Hel 414
Hel 414
Hel 414
42-2 | 2020
Genèse, origine, récapitulation. Trần Đức Thảo face
aux sciences du langage
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/hel/414
DOI : 10.4000/hel.414
ISSN : 1638-1580
Éditeur
Société d'histoire et d'épistémologie des sciences du langage
Édition imprimée
Date de publication : 31 décembre 2020
Pagination : 127-144
ISBN : 979-10-91587-13-6
ISSN : 0750-8069
Référence électronique
Gilles Siouffi, « Langues vivantes / langues mortes. Un paradigme en émergence au XVIIe siècle »,
Histoire Épistémologie Langage [En ligne], 42-2 | 2020, mis en ligne le 28 octobre 2021, consulté le 09
janvier 2023. URL : http://journals.openedition.org/hel/414 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hel.414
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- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
Langues vivantes / langues mortes. Un paradigme en émergence au XVIIe siècle 1
temps après, Sperone Speroni a également mobilisé l’adjectif (Speroni 1828 [1542] : 88)
et Benedetto Varchi l’utilise pour classer les langues dans l’Ercolano (Varchi 1804
[1570] : 212-213 ; voir Faithfull 1953 et Yampolskaya 2016).
3 En France, les premières attestations significatives apparaissent dans la seconde moitié
du XVIe siècle. Depuis le De ratione studii d’Erasme (1512), le grec et le latin, auxquels on
adjoindra bientôt l’hébreu, sont considérés comme des langues et comme des matières
d’enseignement, ce qui donnera naissance aux trois collèges trilingues d’Alcalá,
Louvain et Paris (voir Diu, 2018). Des langues fixées, certainement – mais ira-t-on
jusqu’à les qualifier de « langues mortes » ? On disait plutôt langues anciennes et
modernes (notons que cette opposition, comme dans le titre du Trésor de Nicot
s’appliquait aussi à l’opposition entre ce qui était perçu comme les deux états d’une
même langue, comme le français).
4 La situation du latin et du grec est de fait singulière : ces langues ne sont certes plus en
usage parlé, mais elles présentent tout de même des conditions de « vie », pour ainsi
dire. S’agissant des langues, la « mort » s’oppose-t-elle véritablement à la « vie » ? C’est
une question qui ne devra pas nous quitter au fil de notre parcours. Que signifie pour
une langue être « morte » ou « vivante » ? Les expressions sont-elles symétriques ? Au
XVIe siècle, le latin et le grec sont des langues « doctes », des langues de savoir qui ont à
ce titre un certain usage, et elles sont aussi des langues liées à la transmission des
Écritures. Le XVIe siècle paraît s’accommoder, dans une certaine mesure, de ce partage :
vulgaires d’un côté, vraies « langues » de l’autre, sur lesquelles d’ailleurs, ou à partir
desquelles, un travail grammatical est entrepris. Sont-elles pour autant « mortes » ? Le
diagnostic est difficile à établir, et si les paradigmes de la vie et de la mort sont
employés, cela reste souvent dans un esprit métaphorique, dans un prolongement des
nombreuses images tirées de la nature. « Le Maternel florit, dure, ou expire / Einsi que
fét l’Etat, Réne, ou Ampire », écrit par exemple Peletier du Mans dans sa Louange de la
Parole (Peletier 1581 : 12).
5 C’est surtout au XVIIe siècle que le syntagme va s’installer, notamment après les
réflexions de Vaugelas sur l’usage. La plupart des dictionnaires monolingues (Richelet
1680 ; Furetière 1690 ; Académie 1694) présentent les syntagmes langue vivante et langue
morte au sein d’articles divers. Ces expressions, visiblement, se sont popularisées.
6 Nous proposons donc de mener l’enquête sur les usages de ces expressions, dans le
domaine français, et sur leur mise en relation, aucune synthèse ne nous semblant avoir
été menée à ce jour en dépit de recherches éparses (Colombat 1992a et 1992b
notamment). Nous avons pour ce faire exploré systématiquement les corpus
métalinguistiques réunis dans la base Garnier numérique1, ainsi que les textes
numérisés dans Frantext2, en complétant avec d’autres citations. Cette méthode ne
nous empêche pas d’être conscient des limites auxquelles peut se heurter ce type
d’enquête. Il est toujours délicat, en effet, de mener une recherche historique sur
l’usage d’un terme ou d’un syntagme : on peut se trouver piégé par des attestations
visibles, les surévaluer, ou au contraire en manquer certaines d’essentielles.
7 En outre, quand on interroge ce qu’on pourrait appeler un « motif » – ici la vie et la
mort des langues –, on remarque des retours de termes, on met en série des textes,
mais est-on bien certain de repérer des évolutions, des articulations ? On s’arrête sur
des « moments », mais est-on à même de saisir la continuité d’ensemble ? Rien n’est
moins sûr.
13 On remarque ici la présence du verbe périr. Une indécision domine néanmoins ce qu’on
peut entendre par « mort » : faut-il comprendre la rupture dans la connaissance tout
court (« nous n’avons aucune cognoissance »), ou la rupture dans la compréhension ?
14 On retrouvera des propos similaires quelque temps plus tard chez Claude Duret :
Car par apres la Republique Romaine, estant muée en Monarchie, les mœurs
corrompus, icelle langue pareillement se changea & corrompit, perdant sa nayfueté
& eloquence precedente soubs les Empereurs, puis estant l’Empire translaté de
Rome à Constantinople, plusieurs nations estrangeres arriuants en Italie, altererent
icelle langue tant qu’on laissa à la parler, & est demeurée ez liures seulement, qui
n’ont esté leuz n’y entendus plus de huict cents ans : les vns perdus, les autres
mangez de vermolure, & gastez de vieillesse, iusques à ce qu’aucuns Italiens & Grecs
ont par estude faict reuiure ces deux anciennes langues, assauoir la Latine &
Grecque, presque mortes ou perdues, descriuants, publiants & corrigeants les liures
restez ez bibliotheques garantie [sic] de la fureur & rage des Barbares. (Duret 1613 :
803).
15 Si l’on revoit paraître le motif de la corruption ou altération, on remarque que les deux
adjectifs mortes et perdues sont associés, avec une modalisation significative (presque)
qui exprime peut-être une réticence à franchir le pas. Pour Duret, le latin et le grec se
signalent par une condition particulière : ils ont été « morts », puis on les a « fait
revivre ». C’est le motif de la restitution des langues, associable à celui, plus général, de
la « Renaissance », terme encore absent à l’époque, mais auquel on confiera plus tard (à
partir de 1828, selon le Dictionnaire historique de la langue française) la mission de
caractériser l’époque où les savants européens ont prétendu parler et écrire latin et,
dans une moindre mesure, grec, comme ces langues se parlaient et s’écrivaient à Rome
ou en Grèce, et non plus comme les représentaient les clercs du Moyen Âge (voir
Raffarin 2015).
16 De Ronsard, on peut également mobiliser un passage de la préface posthume de la
Franciade (1587) :
C’est autre chose d’escrire en vne langue florissante qui est pour le present receuë
du peuple, villes, bourgades & citez, comme viue & naturelle, approuuée des Rois,
des Princes, des Senateurs, marchands & trafiqueurs, & de composer en vne langue
morte, muette & enseuelie sous le silence de tant d’espaces d’ans, laquelle ne
s’apprend plus qu’à l’escole par le foüet & par la lecture des liures, ausquelles
langues mortes il n’est licite de rien innouer, disgraciées du temps, sans appuy
d’Empereurs, ny de Rois, de Magistrats ny de villes, comme chose morte, laquelle
s’est perduë par le fil des ans, ainsi que font toutes choses humaines, qui perissent
vieilles, pour faire place aux autres suiuantes & nouuelles. (Ronsard 1623 : 588).
17 Un adjectif apparaît ici comme équivalent possible à vivante : florissante, qui nous
rappelle la vogue de cette image horticole à l’époque (bien que la forme de l’adjectif
verbal florissant soit en voie de spécialisation dans le registre abstrait, se séparant ainsi
de la forme fleurissant). Une langue florissante indique certainement un degré supérieur
de vie.
18 Quant au syntagme langue morte (d’abord au singulier, puis au pluriel), il s’agit
apparemment, à notre connaissance, de sa première attestation en français. La
description est chargée, puisqu’on remarque également les mots muette, ensevelie,
evanouie, perduë, le verbe périr… Non content d’avoir inscrit le motif, Ronsard le
développe d’ailleurs et en propose une véritable analyse :
Le mesme Seigneur [le Turc] occupant par armes la meilleure partie de toute
l’Europe, où on souloit parler la langue Latine, l’a totalement abolie, reduisant la
Chrestienté, de si vaste & grande qu’elle estoit, au petit pied, ne luy laissant presque
que le nom, comme celle qui n’a plus que cinq ou six nations, où la langue Romaine
se debite : & n’eust esté le chant de nos Eglises, & Psalmes, chantez au leuthrin, long
temps y a que la langue Romaine se fust esuanouye, comme toutes choses humaines
ont leurs cours : & pour le iourd’huy vaut autant parler vn bon gros Latin, pourueu
que l’on soit entendu, qu’vn affetté langage de Ciceron. Car on ne harangue plus
deuant Empereurs, ne Senateurs Romains ; & la langue Latine ne sert plus de rien,
que pour nous truchementer en Allemaigne, Pologne, Angleterre, & autres lieux de
ce pays là. D’vne langue morte l’autre prend vie, ainsi qu’il plaist à l’arrest du
Destin, & à Dieu qui commande, lequel ne veut souffrir que les choses mortelles
soient eternelles comme luy [...]. (ibid. : 589).
19 Pour Ronsard comme pour ses contemporains, la langue appartient à l’ensemble des
« choses mortelles ». Mais cela ne signifie pas pour autant qu’on doive prendre la mort
littéralement et totalement. Ronsard atteste ainsi la permanence d’un latin véhiculaire,
signalant les limites de la « restauratio » humaniste de la langue de Cicéron : la langue se
transforme, donne lieu à une autre vie. Il insiste également beaucoup sur le rapport
entre la condition de la langue et le pouvoir politique.
20 Le latin peut-il donc être enregistré comme véritablement « mort » ? Tout est affaire
d’appréciation de la place désormais occupée, dans l’espace intellectuel et culturel, par
une langue qui a été « perdue », puis « restituée ». S’agit-il du même « latin » ? Il est
clair ici, que les commentateurs se heurtent à la difficile mise en œuvre de
l’individuation et de la démarcation des langues (Kremnitz 2008). Cette démarche liée
au phénomène de la représentation rencontre des problèmes dans la diatopie (la
différenciation des variétés et la différenciation entre langues et variétés), mais aussi
dans la diachronie. Par latin, ne doit-on entendre que le latin ancien, le latin des
Romains ?
21 Au début du XVIIe siècle, Colombat (1992a ; Colombat & Furno 1998) signale un épisode
intéressant : la vive réaction que Jean Belot manifesta en 1637 à un passage de la
préface des Nouvelles Conjectures sur la digestion de Marin Cureau de la Chambre dans
laquelle l’auteur déploie, dans un esprit proche de celui de Descartes, en somme, un
vibrant plaidoyer pour la langue française appliquée aux sciences, et laisse échapper, à
propos du latin, la fatale épithète de morte :
Certainement à la voir Estrangere & vagabonde, comme elle est par tout, à la voir
toute morte qu’elle est, vsurper l’empire des Sciences & des Lettres ; ie me suis
souuent imaginé que ce deuoit estre l’Ombre & le Phantôme de ces vieux Tyrãs, qui
sortoit de leurs tombeaux pour triompher de la liberté de nos Paroles & de nos
Pensées. (Cureau de La Chambre 1636 : xiii)
22 Cureau de La Chambre choisit explicitement d’exclure le latin des sciences et de la
description de la nature, considérant que, dans ces matières, il faut imiter l’exemple de
l’Antiquité et utiliser « sa langue naturelle », et estime que le latin n’est plus bon qu’à la
Fable ou à l’Histoire :
I’aduouë que s’il me falloit écrire des Fables, ou faire l’Histoire du tẽps paẞé, il me
seroit à pardonner si j’employois des langues mortes, pour dire des choses qui ne
sont plus, ou qui n’ont jamais esté. (ibid. : x)
23 Autrement dit, l’usage de la langue morte verrait son périmètre circonscrit aux choses
du passé. Pour le présent, il faudrait user d’une langue vivante. Par ailleurs, on retrouve
fréquemment dans son texte les métaphores de la jeunesse et de la vieillesse appliquées
aux langues comme aux sciences, et de façon attendue, on revoit paraître le motif bien
connu des langues assimilées aux plantes pour justifier la place accordée aux nouvelles
venues :
Je sçay bien qu’il en est comme des Plantes Estrangeres, que l’on a toûjours grand
peine d’eleuer, les vnes meurent, les autres languissent, mais auẞi celles qui
peuuent souffrir ce changement, portent dans leur nouueauté des graces qui ne se
trouuent point en toutes les autres. (ibid. : xvii)
24 L’Apologie de Belot, parue immédiatement après, se signale explicitement comme une
« contestation » du texte de Cureau de La Chambre, selon le sous-titre et le mot de
l’épître. On a donc affaire à une « mini-querelle », annonçant, sur les mérites comparés
du latin et du français, la future « querelle des inscriptions » de 1676 (voir Siouffi 2010).
Dès la première page, Belot soutient que « les Langues qui ont été renduës les plus
parfaites pour l’intelligence des hommes » ne peuvent connaître, à l’instar des empires,
la disgrâce de tomber « dans la poussiere, & dans le neant » (Belot 1637 : 2). Il reprend
ensuite un à un tous les arguments évoqués par Cureau de La Chambre dans sa longue
préface en réservant un commentaire particulier à l’adjectif morte qu’il a rencontré :
« Cette belle Langue Latine n’est donc point morte comme il nous le veut persuader, &
s’il crêt l’auoir terrassée par le raisonement de sa Preface, qu’il ne doute pas de la voir
comme vn Anthée reprendre de nouvelles forces… ». (ibid. : 35-36). Chez Cureau de La
Chambre, le motif était présent de façon insistante, puisque le verbe périr, de son côté,
se rencontrait dès la page 3 de la « Préface ». De fait, c’est bien l’aspect diagnostic du
propos de Cureau de La Chambre qui choque Belot. Pour lui, le latin est immortel ; il a
des « graces qui ne flétriront jamais » (ibid. : 34) ; « sa viellesse ne connoit point de
tâches, ny de rides » (ibid.) ; et puisque Cureau de La Chambre faisait partie de la toute
nouvelle Académie, Belot clôt son court pamphlet par une lettre à ces « Messievrs », à
qui il prête des intentions peu claires sur ce sujet et qu’il presse d’épouser sa cause. Le
latin nouvelle « langue morte » ? Certains ne le voudraient certes pas.
phénomènes sont connexes : disparition progressive du latin des usages vivants à partir
de la fin du XVIe siècle (il cite la Minerva de Sanctius parue en 1587 comme indice) et
émergence d’une instrumentalisation de la grammaire latine aux fins de description
des langues vernaculaires. Le latin est pour les humanistes une langue vivante, mais
cela n’empêche pas qu’ils aient travaillé, objectivement, avec une langue « morte »
(Tavoni 1984 : 159 et 160, cité par Colombat & Furno 1998).
27 Mais graduellement, cette identification va être bousculée par le primat accordé à
l’usage dans l’examen des langues modernes. La montée des théories de l’usage depuis
le XVIe siècle a fait l’objet de nombreuses études (voir notamment Trudeau 1992). Sans
doute la création de l’Académie a-t-elle été un tournant dans la mesure où l’article
XXIV de ses statuts demandait à la Compagnie de travailler à « donner des règles
certaines à notre langue » (Pellisson et D’Olivet 1858 : vii). De fait, il semble que la
cristallisation de la distinction langues vivantes / langues mortes date des années 1640, du
moins dans les commentaires explicites que nous conservons.
28 Lorsqu’il fait paraître ses Remarques sur la langue françoise en 1647, en effet, Vaugelas,
qui en avait déjà élaboré certaines dès les années 1610, met bien en avant qu’il s’agit
pour lui de formuler des avis sur une langue vivante et non pas morte. Dès le début de la
préface, il met en place sa définition décisive de « l’Usage, que chacun reconnoist pour
le Maistre & le Souverain des langues vivantes » (Vaugelas 1647, Préface, I), en une
formule qu’il prendra le soin de rappeler dès la remarque qu’il fait figurer en tête de
son recueil (ibid. : 1), ce qui témoigne de l’importance qu’il accordait à ce précepte et de
l’importance qu’il y avait selon lui à en pénétrer le lecteur.
29 Pour Vaugelas, deux ordres de phénomènes signalent la spécificité des langues vivantes
par rapport aux langues mortes : la prééminence de l’oral et le caractère
incontournable du changement. « la bonne prononciation [...] est une partie essentielle
des langues vivantes », écrit-il (ibid., Préface, II, 5) ; et « c’est la destinée de toutes les
langues vivantes, d’estre sujettes au changement » (ibid., Préface, X).
30 Pour certains de ses commentateurs, cette prééminence de l’oral et cette importance
du changement présentent un lien manifeste. Voici ce qu’écrit Louis Alemand, qui
éditera après la mort de Vaugelas certaines de ses remarques restées inédites :
...les langues mortes ne sont pas sujettes, ou du moins elles le sont tres-peu à ces
desordres que cause la difference qu’il y a entre l’écriture & la prononciation.
L’Hebraïque & toute celles qui en ont esté formées, reçoivent la force & la
prononciation de leurs mots, des points qu’on place d’une differente maniere,
suivant qu’on veut varier la signification, & la prononciation des mots. La Grecque
se servoit d’accens & prononçoit quelques-unes de ses lettres differemment suivant
les contrées ou Provinces differentes où elle étoit en usage. La Latine, étoit ce me
semble, la moins sujette à toutes ces variations, & il y a apparence que du tems
d’Auguste on prononçoit justement les mots comme on les écrivoit, & si on y trouve
aujourd’huy quelque difference, elle vient absolument de la diversité des Nations
qui se servent de cette maîtresse langue, & qui l’accommodent au genie & à la
prononciation de la leur. (Alemand 1688 : 12).
31 Une typologie se construit, dont témoigne la préface du Tresor de recherches et antiqvitez
gavloises et françoises de Pierre Borel (1655) :
[Les langues] sont diuisées en viues & en mortes, les mortes sont l’Hebraïque, la
Grecque & la Latine, qui n’estans plus que dans les Liures, & estans à couuert du
caprice des hommes qui les changent, ne sont plus sujettes à changement : mais les
Langues viues sont celles qui sont en vsage pour le commerce des Nations, & dont
on se sert à présent dans chaque Royaume du Monde ; & celles-cy peuuent estre
appellées la corruption des Langues mortes dont elles ont tiré leur origine.
Or il n’y a point de Langue viue qui dans vn train ordinaire ne soit sujette au
changement, quand bien il n’y en auroit aucune occasion Estrangère ; car la seule
fantaisie des hommes qui s’ennuyent des vieux mots (comme de toutes les vieilles
choses) est assez capable de les changer : Ce que le docte M. Menage a fort bien
remarqué en sa requeste des Dictionnaires. (Borel 1655 : 3)
32 La « tyrannie de l’usage » devient un principe accepté :
Or c’est vne maxime, que ceux qui trauaillent sur vne langue viuante, doiuent
tousiours auoir deuant les yeux ; Que les façons de parler qui sont authorisées par
vn vsage general & non contesté, doiuent passer pour bonnes… (Arnauld & Lancelot
1660 : 82-83)
33 Pour Vaugelas, cette « tyrannie » explique que, même dans les langues « mortes », on
trouve des irrégularités :
Surquoy il est à remarquer, que toutes les façons de parler, que l’vsage a establies
contre les reigles de la Grammaire, tant s’en faut qu’elles soient vicieuses, ni qu’il
les faille euiter, qu’au contraire on en doit estre curieux comme d’vn ornement de
langage, qui se trouue en toutes les plus belles langues, mortes & viuantes.
(Vaugelas 1647 : 305/265).
34 Cette remarque, pour autant, ne fera pas l’unanimité et suscitera des objections de la
part de Scipion Dupleix, Thomas Corneille et bien d’autres. Pour La Bruyère, qui
s’interroge sur la valeur générale de « l’usage » dans les conduites humaines, la
question se pose s’il faut vraiment assimiler la condition des langues modernes à
« l’usage », ce qui reviendrait à démissionner devant les possibilités de la raison :
Est-ce donc faire pour le progrès d’une langue que de déférer à l’usage ? serait-il
mieux de secouer le joug de son empire si despotique ? faudrait-il dans une langue
vivante écouter la seule raison qui prévient les équivoques, suit la racine des mots,
et le rapport qu’ils ont avec les langues originaires dont ils sont sortis, si la raison
d’ailleurs veut qu’on suive l’usage ? (La Bruyère 1696 : 554)
35 La nouvelle importance accordée à l’usage vient par ailleurs perturber la
représentation qu’on avait des langues anciennes. Celles-ci étaient-elles si « fixées »
que cela ? Les auteurs de la Nouvelle Méthode latine, par exemple, considèrent que « La
plus exacte pureté de la langue Latine » était observable « lorsqu’elle estoit encore
vivante » ([Lancelot] 1667 : 456). Ménage estime qu’il est « quelquefois permis de faire
des mots nouveaux dans les langues mortes » (lettre à Daniel Huet du 18 août 1663, cité
dans Leroy-Turcan & Wooldridge 1995 : 182).
36 D’un côté, le latin apparaît décidément comme une langue « morte », de l’autre, on doit
lui reconnaître une certaine « vie », mais qui n’est plus la même. Le diagnostic est bien
posé par Charles Sorel : « Ainsi la Langue Latine est une Langue morte, qui paroist
viuante chez plusieurs Nations, quoy qu’elle ne soit plus propre à aucune Nation
particulierement » (Sorel 1667 [1664] : 3). Le latin a gagné de sa « mort » une autre vie,
non nationale, pour ainsi dire. Mais pour certains, cette nouvelle « vie » ne
s’accompagne pas des inconvénients liés aux « changements » auxquels sont soumises
les langues modernes. Vie d’un côté, mais stabilité de l’autre, ce qui cumule finalement
tous les avantages :
[La langue latine] n’a pas non plus une autre imperfection des Langues vulgaires,
qui estant de leur nature sujettes au changement, ne peuvent pas consequemment
nous servir d’une regle certaine & déterminée pour tous les siécles. Si elle est
encore vivante par l’étenduë de son usage, elle a les avantages des Langues mortes,
étant fixe & arrêstée par un usage constant & déterminé ; & si son universalité la
rend utile par tout, son immutabilité fait qu’elle pourra toûjours servir (Besnier
1674 : 9)
37 On parvient ainsi à résoudre une aporie fondamentale du raisonnement sur les
langues : l’emploi d’une langue comme le latin peut être « universel » sans que le latin
soit pour autant une langue « vivante ». À la fin du XVIIe siècle, cette élaboration sur une
condition empirique singulière vient rencontrer les spéculations contemporaines sur
les langages artificiels et sur la possibilité de concevoir des langues susceptibles de
n’être pas soumises à l’histoire.
38 Par ailleurs, y a-t-il un lien entre le fait, pour une langue, d’être « morte » ou
« vivante » et certaines caractéristiques linguistiques ? Autrement dit, l’opposition
morte / vivante peut-elle construire une typologie ? Certains aimeraient le penser,
mais la chose n’est pas si facile à montrer. Organisée en questions / réponses, la
Grammaire de Claude Mauger, maître de langues installé à Londres, propose le petit
échange suivant :
Mais qu’appellez vous Langues vivantes ?
But what do you call living Tongues.
Toutes les Langues de toutes les Nations, si vous en exceptez les Langues Hebraique,
Grecque, & Latine, qui n’ont point d’Auxiliaires. (Mauger 1684 : 61)
39 Mais l’interlocuteur fait apparaître le fait qu’il n’y a pas non plus d’auxiliaires en
portugais. « Il est vray », ajoute le maître. N’y aurait-il donc pas de ligne de
partage possible ?
40 L’opposition langue vivante / langue morte semble dessiner une ligne de partage dans
le rapport à l’usage, mais non pas une ligne de partage grammaticale.
3 L’enregistrement de l’opposition
41 À la fin du XVIIe siècle, on trouve dans trois dictionnaires monolingues mention de la
distinction, laquelle donne parfois lieu à de petits développements.
42 Premier en date, le Dictionnaire françois de Richelet (1680) justifie dans l’épitre la
démarche de rédaction d’un dictionnaire monolingue d’une langue moderne par le fait
que le français égalerait les langues mortes : « [la langue françoise] est aujourdhui
l’amour des Nations les plus polies ; & elle dispute de la beauté avec toutes les langues
mortes. » On retrouve ici le motif de la compétition – en dignité, en stabilité, en
beauté – entre langues modernes et langues mortes, qui a parcouru les XVIe
et XVIIe siècles, et qu’est venu manifester à nouveau, par exemple, l’épisode récent de la
« querelle des inscriptions » (voir Charpentier 1676). « [la langue française] a quelque
chose de noble & d’auguste, qui l’égale presque à la langue Latine, & la releve
infiniment au-dessus de l’italienne et de l’espagnole, les seules langues vivantes qui
peuvent raisonnablement entrer en concurrence avec elle », écrit à la même époque
Bouhours (1671 : 28).
43 Dans le Dictionnaire de Richelet, à l’article SOUVERAIN, une citation de Vaugelas
illustre une autre mention de l’un des deux syntagmes : « L’usage est le souverain dans
les langues vivantes. Vau. Rem. C’est à dire, l’usage décide souverainement du langage. »
44 Ce poids des théories de l’usage se lit également dans l’exemple que Furetière
enregistre à l’article FIXER : « Il est impossible de fixer les langues vivantes,
d’empescher qu’elles ne changent. » Pour certains, cette impossibilité de « fixer » la
50 Ici, le plus significatif est l’effet de synonymie construit entre langue morte et langue
grammaticale. L’idée de « grammaire » au sens de grammatica s’élabore bien, toujours,
sur la base d’un état fixé, « parfait », retiré de l’usage. En 1835, ce passage sera modifié
de la manière suivante :
Langue morte, Celle qu’un peuple a parlée, mais qui n’existe plus que dans les livres.
Et, par opposition, Langue vivante, Celle qu’un peuple parle actuellement. On dit
dans le même sens Langue ancienne, par opposition à Langue moderne.
51 Le terme métalinguistique opposition signale bien, alors, la volonté de fixer les contours
d’un système de désignation. Remarquons également l’apparition du couple parallèle
langue ancienne / langue moderne. De fait, l’expression langue moderne ne se trouve pas
chez les grammairiens et les remarqueurs de l’époque classique (Corpus Garnier),
même si l’adjectif moderne a pu ici ou là être appliqué à l’époque à langue pour
contraster un état de langue avec un état plus ancien, ou encore, fréquemment, cette
fois, à usage. Dans ce sens typologique, le TLF cite des attestations chez Madame de
Staël en 1810 et Nodier en 1831, et il semble que l’expression se soit répandue au
XIXe siècle. Aujourd’hui, si le syntagme langues anciennes reste très attesté, celui de
langues modernes l’est beaucoup moins, l’opposition ayant perdu de sa symétrie et
s’étant visiblement défaite. Au début du XXe siècle, on trouve également une
équivalence entre langue ancienne et langue classique, une recherche spécifique restant à
conduire sur cette dernière expression.
Conclusion
52 À la fin du XVIIe siècle, en France, le paradigme oppositionnel langue(s)
vivante(s) / langue(s) morte(s) semble donc bien installé.
53 Nous avons vu que le processus a commencé au XVIe siècle, au travers d’un motif décliné
dans une assez grande variété de termes : changement, naissance, vieillesse, le verbe périr,
les participes perdu, évanoui, les substantifs corruption, altération… Les adjectifs mortes et
vivantes (ou plus souvent vives) s’insèrent d’abord dans cette série de termes, puis
deviennent des motifs en eux-mêmes, motifs commodes puisqu’ils présentent une
symétrie, puis on observe que le discours se fige et s’organise autour de ces termes au
XVIIe siècle, donnant naissance à une véritable typologie.
tranchée. On constatera tout d’abord que le grec a survécu, « sous une forme qui garde
bien des traits de son apparence ancienne » (Colombat & Furno 1998 : 240), mais
différente – c’est ce qu’on appellera plus tard le « grec moderne ». C’est ce qu’écrit
d’ailleurs la philologue Anne Dacier :
Par tout ce que je viens de dire, on voit que la Langue Grecque a esté florissante
jusqu’au quinziéme siécle, de sorte qu’elle estoit encore une Langue vivante il n’y a
que deux cens soixante ans. Depuis ce temps-là encore nous avons eu des Grecs
naturels tres sçavants. (Dacier 1714 : 248)
56 De son côté, l’hébreu est classé comme « mort » car il est assimilé à l’Ancien Testament,
alors que la poésie hébraïque médiévale, la littérature hassidique et la prose séculière
ont été ignorées (Yampolskaya 2016 : 18).
57 Au bout du compte, on se retrouve avec un problème particulier pour le latin. Dans un
premier temps, le latin s’est maintenu dans une condition intermédiaire, pour ainsi
dire, ne pouvant être renvoyé à sa seule « ancienneté », puis, insensiblement, il a glissé
vers la catégorie « langue morte », comme en témoignent les dictionnaires français du
XVIIe siècle, ou l’avertissement du dictionnaire latin- français de Boudot (1704).
« Lorsque la langue latine etoit une langue vivante, ceux qui vouloient faire des vers en
cette langue connoissoient déja par l’usage la quantité : c’est-à-dire, la longueur ou la
brieveté des syllabes », écrit l’abbé Du Bos (1733 : 317) ; « Enfin une pierre abatit la
statue ; c’est la langue latine qui cessa d’être une langue vivante », écrit Du Marsais à la
même époque (1730 : 242).
58 Que signifie dès lors être une « langue morte » ? Et cela signifie-t-il la même chose que
de « cesser d’être une langue vivante » ? Comme nous l’avons vu, la caractérisation
progressive du latin comme « langue morte » s’est accomplie au moment où la
compréhension de ce qu’on pouvait mettre derrière le mot « grammaire » évoluait.
D’abord fortement dépendante du caractère « fixé » du latin, la conception de la
grammatica a ensuite dû faire face à la montée des théories de « l’usage » s’agissant des
langues « non fixées ». Être une « langue morte » représentait donc un certain
avantage, si « morte » signifiait « non soumise aux vicissitudes du temps et à l’éternelle
volonté de changement des hommes ». De ce point de vue, comme l’analyse Bernard
Colombat (1992b), une langue morte a un rôle méthodologique, puisqu’on peut se
donner l’impression d’y appliquer des règles en toute rigueur. Au XVIIIe siècle,
cependant, il relève que, si ce rôle est encore reconnu par certains (Diderot), il sera
contesté par d’autres (D’Alembert). Peut-être peut-on faire l’hypothèse que l’utilisation
de l’adjectif morte (plutôt que fixe, réglée, ou grammaticale…), de ce point de vue, a joué
un rôle. Une langue morte, après tout, ne suscite pas de connotations bien positives et
on se prête bien vite à penser que l’exercice qu’on peut faire sur elle est mort lui aussi.
59 « Cesser d’être vivante », de son côté, est clairement négatif, comme on le perçoit dans
la citation de Du Marsais. Et c’est ici, sans doute, que le constat de « cessation de vie »
n’est pas synonyme du constat de « mort ». « Cesser d’être vivant », pour le latin, c’est
cesser de présenter les opérativités du langage – opérativités sémantiques,
pragmatiques et sociales – sur lesquelles l’âge classique ( XVIIe et XVIIIe siècles) a
construit de nouveaux discours. Il ne s’agit plus alors de voir le latin en tant que langue
dotée de grammaire, mais en tant que langage, idiome de communication, vecteur de
l’expression humaine. De ce point de vue, seules les « langues vivantes » vont demeurer
anthropologiquement dotées de valeur. C’est sur elles que s’appuie l’essor d’un discours
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NOTES
1. Cf. Grand Corpus des grammaires françaises, des remarques et des traités sur la langue (XIV e-XVIIe s.),
B. Colombat, J.-M. Fournier, W. Ayres-Bennett (dir.), Classiques Garnier numérique (depuis 2011).
2. Frantext est une base de textes français de toute époque développée par le laboratoire Atilf
(Analyse et traitement informatique de la langue française) à Nancy.
RÉSUMÉS
L’article étudie l’émergence des qualifications langue morte et langue vivante en France au
XVIIe siècle. Il s’appuie sur un dépouillement de sources métalinguistiques (grammaires,
dictionnaires, recueils de remarques, traités divers). Une première partie traite de l’évolution des
termes pour qualifier le latin et montre comment on est passé du motif de l’altération et de la
corruption, présent depuis le XVIe siècle, vers celui de langue morte. Une deuxième partie montre
comment le développement des théories de l’usage est concomitant de la valorisation nouvelle
des langues vivantes. Une troisième partie montre comment les dictionnaires de la fin du siècle
enregistrent l’opposition langue vivante / langue morte, ouvrant la voie à une manière d’organiser
la représentation des langues qui se diffusera dans le contexte scolaire. Au travers de l’étude de
ce paradigme émergent, c’est la question de la représentation des langues comme dotées de
grammaires réglées ou comme vecteurs changeants de l’expression humaine qui est abordée.
This paper examines the emergence of the qualifications langue morte (dead language) and langue
vivante (living language) in France in the 17th century. It is based on an extensive study of
metalinguistic sources (grammars, dictionaries, collections of remarks, various treatises). A first
part deals with the evolution of the notions used to qualify Latin, from a representation in terms
of alteration and corruption, in use since the 16th century, to those of life and death. The second
part shows how the development of the theory of usage is concomitant with a new valorisation of
living languages. The third part shows how dictionaries of the end of the century record the
opposition between langue vivante and langue morte, paving the way for a new representation of
languages that would later spread to educational contexts. Through the study of this emerging
paradigm, the question of the representation of languages as having regulated grammars or as
changing vectors of human expression is addressed.
INDEX
Mots-clés : langue vivante, langue morte, grammaire, idiome, usage
Keywords : living language, dead language, grammar, idiom, language use
AUTEUR
GILLES SIOUFFI
Sorbonne Université, Sens Texte Informatique Histoire (EA 4509, STIH), Paris, France