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ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION : L’HEXAÉMÉRON ET SES SOURCES « ANTIQUES »* Dans son Anagogie spirituelle de la création hexaémérale (CPG 7770, ci-après : Hexaéméron),1 Anastase le Sinaïte revendique le retour à l’exégèse ancienne du livre de la Genèse, celle de Papias d’Hiérapolis, de Justin le martyr, d’Irénée de Lyon, de Pantène et de Clément d’Alexandrie, qui, selon lui, avaient appliqué au Christ et à l’Église le récit sur la création du monde.2 Or ces auteurs n’ont pas rédigé de commentaires sur le début de la Genèse et les références qu’Anastase y fait dans son Hexaéméron semblent être pour le moins problématiques. La question qui se pose évidemment est de savoir dans quelle mesure la démarche d’Anastase s’appuie sur des sources chrétiennes anciennes et, d’une manière générale, quelle valeur on peut accorder à son témoignage. Pour tenter une réponse, nous allons examiner de près les citations explicites d’exégètes antiques dans l’Hexaéméron, de Justin à Eustathe d’Antioche, en laissant déli- * Cet article s’inscrit dans le cadre d’un projet de recherche sur l’Hexaéméron d’Anastase le Sinaïte, financé par la KU Leuven (Faculté de théologie). Je remercie le professeur Alain Le Boulluec pour sa relecture attentive du texte et ses précieuses suggestions. 1 Anast. S., in Hexaemeron libri xii (ci-après : Hex.), (edd. C. A. Kuehn J. D. Baggarly, Rome 2007 [Orientalia Christiana Analecta 278]). Sur la question très débattue de son authenticité, voir D. Zaganas, The Authenticity of Anastasius Sinaita’s Hexaemeron (CPG 7770), in Revue des Études Byzantines 73 (2015), 189-201, où j’ai démontré que l’Hexaéméron fut rédigé par Anastase le Sinaïte, l’auteur de l’Hodègos. Les arguments récemment allégués par K.-H. Uthemann, Anastasios Sinaites. Byzantinisches Christentum in den ersten Jahrzehnten unter arabischer Herrschaft, Berlin 2015 (Arbeiten zur Kirchengeschichte 125/2), 714-769, contre l’authenticité de l’Hexaéméron ont fait l’objet d’une autre étude (à paraître). Les références seront données de la façon suivante : le chiffre romain renverra au livre de l’Hexaéméron ; le chiffre arabe indiquera la ligne du livre. 2 Hex. 1, 321-327. Cf. Hex. 7b, 469-475. 392 D. ZAGANAS bérément de côté les références à plus de deux auteurs ainsi que les attaques dirigées contre Origène. 1. Ps.-Justin martyr et philosophe. Dans l’Hexaéméron, on rencontre trois références à Justin le martyr.3 Son nom figure toujours à côté de celui d’autres auteurs chrétiens, ce qui donne l’impression qu’il s’agit de mentions générales et vagues de la part d’Anastase. Dans les deux premiers cas, en raison de son ancienneté, Justin est sollicité par Anastase pour accréditer l’existence du paradis spirituel (Gen. 2, 8-9). D’une part, Justin figure dans la liste des « exégètes les plus anciens des églises » (οἱ ἀρχαιότεροι τῶν ἐκκλησιῶν ἐξηγηταί), de Philon4 jusqu’à Clément d’Alexandrie, qui, selon Anastase, auraient rapporté le récit sur le paradis à l’Église du Christ.5 D’autre part, Justin, cité à côté d’Ambroise de Milan, est présenté comme ayant écrit, lui aussi, un « commentaire sur l’hexaéméron » (ἐν τοῖς εἰς τὴν ἑξαήμερον αὐτῶν ὑpομνήμασι).6 Plus précisément, après avoir exposé le sens littéral, Justin et Ambroise auraient, selon Anastase, cité plusieurs versets d’Ez. 28 (oracle sur le prince de Tyr) en faveur d’un paradis céleste. De surcroît, ils auraient vivement repoussé l’idée que Dieu le Verbe soit entré avec le bon larron dans un paradis matériel (cf. Lc. 23, 43) et que Paul ait survolé un jardin terrestre, lorsqu’il fut enlevé jusqu’au troisième ciel (cf. 2 Cor. 12, 1-4). Cette opinion ne peut pourtant provenir d’aucun des deux auteurs, et cela pour deux raisons. Premièrement, Justin, à la différence d’Ambroise, n’a pas laissé de commentaires sur la Genèse. Deuxièmement, Ambroise ne traite pas du paradis dans ses Homélies sur l’hexaéméron, mais dans son traité Sur le paradis, et même là il ne cite qu’Ez. 28, 13 et dans un autre but.7 En revanche, 3 Elles ont été signalées par R. M. Grant, The Fragments of Greek Apologists and Irenaeus, dans Biblical and Patristic Studies : In Memory of Robert Pierce Casey, J. Neville Birdsall - R. W. Thomson, Freiburg 1963, 185-186 (Non-Genuine Fragments 13-15), qui donne simplement un résumé en anglais. Notons que les renvois de Grant à l’édition d’Otto (citée infra, n. 14) pour les fragments 14 et 15 ne sont pas pertinents. 4 Cf. D. T. Runia, How Philo became a Church Father honoris causa, dans Id., Philo in Early Christian Literature, Minneapolis 1993, 3-7. 5 Hex. 7b, 469-475. 6 Hex. 7b, 635-652. 7 Ambr., parad. 2, 9 (CSEL 32/1, 269). ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 393 on sait par Épiphane de Salamine qu’Origène, dans son commentaire perdu sur la Genèse,8 réfutait l’idée que le paradis existe sur la terre (οὐκ ἔστι pαράδεισος ἐpὶ τῆς γῆς) en s’appuyant justement sur 2 Cor. 12, 1-4.9 Par ailleurs, dans ses Homélies sur Ézéchiel, l’Alexandrin se demande dans quel paradis était entré le bon larron.10 Il n’est donc pas impossible que l’opinion mise par Anastase sous le nom de Justin et d’Ambroise provienne en réalité d’Origène. Dans le troisième cas, Anastase sollicite le témoignage des « Pères et surtout de ceux qui sont proches du saint Clément, d’Irénée et de Justin le martyr et philosophe » (οἱ pατέρες καὶ μάλιστα οἱ pερὶ τὸν ἱερὸν Κλήμεντα καὶ Εἰρηναῖον καὶ Ἰουστῖνον τὸν μάρτυρα καὶ φιλόσοφον), afin de distinguer entre l’achèvement de la création du monde lors du sixième jour et le septième jour comme symbole de la fin du monde (Gen. 2, 1-2).11 Plus précisément, il se réfère à Justin qui aurait longuement commenté le chiffre six du sixième jour : d’une part, il y reconnaissait la création de l’âme et des cinq sens de l’être humain. D’autre part, il y voyait l’achèvement de toute la création divine répartie en six catégories : νοερὰ ἀθάνατα λογικὰ θνητά αἰσθητικὰ ἄλογα ἐκpορευτὰ μεταστατικὰ ἀναίσθητα αὐξητικὰ ἀμετάστατα ἀναίσθητα ἀμετάστατα D’inspiration aristotélicienne, cette ramification repose sur la distinction entre : — êtres immortels et mortels (en l’occurrence les anges ; les hommes) — rationnels et irrationnels (les hommes ; les animaux) 8 Cf. le renvoi d’Origène à son interprétation du paradis dans Orig., CC 4, 39 (ed. M. Borret, SCh 136). 9 Epiph., anc. 54, 2-5 (ed. K. Holl, GCS 25). Cf. Id., Lettre à Jean de Jérusalem apud Hier., ep. 51, 5 (ed. J. Labourt, t. 2, Paris 1951, 164) : « Qui peut écouter Origène qui nous fait cadeau d’un paradis dans le troisième ciel… ». 10 Orig., HEz 13, 2, 11 (ed. M. Borret, SCh 352). 11 Hex. 7, 167-171. 394 D. ZAGANAS — sensibles et insensibles (les animaux ; les vents, nuages, eaux et étoiles) — mobiles et immobiles (les vents, nuages, eaux et étoiles ; les arbres etc.) — susceptibles ou non de croissance (les arbres ; les montagnes et la terre etc.).12 Elle pourrait être représentée par le schéma suivant : κτίσματα τοῦ Θεοῦ λογικά ἀθάνατα ἄλογα θνητά αἰσθητικά ἀναίσθητα μεταστατικά ἀμετάστατα αὐξητικά ἀναίσθητα Contrairement aux affirmations d’Anastase, 13 Justin n’est pas connu pour avoir rédigé un commentaire (ὑpόμνημα) sur le sixième jour ou sur l’hexaéméron. Et c’est à juste titre que la prétendue « citation » de Justin figure parmi les fragments pseudo-justiniens dans l’édition de J. C. T. Otto.14 Car cette interprétation de Gen. 2, 1-2 n’a rien en commun avec l’œuvre authentique de Justin, 15 ni avec les ouvrages pseudo-justiniens. Elle n’a pas non plus de parallèle avec les considérations arithmologiques de Philon d’Alexandrie ni de Clément ni de Didyme l’Aveugle sur le sixième jour de la création. 16 En revanche, elle présente plusieurs affinités avec les Chapitres philo12 Hex. 7, 175-183. Hex. 7, 171-172 : … Ἰουστῖνον τὸν μάρτυρα καὶ φιλόσοφον, ὅστις λίαν τε ὑpερσόφως εἰς τὸν ἕκτον ὑpομνηματίζων τῆς ἕκτης ἡμέρας ἀριθμόν. 14 Ps.-Just., fr. 5 (ed. J. C. T. Otto, Corpus apologetarum Christianorum saeculi secundi, vol. 5, Jena 1881, 370-372). Cf. PG 6, 1597C-1600A. 15 Tel était déjà l’avis de Prudentius Maranus reproduit dans PG 6, 15981599 n. 60 : … Quae referuntur ab Anastasio, nihil habent sua sponte quod Justini sententias et disserendi modos redoleat. 16 Cf. Ph., Legum allegoriarum 1, 1-5 (ed. L. Cohn) ; Clem., str. 6, 16, 138, 6139, 4 (GCS 52) ; Didym., Gen. (ed. P. Nautin, SCh 233, 92-94, 180). 13 ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 395 sophiques d’Anastase I d’Antioche, dont certains sont également transmis sous le nom de Grégoire de Nazianze.17 C’est le cas pour le Chapitre 133 qui nous intéresse ici et que nous allons citer d’après la version moins abrégée du Ps.-Grégoire, parce qu’elle permet de mieux illustrer le parallèle avec l’Hexaéméron d’Anastase. (Les correspondances entre les textes cités dorénavant seront marquées en gras.) Anastase le Sinaïte, Hexaéméron VII, 175-183 : Ps.-Grégoire de Nazianze, Définition 47 : pάντα φησὶ (sc. Ἰουστῖνος) τὰ ὑpὸ Θεοῦ δημιουργηθέντα ἑξαχῶς διαιρεῖσθαι, τουτέστιν εἰς νοερὰ καὶ ἀθάνατα, οἷοί εἰσιν οἱ ἄγγελοι, καὶ εἰς λογικὰ θνητά, οἵτινές εἰσιν οἱ ἄνθρωpοι, καὶ εἰς αἰσθητικὰ ἄλογα, οἷά εἰσι τὰ κτήνη καὶ τὰ pετεινὰ καὶ οἱ ἰχθύες, καὶ εἰς ἐκpορευτὰ μεταστατικὰ ἀναίσθητα, οἷά εἰσιν οἱ ἄνεμοι καὶ αἱ νεφέλαι καὶ τὰ ὕδατα καὶ οἱ ἀστέρες, καὶ εἰς αὐξητικὰ ἀμετάστατα, οἷά εἰσι τὰ δένδρα, καὶ εἰς ἀναίσθητα ἀμετάστατα, οἷά εἰσι τὰ ὄρη καὶ ἡ γῆ καὶ τὰ τοιαῦτα. Pάντα γὰρ τὰ κτίσματα τοῦ Θεοῦ ἐν οὐρανῷ καὶ ἐpὶ γῆς μιᾶς τινος τούτων τῶν ἓξ διαστολῶν ἅpτεται καὶ ἐν αὐτοῖς pεριώρισται. Pᾶσα ἡ τοῦ θεοῦ κτίσις διαιρεῖται εἰς ἕξ· εἰς ἀόρατα λογικὰ οἷον ἀγγέλους· εἰς σύνθετον λογικόν, τὸν ἄνθρωpον· εἰς σύνθετα ἄλογα <οἷον> βοῦν, ἵppον· εἰς αὐξητικὰ καὶ γεννητικὰ οἷον pάντα τὰ ἔμψυχα ζῷα· εἰς pορευτικὰ καὶ κινητικὰ οἷον pάντα τὰ αὐτοκίνητα (κινητὰ δὲ λέγονται τὰ ὑφ᾽ ἑτέρων κινούμενα ὡς κλῖναι, σκάμνοι)· εἰς ἀναίσθητα καὶ ἀκίνητα οἷον pάντα τὰ ἄψυχα. Dans les deux textes, il y a division de toute la création en six catégories, et l’on distingue entre anges, hommes et animaux ainsi qu’entre éléments mobiles et immobiles. Cependant, on ne rencontre pas dans l’Hexaéméron la distinction entre êtres simples et composés, ni celle entre êtres animés et inanimés ; à rebours, on ne trouve pas chez Anastase d’Antioche la distinction entre êtres immortels et mortels, non plus une nette différenciation entre êtres sensibles et insensibles ou des précisions sur les éléments immobiles. On notera en outre que les termes μεταστατικά et ἀμετάστατα sont probablement des hapax legomena en tant que synonymes des 17 Anast. Ant., Chapitres philosophiques 133 correspondant à Ps.-Gr. Naz., Diverses définitions (extraits) 47, (ed. K.-H. Uthemann, Die “Philosophischen Kapitel” des Anastasius I. von Antiochien [559-598], in Orientalia Cristiana Periodica 46 [1980], 358 et 365 respectivement). La version « abrégée » (κατ᾽ ἐpιτομήν) du Chapitre philosophique 133 fut ultérieurement reprise par Ps.-Zonar., lex., s. v. κτίσις (ed. J. A. H. Tittmann, Leipzig 1808, 1261). 396 D. ZAGANAS termes κινητικά et ἀκίνητα. Pour ces raisons, il semble que le Sinaïte ne puise pas chez Anastase d’Antioche, mais qu’il rapporte un développement très similaire aujourd’hui perdu. En effet, au VIe siècle il y avait tendance à justifier l’achèvement de la création en six jours par des réflexions philosophiques. Jean Philopon reconnaissait par exemple dans les six jours l’arbre de Porphyre : ὕλη, ἄψυχον, φυτόν, ζώφυτον, ἄλογον ζῷον, λογικόν.18 Il n’est donc pas impossible que la division de la création en six catégories soit l’adaptation chrétienne d’une doctrine philosophique assez répandue. Quoi qu’il en soit, l’attribution pseudépigraphe à Justin s’explique facilement par son surnom de « martyr et philosophe ». 2. Ps.-Irénée de Lyon. Figurant parmi les Pères les plus anciens et vénérables dans l’Hodègos et dans l’Hexaéméron,19 Irénée de Lyon devient chez Anastase, selon le cas, un avocat de la cause chalcédonienne ou le défenseur de l’interprétation spirituelle de l’Écriture. Le Sinaïte ne paraît pourtant pas avoir connu l’œuvre authentique d’Irénée. La seule citation de ce dernier, tirée d’un « Discours contre Valentin », qu’on trouve dans l’Hodègos provient en réalité des florilèges chalcédoniens où, de l’avis des spécialistes, elle est faussement attribuée à Irénée.20 Pour ce qui est de l’Hexaéméron, à propos de Gen. 3,1-5, Anastase oppose aux partisans du sens littéral une série de questions à travers lesquelles Irénée aurait vivement réfuté l’hérésie ophite (κατὰ τῆς τῶν μιαρῶν Ὀφιτῶν αἱρεσιαρχίας).21 Or dans son traité Contre les hérésies,22 l’évêque de Lyon ne fait que décrire la doctrine de cette secte gnostique. Et là encore, il n’y a rien qui renvoie à ses 18 Jo. Philop., opif. 7, 13 (ed. W. Reichardt, 305). Voir respectivement, Anast. S., hod. 3, 2, 25 et 7, 1, 89 (ed. K.-H. Uthemann, Viae dux, CCSG 8, Turnhout 1981) ; Hex. 7, 171 et 7b, 251 et 471. 20 Voir à propos, Hod. 10, 1, 2, 185-190 et l’apparat des sources avec bibliographie, CCSG 8, 157. 21 Hex. 10, 359-402. Cf. Ps.-Irénée de Lyon, Fragmenta deperditorum operum 14, ed. W. W. Harvey, Sancti Irenaei episcopi Lugdunensis libri quinque adversus haereses, vol. 2, Cambridge 1857, 483-486 ; PG 7, 1236D-1237D. 22 Iren., haer. 1, 30 (edd. A. Rousseau – L. Doutreleau, SCh 264). Sur l’interprétation ophite de Gen. 1-3 d’après Irénée, voir T. Holsinger-Friesen, Irenaeus and Genesis : A Study of Competition in Early Christian Hermeneutics, Eisenbrauns 2009, 57-73. 19 ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 397 adversaires supposés dans l’Hexaéméron. W. W. Harvey,23 éditeur de l’œuvre d’Irénée, a judicieusement remarqué que rien dans la citation d’Anastase ne correspond avec ce qu’on apprend des Ophites par Irénée et Hippolyte. L’attribution de la citation étant pour le moins problématique, A. Harnack24 a suggéré que les questions mises sous le nom d’Irénée seraient peut-être à attribuer à Apellès, disciple infidèle de Marcion, hypothèse favorablement accueillie par R. Grant.25 Cependant, ces questions n’avaient pas pour but de dénigrer le récit de la Genèse ou son historicité —comme c’était le cas pour les syllogismes d’Apellès—,26 mais de démontrer l’absurdité du sens littéral (defectus litterae) et le besoin de passer à une interprétation spirituelle. C’est pourquoi Anastase semble s’être inspiré de commentaires patristiques de la Genèse plutôt que de traités gnostiques ou marcionites. En expliquant le début de Gen. 3, Diodore de Tarse et Didyme l’Aveugle mettent, par exemple, en garde contre les Ophites,27 mais leurs commentaires n’ont pas de parallèle avec notre Hexaéméron. En revanche, la première des questions dites d’ « Irénée », à savoir comment on peut admettre que le serpent créé par Dieu sans raison et sans intellect soit un être raisonnable et doué de parole, s’avère récurrente ; elle est posée par tous les exégètes de la mouvance antiochienne, quoique indépendamment de l’hérésie ophite.28 Si l’on voulait synthétiser ces éléments épars, on dirait que les questions qu’Anastase attribue à Irénée sont pseudépigraphes, d’une part, parce qu’elles n’ont aucun point commun avec l’œuvre conservée d’Irénée, et d’autre part, parce qu’elles semblent prove23 W. W. Harvey, Sancti Irenaei episcopi Lugdunensis, 483-484, note 1. A. Harnack, Marcion : Das Evangelium vom fremden Gott, Leipzig 19242 (TU 45), 414*, note 1. 25 R. M. Grant, The Fragments, 204-205. 26 Sur Apellès, voir l’article « Apelle » de Michel Tardieu dans R. Goulet (dir.), Dictionnaire des philosophes antiques, t. 1, Paris 1989. 27 Voir respectivement, Diod. apud Cat. in Gen. (Collectio Coisliniana), fr. 109 (ed. F. Petit, CCSG 15) ; Didym., Gen. (SCh 233, 188-190). 28 Voir e.g. Eus. Em., Commentaire de la Genèse, Texte arménien de l’édition de Venise (1980). Fragments grecs et syriaques. Avec traductions par F. Petit, L. Van Rompay et J. J. S. Weitenberg, Louvain 2011 (TEG 15), 59 (cf. 202) ; Chrys., hom. in Gen. 16, 2, PG 53, 127AB ; Sever., creat. 6, 2, PG 56, 486 ; Thdt., qu. in Gen. 32 (edd. N. Fernández Marcos - A. Sáenz-Badillos, Madrid 1979, 33-34). 24 398 D. ZAGANAS nir, au moins en partie, d’un contexte exégétique, voire d’un commentaire biblique où l’on réfutait peut-être des interprétations gnostiques. En effet, trois paramètres pourraient faire penser à une éventuelle dépendance par rapport au commentaire perdu d’Origène sur la Genèse : 1) la visée anti-gnostique29 et anti-littéraliste ; 2) l’association d’une doctrine hérétique à une lecture purement littérale de l’Écriture ; 3) l’argumentation sous forme de questions-et-réponses. De surcroît, une comparaison entre le commentaire d’Eusèbe d’Émèse, dont on sait qu’il a subi l’influence d’Origène,30 et les premières apories-et-réponses attribuées à Irénée révèle des ressemblances qui pourraient s’expliquer par l’existence d’une source commune. Anastase le Sinaïte, Hexaéméron X, 364-375 : Pῶς δυνατὸν τὸν φύσει ἄλογον καὶ ἄνουν ὑpὸ Θεοῦ γενόμενον ὄφιν λογικὸν καὶ λαλητὸν εἰpεῖν; […] Εἰ δὲ pάλιν φήσουσι κατὰ θείαν βουλὴν καὶ οἰκονομίαν ἀνθρωpίνῃ φωνῇ τῇ Εὕᾳ τοῦτον (sc. ὄφιν) pροσφθέγγεσθαι, τὸν Θεὸν ἱστῶσι τῆς ἁμαρτίας αἴτιον. Ἀλλ᾽ οὐδὲ τῷ pονηρῷ δαίμονι ἐξὸν ἐκ τοῦ μὴ ὄντος εἰς τὸ εἶναι ἀλόγῳ φύσει λόγον χαρίσασθαι, ἐpεὶ οὐκ ἂν ἐpαύσατό pοτε pρὸς ἀpάτην δι᾽ ὄφεων καὶ θηρίων καὶ pετεινῶν τοῖς ἀνθρώpοις διαλεγόμενος καὶ pλανῶν. Pόθεν δὲ καὶ θηρίον ὂν ἤκουσε τῆς ἐντολῆς τῆς ὑpὸ Θεοῦ τῷ ἀνθρώpῳ καὶ Eusèbe d’Émèse apud La chaîne sur la Genèse, fgm 320 (éd. F. Petit, TEG 1), 217-218 : […] Καὶ pόθεν ὅτι Σατανᾶς ἐλάλησε δι᾽ αὐτοῦ (sc. ὄφεως); […] […] Ἆρ᾽ οὖν ὁ διάβολος ἀνοῖξαι στόμα pρὸς λόγον ἠδύνατο καὶ μεταpλάσαι τὴν φύσιν; Eusèbe d’Émèse, ComGen. (trad. fr. de l’arménien), 59 et 63 : Est-ce qu’il y a de l’intelligence aux animaux et ont-ils part à la raison ? (Certainement pas !). Comment alors les Écritures disent-elles que le serpent vint, trompa […]? Et d’où pourrions-nous démontrer que Satan a parlé par le serpent […] ? […] Et alors, comment parla-t-il (sc. le diable) par le serpent ? […] Dieu (lui) permit d’entrer (dans le serpent) pour tenter l’homme. […] Est-ce qu’il (sc. le diable) était capable de changer la nature, de façon à dis- Rappelons qu’Origène a polémiqué contre les Ophites : Cels. 6, 24-28 (ed. M. Borret, SCh 147). 30 Cf. R. B. ter Haar Romeny, A Syrian in Greek Dress: The Use of Greek, Hebrew, and Syriac Biblical Texts in Eusebius of Emesa's Commentary on Genesis, Leuven 1997 (TEG 6), 113-120. 29 ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION μόνῳ μυστικῶς δοθείσης μηδ᾽ αὐτῆς τῆς γυναικὸς τοῦτο μαθούσης; 399 poser un (être) sans parole à parler ? […] À propos de Satan certains disent qu’il ne savait pas que Dieu avait donné le commandement à Adam. Il est évident qu’Anastase n’a pas eu à inventer ces questions. Les réponses qu’il y donne ne permettent pourtant pas de confirmer l’hypothèse d’une influence origénienne. Pour ne citer qu’un exemple, Anastase refuse l’idée que Dieu aurait permis au serpent de parler à Ève d’une voix humaine, tandis qu’Eusèbe d’Émèse affirme le contraire. Puis, dans le Contre Celse,31 Origène admet qu’en vertu d’une décision divine (θείᾳ κρίσει), les démons infligent des malheurs aux hommes. Il est donc plus prudent de conclure par un non liquet. 3. (Ps.-)Méthode d’Olympe. Anastase a sans doute connu, de manière directe ou indirecte, l’œuvre du « très sage » (ὁ pολὺς ἐν σοφίᾳ) Méthode d’Olympe. Il se réfère expressément au Banquet dans ses Homélies sur la création de l’homme,32 puis dans l’Hexaéméron, il cite de mémoire l’opinion célèbre de Méthode selon laquelle l’homme fut créé dans un état entre la corruption et l’incorruptibilité (μέσην τινὰ τάξιν φθορᾶς καὶ ἀφθαρσίας).33 Mais cela n’implique pas que les citations anastasiennes de l’évêque d’Olympe soient toutes faciles à identifier ou qu’elles soient toutes authentiques. C’est le cas pour une longue ci- 31 Orig., CC 8, 31-32 (ed. M. Borret, SCh 150). Anast. S., Sermo 1, 2, 51-52 et Sermo 2, 1, 63-66 (ed. K.-H. Uthemann, CCSG 12, Turnhout 1985). 33 Hex. 11, 979-982 : Ἀσφαλεστέρου μὲν οὖν καὶ κρείττονος καθ’ ὑpεροχὴν τὸν pρωτόpλαστον τυχεῖν σώματος ὁ λέγων, φησὶν ὁ αὐτὸς Μεθόδιος, οὐκ ἂν ἁμάρτοι, μέσην τινὰ τάξιν φθορᾶς καὶ ἀφθαρσίας ἔχοντος, correspondant à Meth., symp. 3, 7 (ed. H. Musurillo, SCh 95, 104) : Ὁ δὲ ἄνθρωpος (…) τῆς ἀφθαρσίας ἐν μέσῳ βεβηκὼς καὶ τῆς φθορᾶς. Cf. N. Bonwetsch, Methodius, Leipzig 1917, xiv. Notons que dans Anast. S., qu. et resp. 23, 1 (edd. M. Richard - J. Munitiz [ci-après : QR], CCSG 59, Turnhout 2006), Anastase cite sans l’adopter la position semblable de Théophile d’Antioche (Autol. 2, 24) à propos du paradis. 32 400 D. ZAGANAS tation à propos de Gen. 3, 16-17 dans l’Hexaéméron.34 Désireux de défendre l’aspect charnel de la procréation d’avant le péché originel, Anastase s’en prend à Origène et à ses disciples parce qu’ils croyaient au mythe de la préexistence des âmes. Dans ce contexte, il rapporte la réaction anti-origénienne du « très sage Méthode » qui, selon lui, avait fourni dix « preuves scripturaires » (γραφικαὶ ἀpοδείξεις) plaidant en faveur d’un corps terrestre dès la création de l’homme par Dieu. Résumons-les avant de discuter la question de leur authenticité : 1) Selon 1 Cor. 15, 46-47 et 15, 49, Dieu créa dès le début un corps humain « terrestre et fait de poussière » (γηγενὲς καὶ χοϊκόν). Dans l’hypothèse où le premier homme aurait subi le changement d’un corps céleste à un corps terrestre à cause de sa désobéissance, les démons devraient a fortiori avoir subi le même sort. 2-4) La création de mâle et femelle ainsi que l’ordre immédiat de procréer des enfants (Gen. 1, 27b et 1, 28a) indiquent clairement une procréation et une génération charnelles. 5-6) La nourriture terrestre, commune avec les animaux et les oiseaux, que Dieu permit à l’homme avant le péché (cf. Gen. 1, 2930) a pour corollaire l’évacuation des déchets issus de la digestion, comme l’indique aussi Mt. 15, 17. 7-8) Le sommeil d’Adam et la prise de sa côte par Dieu (cf. Gen. 2, 21) sont des caractéristiques d’une chair terrestre et matérielle et non pas d’une nature immortelle. Puis, si Adam était immatériel et incorporel avant le péché, comment a-t-il pu qualifier la côte prise de lui-même « l’os de mes os et la chair de ma chair » (Gen. 2, 23a) ? 9) Si le Christ est le premier-né et prémices de ceux qui sont morts (Col. 1, 18, cf. 1 Cor. 15, 20), c’est-à-dire celui qui le premier a rendu son corps incorruptible et immortel, comment est-ce possible qu’un autre homme soit avant lui d’une chair incorruptible et immortelle ? 10) Si, d’après Lc. 20, 35-36 (réponse de Jésus aux Sadducéens), ceux qui sont dans l’état de l’incorruptibilité ne peuvent plus mourir, comment Adam mourra-t-il, du moment que selon Origène, nous serons ressuscités des morts dans l’état du corps d’Adam avant le péché ? Il est alors évident qu’Origène professa l’existence des âmes avant le corps, parce qu’il a voulu nier la résurrection de la chair. 34 Hex. 11, 929-982. ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 401 La longue « citation » de Méthode dans notre Hexaéméron n’a pas échappé à l’attention d’A. Jahn, éditeur des Opera omnia de Méthode en 1865, qui l’a reproduite, avec quelques réserves, dans une note sur le De resurrectione.35 Sans écarter la possibilité qu’Anastase puise à cet ouvrage de Méthode (« quod veri est simillimum »), Jahn a judicieusement remarqué que ni l’ordre des arguments bibliques ni leur ampleur ne correspondent avec ceux du De resurrectione tel qu’il nous est transmis par Épiphane de Salamine. En effet, Méthode citait d’abord Gen. 2, 23-24 en entier, puis Mt. 19, 4-5 contenant Gen. 1, 27 et Gen. 1, 28a, alors qu’Anastase rapporte Gen. 1, 27b, Gen. 1, 28a et Gen. 2, 23a comme étant respectivement les troisième, quatrième et huitième preuves scripturaires. 36 Anastase le Sinaïte, Hexaéméron XI, 950-965 : …Τρίτον τὸ εἰpεῖν τὴν γραφὴν εὐθέως σὺν τῇ pοιήσει αὐτῶν ὅτι Ἄρσεν καὶ θῆλυ ἐpοίησεν αὐτούς· ἐpὶ ἀφθάρτου φύσεως καὶ ἀκτίστου τίς ἦν χρεία ἄρρενος καὶ θήλεος; Τέταρτον ὅτι καὶ διὰ τῆς εὐλογίας τῆς ὑpὸ Θεοῦ pρὸς αὐτοὺς ῥηθείσης· Αὐξάνεσθε καὶ pληθύνεσθε καὶ pληρώσατε τὴν γῆν ἡ διὰ σpορᾶς καὶ τόκου σαρκικοῦ τεκνογονία αὐτῶν δείκνυται. (…) Ὄγδοον, εἰ ἄϋλός τις καὶ ἀσώματος pρὸ τῆς pαρακοῆς ὑpῆρχεν ὁ ἄνθρωpος, pῶς pερὶ τῆς pαρ’ αὐτοῦ ληφθείσης pλευρᾶς φησιν· Τοῦτο νῦν ὀστοῦν ἐκ τῶν ὀστῶν μου καὶ σὰρξ ἐκ τῆς σαρκός μου; Méthode d’Olympe, De resurrectione 1, 39 éd. N. Bonwetsch, Leipzig, 1917, 282 : αὐτὸς pρὸ τῆς κατασκευῆς αὐτῶν (sc. τῶν δερματίνων χιτώνων) ὁ pρωτόpλαστος ὁμολογεῖ καὶ ὀστᾶ ἔχειν καὶ σάρκας, ὁpότε δὴ τὴν γυναῖκα pροσενεχθεῖσαν αὐτῷ θεασάμενος «τοῦτο νῦν ὀστοῦν» ἐφώνησεν «ἐκ τῶν ὀστῶν μου καὶ σὰρξ ἐκ τῆς σαρκός μου· (…) «οὐκ ἀνέγνωτε ὅτι ἀp’ ἀρχῆς ὁ κτίσας ἄρσεν καὶ θῆλυ ἐpοίησε καὶ εἶpεν· ἕνεκεν τούτου καταλείψει ἄνθρωpος τὸν pατέρα καὶ τὴν μητέρα» καὶ τὰ ἑξῆς. pῶς γὰρ ἐpὶ ψυχῶν μόνον τό «αὐξάνεσθε καὶ pληρώσατε τὴν γῆν» pαραληpτέον; 35 S. Methodii opera omnia et S. Methodius platonizans. Pars I : S. Methodii opera, ed. A. Jahn, Halle 1865, 68-69, note 2. La note fut reprise dans Methodius von Olympus, I. Schriften, ed. N. Bonwetsch, Leipzig 1891, 107-108. 36 Notons que Gen. 1, 27 et 28 sont également allégués contre la doctrine origénienne de la préexistence des âmes par Thphl. Al., Epistula Constantinopoli scripta (fgm), ed. M. Richard, « Nouveaux fragments de Théophile d’Alexandrie », dans Nachrichten der Akademie der Wissenschaften in Göttingen 2(1975), 65 (repris dans M. Richard, Opera minora, vol. 2 [n° 39], Turnhout 1977 ), et par Antip. Bost., Réfutation de l’ « Apologie d’Origène » par Eusèbe de Césarée (fgm), PG 86.2, 2045A. Sur Gen. 2,23 en rapport avec les tuniques de peau, cf. Epiph., anc. 62, 9 (ed. K. Holl, GCS 25). 402 D. ZAGANAS Ajoutons à cela que le contexte n’est pas tout à fait le même : Méthode visait à démontrer que les tuniques de peau ne peuvent pas désigner les corps humains, tandis que le Sinaïte s’en prend à la préexistence des âmes. En ce qui concerne maintenant le dixième argument anastasien, Méthode citait aussi, plus loin dans le De resurrectione, la réponse de Jésus aux Sadducéens à propos de la résurrection, mais d’après l’évangile de Matthieu (Mt. 22, 30), alors qu’Anastase fonde justement sa réflexion sur une phrase spécifique de la péricope correspondante de l’évangile de Luc (Lc. 20, 36a : « Ils ne peuvent pas non plus mourir »).37 Il y a enfin une autre correspondance, non repérée par Jahn, entre le neuvième argument d’Anastase et le De resurrectione de Méthode. En plus de la citation commune de Col. 1, 18, on constate là exceptionnellement une certaine coïncidence verbale, quoique le raisonnement de Méthode soit fortement condensé et décontextualisé dans l’Hexaéméron. De fait, les deux textes n’ont pas la même visée : la résurrection chez Méthode, l’incorruptibilité chez Anastase. Anastase le Sinaïte, Hexaéméron XI, 965-969 : Méthode d’Olympe, De res. 3, 5, 394-395 : …Ἔννατον, εἰ ἄρα ὁ Χριστὸς ἀpαρχὴ καὶ pρωτότοκος λέγεται ἐκ τῶν νεκρῶν, ὡς pρῶτος δηλονότι ἄφθαρτον καὶ ἀθάνατον ἀναστήσας τὸ pανάγιον αὐτοῦ σῶμα, pῶς δυνατὸν pρὸ τοῦ pρωτοτόκου ἄλλον εἶναι ἐν ἀφθαρσίᾳ σαρκὸς καὶ ἀθανασίᾳ ὑpὸ Θεοῦ γεγονότα ἄνθρωpον; εἰ γὰρ »pρωτότοκος« <καὶ »ἀρχὴ> »τῶν νεκρῶν« Χριστὸς εἶναι pεpίστευται, »pρωτότοκος« δέ ἐστι »τῶν νεκρῶν« ὁ pρὸ pάντων ἀναστάς (…) καὶ ἀδύνατον ὅλως ἠξιῶσθαι pρὸ αὐτοῦ τινας τῆς εἰς τὸ μὴ αὖθις ἀpοθανεῖν ἀναστάσεως Les quelques ressemblances entre le De resurrectione et la « citation » de Méthode dans l’Hexaéméron témoignent d’une certaine familiarité d’Anastase (ou de sa source) avec la pensée de Méthode, que ce soit de manière directe ou indirecte. Le Sinaïte pourrait par exemple se faire l’écho d’Épiphane de Salamine ou de Procope de Gaza qui ont reproduit le De resurrectione 1, 39.38 Il pourrait également avoir puisé à un florilège anti-origéniste citant le même 37 Hex. 11, 969-979, à comparer avec Meth., res. 1, 51 (ed. N. Bonwetsch, 305). Voir respectivement, Epiph., haer. 61, 1-6 (ed. K. Holl, GCS 31, Leipzig, 1922) ; Proc. G., Gen. (ed. K. Metzler, GCS NF 22, 107-108 [cf. 152]). 38 ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 403 passage, comme le traité anonyme intitulé Pρὸς τοὺς λέγοντας τὰς ψυχὰς τῶν ἀνθρωpίνων pροϋpάρχειν σωμάτων (VIe s.) qui est conservé dans le codex Vatopediou 236,39 ou avoir consulté une sélection des passages (ἐκλογή) du De resurrectione semblable à celle que rapporte Photius dans sa Bibliothèque.40 Néanmoins, le peu d’éléments identifiables dans la citation de Méthode ainsi que la grande liberté avec laquelle ils sont réutilisés par Anastase font penser à une citation fictive. Cette impression se confirme et s’impose peu à peu comme une évidence quand on examine les divergences qui, notons-le d’emblée, sont nombreuses et très significatives. Premièrement, dresser une liste d’arguments est un trait caractéristique non pas de Méthode mais d’Anastase pour qui le chiffre dix revêt par ailleurs une valeur particulière.41 Notons ici qu’en dehors des dix arguments attribués à Méthode, Anastase énumère dix apories exégétiques à propos de Gen. 2, 16-27 dans l’Hexaéméron ainsi que dix arguments antimonophysites dans l’Hodègos.42 Deuxièmement, certains des arguments attribués à Méthode sont également assignés à d’autres auteurs ecclésiastiques dans l’Hexaéméron ! Donnons-en deux exemples : selon Anastase, Olympiodore d’Alexandrie apportait comme preuves de la corruptibilité de l’homme originel la bénédiction de Dieu (cf. Gen. 1, 28), la création d’homme et de femme (cf. Gen. 1, 27) et la nourriture commune de l’homme et des animaux (cf. Gen. 1, 29-30), ce qui correspond à nos arguments 3 à 5.43 De surcroît, Anastase attribue à un groupe d’exégètes —depuis Philon jusqu’à Grégoire de Nysse— cinq arguments a contrario pour défendre l’existence d’un paradis spirituel. C’est là qu’on retrouve en des termes proches les cinquième et sixième arguments dits de « Méthode », qui portent sur la nourriture terrestre (allusion à Gen. 39 M. Heimgartner, Pseudojustin, Über die Auferstehung : Text und Studie, Berlin 2001 (PTS 54), 235-244 en donne le contenu exact. L’extrait du De resurrectione qui nous intéresse ici porte le no 19 (ibid., 237). Je remercie J. Declerck de m’avoir généreusement confié sa transcription des ff. 113v123r du Vatopediou 236. 40 Phot., cod. 234 (ed. R. Henry, vol. 5, Paris 1991, 83-107). 41 Cf. Sermo 2, 2, 30-33 ; Hex. 4, 97-99 et 441-442 ; 7, 114-116 et 505-525. 42 Voir respectivement Hex. 9, 126-148 et Hod. 10, 2, 2, 1-41. En Hex. 9, 126127, il faudrait peut-être corriger Τὰς δὲ κἀν par Τὰς δέκα ἐν τοῖς pροκειμένοις … ζητήσεις. 43 Hex. 6, 628-632 à comparer avec Hex. 11, 950-957. 404 D. ZAGANAS 1, 29-30 et citation de Mt. 15, 17).44 Or, l’essentiel du sixième argument figure aussi dans une longue liste d’apories faussement attribuées à Irénée de Lyon45 ! Troisièmement, la moitié des arguments dits de « Méthode » (nos 1, 2, 5, 6, 7) n’ont aucun parallèle, même lointain, dans l’œuvre conservée de l’évêque d’Olympe. En revanche, on trouve chez Épiphane de Salamine un emploi antiorigénien de Gen. 2, 2146 —ce qui correspond au septième argument—, ainsi qu’un raisonnement similaire au premier argument dans les Erotapokriseis de Ps.-Césaire.47 Quatrièmement, bien qu’il soit attribué à plusieurs exégètes dans l’Hexaéméron, le sixième argument associant la corruptibilité du corps humain à la nourriture et aux déchets de la digestion ne se rencontre nulle part ailleurs avant Anastase. Cet argument un peu insolite pourrait s’inspirer, sinon provenir, du débat —encore actuel, à la charnière du VIIe et du VIIIe s.— sur la nature du corps du Christ avant la résurrection et, plus précisément, de la polémique contre les Gaia44 Hex. 7b, 479-486 : εἰ δὲ μεταληpτικὸς (sc. ὁ Ἀδὰμ) ἦν αἰσθητῶν βρώσεων, pρόδηλον ὅτι καὶ φθαρτός, pᾶν γὰρ τὸ εἰς στόμα εἰσpορευόμενον ἐκκρίνεται pάλιν. (…) Τετάρτη (sc. αἰτία) ἡ κοινοφαγὴς βρῶσις τοῦ ἀνθρώpου καὶ τῶν ἀλόγων ἡ pροτέρα, à comparer avec Hex. 9, 955-960 : Pέμpτον τὸ pρὸ τῆς ἐκpτώσεως κοινὴν αὐτοῖς καὶ τοῖς κτήνεσι καὶ pετεινοῖς τὴν τῶν σpερμάτων ἀpὸ γῆς pοιήσασθαι ἐpιτροpὴν τὸν Θεόν. Ἕκτον, φησὶ pάλιν ὁ διδάσκαλος, εἰ Pᾶν τὸ εἰσερχόμενον εἰς τὸ στόμα εἰς ἀφεδρῶνα χωρεῖ κατὰ τὴν τοῦ Κυρίου φωνήν, ἀδύνατον ἦν αὐτοὺς κοινῶς τῆς κτηνώδους μεταλαμβάνοντας σpερμοφαγίας μὴ καὶ τὴν ἴσην ὑpομένειν φθαρτώδη ἔκκρισιν. Cf. Jo. D., f.o. 25 (ed. B. Kotter, PTS 12, Berlin 1973, 74) : φυσικῶς γὰρ ἡ αἰσθητὴ βρῶσις (…) εἰς ἀφεδρῶνα χωρεῖ καὶ φθοράν· καὶ ἀμήχανον ἄφθαρτον διαμένειν τὸν αἰσθητῆς βρώσεως ἐν μετουσίᾳ γινόμενον. 45 Hex. 10, 391-393 : Καὶ εἰ μὲν ἐσθίουσαν (sc. τὴν γυναῖκα), pρόδηλον ὅτι καὶ ἐν φθαρτῷ σώματι οὖσαν. Pᾶν γὰρ τὸ εἰς τὸ στόμα εἰσερχόμενον εἰς ἀφεδρῶνα χωρεῖ. Sur Ps.-Irénée de Lyon, voir le paragraphe précédent. 46 Epiph., anc. 62, 9 (ed. K. Holl, GCS 25), repris dans le florilège antiorigéniste de Vatopediou 236. Cf. Id., haer. 65, 7 (ed. K. Holl, GCS 31). 47 Hex. 11, 944-947 : …Ἔδει γὰρ καὶ τοὺς pολλῷ pλέον pαρανομήσαντας δαίμονας pρὸ τοῦ ἀνθρώpου τοῦτο pαθεῖν καὶ ἐξ ἀθανάτου καὶ ἀφθάρτου καὶ ἀΰλου φύσεως θνητὰ καὶ φθαρτὰ καὶ ῥευστὰ ἀμφιάσασθαι σώματα, à comparer avec Ps.-Caes. Naz., dial. 168 (ed. R. Riedinger, GCS, Berlin 1989) : …διὰ τί δὲ ἄρα καὶ τοὺς δαίμονας ἅμα τῷ διαβόλῳ νόας ὑpάρχοντας καὶ ἀσωμάτους ἁμαρτήσαντας καὶ τῶν οὐρανῶν καταρραγέντας μὴ ἐν σώμασιν καθ’ ὑμᾶς αὐτοὺς pρὸς νῆψιν καὶ διόρθωσιν κατησφαλίσατο; ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 405 nites, secte monophysite professant l’incorruptibilité du corps du Christ. Il est utile de rappeler ici que dans l’Hodègos, Anastase souligne plusieurs fois à leur encontre que le Christ a assumé un corps mortel et corruptible accomplissant toutes ses fonctions naturelles, dont l’élimination fécale et urinaire.48 Cinquièmement, dans la formulation des arguments attribués à Méthode, on relève parfois la manière de s’exprimer d’Anastase. Il en est ainsi, par exemple, pour la juxtaposition des adjectifs θνητά, φθαρτά et ῥευστά49 et des adjectifs ὑλική et γηγενής,50 pour la création d’une nouvelle forme lexicale (φθαρτώδης au lieu de φθαρτική) afin de constituer une rime (avec κτηνώδης),51 ainsi que pour l’hapax legomenon ἀρρευσία (absence d’excrétion)52 et pour l’expression τελείαν ἀφθαρσίαν καὶ ἀθανασίαν53 qui figurent à la fin de la citation de Méthode. Pour conclure, la comparaison entre l’Hexaéméron et le De resurrectione de Méthode nous amène à penser qu’Anastase s’est appuyé sur certains éléments authentiques afin de composer une longue « citation vraisemblable » de Méthode. En effet, la thématique, la visée anti-origéniste, le neuvième argument et la coïncidence limitée de passages scripturaires donnent l’illusion d’une vraie citation, alors qu’une grande partie de la « citation » n’a en réalité rien à voir avec l’ouvrage de l’évêque d’Olympe. C’est donc avec raison que les éditeurs de Méthode (Jahn et Bonwetsch) ne l’ont ni prise en considération pour l’établissement du texte grec du De resurrectione, ni considérée comme fragment d’une œuvre perdue de Méthode, authentique ou pseudépigraphique. Hod. 13, 5, 54-56 : …καὶ τὰς ἐκκρίσεις τοῦ δούλου τὰς δι’ ὀφθαλμῶν καὶ διὰ στόματος καὶ ῥινῶν καὶ ἱδρώτων καὶ τῶν δύο τῶν καθ’ ἡμᾶς μελῶν τῶν βρώσεως καὶ pόσεως ἐκκριτικῶν ; 13, 7, 25-27 : …ἐκκρίσεως καὶ ἀpοβολῆς τῆς φθειρομένης καὶ pεpτομένης βρώσεώς τε καὶ pόσεως ; 13, 10, 48-50 ; 14, 2, 73-74. 49 Hex. 11, 945. Cf. Hod. 13, 8, 50-51 ; 13, 3, 63-64 ; Cap. 10, 3, 36 ; 10, 3, 51. 50 Hex. 11, 961. Cf. Hod. 13, 8, 91. 51 Hex. 11, 959-960. Cf. Hex. 3, 461 (ἀσφαλτίζοντα, χαλκευθίζοντα au lieu de χαλκίζοντα). 52 Hex. 11, 983-984. Cf. Hod. 14, 2, 85 ; 23, 2, 89. La seule autre occurrence du terme chez Jo. Clim., scal. 15, PG 88, 892A (reproduit par Ps.-Nil., spir. mal., PG 79, 1468C) relève d’une acception très particulière, à savoir l’absence d’éjaculation nocturne. 53 Hex. 11, 985. Cf. Hex. 6, 630 : pαντελεῖ ἀθανασίᾳ τε καὶ ἀφθαρσίᾳ. 48 406 D. ZAGANAS 4. Ps.-Eustathe d’Antioche. Fervent défenseur de la foi de Nicée contre l’arianisme, Eustathe d’Antioche jouissait d’une grande notoriété théologique. Anastase le range parmi les Pères les plus vénérables du IVe siècle dans l’Hodègos.54 Mais ailleurs, il se sert de la réputation d’Eustathe pour lui attribuer des passages de son propre cru. De fait, dans le florilège anti-monothélite associé à son troisième Discours sur la création de l’homme, Anastase insère un « extrait » tiré du commentaire fictif d’Eustathe sur l’évangile de Jean, qui, attaquant le philosophe Celse, aurait disserté sur la volonté du Christ 55 ! Il en va à peu près de même dans l’Hexaéméron, lorsqu’Anastase se place ostensiblement sous la tutelle du « divin Eustathe, grand théologien, prédicateur, martyr et docteur éminent du concile de Nicée ».56 Soucieux de maintenir le sens typologique au détriment du sens littéral, le Sinaïte refuse de voir en Gen. 2, 18-20 une récapitulation de la création des animaux sauvages et des volatiles du ciel (Gen. 1, 24-25).57 Pour accréditer son choix exégétique, il fait d’Eustathe d’Antioche l’avocat d’une interprétation selon laquelle les animaux et les volatiles de Gen. 2, 18-20 prophétisent les différentes nations qui sont amenées à Dieu dans l’Église. Cependant, les arguments prétendument « eustathiens »58 ne sont pas authentiques mais, au contraire, 54 Cf. Hod. 3, 2, 26 ; 6, 1, 101 ; 7, 1, 93-94. Cap. 4, 1, 44-54. Pour l’histoire de la recherche et le caractère décidément pseudépigraphe de cette citation, voir l’introduction de J. H. Declerck dans Eust., Opera quae supersunt omnia, Turnhout 2002 (CCSG 51), cccxxcccxxiv. 56 Hex. 9, 448-450( : ὁ pολὺς ἐν θεολογίᾳ Εὐστάθιος ὁ θεῖος καὶ pροσομιλητὴς καὶ μάρτυς καὶ κορυφαῖος τῆς ἐν Νικαίᾳ συνόδου διδάσκαλος). 57 On trouve cette opinion dans un fragment caténique de Théodore de Mopsueste (ed. F. Petit, La chaîne sur la Genèse. Édition intégrale I. Chapitres 1 à 3, Leuven 1991 [TEG 1], fgm 288). 58 Hex. 9, 449-467 : Καὶ γὰρ ἐκ pολλῶν τρόpων ἔστι διαγνῶναι, φησὶν ὁ pατήρ, τούτων τῶν ζῴων καὶ pετεινῶν τὸ διάφορόν τε καὶ ἀνόμοιον. Pρῶτον διὰ τοῦ εἰpεῖν· Καὶ ἔpλασε Κύριος ὁ Θεὸς ἐκ τῆς γῆς ἔτι, οὐ γὰρ εὑρίσκομεν pλάσμα Θεοῦ εἶναι, εἰ μὴ τὸν ἄνθρωpον. Pάλιν καὶ διὰ τοῦ λέγειν τὸ Ἔτι δείκνυσιν ἡ γραφὴ ἕτερά τινα ἐνταῦθα ζῷα pροφητεύεσθαι καὶ pετεινὰ pαρὰ τὰ pρότερα, οὔτε γὰρ γέγραpται τὰ pρῶτα pετεινὰ ἐκ γῆς γενόμενα, ἀλλ’ ἐξ ὑδάτων, ταῦτα δὲ ἐκ γῆς ἐγένοντο, μᾶλλον δ’ ἐpλάσθησαν ἰδιοχείρως pαρὰ Θεοῦ, καὶ οὐ κατὰ pρόσταξιν. Ὡσαύτως καὶ διὰ τοῦ λέγειν pάντα τὰ pετεινὰ καὶ 55 ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 407 inventés par Anastase lui-même, et cela pour deux raisons. D’une part, parce qu’Eustathe n’a pas rédigé de commentaires sur la Genèse : le dialogue avec le philosophe Phédon, dans lequel Eustathe aurait, selon l’historien Gélase de Cyzique, discuté Gen. 1, 26, est vraisemblablement fictif,59 puis le soi-disant « Commentaire sur l’hexaéméron » (CPG 3393) est une compilation tardive certainement pseudépigraphe.60 D’autre part, parce que l’expression et le contenu de la « citation » sont non seulement sans parallèle avec les ouvrages authentiques de l’évêque d’Antioche, comme le remarque à bon escient J. Declerck,61 mais aussi ils présentent plusieurs affinités avec le style et les idées d’Anastase. En voici trois exemples : 1) Hex. IX, 452 (τὸ διάφορόν τε καὶ ἀνόμοιον). L’adjectif ἀνόμοιος est toujours accompagné d’un synonyme ou d’un mot semblable dans l’Hexaéméron.62 2) Hex. IX, 457-458 (ἐpλάσθησαν ἰδιοχείρως pαρὰ Θεοῦ, καὶ οὐ κατὰ pρόσταξιν). La distinction entre création selon un ordre impératif et façonnage par Dieu lui-même est récurrente dans l’Hexaéméron.63 Par ailleurs, l’usage insolite de l’adverbe ἰδιοχείρως en tant que pάντα τὰ θηρία νῦν ὑpὸ Θεοῦ pλασθῆναι οὐ δίδωσιν ἡμῖν χώραν τοῦ ὅλως εἰpεῖν ὅτι μέρος μὲν ἐγένοντο pρότερον, μέρος δὲ νῦν. Ὅθεν οὔτε pερὶ σpερμοφάγου βρώσεως ἐν τούτοις τι διακελεύεται ὁ Θεός, τὰ γὰρ εἰς pαράδεισον εἰσερχόμενα οὐ χόρτον ἐσθίει, ἀλλὰ pᾶν ξύλον ὡραῖον εἰς ὅρασιν καὶ καλὸν εἰς βρῶσιν, καὶ pρό γε pάντων ἐκ τοῦ ξύλου τῆς ζωῆς Χριστοῦ τοῦ ζωοpοιοῦντος καὶ ταῦτα τὰ ζῷα. Ἔστι δ’ εἰpεῖν ὅτι ἔθνη εἰσὶ ταῦτα τὰ θηρία τὰ ἐν τῇ ἐκκλησίᾳ ὑpὸ Θεοῦ εἰσενεχθέντα ἢ ὅτι ἱppὼν καὶ συβότιον καὶ καμηλοστάσιον καὶ οἰνοτροφεῖον (lege ὀνοτροφεῖον vel οἰοτροφεῖον) σήμερον ὁ pαράδεισος ὑpάρχει. 59 Gel. Cyz., h.e. 2, 14, 2-6, edd. M. Heinemann - G. Loeschcke, Leipzig 1918. Pour l’authenticité, voir l’introduction de J. H. Declerck dans Eust., Opera, CCSG 51, ccxxi-ccxxiv. 60 Pour une étude, voir F. Zoepfl, Der Kommentar des Pseudo-Eustathios zum Hexaëmeron, Münster 1927. Sur son inauthenticité, voir Eust., Opera, CCSG 51, ccccxvi-ccccxvii. 61 Voir Eust., Opera, CCSG 51, cccxvi-cccxx (en particulier, cccxix). 62 Cf. Hex. 8, 114 (Ἕτερος καὶ δεύτερος καὶ ἀνόμοιος) ; 9, 729 (ἀνομοίους καὶ pαρηλλαγμένας) et 738 (διῃρημένας καὶ ἀνομοίους). 63 Cf. Hex. 7b, 296-297 : οὐκέτι κατὰ pρόσταξιν...ἀλλ᾽ αὐτουργικῶς et 773774 : Οὐ γὰρ κατὰ pρόσταξιν...ἀλλ᾽ αὐτουργὸς αὐτὸς ὁ Θεός ; 9, 518-521 ; 12, 4546 : αὐτουργικῶς, ἀλλ᾽ οὐ pροστακτικῶς et 176-178 : τῶν οὐ κατὰ pρόσταξιν ὡς τὰ λοιpὰ ζῷα γεγονότων, ἀλλ᾽ αὐτοχείρως ὑpὸ Θεοῦ κτισθέντων. 408 D. ZAGANAS synonyme d’αὐτουργικῶς ou d’αὐτοχείρως pour qualifier le mode de création de l’homme par Dieu est attesté uniquement dans le corpus Anastasianum. De fait, en dehors du livre IX de l’Hexaéméron, on le rencontre une fois dans le livre III (ἰδιοχείρως ἔpλασεν), puis dans les Questions et réponses employé sous forme adjective (ἰδιόχειρον pλάσμα).64 Selon toute probabilité, il s’agit d’un tour de phrase propre à Anastase, qui, comme l’on voit dans le livre III de l’Hexaéméron, résulte d’une lecture combinée de Ps. 94, 5 (αἱ χεῖρες αὐτοῦ ἔpλασαν) et de Ps. 118, 73 (αἱ χεῖρές σου ἐpοίησάν με καὶ ἔpλασάν με). 3) Hex. IX, 464-467 (défense du paradis spirituel qu’est l’Église). Désireux de montrer que l’ensemble de Gen. 1-3 préfigure le mystère du Christ et de l’Église, Anastase défend vigoureusement la valeur typologique (ecclésiologique) de tout ce qui traite du paradis. C’est pourquoi il va jusqu’à ridiculiser le sens littéral de Gen. 2, 18-20, en comparant le paradis à une étable pour différentes sortes d’animaux (chevaux, porcs, chameaux, ânes). Par son intensité, cette reductio ad absurdum d’Anastase rappelle l’accusation gratuite contre Origène d’avoir transformé le paradis en un lieu de prostitution (pορνεῖον).65 Avec J. Declerck, nous affirmons donc qu’Eustathe d’Antioche n’est pas l’auteur du « fragment » rapporté dans l’Hexaéméron. En outre, il n’y a ni lieu ni besoin de supposer l’existence d’un ouvrage pseudo-eustathien comme source d’Anastase, car ce sont manifestement ses propres idées que ce dernier attribue au célèbre évêque d’Antioche et confesseur. Attribution paradoxale au premier abord, étant donné qu’Eustathe a critiqué l’allégorisme d’Origène, 66 elle semble toutefois bien servir la cause anastasienne qui consiste à réhabiliter l’exégèse allégorique sans se rendre suspect d’origénisme. En effet, le Sinaïte ne saurait mieux accréditer sa propension allégorisante et se disculper qu’en faussant une citation d’Eustathe d’Antioche, symbole de l’orthodoxie nicéenne et anti-origénien déclaré. 5. Conclusion. L’étude des citations explicites d’auteurs anciens dans l’Hexaéméron montre qu’à l’exception peut-être de la citation de Méthode d’Olympe, 64 Voir respectivement Hex. 3, 363-365 ; QR 5, 3. Hex. 11, 564-567. 66 Cela fut un des arguments avancés par les chercheurs contre l’authenticité du fragment. Voir Eust., Opera, CCSG 51, cccxviii- cccxix. 65 ANASTASE LE SINAÏTE, ENTRE CITATION ET INVENTION 409 celles-ci ne témoignent pas d’un vrai rapport avec leurs œuvres respectives. Car il s’avère que les opinions rapportées par Anastase soit proviennent d’un exégète différent de celui qui y est mentionné, soit sont inventées par Anastase lui-même, soit enfin ne contiennent que quelques éléments authentiques. Quel rôle jouent-elles alors dans l’Hexaéméron ? Pourquoi Anastase a-t-il besoin de fausser leur attribution et/ou leur contenu ? Avoir recours à des autorités patristiques « antiques » apparaît comme le moyen d’étayer sa démarche qui consiste à réhabiliter l’exégèse spirituelle de la Genèse, tout en évitant que cela apparaisse comme un retour à l’allégorisme d’Origène. Ce n’est peut-être donc pas un hasard si, hormis la réfutation par Méthode de la préexistence des âmes, toutes les interprétations faussement attribuées à des Pères plus anciens plaident en faveur du sens spirituel. Par ce biais, les références à Justin, à Irénée et à Eustathe ne seraient en réalité pour Anastase qu’un moyen de mieux faire accepter ses choix exégétiques, dont certains semblent être tributaires de la tradition origénienne. Il conviendrait, par conséquent, de mettre en relation les prétendues sources « anciennes » de l’Hexaéméron avec la double préoccupation d’Anastase : d’une part, légitimer sa lecture allégorique de l’Écriture à travers l’argument d’ancienneté et, d’autre part, dissiper le soupçon d’origénisme. La pseudépigraphie ainsi que la falsification des textes patristiques étant à la fois de procédés assez courants aux VIIe-VIIIe siècles et familiers à Anastase, comme l’attestent ses écrits polémiques, invitent à la prudence quant au témoignage anastasien sur l’exégèse ancienne de l’Église, auquel nous ne pouvons évidemment accorder qu’une valeur très relative. DIMITRIOS ZAGANAS KU Leuven, Faculty of Theology - Sint-Michielsstraat 4 - box 3101 3000 Leuven – BELGIUM - dimitrios.zaganas@gmail.com ABSTRACT This article aims to assess Anastasius of Sinai’s usage of ancient Christian sources in the Hexaemeron. Close and thorough examination of his quotations from Justin Martyr, Ireneaus of Lyon, Methodius of Olympus and Eustathius of Antioch reveals that, apart from Methodius, the citations have no analogy to any of their works. On the contrary, the cited opinions appear either to have come from different authors, or to have been faked, in toto or in part, by Anastasius. The reason for such a forgery lies in Anastasius’s attempt to rehabilitate the allegorical interpretation of Gen. 1-3, without being accused of Origenism. Anastasius’s witness to the ancient exegetical tradition is proven to be deliberately misleading, and therefore should not be taken at face value. ISSN 0004-8011 AUGUSTINIANUM Periodicum semestre Instituti Patristici "Augustinianum" SUM M ARI UM DISSERTATIONES PAG. E. Albano, Rivelare e Tacere: Note per una riflessione su Scrittura e Tradizione nel pensiero di Clemente di Alessandria. II. Le mediazioni della rivelazione ................................................................................ 301 F. Berno, Rethinking Valentinianism: Some Remarks on the Tripartite Tractate, with special reference to Plotinus’ Enneads II, 9 ..................... 331 D. Cruciat, Tertulliano e la filosofia: Una proposta metafilosofica .......... 347 H. Sproll, Jesus Christus – Ciuis Romanus. Die Christianisierung des Augustus und die Romanisierung Christi bei Orosius – Ein Paradigma politischer Theologie? ........................................................................ 367 D. Zaganas, Atanase le Sinaïte, entre citation et invention: L’Hexaéméron et ses sources « antiques » ....................................................... 391 M. A. Mateo Donet, La estrella de Belén, presagio y símbolo de la realeza de Cristo ................................................................................ 411 ADNOTATIONES D. E. Arfuch, Una nota sulle donne “diacono” nell’agiografia cipriota dal secolo V al VII ............................................................................. 431 J. A. Gaytán Luna, Sul viaggio dell’anima dopo la morte: Qualche annotazione ad uno studio di Peter Brown .................................... 439 RECENSIONES (vide folium rectum alterius fasciculi integumenti ) ...... 453 ACCEPTA OPERA .............................................................................. 531 INDEX VOLUMINIS LVI .................................................................... 567 Annus LVI Fasciculus II December 2016