L’habitat constitue un cadre dans lequel prennent sens des projets collectifs. Porter un autre regard sur celui-ci signifie peut-être s’écarter d’une tendance qui nous a conduit à imposer toute évaluation et toute évolution des...
moreL’habitat constitue un cadre dans lequel prennent sens des projets collectifs. Porter un autre regard sur celui-ci signifie peut-être s’écarter d’une tendance qui nous a conduit à imposer toute évaluation et toute évolution des choses et des lieux selon des critères technologiques et économiques.
Notre propos s’appuie sur la critique d’une conception de l’ « habitat » faussement fondée sur l’idéologie de la performance, de la répétition de solutions présupposées compétitives et sur la croyance en une industrialisation transnationale qui mutilent une réalité complexe en la réduisant à des modèles simplifiés et cloisonnés.
La réappropriation d’une culture constructive inspirée de la « tradition » peut apporter des solutions aux problématiques sociales, économiques et environnementales. Elle peut participer à la création d’emplois, au développement d’une économie locale, à la rationalisation de l’utilisation de l’énergie et à la récupération des matériaux ...
Préférons laisser des ruines que des déchets !
Il faut redonner confiance à ces cultures et inciter à un retour aux matériaux dits « traditionnels » en faisant appel à cet héritage constructif tout en en améliorant - si nécessaire - les techniques de mise en œuvre. « Développement durable », « protection de la biodiversité », « sauvegarde des savoirs locaux », ... si l’on ne veut pas voir dans ces velléités la simple évocation d’un lieu commun du politiquement correct, il semble important de leur associer une dimension beaucoup plus pragmatique : l’emploi de ressources locales et la constitution concrète d’un patrimoine vivant fondé sur une culture constructive située peuvent être le point de départ d’une résistance active à l’hégémonie du monisme techno-bureaucratique.
Objet d’étude et terrain d’investigation :
La pierre de taille calcaire de Meuse et Meurthe-et-Moselle a été couramment employée à Nancy, pour les équipements prestigieux comme pour les habitations : en vieille ville et en ville neuve, naturellement, mais aussi dans la ville du XIXème jusqu’au milieu du XXème siècle avant d’être définitivement évincée par le béton. Au-delà du sens commun qui véhicule pour la pierre l’image d’un matériau de luxe rare, nous chercherons à comprendre comment la pierre a pu disparaître de manière aussi radicale de nos constructions aujourd’hui alors qu’elle constitue un matériau de « gros-œuvre » évident, durable, pouvant être extrait localement, « prêt à l’emploi » et dont les réserves semblent encore loin d’être épuisées.
Au travers de cette étude, nous allons tenter d’évaluer la pertinence d’un retour à l’emploi de la pierre de taille locale pour la construction de bâtiments ordinaires par rapport aux matériaux dits « conventionnels » et artificiels qui prédominent dans le paysage de la construction en France.
Nous tenterons, par l’étude de l’adaptation et du redéploiement d’une filière locale de construction en pierre massive structurelle, de réaliser un projet-prototype manifeste capable de démontrer que les qualités incontestables du patrimoine en pierre peuvent être transposées à une architecture contemporaine, prouvant ainsi qu’une continuité matérielle et sensible entre patrimoine ancien et « patrimoine vivant » est toujours possible.
Enfin, le réemploi de la pierre de taille locale aujourd’hui pourrait être l’occasion de susciter un débat renouvelé autour de la notion d’authenticité dans la pensée et l’acte de construire. Il permettrait notamment de s’interroger sur le phénomène d’appropriation, au sein d’un habitat de type pavillonnaire, d’éléments constructifs a priori sans fondement logique, sans dimension symbolique située ou contextualisée, ni sens critique. Nous essaierons enfin de mettre en évidence le lien qui semble réunir dans la médiocrité* la démission des politiques d’aménagement de l’espace périurbain et les pratiques constructives normalisées.
* de mediocris : «qui se trouve à mi-hauteur, dans un juste milieu» (Le Robert, Dictionnaire étymologique du Français).
Un « projet manifeste » en pierre de taille :
En termes d’environnement bâti de notre quotidien, qui décide de la dimension patrimoniale d’un héritage bâti collectif, et selon quels critères ? La « patrimonialisation » des centres doit-elle inévitablement aboutir à la « muséification » d’un lieu cerné, composé d’édifices sacralisés et arrachés à l’histoire ?
Sensibles à une perception subjective - locale - de l’espace et du territoire, notre projet cherche à valoriser le « déjà-là » matériel (ce qui est disponible sous nos pieds) par un ensemble de dispositifs et d’expérimentations avec la pierre calcaire lorraine.
Les caractéristiques du matériau se manifesteraient dans sa « mise en forme », c’est-à-dire dans la conception, l’élaboration et le montage du projet (le « savoir »), dans sa forme et sa structure (le pilotage, la gestion et l’organisation de sa construction, donc le « savoir-faire ») et dans son déploiement, son rayonnement public, universitaire et politique (le « faire-savoir »). Cela implique pour nous de confronter à des pratiques actuelles (en matière de construction, de loge- ment, de fabrique de l’urbain, ...) certaines problématiques et enjeux découlant de notre réflexion et de nos expériences. Ce qu’il nous importe de saisir, c’est la manière dont un matériau, qui représente un monde et un récit effacés, désavoué en tant qu’élément de construction porteur « originel », pourrait être réintroduit dans les usages et dans les pratiques. Cet objectif ne peut être atteint qu’à travers une démarche holistique de projet répondant directement à un diagnostic du territoire et de ses enjeux actuels. Notre démarche se doit donc :
- d’être pragmatique (éviter le gaspillage, la surproduction, la surconsommation, ...),
- de viser un équilibre entre pratique traditionnelle et radicalité contemporaine,
- d’associer réellement le projet architectural à des relations humaines entre chacun des corps de métier (de l’extraction du matériau à la finition, de la conception à l’usage),
- d’accepter l’incertitude, le droit à l’erreur et de se baser sur le retour d’expérience.