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Université du Québec à Montréal 8 octobre 2019 Comment citer ce document? Baril, Alexandre (2019). « Conférence publique : Personnes trans* et handicapées : vivre à l’intersection du cisgenrisme et du capacitisme », Conférence mensuelle, Chaire de recherche sur l’homophobie, Université du Québec à Montréal, 8 octobre. Coordonnées Alexandre Baril, Ph.D. Professeur adjoint | Assistant Professor École de service social | School of Social Work Université d’Ottawa | University of Ottawa Bureau FSS12023 | Room FSS12023 120 Université | 120 University Ottawa, Ontario, K1N 6N5 613-562-5800 #6386 abaril@uottawa.ca https://uniweb.uottawa.ca/members/804 Academia.edu : https://uottawa.academia.edu/AlexandreBaril Présentation basée sur des arguments développés dans ces publications : Cavar, S. et A. Baril (2021, à paraître). « Transness and Disability », dans L. Erickson-Schroth (dir.). Trans Bodies, Trans Selves, 2e édition, New York, Oxford University Press USA. Baril, A. (2018). « Hommes trans et handicapés : une analyse croisée du cisgenrisme et du capacitisme », Genre, Sexualité & Société, 19, p. 1-26. En ligne. Baril, A. (2017). « Des corps et des hommes trans-formés : la musculation comme “technologie de genre” », Revue Recherches sociologiques & anthropologiques, 48, 1, p. 65-85. Baril, A. (2017). « “Docteur, suis-je un anglophone enfermé dans un corps de francophone?” Une analyse intersectionnelle de la temporalité de trans-crip-tion dans des sociétés capacitistes, cisnormatives et anglonormatives », Canadian Journal of Disability Studies, 6, 2, p. 16-44. Baril, A. (2015). « Needing to Acquire a Physical Impairment/Disability: (Re)thinking the Connections Between Trans and Disability Studies Through Transability », Hypatia: Journal of Feminist Philosophy, 30, 1, p. 30-48. Baril, A. (2015). « Transness as Debility: Rethinking Intersections Between Trans and Disabled Embodiments », Feminist Review, 111, p. 59-74. Mots clés Personnes trans* — Personnes handicapées — Cisgenrisme (transphobie) — Capacitisme — Approche médicale — Approche sociale — Approche socio-subjective — Analyses intersectionnelles — A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 2 DIAPOSITIVE 1 REMARQUES PRÉLIMINAIRES [CLIC] Bonjour à vous. J’aimerais d’abord remercier la Chaire de recherche sur l’homophobie de l’UQAM et sa titulaire pour cette invitation et toutes les personnes ayant rendu ma venue possible. Je remercie également toutes les personnes présentes aujourd’hui de venir s’informer sur les réalités et difficultés que vivent des groupes marginalisés, en l’occurrence les personnes trans* et handicapées et particulièrement celles qui vivent à l’intersection de ces deux identités. [CLIC] J’aimerais ensuite mentionner qu’en matière d’accessibilité pour les personnes Sourdes, avec divers handicaps, pour qui le français n’est pas la langue première ou celles qui sont préfèrent avoir un soutien visuel, j’ai apporté quelques copies en format papier du texte de ma présentation. Levez la main et on vous apportera une copie. [CLIC] Enfin, cette présentation représente un travail de réflexion en cours qui soulève des questions délicates et n’offre pas de réponses définitives; elle vise plutôt à stimuler une réflexion critique sur les liens et relations complexes entre les mouvements trans* et de défense de droit des personnes handicapées et leurs champs de recherche connexes. Comme mon temps est limité et que je ne peux pas développer pleinement mes arguments ici, [CLIC x 4] je vous invite à prendre des copies des articles que j'ai publiés sur le sujet dans lesquels mes arguments sont plus étoffés et nuancés. J’ai apporté plusieurs copies, alors venez en prendre à la fin! Je consacrerai les 45 prochaines minutes pour discuter d’un de mes projets de recherche récent, après quoi il me fera plaisir de répondre à vos questions. Ce projet sur les intersections entre les identités trans et handicapées est financé notamment par une subvention de la Faculté des sciences sociales de l’Université d’Ottawa et une subvention développement savoir du Conseil de recherche en sciences humaines du Canada (CRSH) que je remercie pour leur soutien financier. DIAPOSITIVE 2 CRÉDIT PHOTOS Tous les portraits photographiques sont tirés d’un magnifique projet sur les personnes trans* et non binaires de genre âgées intitulé To Survive on this shore. Voir le site internet : https://www.tosurviveonthisshore.com/portraits Un livre couleur de photographies et récits de vie est également disponible. Je trouve important de rendre visibles ces personnes trans* âgées puisque d’une part, les recherches présentement menées sur les personnes trans* tendent à focaliser sur les enfants et les jeunes trans* et, d’autre part, bien que vieillissement et handicap ne soient pas nécessairement concomitants, un nombre plus important de personnes âgées ont des handicaps et maladies chroniques. On peut donc imaginer que le nombre de personnes à la fois trans* et handicapées augmente avec l’âge. DIAPOSITIVE 3 INTRODUCTION : DÉFINITIONS Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais d’abord clarifier quelques termes que j’utiliserai pour être certain qu’ils sont compris par tout le monde. [CLIC] Dans mon exposé, j’utilise le terme trans* avec un astérisque pour dénoter l’inclusion de l’ensemble des identités de genre qui sortent du cadre binaire dominant, comme les personnes transsexuelles, transgenres, non binaires de genre, genderqueers, bigenrées, non genrées, etc. Je suis bien conscient des limites et critiques A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 3 de ce terme parapluie utilisé avec un astérisque pour englober un ensemble d’identités assez différentes, mais cela n’est pas l’objet de ma présentation aujourd’hui. DIAPOSITIVE 4 INTRODUCTION : DÉFINITIONS [CLIC] Le terme cisgenrisme1 se compose du préfixe « cis », antonyme du préfixe « trans ». [CLIC] Une personne cisgenre/cissexuelle est donc une personne non trans* et [CLIC] « [l]e cisgenrisme est un système d’oppression qui touche les personnes trans, parfois nommé transphobie. Il se manifeste sur le plan juridique, politique, économique, social, médical et normatif. Dans ce dernier cas, il s’agit de cisgenrenormativité » (Baril, 2015c, 121). [CLIC] Un synonyme du terme «cisgenrenormativité» est «cisnormativité», un néologisme créé simultanément en 2009 en anglais et en français, par moi-même en français et par l’équipe du Trans Pulse Survey en anglais et qui réfère à un système idéologique dans lequel les personnes cis, les savoirs cis, les structures cis, etc., représentent la norme. [CLIC] Quant au mot «transitude», c’est un néologisme que j’ai créé en 2014 et qui désigne le fait d’être trans. C’est l’équivalent du terme «transness» en anglais. DIAPOSITIVE 5 INTRODUCTION : DÉFINITIONS [CLIC] J’utilise l’expression «personnes handicapées» plutôt que «personnes en situation de handicap» pour mettre l’accent sur le caractère construit du handicap, c’est-à-dire que les personnes sont handicapÉes par des structures non adaptées dans nos sociétés capacitistes. [CLIC] Le capacitisme, vous l’aurez deviné, est donc un système d’oppression sur la base des capacités et des handicaps. [CLIC] Je reviendrai plus en détail sur la question de la catégorie «handicapée», mais j’aimerais préciser à ce stade que j’entends cette catégorie, dans le sillon des études critiques du handicap, comme étant très inclusive d’un ensemble de conditions, comme les handicaps physiques, sensoriels, cognitifs, d’apprentissages, psychologiques et émotifs (ou ce que l’on appelle aussi les problèmes de santé mentale), les maladies chroniques, etc. DIAPOSITIVE 6 INTRODUCTION : PROJET DE RECHERCHE Alors que plusieurs personnes trans* ont un handicap comme je le démontrerai dans quelques instants, les relations entre transitude et le handicap ont fait l’objet de peu de recherches. Pourtant, ces réalités croisées sont nommées par les personnes trans* lorsqu’elles s’expriment sur leur vie quotidienne. [CLIC] À partir d'une approche anti-oppressive et intersectionnelle, mon 1 « […] [E]n sciences pures, l’adjectif “cis” est employé comme antonyme de “trans”, le premier référant à un élément qui est du même côté, le second qui, dans ses origines latines signifie “par-delà”, référant à un élément appartenant aux deux côtés. Plus généralement, le préfixe “trans” désigne, en opposition au préfixe “cis”, une transformation et une transition. Le préfixe “cis” est ainsi accolé aux termes de sexe et de genre pour désigner les personnes qui décident de ne pas faire de transition de sexe ou de genre » (Baril, 2009, 283-284). Autrement dit, une personne cisgenre/cissexuelle (ou cis) n’est pas trans. Le cisgenrisme est donc un système d’oppression envers les personnes trans. Pour référer à l’aspect normatif de cette oppression des personnes trans, j’ai créé le néologisme « cisgenrenormativité » (Baril, 2009, 284). Je distingue celle-ci du cigenrisme : « [l]e cisgenrisme est un système d’oppression qui touche les personnes trans, parfois nommé transphobie. Il se manifeste sur le plan juridique, politique, économique, social, médical et normatif. Dans ce dernier cas, il s’agit de cisgenrenormativité » (Baril, 2015c, 121). A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 4 projet financé par le CRSH vise à comprendre les discours sur les intersections entre transitude et handicap, de même qu’entre les oppressions touchant les personnes trans* et handicapées, soit le cisgenrisme et le capacitisme. DIAPOSITIVE 7 INTRODUCTION : PROJET DE RECHERCHE Ce projet se construit autour de quatre questions: [CLIC] Comment les liens entre transitude et handicap sont-ils dépeints quand ces deux éléments sont abordés conjointement? [CLIC] Quels sont les facteurs qui rendent difficiles les discussions des liens entre transitude et handicap? [CLIC] Quels sont les facteurs qui facilitent les discussions de ces liens? [CLIC] Quels sont les apports heuristiques à penser les intersections entre transitude et handicap? DIAPOSITIVE 8 INTRODUCTION : PROJET DE RECHERCHE Ces questions répondent à cinq objectifs: [CLIC] 1) produire un état des lieux des travaux et des discours sur les intersections entre transitude/handicap et cisgenrisme/capacitisme; [CLIC] 2) constituer une typologie des discours sur ces intersections; [CLIC] 3) identifier les limites des travaux existants sur ces intersections; [CLIC] 4) dégager les apports d’analyses intersectionnelles des réalités trans et handicapées pour diverses disciplines, pour l’intervention sociale et pour les mouvements trans et handicapés; [CLIC] 5) proposer une analyse intersectionnelle des réalités des personnes trans et handicapées. DIAPOSITIVE 9 INTRODUCTION : PROJET DE RECHERCHE Afin de répondre à ces objectifs, [CLIC] ce projet constituera un portrait socio-historique et une première typologie des discours sur les liens entre transitude et handicap, [CLIC] à travers une analyse des discours exprimés dans les cinquante dernières années (1969-2019) [CLIC] par huit acteur-trices clés (ex : les personnes trans et/ou handicapées; les activistes trans et/ou handicapées; les juristes; les médias) [CLIC] dans un corpus formé à partir de dix types de documents (ex : publications scientifiques; littérature grise; zines, blogues, documentaires). Ayant obtenu le financement CRSH que très récemment, ce projet en est encore à ses débuts. Ce que je vous présente aujourd’hui constitue moins les résultats préliminaires de ce projet de grande envergure, mais plutôt un ensemble de réflexions et d’arguments sur les intersections entre la transitude et le handicap à partir de données secondaires trouvées dans la littérature scientifique et grise analysée jusqu’ici. Ma recherche est ancrée dans les théories trans*, queer et du handicap. Elle s'inspire également de ma propre expérience en tant qu’homme trans et handicapé. DIAPOSITIVE 10 QUELQUES STATISTIQUES Bien que je sois critique à l’égard d'une approche post-positiviste de la recherche, commençons par quelques statistiques pour éclairer certains aspects du sujet dont je parle aujourd’hui. Vous vous interrogez probablement sur la prévalence du handicap et des identités trans*. [CLIC] Les données de Statistiques Canada nous ont montré depuis plusieurs années que le nombre de A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 5 personnes handicapées au Canada se situe autour de 14%. [CLIC] Quant aux personnes trans*, les plus récentes études indiquent qu’il s’agirait d’environ 0.5% de la population canadienne, ce qui représente près de 200 000 personnes au Canada2. À la lumière de ces chiffres, on pourrait croire que les personnes à la fois trans* et handicapées représentent une infime minorité de personnes. De même, s’il était possible de penser, a priori, que les handicaps et enjeux de santé des personnes trans* sont iatrogènes – c’est-à-dire causés par les traitements médicaux – et ne toucheraient qu’une infime minorité de personnes trans* constituant déjà elles-mêmes une minorité, les études quantitatives dont nous disposons indiquent le contraire. DIAPOSITIVE 11 QUELQUES STATISTIQUES Pour vous donner que quelques exemples, je fais actuellement partie d'une équipe qui mène un projet de recherche sur les jeunes trans* au Canada. [CLIC] Malgré le fait que notre projet de recherche n’est pas lié au handicap ou à la santé, nous avons découvert que 72 % de notre petit échantillon de 54 jeunes trans* s’identifient comme handicapés-e (Pullen Sansfaçon et al. 2017a ; 2017b). [CLIC] Un autre sondage mené auprès de 54 personnes trans étudiant à l’Université d’Ottawa et à Carleton University a par ailleurs permis d’identifier que 42.6% d’entre eux/elles vivent aussi avec un ou des handicaps (Laidlaw, 2019). Bien que l’on puisse penser que ces pourcentages significatifs résultent de l’examen d’échantillons très petits et biaisés, des études quantitatives plus vastes tendent à indiquer une réalité similaire : un pourcentage significatif de personnes trans* sont handicapées, ou encore les personnes handicapées sont trans*. DIAPOSITIVE 12 QUELQUES STATISTIQUES [CLIC] Aux États-Unis, sur un échantillon de plus de 27 000 personnes trans*, 39 % déclarent vivre avec un handicap ou une maladie chronique (James et coll. 2016 : 57)3. [CLIC] Selon le Trans Pulse Survey, la plus grande étude quantitative sur les personnes trans* au Canada, 55 % de la population trans* canadienne vit avec un handicap ou une maladie chronique (Bauer et Scheim 2015 ; Bauer et al. 2012). [CLIC] Une vaste recension des écrits à l’échelle nordaméricaine conclut également que plus d'une personne trans* sur deux (52 %) vit avec un handicap, y compris des taux élevés de maladie mentale/psychologique (Davidson 2015 : 43). Ces pourcentages de handicaps sont beaucoup plus élevés que ceux que l’on retrouve dans le reste de la population. S’il ne s’agit ici que des résultats de quelques études, ces chiffres sont tout de même significatifs et révélateurs quant au nombre important de personnes trans* et 2 Au sujet de ces statistiques, voir : Davidson (2015: 41), Bauer et Scheim (2015). Le Trans Pulse Survey (Bauer et Scheim, 2015) constitue une des plus importantes études quantitatives auprès des populations trans canadiennes. Elle a permis d’identifier 53 500 personnes trans en Ontario. Selon le dernier recensement de Statistiques Canada (2016), la population canadienne s’élèverait à 35 151 728. Ainsi, si les personnes trans représentent approximativement 0.5% de la population, il y aurait plus de 175 000 personnes trans au Canada. 3 Si les handicaps physiques et sensoriels touchent dans une proportion similaire les personnes trans et le reste de la population américaine, il semble qu’il y ait des disparités en ce qui concerne les handicaps mentaux, définis ici comme une large catégorie regroupant les problèmes de santé mentale et émotifs (James et al. 2016 : 57). Davidson (2015 : 43), dans sa recension des écrits nord américains, indique que selon les études il s’agit d’une majorité de personnes trans qui souffrent de handicaps mentaux, incluant 52% aux prises avec de l’anxiété sévère et 43% avec une dépression. Les données canadiennes abondent dans le même sens (Bauer et Scheim, 2015; Veale et al., 2015). A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 6 handicapées et appellent au développement de recherches qui se pencheraient spécifiquement sur ces identités et oppressions croisées4. DIAPOSITIVE 13 UNE ABSENCE DE TRAVAUX [CLIC] Malgré le fait qu'un nombre important de personnes trans* sont également handicapées, à l'exception de quelques auteurs dont Eli Clare (1999 ; 2007 ; 2013 ; 2017), A.J. Withers (2012), Baril (2013 ; 2014 ; 2014 ; 2015a ; 2015b ; 2016b ; 2017 ; 2018) Alison Kafer (2013), Jasbir Puar (2014 ; 2015), Zack Marshall (2012) ou Damien Riggs et Clare Bartholomaeus (2017), les recherches en études trans* et en études du handicap ne s'intéressent ni aux intersections entre identité de genre, transitude et handicap, ni à celles entre cisgenrisme et capacitisme. Parmi toutes les personnes nommées ici, vous noterez probablement que je suis aussi le seul à publier en français sur le sujet. Lorsque j'ai commencé mes recherches sur ces intersections en 2010, à l'exception d'Eli Clare, personne ne parlait de ces liens. Cependant, au cours des deux dernières années, il y a eu une explosion d'intérêt pour ce sujet ; à la liste des noms que j'ai mentionnés, [CLIC] nous pouvons maintenant ajouter plusieurs nouveaux chercheurs, tels que Marty Fink, Cassius Adair, Lydia Brown, Erin Durban-Albrecht, pour n'en citer que quelques-uns. Malgré ce corpus de travaux en pleine croissance et en évolution, les projets de recherche, en particulier ceux qui sont empiriques, restent très marginaux. Ce manque de recherche nous laisse mal équipés pour comprendre l'expérience vécue des personnes trans* handicapées et leurs oppressions. DIAPOSITIVE 14 UNE ABSENCE DE TRAVAUX [CLIC] Par exemple, ces handicaps préexistent-ils à la transition ? Ces handicaps ont-ils des causes iatrogènes, c'est-à-dire médicales ? Ces handicaps et enjeux de santé sont-ils causés par des expériences de vie difficiles résultant de formes d'oppression, comme le cisgenrisme, qui peuvent affecter la santé physique et mentale ? Les personnes handicapées, qui vivent diverses formes d'incarnations (embodiment) non normatives, sont-elles plus enclines à remettre en question leur identité de genre? Des réponses à ces questions sont nécessaires pour répondre adéquatement aux besoins spécifiques des personnes trans* vivant avec un handicap ou avec une maladie chronique. Ce sujet est particulièrement important parce que, comme le montrent quelques rares projets de recherche empiriques sur le sujet (James et al. 2016 ; Bauer et Scheim 2015), les personnes trans* vivant au carrefour d'autres identités marginalisées, comme les personnes trans* racisées, les personnes trans* pauvres, les personnes transféminines ou les personnes trans* handicapées, sont les plus fortement touchées par la violence et la discrimination. DIAPOSITIVE 15 QUAND LA TRANSITUDE ET LE HANDICAP SE RENCONTRENT 4 Voir aussi les résultats de l’étude pancanadienne auprès de 923 jeunes trans, dont plus de la moitié indiquent avoir des problèmes de santé/handicaps et plus des deux tiers vivent des problèmes de santé mentale (Veale et al., 2015). Les statistiques sont encore plus élevées en Australie (Smith et al., 2014). D’autres études rapportent toutefois des taux de handicaps chez les personnes trans similaires à ceux de la population (Leonard et al., 2012 : 16). A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 7 J’aimerais maintenant vous présenter ces intersections entre le handicap et la transitude. Les deux citations que je lirai dans un instant reflètent bien comment les transitions peuvent être à l’origine de certains handicaps ou problèmes de santé ou amplifier des conditions de santé ou handicaps préexistants. La première citation est celle d’une femme trans racisée qui s’est injecté du silicone industriel dans différentes parties de son corps, une pratique fréquente chez les femmes trans* socio-économiquement défavorisées pour féminiser leur corps à moindre coût. La seconde citation est celle d’un homme trans* qui a opté pour une phalloplastie, une chirurgie de reconstruction génitale qui implique en moyenne de cinq à six chirurgies se déroulant sur plusieurs années. DIAPOSITIVE 16 [CLIC x 2] « Moi aussi, pour avoir un beau corps, au Pérou, j’ai eu des injections de silicone. Pour commencer j’ai eu 2 litres, puis 3 litres, puis tout un pot de silicone dans mes seins. Maintenant […] ça nécrose, tes articulations bougent mal, tu ressens de la douleur et, en fin de compte, c’est un fantasme qui nous détruit. » (Traduction libre) (Témoignage d’une personne trans* dans Namaste, Oversight, 2015: 94) DIAPOSITIVE 17 [CLIC x 2] « Depuis 2005 j’ai subi sept interventions chirurgicales majeures à l’hôpital et au moins seize autres interventions dans le bureau du chirurgien. […] Je travaille là-dessus depuis presque six ans, et je ne suis toujours pas capable d’uriner [debout] ou d’avoir une érection. […] Après la prochaine étape (qui me permettra de fonctionner), j’aurai dépensé au-delà de 100 000 $. […] Il ne faut pas prendre la phalloplastie à la légère. De plusieurs manières, ce processus mettra à l’épreuve même les cœurs les plus forts. Je peux honnêtement dire que la phalloplastie a été une des choses les plus difficiles que j’ai faites. Jusqu’à ce jour, cela m’a éprouvé mentalement, affectivement, physiquement et financièrement. » (Traduction libre) (Témoignage d’une personne trans* dans Cotten, Hung Jury, 2012: 106) Ma recherche souhaite décortiquer l’expérience incarnée complexe de la transitude et du handicap qui est articulée dans ces extraits. Ces personnes trans* vivent des formes d’incapacités physiques, de la douleur chronique, des effets secondaires de certains traitements et en dépit de cela, leurs expériences ne sont généralement pas conceptualisées, par elles-mêmes ou par les autres, comme handicapantes. DIAPOSITIVE 18 Cela m’amène à des questions au cœur de mes travaux sur ces intersections : [CLIC] Pourquoi l’expérience de transitude est-elle si souvent exclue de la catégorie du handicap? [CLIC] Pourquoi les chevauchements, croisements et intersections entre les expériences trans* et handicapées demeurent-ils impensés et impensables? DIAPOSITIVE 19 Pour répondre à ces questions, [CLIC], je critique d’abord les limites à la fois des approches médicale et sociale du handicap. [CLIC x 4] Ensuite, inspiré par des auteures féministes en études critiques du handicap qui proposent une troisième approche, que je nomme l’approche sociosubjective du handicap, je suggère l’application de cette approche aux réalités trans* et propose de voir la transitude à travers le prisme du handicap. En plus de traiter des enjeux que rencontrent A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 8 un nombre considérable de personnes qui sont à la fois trans* et handicapées, l’application de cette approche en études trans* me permet de déconstruire l’exclusion mutuelle présumée entre la catégorie trans* et handicapée, une présomption qui relève d’une analyse non intersectionnelle de l’identité de genre et des capacités. [CLIC] Dans la dernière partie de mon exposé, je propose des exemples concrets, à travers des témoignages de personnes trans* et handicapées, des liens entre ces deux identités et comment le cisgenrisme et le capacitisme s’influencent et se renforcent. DIAPOSITIVE 20 DEUX APPROCHES DU HANDICAP DIAPOSITIVE 21 Les auteur-es en études du handicap décrivent deux principales approches pour théoriser le handicap : médicale et sociale. [CLIC] L’approche médicale théorise les handicaps comme des pathologies individuelles à guérir. [CLIC] Critiquée pour son insistance sur les traitements curatifs et l’assimilation des personnes handicapées aux structures existantes, cette approche est perçue comme réductionniste et capacitiste par les personnes ayant proposé une approche sociale du handicap (Lewis, 2010; Shakespeare, 2010: 268). [CLIC] L’approche sociale distingue entre l’incapacité, définie comme une condition physique ou mentale neutre et non négative en soi, et le handicap, à l’intersection de l’incapacité et de l’environnement capacitiste (Crow, 1996; Wendell, 1996; Shakespeare, 2010). [CLIC] Selon cette approche, le handicap résulte d’un environnement non adapté qui empêche la pleine participation citoyenne et la reconnaissance des personnes handicapées. Cette approche présente plusieurs avantages, dont favoriser la reprise de pouvoir des personnes handicapées et de rendre visibles leur oppression structurelle (Wendell, 1996: 35-56; Crow, 1996: 55-56; Shakespeare, 2010: 268-269). L’approche sociale n’est toutefois pas sans limites (Wendell, 1996; Mollow, 2006; Shakespeare, 2010). [CLIC] Par exemple, elle a tendance à négliger les expériences subjectives de souffrance des personnes handicapées. Cet oubli est rendu possible par la conviction qu’une société adaptée à tous les niveaux de capacités enrayerait les handicaps (Shakespeare, 2010: 269-271). Dans l’approche sociale, parce que l’incapacité est conçue comme un élément neutre, et non comme une réalité pouvant être souffrante en elle-même, l’éradication de l’oppression capacitiste est perçue comme suffisante pour libérer les personnes handicapées de leur souffrance. Pourtant, une analyse plus complexe révèle le réductionnisme de cette approche. L’approche sociale est aussi critiquée pour son insistance sur les handicaps « typiques », c.-à-d. physiques, visibles, mesurables et non liés à la maladie ou la souffrance (Wendell 2001: 21). En d’autres mots, elle offre une compréhension désincarnée du handicap. Pour les personnes avec un handicap mental ou émotionnel, invisible, non mesurable ou chronique, ou qui ne sont pas en bonne santé, les solutions sociopolitiques de cette approche sont bonnes mais incomplètes (Crow, 1996; Wendell, 1996; Nicki, 2001; Mollow, 2006; Jung, 2011; McRuer et Mollow, 2012: 9-12). En plus de nous fournir peu d’outils pour réfléchir à la souffrance découlant de handicaps, je soutiens que l’approche sociale, comme l’approche médicale, produit ses propres formes de violence et d’exclusion. Ces réflexions m’amènent à poser la question suivante : [CLIC] L’éradication du capacitisme éliminerait-elle à elle seule la souffrance de toutes les personnes handicapées? DIAPOSITIVE 22 [CLIC] Bien que l’approche médicale du handicap n’ait pas été directement appliquée aux identités trans*, historiquement, la transitude a été interprétée selon un paradigme médical A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 9 (Meyerowitz, 2002). Selon l’approche médicale, la transitude cause la détresse et la souffrance et les personnes trans* sont vues comme ayant développé une identité de genre différente du sexe assigné à leur naissance à cause de problèmes hormonaux ou psychologiques. [CLIC x 2] Les identités trans* sont ici réduites à des pathologies guérissables à l’aide de traitements hormonaux et de chirurgicaux qui visent à normaliser et assimiler les personnes trans* aux structures existantes (Irving, 2008), une conceptualisation qui efface le rôle de l’oppression cisgenriste. Le problème, je soutiens, ne se situe pas dans le fait de parfois conceptualiser la transitude comme une forme de handicap, mais dans les perspectives individualistes, néolibérales et capacitistes des handicaps que maintient le discours médical. [CLIC] À partir de l’approche sociale, les identités trans* sont plutôt conceptualisées en termes de variations d’identités de genre stigmatisées par les normes et les structures cisgenristes. Bien que le recours aux traitements médicaux ne soit pas condamné, les solutions sociopolitiques sont priorisées pour réduire les souffrances et difficultés que vivent les personnes trans*. Je soutiens que, à la manière des activistes anticapacitistes qui distinguent entre une incapacité neutre et les oppressions construites autour de celle-ci, soit les handicaps, (Crow, 1996), les auteur-es et transactivistes*, pour faire contrepoids à l’approche médicale dans laquelle la transitude est le problème, présentent la transitude comme un élément neutre autour duquel s’articule l’oppression. [CLIC] Bref, ici, la transitude n’est jamais problématique : c’est ce qu’en fait la société qui l’est. L’approche sociale présume qu’enrayer l’oppression cisgenriste serait suffisant pour éliminer les souffrances trans*. [CLIC] Mais la question que j’ai posée pour les handicaps demeure : l’éradication du cisgenrisme éliminerait-elle à elle seule la souffrance de toutes les personnes trans*? DIAPOSITIVE 23 THÈSE: APPROCHE SOCIO-SUBJECTIVE DU HANDICAP ET DE LA TRANSITUDE DIAPOSITIVE 24 [CLIC] Je soutiens que la transitude, comme le handicap, a trop souvent été analysée sous l’angle médical ou social, sans que d’autres approches soient possibles. [CLIC] Les approches médicale et sociale des identités trans* sont, je crois, insuffisantes pour décrire la complexité de l’expérience de transition et certaines des souffrances qui y sont liées. DIAPOSITIVE 25 Inspiré par des auteures féministes en études du handicap comme Liz Crow (1996), Susan Wendell (1996, 2001), Anna Mollow (2006), et Alison Kafer (2013) qui ont élaboré une troisième approche du handicap, [CLIC] je propose d’employer l’approche socio-subjective du handicap pour analyser les réalités trans*, une conceptualisation qui permet de problématiser certains aspects handicapants de la transitude dans la vie de certaines personnes trans* et qui permet d’éviter les écueils de l’approche médicale et sociale. [CLIC] Tout en considérant centrale la dimension structurelle de l’oppression des personnes trans* au plan social, politique, économique, légal et médical, cette approche permet d’accueillir l’expérience subjective de souffrance des personnes trans* et de réfléchir aux aspects corporels et affectifs potentiellement handicapants de certaines transitions dont on ne discute pas souvent. A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 10 DIAPOSITIVE 26 [CLIC] L’emploi de la catégorie « personne handicapée » est très large : les personnes handicapées peuvent présenter des incapacités physiques, cognitives, mentales ou psychologiques ou des états de santé stables ou dégénératifs, visibles ou invisibles, chroniques ou intermittents, modérés ou sévères, etc. De plus, ces incapacités et handicaps interfèrent dans plusieurs sphères de la vie. [CLIC] Étant donné une définition aussi large du handicap, il est surprenant à mon avis que les personnes trans* ne soient pas généralement perçues et ne s’auto-identifient pas comme « personnes handicapées », comme c’est le cas de l’homme trans* cité plus tôt ayant subi 23 chirurgies et vivant plusieurs limitations, mais dont la transition n’est pas considérée handicapante. Je soutiens que les personnes trans* sont exclues de la catégorie des personnes handicapées, et ce, malgré plusieurs raisons pour leur possible inclusion. DIAPOSITIVE 27 LA TRANSITUDE À TRAVERS LE PRISME DU HANDICAP : QUATRE ARGUMENTS Je présente quatre arguments appuyant la conception de certains aspects de la transitude en termes de potentiel handicap pour certaines personnes trans*. Je préciserais que cela ne concerne pas toutes les personnes trans* et que plusieurs de ces éléments touchent les personnes trans* qui vont de l’avant avec une transition physique. DIAPOSITIVE 28 Premièrement, considérons la dimension psychologique et émotive. Depuis les années 1980, la transsexualité est identifiée comme un trouble en santé mentale (autrefois « trouble de l’identité de genre », maintenant « Dysphorie de genre » dans le DSM-5, 2013) (Gorton, 2013). [CLIC] Cependant, malgré l’existence d’un diagnostic et de la pathologisation qui l’accompagne, la transitude n’est pas considérée un handicap. Ceci est évident dans plusieurs lois, dont l’Americans with Disabilities Act, qui exclut explicitement la « Dysphorie de genre », comme le soulignent Dean Spade (2003) et Jasbir Puar (2014).5 [CLIC] Il y a là un double standard : bien que la transitude est catégorisée comme maladie mentale, les personnes trans* n’ont pas, en général6, accès aux mêmes protections que d’autres personnes handicapées. Bien que les débats entourant le diagnostic ne puissent être discutés dans le temps limité de cette présentation7, je soulignerais que plusieurs personnes trans* affirment que la dysphorie qu’elles ressentent entre leur corps et leur identité de genre crée une détresse affective (Rubin, 1999; Clare, 2013: 265). Les études empiriques démontrent que la dysphorie peut avoir un impact sur la vie quotidienne des personnes trans* et pourtant cette détresse est rarement considérée comme handicapante dans nos lois, institutions, etc. La preuve que cette dysphorie peut être handicapante est illustrée dans le témoignage que je lirai à l’instant de cette personne trans* qui indique que la possibilité que sa chirurgie permettant de soulager sa dysphorie pourrait être annulée a été vécue de façon plus dramatique que l’annonce d’un double diagnostic de VIH et d’hépatite. Cette personne dit : DIAPOSITIVE 29 5 Puar (2014: 79) cite l’ADA: “the term ‘disability’ shall not include (1) transvestism, transsexualism, pedophilia, exhibitionism, voyeurism, gender identity disorders not resulting from physical impairments, or other sexual behavior disorders; […] (Americans with Disabilities Act of 1990, 42 U.S.C. § 12208 [1990])”. 6 Certaines personnes et leurs avocats ont revendiqué des droits sur cette base (Spade, 2003; Levi and Klein, 2006). 7 Au sujet des débats entourant l’abolition, la réforme ou la conservation du diagnostic, qui débordent le cadre limité de cette présentation, voir : Spade (2003), Lev (2005), Serano (2007), Drescher (2010) et Gorton (2013). A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 11 [CLIC x 2] « Puis soudainement mon rêve s’est brutalement interrompu quand j’ai reçu des nouvelles dévastatrices quatre jours avant mon départ prévu pour la Serbie [pour la chirurgie]. Les résultats de mes tests de dépistage d’hépatite C et du VIH étaient positifs. […] Je me suis effondré en sanglots sur le plancher de la chambre à coucher […]. Avec un peu de recul, ce qui me surprend c’est que je ne réagissais pas aux résultats des tests de dépistage en soi, mais plutôt à la possibilité que ma chirurgie serait annulée et qu’aucun chirurgien ne voudrait m’opérer. » (Traduction libre) (Témoignage d’une personne trans* dans Cotten, Hung Jury, 2012: 79-80) DIAPOSITIVE 30 Deuxièmement, considérons la dimension physique. [CLIC] La dysfonction ou l’absence d’organes, de parties du corps ou de caractéristiques résultant d’une transition ne sont pas considérées comme des handicaps ou des problèmes de santé, malgré le fait que ces dysfonctions ou déficits liés aux mêmes parties du corps ou caractéristiques physiques chez les personnes cisgenres, c’est-à-dire non trans*, sont diagnostiqués comme des handicaps ou considérés comme des problèmes affectant la santé. Je donne deux exemples. DIAPOSITIVE 31 Premier exemple : un homme cisgenre qui perd l’usage de son pénis suivant un accident ou une maladie est vu comme ayant un problème de santé, mais pour un homme trans*, l’absence du pénis n’est pas perçue comme un handicap ou un problème de santé, mais plutôt comme l’état « normal » des choses à partir d’une perspective cisgenriste qui le voit comme étant « fondamentalement » une femme (Bettcher, 2014: 392-393). [CLIC x 2] Ainsi, les pénis prosthétiques, équipements ou traitements médicaux sont perçus comme des prothèses et traitements nécessaires pour les hommes cisgenres et des jouets sexuels pour les hommes trans* et ces « jouets » ne sont pas considérés comme nécessaires au plan médical. Pour donner un exemple pour les femmes trans*, l’idée selon laquelle les implants mammaires sont des matériaux médicaux pour les femmes cisgenres suite à un cancer, mais purement cosmétiques pour les femmes trans*, comme c’est le cas dans le contexte canadien, est fondée sur une compréhension restrictive de l'importance des caractéristiques sexuelles secondaires chez les personnes trans*, afin qu'elles soient correctement genrées dans des contextes cisgenristes. DIAPOSITIVE 32 Deuxième exemple : des handicaps physiques peuvent résulter de traitements liés à la transition. Pour plusieurs personnes trans*, la sensibilité des organes reconstruits ou d’autres sites chirurgicaux est diminuée et la mobilité des membres desquels sont prélevés des tissus est réduite (Cotten, 2012; Baril, 2013, 2014). Les silicones industrielles utilisées par plusieurs femmes trans* défavorisées causent des handicaps, des maladies et peuvent même provoquer la mort, comme le rappelle Viviane Namaste (2015: 94). Les greffes de peau, de nerfs et d’os à partir des jambes, de l’abdomen, ou des bras utilisées lors des chirurgies peuvent mener à une variété d’incapacités. Comme en témoigne cette personne trans* : DIAPOSITIVE 33 A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 12 « J’ai perdu de la mobilité et une certaine fonctionnalité et n’étais pas capable de m’entraîner pendant de longues périodes. J’ai perdu ma densité musculaire […] [et] les chirurgies ont eu une incidence sur ma capacité de travailler […]. » (Traduction libre) (Témoignage d’une personne trans* dans Cotten, Hung Jury, 2012: 94) Les difficultés à percevoir certains enjeux corporels que vivent les personnes trans* en termes de handicaps ont des conséquences négatives pour les personnes trans* sur les plans économique, professionnel, légal et social. DIAPOSITIVE 34 Le troisième argument concerne la dimension fonctionnelle de la transitude. [CLIC] Les transitions, comme les handicaps, peuvent avoir des retombées dans plusieurs sphères d’activités (Levi et Klein, 2006: 84-87). La sphère interpersonnelle est un exemple. [CLIC] Si l’absence d’un bras ou d’une jambe peut avoir une incidence sur la vie personnelle et sexuelle d’une personne et est perçue comme un handicap, il s’ensuit que des caractères sexuels ou des organes génitaux non conformes à son identité de genre peuvent avoir des répercussions importantes sur les relations interpersonnelles des personnes trans* et leur vie sexuelle (Devor 1997). La sphère professionnelle constitue un autre exemple. Plusieurs chirurgies reconstructives ne peuvent pas être complétées en une seule étape. Plusieurs personnes trans* témoignent du fait que cela affecte leurs activités professionnelles, en étant forcées de prendre leur temps de vacances et de guérir le plus vite que possible afin de répondre aux exigences néolibérales de productivité, puisque leurs demandes de congés et d’accommodements sont refusées (Cotten 2012). Tout comme les personnes handicapées vivent une temporalité différente, un «crip time» comme nous l'appelons en études sur le handicap, les personnes trans* vivent une temporalité qui s'oppose aux attentes néolibérales en matière de productivité (Baril, 2016). Cependant, contrairement à certaines politiques sociales qui, malgré les problèmes d'accès et d'application, s'appliquent aux personnes handicapées en ce qui concerne la temporalité spécifique qu’elles vivent, aucune politique sociale n'a été élaborée pour soutenir les temporalités trans. DIAPOSITIVE 35 Le quatrième argument est lié à l’aspect social handicapant de la transitude. [CLIC] Tout comme les personnes handicapées, les personnes trans* font face à de multiples discriminations et vivent d’importantes barrières d’accès à des services et espaces publics [CLIC x 2] comme aux refuges pour personnes victimes de violence ou sans domicile fixe (Serano, 2007), aux installations comme les salles de bain et les vestiaires (Mog et Swarr, 2008; Kafer, 2013) et aux services de soins de santé (Bauer et al., 2009), et ce, en fonction de leur identité et configuration corporelle. Voici deux citations qui illustrent ces problèmes d’accès : DIAPOSITIVE 36 [CLIC x 2] « Je souffrais d’une méningite aiguë et je suis allé chez le médecin qui a tout simplement refusé de me voir en disant : “Je ne travaille pas avec les personnes comme vous […]”. » (Traduction libre) (Témoignage d’une personne trans* dans Shelley, Transpeople, 2008: 65) [CLIC x 2] « Alors je me souviens que j’ai glissé le loquet [de la porte de la toilette] et que la porte s’est ouverte… et qu’ils m’ont agrippée. Ils devaient bien être onze gardiens de sécurité A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 13 autour de moi qui m’empoignaient. […]. On m’a posé des questions pendant deux heures environ. Ils ont fini par décider que je ne faisais rien de mal. » (Traduction libre) (Témoignage d’une personne trans* dans Shelley, Transpeople, 2008: 73) DIAPOSITIVE 37 Ces discriminations ont des conséquences négatives sur les personnes trans*. Comme le montrent les études quantitatives canadiennes et américaines (Bauer et Scheim 2015; James et al. 2016), plusieurs personnes trans* développent des pratiques d’évitement de ces espaces publics qui ont des répercussions sur leur santé. [CLIC] Par exemple, 32% des personnes trans* aux États-Unis évitent de boire ou manger lorsqu’elles sortent dans les espaces publics pour ne pas être confrontées aux problèmes d’accès aux salles de bain et près d’une personne sur dix [CLIC] (8%) rapporte des problèmes urinaires ou rénaux suite à l’évitement systématique des toilettes (James et al. 2016: 229). [CLIC] Ce sont d’ailleurs 57% des personnes trans* au Canada qui évitent les toilettes publiques et 97% parmi celles qui ont vécu de la violence dans ces espaces (Bauer et Scheim 2015: 5). DIAPOSITIVE 38 Permettez-moi d’être clair : ces arguments soulèvent la possibilité de conceptualiser les dimensions handicapantes des expériences de certaines personnes trans*. Je ne suggère pas que la présence de ces quatre éléments est nécessaire pour que la transitude soit considérée comme un handicap. Par exemple, les nombreuses personnes trans* qui refusent le diagnostic d’une maladie mentale peuvent tout de même souffrir de conséquences physiques liées à leur transition. Le point important à retenir ici est que, [CLIC] contrairement aux autres handicaps, dont les effets handicapants sont reconnus en partie ou en totalité, la transitude n’est pas perçue comme un handicap et ses répercussions handicapantes sur la vie quotidienne ne sont pas reconnues dans nos lois, milieux de travail, institutions, etc. Cela nous ramène à ma question initiale : [CLIC] Pourquoi les intersections entre les réalités trans* et handicapées sont-elles impensées et impensables? DIAPOSITIVE 39 PENSER LES INTERSECTIONS ENTRE LES ÉTUDES TRANS* ET DU HANDICAP Je soutiens qu’il existe trois principaux facteurs ayant empêché la conceptualisation de la transitude comme condition potentiellement handicapante et les intersections entre les études trans* et du handicap. DIAPOSITIVE 40 [CLIC] Premièrement, la perception que les catégories trans* et handicapée sont mutuellement exclusives a orienté le développement des études trans* et du handicap en tant que disciplines distinctes. Il est utile de remettre en question, à travers une généalogie foucaldienne, la séparation disciplinaire et le « contrôle de territoire » (Foucault, 2001 : 39) qui persistent entre ces disciplines, malgré leur intérêt partagé pour les différences corporelles. En raison d’une vision fragmentée du corps, certaines parties sont considérées comme relevant des études du handicap et d’autres des études trans*. [CLIC x 2] Comme je le mentionne ailleurs : Les études du handicap se penchent sur les corps qui diffèrent des normes capacitistes, mais s’arrêtent net aux marqueurs du sexe et du genre; une différence corporelle qui touche la A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 14 main, le dos, etc., appartient au domaine des études du handicap, mais du moment où les organes génitaux entrent en jeu, ces différences deviennent l’affaire des études trans, de genre et des sexualités. (traduction libre) Baril, A. (2015). “Needing to Acquire a Physical Impairment/Disability: (Re)Thinking the Connections Between Trans and Disability Studies Through Transability”, Hypatia, 30, 1: 37-38. DIAPOSITIVE 41 Deuxièmement, j’ajouterais que les études du handicap et de la santé s’intéressent aux conditions qui touchent aux parties sexuées du corps (par exemple, l’infertilité, le cancer du sein), mais seulement lorsqu’elles ne résultent pas d’une transition. [CLIC x 2] Le fait que les déficits et dysfonctions des parties sexuées des corps cisgenres, mais pas des corps trans*, sont inclus dans les études du handicap et de la santé constitue des manifestations de cisgenrisme dans ces champs (Baril, 2013, 2014; Kafer, 2013: 153-157). [CLIC ] Troisièmement, les études et les mouvements trans* sont souvent capacitistes. Par exemple, les slogans inscrits sur les affiches pour appuyer la dépsychiatrisation des identités trans* [CLIC x 3] (que j’ai moi-même portées et que je conteste désormais), comme « Trans, pas handicapé » et « Trans, pas malade », distancient les personnes trans* des personnes handicapées en relèguent les personnes handicapées au statut d’« Autres » (Baril, 2013; Clare, 2013; Kafer, 2013: 156-157; Puar, 2014). Dans leur quête légitime pour une reconnaissance sociale, les communautés trans* reproduisent des formes d’exclusion à l’égard des personnes handicapées et malades à travers des attitudes et politiques capacitistes. Je soutiens que ces trois facteurs ont empêché la conceptualisation des connexions entre les réalités trans* et handicapées. DIAPOSITIVE 42 En plus de ces trois facteurs, je pense que l'un des problèmes qui nous empêchent de penser à la porosité des frontières qui séparent les études trans* et du handicap est que, historiquement, chacune a conceptualisé l'incarnation (la notion d’«embodiment» en anglais) selon une perspective très différente. J'aimerais ici évoquer une réflexion proposée par Francis White en 2014 sur les intersections entre la transitude et la grosseur et l'appliquer à la transitude et au handicap. [CLIC] White soutient que les études trans* et les fat studies comme on les appelle en anglais ont tous deux théorisé l'importance d'être «à la maison» ou d’être à l’aise dans son corps. [CLIC] Bien qu'être à l'aise dans son corps soit au centre des deux champs d'études, dans les études trans*, être à l'aise signifie accepter une transformation potentielle de son corps ou de son expression de genre (par exemple, par l'hormonothérapie, la chirurgie, l'exercice, les vêtements, etc.), mais, dans les fat studies, cela signifie rester dans son corps tel quel et transformer la perception à propos de son corps. [CLIC] White (2014 : 93) pose la question suivante : «Qu'estce que ces discours contradictoires offrent à quelqu'un qui est à la fois gros et trans en termes d'espoir de se sentir “à la maison” dans son corps ? (ma traduction)» En ce qui concerne notre sujet d'aujourd'hui, j'affirme que, [CLIC] d'une manière semblable aux fat studies, les études du handicap, par la domination historique du modèle social du handicap, ont insisté sur l'aphorisme «changeons le monde, pas notre corps-esprit (ma traduction)», comme nous le rappelle Eli Clare (2017 : 181). DIAPOSITIVE 43 A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 15 Cette insistance à garder le corps tel quel en études du handicap situe cette institution disciplinaire dans une perspective très différente des études trans* à propos de la notion d’incarnation. Si nous soulevons la question de White dans ce contexte, nous pourrions nous demander :[CLIC] qu'est-ce que les discours contradictoires des études trans* et des études du handicap sur l'incarnation offrent à une personne à la fois trans* et handicapée, en termes d'espoir de se sentir chez elle et à l’aise dans son corps-esprit ? [CLIC] Bien que les identités trans* et handicapées ne soient pas contradictoires, la façon dont les catégories identitaires trans* et handicapées ont été conceptualisées au cours des dernières décennies, par nos sociétés, nos institutions sociales, politiques, légales, médicales, économiques, etc., mais aussi par des chercheur-es, des activistes et des universitaires trans* et handicapés, a forcé les personnes qui sont à la fois trans* et handicapées à penser à leurs identités et oppressions en silo, même si elles sont enchevêtrées. DIAPOSITIVE 44 PENSER LES INTERSECTIONS ENTRE LA TRANSITUDE ET LE HANDICAP Certaines études empiriques démontrent bien cette absence d’une perspective holiste et intersectionnelle des identités et oppressions croisées. [CLIC] Par exemple, Riggs et Bartholomaeus (2017) montrent que les hommes trans* et handicapés qu'ils ont interviewés avaient tendance à cacher leur détresse émotionnelle et leurs handicaps mentaux et psychologiques, bref leurs problèmes de santé mentale, aux professionnel-les de la santé afin d'éviter d'être délégitimisés et d'être soumis à un contrôle supplémentaire pendant leur transition. [CLIC] Même dans les cas où ils ne les cachaient pas, ils rapportaient que les professionnel-les de la santé avaient tendance à les réduire à leur transitude et tout interpréter à l’aulne de celle-ci; la dépression, l’anxiété, les troubles obsessionnels compulsifs, etc. deviennent des symptômes de la transitude et sont donc peu ou pas discutés au profit de la transition. Par conséquent, les besoins de ces hommes en matière de santé mentale n’étaient pas satisfaits dans l’étude de ces deux chercheurs. On retrouve beaucoup de témoignages de personnes trans* handicapées à ce sujet sur les blogues, vlogs ou dans les entretiens retranscrits dans les recherches empiriques; soit les enjeux de santé mentale sont vus comme les effets de la transitude et sont sous-traités en focalisant uniquement sur la transition, soit les enjeux de santé mentale deviennent le point central des interventions qui mobilisent un discours capacitiste pour invalider la transition, comme le disent ces personnes: DIAPOSITIVE 45 «J’ai constamment peur que l’on invalide mon genre et ma transitude parce que je suis neuroatypique [personne autiste]. On m’a déjà dit que mes neuroatypies étaient liées à mon genre. Des personnes [...] m’ont déjà dit que ma transitude était sans doute une conséquence de ma santé mentale, ce qui est faux » (Fromthetopdown, 2017). DIAPOSITIVE 46 «I am a person with chronic mental illness, and I fear sharing this identity because I do not want people to think it is a cause or effect of my trans identity» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 47 «Je m’inquiète au sujet de certaines intersections vécues — comme le fait d’avoir une maladie mentale et d’être trans, que les gens vont ensuite les utiliser pour dire “Ah bon, la transitude est A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 16 une maladie mentale”, bref les utiliser comme outils pour stigmatiser davantage. Parce que c’est quelque chose que j’ai vu se produire et qui m’effraie. [...] Je ne pense pas que la transitude est une maladie mentale, je pense que la dysphorie de genre me cause de la détresse et aussi — je ne crois pas qu’elles devraient s’invalider l’une et l’autre. Le dernier psychiatre que je voyais, quand je lui ai dit le nom et les pronoms que j’utilise, il a réagi en disant “Non. Vous avez une crise d’identité de genre parce que vous avez un trouble de la personnalité.” Et je lui ai dit que ce n’est pas vrai2» (SC1, 23 ans, personne transmasculine) (ma traduction) (Pullen Sansfaçon et al., 2017, 11). DIAPOSITIVE 48 [CLIC] Comme le soulignent Riggs et Bartholomaeus (2017, 78) les hommes trans et handicapés, dans leur étude «[...] ont senti que leur médecin ont négligé leurs préoccupations entourant leur identité de genre en focalisant uniquement sur les enjeux de santé mentale» (Ma traduction). [CLIC] Selon Riggs et Bartholomaeus, cela génère une « competing set of demands » avec l’identité handicapée, c’est-à-dire amènent un certain nombre de tensions en fonction des normes et structures dominantes. Comme le suggèrent ces auteurs et comme je l’ai mentionné dans des travaux antérieurs (Baril, 2015b), il serait important que ces réalités, soit le fait d’être une personne trans* et handicapée, soient reconnues et que ces réalités et les oppressions qui les accompagnent soient l’objets d’approches intégrées dans les diverses institutions sociales, politiques, légales, économiques, médicales, etc., plutôt que d’être mises en tension/contradiction. De fait, la transitude et les handicaps, de même que le cisgenrisme et le capacitisme sont fortement enchevêtrés et forment souvent un cercle vertueux (en l’absence d’oppression) ou vicieux comme l’expliquent ces deux personnes : DIAPOSITIVE 49 [CLIC] «I struggle with mental disabilities which negatively impact my life but I am unable to seek treatment for due to financial limitations. My depression, anxiety and suicidal ideation feed into my anxiety of being transgender which in turn makes the depression worse» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). [CLIC] «I am disabled, both physically and mentally. My dissociative disorders directly affect my gender identity, so they do intersect both inherently and because of the effect this fluctuation causes – people are less likely to believe in my gender identity because of this fluctuation. My physical dis-ability also intersects with my gender identity because it impedes my ability to express my gender in the way I would prefer, which affects how people perceive and treat me» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 50 EXEMPLE : IDENTITÉ DE GENRE ® CAPACITÉS Pour ne donner que quelques exemples des implications précises de chacun de ces éléments sur les autres, il est possible de s’intéresser aux quatre cas de figure suivants. Premièrement, l’identité de genre a des implications sur les capacités. Comme je l’ai montré plus tôt, qu’il [CLIC] s’agisse de conséquences physiques ou psychologiques liées aux traitements et aux chirurgies ou encore aux oppressions cisgenristes que vivent les personnes trans* qui ont des impacts importants sur leur santé mentale, la transitude a beaucoup d’impact sur la santé et les capacités. A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 17 DIAPOSITIVE 51 EXEMPLE : CAPACITÉS ® IDENTITÉ DE GENRE Deuxièmement, les capacités ont beaucoup d’implications sur l’identité de genre et la transition. Comme Eli Clare (2009, 130) le démontre, nos conceptions genrées sont capacitistes et j’ajouterais qu’inversement, nos conceptions des capacités sont cisgenristes et cisnormatives. [CLIC] Être une femme ou un homme n’implique pas seulement de correspondre à certains critères de sexe/genre, mais également à des critères en termes de capacités. En fonction des normes dominantes hétérosexistes, cisgenristes et capacitistes, il faut, pour être considéré-e comme un «vrai» homme ou une «vraie» femme, être capable de bouger, de parler, de se déplacer et de se positionner dans l’espace d’une certaine manière, c’est-à-dire correspondre à des codes comportementaux et physiques que les personnes non handicapées, au plan physique, cognitif, sensoriel ou mental et émotif sont en mesure de mieux performer que celles handicapées. Ainsi, les personnes trans* handicapées possèdent moins les ressources pour performer adéquatement ces codes dominants de la masculinité et féminité hégémoniques. [CLIC] Autrement dit, les personnes trans* handicapés peuvent plus difficilement que les personnes trans* non handicapées performer un genre dominant qui leur permet d’être reconnus dans leur genre d’autoidentification par diverses institutions et par les autorités médicales, leur entourage, leurs réseaux sociaux, ou eux-mêmes. Comme en témoignent ces personnes : DIAPOSITIVE 52 «Being sick also makes transition tough in many ways. Hormones and surgery are more complicated, and even stuff like finding clothes is complicated by the braces I need to wear which sucks when it's already so tough to find clothes that fit me!» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 53 «Chronic pain makes it difficult to dress how I want sometimes. I don't have the energy […] and occasionally pain in my shoulders and back keeps me from wearing my binder. This tends to make me feel less authentic» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 54 EXEMPLE : CISGENRISME ® CAPACITISME Troisièmement, le cisgenrisme a de profonds impacts sur le capacitisme et la façon dont il est vécu. [CLIC] Par exemple, le fait de souvent vivre des violences de la part de l’institution médicale en tant que personne trans* fait que plusieurs personnes trans* évitent le système médical et repoussent des visites pour des soins de santé, ce qui en retour peut davantage taxer leur santé, comme l’explique cette personne : DIAPOSITIVE 55 «There were times my pelvic floor issues were so bad I could barely walk or sit or stand, and sex was impossible. But because I'm trans and queer, it was very very difficult to find any physical therapists or specialists who wouldn't misgender me or see it as a “women's issue.” This kept me from getting help for a long time and worsened my symptoms» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 18 DIAPOSITIVE 56 On peut voir ici comment l’oppression fondée sur l’identité de genre a des conséquences directes sur l’état de santé et comment cela est à l’origine d’un cercle vicieux; le développement de maladies chroniques et de handicaps à cause de violences cisgenristes rend la personne trans* encore plus vulnérable, car les études montrent que les personnes vivant à l’intersection de plusieurs identités marginalisées sont plus susceptibles de vivre un ensemble de discriminations. DIAPOSITIVE 57 EXEMPLE : CAPACITISME ® CISGENRISME Quatrièmement, le capacitisme a lui aussi de profonds impacts sur le cisgenrisme. [CLIC] Très souvent, l’infantilisation, le paternalisme et la délégitimation de l’agentivité des personnes handicapées sont à la source d’importantes barrières pour avoir accès à des soins transaffirmatifs et pour la reconnaissance de son identité de genre en tant que personne trans*. Plusieurs personnes trans* et handicapées témoignent à ce sujet et ces occasions où le capacitisme renforce le cisgenrisme sont nombreuses et très diversifiées; elles arrivent aussi bien dans des institutions médicales, légales, politiques, sociales, que dans des institutions moins formelles, comme au sein même des mouvements sociaux, par exemple dans les espaces LGBTIQ qui, bien qu’accueillants envers la diversité sexuelle et de genre, reproduisent d’importantes formes de capacitisme. Ce qu’il importe de mentionner c’est que dans ces occasions, le capacitisme vécu n’existe pas en vase clos; [CLIC] le fait par exemple de ne pas avoir accès à certains événements, espaces, milieux, etc., en tant que personne trans* à cause des structures capacitistes et de sa condition physique ou cognitive établit une barrière pour bénéficier du soutien de la communauté trans*, ce qui sert habituellement de facteur de protection contre le cisgenrisme ou qui aide à en diminuer les effets négatifs. En ce sens, le capacitisme vécu renforce simultanément le cisgenrisme. Voici quelques citations à ce sujet, dont les trois premières montrent comment des formes de «gatekeeping» cisgenristes de la part de l’institution médicale sont plus présentes lorsque la personne est handicapée : DIAPOSITIVE 58 «Autistic trans people often can’t get hormones or have surgery because autistic people are said to not know what they want tor who they are» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 59 «I have a crippling mystery joint condition, autism, and several mental illnesses, so I do consider myself disabled. Because of this, I'm very rarely taken seriously. People often assume I'm not intelligent enough to know my identity because of my autism, or my identity is a delusion caused by my mental health issues» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 60 «I have severe PTSD. Because of this, numerous doctors have accused me of using transitioning as a coping mechanism, or else have asked if I have dissociative identity disorder. It's devastating to be treated like my gender identity is an illness or a symptom» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). Les deux citations suivantes illustrent le capacitisme dans les espaces LGBTIQ : A. Baril | UQAM | 8 octobre 2019 | Document de travail SVP ne pas distribuer | 19 DIAPOSITIVE 61 «I am disabled. Many spaces made for LGBTQIA+ people are not made with disabled people in mind […] I’m constantly debating whether to use a cane or my wheels when I really need them, just to access spaces where my queerness will be seen and celebrated, and give up on my disability being seen or respected for the night» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). DIAPOSITIVE 62 «[I]n queer spaces I feel safe in expressing my gender freely, yet unsafe due to my disability and the exclusion that I face from those spaces as someone that uses a cane. We have meetings that may have no elevator or ramp to get to» (personne trans, sondage du livre Trans Bodies, Trans Selve, 2e édition). Il ne s’agit de quelques exemples parmi tant d'autres qui montrent à quel point, dans le contexte cisgenriste et capacitiste actuel, les personnes trans* et handicapées sont placées dans des situations difficiles où elles doivent donner la priorité à un aspect de leur expérience vécue par rapport à un autre ou compromettre une partie de leur vie pour pouvoir vivre pleinement une autre. C'est pourquoi nous devons mieux comprendre les liens complexes entre la transitude et les handicaps, de même qu’entre le cisgenrisme et le capacitisme. DIAPOSITIVE 63 CONCLUSION : PENSER LES IMPENSÉS Pour conclure, je dirais que [CLIC] l’application de l’approche socio-subjective du handicap aux réalités trans* me permet de problématiser l’oppression cisgenriste et reconnaît les expériences subjectives de souffrance des personnes trans*. Cette approche favorise la création d’un espace accueillant pour les personnes trans* handicapées et celles qui vivent des aspects handicapants liés à leur transition et dont les voix sont réduites au silence à travers l’approche sociale. [CLIC] L’adoption de cette troisième approche pour réfléchir aux réalités trans* (handicapées ou non) a un potentiel heuristique important pour les lois, les milieux de travail, le système de santé, bref l’ensemble de nos institutions sociales et politiques, mais aussi pour les stratégies d’intervention sociale. [CLIC] J’espère aussi avoir démontré qu’il y a de nombreux liens entre la transitude et le handicap et le cisgenrisme et le capacitisme et que les divisions qui séparent ces deux groupes marginalisés, les mouvements trans* et handicapés et les études trans* et du handicap sont fondés sur une perspective non intersectionnelle des identités et des oppressions. Repenser les liens impensés entre ces groupes à partir d’une perspective intersectionnelle ne pourra qu’enrichir la compréhension que l’on a de la réalité des personnes à la fois trans* et handicapées, mais aussi des personnes trans* d’une part et, d’autre part, des personnes handicapées en général. DIAPOSITIVE 64 Je vous remercie beaucoup. COORDONNÉES COMPLÈTES