GILLES KIROUAC
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'" lateur Se entlfiqJe
Cognition
,
et
Emotions
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GILLES KIROUAC
. Coo rdonnateur Scientifique
,
Cognition et Emot ions
AUTEURS
Klaus R. Scherer & Janique Sangsue
Pierre Philippot
Dario Galati
Bernard Rimé
Pierre Gosselin
Ursula Hess
Arvid Kappas & Jean Descôteaux
Pio E. Ricci Bitti
Pedro Luzes
Use Fillion
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Ramon Bayés
Coimbra· Imp r ensa da Univers i d a de
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LES PR ES5E5 DE L·UN I VERSITÉ LAVA L
LES tD I T I ONS DE L · I QRC
COORDENAÇÃO EDITORIAL
Imprensa da Universidade de Coimbra
CONCEPÇÃO GRÁFICA
António Barros
PAGINAÇÃO
António Re se nde
[Universidade de Coimbra]
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MAIO
2004,
IMPRENSA DA UNI VERSIDADE DE COIMBRA
OBRA PUBLI CA DA COM O PATRocíNI O DO
INSTITUTO DE PSICOLOGIA COGNITIVA
FCT: FUNDAÇÃO PARA A CI~NA
E A TECNOLOGI A
MINISTÉRIO DA CIÊNCIA E DO ENSINO SUPERIOR
Ap O IO DO PROGRA MA OPERACIONAL CI~NA,
TECNOLOGIA, INOVAÇÃO
DO QU A DRO COMUNITÁRIO DE ApOIO
Bernard Rimé
Université de Louvain,
Louvain-Ia-Neuve, Belgique
ÉMOTION ET MÉMOIRE:
LA RÉMANENCE DES EXPÉRIENCES ÉMOTIONNELLES
INTRODUCTION
Dans la littérature scientifiqu e, les émotions sont surtout étud iées sous
deux angles principau x. II s'agit d'une part des conditions de leu r
déclenchement, et d'autre part, des composants de I'expérience
émotion nelle . Dans le premier cas, on examine des variables telles que les
circonstances extérieures, I' évalu ation cognit ive qu'e ll es susc itent, la
modu lation de cel le-ci par des facteurs de contexte, etc. Dans le second
cas, on porte I'attention sur les réponses dan s les différents systemes :
manifestations faciales, physiologiques, neuropsychologiques, comportementales,
subjectives, et cognitives. Le chap itre qui suit sera consacré à une question
qu i se situe completement en aval des précédentes. Nous al lons examiner
la rémanence des expériences émotionnelles.
Selon la définition qu'en donne le dictionnaire Robert, le terme rémanence
signifie «permanence» ou «persistance». En physiq ue, ii désigne la persistance
partielle de I'aimantation apres le retrait de I' intl uence magnétique. Le même
dictionnaire indiq ue que ce terme est également utilisé dans le domaine de
la perception visuelle. La technique du cinéma est fondée sur la rémanence
des images visue ll es. En étendant ici la notion de rémanence au domaine de
I'émotion, nous viserons donc I'impact conservé par les expériences
émotionnelles sur les différents niveaux du fonctionnement du sujet apres
la fin de I'épisode qui a provoqué I'émotion. D e quoi s'agit -il ?
D e nos jours, tout le monde sait que des expériences émotionnel les à
caractere traumatique peuvent avo ir un impact prolon gé. En particulier;
I'exposition soudaine à la mort ou à la mutilation peut entraí'ner; et parfois
pour longtemps, le revécu de I'événement sous forme d'irruption d'images,
d'impression so ud aine que I' événement se reproduit, de rêves ou de
79
cauchemars, ou de réactions physio logiques et subjectives de stress et
détresse lorsq ue quelque chose rappe ll e I'événement. Ce so nt des
man ifestations de rémanence de I'émotion pu isqu' il s'agit de I' impact d'un
événement émotionnel passé sur le fonctionnement actuei de I'individu . Si
la rémanence post traumatique nous est fami liere aujourd'hui, I'histoire de
la santé mentale est là pour nous rappeler qu'il n'en a pas toujours été ainsi.
L'idée qu'un événement émotionne l puisse affecter ultérieurement le
fonctionnement cognit if et affectif a fait pendant longtemps I'objet de
rési stances importantes dans les milieux de la psychopathologie (Van der
Kolk, We isaeth, & Van der Hart, 1996). Ces résistances n'ont été vain cues
que par I'observation massive de séquelles psycho logiques chez les militaires
américains apres la guerre du Vietnam (Kul ka, Sch lenger, Fairbank, Hough,
Jourdan, Marmar & Weiss, 1990). II Y a à peine une vingtaine d'années que
le syndrome de stress post traumatique qui décrit de te lles manifestations
est entré dans le Diagnastic and Statisticol Manual af Mental Disarders (D SM)
(American Psychiatric Association, 1980). Depuis lors, ce syndrome est I'objet
d'étude privi légié d'une spécialité scientifique que I'on désigne parfois comme
la «psychotraumatologie».
Curieusement, les aléas du découpage des spécialités sc ientifi ques
entretiennent une ligne de démarcation entre la psychotraumatologie d'u ne
part et la psyc hologie des émotions d'autre parto Ce ll e-ci étu die les
expériences émotionnelles de la vie courante comme la joie, la colere, la
tristesse, la peur, la honte , etc. (voir par exem pl e Frijda, 1986; Oatley &
Jenkins, 1996; Rimé & Scherer, 1990). Depuis les travaux de Cannon ( 1929) ,
on y aborde les émotions dans une perspective homéostatique. Selon ce
point de vue , I'émotion est déclenchée par une situation qui requ iert une
réponse urgente. Elle met en oeuvre des fonctions psychophysiologiques
qui doive nt permettre à I'ind ividu de pallier la sit uation urgente . Elle conduit
80
ai nsi au rétablissement dans I'organ isme de I'état qui était le sien avant la
crise. Dans une telle logique, I'émotion s'acheve avec la fin de I'épisode
émotionnel. L' intérêt ne se porte pas au-delà de ce t erme, et on n'envisage
donc pas qu' il pui sse y avoir une rémanence de I'émotion . Cependant, des
travaux que nous avons menés au cours de la derniere décennie montrent
que la rémanence des expériences émotionnelles de la vie courante est une
réalité. Troi s types de man ifestations ont été observés à cet égard: I'effet
de réactivation, la ruminati on mentale, et la partage social des expériences
émotionn elles. N ous all ons examiner brievement chacune d'elles
TROIS TYPES DE MANIFESTATIONS DE LA RÉMANENCE DES ÉMOTIONS
L'effet de réoctivotion. Dans I'une de nos études, nous avons invité les
participants à se remémorer un ép isode émotionnel de leu r passé récent
(Rimé, Noel, & Philippot, 1991 a). Les in structions précisaient le type
d'émotion selon quatre conditions différentes. Certains devaient se rappe ler
un épisode au cours duquel ils avaient éprouvé de la peur, d'autres de la
tri stesse, d'autres de la joi e, d'autres de la colere. Tou s devaient ensu ite
rédiger un texte dans lequel ils décrivaient en grand détail cet épisode. Enfin,
ils ont répondu à un questionnaire exam inant leur expérience pendant qu'ils
écrivaient. Quel que fut le type d'émotion réévoquée , on constatait que le
rappel avait activé chez presque tous (I) des images mentales vives de
I'épisode, (2) des changements corporels émotionnels intenses, et (3) une
expérience subjective semblable à éprouvée au cours de I'épisode initial.
Un simpl e rappel permet donc d'observer I' im pact d'une expérience
émotionne lle passée sur le fonctionnement cognitif et affectif actuei .
Lo ruminotion menta/e. l'induction d'un rappel n'est pas indispensable pour
observer la rémanence des expériences émotionnelles. Nos études ont montré
que les expériences émotionnelles se représentent spontanément en mémoire
apres coup (Rimé, Mesquita, Philippot, & Boca, 199 I b; Rimé, Philippot, Boca,
& Mesquita, 1992) . Une «rumination mentale» de I'expérience émotionnelle
se manifeste sous forme d'images, de pensées, ou de dialogues intérieurs. Qu'il
s'agisse de joie, de colere, de tristesse, de peur, de honte ou d'une autre
émotion, la rumination mentale est pratiquement toujours présente apres
I'émotion. Ses manifestations sont généralement répétitives. On observe une
corrélation positive modérée entre la fréquence de la rumination mental e
et I'intens ité de I'émotion vécue dans I'épisode source. Les expériences
émotionnel les de forte intensité peuvent susciter une rumination mentale qui
prend une allure obsédante. II s'agit bien de man ifestations de rémanence de
I' expérience émotionnel le, puisque I'épisode émotionne l affecte le
fonctionnement de la personne en un tem ps qui est largement ultérieur.
Le portoge socio/. La rémanence de I'émotion ne se limite pas à des
manifestations intern es à la personne. On I'observe également so us forme
externe et interpersonnelle, dans une propension à verbaliser I'expérience
émotionnel le , et à en reparler avec I'entourage . C'est le «partage social de
I'émotion», qui se présente apres I'émotion dans 80 à 95% des cas (Rimé
& aI., 199 1b; Rim é & ai., 1992; Rimé, Finken auer, Luminet, Zech , & Philippot.
81
1998) . II apparaít le plus souvent des le jour ou I'événement s'est produ it
et ii est généralem ent répétitif. Les cibles sont principalement les intimes.
Plu s I'expérience émotionnelle a été intense, plus le partage social sera
répétitif, de sorte que les ép isodes d'intensité élevée sont généralement
partagés à de nombreuses reprises. On rencontre le partage social de
I'émotion quel que so it le type d'émotio n impliqu ée dans I'expérie nce.
Toutefois, la honte et la cu lpabilité sont associées à des taux plu s réduits
de communication. Ell es so nt également assoc iées aux expérien ces
émotion nel les gardées secretes (Finkenauer & Rimé , 1998) . Egalement
présentes chez les hommes et les femmes, les manifestations du partage
social de I'émotion s'observent déjà chez les enfants, elles apparaissent
ensuite de maniere comparab le dans toutes les classes d'âges, et leur
évolution au tro isieme âge (65-95 ans) se f ait dans le sens d'une
accentuation. Enfin, le partage social de I'émotion a été observé de maniere
globalement comparable dans di verses population s européennes, nord -américaines et asiatiques (Corée, Japon, Singapour, Indes) (Mesqu ita, 1993;
Rimé, Yogo, & Pennebaker, 1996; Singh-Manoux, 1998; Singh-Manoux &
Finkenauer, 200 I ;Yogo & Onoué, 2000). C'est donc un phénomene d'une
tres grande généralité.
Conclusions. Ces données montrent que les événements émotionnels de
la vie courante suscitent des manifestations de rémanence, comme c'est le
cas pour les événements émotionnels traumatiques. Même si dans le second
cas, la rémanence peut parfois handicaper gravement le fonctionnement de
I'individu, on peut con clu re que les deu x types d'expérience sont sur ce
plan dans un rapport de continu ité . Nous avons déjà discuté aill eu r s la
portée scientifique d'une tel le constatation (Phi lippot & Rim é, 1998). Nous
avons égaleme nt passé en r evue à dive r ses repri ses le détail de nos
recherches sur la rumination mentale et sur le partage social de I'émotion
82
(Rimé & aI., 1992; Rimé & aI. , 1998, Rimé, Corsini, & Herb ette, 2002; Rimé
& H erbette, sous presse;). D ans ce chap itre, nous vo udrions tenter de
systémati ser les informations relatives à cette dynamique particu li ere qui
caractérise les souven irs d'expériences émotionnelles. Nous exam inerons
d'abord les phases de I'évo lut ion du souve nir de I'expérience émotionnelle .
Nous chercherons ensu ite à préciser en quoi consiste la mémoire d'une
expérience émotion nell e. Enfin, no us abord erons la qu estion des facteurs
qui est la question la plus critique pour la compréhension de la rémanence
des expériences émotion nelles.
LES PHASES DE L'ÉVOLUTION D'UN SOUVENIR ÉMOTIONNEL
De lo rémonence initiole ou souvenir dormont. Immédiatement apres
I'épisode, les expériences émotionnelles se représentent en mémoire de
travaiI et suscitent donc une activité cognitive sous forme de rumination
mentale ainsi qu'une activité sociale sous forme de partage social. En
particulier, I'expérience émotionnelle et les circonstances qui I'ont induite
sont communiquées, décrites, commentées, et discutées. Dans ces
moments, les composantes de I'univers phénoménal de cette expérience
tendent à envahir à nouveau la conscience du sujet. A mesure que le temps
passe, qu'il s'agisse de la rumination mentale ou du partage social, les
manifestations de la rémanence déclinent et I'impact de I'expérience
émotionnelle sur le fonctionnement courant se réduit peu à peu jusqu'à
de ven ir négligeable . Par exemple, une sema ine apres un examen
universitaire important, 100% des étudiants suivis en avaient reparl é au
cours des 48 heures précédant I'enquête; deux semaines apres I'examen,
un taux de 94% était observé, et trois semaines apres I'examen, ce taux
était tombé à 50% (Rimé & aI., 1998). Mai s la pente du déclin progre ssif
est fonction de I'intensité initiale de I'expérience. Plus I'émotion d'origine
a été intense, moins cette pente sera raide . Ainsi, dix jours apres le déces
d'un proche, 97% des répondants avaient reparlé de leur expérience
émotionnelle dans les 48 heures précédant I'en quête; quatre semaines
apres le déces, le taux était de 86%, et 12 semaines apres I'évé nement, ii
s'élevait encore à 79% (Zech, 1992). Selon le cas, la pente de déclin pourra
donc se développer sur une échelle qui s'inscrira en heures, en jours, en
semaines, en mo is, vo ire en années. Tait & Silver (1989) ont étudié chez
leurs répondants I'impact actuei du «pire événement de leur vi e». Bien
que les événements ainsi récoltés aient · eu lieu en moyenne 22,8 années
auparavant, on observait qu'ils donnaient encore lieu à des rémanences
chez pres de la moitié des participants. Par contre, les autres répondants
avaient atteint la phase finale d'évolution de la rémanence pour cet
événement. C'est la phase «dormante» du souvenir qui se caractérise par
I'absence de tout impact sur le fonctionnement actuei de la personne.
Nous adoptons ce terme parce que nous verrons plus loin qu'il y a lieu
de penser que le souve nir d'une expérience émotionnelle ne s'éteint
jamais.
83
Expériences émotionnelles non résolues. Certaines souvenirs d'expériences
émotion nelles n'évo luent pas cependant vers I'état dormant. Quand ce la se
présente, c'est problématique. En effet, si un souvenir continue à mobi liser
les ressources atte ntionn elles, ii le fait au détriment des besoins de
I'adaptation aux situations nouvelles. On parlera dans ce cas d'expérience
émotionnell e non résolue. Troi s éléments les caractérisent. En prem ier lieu,
les ré itérations mentales qu'elles suscitent gênent la vie quotidienne et le
besoin de reparler de I'expérience perpétue.Toutefois, du fait de la saturation
de I'entourage, le partage social effectif est réduit, voire absent. Mais ii
s'instaure à la moindre occasion . En deuxiême lieu, les émotions réactivées
lors de chaque rappel demeurent d'intensité élevée. En troisiême lieu, la
personne a conscience du statut particulier de cette expérience . Ell e
reconnaí't son caractêre non résolu et exprime le sentiment de «porter»
encore cet épisode au quotid ien ou «de ne pas être en paix» à son sujet
(Tait & Silver; 1989) .
Des instructions simp les permettent de montrer ces différentes
caractéristiques. Nous avons demandé à des étudiants de se rappeler puis
de décrire une expérience émotionnelle, selon deux types d'instructions
(Rimé, H ayward , & Pennebaker; 1996). Ils devaient se rappeler soit d'une
expérience non résolue (on spécifiait simplement qu'ils devaient encare être
affectés actuellement par cette expérience), soit d'une expérience résolue,
(e ll e ne les affectait plus). Aprês le rappel, tous ont répondu à un
questionnaire examinant I' impact que I'expérience avait eu au moment ou
ell e s'était produite et celui qu 'elle conservait dans la vie actuell e. Les
épisodes évoqués dans les deux cas ne se distinguaient ni pour I'intensité
de leur impact émotionnel à I'origin e, ni pour les manifestations de la
rémanence initiale. Dans les deux canditions, le partage social avait été initié
aussi rapidement aprês I'épisode et ii avait été répété avec une fréquence
84
camparable. Par contre, les expériences résolues et non résolues différaient
três significativement pour tous les indicateurs de rémanence actuell e. En
particulier; pour les épisodes non résolus, I'intensité des émotions éprouvées
pendant le rappel expérimental était supérieure, le besoin actuei de reparler
de I'ép isode était plu s intense, et le partage social effectif au cours des
semaines précédant I'étude était plus fréquent que pour les épisodes réso lus.
Ceci suggêre qu e le s ge ns peuvent di stinguer dans leurs souven irs
autob iograph iqu es les expérience émotionnelles non résolues et les
expériences émoti onnell es résolues.
Expériences émotionnelles réoctivées. Nous avons vu plus haut que
lorsqu'on indu isait le rappel induit d'une expérience émotionnelle, une
réactivation de cette expérience s'ensuivait (Rimé & aI., 1991 a). C'est
également ce qui se passe dans la vie courante lorsque des conditions
de rappel sont rencontrées. L'événement passé retrouve alors un impact
actuei et I'expérience phénoménale qui avait caractérisé cet événement
se reconstitue jusque dans ses prolongements physiologiques. Si les
é léments appropriés de rappel sont rencontrés, des expériences
émotionne ll es tres anc ienn es peuvent être réactivés avec une force
considérab le . Dans «A la recherche du temps perdu», Marcel Proust a
décrit le flot des sentiments, sensations et autres souvenirs d'enfance qui
étaient ravivés par la simp le ingestion d'une madeleine. II a offert du même
coup une belle illustration littéraire de la réactivation, révélant ainsi la
résistance à I'extinction des souven irs chargés d'émotion.
Conc/usions. Les manifestations de rémanence sous forme de rumination
mentale et de partage social sont des phénomenes normaux au cours de
la période qui fait suite à I'émotion. Au vu de la généralité de ces
manifestations, on a toutes les raisons de penser qu'elles font partie
intégrante de I'émotion. Leur destin normal est ensuite le déclin progressif,
et I'i ssue attendue est I'état de souven ir dormant. Le meilleur prédicteur
connu de la pente de cette évolution est I'intensité de I'émotion vécue à
I'origine. Certaines expériences émotionnell es font exception au principe
du déclin et continuent à mobiliser I'attention au détriment de I'adaptation
courante. On ne dispose pas encore de prédicteur clair de ces expériences
non résolues. Enfin, ii semble bien que tout souvenir émotionnel dormant
puisse être réactivé lorsque des éléments de rappel sont rencontrés.
Beaucoup de questions se posent maintenant. Pourquoi les expériences
émotionne ll es ont-e ll es cette particularité de susciter la rémanence?
Pourquoi suscitent-elles d'autant plu s de rémanence que I'i ntensité de
I'émotion a été élevée? Pourquoi les manifestations de la rémanence
déclinent-elles à mesure que le temps s'écoule? Pourquoi ces manifestations
se perpétuent-elles dans certains cas? Pour aborder ces questions, ii est
nécessaire de rechercher les particularités des expériences émotionnel les
à deux niveaux différents: ( I ) au niveau des éléments qui constituent leur
représentation en mémo ire à long terme, et (2) au niveau des facteurs
susceptibles de les rappeler en mémoire de travail.
85
REPRÉSENTATION EN MÉMOIRE À LONG TERME
E/éments de I'expérience. Une expérience émotionnelle se distingue de
I'expérience ordinaire par la masse des éléments qui y entrent en ligne de
compte, et ce à troi s niveaux différents de I'unive rs expérientiel. Le tableau
I propose une liste de synthese de ces éléments établie à partir de Lang
(1993) et de Scherer (1984). Le premier niveau est celui du donné de la
situation. Une situation émotionnelle a généralement la particularité de
«déborder» I'i ndivid u. Le donné externe à percevo ir et à enregistrer se
présente souvent de maniere surabondante dans un empan temporel réduit.
II touche toutes les modalités d'entrées, auditives, visuelles, olfactives, tactiles,
cutanées, vestibulaires et kinesthésiques. Le deuxieme niveau est celui des
données issues du travai I cognitif automatique et du travai I cognitif contrôlé
qui se développent dans ces conditions. En situation émotionnelle, le
potentiel cognitif d'appréciation de s situations doit répondre à des
sollicitations multiples dans des délais extrêmement brefs. Le processus se
déroule de maniere séquentielle (Scherer, 1984) et ii engendre un ensemble
vaste de significations diverses, parfois contradictoires. Le troisieme niveau
des données qui caractérisent les expériences émotionnelles est celui des
réponses. L'émotion sollicite I'ensemble psychophysiologique que constitue
I'indivi du en mettant en jeu tous les systemes de réponses dont celui-ci
dispose, et ce à un point qu'aucune situation non émotionnelle n'approche.
Toute expérience, qu'elle soit émotionnelle ou non émotionnelle, comporte
des éléments des trois niveaux que nous venons de parcourir. Cependant,
ii existe une relation de foit entre I'intensité de I'émotion qui caractérise
une expérience et I'abondance des éléments aux différents niveaux. Cette
remarque s'applique particulierement aux éléments psychophysiologiques.
Au plus intense est I'émotion, au plus dense sera I'ensemble psychophysiologique
86
qui constitue I'expérience.
II faut conclure de ce qui précede qu'une expérience émotionnelle
propose au processus de mise en mémoire un matériel plus abondant et
plus diversifié qu'une expérience ordinaire. C'est sans doute un aspect à
prendre en considération si on veut comprendre pourquoi les expériences
émotionnelles suscitent la rémanence.
Les émotions dons lo mémoire à long terme. La littérature n'abordeguere
la question de la maniere dont le souvenir d'un épisode émotionnel donné
se constitue dans la mémoire à long terme. Mais certaines théories de
TABLEAU
N IVEAU
I LES ÉLÉMENTS DE L' EXPÉRIENCE ÉMOTIONNELLE
I - Données externes saisies dans les différentes modalités
d'entrées (auditives, visuelles, olfactives, tacti les, cutanées, vestibulaires et
kinesthésiq ues), notam ment (Lang, 1993):
• les détails physiques de I'objet ou de la situation
• les modifications de la configuration de I'objet
• les mouvements de I'objet (par exemp le, approche , évitement... )
• I'espace physique, les lieux et la localisation générale
• Ia présence ou I'absence des autres comme observateurs ou
participants
• les commentaires faits par les autres
• Ia douleur éventuelle, sa local isation corpore lle, ses caractéristiques
NIVEAU
2 - Données issues de I'évaluation cognitive séquentielle de la
situatio n, notamment (Scherer, 1986):
• de la nouveauté de la situation,
• de ses conséquences hédon istiques,
• de sa signification pour les buts poursuivis par le sujet
• de la capacité que ce lu i-ci possede d'y faire face,
• de la compatibi lité de I'événement avec les normes du sujet.
NIVEAU
3 - Données internes issues des réponses dans les différents
systemes, notamment (Lang, 1993):
• les signaux vocaux
• les verbalisations exp licites ou implicites
• les manifestations somatomotrices diverses (tension musculaire,
manifestations expressives, manifestations motrices incontrôlées,
manifestations motrices organisées)
• les manifestations viscérales aux différents niveaux du systeme
ne rveux autonome (sous-systeme cardiaque, cutané, vascu laire,
pi lomoteur, sal ivaire, respiratoire, gastro-intestinal, urinaire)
• les manifestations qui caractérisent le fonctionnement cogn itif
(confusion , vivacité, distorsion, perte du contrô le de la pensée ,
désorientation spatio-temporel le)
• les manifestations liées à I'adaptation des organes sensoriels
(changements postu raux, mouvements oculaires, mouvements de la tête).
87
I'émotion se fondent sur lidée que la mémoire à long terme cumule sous
forme de réseaux associatifs schématiques ou prototypiques, les informations
issues d'expériences émotionnel les sim ilaires (Lang, 1979; Leventhal, 1984).
L.:am orçage de tels réseaux serait à la base du processus de déclenchement
de I'émotion. On peut s'inspirer de ces théories pour se faire une idée de
la man iere dont la mémoire à long terme emmagasine les souven irs de
chaque épisode émotionnel particulier. Cela conduit à considérer (voir en
particulier Lang, 1979, 199 3) qu'un réseau associatif spécifique rassemblerait
I'ensemble des éléments qui ont coexisté pendant une expérience
émotionnelle donnée. Ce réseau lierait ainsi les données de la situation, celles
des signi fi cations engendrées par le traitement cogn itif de cette situation,
et ce lles des réponses de I'ensemble psychophysiologique. II comporterait
en outre des adresses fonctionnelles de sortie vers les efférences
physiolog iqu es et vers I'action manifeste. Une fois constitué, ce réseau
associatif devient le substrat mnémonique de cet épisode émotionnel qu'il
représente désormais dans la mémoire à long terme.
Selon les conceptions class iq ues de la mémoire, pour qu'une expéri ence
passée retrouve un impact sur I'adaptation actue lle, son souvenir doit être
ramené en mémoire de travai I par des facteurs de rappel. Les manifestations
de la rémanence doivent être comprises dans cette perspective. Ell es
s'exp li quent nécessairement par la présence dans le contexte actu ei,
d'éléments qui s'apparient avec des composants du réseau mnémonique de
cette expérience. Nous terminerons donc ce chap itre par I'examen de la
question des facteurs de rappe l.
FACTEURS DE RAPPEL
88
Eléments d'opporiement. Le souven ir d'une expénence émotionnelle
donnée sera réactivé si des éléments situationnels ressemblant à ceux que
com porte le réseau mnémonique de cette expérience se représentent dans
le contexte actueI. II le sera également si des réponses psychophysiologiques
du type de celles qui ont été emmagasinées dans la sit uation d'origine, sont
réactivées. De même, le souvenir sera réactivé si des significations semblables
à celles qui furent enregistrées au cours de I'expérie nce d'origine sont
évoquées à nouveau . Le substrat mnémon ique d'un épisode émotionnel
particulier sera donc réactivé chaque fois que le co ntexte actuei, externe
ou interne, comportera des éléments qui s'apparient avec des éléments
associés à ce substrato Les différents éléments qui ont été envisagés au
tableau I constituent donc autant de voies d'acces potentielles. II suffit
que le contexte actue i les remette en jeu. Lorsque cet appariement se
présente, I'activation se produit et se diffuse ensu ite dans I'ensemble du
réseau. Au mei ll eur I'appariement, au plu s forte sera I'acti vation . Si
I'activation est suffisamment importante, elle se diffusera jusqu'aux adresses
de sortie, entraínant ainsi la mise en oeuvre effective des changements
physiologiques.
Pour les épisodes émotionnels, la gamme des facteurs d'appariement est
donc tres étendue, et en tout cas beaucoup plus étendue que pour la
plupart des expériences non émotionne ll es . Cela exp liqu e en partie
pourquoi les expériences émotionnelles sont sujettes aux manifestations de
rémanence. Toutefois, dans le cas des expériences émotionnelles, la gamme
des facteurs de rappel ne s'arrête pas aux éléments d'appariement. II faut
ajouter à cette gamme déjà tres étendue, des facte urs de rappe l qui leur
sont propres.
Le s séquelles de ,'épisode. Les expériences émotionnelles laissent
généralement des marques dans différents registres de la vie courante du
sujet. Ainsi, dans le registre matériel, les épisodes émotionnels laissent souvent
des traces dans les biens ou les possessions des acteurs, qu'il s'agisse de
dommages à la propriété, de dégâts à la voiture, ou d'autres perte s ou
dégradations d'objets. Dans le registre du corporel, I'épisode peut se solder
par des blessures, des lésions, ou des handicaps divers qui affectent le sujet
lui-même ou des personnes dont ii a le souci. Dans le registre économique,
I'épisode peut entraíner des couts ou des pertes financieres qui peuvent
altérer la vie quotidienne . Dan s le registre social, I'épisode peut déboucher
sur des conflits, des litiges, des mécontentements, des ruptures, des
procédures juridiques ou judi ciaires. II s'agit dans chacun de ces cas de
séquelles de I'épisode émotionnel, et donc d'indices concrets que I'épisode
émotionnel laisse dans la vie courante de la personne. De tels indices
forment des facteurs de rappel particulierement efficaces. Ils peuvent donc
contribuer dans une mesure importante à la rémanence. A insi, dans une
étude récente, on a exam iné à la fois les séquelles et la rémanence résu ltant
d'épisodes émotionnels importants chez des répondants adultes (Rimé &
Gérard, 200 I ). Ces répondants ont indiqué I'importance des séquelles
physiques, matérielles, économiques, et sociales laissées par I'ép isode dans
89
leur vie actuel le. Ils ont également répondu à une échel le évaluant la
rémanence actuelle de cet épisode. L'examen des relations entre ces
variab les montrait un r
= - .37 (p
< .05) entre I'importance des séquelles
actuelles et le degré estimé de résolution. En outre, une corrélation de. 57
(p < .00 I ) apparaissait entre I'importance des séque ll es actuell es et la
fréquence actuelle du partage social . Ces re lations sont donc tout à fait
cohérentes avec le principe selon lequel les séquelles activent la rémanence.
Aux différents types de séquel les que nous avons envisagées ci-dessus,
ii faut ajouter une catégorie supplémentaire. Parmi les séquelles laissées chez
I'individu par une expérience émotionnell e, celles qui concernent le domaine
cognitif sont particulierement crucia les pour la compréhension de la
rémanence des émotions.
Les séquelles cognitives. De toutes les séquelles susceptibles de résu lter
de I'expérience émotionne ll e, les séquelles cognitives sont à la fois les moins
visibles et les plus influentes. II est fréquent qu'alors que I'épisode émotionnel
ne laisse plus aucune autre séquel le (matériell e, physique, économique, ou
sociale ... ) dans la vie actuell e, d'importantes man ifestations de rémanence
se perpétuent sans que la personne puisse en déceler la source . En fait,
les expériences émotionnel les mettent en jeu des éléments que le sens
commun ignore comp letement. Elles sont souvent suivies de séque ll es
cognitives qu i constituent de puissants facteurs de rappel. Nous all ons
évoquer succinctement la maniere dont elles se développent.
L' univers physique et social dans leque I évoluent les êtres humains
comporte une part importante d'imprévus, de hasards, d'accidents, de
risques, de malveil lances et d'injustices. Pour leur part, les êtres humains ont
développé un sens aigu de leur bien-être, de leur intégrité physique et de
leur survie . Evoluer au quotidien avec une conscience claire des menaces
auxque ll es la vie les expose éveillerait chez eux des niveaux d'anxiété
90
propres à rendre I'action et I'adaptation impossibles. C'est donc au sein d'un
univers modélisé cognitivement qu'ils déploient leurs activités ordinaires. De
nombreuses observations empiriques ont documenté les théories implicites
au moyen desquelles les individus constituent cet espace vital rassurant. Ainsi,
par exemp le, ils utilisent un arsenal de protection contre I'idée de leur
propre mortalité (Solomon, Greenberg, & Pyszcsynski, 199 I ); ils envisagent
les situations comme si leur propre personne bénéficiait d'une certaine
invulnérab ilité (Perloff, 1983); il s se figurent leur propre destinée sous I'angle
d'un optimi sme non réaliste (Taylor & Brown, 1988; Taylor; Kemeny, Reed,
Bower; & Gruenewald, 2000: Weinstein, 1980: Weinstein & Klein, 1996): ils
déploient d'importants efforts mentaux en vue de maintenir une vision selon
laquelle le monde est juste (Lerner; 1980) et bienveil lant Qanoff-Bulman,
1992): ils surestiment leur capacité de contrôler les événements (Langer;
1975): ils endossent largement les propositions culturel les selon lesquelles
le monde dans lequel ils vivent a un sens (Berger & Luckmann , 1966/ 1996).
En somme, les êtres humains développent des représentations cognitives
biaisées de la réalité physique , de la réalité sociale, et d'eux-mêmes. Il s
entretiennent continuellement une série de constructions cognitives qui,
prises ensemble , forment une enveloppe symbolique capable de voiler les
menaces auxquelles la vie les expose, et de les doter de sentiments de
cohérence, de maítrise, de stabilité et de sécurité. Ces constructions ne sont
pas conscientes, pui sque c'est précisément leur fonction que d'être
confondues avec le réel.
Les expériences émotionnelles ont systématiquement la particu larité
d'ébranler voire même d'infirmer chez le sujet, ces théories implicites sur
le monde, les autres et soi-même sur lesquelles ii s'appuie. N'importe quel
exemple d'épisode émotionnel permet de I'illustrer. A insi, si un conducteur
se comporte de maniere inconsidérée sur la route mettant brusquement
en cause mon intégrité physique, mon appréhension rapide et automatique
du danger imminent se soldera par une soudaine frayeur. C'est là qu'on
arrête généralement I'analyse des liaisons cognition-émotion qui caractérisent
les événements émotionnels. Mais en réalité, I'impact d'un tel événement
se prolongera bien au-delà de la seule appréhension du danger. II affectera
directement une partie de I'échafaudage des théories implicites sur lesquelles
je me repose habituellement afin de pouvo ir emprunter la route sans
angoisse. Ces théories me permettent en effet de croire que je suis à I'abri
du danger; que je bénéficie d'une invulnérabilité relative, que mon destin
est plus favorable que ce lui de la plupart des autres gens, que je suis un
conducteur plus habile que les autres, que les autres conducteurs sont
maí'tres d'eux, qu'ils se comportent de maniere raisonnable, que ma vo iture
est plus robuste que la moyenne des autres vo itures, etc. Au moment ou
je fais I'expérience de I'accident imminent, chacune de ces constructions se
trouvera ébranlée . Si I'accident a lieu, leur mise en question risque bien
d'atteindre un point critique. S'il s'ensuit des dommages graves pour mes
bien s et ma personne, I'infirmation de ces constructions pourrait deve nir
irréversible pour une longue période.
91
Dans t ous ces cas, les éléments de I'expérience émotionnelle se réve lent
en relation d'incompatibilité avec des constructi ons cognitives qui font partie
de I'expérience courante. C'est donc une situation de dissonance cognitive
qui s'in st alle (Festinger; I 957). Tant qu'elle subsistera, la dissonance aura I'effet
d'un facteur de rappel. Ell e rappellera le souveni r de I'épisode émotionnel
en mémoire active , empêchant ainsi son accession au statut de souvenir
dormant dans la mémo ire à long terme. H orowitz ( 1976) a décrit le
développement d'un process us de ce type dans le cas des ép isod es
émotionnels à caractere traumatique. II a notamment montré comment cette
dynamique cogniti ve entraí'nait la perpétuation des manifestations du
syndrome de stress post traumatique. Notre propos est ici d'étendre la prise
en cons idératio n de cette dynamique à toute expérience émotio nnelle, y
com pri s cel les de la vie la plus co urante . Elle contribue généralement dans
une mesure important e aux différentes manifestations de rémanence qui
font suite aux ép isodes émoti onnels.
CONCLUSIONS GÉNÉRALES
Dans ces pages, nous avons montré que les expériences émotionnelles
de la vie courante se prolongeaient au -d elà de I'événement par des
manifestations de rémanence. Nous avons décrit les différentes formes que
pouvaient prendre la rémanence des expériences émotionnel les, dans la
réactivation par le rappel, la rumination mentale et le partage social. Nous
avons exam iné les différentes ph ases de I'évolution de la rémanence , avec la
phase initiale, le déclin progressif, et la phase du souvenir dormant. Nous avons
constaté que certaines expériences émotionnelles n'atteignaient pas cette
derniere phase et suscitaient la rémanence de maniere chron ique. Nous avons
92
également vu que les souvenirs dormants pouvaient être réactivés. Nous avons
examiné les parti cu larités de la mémorisation pour constater que I'expérience
émotionnelle se caractérise par I'abondance des éléments à emmagasiner: Enfin,
nous avons détaillé les différents types de facteurs de rappe l à I'reuvre dans
la réactivation des expériences émotionne ll es: éléme nts d'appariement,
séquelles diverses, et séquelles cogn itives.
La masse des facteurs d e rappel permet de rendre compte de la
rémanence qui caractérise les expériences émotionnel les. Immédiatement
apres I'épi sode, les facteurs de rappel se retrouvent généraleme nt en
abondance dans le contexte immédiat de la personne. Par la suite, ces
éléments s'estompent progressivement et laissent dans le foyer attentionnel,
la place à de nouve ll es situations et à de nouveaux problemes. Le déclin
de la rémanence en résulte. C'est sans doute ce type d'évolution qui a donné
lieu au proverbe qui dit que «Ie temps efface toutes les blessures». Ce
processus connaí't des except ion s. Pour éclairer les expériences
émotionnelles qui demeurent non résolues, ii faut faire prendre en
considération les différents éléments de la gamme des facteurs de rappel.
Une question clé dans cette problématique de la rémanence est ce lle
de la résistance à I'ext.i nction qui caractérise les souvenirs d'expériences
émotionnelles. Elle apparaí't à premiere vue comme une propriété contre-adaptative. Pourquoi I'individu ne peut-il pas se débarrasser des souven irs
émotionnels anciens? Pourquoi semb le-t-il devoir demeurer assujetti au
risque du rappel de ces souven irs, et donc, à cette forme de tyrann ie du
passé que constitue la rémanence de I'expérience émotionnelle? La réponse
suivante pourrait être proposée. Les événements qui suscitent les émotions
sont plus importants que les autres pour le bien -être, I'intégrité physique
ou la survie . En mémorisant les caractéristiques de ces événements, I'individu
se forge des outils précieux d'anticipation. Quand ii dispose de ces outils,
ii est à I'abri du dépourvu car lorsque le contexte présente des indices
simi laires à ceux de I'ép isode émotionne l, I'activation du souvenir est alors
immédiate. L.:expérience antérieure assure la mise à disposition instantanée
de I'information pertinente: séquence de I'événement, caractéristiques des
éléments de la séquence, données d'appréciation cogn itive, réponses
appropriées, réponses inappropriées, etc. L.: afflux des souvenirs réduit donc
la prise au dépourvu, et augmente d'autant les capacités adaptatives et le
sentiment de contrôle. C'est le bénéfice que retire chaque individu de son
expérience de vie . II n'y a ici rien d'autre qu'une manifestation spécifique
des principes classiques de I' apprentissage. Mais I'observation de la
rémanence des souvenirs émotionnels donne à penser que ces principes
operent de façon particulierement puissante quand ii y a émotion.
Par la voie des processus associatifs, chaque épisode émotionnel est donc
une nouvelle occasion d'étendre le savoir sur les aléas du monde dans lequel
on vit, et sur la maniere d'affronter ces aléas. Le processus de la rémanence
lui-même, avec ce qu'il implique de traitement cognitif et de traitement social
de I'information liée à ces situations, pourrait bien être en réalité un outil
ex post focto dont la fonction serait d'accroí'tre encore ce savoir par
93
I'utili sation des voies conceptuelles et du dialogue, avec notamme nt la
spéculation, la délibération et le consensus social.
Dans la perspective qui v ient d'être développée, on p eut donc
comprendre pourquoi I'information emmagasinée en mémoire à long terme
à propos d'un épi sode émotionnel semble devo ir échapp er à I'extinction.
Elle représente le fruit de I'expérience des situations critiques qui ont été
traversées. II serait contre-adaptatif qu'une extinction progressive des liens
associatifs qui constituent cette information mnémonique puisse priver
I'individu de ce fruit.
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