. Les états sanitaires inquiètent. On en entend
parler depuis peu, avec les crises qui concernent l’homme; mais il faut savoir
que les problèmes sanitaires aussi bien végétaux qu’animaux, et parfois les
zoonoses transmissibles à l’homme sont des problèmes majeurs, qui causent des
pertes majeures. Donc à l’échelle de la planète, problèmes sanitaires, problèmes
climatiques, problèmes des ressources naturelles.
– En Europe, les raretés ne sont sans doute pas les mêmes. Que ce soit dans
l’Europe géographique ou dans l’Europe économique, on a voulu se prémunir
231
VI. Nourrir la planète
232
Rester optimiste et développer la recherche
233
VI. Nourrir la planète
234
Le pouvoir d’achat plus rare que la production agricole
Carl Hausmann
Bunge
Pour commencer, quelques mots sur le travail que fait Bunge. Nous trans-
formons la production agricole en produits alimentaires et nous faisons ce
travail pour le négoce mondial. Dans un certain sens, notre travail est la gestion
de la rareté mais aussi de l’abondance des produits agricoles en utilisant l’ins-
trument du prix. Notre rôle est d’être intermédiaire entre les uns producteurs
et les autres consommateurs, intermédiaire entre les uns déficitaires et les autres
excédentaires. L’instrument du prix peut être un peu brutal mais il l’est rarement.
En effet, depuis 50 ans, le pourcentage de notre revenu utilisé pour l’alimen-
tation est en constant déclin ; cette manière d’être intermédiaire entre les
consommateurs et les producteurs est donc très positive.
Quand nous faisons notre travail, nous devons être réalistes et regarder le
monde tel qu’il est. Il y a trois façons de le regarder. Quand on regarde la densité
de la population, immédiatement, l’Inde et la Chine nous sautent aux yeux. Il
est très important pour nous d’imaginer le système logistique pour fournir ce
marché. Une autre manière de regarder le monde, c’est repérer où se trouve la
capacité de produire. Si on regarde où se trouvent les disponibilités d’eau, les dis-
ponibilités de terres cultivables mais non cultivées, c’est le Brésil qu’on voit en
premier. Il y a une énorme potentialité de continuer à fournir la demande de la
Chine et de l’Inde. La troisième manière de regarder le monde, c’est de regarder
le PIB de tous les pays. Mais en fait, on ne regarde qu’une petite partie du monde;
les États-Unis, le Japon, l’Europe de l’Est ont un grand pourcentage du PIB. La
rareté la plus importante que nous avons à gérer dans le monde, c’est le pouvoir
d’achat. Ce n’est pas la production alimentaire ou la production de produits agri-
coles, mais c’est donner la possibilité aux personnes d’avoir accès à cette production.
235
VI. Nourrir la planète
236
Le Brésil, ferme du monde
Elisio Contini
Ministère de l’agriculture (Brésil)
237
VI. Nourrir la planète
9,2 millions de tonnes. Nous avons pour les prochaines dix années une estimation
d’augmentation de 4,4 % par an de production de viande de bœuf. Notre révo-
lution a été la production de viande avicole, et nous sommes le premier expor-
tateur de soja, de viande de bœuf, de viande de volaille. L’agriculture brésilienne
est aussi en croissance importante à l’exportation. Aujourd’hui, nous avons un
surplus de 43 milliards de dollars.
Deux récoltes par an
Un dernier point sur les ressources naturelles. Comment augmenter la pro-
duction agricole et conserver les ressources naturelles? D’abord, nous avons tra-
vaillé avec des institutions françaises, comme l’INRA, le Cirad, sur la production
de technologies. Le second axe est l’augmentation de la production, avec deux
productions la même année sur la même surface cultivée. Par exemple planter
du soja en octobre, le récolter en janvier février et planter après maïs ou coton
et récolter en mars avril. Cette technologie est une révolution au Brésil; c’est
un point de compétitivité qu’il est difficile de gagner. Par ailleurs, il y a le semi
direct. Les systèmes cultivés en semi direct protègent aussi l’environnement et
permettent que la productivité et la conservation de l’eau soient aussi facilitées.
Pour conclure, quelles sont nos difficultés? La première, c’est d’améliorer
les infrastructures, la deuxième, c’est la solution des problèmes sanitaires pour
la production d’aliments et la troisième, c’est la libéralisation des marchés
internationaux.
238
VII.
Les ressources en eau
Olivier Pastré
On connaît les chiffres par cœur et, plus on les cite, plus ils se banalisent. Et,
malgré cela, plus il faut continuer à les citer :
• 1 milliard d’habitants de la planète n’ont pas accès à l’eau et 2,6 milliards
vivent sans système d’évacuation des eaux usées.
• 25000 êtres humains meurent chaque jour faute d’eau, dont la moitié sont
des enfants. Pasteur dénonçait le fait que « 90 % des maladies ont pour origine
des carences en matière d’eau ». Ce qui était vrai de son temps l’est plus encore
aujourd’hui.
Pour faire simple, on peut dire, comme le fait Loïc Fauchon, Président du
Congrès Mondial de l’Eau, que l’absence d’eau tue dix fois plus que les guerres.
Et le futur est encore plus inquiétant que le passé et le présent. Les chiffres,
là aussi, parlent d’eux-mêmes. Les réserves mondiales par habitant sont passées
de 16800 m3 en 1950 à 7300 m3 en 2000 et atteindront probablement 4800 m3
en 2025. C’est-à-dire demain.
Il faut avoir le courage de dire que les objectifs dits « du Millénaire », parais-
sent aussi hypocrites, si ce n’est plus, que ceux qui visent à éradiquer le Sida en
Afrique d’ici 2010 : réduire de moitié, d’ici 2030, le nombre d’êtres humains sans
accès à l’eau, cela revient à raccorder chaque jour 260000 personnes de plus au
réseau d’eau potable et 370000 à l’assainissement… Et cela dans un contexte d’ur-
banisation galopante qui complexifie chaque année davantage la gestion de ce
type de problèmes : alors qu’il n’y avait que trois villes de plus de 10 millions d’ha-
bitants en 1950, il y en a 21 aujourd’hui et il y en aura 50 en 2025, dont 45 dans
les pays en voie de développement.
240
La rareté des tuyaux
Pour autant, cela n’a aucun sens de faire dans le catastrophisme et, pire, dans
le déclinisme planétaire, car de nombreux progrès ont, au cours des dernières
années, été réalisés. Les investissements consentis chaque année pour améliorer
le système d’accès à l’eau atteignent ainsi aujourd’hui 15 milliards de dollars. Cela
est nécessaire mais cela ne suffit pas.
À partir de là, il reste, c’est le moins que l’on puisse faire (et ce n’est pas pour
autant le plus simple) à construire l’avenir. Et, dans ce domaine, il est deux tâches
à accomplir : d’une part, tourner le dos aux fausses solutions et, d’autre part, poser
les vrais problèmes.
Commençons par éluder les fausses solutions.
241
VII. Les ressources en eau
3. Quelles ques soient les vertus des campagnes écologistes du type de celle
menée par Nicolas Hulot, le problème principal n’est pas celui du gaspillage de
l’eau par les consommateurs des pays développés. Les deux principaux problèmes
sont celui de l’agriculture et celui du non-traitement des eaux usées. Concernant
l’agriculture :
• 73 % de l’utilisation de l’eau douce est assurée par l’agriculture (contre 21 %
pour l’industrie et 6 % pour les usages domestiques).
• Il faut 4500 litres d’eau pour produire un kilogramme de riz.
• 40 % de l’alimentation mondiale est produite par un système d’agriculture
irriguée. Or 20 à 60 % de l’eau prélevée par ces systèmes s’évapore pendant l’opé-
ration
Concernant le non-traitement des eaux usées, rappelons que, dans les pays en
développement, 40 à 60 % de l’eau est perdue en raison d’infrastructures
défaillantes.
4. Sur le fond, l’un des problèmes majeurs reste celui de l’inégalité d’accès à
l’eau. Inégalités entre pays, inégalités entre régions, voire même, comme à
Mexico, ville de 21 millions d’habitants, où s’est tenu en mars 2006 le 4e Forum
Mondial de l’Eau, inégalités entre quartiers. Quelques chiffres concernant ces
inégalités :
• 82 % de la population d’Afrique a des difficultés d’approvisionnement
d’eau contre 35 % des Américains.
• La consommation quotidienne d’eau à usage domestique est de 300 à 600
litres en Europe contre 10 à 40 en Afrique.
Là aussi, on pourrait multiplier les exemples. Mais le problème reste, non pas
la dénonciation des problèmes mais plutôt l’émergence de solutions.
Voilà pour le diagnostic et pour l’élimination de « fausses pistes » en matière
de réformes.
242
La rareté des tuyaux
243
Inscrire le droit à l’eau dans toutes les constitutions
Loïc Fauchon
Conseil Mondial de l’Eau
244
Inscrire le droit à l’eau dans toutes les constitutions
245
VII. Les ressources en eau
246
Inscrire le droit à l’eau dans toutes les constitutions
des solutions locales, elles s’appellent recharger des nappes partout où cela est
possible. De telle sorte, que nous nous rassemblions sur un principe auquel,
j’espère, tout le monde adhère, c’est que l’homme redevienne enfin l’ami de
l’eau.
247
Des problèmes sanitaires basiques
Philippe Kourilsky
Professeur au Collège de France
Quelques mots sur les aspects sanitaires, qui me sont plus familiers. Ils sont
radicalement différents dans les pays développés et les pays en développement.
Au Nord, nous pouvons anticiper une amélioration de la qualité, ne serait-
ce que parce que les techniques analytiques se développent à une vitesse
incroyable. Incidemment, ce développement a été stimulé par les événements
du 11 septembre. Le bio-terrorisme, notamment les enveloppes contenant de
l’anthrax, a incité des investissements de recherche considérables. On en verra
très bientôt les répercussions sur le plan analytique. De la même manière, les
techniques biologiques, par exemple en matière de génétique, sont aujourd’hui
très sophistiquées. Et ce n’est pas fini : certains de nos collègues nous annon-
cent que dans dix ans, on séquencera l’ensemble du génome humain pour
500 dollars en quelques jours. Nous pouvons observer ces capacités d’analyse
génétique dans un début de révolution de l’écologie scientifique, puisqu’on
commence à analyser des mélanges d’espèces par le séquençage à très haut débit.
La qualité de l’eau va donc augmenter dans les pays développés, mais il reste
des problèmes, si j’ose dire, éternels. Le premier est celui des normes. L’histoire
des normes, du plomb dans l’eau, en France et en Europe, est bien connue. Leur
renforcement, dont les conséquences économiques n’ont pas été analysées avec
précision, peut coûter des milliards d’Euros pour un bénéfice de santé qui n’est
pas prouvé et reste certainement inférieur à d’autres. On voit bien que dans ce
domaine comme dans d’autres, il arrive que l’on gère l’image du risque plutôt
que le risque lui-même. C’est l’un des problèmes posés par le principe de pré-
caution. Le deuxième problème, c’est qu’à mesure que cette eau va s’améliorer,
248
Des problèmes sanitaires basiques
il faudra un de ces jours arrêter d’arroser son jardin avec de l’eau minérale, parce
que ce n’est vraiment pas très rationnel.
Mais ce sont des épiphénomènes. Les véritables problèmes, bien entendu,
se trouvent au Sud. On peut résumer la situation en disant que les problèmes
sanitaires sont totalement basiques; ils sont exactement ceux que l’on connais-
sait au XIXe siècle en France et en Europe. On peut rappeler la phrase célèbre
de Louis Pasteur : « Le vin est la plus saine des boissons. » C’est que l’eau, effec-
tivement, était malsaine à l’époque. Je citerai une autre phrase qui a été pro-
noncée non par Pasteur, mais par l’un de ses collègues et que je trouve encore
plus belle : « Le vin est le lait des vieillards. » En matière de microbiologique,
le problème est extrêmement simple : il faut séparer l’oral du fécal. Séparer les
réseaux d’assainissement des réseaux d’eau potable. Les études historiques
faites dans des villes comme Paris et Londres montrent des corrélations spec-
taculaires en ce sens. Les maladies entériques, les diarrhées, salmonelloses, shi-
gellose, rotavirus, etc. font aujourd’hui plusieurs millions de morts par an, dont
évidemment beaucoup d’enfants. L’histoire nous apprend que l’hygiène est au
moins aussi importante que la vaccination. La vaccination complète l’hygiène
mais ne peut la précéder.
La situation est absolument dramatique dans un certain nombre de pays ou
de villes, avec des facteurs de risques et d’aggravation très importants. L’instabilité
politique, les guerres, sont génératrices de déplacements de population qui
provoquent des conditions absolument inacceptables et désastreuses en matière
d’accès à l’eau. On prévoit bien sûr que le réchauffement climatique va accroître
les difficultés dans certaines régions du monde. On a calculé qu’il y aura
150 millions de personnes déplacées dans les 50 ans qui viennent. Aux défauts
de gouvernance, j’ajouterai le risque que constitue à mes yeux l’exportation des
normes occidentales. On a vu les dégâts que cela peut faire dans le domaine de
la santé notamment, si les pays en développement acceptent et se dotent de règles
qui sont supérieures à leurs capacités. Ceci étant, il ne faut pas trop « bricoler ».
Des solutions trop hâtives ou imparfaites peuvent avoir un impact inverse à celui
attendu. En Asie du Sud-est, par exemple, on récolte des eaux de pluie dans
des containers qui s’avèrent constituer de très bons réservoirs à moustiques, qui
propagent la malaria.
Popper et Kant
Pour finir, j’aimerais interpeller les économistes et ce de deux manières.
N’étant pas économiste, j’écoute avec intérêt l’appel un peu incantatoire à la
théorie économique « standard ». Pour moi qui œuvre dans les sciences expé-
rimentales, quand on parle théorie, cela évoque Karl Popper, selon lequel il n’y
249
VII. Les ressources en eau
a pas de bonne théorie scientifique qui ne soit falsifiable. Cette posture est
endossée par la plupart de mes collègues. Un des résultats spectaculaires de cette
théorie a été de falsifier la psychanalyse, au motif qu’elle était, justement, infal-
sifiable. Je me demande dans quelle mesure cette approche popperienne s’ap-
plique à la théorie économique. Une deuxième interpellation de la théorie
économique découle de la confrontation de toute théorie à certaines catégories
de faits. Dans le domaine de la santé, par exemple, il règne un véritable déses-
poir dans certaines sphères, quand on voit qu’en matière de vaccination, avec
seulement 20 % de ce qui a été dépensé en Irak, on vaccinerait la moitié des
enfants du monde. On parle beaucoup mais on agit moins. J’évoquerai un
autre philosophe, de plus en plus souvent cité par un certain nombre de col-
lègues désespérés, c’est Kant, au titre de l’impératif catégorique. Faute de
mieux, on dit « il faudrait absolument que… » et je me demande dans quelle
mesure, la théorie économique devrait absolument s’adapter à un certain nombre
des réalités de ce monde.
250
Le pouvoir public, l’opérateur et le financier
Henri Proglio
Veolia Environnement
251
VII. Les ressources en eau
252
Le pouvoir public, l’opérateur et le financier
253
VIII.
Les ressources en capital humain
Jean-Pierre Boisivon
256
Ressources humaines : un bond qualitatif dans les pays émergents
257
VIII. Les ressources en capital humain
258
Des cerveaux ou des machines?
Jean Pisani-Ferry
Depuis l’irruption des « dragons » asiatiques dans les années soixante-dix, les
sociétés européennes ont progressivement admis que l’industrie des pays riches
ne pouvait pas concurrencer celle des pays à bas salaires dans les secteurs inten-
sément utilisateurs de travail faiblement qualifié. La fermeture d’une usine de
confection ou de petite mécanique dans une sous-préfecture continue d’être
perçue comme un drame économique et social, mais ni l’opinion ni les dirigeants
politiques ne croient sérieusement à la possibilité de maintenir durablement de
telles activités en France.
En revanche, il a été longtemps tenu pour acquis, non seulement que les acti-
vités à forte intensité en travail qualifié étaient préservées de cette concurrence,
mais que la mondialisation allait leur bénéficier en raison d’une spécialisation crois-
sante des pays développés dans les productions à haute valeur ajoutée. Ces pays
sont en effet mieux dotés en capital humain, et l’accroissement programmé de
leur investissement éducatif semblait devoir leur garantir un renforcement de cet
avantage comparatif. Sous cet angle, le problème posé par la mondialisation des
échanges était finalement assez simple : la théorie du commerce international
enseigne que l’économie dans son ensemble et le travail qualifié gagnent à
l’échange, mais que le travail non qualifié perd. Transitoirement, la responsabi-
lité publique est de redistribuer une partie des gains de l’échange pour indem-
niser ce dernier. Durablement, elle est de stimuler l’accumulation de capital
humain.
Cette représentation rassurante est aujourd’hui contestée. Si les États-Unis
emploient toujours un tiers des chercheurs en science et engineering du monde,
effectuent 35 % des publications et comptent pour 44 % des citations, la carte a
commencé à changer. Informaticiens indiens, physiciens russes, ingénieurs chinois…
259
VIII. Les ressources en capital humain
c’est là même où elles se croyaient hors d’atteinte que les économies des pays déve-
loppés sont aujourd’hui concurrencées. Toujours plus nombreuses sont les entre-
prises qui vantent les qualités de la main d’œuvre qualifiée des pays émergents
et qui annoncent leur intention d’y délocaliser des activités à haute valeur ajoutée.
Thomas Friedman (2005) a popularisé cette image d’un monde plat où se délo-
calisent les métiers qui étaient jadis l’apanage des pays riches. De manière plus
méthodique, le McKinsey Global Institute (2005) a recensé l’offre de travail
qualifié dans les pays émergents. Il prévoit que même si l’on se restreint aux per-
sonnes satisfaisant aux critères d’emploi des multinationales (langue, compé-
tences, localisation), les pays émergents compteront dès 2008 autant de jeunes
ingénieurs que les pays industriels, et davantage de comptables. Freeman prévoit
que l’accumulation de capital humain dans les pays émergents est porteuse d’un
bouleversement des avantages comparatifs et des structures d’échange.
Cependant les chiffres et les comptes peuvent être trompeurs. Loin d’être le
signe du développement, un excès d’offre de travail qualifié peut être le symptôme
du sous-développement. Que tel pays du Sahel exporte ses médecins ne veut pas
dire qu’il ait formé des praticiens en masse, mais simplement que la pénurie de
ressources publiques, le manque d’équipements ou la décrépitude du système de
santé (probablement les trois) ne lui permettent pas d’employer des ressources
en capital humain pourtant limitées. Mutatis mutandis, le raisonnement peut être
transposé aux pays émergents : il se pourrait que l’abondance de capital humain
sous-employé n’y soit que temporaire ou ponctuelle.
Pour examiner cette question, cette note propose un survol quantitatif de la
question à partir des sources internationales disponibles. J’examine dans un
premier temps ce qu’apportent les statistiques comparatives sur l’éducation et
l’image qu’elles donnent de la répartition du capital humain dans le monde; puis
j’effectue le même exercice pour le stock de capital physique; cela permet d’ana-
lyser la dotation relative en capital humain et capital physique de quelques pays
et régions et d’évaluer la situation des pays européens.
260
Des cerveaux ou des machines ?
261
VIII. Les ressources en capital humain
d’interviews avec des DRH de multinationales, mais il s’agit d’un indicateur impar-
fait, qui prend par exemple en compte la maîtrise de l’anglais ou la proximité cul-
turelle. Une correction serait sans doute à l’avantage des pays développés.
Prenons maintenant pour mesure du capital humain le nombre des personnes
de plus de 25 ans qui ont eu accès à l’enseignement supérieur. Il est alors possible
de donner une répartition de ce capital entre les grandes régions du monde. Le
contraste est saisissant entre les États-Unis, qui concentrent 27,5 % du capital
humain, et l’UE-25, qui n’en réunit que 16 %, pour une population de moitié plus
élevée. C’est la conséquence du retard prononcé des Européens dans la généra-
lisation de l’enseignement secondaire et l’ouverture de l’accès à l’enseignement
supérieur : en 1970 encore, un tiers des étudiants du monde se situaient aux États-
Unis. Il est frappant aussi d’observer qu’avec un cinquième du capital humain
mondial (21,1 % exactement) Brésil, Inde, Chine et Russie (les BRICs) pèsent
davantage que l’UE.
Si l’on raisonne en flux et non en stock, l’image se transforme radicalement.
En 2004, l’UE-15 comptait 13,7 millions d’étudiants et les États-Unis 16,6 (soit
environ 30 millions au total), et l’on en dénombrait plus de 40 millions dans les
dix pays émergents les plus peuplés. Quantitativement au moins, l’UE a comblé
une partie de son retard par rapport aux États-Unis (mais pas la totalité : le taux
d’accès à l’enseignement supérieur est de plus de 80 % aux États-Unis contre moins
de 60 % dans l’UE), mais l’effort en son sein est inégal, et surtout les pays émer-
gents rattrapent encore plus rapidement les pays développés. Un tiers des étu-
diants du monde appartiennent aujourd’hui aux BRICs. L’évolution est
particulièrement nette dans les disciplines scientifiques.
262
Des cerveaux ou des machines ?
263
VIII. Les ressources en capital humain
264
La professionnalisation de l’enseignement supérieur,
une solution à la rareté des ressources en personnel
qualifié?
Élie Cohen
265
VIII. Les ressources en capital humain
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La professionnalisation de l’enseignement supérieur, une solution à la rareté des ressources en personnel qualifié?
267
VIII. Les ressources en capital humain
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La professionnalisation de l’enseignement supérieur, une solution à la rareté des ressources en personnel qualifié?
269
VIII. Les ressources en capital humain
tifs inscrits et aux diplômes délivrés en spécifiant ces indications par type d’éta-
blissement, par discipline de rattachement et par nature des programmes. En l’ab-
sence d’indications aussi précises, le tableau ci-dessous fournit des données
indications approximatives qui font apparaître des données relatives aux effec-
tifs et aux établissements de rattachement. Malgré la restriction du champ, ces
données montrent que les étudiants inscrits dans des filières professionnalisantes
représentent plus du tiers des inscrits, compte non tenu des filières profession-
nalisantes proposées par les universités dans l’ensemble des disciplines. Une esti-
mation relative à ces filières non représentées dans le tableau ci-dessous conduit
à évaluer à près de 50 % la part des effectifs inscrits dans des filières à orienta-
tion professionnelle nettement marquées.
270
La professionnalisation de l’enseignement supérieur, une solution à la rareté des ressources en personnel qualifié?
Dès lors, il apparaît clairement que le chantier à ouvrir ne porte pas sur la
création ex nihilo d’une nouvelle culture de la professionnalisation. Il devrait porter
sur la capitalisation et l’extension d’une culture de la professionnalisation des
études supérieures qui a largement progressé au cours des dernières décennies,
au-delà de ses points d’appui traditionnels dans les grandes écoles ou dans les for-
mations médicales et juridiques. Les solutions nouvelles à imaginer doivent donc
s’appuyer sur cette expérience acquise en évitant de la dilapider ou de déstabi-
liser des expériences qui marchent.
271
VIII. Les ressources en capital humain
composantes sont réunies. Elle suppose donc à la fois une forte mobilisation des
équipes pédagogiques, un véritable espace d’autonomie, une marge d’adapta-
tion locale des programmes ou des formules pédagogiques et une grande clarté
dans le partage des responsabilités.
272
La professionnalisation de l’enseignement supérieur, une solution à la rareté des ressources en personnel qualifié?
l’inverse, des étudiants qui choisissent une formation générale ne peuvent que
bénéficier d’une exposition, même limitée, à la logique de la formation profes-
sionnalisée.
S’il faut opter avec détermination pour un développement de la profession-
nalisation, il faut aussi réaliser qu’elle ne permettra pas de faire l’économie de
la consolidation et d’une rénovation en profondeur des enseignements généraux
qui demeurent une composante indispensable de tout système et même de tout
programme d’enseignement supérieur.
273
Pas de pénurie mais des frictions entre l’offre
et la demande de talents
Éric Labaye
McKinsey
274
Pas de pénurie mais des frictions entre l’offre et la demande de talents
275
VIII. Les ressources en capital humain
et les moins « banalisées », qui leur permettront de maintenir sur le sol national
une part importante de la création de valeur. Il leur faut également focaliser les
ressources rares sur de petites zones géographiques sur le modèle de clusters sem-
blables à la Silicon Valley pour bâtir une compétitivité internationale. C’est tout
le principe des « pôles de compétitivité ».
276
Une recette : accompagner les cadres
Pierre Pringuet
Pernod-Ricard
277
VIII. Les ressources en capital humain
278
Une recette : accompagner les cadres
ment des universités fait par l’université de Shanghai qui positionne la première
université française au niveau 46. Même si ce classement n’est pas très bien fait,
les Chinois le reconnaissent eux-mêmes, le seul fait qu’il existe montre que la
France n’apparaît pas comme un pays de haut niveau, au moins aux yeux des
Chinois, qui sont quand même 1,2 milliard.
En deux mots, au niveau d’une entreprise, les ingrédients sont très simples :
il faut de l’ambition, des activités et un pilier humain robuste ; celui-là se
construit sur la durée, avec une vision de long terme, en accompagnant ses cadres
dans toute leur carrière. Je ne sais pas si c’est une ressource rare, en tout cas elle
est précieuse.
279
L’importance accrue de l’Éducation
Barbara Ischinger
OCDE
280
L’importance accrue de l’Éducation
dans la zone OCDE, en 2003, 3,6 millions d’enfants de 15 ans ont de fait eu
des résultats de niveau 1 ou inférieur.
Les questionnaires contextuels de PISA sont très élaborés. Ils contiennent
des éléments concernant les enseignants, les élèves mais aussi l’intégration des
enfants d’immigrés. Nous venons de publier un rapport sur les performances
des élèves de 15 ans étrangers et de première génération d’immigrés : leur moti-
vation est généralement élevée même si leurs performances sont dans plusieurs
pays bien insuffisantes.
Ces enquêtes ont confirmé le rôle primordial des enseignants. Nous sommes
donc en train de monter une nouvelle enquête du nom de TALIS sur cette
question. Vingt pays participent à ce travail qui consiste à collecter des données,
développer des analyses et ensuite, comme pour PISA, des recommandations.
Malheureusement, des pays comme l’Allemagne ou la France ne sont pas
encore inclus bien que les gouvernements se rendent compte qu’ils doivent faire
plus d’efforts dans ce domaine et changer aussi leur politique d’éducation.
Un autre signe de l’importance accrue de l’éducation est la réunion des
ministres de l’éducation du G8 qui a eu lieu les 1er et 2 juin à Moscou et qui a
conduit à une déclaration qui a été prise en compte dans la réunion des chefs
d’État du G8 à Saint-Pétersbourg. Nous sommes très satisfaits que des pays
comme le Brésil, la Chine et l’Afrique du Sud aient participé au G8 des
ministres de l’éducation.
Accroître le bénéfice économique et social du capital humain ainsi que la
gestion des ressources humaines sont des grands défis que certains pays ont su
parfaitement relever. La Corée, par exemple, a des résultats formidables qu’illustre
sa capacité à s’améliorer rapidement. Il y a seulement deux générations, ce pays
avait les standards de vie de l’Afghanistan d’aujourd’hui et se trouvait au niveau
le plus bas des pays de l’OCDE dans le domaine de l’éducation. Aujourd’hui,
97 % des Coréens du Sud de 25 à 34 ans ont accès à l’éducation secondaire du
second degré, soit le taux le plus élevé dans les pays de l’OCDE et la Corée peut
être comparée aux pays les plus performants du monde. Le facteur qui a aidé
la Corée à faire mieux que les autres pays est que la société coréenne n’a jamais
toléré les barrières de systèmes et de structures qui entravent l’enseignement et
renforcent les inégalités dans plusieurs pays.
En ce qui concerne l’enseignement supérieur, les ministres de l’éducation
des États membres de l’OCDE nous ont mandatés pour développer des
méthodes et des indicateurs qui mesurent mieux les performances de l’ensei-
gnement supérieur. De son côté, même s’il y a de très bonnes universités aux
États-Unis, il y en a d’autres, et le ministre de l’éducation aux États-Unis,
Margaret Spelling, a créé une commission pour l’éducation supérieure afin de
281
VIII. Les ressources en capital humain
282
Améliorer la qualité de l’enseignement supérieur
Martin Carnoy
Université de Stanford
283
VIII. Les ressources en capital humain
De même que la capacité de produire une haute valeur ajoutée dans les insti-
tutions tertiaires a aussi un taux de rendement très élevé.
Les très hauts salaires, payés pour certains types de travail et pour les
diplômes des meilleures universités, peuvent refléter le rendement croissant dans
la nouvelle économie de la créativité, de l’innovation et de la capacité à résoudre
les problèmes. Dans ce cas, une bonne stratégie pour augmenter la croissance
économique serait d’investir dans l’amélioration de la qualité de l’enseignement
supérieur.
Mais comment améliorer la qualité de l’enseignement supérieur? C’est le
grand problème. Beaucoup d’études ont été faites pour analyser ce problème,
pas au niveau de l’université, mais au niveau de l’école secondaire. Les résul-
tats de ces études indiquent que l’amélioration de la qualité de l’éducation secon-
daire n’est pas facile. On peut imaginer que si l’école secondaire est difficile,
l’enseignement supérieur est encore plus difficile.
Quelles sont les leçons à tirer? On sait par exemple que la qualité des pro-
fesseurs est très importante pour la qualité de l’enseignement. C’est logique, mais
la Banque mondiale, par exemple, a évité ce point pendant 30 ans, en disant
« les livres, les cahiers, etc., mais pas les enseignants ». Maintenant ils ont
changé d’avis. C’est intéressant aussi de constater que la présence régulière du
professeur au cours et de l’étudiant au cours du professeur augmente la qualité
de l’enseignement. Il a fallu 30 ans de recherche pour le découvrir!
Chaque pays a ses institutions de meilleure qualité qui attirent les meilleurs
étudiants. Mais souvent, ces institutions mêmes produisent une minorité de
diplômés avec les connaissances nécessaires pour innover dans l’économie de
l’information. Comment améliorer la qualité de ces meilleures institutions
quand elles sont définies par les standards nationaux souvent bas ? Dans
beaucoup de pays, les standards sont très bas. Le marché mondial crée de plus
en plus de pressions sur les facultés et les universités pour qu’elles se spéciali-
sent dans les connaissances, mais en même temps, il est très important de
savoir quels sont les liens entre les domaines, et cela complique la vie des uni-
versités : faut-il choisir entre produire les spécialistes ou produire des philosophes?
Imposer un contrôle de comptabilité
Le système universitaire dans beaucoup de pays incorpore une haute pro-
portion de jeunes. Ceci a été obtenu par une stratification forte du système où
la plupart des jeunes suivent des cours dans des institutions de qualité très faible.
Le système est organisé autour de cette stratification. En effet, le système
suppose que la qualité de l’institution sera définie par la qualité de l’étudiant,
non par la qualité de l’institution.
284
Améliorer la qualité de l’enseignement supérieur
285
Le XXIe siècle sera celui du capital humain
Philippe Wahl
Groupe Bolloré
286
Le xxie siècle sera celui du capital humain
287
VIII. Les ressources en capital humain
années à venir. Il mériterait de devenir une cause nationale et une cause euro-
péenne. D’abord notre compétitivité est en cause. Ce que montrent les classe-
ments de Shanghai, du Financial Times, du Times, c’est que les États-Unis
dominent complètement le secteur de production de la connaissance et donc
ce n’est pas un hasard s’ils sont capables de produire les plus grandes innova-
tions et les entreprises les plus innovatrices de ce secteur de la connaissance :
Microsoft, Google, eBay, Amazon, j’en passe et des meilleures peut-être. Et ce
ranking se dégrade plutôt en défaveur de l’Europe, il faut donc investir et tra-
vailler là-dessus.
Il y a trois moyens pour défendre cette compétitivité de l’enseignement supé-
rieur européen et français. Le premier c’est l’analyse économique, et là, je
voudrais lancer un appel au Cercle des économistes pour qu’ils surinvestissent
le secteur de l’économie de la connaissance. Il ne faut plus avoir peur de parler
du taux de rendement de l’investissement dans l’université, de l’efficacité mar-
ginale de l’université, du coût marginal des enseignements. Et il n’est d’ailleurs
pas impossible que la fonction de qualité de la ressource humaine soit une
fonction croissante de la quantité de travail investi. Et donc il faut analyser éco-
nomiquement le secteur productif. Deuxième moyen, et c’est à d’autres de les
élaborer, il faut des politiques publiques. Et enfin, cela devient l’affaire de la
société toute entière, des entreprises et de la société civile. Le XXIe siècle sera
celui du capital humain.
288
Impliquer les entreprises dans la formation
Jean-Louis Reiffers
Université de la Méditerranée
289
VIII. Les ressources en capital humain
pour ne pas être embêtés quand ils se bagarrent dans la cour. On les met dans
des conditions de travail et de contrôle insupportables. Il n’y a pas de pions, il
n’y a pas de surveillants, il n’y a pas de discipline, l’absentéisme est considérable…
Nous voyons arriver à 18 ans des gamins et des jeunes filles qui ne savent plus
tenir un crayon. Les taux de chômage ne sont pas de 40 %, ils sont de 70 %. Si
on s’en occupe sur des bases pédagogiques nouvelles, on arrive à des taux d’in-
sertion de 60 %. Donc il y a une flexibilité interne au système de la production
de ressource humaine qu’il faut absolument développer.
Des idées simples
Les idées sont simples. Il faut que les instituts de formation accueillent les
entreprises; nous, nous avons un pôle d’entreprises qui offre immédiatement
des jobs après des stages et une formation de base. Il me suffit d’envoyer quel-
qu’un voir une entreprise et de dire : « Ne me dites pas que, sur la base d’un
contrat aidé, avec les frais de déplacement et les frais de représentation que vous
avez, vous n’avez pas l’argent pour en prendre un pendant un an et voir ce que
cela donne? » On arrive même à en placer à Eurocopter.
Dans les instituts de formation, les professeurs ont un plein temps.
L’enseignement est extrêmement féminisé, mais il est protégé. À côté de la dame
qui fait cours, si elle est insultée, il y a immédiatement un surveillant qui inter-
vient : on ne la laisse pas se débrouiller avec des jeunes gens aussi difficiles.
Dernier point, on ne donne plus de diplôme. La pédagogie n’est plus une
pédagogie de tri, alors qu’à l’université, on fonctionne sur le mode napoléonien :
notre problème, c’est de trier. On prend des élèves, on les trie sur la base de culture
française, qui développe l’esprit critique, ce qui est une bonne chose, mais
moins le professionnalisme, ce qui est une moins bonne chose. Or, il faut un
socle de base. Nous avons fait un socle de base que nous avons recommandé à
Bruxelles. Il s’agit de calcul, de proportions, ce n’est donc pas la trigonométrie,
c’est de l’informatique, c’est de l’anglais, et c’est la langue nationale, évidem-
ment le français. Plus question de tri. Il faut absolument valoriser la compé-
tence, changer de pédagogie, mettre des systèmes de progression générale et cette
flexibilité-là évitera des doses de flexibilité plus fortes sur le marché du travail.
Enfin je reviens à l’université. Cette expérience-là a conduit mon président
d’université à me dire : « Fais-le sur le DEUG. » Les universités « gaspillent »
700000 personnes par an. Le taux de réussite d’un DEUG est autour de 30 %
Aujourd’hui toutes les grandes entreprises recrutent à bac + 2. Avant elles
recrutaient au bac. Sans le DEUG, on est dans la situation des exclus.
Je pense que dans la compétitivité internationale, il est extrêmement impor-
tant de jouer non seulement l’ingénieur de pointe qui va parler trois langues,
290
Impliquer les entreprises dans la formation
291
L’énergie humaine renouvelable
Philippe Lemoine
LaSer
292
L’énergie humaine renouvelable
293
VIII. Les ressources en capital humain
294
IX.
La mondialisation,
obstacle au développement durable ?
Lionel Fontagné
Trois faits majeurs affectent aujourd’hui les stratégies d’entreprise et les poli-
tiques économiques.
– La mondialisation met en concurrence les économies : ceci signifie mise en
concurrence des forces de travail, des modèles sociaux, des systèmes d’innovation,
des réglementations et politiques publiques.
– L’émergence de nouveaux compétiteurs bouleverse la géographie de la
croissance mondiale, et donc aussi la localisation des activités.
– Enfin la mondialisation comme l’émergence font peser une pression crois-
sante sur l’environnement.
Ainsi, les conséquences de la mondialisation pour le développement durable
concernent d’abord le domaine des pollutions. L’émergence, comprise comme l’ac-
célération de la croissance dans des zones en développement, et la spécialisation
internationale qui l’accompagne, ont des effets se combinant.
On connaît les trois effets de la croissance et donc de l’émergence d’immenses
économies dont s’accompagne la globalisation.
– Effet d’échelle, la croissance signifie une augmentation des quantités pro-
duites et donc, à technologie donnée, des pollutions émises.
– Effet technique : la croissance va de pair avec une amélioration des tech-
niques, les processus et produits deviennent moins polluants.
– Effet de composition : la croissance s’accompagne d’une modification du panier
de biens et services produits, dans le sens d’une plus grande dématérialisation.
On considère généralement que l’effet d’échelle et l’effet technique se com-
binent dans une courbe en U inversé : lorsqu’un pays a atteint un certain seuil
de revenu par tête, les améliorations techniques l’emportent sur les effets d’échelle
de la production, la croissance est bonne pour l’environnement. Quant à l’effet
296
L’impact de la mondialisation sur l’environnement
de composition, il reste généralement limité et peut être, selon les cas, compensé
ou non par les deux autres effets. Au total, si elle est correctement gérée au niveau
international, la question posée est finalement celle d’une transition entre deux
états.
En attendant que la Chine et l’Inde deviennent des économies de services à
haut revenu et haute efficacité énergétique, il convient donc de trouver les
arrangements institutionnels permettant d’amortir les effets environnementaux
de cette transition. Les tensions sur les marchés de matière première et les
tensions géopolitiques autour de l’énergie, montrent que cette transition ne va
pas être aisée à gérer. Deux effets sont à prendre en compte ici.
Parce qu’elle s’accompagne d’un renforcement des spécialisations nationales,
et parce que les prix de marché n’intègrent pas la dimension développement
durable de nombreuses activités, la globalisation s’accompagne d’une utilisation
excessive des ressources : épuisement des nappes phréatiques par les cultures d’ex-
portation, déboisement non contrôlé, pêcheries non soutenables en grande pro-
fondeur, érosion des sols, pollution des eaux par la pisciculture. Tous ces coûts sociaux
et environnementaux sont largement documentés et ne font plus guère débat.
Toutefois, la mondialisation c’est aussi l’investissement direct à l’étranger, les
exportations de services, dans les domaines de la bonne gestion des ressources
rares (dépollution, gestion des déchets, OGM…). En favorisant la circulation des
techniques et des bonnes pratiques, la globalisation est donc susceptible de com-
penser les effets précédents.
Lorsqu’il s’agit de gérer cette tension, le multilatéral est relativement ineffi-
cace. Il n’y a pas d’organisation mondiale de l’environnement, même s’il existe
des organisations internationales s’inscrivant dans ce périmètre, à la différence
de ce qui a été mis en place après guerre pour réguler le commerce de biens ou
encore pour tenter de stabiliser le système financier international. Et les accords
multilatéraux (l’OMC) prévoient une réglementation à l’importation portant sur
les produits (teneur en aflatoxine par exemple) mais excluant les process (largeur
des mailles des filets de pêche au thon).
On doit s’en remettre soit au plurilatéral (Kyoto), soit à l’unilatéral (projet
européen REACH), soit – et c’est probablement plus efficace – à la responsabilité
des entreprises globales intégrant le développement durable dans leur fonction
objectif. La normalisation sous la pression des consommateurs, distributeurs et
plus généralement de la société civile peut ici être une voie.
Ces bouleversements de l’économie mondiale annoncent un retour de la spé-
cialisation. En réalité, nos économies et nos politiques économiques se sont désac-
coutumées de ce phénomène : abandon de pans entiers de l’activité économique,
redéploiement des ressources, mobilité des personnes. L’intégration économique
297
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
après guerre a surtout été le fait d’économies riches, commerçant avec, et inves-
tissant dans, d’autres pays riches. L’intégration européenne et le Marché unique
ont constitué une version amplifiée de ce mode d’intégration économique éloi-
gnant des schémas de spécialisation classique. Les appareils productifs des éco-
nomies européennes sont ainsi devenus de plus en plus semblables.
Les statistiques du commerce mondial montrent un revirement au début des
années 2000, avec un déclin relatif des échanges croisés de produits similaires entre
économies similaires, au profit d’un renouveau de la spécialisation. Ce renforce-
ment de la division internationale du travail déplace les activités d’un producteur
vers un autre, d’une localisation vers l’autre, les différentes localisations n’ayant
pas nécessairement la même efficacité énergétique et environnementale. L’écart
de modèle social est également patent.
Les trois piliers du développement durable (économique, social, environne-
mental) servant de lecture aux politiques économiques sont la traduction concrète
de ces tensions. Mais qu’en est-il de l’effet net de la mondialisation?
298
L’impact de la mondialisation sur l’environnement
299
L’urgence d’un développement équitable
Marc Guillaume
Imaginons que notre planète soit un vaisseau spatial, dans lequel les res-
sources et l’espace sont rares. Que se passerait-il dans ce satellite si l’un des cinq
occupants absorbait à lui seul 80 % des ressources et provoquait les trois quarts
des pollutions? Tandis que l’un de ses coéquipiers ne mangerait pas à sa faim et
que deux autres ne dépasseraient guère les limites de la survie? On crierait au
scandale. Telle est pourtant la situation actuelle sur la Terre.
Cette parabole illustre bien les responsabilités partagées par les pays indus-
trialisés. En réalité la situation est plus grave encore et plus complexe aussi. Car
il faut ajouter que le scandale des inégalités se double d’un risque majeur : la
consommation accélérée des ressources et l’accumulation des pollutions pourraient
bien signifier, sinon la fin de vie de notre satellite du moins un fonctionnement
irréversiblement et gravement endommagé. En outre, il n’y a pas de pilote dans
le vaisseau. Certes, un pays, les États-Unis, prétend piloter. Mais le plus puissant
est-il le meilleur pilote?
Gouvernements nationaux et instances internationales, mais aussi entreprises
sont ainsi confrontés à deux défis vertigineux, de nature différente et qui sont
partiellement antagonistes : réduire des inégalités insupportables et tenter
d’éviter un désastre énergétique et écologique planétaire.
Ces deux défis ne sont pas hiérarchisés de la même façon : pour les pays
industrialisés développés, les pays du G7, le risque écologique importe plus que
les inégalités mondiales; ces dernières sont déclarées intolérables mais cela ne va
guère au-delà des protestations morales, même si ces inégalités sont aussi por-
teuses de menaces graves. Pour les autres pays, les menaces écologiques sont les
mêmes et certaines conséquences (de l’effet de serre en particulier) risquent
d’être plus dramatiques encore pour les pays les plus pauvres. Mais les urgences
300
L’urgence d’un développement équitable
alimentaires et sanitaires auxquelles ils sont confrontés sont telles que ces risques,
encore quelque peu abstraits et peu perceptibles à court terme, leur semblent non
pas secondaires mais seconds.
Deux urgences, deux impératifs divisent donc notre planète en ce début de
siècle.
301
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
302
L’urgence d’un développement équitable
303
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
304
L’urgence d’un développement équitable
mondialisation n’est pas compatible avec la limitation des ressources non renou-
velables et avec les contraintes environnementales planétaires.
305
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
306
L’urgence d’un développement équitable
les pays qui en ont dramatiquement besoin. Que la lutte contre la tuberculose
et la malaria soit aussi une priorité de cette aide sanitaire d’urgence. Il faut aussi,
bien sûr, lutter contre la malnutrition chronique qui touche près d’un milliard de
personnes et dont on a les moyens matériels et techniques d’empêcher les ravages
mais pas la volonté politique. Il en est de même de la lutte contre l’analphabé-
tisme qui frappe encore 800 millions de personnes, et notamment les femmes.
En les privant d’un accès à l’insertion sociale et professionnelle, l’analphabé-
tisme est en outre facteur de perte du contrôle de la fécondité.
Au-delà de ces aides concrètes et urgentes, qui ne se mettent en place que
partiellement et avec beaucoup de délais, c’est un accord politique mondial qui
est nécessaire pour imposer de nouveaux principes au système économique
actuel. Un accord exigeant une nouvelle architecture des instances internationales
existantes ne laissant plus le monopole de la coercition à l’OMC et à ses objectifs
de libéralisation du commerce mondial, et donnant donc une place à de plus
anciennes institutions telles que l’OIT et l’OMS. Entre ce qui est écologiquement
nécessaire et ce qui est socialement indispensable, il faut définir un autre déve-
loppement, un développement durable et surtout équitable. Le définir et le
réaliser, multilatéralement, dans l’urgence.
307
Environmental issues are mostly about prices
Bibek Debroy
Rajiv Gandhi institute for contemporary studies
I begin with the theme and it is a theme that I half understand and half do
not understand and the theme is “globalisation as an obstacle to sustainable devel-
opment”. I do not understand the expression “sustainable” at all. I have no idea
what it means. If I look up the Brundtland report, the Brundtland report says
that there are at least 60 possible definitions of “sustainable” one of which we
pick up and say that it is THE definition of sustainable and that definition of
sustainable is in terms of future needs and if we will be able as human kind to
service those needs.
But what happens in the future is something that is impossible for us to
anticipate today. Future technology, future resources, future needs, future human
capabilities to take care of those constraints are things that we have absolutely
no way of determining sitting here today. If I look at the literature that emanated
out of London around the year 1900, the biggest environmental disaster that
confronted the city of London was what on earth were they going to do with
the dung that originated from 50 000 horses that used to be used in London
then. Is that an issue today? It is not. Somewhere at the back of our mind, we
still have this malthusian notion that something or other is going to go wrong
in the world today, and we do not seem to be able to get rid of it.
Of course there are environmental issues, but to my mind, the environmental
issues are fundamentally an issue of internalising the costs, and a reference was
made to national income accounting, they are therefore an issue of getting the
prices right, they are an issue of getting the property rights right.
Decentralising the property rights! In my country, constitutionally, the
taking care of a village wants is a central government subject. If it is a central
308
Environmental issues are mostly about prices
government subject, the village wants will obviously never be taken care of. But
in my country also there are instances of decentralising, devolving the property
rights, taking them down to the local body level and then the village wants will
be provided for.
So environmental issues to my mind are mostly about prices and getting
property rights right.
So far as protecting the environment is concerned, I happen to think that
it is fundamentally a sovereign issue, something to be decided by the country
internally.
How does globalisation fit in? Globalisation has costs but it also gives you
access to the best practises around the world, it also gives you access to tech-
nology and all of these further the cause of environment.
Far more importantly, globalisation for countries like China and Brazil and
India is an opportunity to increase incomes. And world wide, globally and
country after country, we know that as income levels go up, your priorities
change. You begin to place a premium. In the city of Delhi itself, the quality
of air has improved. Air pollution has come down. Has it come down because
of what is happening in the United Nations? Has it is come down because of
what is happening in France? No. It has come down because people internally,
within the country have begun to demand a better environment as their income
levels have gone up. Civil society action, public interest litigation.
The reason I get provoked is when environment becomes a cross border issue.
Then to me it is mask of protectionism. I am particularly saying this because
I am speaking here in France. I think France will be able to do the best for the
cause of protecting the environment in India if France decided to liberalise agri-
culture. We recognise that there are global public institutions, we recognise that
there are global public goods and that there are global public bads. But there
is a matter of who decides what are the priorities, what are the global public
goods that need to be addressed first, what are the global public bads that need
to be addressed first.
And in deciding on those priorities, unless one recognises that the decision-
making processes within these international financial institutions have to
change, then you cannot come along and dictate to us that the hole in the ozone
layer is important when even our priorities, even within the environment are
completely different.
And to my mind, global international institutions, be it the World Bank,
be it the IMF, be it the United Nations have still not recognised the rising and
the awakening of countries like China, Brazil and India.
309
Les havres de pollution moins préoccupants
que les havres de ressources naturelles
Ann Harrison
Université de Berkeley
Les havres de pollution sont ces pays qui attirent les investisseurs étrangers
par des lois sur l’environnement peu strictes. Mais les havres de pollution
attirent-ils véritablement les investisseurs étrangers? Les études sur ce sujet ont
tenté de déterminer si les différences entre les lois des pays affectent le type d’in-
vestissement et le type de commerce entre les pays. Si l’hypothèse des havres
de pollution est valide, la part des industries polluantes dans les exportations
des pays peu stricts devrait augmenter et l’inverse devrait arriver pour les pays
aux lois contraignantes. Par exemple, si l’hypothèse est correcte, la France
devrait arrêter de produire des produits sales comme le papier, le ciment, et
importer ces biens d’autres pays, comme par exemple les Philippines. Nous n’y
croyons pas, bien sûr! Ni l’évidence, ni les constatations empiriques n’appuient
cette théorie. Ni aux États-Unis ni en Europe. Par exemple aux États-Unis, la
part des importations polluantes a diminué. Elle aurait dû augmenter si cette
théorie était correcte.
En Hollande, un autre pays où on a fait des études, les secteurs qui inves-
tissent le plus dans la mise en place de standards pour l’environnement sont aussi
ceux qui exportent le plus. Cela prouve que les règles strictes ne pénalisent pas
les entreprises mais leur donnent un avantage sur les marchés internationaux.
Ces résultats peuvent paraître surprenants aux yeux de ceux qui s’opposent
à la mondialisation. Personnellement, je les trouve très raisonnables, même en
venant de Berkeley, pour trois raisons. D’abord, les régulations environnemen-
tales sont beaucoup moins importantes que les autres divers coûts associés à la
310
Les havres de pollution moins préoccupants que les havres de ressources naturelles
délocalisation vers d’autres pays : les dotations initiales sont beaucoup plus impor-
tantes, le prix de la main-d’œuvre, d’autres types de régulations, tout cela sont
des facteurs beaucoup plus importants.
Deuxième point, les industries les plus polluantes, par exemple l’énergie, la
chimie, sont intensives en capital, ce qui donne aux pays développés un avantage
comparatif. Troisièmement, avec la nouvelle ère des responsabilités sociales des
entreprises, les nouveaux investisseurs sont peu portés à utiliser des équipements
qui polluent plus que chez eux. Ils ont tendances au contraire à apporter sur
place leurs technologies propres, ce qui veut dire que la pollution de l’environ-
nement devrait donc diminuer à mesure que les industries sont reprises par les
investisseurs étrangers.
Pour résumer, la recherche menée par les économistes américains et euro-
péens suggère que l’idée des havres de pollution n’est pas vérifiée dans les faits.
Mais il est possible que ces économistes se trompent. Un exemple : pour
maintenir leur compétitivité dans la production des fraises, les États-Unis ont
refusé de ratifier le protocole de Montréal parce qu’ils ont besoin d’utiliser des
quantités astronomiques de bromure d’éthyle afin de conserver leur part de
marché vis-à-vis de la Chine. C’est un exemple parfait de la volonté des États
Unis de freiner les accords sur l’environnement afin de dominer le commerce
international. Un exemple vraiment surprenant!
Ce qui me tracasse beaucoup plus que les havres de pollutions, ce sont les
havres de ressources naturelles. C’est beaucoup plus dangereux pour le monde
et cela concerne les ressources rares. Un certain nombre de pays pauvres expor-
tent des produits intensifs en ressources naturelles qui sont sur-utilisées et l’in-
tensification du commerce international peut amplifier cette mauvaise allocation
et entraîner une dangereuse sur-exploitation de ces ressources naturelles, par
exemple, l’industrie du bois en Amazonie, celle de l’Indonésie et les mines en
Amérique du sud.
Réduire l’éco-dumping
Mais même si les havres de pollution n’existent pas, cela ne veut pas dire
qu’il faut abandonner toute responsabilité environnementale. Les pressions
continuelles exercées sur les firmes multinationales forcent celles-ci à considé-
rer leur responsabilité sociale comme une composante majeure de leur image
et réduit leur propension à pratiquer l’éco-dumping. Je suis tout à fait d’accord
pour qu’une pression soit exercée sur les entreprises internationales.
Il est fondamental de chercher à aider les pays pauvres afin qu’ils respectent
les protocoles environnementaux puisque ces mêmes pays ne sont pas assez riches
311
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
pour y arriver eux-mêmes. Il faudrait aider ces pays en leur donnant des fonds
importants au lieu de leur imposer des obligations.
Je veux aussi souligner que les embargos commerciaux (trade embargos) ne
sont pas du tout une solution. Il est important de se rappeler que laisser aux
pays pauvres la possibilité de vendre leur production sur de nouveaux marchés
aide leur croissance et les pays plus riches sont plus à même d’apprécier la qualité
de leur environnement. Plus ils sont riches, plus ils vont améliorer leur envi-
ronnement. Pour cela, ils ont besoin d’avoir accès aux marchés européens et amé-
ricains. Il est nécessaire de prendre un certain nombre de mesures afin de
corriger les externalités négatives qui naissent de l’exploitation non des havres
de pollution mais des havres de ressources naturelles afin de préserver les res-
sources globales, composantes nécessaires aux futures générations.
312
Maintenir les mécanismes de protection
Xavier Beulin
FNSEA
313
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
314
Le concept de ressource rare est relatif
Roberto Waack
Orsa Florestal
Les forêts tropicales sont une ressource rare. Pour qui? Je crois que pour les
communautés et la population locale de l’Amazonie, par exemple, la terre libre
pour planter est une ressource rare. Pour le monde, rares sont les forêts qui
peuvent offrir des services environnementaux comme les climats, la rétention
du CO2, la bio-diversité, la protection de l’eau douce, les paysages… Le concept
de ressource rare est donc très relatif. Cette relativité amène des conflits dans
plusieurs domaines. Les institutions, les règles du jeu ne sont pas les mêmes pour
ceux qui vivent à l’intérieur ou à l’extérieur de la forêt.
Au niveau local, couper du bois, c’est culturellement correct, acceptable; cela
fait partie de l’histoire et ce n’est pas la cause principale de la déforestation. Mais
c’est une porte d’entrée pour l’augmentation de la déforestation. La terre
continue à être une ressource rare pour l’élevage et l’agriculture à grande échelle.
Au niveau mondial, la forêt est une ressource rare. Malheureusement les lois
ne sont pas suffisamment fortes et complètes pour garantir la protection des
forêts.
La corruption et les oligarchies régionales sont des forces contraires à la mise
en œuvre des lois de protection environnementale. Mais le problème n’est pas
seulement lié à l’application de ces lois, il y a d’autres composantes. Les droits
de propriété de la terre sont très fragiles et compliqués, et provoquent des dis-
cussions au niveau des provinces et au niveau fédéral. Il y a une multitude d’or-
ganes publics qui ne s’entendent pas. Il y a une discussion idéologique complexe
sur l’utilisation et la propriété de la terre. Le mouvement des Sans-terre, par
exemple, est un allié de la déforestation.
315
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
Un autre point, ce sont les prix. Ce qui est rare doit avoir un prix. La terre
libre a une valeur, elle offre des alternatives, des rentes à la population pauvre.
La forêt en pied n’a pas un prix, au contraire elle a un coût. Et pour survivre,
elle impose des coûts de transaction énormes. Une analyse plus profonde des
coûts de transaction dans le domaine des ressources forestières rares est indis-
pensable, à mon avis.
Les bois tropicaux provenant de l’informalité et de l’illégalité ont un prix
très bas. Et les marchés hypocrites veulent la forêt, mais achètent des meubles
en bois tropicaux d’origine prédatrice. La traçabilité et la certification peuvent
être une solution. Ce sont des mécanismes de marché pour renforcer l’appli-
cation des lois environnementales. Les prix de la forêt en pied doivent être com-
parables à ceux de la terre libre.
Les novations peuvent avoir un rôle important pour la création de nouveaux
services et produits. Les certificats des charbons en sont un exemple.
Le temps est un autre aspect de ressource rare; la gestion durable de la forêt
en pied est de long terme, la déforestation est de court terme. Sans vouloir
opposer long terme avec valeur et court terme, comment équilibrer ces forces?
Comment équilibrer l’intérêt des stakeholders locaux, communautés, oligar-
chie avec ceux des stakeholders internationaux, indirects, comme les ONG par
exemple?
L’Amazonie, c’est à nous, comme on dit au Brésil. C’est une vision du
développement national. Il y a vingt millions d’habitants en Amazonie brési-
lienne et des questions globales. Qui paye le plus?
En synthèse, nous avons un problème institutionnel à plusieurs niveaux : la
culture locale, les lois environnementales, les droits de propriété, l’application
de la loi, la gouvernance mondiale, et, plus profondément, la question de valeur
et du temps. La terre court terme, institution faible, la forêt, long terme comme
institution émergente, toutes les deux comme ressource rare.
316
Maîtriser les risques, un plus pour l’entreprise
Thierry Raes
PricewaterhouseCoopers
317
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
318
Les pays « en avance » du point de vue
de l’environnement sont plus compétitifs
Michèle Pappalardo
ADEME
319
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
essentiellement l’habitat et les transports. Dans ces deux domaines, les décisions
sont extrêmement diffuses et doivent être prises par des millions d’acteurs en
même temps. Si on ne les aide pas un peu, si on ne leur donne pas un peu de
visibilité, ils attendent, et on se retrouve devant un phénomène très connu de
poule et d’œuf, c’est-à-dire que les consommateurs ne demandent pas un
produit parce qu’il n’existe pas et les industriels ne vont pas le mettre sur le marché
parce qu’ils n’ont pas de demande. Il est clair qu’on a besoin à certains moments
de créer un déclic et d’accélérer ce processus pour que tout le monde cesse de
s’attendre. Ce sont les raisons pour lesquelles on utilise la réglementation dans
ces domaines environnementaux. Mais à quelles conditions la réglementation
environnementale peut-elle être favorable à la croissance européenne dans un
contexte de mondialisation? J’en vois trois.
• Première condition : il faut que sa généralisation à court/moyen terme à
l’ensemble de la planète soit probable ou acceptée comme telle. Cela suppose
que l’Europe elle-même fasse ses meilleurs efforts pour en convaincre les autres
pays, notamment à travers sa politique diplomatique. Cela suppose aussi que
la réglementation porte sur des sujets dont l’intérêt général soit incontestable
comme le climat, la santé, les pollutions irréversibles…
• Deuxième condition : il faut que le niveau de réglementation ne soit pas
excessif et que les moyens de l’atteindre soient disponibles, notamment grâce
à une politique de recherche. Cela suppose également que la réglementation soit
accompagnée de dispositifs d’aide directs ou indirects pour faciliter son respect.
• Troisième condition : il faut que la réglementation permette aux acteurs
économiques de se préparer à la rigueur progressive des règles; que l’on donne
de la visibilité aux acteurs économiques pour qu’ils puissent s’adapter et se
préparer aux évolutions futures, comme c’est déjà le cas avec le système de normes
européennes sur la pollution des véhicules, et que les acteurs soient assurés de
la pérennité des politiques menées. La difficulté que nous avons aujourd’hui avec
Kyoto ou avec le système des quotas européens, c’est qu’on ne sait pas très bien
ce qui va se passer après 2012 et donc les entreprises ont des difficultés à
investir sur ces sujets. À ces conditions, les pays « en avance » d’un point de vue
environnemental bénéficient d’un avantage compétitif.
La question du temps est également à prendre en compte : un désavantage
compétitif momentané peut se transformer à moyen terme en un avantage majeur.
Ainsi, les entreprises qui ne prennent pas aujourd’hui des mesures rigoureuses en
matière de consommation d’énergie, tant dans leur process industriel que dans leur
produit, auront à terme des difficultés majeures à s’adapter à un prix croissant de
l’énergie, aggravé par la prise en compte du coût du carbone, tant en termes de
coût de production que d’adaptation de leurs produits aux besoins du marché.
320
Damage to the environment is accelerating
Glenn Prickett
Conservation International/The Center for Environmental
Leadership in Business
I would like to make three points. First the bad news: globalisation is accel-
erating damage to natural systems and threatening to undermine growth and
human wellbeing, especially in poor nations. A very important study was pub-
lished last year, called “The Millenium Ecosystem Assessment”. It was the work
of more than 1 300 scientists from 80 nations commissioned by the UN. And
the results were sobering. We have heard a lot about global warming, which is
perhaps the most important problem. It is probably no surprise that 2005 was
the hottest year on record and that this is the latest in a long warming trend.
We are already committed to some degree of global warming: atmospheric con-
centrations of carbon dioxide are already about 1.3 times their pre-industrial
levels, and we will be very lucky if we can limit that to a doubling of pre-indus-
trial levels. Anything more than that and we start looking at some very real
problems, for example the melting of the ice caps in Antarctica and Greenland,
which would create significant sea level rise and in the most extreme scenar-
ios, the shut down of the Atlantic conveyor, or the jet stream that keeps Europe
warm and habitable.
More than a billion people lack access to clean water. There are that many
and perhaps more, perhaps as many as 2 billion who live in water scarce areas.
In the last 40 years, we have doubled our withdrawals of water, and that
presents a very urgent crisis for poor people around the world. And we must
not forget the effect that the loss of forests and other natural habitats has on
both of those problems. Forests and mountains together provide about 85% of
the fresh water in the world that is supplied to 4 billion people in the world.
321
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
And in many parts of the world, those forests are in decline. I was recently in
Peru, in the Urubamba river valley, the Sacred Valley of the Incas. In that area,
centuries old irrigation works are being abandoned because there is not enough
water coming from the mountains due to deforestration and due to the retreat
of the glaciers, which is most likely a result of global warming.
The loss of forests and other habitats is also driving species to extinction.
Even though I work for a conservation organisation, it is amazing to me to think
of the numbers: 42% of reptiles are threatened with extinction and 25% of the
mammals and the list goes on. Now you could argue that that is a fairly abstract
concern, maybe an ethical concern we cannot afford, but it is presenting very
real problems to people. In the ocean we have depleted 90% of the large fish,
the swordfish, the sharks, the tuna… The top of the ocean food chain and most
of our fisheries are in decline. For the poor people who live near the coastline
who derive most of their protein from fish, this is a very urgent problem. These
trends are likely to get worse in the future, particularly as we see rapid growth
in China and India and other Asian economies. I don’t mean to make any moral
judgements here. It is perfectly legitimate that those economies are growing,
they need to grow, but it is going to raise the stakes for natural resources and
we need to look urgently for solutions.
Globalisation is everything and its opposite: it could help to raise
environmental standards
That is enough of the bad news. I am very much an optimist in spite of all
of that. What we have seen is that globalisation is everything and its opposite.
So while globalisation is increasing pressures on natural resources, it is also
creating real incentives for sustainability, and it may be that globalisation will
lead to a “race to the top” rather than a “race to the bottom.”
How is that going to work? It is very early, but what we have started to see
is that some of the institutions that set the rules for global markets are begin-
ning to integrate environmental concerns into their behaviour. In effect this could
be the globalisation of the so-called Kusnet curve which poses that as living stan-
dards rise, environmental standards rise. What is happening now is that insti-
tutions, both in the private and public sectors, are beginning to extend first-world
environmental standards to their trading partners and to their projects in poor
nations. If you want to do business with Wal-Mart now, if you are a shrimp farmer
in Indonesia or a furniture maker in China, you need to begin working on envi-
ronmental improvements in the production of those commodities. Other
American and European multinationals like McDonald’s, Unilever, and Starbucks,
are adopting similar environmental policies for their global supply chains.
322
Damage to the environment is accelerating
323
La mondialisation permet d’étendre les bonnes pratiques
Gilles Benoist
CNP assurances
324
La mondialisation permet d’étendre les bonnes pratiques
sent le plus d’ISR, c’est l’épargne salariale d’une part, et les produits de retraite
d’autre part, qui sont des investissements de long terme à horizon long. Le déve-
loppement de l’ISR est donc puissant. Bien qu’encore très modeste en pour-
centage, le rythme de croissance est très fort et il est porté entre autres par les
grands investisseurs institutionnels que sont les compagnies d’assurances. Nous,
CNP Assurances, nous investissons au total 25 milliards d’euros par an.
Troisième message : les assureurs ont du patrimoine. Je n’insiste pas sur le
patrimoine immobilier; on essaye de le rendre plus protecteur de l’environne-
ment. Et CNP Assurances est le premier propriétaire forestier de France : 46000
hectares gérés en protection de la biodiversité avec une charte écologique par
une petite société de 200 personnes, possédée par nous et la Caisse des dépôts.
La mondialisation, en fait, permet d’étendre les bonnes pratiques. Nous avons
adhéré au pacte mondial, parmi les premières entreprises françaises. Nous
appliquerons tous les principes du développement durable, non seulement en
France, mais naturellement, par cohérence de l’entreprise, là où nous sommes
implantés à l’étranger; et pour nous c’est le Brésil, c’est l’Argentine, et même
la Chine.
325
Raretés locales et raretés globales
Stéphane Salord,
Vice-président de la Communauté du Pays d’Aix
Maire adjoint d’Aix-en-Provence
326
Raretés locales et raretés globales
327
IX. La mondialisation, obstacle au développement durable ?
328
X.
Globalisation et ressources rares
Christian Saint-Étienne
330
Les limites politiques de l’internationalisation
des externalités
Angel Gurría
OCDE
Quelles sont les limites de l’internalisation des externalités? Les mots sont
bien difficiles à prononcer, et il est encore plus difficile d’y répondre…
Comment surmonter la fameuse tragédie des biens communs, des biens
publics, des public goods, ces espaces tels que l’atmosphère de notre planète, ou
ces biens tels que l’eau, qui sont spontanément la propriété de tous et donc de
personne. Avec le risque préoccupant que chacun en abuse et provoque ainsi la
catastrophe collective. On va doubler la consommation d’énergie dans les pro-
chaines 40 ou 50 années, et on nous dit que 70 % viendront de combustibles
fossiles. Cela signifie qu’il faut faire face à la question du charbon et à celle de
l’eau de manière immédiate.
Un moyen de préserver ces biens publics, ces biens communs, est d’inter-
naliser efficacement les externalités. En matière d’environnement, cela passe par
des mesures comme la taxation de l’énergie ou le marché des droits à polluer.
De telles mesures, combinées à la suppression des subventions qui encouragent
les activités allant à l’encontre de la préservation de l’environnement ou des res-
sources rares, ont pour but de déterminer le juste prix de ces public goods.
Si le principe d’internalisation des externalités est généralement acquis, et
nous l’acceptons tous, sa mise en œuvre s’avère difficile. Dans un cadre national,
c’est bien sûr à l’État qu’il incombe d’agir. Mais les résistances peuvent être fortes.
Car il y a inévitablement des perdants par rapport à la situation de statu quo.
Que ce soient les ménages qui doivent payer des éco-taxes supplémentaires ou
les entreprises qui doivent acheter les droits à polluer, ou encore les agriculteurs
331
X. Globalisation et ressources rares
qui doivent renoncer à certaines subventions. Et dans la plupart des cas, les
perdants potentiels forment des groupes de pression très bien organisés. Ceux
qui gagnent ne s’organisent pas; mais ceux qui perdent s’organisent très bien
en bloc. Nous les avons tous vus à l’action dans le cadre des négociations com-
merciales de Doha. Le résultat de ces pressions se mesure très concrètement
par le nombre d’exemptions fiscales accordées. Selon notre base de données à
l’OCDE, sur les taxes environnement, il existe plus de 1000 cas possibles pour
de telles exemptions dans les pays de l’OCDE, dont la grande majorité est
accordée aux industries polluantes et fortes consommatrices en énergie.
Il y a donc des limites politiques évidentes à l’internalisation des externali-
tés. Il ne faut pas en sous-estimer l’importance. Elles peuvent bloquer totale-
ment les réformes, ou réduire de façon importante leur efficacité. Pour les
entreprises, le problème le plus souvent évoqué – ou plutôt le prétexte le plus
souvent évoqué – est celui d’une perte de compétitivité par rapport aux concur-
rents d’autres pays qui n’appliquent pas les mêmes mesures fiscales. Si les autres
ne réduisent pas leurs subventions, on peut avoir en effet un bon prétexte pour
expliquer la perte de compétitivité. Pour les individus ou les ménages, le risque
est que les augmentations de prix affectent les segments les plus vulnérables de
la population. C’est toujours le cas avec n’importe quel type de taxes, il y a toujours
cette question de la vulnérabilité de certains segments de la population.
Comment répondre à ces préoccupations, au moins au niveau national?
D’abord, il est essentiel d’ouvrir de larges consultations avec tous les acteurs lors
de la phase de développement des mesures. Puis procéder par étapes dans la phase
de mise en œuvre, de manière à faciliter les ajustements nécessaires. La taxe sur
le trafic automobile introduite à Londres est un exemple d’une telle approche,
qui fonctionne. Une autre piste à explorer consiste à redistribuer la recette
fiscale supplémentaire aux industries et populations les plus affectées. Et la troi-
sième, c’est que la combinaison totale, la charge totale des impôts ne change
pas, en revanche leur structure change. On augmente les éco-taxes, mais on réduit
d’autres impôts. C’est une question de négociation entre les groupes, mais on
n’a pas une augmentation nette des taxes. Cela dépend de la position fiscale de
chaque pays.
Mécanismes de coordination
Au niveau mondial, au niveau international, beaucoup doutent de l’ap-
proche économique et de l’appui dans le marché. Dans les pays émergents, c’est
comment convaincre ceux qui n’ont pas contribué à la détérioration passée des
communs, des public goods, de participer pleinement à des accords contrai-
gnants comme celui de Kyoto, à un coût qui ne soit pas exorbitant dans leur déve-
332
Les limites politiques de l’internationalisation des externalités
loppement futur? C’est pourquoi, au-delà de l’action par le marché, il est impor-
tant de mettre en place des mécanismes de coordination au niveau internatio-
nal, auxquels les plus grands pays du monde et le plus grand nombre de pays
participent en fondant sur eux un level-playing field et de répondre notamment
aux préoccupations concernant les pertes potentielles de compétitivité. Nous, à
l’OCDE, nous parlons de matière d’échange, d’environnement et en même
temps, il existe un groupe de travail qui réunit les spécialistes dans les deux
domaines pour faire avancer les deux agendas en parallèle. Il existe aussi un groupe
de travail commun qui réunit les experts de l’agriculture et de l’environnement.
Ces réunions sont la plupart du temps très animées, mais le dialogue a lieu. Et
le résultat obtenu, notamment concernant les accords sur la réduction des sub-
ventions à l’agriculture polluante, progresse dans la bonne direction.
Au-delà de l’énergie, au-delà de l’eau, il y a une autre rareté qui est le talent,
très abondant partout, mais qui quitte les pays en développement pour aller dans
les pays développés, et devient une rareté dans les pays en développement, notam-
ment le talent des médecins, des ingénieurs, etc. Il faudrait discuter de la
gestion de ce public good.
L’urgence des « meilleures pratiques »
Il n’y a pas d’autre chemin que la mondialisation, la globalisation des efforts,
parce que les problèmes ne se posent pas plus dans le domaine national. Il y a
un changement d’échelle. Et quand on change d’échelle, il n’y a que la coordi-
nation internationale. Il y a le marché. Les prix doivent partout refléter la
rareté. Il faut convaincre les pays dans leur politique domestique. Il faut envoyer
partout le message de meilleures pratiques, best practices. Et dire ce qui fonc-
tionne, ce qui ne fonctionne pas, et pourquoi. Il faut absolument avancer dans
le domaine de la gouvernance internationale. Parce que le problème, c’est
comme oublier, dans la gestion de l’eau, qu’il y a les bassins, qu’il y a le Mékong,
qu’il y a le Niger, qu’il y a le Nil, qui passent par 10 ou 15 pays; oublier dans la
question de l’éducation qu’aujourd’hui la connaissance est portable, et la question
des titres partout; oublier qu’il y a le phénomène de la migration à cause des
phénomènes démographiques dans le monde, etc. Cela signifie qu’on ne peut
pas faire que mondialiser, que globaliser, qu’il faut maîtriser ou au moins essayer
de maîtriser le phénomène de la globalisation.
333
L’urgence d’un accord international
Pascal Lamy
OMC
334
L’urgence d’un accord international
de marchés nouveaux, les droits à polluer, les permis d’émission; tout ce qui
tourne autour du fonctionnement des marchés existants, et notamment le droit
de la concurrence où le problème majeur dans l’internalisation via des marchés
efficaces est qu’il n’y a pas de droit de la concurrence au plan international. Il
existe quelques systèmes de coopération entre autorités de la concurrence, mais
il n’y a pas de droit international de la concurrence; c’est un obstacle à mon avis
majeur à cette internalisation lorsqu’elle ne se produit pas naturellement.
Il y a tout ce qui tourne autour d’une meilleure information des systèmes
de marché, en particulier tout ce qui est information sur la mesure de la rareté,
notamment en matière énergétique sur le montant des réserves, qui sont des
informations essentielles pour que les marchés gèrent correctement les prix. Il
se trouve qu’en matière énergétique, nous sommes sous des systèmes de cartels
que l’absence de droit de la concurrence au plan international n’a jamais réussis
à atteindre.
Il y a tout ce qui est régulation, fiscalité, subventions et anti-subventions.
Exemple : les activités de pêche, les activités halieutiques. Il y a évidemment
une corrélation très forte, dans beaucoup d’endroits de cette planète, entre
l’épuisement des ressources halieutiques et le financement, via des subven-
tions, de surcapacités de pêche, électoralement très rémunératrices. On sait très
bien, en politique, qu’il est plus efficace d’être l’ami des pêcheurs que l’ami des
poissons. C’est ainsi partout. Et évidemment, cela intervient sur le dosage
politique.
Enfin, il y a des mesures à la frontière qui, dans un certain nombre de cas,
peuvent compléter ou constituer cette internalisation nécessaire. Des taxes à l’ex-
portation, des barrières techniques du type obligation d’étiquetage, qui sont assez
fréquentes maintenant lorsque les systèmes nationaux ne coïncident pas les uns
avec les autres. Ces systèmes d’écluse à la frontière ne sont pas efficaces. En tout
cas, les économistes disent que ce sont les moins efficaces dans toute la grada-
tion des mesures d’internalisation. Pour autant, et contrairement à une idée assez
répandue, elles sont légitimes du point de vue du droit et de la jurisprudence
de l’OMC. Tout ce qui est capacité de préserver l’environnement, la santé, ce
type de préférence collective via des barrières techniques à l’échange, a toujours
été très largement admis à l’OMC sous réserve d’un contrôle de proportion-
nalité et de nécessité, et la négociation actuelle ne change rien de ce point de
vue. J’aimerais rappeler qu’il ne faut pas confondre le souci de préservation de
la rente agricole et le souci de préservation de la santé publique. Ce sont deux
objectifs qui ont leur légitimité ; c’est parfaitement possible pour la santé
publique; je reconnais que c’est un petit peu plus compliqué pour la rente
agricole.
335
X. Globalisation et ressources rares
Toutes ces mesures, qui supposent qu’on corrige les marchés lorsqu’ils fonc-
tionnent mal, sont d’une efficacité relative aussi longtemps qu’elles restent
nationales. Toutes celles concernant la rareté des ressources en matière éner-
gétique, environnemental, en matière de ressources marines, en matière de
forêts, en matière d’eau, ne peuvent être efficaces que si, au plan international,
les choses sont mieux coordonnées qu’elles ne le sont. Or, force est de consta-
ter qu’elles le sont très médiocrement aujourd’hui. Aussi longtemps qu’il n’y aura
pas un accord international sur une mesure collective consensuelle, et notam-
ment par les pays en développement qui n’ont pas tout à fait les mêmes raisons
que nous d’en faire l’une de leurs priorités, aussi longtemps que ce consensus
n’existera pas, nous buterons, dans la mise en œuvre de ces politiques, sur des
obstacles de plus en plus importants au fur et à mesure que ces problèmes se
globalisent.
Ma conclusion est qu’il y a urgence à faire partager aussi largement que
possible par des civilisations, des mentalités, des cultures, des politiques qui ne
sont pas celles de l’Europe, voire des États-Unis, le concept de rareté que nous
voulons mettre en œuvre, à mon avis, à juste titre.
336
Concevoir un système de croissance différent
Hubert Védrine
Ancien ministre des Affaires étrangères
337
X. Globalisation et ressources rares
338
Concevoir un système de croissance différent
cratique. On ne peut pas accepter qu’une sorte de synarchie mondiale gère les
« bien publics mondiaux », termes qu’aucun individu normal ne comprend. Cela
ne marchera pas parce que les peuples vont s’y opposer, comme certains peuples
ont commencé à casser la fuite en avant européiste, parce qu’ils n’y comprenaient
plus rien. Il y a donc un problème démocratique. Comme l’a écrit récemment
Francis Fukuyama, les gouvernements doivent retrouver leur rôle fondamen-
tal.
Plus de « gouvernance » mondiale, oui. Sauf que je n’aime pas le mot; il a
été inventé à une époque où on croyait que les problèmes politiques étaient réglés
ou dépassés et que c’était une question d’organisation entre experts et techni-
ciens. En fait, non à une gouvernance qui se substitue à des gouvernements natio-
naux de plus en plus faibles, ridiculisés et dépourvus de leviers, oui à une
gouvernance avec un multilatéralisme vrai, qui s’appuie sur des gouvernements
réhabilités, légitimés, forts et capables de coopérer. Ensuite il faut une réforme
de l’ONU, un Conseil de sécurité élargi, une assemblée consultative avec la société
civile mondiale. Le G20+ est une bonne piste. Enfin, il faut créer une organi-
sation mondiale de l’environnement pour compléter le dispositif et faire contre-
poids aux autres pour qu’il y ait un vrai équilibre de normes et de critères.
Je crois aussi, que pour affronter « ce monde de ressources rares », il faut une
synthèse des écologistes, des économistes, des politiques et des scientifiques. Parce
que l’optimisme des économistes et des financiers et le volontarisme des ingé-
nieurs ne me rassurent pas tout à fait face à l’aveuglement des politiques,
compte tenu de l’alarmisme des scientifiques. Donc j’appelle à cette synthèse.
339
L’Europe, seul espace politique supranational
Kemal Dervis
ONU
340
L’Europe, seul espace politique supranational
réfléchir en termes de ressources pour la lutte contre la pauvreté en soi, qui est
très importante, évidemment. Et l’aide financière dont les Nations Unies et le
PNUD sont un des outils se concentre surtout sur l’aide aux pays les plus
pauvres pour combattre la pauvreté la plus extrême. Mais les biens publics
mondiaux sont aussi très importants et dans tout le débat de l’aide au déve-
loppement, de la coopération internationale, on ne soulève pas suffisamment
ces questions de distribution.
Des institutions internationales sectorielles
Les institutions internationales sont toutes sectorielles. Derrière
l’Organisation mondiale de la santé, il y a les ministères nationaux de la santé.
Pour l’Organisation mondiale du commerce, très importante, avec beaucoup de
liens avec la macroéconomie, ce sont un peu les ministres des finances, mais
essentiellement les ministres du commerce. Le Fonds monétaire international,
ce sont les banques centrales et les ministères des finances. L’assemblée générale
des Nations unies, ce sont les ministères des affaires étrangères. Ce qui manque,
c’est l’intégration de toutes ces affaires sectorielles, et une sorte de hiérarchie
des normes, un arbitrage qui, je pense, ne peut se faire qu’au niveau des leaders,
au niveau des Chefs d’États et des premiers ministres. Je pense qu’il faut aller
vers des structures qui puissent arbitrer ces questions sectorielles et j’ai une pro-
position : je pense qu’il faut élargir le G8. Par exemple on pourrait constituer
un L26, le G20 augmenté de 6 représentants de régions, et faire le lien entre
le G20, qui est donc un G8 augmenté, et les Nations Unies. C’est la proposi-
tion développée par le groupe de travail sur les biens publics mondiaux dirigé
par Ernesto Zedillo avec le soutien spécial de la France et de la Suède.
Autre point : il n’y a pas d’espace politique mondial. L’espace politique
reste profondément local et national, d’où l’importance extraordinaire dans le
long terme de la construction européenne. Car la construction européenne est
la seule dynamique qui existe dans le monde pour vraiment créer un espace poli-
tique supranational. Qui évidemment n’abolit pas la nation-État, la politique
va rester ancrée dans la région, dans le local, dans le national, mais il y aura cette
nouvelle ambiance politique, ce nouvel espace politique européen qui pourrait
faire exemple. Je reste très optimiste : 4-5 ans de recul, ce n’est rien pour l’his-
toire. Quand on voit ce que l’Europe a réussi dans les 40 dernières années, je
reste profondément optimiste. Ce sera l’Europe non seulement qui se construira,
mais qui sera un exemple pour le monde. Et la dernière phrase des mémoires
de Jean Monnet dit à peu près cela : « Mesdames, Messieurs, ne vous méprenez
pas, ne faites pas l’erreur, les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre
où peuvent se résoudre les problèmes du présent. Et la Communauté elle-même
n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain. »
341
Resource Scarcity and the Lessons of the Past
French football fans were carrying one of the best banners I have seen on
television. It said: “Allez les vieux!” Not “Allez les bleus!” but “Allez les vieux!”
The point I am making in the context of globalization and scarce resources is
that some of the best economists we have ever seen are dead – they are part of
the past – but we should perhaps read them again and see what they have to
say.
I am sure you remember the book Malthus wrote about 200 years ago with
his doomsday predictions about population growth leading to starvation.
Economics became the dismal science. However, only a few hundred years ago,
the world population stood at less than one billion, and now there are six
billion of us, and yet we survive. Now we have “Only One Earth” and the reports
of the Club of Rome. But here too the past has lessons for us. We need to go
back a little bit in order to see what happened that allowed us to survive. So
let’s not forget “les vieux”, the dead economists, and the lessons of the past. Let’s
look at them closely and see what we can learn.
Of course, the world has changed, and we are faced with new dilemmas. Our
colleagues have been saying that, as globalization moves forward fast, compe-
tition will increase and the utilization of commodities and scarce resources, both
renewable and non-renewable, will intensify further. If we want the Millennium
Development Goals to be attained successfully, developing countries will have
to grow at a rate of 6-7% per annum. But what does this mean? It means hugely
intensified utilization of resources of all kinds. China, for example, is now
using about 40% of the world’s total iron ore output, and in a few years’ time
it will be using half.
342
Resource Scarcity and the Lessons of the Past
Another dilemma involves technology, and here again we can look back to
the past. A nineteenth century English economist called William Stanley
Jevons wrote a book about the coal economy, and the lesson he drew is that you
must not think technology solves everything. You invent technology to save,
for example, on the use of coal or oil, but the new technology itself then creates
even greater demand for coal and oil. Look at the US economy. American auto-
mobiles feature all kinds of energy-saving engines, yet the increase in the con-
sumption of petrol in the United States has been phenomenal. Look at China.
China has been trying to modernize its machinery and equipment to save on
the consumption of energy, but in fact the country consumes more energy every
year. So we are relearning what we already learned in the past – technological
development alone does not mean that we will save resources.
Yet another dilemma concerns the benefits of resource utilization. In efforts
to tackle the problem of scarce resources, considerable investments have been
made in Africa, and reports by the World Bank and the IMF say that Africa
is doing very well. However, most of the investments are confined to the extrac-
tive industries, and Africa has so far not benefited properly in terms of income
that could be invested in education, creation of productive capacity and poverty
reduction.
What solutions do we have?
There are a few things that the UN system and all of us can do together.
First, we should make use of the multilateral system that we have. The
Convention on Biological Diversity is aimed at preventing the erosion of bio-
diversity, using trade to enhance biodiversity, and ensuring that the benefits of
biodiversity are shared. However, none of this is happening, and we must
redouble our efforts. We in UNCTAD are taking a number of initiatives, in
cooperation with other UN agencies. We have launched the Biotrade Initiative,
which is designed to promote international markets for biological resources while
stimulating biodiversity conservation. We are doing a lot of work with United
Nations Foundation (UNF) on biofuel, and new techniques are being devel-
oped every day. And we are working on environment impact assessment.
Second, we have to deal with issues relating to the rules of trade. In the fishing
sector, for example, there are no more tuna in the Mediterranean because of
over-fishing, illegal fishing and over-subsidization. This kind of problem has
to be dealt with, and we need to agree on rules designed to protect our resources.
Trade rules could be a powerful mean to deal with resource scarcity.
Third, looking back to the past again, in the 1970s under the auspices of
UNCTAD we had an Integrated Programme for Commodities and interna-
343
X. Globalisation et ressources rares
344
Une urgence : le marché unique
Jean-Claude Trichet
Banque centrale européenne
345
X. Globalisation et ressources rares
Cercle des économistes à Aix ont montré cela de manière extrêmement convain-
cante avec beaucoup d’exemples, notamment sur l’importance dans les tech-
nologies nouvelles de pouvoir d’entrée de jeu bénéficier d’un très vaste marché
intérieur.
Deuxième remarque fondamentale, liée aussi à ce concept de rareté insti-
tutionnelle et conceptuelle : nous n’avons pas achevé les réformes structurelles
dont nous sommes convenus. Je voudrais tout de suite séparer la question de
l’agilité du secteur productif et la question de la protection sociale, notamment
du fonctionnement de l’ensemble des concepts qui permettent de former, com-
pléter la formation et aider au reclassement de ceux qui se trouvent pris dans
un concept de restructuration accéléré. Nous sommes dans une période où nous
ne pouvons pas nier que la science et la technologie sont en train de s’accélé-
rer de manière prodigieuse. La mondialisation est là, la nier serait absolument
inopérant. Ceux qui ont compris que l’agilité du secteur productif était essen-
tielle, y compris en Europe, y compris dans l’Union européenne, y compris dans
la zone euro, démontrent que l’on peut avoir plus de croissance, plus de création
d’emplois et que l’on peut éliminer le chômage de masse. Et je voudrais men-
tionner par exemple l’Irlande, qui a un certain modèle; le Danemark, qui est
dans la zone euro de facto; un autre modèle extrêmement efficace, la Finlande,
nous démontre que ceci est possible.
Troisième observation : nous pourrions, si nous étions plus agiles, croître
beaucoup plus vite! Il suffirait que les progrès de productivité du travail annuels
d’aujourd’hui rejoignent ceux que nous avions dans les années 80, ou rejoignent
le niveau actuel des Américains, qui est le même, d’ailleurs, 2,5 ou 2,6 % par
an.
Ma conclusion serait d’abord qu’il y a certainement une énorme rareté du
travail d’explication et de pédagogie, parce qu’il est vrai que dans de grandes
démocraties, et dans la très grande démocratie européenne, il faut expliquer inlas-
sablement pour arriver à convaincre. Le travail me semble immense. Il y a une
lecture qui peut être un peu pessimiste, puisque nous n’avons achevé ni le
marché unique ni les réformes structurelles nécessaires sur lesquelles nous
sommes d’accord. Mais nous avons une lecture parfaitement possible qui est
très optimiste. En effet, nous pourrions obtenir avec l’achèvement du marché
unique et avec ces réformes ce à quoi nous aspirons, c’est-à-dire plus de pros-
périté, plus de croissance, plus d’emploi.
346
Déclaration finale
des sixièmes Rencontres économiques
d’Aix-en-Provence
347
Déclaration finale
LE CONSTAT
Les raretés créent toutes des tensions, mais elles ne sont pas toutes inte-
nables. Il y a celles que les ajustements de prix relatifs savent révéler et résoudre;
parmi les plus caractéristiques de la croissance d’aujourd’hui, on sait comment par
la ré-allocation des investissements, guidée par les mécanismes de prix, desser-
rer à terme les contraintes dans la production d’énergie, la maîtrise de l’eau, la
production alimentaire… Mais les ajustements des prix auront également pour
effet d’exacerber les inégalités. Les politiques publiques de redistribution répon-
dent en partie à ce que le système de prix relatifs ne sait pas résoudre. Encore
cela laisse-t-il entier le problème de la redistribution quand il est supranational.
Des populations entières restent exclues soit parce que la gouvernance publique
y est médiocre, soit parce que le défaut d’infrastructures ou de services essentiels
les isole de la globalisation, soit parce qu’une économie administrée fausse les
structures de prix.
La gouvernance reste à inventer pour ces raretés que le marché et les politiques
de transferts n’atteignent pas et la question du niveau géographique d’une
nouvelle régulation est posée. Le champ des institutions, qui ont pour objet de
gérer et d’éliminer les raretés, est évidemment trop étroit et leur coordination
mal assurée.
Au moment où le bilatéralisme fait florès, la croissance et les pénuries qu’elle
entraîne produisent surenchère bilatérale et nationalisme économique, il y a
besoin de plus de multilatéralisme, de plus de régulation au-delà des frontières
nationales, de plus de transparence. La demande de plus d’Europe, notamment
pour traiter les raretés énergétiques ou développer les ressources de la recherche
et de l’éducation se fait plus pressante.
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Déclaration finale
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CET OUVRAGE A ÉTÉ ACHEVÉ D’IMPRIMER POUR
LE COMPTE DU CERCLE DES ÉCONOMISTES
PAR EDITAM À PARIS EN MARS 2007.
NUMÉRO D’IMPRESSION :
Imprimé en France