(Sources Chrétiennes 6) Grégoire de Nysse - Jean Laplace (Ed.) - La Création de L'homme-Cerf (1944)
(Sources Chrétiennes 6) Grégoire de Nysse - Jean Laplace (Ed.) - La Création de L'homme-Cerf (1944)
(Sources Chrétiennes 6) Grégoire de Nysse - Jean Laplace (Ed.) - La Création de L'homme-Cerf (1944)
SOURCES CHRÉTIENNES
Collection dirigée par H. de Lubac, S. J., el J. rfiélOU, 41/l\~1
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GRÉGOIRE DE NYSSE
CR.ÉATIO
NIHIL OBSTAT : DE
Lyon, 8 avril 1943
J:DU BOUCHET, s.
Prœp. Provo Ludg.
J.
L'HOMME
IMPRIMATUR:
Lyon, 10 avril 1943
A. ROUCHE
INTRODUCTION ET TRADUCTION DE
v. g.
Jean LAPLACE, S. J.
NOTES DE
Jean DANIÉLOU, S. J.
! i
14 INTRODUCTION
LA FORME LITTÉRAIRE 15
ne doutons de la résurrection, qui dénouera le drame reçoit le rayon et le transmet jusqu'au dernier miroir.
humain. Mais le « lien logique» nous échappe entre le
Mais que, satisfait de sa beauté, il se détourne de .la,source,
passé, le présent et le futur. Nous voudrions voir pal' il s'ohscurcit et plonge dans les ténèbres ceux qUI tIennent
« quel enchainement et quel ordre » la puissance divine de lui leur clarté. Ainsi en est-il de l'homme. Regarde-t-il
trouve une « espérance à ce-'qui n'en a plus» et réalise vers Dieu? Il reçoit la splendeur divine et en irradie les
l'impossible. Ainsi la foi, qui est la certitude présente du
créatures. Porte-t-il son cœur vers la matière? Son regard,
dénouement à venir, loin de supprimer le « drame» de privé de l'éclat venu d'en haut, rend le monde à sa dif-
notre existence, l'agrandit aux dimensions du monde et, formité. L'univers en suspens attend donc le choix de
par l'assurance du résultat, rend plus personnel et plus l'homme qui, par ·la direction de son regard, propagera
poignant ce débat de l'homme devant l'inchangeable dans l'œuvre de Dieu la .lumière ou les ténèbres (XII).
dessein de Dieu. Cette crise tr~gique couvant dans la création est con-
Le pr~mier acte (du chapitre l au chapitre XV) nous tenue jusqu'à. la fin de ce premier acte et emportée dans
met en présence du plan divin : l'homme, par sa double le thème central de la splendeur de l'esprit. Elle éclate
parenté avec Dieu et l'univers, est médiateur dans la avec violence 'dans le chapitre XVI, qui est le second
création. La grandeur de sa constitution première est acte : l'homme, dans sa condition présente, dit Grégoire,
exprimée par ces mots de l'Écriture: « Di~u fit l'homme ne peut être ce qu'il est par nature : image de Dieu.
à son image. » Grégoire se complaît à rechercher les Comment un mortel ressemblerait-il au Dieu immortel ?
signes de cette noblesse. Il dépeint notre domination sur Notons au passage où se situe exactement le draIhe. Nous
le monde matériel, végétal et animal. Il présente l'uni- ne doutons ni de notre noblesse ni du rétablissement de
vers en évolution tendant vers l'homme comme vers sa nos grandeurs passées: l'un et l'autre nous sont garantis
raison dernière en qui tout est achevé. Tous les traits de par la parole divine. Nous souffrons du désaccord entre
notre être (II à VI), notre constitution sans défenses l'idéal et l'expérience, la foi et les faits. Le drame réside
naturelles (VII), notre stature droite, nos mains (VIII), pour le croyant dans les cdnflits internes de la réalité.
l'activité et la diversité des sens (X), l'unité et l'indépen- Il ne se joue pas dans l'angoisse ou l'agitation de l'in-
dance de l'esprit (XI), l'union de l'âme avec le corps quiétude. Progressant vers un dénouement certain, il se
(XII-XV), tout en nous, de l'extérieur à l'intérieur, fait déroule dans le sérieux d'une présence. Nous cherchons à
écho à la parole divine: « L'homme est l'image de Dieu.-» découvrir l'accord, pour engager notre être en Dieu et
Cependant cette merveilleuse harmonie laisse passer dans la vie du monde.
une inquiétude. Dans notre univers,la lumière n'arrive Pour dénouer cette crise, Grégoire reprend les choses
à la création qu'à travers le regard de l'homme et par la de très haut. Il ne se satisfait pas des signes de grandeur
médiation de sa liberté. Supposez une suite de miroirs énumérés jusqu'ici; il s'élève soudain hors du moncle
se transmettant de l'un à l'autre le rayon lumineux. Le fluant pour voir l'humanité clans la « prescience créa-
premier est mobile et libre. S'il se tourne vers le soleil, il trice ». Dans cette activité qui « embrasse le tout » et
LA FORME LITTÉRAIRE 17
16 INTRODUCTION écorce alléchante, cachait la misère et la mort. Désormais,
« où il n'y a ni passé ni futur », il la considère comme un nous errons loin de l'image, voyant seulement dans les
seul homme ou un seul corps dans le Christ Jésus. Il n'a meilleurs d'entre nous ou dans les plus hautes parties
pas affaire à Adam ou à « un tel ou un tel » , mais à de notre être les restes de notre grandeur première (XX).
« l'homme universel », à la « parfaite image », créée en Tel serait le troisième acte du drame : notre vie dans
Dieu « dès l'origine ». Laissant à nouveau tomber son notre condition présente et dans le devenir réel.
regard sur le morcellement des générations . , il découvre La comparaison de notre état premier avec notre mi-
sère actuelle, introduit un nouvel épisode: l'image est-
dans la faute initiale la cause de notre condition présente.
Dieu, voyant l'usage que nous ferions, dans le temps, de elle pour toujours disparue? L'humanité a-t-elle per-
notre liberté de créature, ne change pas dans l'éternité du l'espoir de devenir ce qu'elle est da~s la prescience
le dessein qu'il forme sur nous, mais il nous le fait réali- divine? Quelques notes déjà, dans les chapitres précé-
ser dans la souffrance et la vie animale. dents, nous ont fait concevoir une espérance: dans l'hu-
Grégoire pose alors son principe des deux créations, manité, les saints et les âmes d'élite ont reconquis notre
point central de son œuvre, foyer lumineux éclairant ~ature première. Mais seuls les êtres d'exception peuvent-
ses démarches postérieures. Dieu a créé l'humanité dans Ils y accéder? La masse connaîtra-t-elle le chemin du
sa perfection dès l'origine: création supérieure d'un Dieu retour? Un chant nouveau éclate ici, un rythme nou-
intemporel. Mais celle-ci n'arrive à sa constitution défi- ~eau sc~nde désormais tout ce quatrième acte qui s'in-
nitive qu'éparpillée dans le temps et soumise aux condi- tItuleraIt le retour à l'image. Grégoire y développe les
tions du sexe, de la douleur et de la mort. C'est la créa- principes du chapitre XVI sur les deux créations' mais
tion seconde, telle qu'elle a commencé dans la Genèse et il les pousse jusqu'aux ultimes conséquences:' « Le
se déroule sous nos yeux. Ce principe fait se rejoindre vice n'est pas si fort qu'il puisse avoir le dessus sur la
le temps et l'éternité et nous fait saisir la distinction du puissance du bien ... ». L'humanité dans le mal se fait
Créateur et de sa libre créature (XVI et XVII). son expérience. A la fin des temps, l'image resplendira
A ces hauteurs désormais se déroule le drame de l'hu- dans sa beauté (XXI).
manité. Le tragique de notre situation est qu'étant Jusque-là, nous devons patienter, en « ce court délai
divins de nature, nous soyons condamnés à un mode de apporté à la réalisation de notre joie ». Notre nature ne
vie commun avec les animaux (XVIII). Dieu ne nous nous est pas enlevée; mais tandis qu'elle aurait pu d'un
avait pas créés pour jouir de ces biens imparfaits aux- ~e~l. instant parvenir à sa plénitude, à cause du péché
quels nous avons donné notre attention. Il nous avait mItIal, elle prend ce détour de la souffrance et du temps,
placés au Paradis pour cueillir le fruit de l'arbre de vie, o~ elle progresse jusqu'au nombre exactement prévu par
- cet arbre de « tout bien », qui est la possession de DIeu. Au terme des siècles, elle atteindra sa perfection
Dieu même (XIX). Mais notre regard s'est détourné, il avec la même certitude que la moisson apparaît en été
s'est laissé charmer par l'arbre porteur d'un fruit ambigu, après les semai~les d'hiver. Alors l'humanité sortira du
6.. Grégoire de Nysse.
délectable en apparence, funeste en réalité, qui, sous son
18 INTRODUCTION LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 19
cycle animal. Elle sera devenue elle-même une parfaite qui la fait se développer comme une semence et, au jour
« image de Dieu » (XXII). dit, - qu'il s'agisse de chacun de nous ou de l'humanité
Nous sommes ici au plus profond du drame. Notre des- entière - la fait éclore en sa beauté comme la moisson.
tinée est dévoilée. Les crises passagères, loin d'ébranler Cette vision de l'humanité enfin restituée, Grégoire, après
notre foi, l'ont affermie. Le drame peut se dénouer. Dieu une très longue digression sur l'harmonie des parties de
a réalisé l' « impossible » : nous sommes en lui dès l'Ol'i- notre corps, la fait, en quelques lignes, repasser sous nos
gine et toutes choses, à la fin des temps, retournent à yeux. Elle forme l'accord final où, sans fioriture, résonne
leurs éléments premiers, c'est-à-dire, prennent leur place en nous le sérieux de notre destinée : la nature mutilée
dans le plan de la création. Grégoire, nous emportant en dès l'origine, au lieu d'atteindre d'un coup sa perfection,
Dieu au-dessus du monde, nous a menés au centre de ne l'obtient que peu à peu, comme une semence qui se
nous-mêmes : notre vue s'est élargie et concentrée. Il développe à travers le temps et la souffrance. Mais le
nous laisse dans une radieuse espérance : « Assurons- vieil homme ne cesse de se dépouiller et l'image, en cha-
nous le bienfait à venir, conclut-il; par l'excellence de cun et en tous, apparaîtra, au temps marqué.
notre vie. » Telle est la manière dont l' œuvre est composée. Comme
L'allure, dans les dernières pages, se fait plus calme et Grégoire ne quitte jamais les parages divins mais épuise
les liens sont plus lâches. L'épilogue, formé de huit cha- Ses forces à en pénétrer le mystère, sa pensée subit à
pitres (de XXIII à XXX), est un regard tranquille sur tout moment l'attirance invisible. Un drame se joue
ce monde dont pal' la foi nous avons eu le dernier mot. autour de ce centre lumineux dont nous sentons les
Tandis que l'ensemble du livre retraçait le drame de l'hu- reflets en nous-mêmes et dont la chaude présence accé-
manité dans l'âme du croyant, la fin s'adresse surtout à lère notre marche: c'est le drame de la foi devenu le drame
« ceux de l'extérieur ». Notre espérance leur semble invrai- de l'humanité. Si nous-mêmes n'entrons dans le jeu, ce
semblable. Grégoire, sûr de sa foi, en montre le bien traité n'offrira qu'un curieux ensemble d'idées originales
fondé: nous n'avons pas tort de placer si haut nos espoirs ou d'amusantes comparaisons. Son sens vrai nous échap-
et d'affirmer la restauration de la matière. Quelques pera.
questions de détail : problème de la matière dans la
résurrection (XXIII-XXIV), problème de l'union de
II
l'âme et du corps et de la création de l'âme (XXVII-
XXVIII), n'ont pas au premier abord de connexion avec
ce qui' précède. En fait, un esprit commun réunit ces
Les sources philosophiques.
aperçus. Il imprime en nous ce sens de la dépendance
divine et de cette « activité toute-puissante » qui contient Si la forme littéraire nous révèle l'unité de l'œuvre,
tout en sa main, la succession des âges comme les restes en dirons-nous autant de l'examen de la pensée? Cher-
de chaque homme (XXVI). Dieu est au fond de la nature chant au delà des procédés de style, qui sont la marque
20 INTRODUCTION
LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 21
de la seconde Sophistique, nous avons découvert l'unité
Derrière eux, nous retrouvons l'optimisme stoïcien: .
de composition. Retrouverons-nous ici encore, sous les
« Pour qui (l'univers visible) est-il fait? demande ClCé:on.
influences diverses et les éléments disparates, l'esprit
qui les unifie ? Sans doute pour les animaux raisonnables, les dIeux
et les hommes 1, » Philon écrit: (( Quelqu'un peut se
A première vue, la. Création de l'homme se situe dans la
demander pourquoi l'homme a été créé le dernier ...
tradition des cosmogonies. Le problème de l'origine du
Dieu a préparé à l'avance pour l'homme tout ce qui est
monde et en particulier de l'origine de l'homme suscite
dans le monde, en voulant qu'il ne manque de rien de ce
dans l'antiquité toute une littérature. Le Timée de Pla-
ton est ici l'ouvrage fondamental. Il fut commenté par qui sert à vivre et à bien vivre. » Grégoire ?ose la mêm.e
to~tes les écoles. Il fournit aux philosophes les grands question et fait la mêm~ réponse. ~u cha~Itre second, 1:
emprunte une comparaIson à PhIlon. DIeu est figure
thèmes de leur spéculation : univers, providence, origine
comme le bon hôtelier qui n'invite ses hôtes que lorsque
de l'humanité, nature de l'âme, le mal, la destinée du
le repas est prêt 2. Il livre la nature à la jouissance e.t à
monde et des hommes. Ce sont ceux de la Création de
l'homme. la contemplation de l'homme 3. Cicéron déjà avait dIt :
(( Le soleil, la lune, tous les astres servent de spectacle
En particulier, nous y découvrons deux grands thèmes
aux. mortels 4. »
stoïciens: celui de la Providence et celui de l'anthropo-
Ce parallélisme avec Cicéro~, et donc la dépendance
centrisme. Comme nous le montrerons en exposant la
de l'école stoïcienne, sont surtout frappants dans les cha-
doctrine, tous les éléments de l'univers, selon Grégoire,
pitres IV à XV. Ils portent sur des détails préci~.
sont disposés avec harmonie, les plus légers à la périphé-
Laissons de côté les chapitres IV à VI dont les COnsI-
rie, les plus lourds au centre (Ch. 1). Or cette façon de
dérations sur la nature royale de l'homme ont leur
voir est celle de plus d'un écrivain hellénistique. Elle est
équivalent chez Philon. Avec le ch. VII, Grégoire aborde
celle de Cicéron, subissant sur ce point, semble-t-il, l'in-
une série de questlons qui font partie des Questianes dis-
fluence de son maître et ami, Posidonius 1. Mais l'influence
stoïcienne se fait surtout sentir dans les pages de Gré- putatae des écoles anciennes : (( Quelle est .la raison d~ la
stature droite de l'homme ?» demande-t-Il dans le tItre
goire sur la grandeur de l'homme. Certains développe-
du ch. VIII (144 a). Le ch. VII commence par ces mots:
ments sont identiques chez Grégoire, Philon· et Cicéron.
(( Pourquoi l'homme est-il sans armes et sans protection
1. De natura deorum, II, 120 à 132. Il ne reste de Posidonius naturelles? » (140 c). La première question est traitée dans
que des fragments. Reinhardt a cru pouvoir restituer de lui
un commentaire du Timée d'après les citations du de natura 1. Op. cit., 132. .. C h
deorum. Cf. Reinhardt, Posidonius, 1921. Or le de opificio 2. De mzmdi opificia, édition Mangey I, 18 ; édItlon ,0 n,
présente avec le de natura de arum des ressemblance? frl,lp- I, 3.25.Voir d'autres parallèles stoÏCIens
. . t
St . V e.
pantes, signalées par E. von Ivanka. Dès lors P?sIdomus dans A l'mm,
.
serait aussi la source de Grégoire de Nysse. Cf. DIe Quelle Fr., II, 1152-1167; Cicéron, de natura dearu;n, II, 6, 18;
von Ciceros de natura deorum, II, 45-60 (Poseidonios bei Grégoire de Naziance, P. G., 37, 141 a; BaSIle, P. G., 31,
Gregor von Nyssa), Archivum philologicum, 1935, pp. 1 sq. 253 b.
4. De natura' dearum, II, 136.
22 INTRODUCTION LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 23
le De natura deol'u,m \ où Cicéron lui donne un sens un pements tont penser à Philon. Il est difficile de détermi-
peu différent de celui qu'elle aura chez Grégoire. La seconde ner alors si Grégoire .dépend de Philon ou de Posidonius.
s~r~out est. int~ressante. Elle fait partie de la querelle De toute façon, son esprit évolue dans une ambiance
dIVIsant épICurIens et stoïciens. Elle est examinée .par stoïcienne.
C~cé~on. Lactance, la reprenant pour la réfuter, l'expose Un autre thème du De hominis opificio, celui des deux
amSI : « On se plaint que l'homme naît plus faible et plus créations, situe Grégoire dans un autre courant, le cou-
.
fragile qùe les autres animaux ... Il naît nu , sans arnles , rant platonicien, et plus spécialement philonien. L'on
Jeté comme par un naufrage dans les misères de cette sait comment Philon interprète les deux récits de la créa-
vie 2. » POUl' répondre à l'objection, les stoïciens établis- tion dans la Genèse. Dans le premier, il voit la création
saient que ce dénuement était un bienfait des dieux. d'un « homme à l'image», qui est « une idée, un genre ou
Ainsi parlait Cicéron 3. Il montrait que les propriétés des une empreinte intelligible, sans corps, ni mâle, ni femelle,
animaux sont faites pour not,re service : « Nous nous immortel de nature 1». A cet homme à l'image, il oppose
couvrons de la laine des brebis; pOUl' nous déplacer, nous l'homme particulier, l'Adam terrestre, « déjà sensible, par-
nous servons du cheval. » On reconnaît les éléments de ticipant de la qualité, composé d'un corps et d'une âme,
la réponse de Grégoire. homme et femme, mortel par nature» 2. Sa création est
Tous ces thèmes, sympathie universelle, providence, l'objet du second récit.
ordonnance du monde, grandeur de l'homme, anthropo- Quel sens donner à cette opposition? Bousset et Reit-
centrisme, sont des thèmes stoïciens. Les ressemhlances zenstein la rattachent à la gnose. Ils retrouvent dans
signalées entre Grégoire et Cicéron ont permis à E. von « l'homme à l'image» l'anthl'opos des écrits hermétiques
Ivanka, nous l'avons noté; de déterminer une source com- et des textes gnostiques, dépendant eux-mêmes d'un
mune, qui semble être Posidonius 4. D'autres dévelop- mystère iranien ou égyptien 3. U ne paraît pas exact
1. Op. cit., II, 140. d'attribuer à Philon ces idées, qui ne seront connues que
2. De opificio I!ei, 16 b. On se souvient des vers célèbres par des textes postérieurs. Nous sommes en présence,
d~ Lucrèce: « Pret~ndre que c'est pour les hommes que les semble-t-il, d'une doctrine essentiellement philosophique;
dIeux ont voulu prepar~r le monde et ses merveilles, qu'en
conséquence leur admIrable ouvrage mérite toutes nos
louanges; tous ces propos n~ sont que pure déraison... La a étahli (The plalonisI1l 01 Gregor 01 Nyssa) que l'influence
n~t.ure n a nullement ,eté creée pour nous par une volonté directe de Platon sur notre auteur était considérable et
dI:'llle : t~nt elle se presente entachée de défauts ... Pourquoi par ailleurs, E. vonlvanka a montré pal' le parallélisme avec
voIt-on roder la mort prématurée? Et l'enfant? Semblable le de natul'Q deorum que la dépendance à l'égard de Posido-
a.!lmatelot que les flots turieux ont rejeté sur le rivage, il nius ne concernait que la première partie du de hominis
glt, tout ~u,. pa~ t~rre, lllcapable de parler, dépourvu de opificio. Il y a place dans la seconde partie pour d'autres
tout ce qUI aIde a VIvre. )) De naturd rerum V 157-230 Cf sources,
aussi Pline, Histoire naturelle, VII 2-4. " " 1. De mundi opificio, édition Mangey, l, 32; édition Colm,
3. Voir aussi Sénèque, de benefic'iis, IV 18, l, .'38.
4. Cf. le~ pages déjà signalées de E. ~on Ivanka. Gro- 2. Eodem loco.
nau vo,ndra,It prouver q~e tout le de hominis opificio dépend 3. Bousset, Haupi problem der Gnosis. Reitzenstein, Poi-
de PosIdomus, cf. op. Clt., p. 209. Or d'une part, Cherniss mandrès. Id., Die hellenistiscne ErlOsungmysterien.
24 INTRODUCTION LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 25
elle est un essai d'explication de la Genèse dans des caté- louable persistance de l'esprit hellénique dans la recherche
gories platoniciennes. L'absence de sexualité dans le d'une explication rationnelle des choses 1». Cette œuvre
modèle idéal n'est pas sans rappeler l'androgyne· du se situe dans une tradition. Elle est un microcosme où
Banquet. aboutissent les spéculations anciennes sur la nature de
Or le lecteur de Grégoire, devant ces textes de Philon, ne l'homme et du monde.
peut qu'être frappé des ressemblances. Le chapitre XVI Grégoire reflète si fidèlement les systèmes, les ten-
du De hominis opificio lui décrit deux créations, celle dances ou les façons de voir de l'antiquité, que beaucoup
de « l'homme à l'image», celle de l'Adam primitif. D'un s'y laissent prendre. Ils lui dénient toute originalité. Ils
côté le monde idéal, de l'autre le monde sensible. Dans font de lui un édectique, dont l'esprit, influencé par la
l'un, la perfection et la ressemblance divine; dans dernière lecture, est incapable de synthèse. Dès lors il ne
l'autre, le péché et la vie animale. La lecture de Philon serait pas étrange de le voir suivre, tantôt les stoïciens,
n'a-t-elle pas engagé Grégoire en plein courant platoni- tantôt les platonisants. En réalité, si certains voient de
cien ? Étant donné ce que nous savons du platonisme l'incohérence dans cette pensée, c'est qu'ils en cherchent
des Pères, et particulièrement de celui des Cappadociens, l'unité dans un système philosophique, où elle n'est
il n'est rien de plus naturel que de faire de Grégoire un pas, au lieu de la demander à la foi et à l'Écriture, où
disciple de Platon. elle est réellement. La manière dont Grégoire utilise ses
Thèmes stoïciens, thèmes platoniciens, nous avons source~ et la façon dont il s'inspire de l'Écriture le·
noté ceux dont la source est immédiatement discernable. montreront aisément.
A côté d'eux, il y a d'autres développements où la pensée, Grégoire admire avec les stoïciens l'harmonie de l'uni-
à défaut des expressions, est pénétrée de souvenirs an- vers et la grandeur de l'homme. Il s'accorde à eux, aussi
ciens. Quand Grégoire parle d'archétype ou vitupère loin qu'il peut aller. Mais il est un point où il s'en sépare.
le sensible, nous songeons à Platpn. Sa conception de C'eilt ce point qu'il faut noter. Pour les stoïciens, l'homme
l'unité humaine nous transporte, semble-t-il, dans le est le centre des choses et le but de l'évolution. Possé-
monde des Idées ou, plus justement peut-être, dans dant en lui les éléments du « tout», il est (c un micro-
l'Universel stoïcien. Quand nous lisons le chapitre XII SUl' cosme». Cette union de l'homme et du monde ne va pas
l'ordre de la nature et l'origine du mal, la facture du rai- sans quelque confusion. Elle conduit au matérialisme,
sonnement, le choix des mots, la dialectique sont dignes en particulier dans le problème classique de la localisa-
de Plotin. Enfin 1'« étude médicale» du dernier chapitre tion de la pensée. Tandis que les platoniciens la placent
semble tout entière inspirée de Galien. En tout cas, dans le cerveau, les stoïciens la mettent dans le cœur 2.
plus d'une comparaison, maint détail de style ou de voca-
1. Puech, Hisloire de la littéralure grecque chrétienne, III,
bulaire, prouvent que Grégoire a lu les savants et les p. 406.
philosophes. M. Puech a raison de dire: cc Ses deux traités 2. Nous rencontrons des allusions à ces discussions chez
Cicéron, de natura deorum, 40, et chez Lactance, de opificio
des Six jours et de la Création de l'homme attestent la Dei, 16. De mente et ejus sede. P. L. 7,64-67. Cf. Chalcidius,
220; Alex. Aphr. De An. 95, 19 sq.
26 INTRODUCTION LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 27
Ici Grégoire les abandonne. Il expose avec précision Enfin l'ahandon des thèmes stoïciens est définitif,
leurs théories. Il accepte leurs observations: « Ces savants, lorsqu'éclate la crise du chapitre XVI. Si l'homme est
dit-il, ont constaté ces phénomènes par les anatomies un « microcosme», composé des «mêmes éléments que
qu'ils ontfaites. Je ne rejette pas ce qu'ils disent» (157 c) ; l'univers» (177 dl, conime l'affirment les stoïciens, il
mais il les amène à de plus modestes conclusions : « Je ne peut être « l'image de la nature incorruptible, pure et
ne puis y voir la preuve de ce que la nature incorporelle éternelle» (183 h), comme l'affirm'e l'Écriture. « Il faut
soit circonscrite en des limitations spatiales» (157 dl· choisir» (180 c): ou la divinité est matérielle et soumise
Suivant d'autres principes, il rejette le matérialisme : aux passions, ou l'homme, image de Dieu, est d'un autre
« Ce que nous avons dit doit raire cesser les vaines con- ordre que l'univers. Seule, ,la seconde partie du dilemme
jectures de ceux qui enferment dans des parties du corps est dans la ligne de l'Écriture. Grégoire rausse compagnie
l'activité de l'esprit» (156 cl. Or à quoi se réfère-t-il ? à ces « philosophes de l'extérieur », qui « ont eu sur
Au mystère de la nature humaine, qu'il a décrit dans le l'homme des idées vraiment mesquines et indignes de
chapitre précédent et dont le secret lui fut révélé par le sa noblesse» et qui « ont cru glorifier l'hurnanité en la
« recours à cette parole de Dieu : « Faisons l'homme à comparant à ce monde-ci » (177 dl. Il s'attache à l'Écri-
notre image et ressemblance» (156 a). Ainsi l'Écriture ture pour'lever la difficulté: « Revenons à la divine Écri-
l'amène à distinguer la matière et l'esprit. Elle est la ture elle-même pour voir si la suite du récit ne donnera
ligne de ,démarcation qui lui interdit d'aller plus avant. pas à nos recherches quelque fil conducteur» (180 dl .
. Elle fait tomber sur sa spéculation une lumière nouvelle. Grégoire n'évite-t-il les excès du stoïcisme que pour
Un partage de même ordre s'opère au chapitre suivant. tomber dans ceux du platonisme? Il n'a garde de con-
Grégoire y aborde un problème, auquel Cicéron avait fondre Dieu et l'univers. Pour mieux les distinguer, ne
touché dans le livre second du De natll/'a deol'wn : celui creuse-t-il pas un rossé entre le monde intelligible et la
de la divination. Il distingue deux sortes de rêves : les vie terrestre? On le croirait à première vue, en lisant la
uns sont d'ordre matériel; il en donne une explication série des chapitres qui, marquant la fin des thèmes stoï-
physiologique, qui d'ailleurs se rattache plutôt à l'école ciens, se ressentent de l'influence de Philon. Il faut y
platonisante de Galien qu'au stoïcis me. D'autres sont regarder de plus près. Nous constaterons que, là encore,
directement produits par Dieu dans l'esprit de certains la fidélité à la roi et à l'Écriture prés~rve Grégoire des
hommes. Ce sont ceux dont parle l'Écriture. Ils sont d'un déviations platoniciennes, là même où son maître Ori-
ordre à part, irréductibles à « l'activité normale de la gène ne s'en était pas défendu.
nature» (172 b), l'œuvre d'une « manifestation divine» Nous ne songeon~ pas à donner ici unc interprétation
(172 b). « Ces événements sont différents des premiers des deux créations. Nous le ferons dans l'exposé de la
et il ne faut pas les juger d'après les imaginations com- doctrine. Nous voulons marquer les différences avec Phi-
munes » (173 c). La raison en est simple: nos explications lon et cheréher leurs racines: Chez Philon, l'homme pri-
n'ont plus cours, là où parle l'Écriture. mordial et l'homme terrestre constituent deux ordres
LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 29
28 INTRODUCTION
lui sommes unis comme les anneaux d'une chaîne à une
superposés. Le premier ne semble avoir de réalité que pierre magnétique. Plus nous nous en éloignons, plus
dans la mesure où il exprime l'état idéal de l'homme, diminue la force attractive. Nous ne recevons que des
libéré du temps et des sens, établi dans le bien et la jus- « formes et des puissances affaiblies» 1. Grégoire, sem-
tice. Le second symbolise l'homme en son instabilité blant reprendre à dessein les expressions de Philon, dit
présente, tourné vers le sensible et le plaisir. Ces deux à l'opposé: « Il n'y a pas de différence entre l'homme qui
états sont deux stades de vie spirituelle. Grégoire reste est apparu lors du premier établissement du monde et
dans ces perspectives. Mais l'homme à l'image n'est plus celui, qui naîtra lors de l'achèvement du tout. Tous
pour lui un type idéal. Il est l'existence dans la pensée portent également l'image divine» (185 c). L'obscurcis-
divine de l'humanité parfaite, telle qu'elle est instaurée sement de l'image ne vient pas de la date de notre nais-
dans le Christ. Aux perspéctives platoniciennes du monde sance, mais du « mauvais usage de l'esprit» (193 b). La
intelligible, se substituent les vues pauliniennes sur tradition paulinienne pousse Grégoire à abandonner les
l'unité du corps du Christ. Grégoire commente ainsi les spéculations juives 2 sur l'Adam primitif, où celui-ci était
mots de l'Écriture : « Dieu fit l'homme à son image» : présenté comme un être extraordinaire, grand comme le
« L'Écriture montre pal' là que, comme dit l'Apôtre, il monde et dont les quatre lettres désignaient les quatre
n'y a ,dans un tel être ni mâle ni femelle» (181 d). Ce que dimensions de l'univers.
saint Paul dit du corps du Christ, Grégoire le dit de l'hu- Enfin, nous y. insisterons plus loin, la conception de
manité, « image unique de Celui qui est» (185 d). Quelques Grégoire sur la destinée de l'homme est dynamique. Elle
lignes auparavant, voulant montrer que la création selon fait sa place à l'histoire et au temps. Elle correspond aux
le sexe n'équivaut pas à la création selon l'image, il en idées chrétiennes sur le « salut» de l'âme. Philon, fidèle
donne la raison suivante : « Tous savent, je pense, que à la tradition platonicienne, n'imagine pas un progrès de
dans cette création, est exclue toute idée du prototype. l'humanité. Il ne décrit pas les patriarches dans l'attente
Dans le Christ Jésus, comme dit l'Apôtre, il n'y a ni de la béatitude, tant que nous ne les avons pas rejoints.
mâle ni femelle» (181 a). C'est donc que le prototype de A l'homme sensible, reflet de l'homme intelligible, Gré-
l'humanité n'est pas une idée platonicienne, mais le goire substitue l'humanité voulue éternellement pal'
Christ de saint Paul, « image de l'homme invisible, né Dieu dans sa forme parfaite, mais commençant histori-
avant toute créature, en qui toutes choses ont ~té créées» 1 quement sous sa forme animale. Après saint Paul, il
et « à l'image de qui, ajoute Grégoire, l'homm~ a été fait» affirme que l'homme n'atteint sa perfection que dans
(180 d). le Christ.
La même différence apparaît, si l'on examine les idées Plus encore que l'examen des thèmes stoïciens, l'exa-
de Philon et de Grégoire sur l'homme terrestre. Pour le
premier, Adam est le ({ sommet de notre race», cal' il 1. De mundi opificio, édition Mangey, l, 32-35; édition
Cohn, l, 39.
touche de plus près à l'homme primordial et à Dieu. Nous 2. Bréhier, Les idées philosophiques et religieuses de Philon
d'Alexandrie, p. 123.
1. Colossiens, l, 15.
30 INTRODUCTION LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 31
men des thèmes philoniens nous confirme que l'esprit passages du De Resurrectione 1. Nous y retrouvons les
de Grégoire s'unifie dans l'Écriture. Il est pénétré des mêmes objections contre la résurrection 2 et la même
anciens et parle leur langage, comme aujourd'hui nous affirmation de la toute-puissance divine. La doctrine
parlerions celui d'un Bergson. Mais sous des expressions origéniste de l'E(2oÇ est cependant conservée par Gré-
philosophiques, passe le courant scripturaire. Grégoire goire, mais avec un sens nouveau.
lit l'Ancien Testament à la lumière du Nouveau et com- Surtout Grégoire critique la doctrine d'Origène sur
mente Moïse par saint Paul. On simplifierait beaucoup la préexistence des .âmes, mais cette fois il ne suit plus
la question des sources, si l'on s'inquiétait de saisir le Méthode, dont la réaction contre Origène allait trop loin
contexte intérieur de l'œuvre, au lieu de collationner et qui estimait le corps prééxistant à l'âme. Il s'arrête
seulement les textes qui lui ressemblent. Si la pensée de à une opinion originale que Gronau 3 croit être dans la
Grégoire trouve aliment en toute philosophie, elle a sa ligne stoïcienne. Selon lui, l'âme et le corps sont transmis
source, sa règle, son unité dans la Parole de Dieu. par hérédité et coexistent toujours. Au début, l'âme est
L'Écriture est toujours présente à Grégoire, lorsqu'il endormie dans le corps; elle s'éveille peu à peu, tandis
s'inspire, non plus des philosophes païens, mais de ses que croît son compagnon.
devanciers chrétiens. Nous nous en convaincrons en exa- Ce qu'il est intéressant de noter, ce sont les considé-
minant les derniers chapitres de l'œuvre où l'influence rants de Grégoire. Il ne passe pas d'une théorie à l'autre
d'Origène semble prépondérante. Comme le maître alexan- par éclectisme, ou par souci de balancer les opinions entre
drin, Grégoire explique (ch. XVIII) que les passions sont elles. « La première théorie, dit-il, ne s'est pas purifiée
en nous étrangères à l'image de Dieu 1. II tient, comme des doctrines que les Grecs lui inspirèrent sur la métem-
lui, une interprétation spirituelle de l' « arbre de vie» psychose» (232 a). La confiance trop naïve de son auteur
(ch. XIX). Il a la même doctrine du péché (ch. XX). l'a emporté dans des raisonnements « absurdes» (232 b),
Enfin les chapitres XXI à XXVIII sont en connexion qui « n'ont ni queue ni tête» (133 b). La seconde théorie,
avec la doctrine du de Principiis sur l'apocatastase 2. celle -de J"Iéthode, est une interprétation trop littérale
Il semble hien dans la tradition d'Origène.
1. Comparer de Resurrectione, I, 14 (Bonwetsch, 237, 19)
Or il est deux points sur lesquels Grégoire se sépare et de homlIlis opificio, 224 d ;on, 28 (386,10) et 224 d; I, 22
d'elle. Sur le premier, il la corrige par les idées de l'école (247, 5) et 228 b.
2. En pàrticulier, nous lisoils chez l'un et chez l'autre
adverse, celle de Méthode d'Olympe. Le retour à l'état l'Qbjection tirée de fait que les éléments du corps d'un homme
primitif n'est pas l'établissement dans un état spirituel , dévoré par un fauve font ensuite partie du corps d'un autre
homme. Cette objection, Méthode l'avait sans doute ren-
et désincarné. Grégoire maintient l'identité du corps actuel, contrée chez Porphyre, dont il avait entrepris une _ réfu-
et du corps glorieux. Pour le prouver, il reprend les argu- tation maintenant perdue. Cf. de Labriolle, La Réaction
païenne, Paris, 1934, p. 276.
ments de Méthode et va jusqu'à transcrire mot à mot des 3. Gronau, Posidonios und die judisch-christiche. Genesis
exegese,. 1914, p. 187; et Stephanou, La coexistence initiale
1.' III Genesim, I, 15. du corps et de l'âme, d'apres saint Grégoire de Nysse; dans
2. Voir sur ces différents points la doctrine de Grégoire. Echos d'Orient, 1932, p. 304.
32 INTRODUCTION LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 33
de l'Écriture: « l'autre catégorie d'auteurs, dit Grégoire, elle croit qu'il est matériel. » Dans le de Animct et Resnr-
désignant Méthode, s'attache à 1'0rdr!J suivi par Moïse rectionne 1, Grégoire prend la même attitude. Avant de
dans le récit de la formation de l'homme» (229 cl, mais les critiquer, il présente les doctrines païennes sur la
leur doctrine conduit à des « invraisemblances» (229 d migration des âmes comme une ébauche lointaine de
et 233 dl. Elle amène à conclure que « la nature spiri- notre foi en la survie. Plus clairement encore dans le
tuelle est inférieure à l'ouvrage d'argile», le corps (233 cl. Disconrs Ccttéchétique 2, il pose la règle suivante : « Il
Donc d'un côté, infidélité à l'Écriture; de l'autre, inin- faut considérer les opinions préconçues des individus ,
telligence de l'Écriture. Dans les jugements portés sur régler son enseignement sur la nature de l'erreur dont
l'une et l'autre doctrine, l'Écriture est la règle suprême. chacun est atteint. » Ainsi du verbe humain que recon-
Grégoire s'en tient au principe posé dans sa préface : naît le philosophe, Grégoire monte jusqu'au Verbe
« les oppositions», découvertes dans l'histoire de l'huma- divin 3 ; de la raison, il va à la foi; de la parole humaine
nité, « c'est ensemble grâce au récit de l'Écriture et à nos à la parole de Dieu.
raisonnements qu'il faudra les résoudre» (128 dl. Reve- Nous retrouvons dans cette façon de faire la « marche
nons à l'Écriture. Elle corrige les déviations des « philo- ~oncentrique», 1'« approche inventive» dont nous par-
sophes de l'extérieur» ou prolonge leurs efforts impuis- hons tout à l'heure. Il ne s'agit plus ici d'images ou de
sants. Par ailleurs, dans ces « problèmes discutés dans comparaisons, il s'agit de raisonnements. Mais la manière
les Églises à propos de l'âme et du corps » (229 b), faisons et le but sont identiques. Comme Grégoire le dit au ch.
un « soigneux examen» (229 b) qui ne prête pas à rire XVI (185 a), ces spéculations sont des « conjectures »
aux « esprits habitués à la controverse» (209 cl. qui, à côté des « images», « figurent » et « suggèrent» la
L'Écriture est à la fois l'excitant et la limite de nos au- vérité à ceux qui ne la contemplent pas directement.
daces; la raison s'emploie à la mieux comprendre et y E~les sont des « exercices», auxquels il ne faut pas « at-
trouve son guide. Si elle l'abandonne, elle s'égare. tl'lbuer de caractère absolu» et qui laissent la porte
En agissant ainsi vis-à-vis des auteurs païens et chré- ?uverte à de nouvelles recherches. Elles' ne forment pas
tiens, Grégoire est fidèle à une méthode, définie, dont il un système, mais par les corrections qu'elles s'apportent
a maintes fois exprimé les principes : « La philosophie mutuellement, elles sont un excitant de l'esprit dans sa
morale et la philosophie de la nature, écrit-il dans la Vie course jamais achevée vers « l'infini de son objet» (201 b).
de Moïse (337 a et b), peuvent aider à s'élever plus haut,
à condition que leurs fruits ne gardent rien de la souil-
. .
Elles permettent d'approcher de la source lumineuse
"
maIS n en épUIsent Jamais le mystère.
,
lure étrangère. En voici des exemples. La philosophie Ainsi, qu'il admire l'homme, qu'il étudie son activité
païenne enseigne, comme nous, l'universalité de l'âme;
c'est là ce qu'il y a de bon dans son enfant; mais elle 1. De Anima e~ Resurrectione, P. G., t. 46, 108 b.
enseigne la métempsychose, c'est là l'adjonction char- ~. I, 3, t~aduc.tlOn de Louis Méridier. Collection Hemmer-
Le]ay. :Pans, PIcard, 1908. ,
nelle et étrangère. Elle enseigne l'existence de Dieu,.mais 3; Dzscours Caléchétique, I, 5 à 11. '
6. Grégoire de Nysse.
3
34 INTRODUCTION
LES SOURCES PHILOSOPHIQUES 35
spirituelle, qu'il scrute l'univers, qu'il raisonne sur notre « Faisons l'homme à notre image ». Cette parole est la
destinée, Grégoire, brisant avec nos habitudes, nous lumière libératrice. Elle ne suggère pas une vague res-
entraîne d'un coup d'aile en cet « observatoire)) où « Jean semblance ou ne nous confond pas avec Dieu. Elle' définit
le sublime)), Paul et Moïse ont contemplé les choses. Il exactement ce que nous sommes. Elle projette sa clarté
nous fait éprouver le vertige de celui qui parvient à la sur notre destinée et celle de l'univers. Elle donne à
. . d'un rocher et surp1omb e l' a b lIue d e l' ocean.
pomte A
, 1
l'âme antique sàn équilibre.
L'immensité de l'horizon nous saisit, mais quand nos yeux Ne cherchons pas ailleurs l'originalité de Grégoire.
se sont habitués à l'infini, nous les laissons redescendre Comme to.ute œuvre humaine, celle~ci s'enracine dans le
vers la terre et nos regards dessillés voient les êtres se sol où elle éclôt. Née en pays grec, elle parle un langage
colorer de teintes nouvelles, reflet de Dieu lui.-même. grec. Pourtant elle est irréductible aux essais des anciens
Ayant pe~du le sens profond de l'Écriture, comme nous philosqphes. Partie d'une réflexion sur la foi, elle ne
avons perdu le sens religieux de l'univers, nous avons demande rien à « ceux de l'extérieur ». Devant eux, Gré-
peine à suivre Grégoire. Nous cherchons l'unité de sa goire ne fait pas figure de parent pauvre. Le souffie de
spéculation ailleurs qu'en la Parole divine. En réalité, jeunesse qui passe sur ses pages ne vient pas de l'opti-
que nous envisagions la composition, que nous exami- misme grec; il jaillit de la source vive de la foi.
nions la pensée, la même unité se révèle. La foi nous ouvre Situons Grégoire parmi ses devanciers, mais ne lui
le livre de la nature et de l'histoire. Elle confirme nos efforts prêtons pas le souci d' « helléniser» sa foi. Celle-ci se
rationnels et, par la règle de l'Écriture, nous donne le suffit à elle-même. La réflexion qu'elle inspire ignore
sens de Dieu. Elle fait l'harmonie du monde et réalise les essais de concordisme. Elle est chrétienne. Nes' op-
en nous la parfaite unité. posant à aucun système, pourvu qu'il soit ouvert, elle
Ouvrons maintenant le traité. Nous ne serons arrêtés est plus soucieuse d'être fidèle à elle-même que de s'adap-
ni par le désordre de la composition, ni par l'incohérence ter. Elle dit avèc la Bible: « L'homme est image de Dieu »
de la pensée. L'anthropologie de Grégoire nous paraîtra, et dans cette définition, Platon se reconnaît mieux que
dans son originalité, l'élaboration en milieu grec de la dans les doctrines de l'Académie. La raison, passant ses
réponse chrétienne à l'angoissante question : « Qu' est- limites, rencontre Celui qui, comblant nos. désirs, nous
ce que l'homme? )) - « Le rêve d'une ombre)), disait Pin- définit à nous-mêmes la mystérieuse ({ image de Celui
dare. - « Le jouet de la Fatalité», répondaient les Tra- qui Est ».
giques. « Un microcosme», disaient certains philosophes.
« Une parcelle de la Divinité», disaient d'autres.
L'incertitude de ces réponses explique l'exultation de
Grégoire, « revenant sans cesse» au mot de l'Écriture:
40 INTRODUCTION LA DOCTRINE 41
ont parlé de la « ressemblance ». Il se distingue des phi- car le matériel ne saurait représenter l'immatériel. Aussi
losophes platoniciens. Pour Platon 1, la ressemblance la question se posera de savoir comment l'homme,
d'un être avec un archétype est en réalité la dégradation enfermé dans un corps, peut être l'image du Dieu incor-
de la nature intelligible au sein de la réalité sensible. Elle porel l •
est, en outre, un caractère que possèdent tous les êtres Quels biens cet état d'image enferme-t-il ? Là encore,
dans la natüre. « Le monde sensible est nécessairement sous l'apparent désordre des notions, nous découvrons
fait d'après un modèle », dit Platon dans le Timée 2. une doctrine très précise, aux vigoureuses arêtes.
L'homme n'est qu'un cas particulier de cette loi univer- D'une façon générale, les biens de l'image sont les
selle. Grégoire, au contraire, voit dans notre ressemblance « biens de la Divinité» : indépendance, liberté, domina-
avec Dieu une perfection et la caractéristique même de tion du monde, esprit, immortalité, union à Dieu, égalité
l'homme. La différence apparaît clairement entre les avec les anges, béatitude 2. Cette participation met entre
deux conceptions, si l'on compare à la phrase de la Pré- nous et Dieu une communauté de nature, une « union
face que nous venons de citer cette phrase de Philon en très étroite, une connaturalité (crlinÉ'iE~a) » 3.
son De mzmdi opificio : « Parmi tout ce qui est né de la D'une façon plus rigoureuse, nous pourrions ramener
terre, rien ne ressemble davantage à Dieu que l'homme » 3. à deux les attributs de l'image : « la pureté » et surtout
Pour Philon, ressemblance implique une participation la « liberté » , les autres qualités se laissant facilement
réelle, mais celle que l'homme entretient avec Dieu est réduire à ces deux notions. Il ne faut pas, en effet, don-
une ressemblance parmi d'autres; pour Grégoire, elle ner au mot « pureté» chez Grégoire un sens étroit. Elle
est exclusive. L'idée qu'il se fait de l'image ne se se définit par l':Zn-cl.(Jwi: ou absence de passions, c'est-à-
rattache pas à l'exemplarisme platonicien: à propre- dire de tout ce qui nous rend semblables aux animaux et
ment parler, la création matérielle n'est pas « image », limite notre liberté, par l'h-/lpa,cv ou l'c:ü),ov, l'absence
de mélange et de matérialité. Elle est donc un état de
1. Sur la notion d'image chez Platon et dans la tradition
philosophiqu~ grecque, cf. Hans Willms, Etxwv. Eine be- légèreté, de simplicité, de dépouillement limpide, de
griffsgeschichtliche Untersuchung zum Platonismus. 1re Part. transparence de l'âme dans le corps et de Dieu dans
Philon von Alexandreia. Münster, 1935. Ce livre étudie la
notion d'image chez Philon, où il voit l'aboutissement de l'âme. Elle est d'autre part l'absence de souillures et la
deux courants: l'uri d'origine platonicienne, l'autre d'ori- participation à la vie de Dieu communiquée par la
gine orientale, particulièrement juive. n signale que, chez
l~s. Grecs,,l'€tXWV ,de Platon,. ciésign~nt le sensible par oppo- grâce. Elle est l'établissement définitif dans la « vertu
SItIon à l Idée, s est, SOUS dIverses mfluences (aristotélisme, » ou vie parfaite. Dans ces diverses analyses, il faut noter
orphi~me, pyt~1agorisme), spiritualisé et intériorisé, jusqu'à
comclder pratIquement avec l'Idée dans le néoplatonisme. combien ces deux notions de pureté et d'immortalité
Chez Platon, il y a donc dégradation de l'Idée dans l'image; sont connexes 4 et combien leur inclusion réciproque
chez les néoplatoniciens, il y a confusion de l'image et de
l'Idée. 1. De hominis opificio, ch. XVI, début.
2. Platon, Timée, 29 a. 2. In Ecclesiastem, VI, P. G. 44, 708 c, d.
3. Philon, De mundi opificio, édition Mangey, I, 15, lignes 3. Balthasar, op. cil., pp. 83-84.
46-47; édition COhn, I, 18, 69. 4. Sur ce point, cf. le cOmmentaire de Grégoire sur les
42 INTRODUCTION LA DOCTRINE' 43
donne de force au commentaire de la sixième béatitude Remarquons combien une telle conception s'accorde
où Grégoire se complaît : « Reprenons l'image divine, peu avec les idées grecques sur l'homme ou la Divinité.
con~lut-il, devenons purs de cœur pour devenir bien- La liberté pour le philosophe grec est du domaine de
heureux, une vie pure donnant forme en nous à l'image l'imprévisible, elle est donc de l'inintelligible et ne sau-
. de Dieu» 1. Le cœur pur a toutes les vertus; il voit Dieu. rait être « divine ». Le chrétien, au contraire, y voit le
L'immortalité corporelle est la conséquence naturelle de principe d'excellence de la Divinité et de l'homme.
cette pureté parfaite : « Le pur de cœur ne voit rien Quels sont, d'après Grégoire, 'les caractères de cet état
d'autre en lui que Dieu, il lui est uni (7tpocrl',o)J"'l6dç) par de liberté? Nous pouvons les ramener à deux: l'autodé·
l'incorruptibilité (ÔLX ,'/je; c<cp8apcr[o:;;)) 2. L'immortalité et termination et la domination de l'univers.
l'incorruptibilité ne sont pas des attributs accessoires Un principe revient sans cesse dans i'œuvre de Gré-
de l'image; dIes lui sont liées intrinsèquement. Si nous goire : « La vertu est sans maître, spontanée, libre de
sommes corruptibles, c'est que nous avons perdu cet toute nécessité» 1. Nous ressemblons à Dieu par la pureté
état de pureté primitive, notre condition de créature et la vertu; mais nous ne pouvons acquérir cet état que
spirituelle et la simplicité divine. Quand nous les retrou- par la médiation de la liberté. Sans elle, notre perfec-
vons, la mort est nécessairement détruite. tion nous serait imposée et elle ne serait; plus divine.
Notons-le, cette notion de « pureté » inclut une con· Car « c'est être égal à Dieu que d'avoir l'initiative de ses
ception religieuse de la matière. Il ne faudra pas oublier actes » 2. Sans cette autodétermination, l'homme serait
cette remarque, lorsque nous entendrons, au chapitre « dépouillé de l'honneur qui l'égale à Dieu» 3. La liberté
XXIV, Grégoire définir la matière comme un« ensemble est donc inhérente à notre nature spirituelle. L'esprit
de qualités, spirituelles ». La matière, telle que présente- dit non seulement connaissance de soi, mais essentiel-
ment nous en avons l'expérience, n'est pas dans son état lement possession de son être. Jamais nous ne serons les
normal. Le péché l'a durcie et lui a enlevé sa transpa- images de Dieu, si nous ne faisons libreulent notre des-
rence. tinée.
Le second caractère de l'image, sur lequel nous insis- Cette indépendance constitue l'homme « roi de l'uni·
tel'ons davantage, car il est plus marqué. dans le De vers ». « La nature humaine, dit Grégoire, est créée pour
hominis opificio, est ,la liberté. Elle est l'attribut par dominer le monde, à cause de sa ressemblance avec le
excellence de notre être, étant à la fois le principe et la Roi universel» (136 c). Elle est donc image de Dieu, en
manifestation la plus authentique de la ressemblance tant qU:' elle exerce son pouvoir dans le monde visible,
divine. comme Dieu exerce le sien dans l"univers entier. Elle est
à la terre ce que Dieu es't à toute créature.
Béatitudes, P. G. 44, 1093 1b-1301 b et son De Virginilate,
P. G. 46, 317 a, 416 b. 1. In Cantica CanticoI'Um, homilia V, P. G. 44, 877 a.
1. De beatitudinibus, VI, P. G. 44, 277 a. 2. De mortuis, P. G. 46, 524 a fin.
2. De perfectione christianÎ forma, P. G. 16 277 d. 3. Eodem loco.
44 INTRODUCTION LA DOCTRINE
C'est pourquoi elle est faite pour tout « connaître» , Elle l'est, non en vertu du péché qui la vlcle, malS en
tout « scruter », tout se soumettre. Elle est indépendante elle-même, par sa condition de créature. L'adoration et
des nécessités de la matière qu'elle domine et « n'est pas l'humilité lui conviennent toujours.
soumise aux déterminismes physiques )} (XVI). Dé cette hétérogénéité foncière entre Dieu et nous,
Jusqu'ici Grégoire a analysé la ressemblance que nous découle une conséquence importante: venant à l'exis-
avons avec Dieu. Il l'a décrite comme un état de pureté tence par une création, nous commençons par un chan-
d'indépendance et de possession de soi, par lesquels nou~ gement et naturellement, nous lui demeurons soumis 1.
devenons de la « nature » de Dieu. Il ne craint pas de Comment concevoir ce changement? Il ne s'agit pas
pousser très loin cette assimilation, résumant tout ce seulement du passage du non-être à l'être ou d'un dépla-
qu'on peut dire de l'image dans ces mots : « L'image cement local. Dans la créature spirituelle, il a la forme
consiste à avoir la plénitude de tous biens. » d'un choix moral, d'une pO'iC'Q vers le bien ou vers le mal.
Où est la différence entre Dieu et nous ? Le cha- Cette P~"'~ n'est pas une inclination nécessaire ou
pitre XVI donne la réponse à la question. Tandis que ~ subie, une déficience obscure que nous ne pourrions évi-
le Père communique sa Divinité à son Verbe et à son ter. Elle est sans rapports avec le déterminisme des
Esprit d'une manière éternelle, nécessaire et subsis- anciens ou les problèmes agités plus tard par le jl:insé-
tante, à nous il transmet les dons divins dans le temps nisme. Elle exprime l'éveil de l'esprit créé à la conscience
et par l'intermédiaire de la création. Aussi, quelle de soi. Celui-ci, ne se possédant pas, mais recevant l'être
que soit la perfection de notre nature, un abîme nous d'un autre, se regarde et choisit librement la destinée que
sépare de Dieu : Il possède son être éternellement; nous lui offre son créateur. Il se trouve dans l'indétermination
possédons le nôtre par une création. des plateaux d'une balance. Lie mouvement de la liberté
On ne saurait trop insister sur l'impOl'tance de la créa- les fait pencher d'un côté ou de l'autre.
tion en cette question de l'il):lage. Pour les Grecs, le Ainsi l' y.~{<J1tno'l qui caractérise l'état d'image, cette
monde « procédait }) de Dieu plutôt qu'il n'était « créé ». indépendance qui nous assimile à Dieu, ne se réalise
Pour les chrétiens, seul, le Verbe, image subsistante, concrètement que dans une '1tpoo:f.pi<J~ç, dans un « pouvoir
procède de Dieu. Nous, nous recevons l'existence par de choix », dans la « liberté de décider de notre sort ». Il
une création et si, entre Dieu et nous, il y a connaturalité ne peut en être autrement, parce que nous sommes créa-
(<JlI'{"(S'lê~O:), il n'y a jamais confusion: nous sommes à tures en même temps qu'esprits. Être image de Dieu
, , c'est-à-dire
jamais distincts de lui « €v "Û), 61CO'l.ê~I).s'l(,») n'est pas posséder dès l'origine un état immuable, -
dans l'origine et dans le mode d'être. dans ce cas, nous serions Dieu; - c'est posséder un prin-
Aussi notre nature, quelle que soit sa grandeur, cipe de mouvement, c'est' « avoir en soi les principes de
demeure dans l'indigence. Elle est qualifiée de «1 vile» 1.
1. Tpô7tTOO; 6'1".(<; xcao: 1"~V I!iÛO'lV. In Cantica Canticorum
1. TcmmÛç, In Cantica Canticorum, homilia XV, P. G. 44. homilia VIII, P. G. 44, 945 è. Ce changement est exprimé
1092 c. par les mots pn·~, Ol'l.O'T'(IP'(.(' à).)d(!l'Jl<;.
46 INTRODUCTION LA DOCTRINE 47
tous les biens, de telle sorte qu'il soit en notre pouvoir tant que nous sommes divins, passage, en tant que créa-
d'acquérir par nous-mêmes ce que nous voulons» 1. tures.
Ne pouvant comme Dieu nous donner à nous-mêmes Il faut s'habituel' à cette contradiction, que Grégoire
notre être et notre nature, nous pouvons librement ac- ne cherche pas à écarter. Les Pères Grecs, poUl' la plu-
quiescer à la nature qu'il nous donne et qui est la sienne. part, tentent de 1a résoudre, en parlant de deux états,
L'homme est « remis aux mains de son conseil» et par celui d'image et celui de ressemblance. Le premier serait
là devient l'imitateur du Dieu indépendant. . l'état d'indétermination où nous laisse notre libre arbitre,
Ce double caractère de notre liberté, qui est à la fois le second le terme où Dieu nous établit, quand nous avons
autonomie et choix, explique que l'image ne soit pas dès fait notre choix. Chez Grégoire, plus métaphysicien, la
l'origine un état définitif, mais un état de « puissance ", contradiction n'est pas levée: elle exprime l'impoilsibilité
un équilibre instable. Nous sommes un « miroir libre ", où nous sommes d'enserrer en nos concepts ces deux
qui tourne sa face où il veut, mais ne reçoit et ne commu- aspects de notre être, nécessairement complémentaires.
nique la lumière que s'il regarde le soleil : « Notre Par l'imprécision qù' elle fait floUer en nos esprits et la
esprit, étant à l'image du Dieu parfait, tant qu'il con- recherche où elle nous oblige, elle répond au dualisme
serve, autant qu'il est en lui, la ressemblance avec son foncier de notre' être, à la fois divin et déficient. Enfin,
modèle, se maintient lui-même dans le bien; mais s'en nous le verrons bientôt, elle correspond à la vue que
écarte-t-il, il est dépouillé de sa beauté première II Dieu a de l'humanité: devant lui, nous sommes à la fois
(161 C) et « l'on ne peut y voir l'impression de l'image au terme et dans le devenir, image dans sa perfection et
divine II (164 a). image qui se forme.
Il y a donc un risque fondamental dans la création, Même unifiée dans le Christ, l'humanité devenue image
celui de la liberté : « Ce mouvement libre de l'esprit, s'il sent encore sa déficience. Puisant en elle-même la connais-
se laisse aller sans pédagogue à choisir le vice,devient le dance de son modèle, elle se lance vers lui dans une course
péril de l'âme (1tê~pC(cr!l.oç 't'qS q;U)CÎÎ<;) II 2. Dieu permet infinie. Elle veut sortir des bornes de sa nature : « Sor-
ce désordre introduit par sa créature. Il ne permet pas tez des voiles de la nature ", dit l'Épouse du Cantique 1.
directement le mal, mais ce « risque II sans lequel nous ne L'époux lui enjoint de (( se transformer de beauté en
serions pas ce que nous sommes. beauté 2 "; mais plus elle répond à son appel, plus elle
Cette notion si préci~e de liberté introduit une con- découvre de nouveaux espaces.
tradiction dans celle d'image. Celle-ci connote à la fois Le progrès est ainsi essen~iel à la béatitude. La loi
notre état naturel, par lequel nous possédons les attri- du perfectionnement moral ici-bas n'est que l'expression
buts de Dieu, et le pouvoir de devenir ce que nous . 1. 'Eçé),6e'\'ê TWV -rrPOXI):),uf'.p.&'tWV T'il' cpucrEWÇ. In Cantica Can-
sommes. Elle dit perfection et passage : perfection, en tzcorum, homilia VII, P. G. 44, 916 a,
2. T'~v Cl.UT·~V eix0vCI. -rrpoIJ'tciTTwv o:-rro ooç'ijç elç 80ÇCl.V fI.e'tCl.-
1. De beatitll:dinibus, V, P. G. 44, 1253 d, 1256 a. fJ.0pcpovcrOIXL In Cantica Canticorum, homilia V, P. G. 44,
2. In Eccleszastem, Il, P. G. 44, 640 a. 876 c.
48 INTRODUCTION LA DOCTRINE 49
temporelle de cette loi plus haute de nos devoirs envers Ceci admis, essayons de discerner la véritable originalité
l'image. Parvenus hors du temps et confirmés en Dieu, de Grégoire. La pensée grecque n'était jamais parvenue'
nous ne cessons de tendre à lui. Il ne s'agit plus de à maintenir la liberté dans la nécessité, le temps dàns
« changement », de perte de soi dans la multiplicité de la l'éternité. Elle avait tendance, nous l'avons vu, à absor-
matière \ mais de ce mouvement incessant qui emporte ber le mal dans le fatal et à dénier au temps une valeur
l'humanité enfin fixée en Dieu 2. Le premier dit mort, tris- ontologique. « S'attachant aux formes, elle construisait
tesse, souffrance et instabilité. Le second est paix, sta- un idéal à contempler » 1 et « détournait son attention de
bilité, certitude et joie. La béatitude est à la fois repos et l'origine et de la fin » 2. Elle réduisait le « problème anthro-
course, elle est la confirmation dans une tendance 3. pologique » à n'être plus que la recherche de l'intemporel
3. La première création. et du nécessaire. Grégoire, au contraire, voit danR la
Bien que Grégoire présente sa théorie des deux créa- liberté le plus bel attribut de l'homme et fait jouer au
tions comme une pure hypothèse, elle constitue le nœud de temps un rôle de premier plan dans la constitution de
sa pensée: elle apparaît aux deux endroits névralgiques l'humanité : à nos origines, il y a un acte libre: notre fin
du traité. Au chapitre XVI, devant notre misère qui con- n'est atteinte qu'après le déroulement des siècles.
tredit notre dignité nouvelle, Grégoire explique: « Nous Dans ces perspectives, que deviennent l'éternité et la
sommes image, mais dans la puissance presciente de nécessité divines? La théorie des deux Créations est un
Dieu qui dès l'origine crée en lui l'humanité comme un effort pour répondre à cette question. Dieu n'admet ni
seul corps. » Il fait appel à la même théorie au chapitre succession ni imperfection. Il « répugne à voir se cons-
XXII: « Nous ne devenons image que peu à peu, car tituer la plénitude numérique des âmes humaines par les
le choix de l'homme a rendu nécessaire le passage dans apports successifs des générations ». Ce qui chez nous est
le temps. » successif et s'étale dans le temps, chez ,lui est à la fois
Que signifie cette humanité première qui n'est pas
n éternel et instantané. De plus Dieu ne saurait créer une
r
Adam, .mais l'humanité en son ensemble? On l'a com- image à demi-parfaite et ne peut livrer au hasard le
parée à une idée platonicienne, à l' « homme intelligible » développement de l'humanité, mais connaissant chaque
l'
de Philon, à l' « homme total » de Plotin, à l'universel être avant même son apparition, il tient dans sa pensée
stoïcien. Les rapprochements sont possibles avec les uns le nombre exact de tous les individus qui le composent.
et les autres. Un point unit certainement la conception 1Il Aussi Grégoire peut ,dire que toute l'humanité est créée en
1
!
de Grégoire à toutes celles qui l'ont précédée: l'humanité Dieu à l'origine.
est conçue, non comme un tout abstrait, mais comme un Cette première création est donc l'expression d'un
tout réel et concret. point de vue divin, un « j,byoc; 6~'~i,bç» (236 1), où nous
dations, car toute réalité sensible n'est qu'un décalque sur l'humanité et le déroulement temporel de celle-ci.
imparfait de l'Idée. Chez le second, les-individus ont une Alors l'explication donnée de la division des sexes et de
valeur, mais plus ils s'éloignent du premier homme, la multiplication del> individus dans l'espèce humaine
moins ils sont élevés en dignité. Ils sont comme une paraîtrait moins étrange, nullement « allégorique » ou
série d'anneaux aimantés qui subissent d'autant moins « tirée d'un peu loin » 1, En effet :
la force attractive qu'ils s'éloignent davantage de l'ai- Puisque l'humanité idéale et l'humanité concrète ex-
mant 1. Chez Grégoire, il y' a inclusion réciproque de priment deux ordres qui sont sans commune mesure 2,
l'âme individuelle et de l'humanité. Nos devoirs envers l'une celui de l'éternité, l'autre celui du temps, il n'y a
l'image sont cl' abord des devoirs envers nous-mêmes. aucune difficulté à admettre que ce qui, du point de vue
Aussi ne faut-il pas s'étonner si Grégoire passe conti- divin, existe éternellement dans sa nerfection définitive,
nuellement de l'un à l'autre point de vue. Dans son com- de notre point de vue n'existe pas encore, mais se cons-
mentaire du Cantique des Cantiques, il parle du dévelop- titue dans le devenir. Ce devenir, nous l'avons dit, aurait
pement de l'âme particulière, il découvre en passant les pu être de deux façons : si l'homme s'était attaché à
grandes étapes du progrès spirituel de l'humanité 2 et Dieu dès le premier mouvement de son -être, il aurait
achève dans la vision de l'unité de la « colombe par- atteint aussitôt sa perfection. Le temps, la succession
faite » 3. des générations, le sexe, lui eussent été épargnés. Dès sa
5. La nwltiplication des indiridus et l(~ rie dans les création, il eût été ce qu'il sera à la fin des siècles : par-
r-â6'1]. faite image de Dieu. Son devenir eût été celui des anges.
On s'épargnerait sans doute bien des difficultés d'in- En réalité, il fut un devenir « animal ». Dieu, prévoyant
terprétation, si au lieu de rapprocher le principe des deux le mauvais choix des hommes, les Cl;ée dans un état qui
créations des théories platoniciennes sur la matière 4, on est par anticipation la conséquence de leur péché. Il
en faisait un essai pour concilier la vue éternelle de Dieu mêle à son image quelque chose de l'irrationnel : il nous
revêt des « tuniques de peau », ajoute le sexe à la nature,
1. Balthasar, eodem loco. et l'humanité, divine par essence, se développe concrète-
2. In Cantica Canticorum, cf. surtout homélie V.
3. Eodem loco, homilia XV. Le passage essentiel est cité ment comme une espèce animale.
par le P. de Lubac, Catholicisme, pp. 320-321, P. G. 44, La sexualité et les conséquences qu'elle entraîne sont
116-117.
4. pn exemple d'un tel essai de rapprochement nous est donc surajoutées au dessein éternel de Dieu, c'est-à-dire
fourm par M. Harold Frederil~ Chemiss dans son étude
The plafonism of Gregory of Nyssa (University of Califomia
Pres~, Berkeley, 1930). Les faits allégués, les comparaisons 1. A. Puech, Histoire de la littérature grecque chrétienne,
tentees avec Platon, Philon ou Plotin sont matériellement III, p. 403. . -
e::c~sts. Il semble que l'interprétation de l'ensemble soit 2. Il ne convient donc pas de dire, comme M. Cherniss
VlCJee par ce.double fai~ : 1 0 l'aut;eur n'exa!lline que des points (p. 26), que le temps est créé après le monde-Idée, puisque
de ,,:ue partIels e~ traIte. GrégOIre en pllllosophe; 2° parmi celui-ci est en dehors du temps, ainsi que Dieu lui-même,
les mfluenc~s phllosophlques, il ne tient compte que de et que cette première création est un M,oç Gt''l),bÇ, c'est-à-
Platon et reJette toute action du stoïcisme sur la pensée ou dire la façon intemporelle dont le monde existe en Dieu.
l'expression de Grégoire.
56 INTRODUCTION LA DOCTRINE 57
à cette vue que Dieu a de l'humanité parvenue à son serait plus soumis à la mortalité et signe de divisio-9-'
terme, le Christ Jésus : « Dans l'humanité, il n'y a ni Grégoire n'admettrait la théorie thomiste de la multi-
mâle, ni femelle », répète Grégaire, élargissant le point plication par la matière que comme une suite nécessaire
de vue de saint Paul. Cette condition disparaîtra lorsque du péché. Concrètement les individus se multiplient et
nous serons un dans le Christ et que nous aurons rejeté se distinguent par la matière. Mais cette division est
le « vieil homme» 1. acci<;lentelle, parce qu'elle nous asservit à un principe
Comme nous le verrons plus tard, bien que conséquence inférieur,' qui nous met au rang des animaux. Un tel
du péché et caractère surajouté à notre nature, la sexua- principe de division ne saurait subsister dans l'état de
lité n'en rentre pas moins dans l'ordre providentiel 2. parfaite image, état de totale indépendance et de liberté.
Elle devient concrètement, avec la douleur et la mort, Par notre communauté animale s'explique notre vie
une condition de salut et de rédemption. La conception dans les 'IT:i6'r,. Que sor'tt ces 'IT6.6'1J ? Ce sont des mouvements
de Grégoir~ ne se ressent donc pas du mépris de Platon instinctifs dont notre volonté n'est pas maîtresse et qui
pour l'ordre charnel et sensible, mais elle naît du souci s'opposent en nous à la perfection de l'image. Celle-ci,
de sauvegarder la perfection de l'image. Or tout ce qui en effet, est &'IT6.(jsw, c'est-à-dire pleine liberté et indépen-
nous est commun avec l'animal ne peut être que passa- dance de l'esprit.
ger, même si concrètement nous devons nous en servir Chez l'animal, ces 'ITc1.6'l) sont naturels. Ils sont une mani-
pour monter à Dieu. Le Christ, qui a pris notre chair, festationde l'instinct et servent à la propagation de l'es-
la transforme et la fait passer dans l'état de résurrec- pèce ou à la défense des individus. Chez l'homme, ils
tion 3. limitent la liberté et produisent un déséquilibre. Grâce à
Ces idées de Grégoire sur la génération et le corps Re l'intelligence qui se met, à leur service, ils prolifèrent
transmettent dans une partie de la tradition. Pour Jean jusqu'à l'absurde.
Scot, par exemple, à notre corps véritable a été s'urajouié Bien que le sexe et les passions soient une conséquence
un « corps extérieur» et matériel, qui comporte la division du péché et ne nous soient pas naturels, il nous est inter- ,
des sexes. Il est un vêtement « surajouté» ; il est même dit de les éliminer de notre vie présente. Concrètement ils
contre nature. sont voulus et permis par Dieu pour nous permettre d'at-
Nous voyons se former ici l'idée d'un état de la matière teindre notre fin. Aussi l' ,h6.6m(, telle que Grégoire la
autre que celui que' nous connaissons et où le corps ne conçoit, n'est 'pas le raidissement des stoïciens ou l' éva-
sion du néo-platonisme: « Dans la perspective du devenir
1. In Caniica Canticorum, homilia VII, P. G. 44, 916 b. réel, les passions, la sexualité même 'sont un bienfait
2. Si les idées de Grégoire sut le mariage s'expriment par- indéniable pour l'esprit » 1. Notre état présent et le pas-
fois dans un langage qui fait: songer au dualisme platonicien
de l'esprit et de la matière;' eIl,es sont, à qui les replace en sage par la mort corporelle ont leur « rôle indispensable»
leur contexte, en dépendance profonde de la doctrine évan-
gélique sur la virginité. Cf. de Virginitate, P. G., 46.
3. Cf. la note sur les deux états de la matière. 1. Balthasar, op. cU., p. 50.
58 INTROD UCTIO N LA DOCTRINE 59
à jouer dans le développement de notre être. Comme nous maIs de la terre. En effet l'homme qui a été cree n'est
le verrons en parlant du temps 1, le devenir a un sens et pas de nature à disparaître entièrement, puisque celui
Grégoire, quoi qu'il paraisse, sait « revendiquer les droits qui a été créé l'a été à l'image de Dieu » 1.
du monde corporel contre la fuitenéoplatocienne dans Toute la tradition grecque est conforme à cette manière
l'esprit » 2. Pour lui, ce qui est conséquence du péché de voir : la grâce du baptême est un retour au premier
devient source de salut. Les meilleurs d'entre nous se état 2.
servent des passions, pour «redresser leur vie » et atteindre 6. Explication métaphysique du mal.
la liberté. Le problème du mal est un de ceux où apparemment
Malgré notre condition présente, Grégoire affirme sans Grégoire dépend le plus de la pensée grecque. Nous ver-
cesse le caractère indestructible de l'image, car Dieu n'a rons cependant que sa pensée en est au fond indépen-
pu créer pour détruire 3. Ayant perdu le don divin, nous dante. Il y revient à deux reprises dans notre traité.
sommes rappelés, dit-il, à notre liberté première 4. La Dans le chapitre XII l'allure et le vocabulaire sont pla-
même « bienveillance qui avait construit une tour pour toniciens. Il y est question d' « élan », de « désir », de
qu'elle demeure la réédifie de nouveau» 5 et nous fait regard », d'étagement des êtres les uns par rapport aux
revenir à la pureté originelle 6. Selon une image souvent autres. L'ordre de la nature est, comme chez Plotin, un
employée par Grégoire et qu'il tient de la tradition équilibre entre éléments divers. « La plus faible impulsion
grecque, l'âme est recouverte de « scories » 7 ou de y suffit pour les faire dévier de la ligne droite » 3. La
« rouille » 8 : elle a besoin d'être remise dans le creuset chute de l'un produit le déséquilibre des autres. « Ainsi
(p.ê't"(l,ZWnu<ù) 9 pour perdre la noirceur que le vice lui a naît le mal », concluent unanimement Plotin et Grégoire.
donnée et retrouver son éclat primitif. Il est nécessaire dè regarder de plus près pour discer-
Cette idée est fréquemment exprimée par Origène 10. ner la différence sous l'apparente similitude. Le mouve-
« Dieu dit: « J'exterminerai l'homme que j'ai fait' ,de ment de la pensée grecque est à l'inverse de celui de la
la face de la terre. » Je ne l'exterminerai pas absolument, pensée de Grégoire. Plotin, quoiqu'il maintienne la liberté,
1. Cf. pp. 68-72. a le souci de ne pas enlever au tout sa rigidité et son ordre.
2. Balthasar, op. cil., p. 51. L'homme responsable de ses actes, comme un acteur dans
3. III Psalmos, l, P. G. 44, 605 d.
4. In Ecclesiastem, IV. P. G. 44, 665 b. le rôle qu'il joue, ne modifie en rien l'harmonie de l'en-
5. In Canlica Canticorum, homilia VII, P. G. 44, 933 d. semble et ses initiatives ne changent pas l'ordre du
6. '06 XIXtV0V 1:t xrinoç lm' lXùr~v p.·!j/.lXvlX1:lXt ... , hl 1:'~v 'ITPW1:"(IV
&'ITlXvrlyst x.r1.ptv. In Cantica CanticoI'um, homilia IV, P. G.
44, 832 b. . 1. Selecia, P._ G. 12, 104 b.
7. De mortuis, P. G. 46, 529 b. . 2. M'~ f/.sivwp.sv 6'ITSp ~ûi1.sv, &/.): O'ITS? ·}IIJ.sV ysVt01J.sOIX. Gré-
8. De beatitudinibus, VI, P. G. 44, 1272 a. goire de Nazianze, Oralio 39, P. G. 36, 336 b; cf. 01'. 40,
9. In Cantica CanlicoI'um, homilia IV, P. G. 44, 832 b. 365 cet 372 a. 'AhI8r.îç IJ.lp:rl/.l.1X È<pÉpé"l"S 1:0U 'ITpW-W'ITÀci.ÛTOll 'AMp..
10. Vg. Contra Celsum, IV, 25, P. G. 11, 1064 a ; VIII, 50, Cyrille de Jérusalem, P. G. 33, 1080 a.
P G. 11, 1592 a. De principiis, IV, 36-37, P. G. 11, 411-412. 3 ~ll.tXG<X pO'IT'~ il.Oxel 1:tc; hblX'l"tV Ta\) op8ov. Plotin, Ennéades,
In Genesim, homélie XIII (sur les puits), P. G. 12, 234-235. III; 3;'4,'p. 54 (éd. Belles-Lettres).
60 INTRODUCTION LA DOCTRINE 61
drame 1. De ce point de vue, le mal est nécessaire, bien l'esprit. Si celui-ci se tourne vers Dieu, il communique à
que nous n'y soyons pas contraints. En effet, si Plotin la matièrc la lumière qu'il reçoit d'en haut; s'il se détourne
dit: « Les maux viennent de nous ... " 2, il ajoute quelques de Dieu qui l'éclaire, il perd son rayonnement et plonge
lignes plus loin : « Vouloir détruire le pire dans l'univers, le monde dans son obscurité. Tout l'univers est donc har-
c'est détruire la Providence elle-même» 3. Le mal reste monieux, mais il attend sa perfection de la décision de
lié à une faute, il nait de la «TO)'IJ.a», « d'une audace inso- l'homme. Celui-ci est comparé , à un « miroir-libre», dont
lente ... regard délibéré de l'âme sur ce qui est au-dessous le rôle est à la fois « passif et actif ». «Passif, il reçoit
d'elle » 4; mais la tendance des Grecs est « de faire du fidèlement l'image et la conserve dans un cadre et sur
péché un acte inévitable, analogue aux accidents de la une surface adaptés. Actif, il montre et communique
nature; le fautif pour eux n'est jamais bien loin du l'image reçue à d'autres miroirs tournés vers lui, qui sont
fatal » 5. Rentrant dans l'ordre cosmique, le mal n'est prêts à en accueillir et à en élaborer l'empreinte» 1. Qu'il
pas loin de devenir une nécessité, un « accident », sans s'incline ailleurs que vers le rayon lumineux, l'ordre uni-
rapport avec l'ordre moral. Ajoutons que les Grecs versel est compromis. La lumière n'est plus transmise
voient dans la matière un poids et une cause de chute dans le monde.
pour l'âme: selon le Timée, les « mouvements périodiques La structure de l'univers décrit par Grégoire est d'ins-
de l'âme » se sont déréglés en nous par suite de notre pré- piration plotinienne. Mais les fondements de la doctrine
sence dans le corps 6. Accident de l'ordre universel et <;lnt été affermis ou redressés par la pensée chrétienne.
attirance de la matière, tels paraissent les éléments dans Tout est de Dieu et l'ordre du monde est' suspendu, non
lesquels la philosophie grecque tend à enfermer le mal. à un regard de l'âme insensiblement attirée vers le bas,
Relisons sous cet angle l'explication de Grégoire. Le mais à un acte libre de l'esprit. Ici, comme à propos de
primat de la liberté y est affirmé. Le mal universel est l'image, le fond de l'univers, pour le penseur chrétien,
rattaché au mal moral. La matière est hors de cause. est la liberté, liberté de Dieu qui nous crée, liberté de
Nous sommes donc sous d'autres cieux. Le monde corpo- l'homme, son image, qui règle le sort du monde.
rel, loin d'être pour l'esprit un principe obscur et mau- Grégoire s'en tient en ce chapitre à l'examen méta-
vais, une pierre d'achoppement et un obstacle à faire physique du problème du mal. Il évite tout vocabulaire
sauter, attend sa perfection de l'âme. De lui-même, il est d'inspiration scripturaire, bien que la vue chrétienne qu'il
indifférent: sa beauté ou sa laideur on," leur source dans a du monde ait inspiré sa solution. Plus tard, il exami-
nera deux problèmes connexes de celui-ci : 1° comment
1. Idem, Ennéades, lIT, 2, 17, pp. 45-48. la possibilité d'une chute (de cette POTC'r, initiale) est-elle
2. Idem, Ennéades, III, 3, 5, p. 56.
3. Idem, Ennéades, III, 3, 7, p. 58. inhérente à toute liberté créée? 20 Comment concrète-
4 .. A. Bremond, dans Archives de Philosophie volume XI ment avons~nous été amenés à pécher? Au chapitre XVI,
CahIer IV, Ra,tionalisme et religion. Beauches~e, 1935. '
5. Je.an GUItton, Temps et éternité chez Plotin et saint
AUgustlIl, p. 231. 1. Claudel, L'épée et le miroit, p. 194.
6. Platon, Timée, 47 d.
62 INTRODUCTION LA DOCTRINE 63
il traitera le premier point : la liberté de la créature spi- concrète. Or le péché de l'homme n'est pas une pure
rituelle; au chapitre XX, il esquissera une explication révolte, consciente et voulue, contre Dieu. Ainsi conçu,
de la présence concrète du péché en nous. i1.e5t une monstruosité: qui peut vouloir le mal en pleine
Ce dernier chapitre, comme toute son œuvre, contient lumière? Dans la pratique il se présente sous couleur de
deux séries d'affirmations opposées. D'un côté, le péché bien.
est l'œuvre de la liberté. Dieu a donné à la nature ration- 20 Psychologiquement il s'introduit pal' le moyen de
nelle le pouvoir de découvrir et de choisir elle-même l'·~oOV'~. Le plaisir s'infiltre en nous comme le serpent de
son bien; car il ne fallait pas qu'elle possédât rien la Genèse 1 et devient la « racine de tous, nos maux» 2.
« par contr"ainte» 1. C'est par le mauvais usage de sa li- Il s'insinue avec les besoins de nature et, par le désir,
berté que l'homme a rencontré le mal et est devenu «~,Xi',(;'l'I nous pousse à les dépasser 3. Le mal vient donc du désir
~rsups'r'~ç » sans règle 4, qui nous fait courir après notre seul plaisir.
D'un autre côté, dit Grégoire, l'homme a péché 30 La vraie faute de l'homme est de s'être laissé
« ·par manque d'expérience » 2, « manque de discerne- prendre aux « biens mélangés », de « n'y avoir pas regardé
mept » 3, « égarement» 4. « Sans expérience » 5, il n'était de si près ». Le péché n'est pas une ignorance ou une
à l'origine qu'un « germe tendre et sans racines » 6 et il erreur, commo le croyaient les Grecs, mais un manque
fut perdu par « ignorance » 7. En somme, étant donné d'attention aux vrais biens, une déficience de volonté.
ce que Dieu est et ce que nous sommes, le mal ne peut 40 Le pécheur peut à la fois être « trompé » et
nattre que .de not~e liberté 8. Cependant tout pécheur porter la responsabilité de son acte. La faute consiste
peut redire après la femme: (\ J'ai été trompé ». « Le vice à ne pas se maintenir dans la ligne de sa nature. Elle
serait sans efficace, s'il ne se colorait de quelque beauté n'exige pas la pleine lumière, mais elle est un acte de
excitant le désir chez celui qui se laisse tromper. » volonté qui ne prend pas garde à sa loi" ou qui se refuse à
Pour résoudre cette contradiction, il est toujours loi- croire en Dieu. De toute façon elle enferme une part
sible de penser que Grégoire sacrifie aux idées grecques d'obscurité, tenant à notre condition de créature. Notre
sur le péché : celui-ci serait surtout un manque de volonté, prenant conscience d'elle-même, doit dépasser
science. Il faut pourtant remarquer ceci : ses" lumières présentes et au delà de l'évidence se fier à
10 Grégoire se place ici sur le plan de notre expérience la Parole de Dieu. Si elle dévie de cette ligne, elle aban-
donne les biens véritables et commet le péché.
1. In Cantica Caniicorum, homilia II, P. G. 44, 805 d ; La conséquence naturelle de cette déviation est la mort.
homilia V, 877 a.
2. In Psalmos, I, P. G. 44, 508 b, c. Celle-ci n'est pas un châtiment survenu de l'extérieur.
3. In Ecclesiastem, P. G. 44, 733 c.
4. De mOI·tuis, P. G. 46, 497 b, c. 1. In Ecclesiastem, IV, P. G. 44, 676 b.
5. 'Amxiôsu";"o,. In Ecclesiastem, IV, P. G. 44, 757 b, c. 2. Eodem loco, 676 d.
6. In Caniica Caniicomm, homiIia II, P. G. 44, 793 b. 3. 'l'o 7t'l.pEMciv 1:0U, Spou, 1:"1' ,(pElIX, '~ ·~OOV·~ 1:0V &v6pùlTIOV
7. Eodem loco, 800 d et 801 c. Hî{();(j();1:o. In Ecclesiaslem, III, P. G. 44, 661 d.
8. De hominis opificio, XII. 4. ' A7tCl.toœ'{w·'(r)"roç, eod. loc.
INTRODUCTION LA DOCTRINE 65
Elle est inhérente au péché. L'homme, r.e détournant de finale, il n' en l'estera aucune trace 1. Le vice à la fin « dis-
la pureté divine, rencontre ce qu'il.a cherché: des hiens paraîtra », nous serons transformés dans le Christ et une
composés et transitoires. La mort s'y cache comme un seule forme (jJ.op'f'~) éclatera en tous, celle qui nous a été
poison dans un gâteau de miel.
1
donnée à l'origine » 2. S'il en était autrerr~ent, le pouvoir
1
Pourquoi la mort s'est-elle transmise à tous? Pour- de Dieu ne serait pas absolu et le Christ ne serait pas
quoi, par la faute des premiers hommes, notre nature tout en tous.
fut-elle appauvrie? Grégoire ne donne pas de réponse à Pour ne pas s'arrêter aux difficultés suscitées par de
cette question. Il dit seulement que cette « <kçou3s'I(,)j"(;», telles affirmations, il est nécessaire de se placer dans les
cette « annihilation» de notre être que le péché il causée, perspectives de Grégoire, sans oublier que le dogme de
ce « vide », ce « dépouillement » se sont « écoulés » sur l'Enfer n'est. pas alors défini par l'Église.
toute l'hllmanité comme des caractères qui lui sont Les philosophes anciens. n'accordaient pas à l'homme
inhérents 1. un bonheur définitif. Ils le soumettaient aux « retours
En réalité ce péché raconté dans les premiers chapitres cycliques ». Le mot « apocatastase » signifiait chez eux,
de la Genèse est le symbole du péché de tous les hommes. et surtout « dans le langage du Pythagorisme, le retour
L'humanité, formant en Dieu une unité véritable, a porté périodique de la Grande Année, coïncidant avec le retour
son regard vers les biens imparfaits et, dans son ensemble, d'une certaine conjonction astrale » 3. L'âme, jamais
s'est détournée de l'unité. Aussi toutes les fautes des assurée de sa béatitude, était condamnée à retomber dans
hommes torment comme un abcès unique qui se développe le monde des corps à plus ou moins longue échéance. En
au cours des âges 2. langage chrétien, le mot apocatastase signifi~ l'instaura-
Le péché d'origine serait donc, pour Grégoi~e, un fait tion de toutes choses dans le Christ à la fin des temps.
personnel historiquE' et déterminé par où le mal s' ~st Gardant encore chez Origène des traces de son origine
introduit sur la terre. Mais, comme les actes du ChrIst philosophique 4, il s'en purifie chez Grégoire. Il exprime
ou comme les faits relatés dans l'Écriture, il aurait en l'entrée de l'humanité entière dans un état définitif d'in-
même temps une portée universelle. tégrité et de perfection. Le Christ ferme les portes du
7. L'apocatastasB on la fin du mal. tombeau. Il anéantit les puissances hostiles, le péché et
Le chapitre XXI pose la difficile question de l' « apoca- la mort. Il n'y a plus de retour en arrière.
tastase» ou du retour detoutes choses au bien. Grégoire en La doctrine de l'apocatastase se situe donc dans la
affirme souvent le principe: le mal est comme l'herbe qui ~e~spe~tive de ces. « retours cycliques ». Elle marque la
pousse sur les maisons. Au moment de la restitution hberatlOn du chrétIen à l'égard du Destin et de la Fatalité.
d'après un certain nombre de manuscrits par G. Forbe- cernant l'homme, sa nature et sa création, et cherche à
sius (Burntisland, 1855). Nous en avons utilisé quelques établir, par de nombreux rapprochements avec des
variantes. Mais cette édition demande à être reprise. Les textes de Platon et de Philon, la fidélité de Grégoire à la
circonstances actuelles nous ont empêché de le faire. tradition platonicienne.
A côté de ce travail de critique textuelle, un travail L. Méridier, L'influence de la seconde sophistique sur
de lexicographie ~erait nécessaire pour une interpréta- l'œurvre de Grégoire de Nysse (Rennes, 1906) : soigneuse
tation d'ensemble de la pensée de saint Grégoire. A peu étude des procédés de style de Grégoire, mais qui, par
près rien n'existe sur ce point. Nous ne pouvons que signa- son point de vue partiel, risque de fausser les perspectives
ler l'excellent vocabulaire placé par Strawley à la fin de et de faire passer Grégoire pour un disciple superficiel des
son édition de la Grande Catéchèse. Nous esPérons en rhéteurs.
donner un semblable sur le traité de la Création de. J.-B. Schoemann, Gregors (.Ion Nyssa theologische An-
l'homme, le jour où il sera possible de publier le texte thropologie als Bildtheologie, Scholastik, 1943, p. 31-53 :
grec. c'est la première partie d'un exposé d'ensemble sur la
n est difficile de donner sur la pensée de Grégoire· et théologie de l'homme image de Dieu, chez Grégoire. On
en particulier sur son anthropologie une bibliographie y trouvera des indications très précises concernant notre
suggestive. Selon le mot du Père de Balthasar, « seuls traité.
un petit nombre d'initiés ont lu et connaissent Grégoire Il faut signaler deux articles capitaux de E. von
de Nysse, et ils ont gardé jalousement leur secret ». La Ivanka, sur les sources de notre traité: Die Autorschaft
seule œuvre de fond que nous connaissions est celle du der Homilius Erç 'tO 7COI:~cru')tJ.EV &'I~pW7COV (Poseidonios bei
Père de Balthasar: Présence et Pensée. Essai SUI' la philo- den Kappadokischen Kirchenvater), Byz. Zeit., 1936,
sophie l'eligiwse de Grégoire de Nysse (Paris, Beauchesne, pp. 46 sqq. et Die Quelle yon Ciceros De Natw'a Deomm
1942). Une bibliographie des travaux ou articles ayant (II, 45-60) (Poseidonius bei Gregor von Nyssa), Arch.
trait à Grégoire y est donnée dans les premières pages. Philologicum, 1935, p. 1 sqq. Les ressemblances entre
Ce livre a' fréquemment inspiré cette introduction. Malgré l'ouvrage de Grégoire et le De natura deol'um de Cicéron
une systématisation peut-être excessive, qui ne semble indiquent une source commune. Celle-ci serait Posi-
pas correspondre au mouvement même de la pensée de donius.
Grégoire, il va droit aux intuitions fondamentales qui Enfin nous remercions le Père Daniélou de sa pré-
inspirent cette pensée. cieuse collaboration, en particulier en ce qui concerne
, En dehors de ce livre, signalons : les sources et les notes. Nous unissons dans ce merci le
H. F. Cherniss, The platonism of Gregory of Nyssa, Père .des Places qui a revu la traduction.
Berkeley, 1930 (University of California, Publications in
Classical Philology, vol. II) : étude serJeuse, mais
systématique. Elle aborde les principales questions con-
LA
CRÉA1 I()N DE L'H()MME
1
PRÉFACE
C'est ainsi donc que l'ensemble nent. Les mouvements paisibles des vagues répon-
La création des êtres atteint son achèvement 1. daient à la beauté des prés, faisant légèrement ondu-
dans 132 c 1er le sommet des flots sous des souffles doux et
sa perfection. Ainsi parle Moïse : Le ciel, la terre
et toute substance située entre les bienfaisants 1.
deux furent accomplis et chaque chose reçut la beauté Et toute la création, dans sa
qui lui revient: le ciel, l'éclat des astres, la mer et L'attente richesse, sur terre et sur mer, était
l'air, les animaux qui y nagent ou qui volent, la terre, de l'homme. prête; mais celui dont elle est le
la diversité des plantes~ et des troupeaux, tous ces partage n'était pas là 2.
êtres qui reçoivent ensemble leur vitalité de la volon-
té divine et que la terre mit au monde dans le même 1. Ces lignes sur la beauté de la nature paraissent à M.
Méridier, L'influence de la seconde sophistique sur l'œuvre
instant. La terre qui avait fait germer en même de Grégoire de Nysse, p. 140, le type des thèmes familiers
temps les fleurs et les fruits était remplie de splen- aux rhéteurs. Mais à côté de l'influence de la rhétorique, il
ne faut pas oublier celle de la Bible, dont Grégoire est péné-
deurs; les prairies étaient couvertes de tout ce qui tré, comme l'a bien vu A. Hauvette (cité pal' B. Latzarus
dans Vie spirituelle, 1 e r oct. 1941, p. 344).
1:l2 b Y pousse. Les rochers et les sommets des montagnes, 2. L'orientation de la création du monde visible vers
les versants des coteaux et les plaines, tous les val- l'homme est exprimée dans les mêmes termes en cet endroit
par Cicéron : Quorum igitur causa quis dixerit effectum
lons se couronnaient d'herbe nouvelle et de la magni- esse mundum? Eorum scilicet animantium quae ratione
utuntur (53, 133). C'est une thèse stoïcienne. Voir la thèse
fique variété des arbres; ceux-ci sortaient à peine contraire des Épicuriens chez Lucrèce, De Nat. rer., V,155,
de terre que déjà ils avaient atteint leur parfaite Grégoire s'inspire sal}s doute ici de Méthode d'Olympe (ou
de Philippes) : « Lorsque Dieu eut disposé l'univers dans un
beauté. Naturellement toutes choses étaient dans la ordre parfait, il y introduisit l'homme ». (De Res. l, 34).
joie; les animaux des champs amenés à la vie par Voir aussi Grégoire de Nazianze, XXXVI, 612 B.
l'ordre de Dieu bondissaient dans les taillis par
troupes et espèces. Partout les couverts ombragés
retentissaient du chant harmonieux des oiseaux. L'on
peut aussi imaginer la vue qui s'offrait aux regards
sur une mer encore paisible et tranquille dans le
rassemblement de ses flots; les ports et les- abris.
qui s'étaient creusés d'eux-mêmes le long des côtes
selon' le vouloir divin, joignaient la mer au conti-
consiste dans la béatitude indicible d'une vie par- lant en eux. La nature humaine, non plus, n'est pas
faite. Aussi de même que les peintres, dans les cou- loin de ces attributs : en vous-même, vous voyez la
leurs qu'ils emploient pour représenter un person- Raison et la Pensée, imitation de Celui qui est en
nage sur un tableau, arrangent leurs teintes selon la vérité Esprit et Verbe.
nature de l'objet pour faire passer dans le portrait Dieu est encore Amour et source d'amour. Jean
la beauté du modèle, imaginez de même celui qui le Sublime dit que : « L'amour vient de Dieu» et
nous façonne: les couleurs en rapport avec sa beauté « Dieu est amour» 4. Le modeleur de notre nature a
sont ici les vertus qu'il dépose et fait fleurir en son mis aussi en nous ce caractère : « En ceci, dit-il, en
image pour manifester en nous le pouvoir qui est le effet, tous connaîtront que vous êtes mes disciples,
sien. La gamme variée des couleurs qui sont en cette si vous vous aimez les uns les autres. li » Donc, si
137 b image et qui représentent vraiment Dieu n'a rien l'amour est absent, tous les traits de l'image en
à voir avec le rouge, le blanc ou quelque mélange nous sont déformés.
de couleurs, avec le noir qui sert à farder les sour-
cils et les yeux et dont certain dosage relève l'ombre même. Voir Lot-Borodine, La doctrine de la déification dans
l'Eglise grecque, Rev. Hist. rel., 1932, p. 135 sqq.
creusée par les traits, ni en général avec ce que 1. Nous traduisons 0:1t&6Etc( par liberté spirituelle. C'est
les peiI;J.tres peuvent encore inventer. Au lieu de la prérogative perdue par Adam après le péché et que le
Christ restitue avec l'amitié divine. Elle joue un rôle essen-
tout cela, songez à la pureté 1, à la liberté spiri- tiel dans la spiritualité de Grégoire.
2. Jn. l, 1.
3. l Cor. VII, 40.
1. Le mot &1tOCeEW. ne doit pas s'entendre chez Grégoire 4. l Jn. IV, 7, 8.
d'une simple tranquillité de l'âme délivrée des passions, 5. Jn. XIII, 35.
mais d'une participation à la vie incorruptible de Dieu lui~ 7
6. Grégoire de Nysse.
98 LA CRÉATION DE L'HOMME
6. Grégoire de Nysse.
8
CHAPITRE IX 115
sens du corps; aussi comme un habile accordeur, il
touche ces organes animés, pour manifester ses pen-
sées secrètes par le bruit qu'il fait dans les sens
CHAPITRE IX
Quant à la musique qui se fait entendre dans l'or-
ganisme humain, elle est comme un mélange de flûte
L'ORGANISME HUMAIN EST ADAPTÉ
et de lyre qui s'unissent l'une à l'autre en une même
AUX NÉCESSITÉS DU LANGAGE
harmonie. Le souffle, venant des réservoirs qui le
contiennent, est poussé vers le haut à travers la
149 d trachée. Lorsque celui qui veut parler tend cet' organe
149 b La divine beauté, dont le Créateur nous a fait don
en vue de produire un son, le souffle se heurte aux
en mettant en son image la ressemblance des biens
commissures intérieures qui entourent ce conduit
qu'il possède, apporte avec elle les autres biens dont
Dieu a libéralement doté notre nature humaine. L'es- pareil à une flûte. Il imite d'une certaine façon le
son de celle-ci par les vibrations produites autour
prit et la réflexion, on ne peut les appeler propre-
des saillies membraneuses. Puis le son venu d'en
ment des dons, mais plutât une participation, car
bas est reçu dàns la cavité pharyngienne, d'ol! il se
par eux, c'est la splendeur même de sa nature que
divise dans le double conduit des narines et dans les
Dieu a déposée en son image. Or l'esprit, qui est du
cartilages de l'ethmoïde pareils à des stries d'écaille,
domaine de l'intelligible et de l'incorporel, ne pou-
ce qui donne à la voix plus de clarté. La joue, la
vait communiquer et unir sa beauté à d'autres êtres,
langue, la structure des parties entourant le pharynx
s'il n'inventait quelque moyen de manifester au
qui donne à laI mâchoire inférieure une forme creuse
dehors son mouvement. "C'est ce qui rendit néces-
152 a terminée en pointe, toute cette organisation corres-
saire la création d'un organisme, afin que l'esprit,
pond de bien des manières au mouvement des cordes
touchant à la façon d'un plectre les parties aptes à
du plectre, car elle permet de tendre rapidement
149 c la voix, traduise par l'impression de sons variés le
l'ensemble au moment voulu. Les lèvres, quand elles
mouveme'nt venu de l'intérieur. Un habile musicien,
se relâchent et se resserrent, ont le même effet que
qu'un accident a privé de sa voix, pOUf faire connaît~e
les doigts de ceux qui règlent l'air de la flûte et
ce qu'il a dans l'esprit, se sert du chant de VOIX
l'harmonie du chant 1.
étrangères et livre son art au public grâce à la flûte
ou à la lyre. Ainsi l'esprit humain: il découvre des 1. Grégoire donne la même description plus brièvement
dans un autre passagc : « Ne vois-tu pas que lfl: gorge est
pensers de tomes sortes, mais il ne peut montrer une flûte le palais un résonateur, la langue, les Joues et la
son mouvement intérieur à l'âme qui entend par les bouche c~mme les cordes et l'archet ... » (XLIV, 414 A). La
source ici est encore évidemment Posidonius, si l'on compare
ilS LA CRtATION DE L'HOMME
1. Ecclé. l, 8.
118 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE X 119
Où sont les secrétaires pour transcrire les paroles l'enceinte de la ville, ils se groupent à nouveau, étant
qui y pénètrent? Où sont reçus les objets qui y sont 153 a d'une même famille. L'inverse pourrait se produire:
déposés? Comment, dans la diversité des sons qui des étrangers, qui ne se connaissent pas, entrent dans
de partout s'y précipitent les uns sur les autres, la. ville par la même porte, mais cette rencontre à
l'esprit n'est-il pas confondu et égaré pour discerner l'entrée ne leur crée pas pour cela des liens de famille;
la place respective de chacun d'eux? car ils peuvent, une fois à l'intérieur, se séparer pour
Ce qui se passe dans les yeux présente un caractère rejoindre leurs parents. Quelque chose d'identique
aussi étrange: comme par les oreilles, l'esprit, par les semble se passer sur le carrefour de l'esprit. Souvent,
yeux, saisit ce qui est à l'extérieur du corps; il tire à partir de différents sens; une seule connaissance
à lui les images des choses visibles et reproduit en est formée en nous, le même objet étant divisé en
lui-même les traits de ce qu'il voit. plusieurs parties selon les sens. Au contraire on peut,
Imaginez une grande ville recevant par plusieurs à partir d'un seul sens, connaître bien des objets
entrées tous ceux qui y viennent en même temps : variés qui naturellement n'ont entre eux rien de
tous ne courent pas ensemble vers le même quartier commun. Ainsi (éclairons cela, comme il vaut mieux,
152 d de la ville, mais les uns vont à l'agora, les autres par un exemple), lorsquè, en ce qui concerne les sa-
dans leurs demeures, d'autres aux assemblées, d'autres 153 b veurs, on cherche à reconnaître ce qui est doux à la
vers les grandes rues, d'autres vers des ruelles, sensation de ce qui a mauvais goût, c'est l'expérience
d'autres aux théâtres, chacun enfin va suivant son qui révèle l'amertume de la bile et la douceur du
idée 1. Quelque chose dé pareil se passe en cette cité miel. Ici nous avions affaire à des objets différents;
de l'esprit, bâtie en nous-mêmes : sur chacun des ~ais un même objet peut produire une connaissance
objets dO,nt les différentes entrées des sens l'ont rem- unique, bien qu'il s'introQuise dans la pensée à partir
pli, l'esprit opère un travail de vérification et de de sens nombreux, par exemple, par le goût, l'odorat,
distinction pour les répartir ensuite comme il con- l'ouïe et souvent par le toucher et la vue. Ainsi
vient aux endroits consacrés à la connaissance. Pour quelqu'un voit du miel, l'entend nommer, le goûte,
y;eprendre l'exemple de la ville, des parents et des sent son odeur par le nez, le reconnaît au toucher :
l, par chacun de ces sens, il n'a connu qu'un même
amis peuvent s'y trouver sans être entrés par la
même porte; mais, bien que l'un soit entré par hasard objet. Il y a aussi le cas où, par un seul sens, nous
par l'une, l'autre par une autre, lorsqu'ils sont dans apprenons à connaître une multitude d'objets divers:
ainsi, l'oreille reçoit toutes sortes de sons, les yeux
1. L'étude des organes des sens a son parallèle chez Cicé-
ron, De Nat., 140-145. La conception de, l'âme comme une 153 c peuvent recevoir sans distinction les choses les plus
cité se rattache à Platon, Rsp., 560 C, mais a été reprise par
Posidonius (Reinhardt, Kosmos und Sympathie, 287-289). hétérogènes. En effet ils tombent aussi bien sur du
120 LA CRÉATION DE L'HOMME
à la remorque de l'inférieur, alors la matière, mise à à la suite du désir qui ne tend pas vers le Bien, mais
part de la nature, met à jour sa difformité (car d'elle- vers ce qui a besoin d'un autre pour l'embellir. En
même elle n'a ni forme ni constitution); puis sa dif- effet, de toute nécessité, la matière qui mendie sa
formité corrompt la beauté de la nature, qui reçoit propre forme impose sa difformité et sa laideur à celui
164 a sa beauté de l'esprit. Et ainsi c'est sur l'esprit même qui veut lui ressembler.
que, par l'intermédiaire de la nature, passe la laideur
de la matière, en sorte que l'on n'y voit plus l'impres- Nous avons été amenés à faire
Conclusion.
sion de l'image divine qui s'y modelait. En effet l'es- ces réflexions subsidiaires à propos
prit, comme un miroir qui ne présente à l'idée de du but premier de ce chapitre. Nous nous demandions
tout bien que sa face postérieure, répousse les mani- si la puissance spirituelle a son siège dans une partie
festations en lui de la splendeur du bien, tandis qu'il 164 c spéciale de notre être DU si elle s'étend pareillement
modèle en lui la difformité de la matière. Ainsi naît en toutes. Certains, disions-nous, assignent à l'esprit
le mal, par la mise à l'écart progressive du bien. une localisation et ils fonden t leur supposition sur ce
Toute bonté, quelle qu'elle soit, est de la même fait que l'exercice de la pensée est arrêté chez ceux
famille' que le premier bien, mais tout ce qui n'a dont les méninges sont malades. Notre raisonnement
avec le bien ni attenance ni similitude n'a absolu- a montré qu'en tout organe du composé humain, qui
ment aucune bonté. Si donc, selon ce que nous venons a de soi une activité propre, la puissance de l'âme
de voir, le bien réel est un, l'esprit reçoit sa beauté de peut rester sans effet, si l'organe 'en question ne se
la création à l'image du Bien, et la nature, qui est par maintient pas dans l'ordre naturel. Ces considéra-
164 b l'esprit, est comme un miroir de miroir 1. D'où il suit tions nous ont amenés à introduire dans la suite de
que' la partie matérielle de notre être reçoit toute l'exposé le principe énoncé ci-dessus, où nous voyons
consistance et tout ordre de la nature qui la gouverne, que dans le composé humain, l'esprit est gouverné
mais que sa séparation d'avec ce qui lui donne ordre par Dieu, et notre vie matérielle par l'esprit, lors-
et cohésion et sa rupture d'avec la tendimce natu- qu'elle garde l'ordre de la nature. Mais se détourne-
relle qui l'unit au bien amènent sa dissolution. et son 164 dt-elle de cet ordre, elle devient étrangère à l'influence
retour vers en bas. Cette chute n'a d'autre cau~e que de l'esprit. Là-dessus revenons au point d'où nous
le retournement de la tendance spontanée de la nature étions partis, à savoir que sur les parties de notre
être qui ne se détournent pas de leur constitution
naturelle à la suite de quelque passion (7ta6oç), l'esprit
1. L'expression « miroir de miroir )) dx,ôv dxovo;, qui
vient de Philon, désigne tantôt le rapport de l'homme au exerce sa puissance propre; il a de la force sur les
Verbe, lui-même image du Père, tantôt, comme ici. celui de
la matière à l'esprit, lui-même image de Dieu. '
organes en bon état, mais il est impuissant sur ceux
134 LA CRÉATION DE L'HOMME
sorte que, tenant ces deux états à la fois, elle passe s'élever et montant toujours plus haut, se trouvent
sans discontinuer de l'un à l'autre. Une tension con- dans la région de la tête, comme une fumée qui passe
tinue des activités du vivant produit une brisure et par les jointures d'une muraille; de là elles sont
une déchirure de ces parties tendues au delà de la emportées par évaporation vers les conduits des sens.
normale; au contraire, un relâchement constant du Alors cédant peu à peu la place à ces vapeurs, la sen-
corps cause la chute et la dissolution de l'être. Le sation est rendue nécessairement impossible. Les yeux
passage régulier, au moment voulu, de l'un à l'autre se recouvrent des paupières, comme si une machine
état est une force pour le maintien de la nature qui, de plomb, c'est-à-dire le poids de ces vapeurs, faisait
165 c grâce à cette succession perpétuelle des deux états, abaisser les paupières sur les yeux. L'ouïe alourdie
dans l'un se repose de l'autre 1. par ces mêmes vapeurs,c omme si on avait mis une
porte devant les organes de l'audition, n'exerce plus
Ainsi la nature, prenant le corps son activité normale. Tel est l'état
/
du sommeil 1 : la
Le sommeil. sensation n'agit plus dans le corps; elle est privée de
tendu par l'état de veBle, assure,
par le sommeil, le relâchement de sa tension selon les.
besoins; elle fait se reposer les facultés sensorielles de 1. Nous avons ici une théorie du sommeil comprenant
trois parties: le sommeil lui-même, le rêve, la divination
leur activité, comme si elle laissait se détendre des ·par le rêve, conformément aux haBitudes de l'antiquité
depuis Aristote (voir Chauvet, La philosophie des médecins
chevaux après des combats de char. Ce relâchement grecs, p. 424). Mais à qui Grégoire a-t-il emprunté cette
opportun est nécessaire à la conservation du corps; théorie? Reinhardt a raison de' dire qu'elle n'est pas posi-
donienne, mais elle ne semble pas non plus venir d'Aris-
grâce à lui, la nourriture peut se répandre san& obs- tote, comme il l'affirme (Kosmos und Sympathie, p. 192-
tacle à travers tout le corps par les conduits intérieurs, 208). D'ailleurs tout l'ouvrage de Grégoire est étranger à
Aristote. Je pense qu'en réalité nous pourrions avoir ici la
théorie du sommeil de Galien, qui, nous allons le voir, est
1. Cette opposition de O"Tci'HÇ et de Cf.VEO"tÇ nous remet à la source de Grégoire dans la seconde partie de son livrè
nouveau dans un contexte posidonien, après la digression comme Posidonius l'était jusqu'ici. Cette théorie est en effet
du chapitre précédent. Voir aussi XLIV, 414 B, et von de tout point conforme aux idées de Galien sur l'alimenta-
Ivanka, Die Quelle ... , p. 10. Mais à partir d'ici nous ne tion du cerveau par les vapeurs issues du foie et qui sont
trouvons plus de parallèle chez Cicéron, sauf en ce qui con- cause du sommeil. Et c'est à Galien que renvoie le hTotX-~
c,erne la divination (De Nat. ~eor., 162 et 169-172). de 173 B qui annonce le b.TptX0)TÉplX de 240 C. '
138 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPI'l'RE XIII 139
son mouvement naturel, pour permettre la distribu- relâchée par le sommeil, il demeure inerte, à moins
tion de la nourriture qui s'introduit ainsi par chacun qu'on ne prenne pour une activité de l'esprit les ima-
de ces conduits avec les vapeurs. ginations des songes qui nous viennent pendant le
sommeil. Pour moi, je prétends qu'il ne faut rapporter
168 a Pour cette même raison, si les à l'esprit que la pensée dans son activité consciente et
Le bâillement.
exhalaisons venues de l'intérieur 168 c entière; les bagatelles qui s'offrent à l'imagination
rétrécissent les endroits où se trouvent les sens et pendant le sommeil, je les crois façonnées au hasard
si par ailleurs quelque nécessité interdit le sommeil, par la partie irrationnelle de l'âme comme des images
le système nerveux, rempli de ces vapeurs, se tend del'action de l'esprit. Quand l'âme est déliée par le
naturellement lui-même et cet allongement amincit sommeil de son union avec les sens, elle se trouve
la région chargée des vapeurs. Il se produit quelque nécessairement aussi hors de l'activité spirituelle. Car
chose d'identique à ce qui a lieu quand on .tord avec c'est par les sens que se fait l'union de l'esprit avec
force des vêtements pour en faire sortir l'eau. La région l'homme; s'ils cessent d'agir, l'esprit reste lui aussi
du pharynx est arrondie et le système nerveux y est inactif. Nous en avons pour preuve ce fait que dans
très développé. Lorsqu'il faut en chasser les vapeurs les événements étranges ou impossibles, il nous semble
qui s'y sont aecumulées (comme on ne peut étirer souvent que nous rêvons; ce qui ne serait pas, si
un objet rond qu'en l'étendant suivant une forme alors l'âme était gouvernée par la raison et la pensée.
circulaire), cette forme arrondie fait que le souffie Il me semble donc que durant le sommeil, l'âme est
est reçu dans le bâillement : la luette fait s'abais- en repos dans ses parties les plus hautes (je veux par-
168 b ser la mâchoire inférieure et,' tandis que l'intérieur ler de ses activités spirituelles et sel).sibles) ; seule la
de la cavité ainsi formée se détend en forme de partie nutritive reste en activité. En elle demeurent
cercle, cette sorte de suie lourde répandue en ces 168 d quelques images des événements de l'état de veille et
organes est exhalée avéc le souffie. Souvent, après quelques retentissements de l'activité des sens ou de
le sommeil, la même chose se produit, lorsqu'une l'esprit qu'y a impri~és cette partie de l'âme qu'est
de ces vapeurs a été laissée en ces lieux sans être la mémoire. Ceux-ci sont reproduits comme ils se
chassée par le souffie. présentent, car certains souvenirs demeurent atta-
chés à cette partie de l'âme. Dans ces rêves, l'homme
Ces exemples montrent claire- voit par l'imagination: dans l'ensemble de ce qui
Les rêves.
ment le lien de l'esprit humain avec lui apparaît, il n'y °a aucun enchaînement logique,
la nature : lorsque celle-ci est intacte et en éveil, lui mais il s'égare en des tromperies embrouillées et sans
aussi a de l'activité et du mouvement, mais si elle est suite.
140 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XIII 141
169 a Dans l'activité du corps, bien C'est ainsi que normalement il arrive pour un feu.
Explication
des rêves.
que chaque parde ait une fonction 169 c Lorsqué de tous côtés on l'a recouvert de pailles
propre liée à la puissance qui est en mais qu'aucun souffle ne vient agiter la flamme, cel1e-
elle, il n'yen a pas moins corrélation entre la partie ci ne se répand pas sur les matières environnantes.
en repos et celle qui est soumise au mouvement; de Cependant le feu n'est pas tout à fait éteint; mais,
la même façon dans l'âme, même si une de ses parties au lieu d'une flamme, la paille ne donne qu'une vapeur.
est en repos et l'autrt; en mouvement, l'ensemble Le vent vient-il à s'en emparer, la paille change la
reste en liaison avec ses parties. Car on ne peut ad- fumée en flamme. De la même façon l'esprit, recou-
mettre que l'unité naturelle de l'âme soit entièrement vert pendant le sommeil par suite de l'inaction des
dissoute par la prédominance de l'activité d'une des sens, n'a pas la force de faire briller en eux sa
puissances sur une partie. Mais de même que chez lumière; mais il n;est pas tout à fait éteint. Son
ceux qui sont éveillés et en exercice, l'esprit domine. mouvement est celui de la fumée : il a bien quelque
et le sens sert, alors que cependant la partie nutritive activité, mais elle est sans force. Un musicien, qui
du corps ne fait pas défaut au reste (l'esprit fournit frappe le plectre sur les cordes relâchées de sa lyre, ne
la nourriture nécessaire, le sens la reçoif et la force fait pas entendre de chant régulier, car une corde, si
nutritive du corps l'assimile); de la même façon elle n'est pas tendue, ne résonne pas. Alors sa main a
169 b durant le sommeil l'ordre de commandement de ces beau être fidèle à son art et poser le plectre à l'endroit
puissances est en nous comme inversé : alors que voulu, aucun son n'en sort, mais un bruit sourd qui
commande la partie irrationnelle, l'activité des autres 169 d n'a ni sens ni ordre et qui vient du mouvement des
c~sse, mais ne s'éteint pas tout à fait. A ce moment cordes. Ainsi l'ensemblè des organes des sens est
la partie nutritive est occupée, grâce au sommeil, à relâché par le sommeil et, ou bien l'artiste se repose .,i
la digestion, et elle assure le soin de toute la nature; tout à fait, quand une trop grande fatigue ou quelque
mais alors la force de la sensation n'est pas tout à fait lourdeur ont entièrement détendu l'instrument, ou
détendue (ce que la nature a une fois uni ne peut être bien son activité reste sans vigueur et indistincte,
ensuite complètement séparé), sans que son activité quand l'organe· des sens est incapable de recevoir
puisse pourtant s'exercer au grand jour, à cause de exactement son impression. La mémoire alors est
l'inactivité des sens pendant le sommeil. Il faut en confuse et notre connaissance de l'avenir sommeille
dire autant de l'esprit: comme il est uni à la partie sous des voiles incertains; l'imagination nous pré-
sensitive de l'âme, il serait logique d'affirmer que les sente l'image d'objets dont nous nous occupions éveil-
mouvements de celle-ci déterminent les mouvements lés et il arrive souvent que nous y trouvions l'indi-
de l'esprit et que son repos amène le repos de l'esprit. cation d'événements à venk Car alors la mémoire,
142 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XIII
par la subtilité de la nature, dépasse la lourdeur même tous ont également reçu de la nature la même
corporelle et peut apercevoir quelque objet existant. puissance d'imagination durant le sommeil, tandis
Sans doute n'a-t-elle pas le pouvoir de faire com- que quelques-uns seulement, et non tous, peuvent
172 a prendre nettement ce qu'elle dit et d'annoncer clai- recevoir par les rêves une manifestation divine. Chez
rement l'avenir, mais la manière dont elle le montre 172 c tous les autres, même si les songes permettent quelque
reste incertaine et amphibologique, à quoi les inter- prévision, elle se fait de la façon que j'ai dite 1.
prètes des songes donnent le nom d'énigmes. Ainsi Si Dieu mit sur la voie de la connaissance de l'ave-
l'échanson broie des grappes de raisin dans la coupe nir le tyran d'Égypte ou celui d'Assyrie, c'est qu'il
du pharaon; ainsi le panetier se voit en songe en train se proposait par là un but spécial ; il voulait mani-
de porter des corbeilles 1; chacun pendant ses songes fester au jour la sagesse des saints restée cachée, afin
se croit dans ses occupations de l'état de veille. L'im- de la faire servir au bien des hommes. Comment
pression, dans la partie de l'âme qui regarde l'avenir, Daniel eût-il été connu pour ce qu'il était, si les en-
des objets qui étàient l'occupation ordinaire de ces chanteurs et les mages n'étaient restés impuissants à
hommes, a fait qu'occasionnellement leur a été pré- découvrir les songes? Comment le peuple d'Égypte
dit quelque événement à venir, grâce à cette pré- eût-il été sauvé, si Joseph était demeuré en prison
vision de l'esprit. et si son explication du songe ne l'avait mis en évi-
dence ? Aussi ces événements sont différents des pre-
172 b Les prédictions qùe Daniel, J 0- miers et il ne faut pas les juger d'après les imagina-
Prédiction tions communes. En général tous peuvent avoir des
par les songes.
seph et leurs semblables firent par
une puissance di.vine et sans aucun 172 d songes et ceux-ci naissent dans l'imagination de fa-
trouble causé par les sens, n'ont rien à voir avec le çons très diverses. Ou bien en effet, comme j'ai dit, ,
,1
cas que nous énvisageons. Personne ne saurait attri- demeurent dans la mémoire les retentissements des 1
1
buer ces effets à la puissance des songes ; ce serait actions du jour; ou souvent aussi, les songes se
logiquement admettre que ces manifestations de Dieu forment selon les dispositions du corps. Ainsi celui
qui se font dans l'état de veille ne sont pas une vue qui a soif se croit à une source; celui qui à faim dans
directe, mais la suite de l'activité normale de la nature.
Or, de même que tous les hommes sont conduits par 1. La double interprétation des songes physioloo'ique ou
leur propre esprit et qu'un petit nombre seulement est surnaturelle, est posidonienne. Mais la s~conde se ~'attache
chez ~osidonius à l'idée de la Gtif!.1tciûw:I. universelle et du
jugé digne de la fréquentation directe de Dieu, de retentIssement du maerocosme dans le microeosme qui
d0!lne un. fonde~ent métaphysique à la divination pal'
omr~man?le, ta!ldiS que chez Grégoire, elle suppose l'inter-
1. Gen. XL, 1 sq. ventIOn d un Dreu personnel. .
144 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XIII
145
des banquets; le jeune homme, gonflé par la jeunesse, ceux des bilieux; ceux qui sont mala des de la pituite
se construit des chimères conformes à sa passion. en ont d'autres et les songes de ceux qui sont atteints
de congestion sont différents des songes de ceux qui se
J'ai découvert une autre cause dessèchent.
Un souvenir
de Grégoire. de ce qui se passe pen dan t 1e som- Ces exemples font voir que dans la partie de l'âme
meil, en soignant un malade de occupée à la nourriture et à l'accroissement l'union
mes familiers qui était pris de « 'fPs~t·nç ». Il était de l'âme et du corps maintient des germes d'activité
alourdi par plus de nourriture que n'en supportaient s?irituelle, plus ou moins conformes à notre état phy-
ses forces et il criait, blâmant les assistants d'avoir SIque, et met en harmonie les imaginations de l'es-
rempli ses intestins de fumier. Le corpstout dégoûtant prit avec la disposition dominante du corps.
de sueur, il accusait ceux qui étaient là d'avoir de Chez beaucoup aussi, la nature des rêves dépend
173 a l'eau prête pour l'arroser sur son lit. Il ne cessait de 173 c du genre de leurs mœurs. Un homme courageux n'a.
crier, jusqu'à ce que l'événement eût indiqué la cause pas les mêmes rêves qu'un lâche, l'intempérant que
de tels reproches. Sans arrêt, en effet, une sueur abon- 1; sage; l'homme généreux voitune chose: en songe,
dante coulait sur son corps et l'état de son ventre 1 ~vare en voit une autre: ce n'est pas l'esprit, mais la
indiquait bien la lourdeur de ses intestins. Ici, à la d~s?osltion d~ l'âme irrationnelle quiforme de pareilles
suite de l'émoussement de la sobriété par la maladie, VISIOns et qUI façonne ainsi les images des objets aux-
la nature a souffert du mal même du corps, mais alors quelles l'âme est habituée en raison de ses soucis de
qu'elle n'était pas sans ressentir son mal, le déséqui- l'état de veille.
libre produit par la maladie lui ôtait la force de mani-
fester clairement la cause de son affliction. Or suppo-
sons que ce soit le sommeil naturel et non le manque
de force qui aÙ; assoupi la partie intelligente de l'âme,
le même fait se serait produit en rêve pour notre
malade : l'eau y aurait traduit l'écoulement de la
173 b sueur et la iourdeur des intestins le poids des alinients.
Beaucoup de ceux qui connaissent la médecine ex-
priment de même l'opinion que, chez les malades, les
visions de leurs rêves sont en rapport avec leurs ma-
ladies : il y a les rêves des malades de l'estomac,
ceux des malades des méninges, ceux des fiévreux,
6. Grégoire de Nyss~.
10
CHAPITRE XIV 147
ce qui est utile par raison, non par entraînement :
la nature suit à la trace les ordres de l'esprit.
Nous avons découvert en ce qui vit trois facultés
distinctes: la première, « nutritive », n'a pas la sensa-
CHAPITRE XIV
tion; la seconde, nutritive et sensitive à la fois, n'a
pas l'activité rationnelle; enfm la dernière, ration-
L'ESPRIT N'EST PAS DANS UNE PARTIE DU CORPS. nelle et parfaite, se répand à travers toutes les autres,
DIFFÉRENCE ENTRE LES MOUVEMENTS DU CORPS
en sorte qu'elle est présente en toutes et à l'esprit en
ET CEUX DE L'AME
176 b sa partie supérieure. Cependant on ne doit pas en
conclure que le composé humain soit formé d'un mé-
lange de trois âmes que l'on pourrait considérer dans
173 d Nous voici loin de notre sujet. Nous voulions mon- leurs délimitations propres et qui donnerait à penser
r trer que l'esprit n'est pas enchaîné à une partie du que notre nature est un composé de plusieurs âmes.
corps, mais qu'il s'attache également à l'ensemble et En réalité l'âme, dans sa vérité et sa perfection, est
communique le mouvement conformément à la nature une par nature, étant à la fois spirituelle et sans ma-
de la partie qui lui est soumise. Il y a des cas où c'est tière et par les sens, se trouvant mêlée 'à la nature
, 1
l'esprit qui suit comme un serviteur les inclinations de matérielle. Toute partie matérielle soumise au change-
la nature. Souvent, en effet, la nature du corps prend ment et à l'altération, se développera si elle participe
le commandement, à la suite du chagrin qui est en de la puissance de l'âme. Mais si elle s'éloigne de
nous ou du désir de ce qui nous charme: alors elle a l'âme qui lui donne la vie, elle perd son mouvement.
l'initiative, excitant en nous l'appétit ou nous faisant Aussi, comme il n'y a pas 'de sensation sans substance
176 a chercher notre plaisir. Pendant ce temps, se soumet- matérielle, en dehors de la puissance spirituelle, les
tant à ces penchants, l'esprit s'unit au corps pour lui sens à leur tour ne peuvent avoir d'activité.
fournir les moyens qui sont en lui de satisfaire à ces
besoins.
Ceci ne se passe pas chez tous, mais seulement dans
les natures vulgaires, qui mettent leur raison au ser-
vice des instincts de la nature et qui, par cette alliance
de l'esprit, flattent comme des esclaves tout ce qui
est agréable à lèurs sens. Les parfaits ne,se conduisent
pas ainsi. Chez eux l'esprit y commande et choisit
CHAPITRE xv 149
est appelée ({ pain ». De la même manière, tous les
êtres qui ne réalisent pas intégralement l'attribution
CHAPITRE XV qu'on leur donne portent ce nom par abus.
177 a Ainsi donc comme l'âme a sa perfection dans ce
L'AME DOUÉE DE RAISON EST PROPREMENT qui est intelligent et doué de raison, tout ce qui ne
« AME» ET MÉRITE CE NOM. LES AUTRES NE L'ONT réalise pas cette qualité peut recevoir par similitude
QUE PAR SIMILITUDE. LA PUISSANCE DE L'ESPRIT le nom d'âme, mais ne l'est pas réellement: il ne s'agit
SE RÉPAND A TRAVERS TOUT LE CORPS ET S'AT- alors que de quelque énergie vitale, mise par appella.,.
TACHE AUX ORGANES, D'UNE FAÇON ADAPTÉE
A CHACUN
tion en parallèle avec l'âme. Aussi Dieu qui fixe les
lois de chaque être a également remis à l'homme pour
ses besoins les animaux qui tiennent encore de près
176 c Si quelques êtres de la création se nourrissent eux- à cette vie ({ naturelle », pour qu'ils lui servent de
mêmes, ou encore si d'autres sont administrés par des nourriture comme les plantes: ({ Vous mangerez, dit-il,
facultés sensorielles, sans que les premiers aient la de toutes les viandes comme des herbes des champs. »
sensation ni les seconds la nature intellectuelle, et si L'animal, en effet, par son activité sensible, paraît peu
à cause de cela ,on suppose l'existence de plusieurs élevé au-dessus des êtres qui se nourissent et s'ac-
âmes, on ne met pas entre les âmes la distinction qui . croissent sans cette activité. Ceci peut servir d'ensei-
convient. Toute qualification est attribuée propre- gnement aux amis de la chair pour leur persuader de
ment à l'être qui la réalise en sa perfection; mais si ne pas conduire leurs pensées selon les apparences
176 d on la donne à l'être qui ne la réalise pas selon tout sensibles, mais de se consacrer aux biens supérieurs de
lui-même, cette attribution est vaine. Par exemple, l'âme, puisque c'est en eux que celle-ci réside en sa
si quelqu'un montre du vrai pain, nous disons que vérité, tandis que la sensation leur est commune avec
cet homme applique proprement ce nom à l'objet en les animaux.
question. Si au contraire il montre à côté du pain 177 b Mais la suite des pensées nous a emportés à côté du
naturel un pain qu'uri artiste a ciselé dans une pierre, sujet. Notre but n'était pas de montrer que l'activité
l'apparence est la même, la grandeur égale, la couleur de l'esprit est plus élevée en dignité, parmi les attri-
semblable, la plupart des caractères paraissent iden- buts de l'homme, que la partie matérielle de son être,
tiques au modèle; cependant il manque à cet objet mais que l'esprit ne s'attache pas à l'une des parties
de pouvoir être une nourriture. Aussi nous disons de notre être et qu'il est également en toutes et à tra-
que c'est par abus, non proprement, que cette pierre vers toutes: ni il ne les contient de l'extérieur ni non
plus il ne les domine de l'intérieur : de telles façons
150 LA CRÉATION DE L'HOMME
l
n'ont pas vu que ce qui faisait pour eux la grandeur mais non à une image. Comment donc l'homme, cet
de l'homme appartenait aussi bien aux cousins et être mortel, soumis aux passions et qui passe vite,
aux souris. Ceux-ci sont composés des quatre élé- 180 c est-il image de la nature incorruptible, pure et éter-
ments, comme absolument tous les êtres animés, à un nelle ? Seul celui qui est la vérité sait clairement ce
degré plus ou moins grand, en sont formés, car sans qu'il en est. Pour nous, selon notre capacité, par des
<$
eux aucun être sensible ne peut subsister. Quelle conjectures et des suppositions, nous suivrons la
grandeur y a-t-il pour l'homme à être l'empreinte et vérité à la trace. Voici donc sur ces points ce que nous
la ressembla:nce de l'univers? Ce ciel qui tourne, cette supposons:
terre qui change, ces êtres qui y sont enfermés
passent avec ce qui les entoure. D'un côté, la parole divine ne
Le dilemme.
ment pas, lorsqu'elle fait de
Selon l'Église, en quoi consiste l'homme l'image de Dieu; de l'autre, la pitoyable
2° Celle
la grandeur de l'homme? N6n à misère de notre nature n'a pas de commune mesure
de l'Église.
porter la ressemblance de l'univers avec la béatitude de la vie impassible. Il faut choisir:
18Ô b créé, mais à être à l'image de la nature de celui quand' nous mettons en comparaison Dieu et notre (
qui l'a fait. Quel est le sens de cette attribution nature, ou la divinité est soumise aux passions, ou
d' « image» ? Comment, dira-t-on, l'incorporel est-il l'humanité est établie dans la liberté de l'esprit, si l'on
semblable au corps? Comment ce qui est soumis veut chez les deux à la fois parler de ressemblance.
au· temps est-il semblable à l'éternel? Ce qui se Mais si ni la divinité ne connaît les passions ni notre
modifie à ce qui ne change pas? A ce qui est libre et nature ne les exclut, avons-nous un moyen de vérifier
incorruptible ce qui est soumis aux passions et à 180 d l'exactitude de la parole divine: « L'homme a été fait
la mort? A ce qui ne connaît pas le vice ce qui en à l'image de Dieu»? Revenons à la divine Écriture
tout temps habite et grandit avec lui? Il y a une elle-même pour voir si la suite du récit ne donnera
grande différence entre le modèle et celui qui est « à pas à nos recherches quelque fil conducteur. Après la
l'image ». Or l'image ne mérite parfaitement son nom parole : « Faisons l'homme â notre image » et après
que si elle ressemble au modèle. Si l'imitation n'est avoir indiqué la fin de cette création, elle poursuit :
« Dieu fit l'homme et Il le fit à son image. Il les fit
de l'âme transcendante à l'univers (cc Une seule pensée de mâle et femelle ... ». Déjà précédemment, on a vu que
l'homme vaut mieux que tout l'univers », écrit Jean de la cette parole a été proférée à l'avance contre l'im-
Croix) à la conqeption stoïcienne qui absorbe l'homme dans
- la nature divinisée. piété des hérétiques, afin de nous apprendre que, si
154 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XVI 155
Dieu le Fils unique fit l'homme « à l'image de Dieu », Il le fit. )) Dans la suite seulement, elle ajoute : « Il
il n'y a pas de différence à mettre entre la divinité les fit mâle et femelle )), division étrangère aux attri-
du Père et celle du Fils, puisque la Sainte Écriture buts divins 1.
l
les appelle Dieu l'un et l'autre, celui qui a fait l'homme
L'Écriture nous donne ici, je
181 a et celui à l'image de qui il a été fait. Mais laissons
L'homme, crois, un enseignement d'une grande
ce point pour revenir à notre sujet: Comment, si la milieu entre
Dieu et le monde. élévation. Voici quel il est: entre
divinité est heureuse et 1'humanité malheureuse, se . .;
deux extrêmes opposés l'un à
peut-il que l'Écriture dise celle-ci « à l'image » de )
l'autre, la nature humaine tient le milieu, entre la
celle-là 1 ? ' nature divine et incorporelle et la vie de l'irrationnel
181 c et de la brute. En effet, comme il est facile de le
Examinons soigneusement le s
constater, le composé humain participe de deux ordres:
Double création: expressions. Nous découvrirons
l'image, le sexe. de la Divinité, il a la raison et l'intelligence qui n'ad-
ceci : autre chose est ce qui est à
mettent pas en elles la division en mâle et femelle;
l'image, autre chose ce que nous voyons maintenant de l'irrationnel, il tient sa constitution corporelle et
dans le malheur. « Dieu fit l'homme )), dit l'Écriture. la division du sexe. Tout être qui participe de la
« Ille fit à l'image de Dieu. )) 2 La création de celui qui
vie humaine possède l'un et l'autre caractère dans
if est selon l'image a dès lors atteint sa perfection. Puis leur intégralité.
l'Écriture reprend le récit de la création et dit: « Dieu
les fit mâle et femelle )). Tous savent, je pense, que cet 1. Ici nous ne'sommes plus dans un contexte posidonien,
mais philonien. L'interprétation des deux récits de la Genèse
aspect est exclu du prototype: « Dans le Christ Jésus, au sens de deux créations successives, la première étant celle
de l'homme à l'image, la seconde celle de l'homme animal,
en effet, comme dit l'Apôtre, il n'y a ni mâle ni fe- vient de Philon (De Op., 181). Elle signifie sans doute chez
~elle. )) 3 Et pourtant l'Écriture affirme que l'homme ce dernier la supériorité de la connaissance intellectuelle sur
la connaissance par le moyen des sens. Quoi qu'il en soit,
181 b a été divisé selon le sexe. Donc double est en quelque Grégoire la charge d'un sens tout nouveau. Il s'agit de la
préexistence intentionnelle, dans la pensée divine, de l'hu- ""
sorte la création de notre nature : celle qui nous manité totale qui, elle, n'existera qu'à la fin du temps. His-
rend semblable à la Divinité, celle qui établit la divi- toriquement, le premier homme sera l'Adam terrestre. Ainsi
se· trouvent rassemblées deux interprétations apparemment
sion des sexes. C'est bien une pareille interprétation. contradictoires: celle de Paul qui (l COI'. XV, 45) affirme que
que suggère l'ordre même du récit: l'Écriture dit en l'homme psychique est le premier Adam et l'homme spid-
tuelle second Adam, et celle de Philon qui affirme l'antério-
premier lieu : « Dieu fit l'homme; à l'image de Dieu, rité de l'homme à l'image sur l'homme animal. La vision
de Grégoire, tout en restant fidèle à la conception historique
qui est celle de Paul et d'Irénée, et en: éliminant le mythe
1. Voir Gr. Caléch., V, 8, d'un Adam céleste primitif, retient de la pensée platonicienne ~
2. Gen. l, 27. et philonienne la préexistence dans la pellsée de Dieu d'un <#
3. G<l.l. III, 28., homme idéal à quoi toute la création est ordonnée.
CHAPITRE XVI 157
156 LA CRÉATION DE L'HOMME
La recension de ces bienfaits un
Mais l'esprit tient le premier La parfaite Image: à ' 't 1 . . , t'l
Vertu et Liberté. un Selai ongue. aUSSI 11 es -1
Priorité de l'esprit raner, comme nous l'apprenons par 184 b pas possible d'en parler en détail.
sur le sexe. t:>
. l'ordre que suit le narrateur de la L'Écriture, les résumant d'un mot qui englobe tout,
Genèse de l'homme. Ce n'est que secondairement que les a désignés de la sorte: « C'est à l'image de Dieu
vient pour celui-ci son union et sa parenté avec l'irra- que l'homme a été fait. » Ce qui équivallt à dire: il
tionnel. Il est dit d'abord en effet: « Dieu fit l'homme a rendu la nature humaine participante de tout bien.
à l'image de Dieu », montrant par ces mots que, En effet, si la Divinité est la plénitude de tout bien et
181 d comme dit l'Apôtre 1, dans un tel être, « il n'y a ni si l'homme est à son image, est-ce que ce n'est pas
mâle ni femelle ». Ensuite le récit ajoute les particu- dans cette plénitude que l'image aura sa ressemblance
larltés de la nature humaine, à savoir, {( il les fit avec l'archétype? Donc, en nous, sont toutes les
mâle et femelle ». sortes de bien, toute vertu, toute sagesse et tout ce
En définitive, que tirer de ces paroles? Que per- que l'on peut penser de mieux. Un de ces biens con-
sonne ne m'en veuille, si je reprends le raisonnement siste à être libre de tout déterminisme, à n'être sou-
d'un peu haut pour résoudre ce problème. mis à aucun pouvoir physique, mais à avoir, dans
ses décisions, uné volonté indépendante. La vertu, en
184 a Dieu est par sa nature tout ce effet, est sans maître 1 et spontanée; tout ce qui se
Principe que notre pensée peut saisir de fait par contrainte ou violence n'en est pas.
de solution: bon. Bien plus il dépasse toutes
Perfection L'image porte en tout l'impres-
divine les conceptions et toutes les ex- L'image et
184 c sion de la beauté prototype; mais
dans l'image. périences que nous avons du bien le modèle:
si elle n'avait aucune différence
. et; s'il crée la vie humaine, il n'a 1 0 Création .
avec elle, elle ne serait plus du
d'autre raison que sa bonté.
tout un objet à la ressemblance d'un autre, mais
Ceci posé, quand pour ce motif il s'élance à la créa-
exactement semblable au modèle dont rien absolu-
tion de notre nature, il ne manifeste pas à demi sa
ment ne la séparerait. Quelle différence y a-t-il donc
bonté toute puissante, donnant d'un côté de ses biens,
. entre la Divinité et celui qui est à sa ressemblance?
pour se montrer jaloux par ailleurs de la participa-
Ceci exactement: l'une est sans création, -l'autre
tion qu'il en fait. Mais .~a perfection de sa bonté con-
reçoit l'existence par une création 2.
siste à faire passer l'homme du non-être à l'être et
à ne le priver d'aucun bien. 1. . Platon, Rsp., 617 E.
2. Passage capital pour la philosophie de l'image : entre
l'homme et Dieu, il y .a communauté de « nature », mais
1. Gal. III, 28.
158 LA CRÉAT~ON DE L'HOMME. CHAPITRE XVl 159
La différence qui tient à cette tout suivi de près ou mieux, comme il a vu à l'avance
2 0 Inclination
au changement. particularité entraîne après elle dans sa « puissance presciente » la pente que prendra,
d'autres particularités. Universel- en pleine possession de soi-même, le mouvement de
lement on admet le caractère immuable et toujours la liberté humaine, dans sa connaissance de l'avenir,
identique à lui-même de la nature incréée, tandis que il établit dans son image la division en mâle et femelle,
la nature créée ne peut avoir de consistance que dans division qui ne regarde plus vers le modèle divin,
184 d le changement. Le passage même du non':être à l'être mais, comme il a été dit, nous range dans la famille
est un mouvement et une modification pour celui des êtres sans raison.
que la volonté divine fait passer à l'existence. Lorsque
l'Évangile 1 nous présente les traits empreints sur La cause de cette création, seule
Application
le bronze comme l'image de César, il nous fait en- la sauraient ceux qui contemplent
au problème :
tendre que si intérieurement il y a une ressem- qu'est l'image? la vérité ou sont les serviteurs de
blance entre la représentation et César, il y a de la l'Écriture. Pour nous, selon nos
différence dans le sujet; de la même manière, dans possibilités, figurant la vérité par des conjectures ou
le raisonnement qui nous occupe, si, au lieu de nous des images qui la suggèrent, voici ce qui nous vient à
attacher aux traits extérieurs, nous considérons la l'esprit. Nous le disons sans lui donner un caractère
nature divine et la nature humaine, dans le sujet de absolu, mais, sous forme d'exercice, nous le proposons.
chacun nous découvrons la différence qui est que à la bienveillance de nos lecteurs. Quelle est donc
l'un est incréé, l'autre créé. Alors donc que l'un est 185 b notre pensée sur le récit de la Genèse 1 ?
identique et demeure toujours, l'autre, produit par
une création, a commencé à exister par uri change- Quand l'Écriture dit : « Dieu
Toute l'humanité
ment et se trouve naturellement enclin à se modifier non Adam créa l'homme », par l'indétermina-
de la sorte 2. tion de cette formule, elle désigne
toute l'humanité. En effet, dans cette création Adam
185 a Par suite celui qui connaît les
La .prévision At d't l n'est pas nommé, comme l'histoire le fait dans la
du choix humain. e l'es, comme 1 a Prophétie, suite: le nom donné à l'homme créé n'est pas « un
avant leur apparition, comme il a
cette nature, Dieu la possède par lui-même, tandis que . .1. Le cara~tèrè « ~YI!0thétique.)) ~e la. pensée est souligné
l'homme la reçoit de Dieu. . ICI par GrégOIre. Il dlstmgue aIUSI tres bIen ce qu'il professe
1. Marc, XII, 16. comme dogme de l'Église et ce qu'il propose comme pensée
2. Le changement est ainsi le caractère même qui distingue personnelle. Voir d'autres exemples de formules semblables
l'homme de Dieu. Cela explique pourquoi il sübsiste éter- pour l'interprétation d'autres passages de l'Écriture Vie de
nellement pour Grégoire. Moïse, 381 A. '
160 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XVI 161
tel » ou « un tel », mais celui de l'homme universel. pensée, leurs décisions ou ces autres activités par les-
Donc, par la désignation universelle de la nature, quelles 1:;1. nature divine est représentée chez celui qui
nous sommes amenés à supposer quelque .chose est à son image. Il n'y a pas de différence entre
comme ceci : par la prescience et par la puissance l'homme qui est apparu lors du premier établissement
divine, c'est toute l'humanité qui, dans cette pre~' 185 cl du monde et celui qui naîtra lors de l'achèvement du
mière institution, est embrassée 1. tout: tous portent également l'image divine 1.
plus douter de l'ensemble que d'un seul. Aussi, à mon celle dont on attendait la mort a la force de servir à
avis, le mystère de la Résurrection est suffisamment manger à ceux qui étaient présents 1.
prouvé, si les autres prédictions sont reconnues justes. Ensuite il manifeste un peu plus
217 a Bien plus, nous avons l'expérience de la Résurrec- Le fils sa puissance, en rendant à la vie
tion et nous en sommes instruits, non pas tant par de l'officier
de Capharnaüm. le fils de l'officier royal qui, de
des discours, que par les faits eux-mêmes. Étant donné l'avis de tous, était en danger et
que la Résurrection constitue une merveille in- que l'on s'attendait à voir mourir (il était en effet sur
croyable, le Christ commence pat des miracles moins le point de mourir, dit l'Évangile, et le père criait :
extraordinaires et habitue doucement notre foi à de « Descends avant que ne meure mon enfant » a). Il
plus grands. Une mère qui adapte la nourriture à son
217 c montre un peu plus sa puissance par le fait qu'il ne
enfant, allaite de son sein au début la bouche encore
s'est pas même approché de l'endroit où était le ma-
tendre et humide; puis, quand poussent les dents et
lade, mais que de loin il lui a rendu la vie par la force
que l'enfant grandit, elle ne commence pas à lui offrir
de son commandement.
un pain dur et impossible à digérer, qui par sa rudesse
blesserait des gencives molles et sans exercice, mais De nouveau il s'élève réguliè-
avec, ses propres dents elle mâche le pain, pour le Le fils du chef de rement à des miracles plus grands.
la Synagogue.
mesurer et l'adapter à la force de celui à qui eUè le S'étant mis en route pour aller
donne; enfin, quand le permet le développement des vers l'enfant du chef de la Synagogue 8, il s'attarde
forces de l'enfant, eUe le conduit doucement de nour- volontairement en chemin à rendre publique la guéri-
217 b ritures plus tendres à une nourriture plus solide. son cachée de l'hémorroïsse, comme pour laisser le
Ainsi le Seigneur, vis-à-vis de la faiblesse de l'esprit temps à la mort d'emporter le malade. Or l'âme était
humain : nous nourrissant et nous allaitant par des depuis peu séparée du corps et les pleureuses se pres-
miracles comme un enfant encore imparfait, il donne saient là avec des cris funèbres et des lamentations:
d'abord une idée de la puissance qu'il a pour nous lui, d'un mot, comme s'il s'agissait du sommeil, fait
ressusciter par la guérison d'un mal incurable : cette lever l'enfant et le rend à la vie. Ainsi il conduit d'une
action est grande, mais pas telle que nous ne puissions marche régulière la faiblesse humaine vers des œuvres
y croire. plus grandes.
Il commande à la forte fièvre qui
La belle-mère . 1. Justes remarques sur l'économie de l'œuvre du Christ,
de Simon.
brûlait la belle-mère de. Simon 1, sur son caractère pédagogique, selon l'idée chère à Origène
et le mal disparaît, si bien que et à Grégoire de la pédagogie divine.
2. Jn. IV, 46 sq.
1. Luc, IV, 38 sq. 3. Marc, V, 22 sqq.
202 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE xxv 203
217 d Puis il s'élève encore dans ses culier, est encore un chant de deuil l'Écriture, le
Le fils de la veuve miracles et, par une puis.sance plus désignant comme un « jeune homme )), exprime la
de NaïIll.
grande, il met les hommes sur la fleur de l'âge qui s'est consumée, le duvet encore
route de la foi en la Résurrection. L'Écriture 1 parle tendre, la barbe qui pousse à peine et les joues encore
de Naïm, ville de Judée. En cette ville, était le fils brillantes de beauté. Que devait donc éprouver la
unique d'une veuvé ; il n'était plus un enfant, encore mère? Ses entrailles brûlaient comme un feu. Quelle
au rang des adolescents: il atteignait l'âge d'homme. amertume devait avoir son chant de deuil, tandis
L'Écriture l'appelle un « jeune homme )). Le récit qu'elle entourait le cadavre dans ses bras! Comme
dit beaucoup en quelques lignes: c'est un vrai chant elle devait retarder pour le mort les soins funèbres et
de deuil. La mère du mort, dit-il, était veuve. Vous se remplir du malheur par des gémissements inces-
voyez la profondeur du malheur et coml;>ien en peu sants. Alors l'Évangile n'omet pas non plus ce trait:
de mots l'Écriture rend tout le tragique du mal. Que « La voyant, Jésus fut remué profondément. S'avan-
220 a dit-elle en effet? que la mère n'avait même plus l'es- çant, il toucha le cercueil et les porteurs s'arrê-
poir d'avoir d'autres enfants pour se guérir de la tèrent. Puis il dit au mort: « Jeune homme, je te le
perte de celui-là: « Cette femme était veuve. Elle ne
J)
220 c dis, lève-toi. Et il le rendit vivant à sa mère. )) Bien
pouvait porter ses yeux sur un autre enfant qui rem- qu'il ne fût pas encore déposé dans le tombeau, le
placerait le disparu : « Ce fils était unique. )) La gran- jeune homme était mort depuis assez longtemps.
deur de ce malheur, tous ceux qui ne sont pas étran- L'ordre du Seigneur est le même que précédemment,
gers à la nature la comprendront sans peine : elle mais le miracle est plus grand.
n'avait connu que lui dans ses entrailles, elle n'avait
allaité que lui à son sein; lui seul était la gaieté de Le Christ s'en va maintenant
sa. table ; lui seul illuminait de joie la maison, quand Lazare.
accomplir un miracle plus sublime,
elle le voyait jouer, travailler, faire de la gymnas- afin que les oeuvres visibles nous fassent approcher
tique, vivre joyeux, s'en aller en public, dans les pa- du miracle incroyable de la Résurrection. Un des
lestres ou dans les assemblées de jeunes; lui seul était 220 d amis et familiers du Seigneur était malade: il s'appe-
tout ce qu'il y a de doux et de précieux aux yeux d'une lait Lazare. Le Seigneu~, qui se trouvait loin de lui,
mère. Il était en âge de se marier et était l'unique refuse de visiter son ami, afin de donner à la mort en
rejeton de sa famille, le rameau de sa succession et le l'absence de la Vie occasion et puissance de faire son
220 b bâton de sa vieillesse. La mention de l'âge, en parti- oeuvre par la maladie. Le Seigneur en Galilée signifie
à ses disciples l'état de Lazare; il leur dit en parti-
1. Luc, VII, 11 sq. culier qu'Il va partir pour aller le voir et faire. lever
204 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE xxv 205
celui qui est couché. Ceux-ci, peu assurés devant la réalisé sur une partie. De même, en effet, que dans
brutalité des Juifs, trouvent pleine de difficultés et la rénovation de l'univers, comme dit l'Apôtre, le
de risques la présence de Jésus en Judée au milieu Christ lui-même descendra en un clin d'œil, à la voix
de ceux qui veulent Le tuer. Aussi ils tardent et re- de l'Archange, et par la trompette fera lever les morts
mettent toujours. Enfin, avec le temps, ils quittent pour l'immortalité 1, de la même façon maintenant
la Galilée : le Seigneur les dominait par sa puissance celui qui, au commandement donné, secoue dans
et les conduisait. Il devait les initier à Béthanie aux le tombeau la mort comme on secoue un songe et
préfigurations de la Résurrection universelle. qui laisse tomber la corruption des cadavres qui l'at-
221 a Quatre jours s'étaient écoulés depuis l'événement; teignait déjà, bondit du tombeau dans son intégrité
les rites habituels avaient été accomplis pour le mort et en pleine santé, sans que les bandelettes qui en-
et le corps était déposé dans le tombeau. Sans doute tourent ses pieds et ses mains l'empêchent de sortir.
le cadavre se gonflait déjà; il commençait à se cor-
rompre et à se dissoudre dans les profondeurs de la 2210 Est-ce là peu de chose pour fon-
terre, selon les lois normales. C'était un objet à. fuir, Sa propre
résurrection.
der notre foi en la Résurrection
lorsque la nature se vit contrainte de rendre de nou- des morts? Cherchez-vous encore
veau à la vie ce qui déjà se dissolvait et était d'une d'autres témoignages pour confirmer votre jugement
odeur repoussante. Alors l'œuvre de la résurrection sur ce point? Eh bien! Ce n'est pas sans raison, je
universelle est amenée à l'évidence par une merveille crois, que le Seigneur, voulant traduire la pensée des
que tous peuvent constater. Il ne s'agit pas ici d'un hommes à son sujet, dit ces mots aux Capharnaïtes :
homme qui se relève d'une maladie grave ou qui, près « Sans doute, m'appliquerez-vous ce proverbe: « Mé-
du dernier soupir, est ramené à la vie; il ne s'agit pas decin, guéris-toi toi-même. » 2 Celui qui sur les corps
de faire revivre un enfant qui vient de mourir ou de des autres a habitué les hommes à la merveille de la
délivrer du cercueil un jeune homme que l'on portait Résurrection devait affermir sur lui-même la foi en
en terre. Il s'agit d'un homme âgé qui est mort et dont sa parole. Vous voyez qu'un appel de lui produit son
221 b le cadavre, déjà flétri et gonflé, tombe en dissolution effet chez les autres : des hommes sur le point de
au point que ses proches ne supportent pas de faire mourir, l'enfant qui vient à peine d'expirer, le jeune
approcher le Seigneur du tombeau, à cause de la mau- homme porté au tombeau, le mort déjà corrompu,
vaise odeur du corps qui y est déposé. Or cet homme, tous, à un seul commandement, sont rappelés égale-
par une seulé parole, est rendu à la vie et ainsi est ment à la vie. Vous demandez où sont ceux qui sont
fondée l'assurance de la Résurrection: ce que nous
1. l Thess. IV, .16.
attendons pour le tout, nous l'avons concrètement 2. Luc, IV, 23.
206 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE xxv 207
221 IImorts dans des blessures et dans le sang, afin que la « On leur enlèvera, dit-il, le souffle et ils expireront et
défaillance en ce point de sa puissance vivifiante ils retourneront en leur poussière~ Tu enverras ton
n'amène pas le doute sur ses bienfaits: voyez celui 224 b Esprit et ils seront cl'éés et tu renouvelleras la face de
dont les mains ont été transpercées par les clous, la terre. » 1 Alors le Seigneur trouvera sa joie en ses
voyez celui dont le côté a été traversé par la lance. œuvres, les pécheurs ayant débarrassé la terre. Com-
Portez vos doigts à l'endroit des. clous. Avancez votre ment pourrait-on appeler quelqu'un pécheur, quand le
main dans la blessure faite par la lance. Vous pourrez péché n'existe plus?
constater de combien la pointe de celle-ci a dû s'en-
1. Ps. CIlI, 29, 30.
foncer à l'intérieur, en calculant sa pénétration ,par
la largeur de la blessure. La plaie laisse la place à une
main d'homme 1 Vous pouvez supposer' combien le
224 a fer est allé profond. Si cet homme est ressuscité, on
peut bien conclure en redisant le mot de l'Apôtre :
« Comment certains disent-ils qu'il n'y a pas de Résur-
rection des morts? » 1
MitME APRÈS LE RETOUR DU CORPS HUMAIN masse commune, de discerner son bien demeuré sans
AUX ÉLÉMENTS PREMIERS DU TOUT, CHAQUE mélange. Si l'âme tire de nouveau à. elle ce qui lui
:itTRE PEUT TIRER A NOUVEAU DE LA MASSE appartient par un lien de parenté, pourquoi interdire
COMMUNE CE QUI LUI APPARTIENT EN PROPRE à la puissance divine de rassembler les éléments de
même famille qui, par une attraction spontanée, se
portent d'eux-mêmes vers ce qui est à eux?
Peut-être, si vous considérez les
Connaturalité éléments de l'univers, il vous paraît L'entretien du Christ sur l'En-
permanente
du corps difficile que, après le retour de l'air; Élément fer 1 montre que dans l'âme, même
et de l'âme. qui est en nous à ses éléments pre- permanent après sa séparation, demeurent des
dans le
miers et de même après le mélange marques distinctives du composé
changement
du chaud, de l'humide et de la terré avec leurs élé- de notre corps que nous étions: alors que les corps
ments naturels, de nouveau, à partir de cette masse l' EtaoC;. sont déposés dans le to~beau,
225 b commune, ce qui appartient à chacun retourne à son les âmes conservent quelque signe
propriétaire. N'avez-vous donc pas réfléchi, par des corporel, qui permet de reconnaître Lazare et ne per-
exemples tirés de la vie humaine, que cela même met pas au riche de rester inconnu. Il n'est donc pas
. n'est pas au-dessus des bornes de la puissance divine? invraisemblable de croire que les corps qui ressuscitent
Vous avez certainement vu, dans des lieux habités laissent la masse commune pour retourner aux êtres
par des hommes, tin seul troupeau formé de la réunion particuliers. Celùi qui examine avec plus d'attention
d'animaux appartenant à différents propriétaires : notre nature n'aura aucun mal à l'admettre.
lorsque vient le moment de répartir à nouveau les Notre être, en effet, 'n'est pas tout entier dans
bêtes entre leurs possesseurs, l'habitude des animaux 225 d l'écoulement et la transformation. S'il n'avait aucune
de se rendre à l'étable ou certains signes qu'ils ont sur fixité naturelle, il serait absolument incompréhen-
eux permettent à chaque maître de retrouver son sible. En réalité, il est plus exact de dire qu'une
bien. A votre propos, imaginez quelque chose de sem-
blable et vous ne serez pas loin de la vérité. L'âme a 1. Luc, XVI, 19 sq.
212 LA CRÉATION DE L'HOMME
CHAPITRE XXVII 213
partie de notre être demeure, tandis que l'autre est
(nous appelons ainsi les éléments qui sont les prin-
soumise à l'altération. Notre corps devient autre,
cipes constitutifs du tout et par lesquels aussi est
quand il grandit ou diminue, et il revêt, comme des
composé le corps humain). En conséquence, comme
vêtements, des âges successifs. Mais à travers ce
« l'aspect extérieur» du corps reste dans l'âme qui
mouvement demeure inchangée la « forme» (efooç)
est comme l'empreinte par rapport au sceau, les ma-
propre de notre être : celle-ci ne perd pas les carac-
tériaux qui ont servi à former la figure sur le cachet
tères une fois reçus de la nature, mais demeure visible
ne demeurent pas ignorés de l'âme; mais, dans l'ins-
avec ses caractéristiques particulières, malgré toutes
tant de la Résurrection, elle reçoit de nouveau en elle
les modifications corporelles. Sans doute il faut mettre
tout ce qui s'harmonise avec l'empreinte laissée en
à part le changement produit par la maladie, qui
elle par « l'aspect extérieur» (€!ooç) du corps. Or
affecte l' « aspect extérieur » (€!ooç); alors le masque
s'harmonisent entièrement avec elle ces éléments qui
228 a de la maladie déforme cet « aspect » et prend sa
dès l'origine ont formé cet « aspect extérieur ». Donc
place. Mail' par la pensée on peut enlever ce masque
il n'est pas du tout invraisemblable que de la masse
et imaginer ce qui arriva pour Naaman le Syrien 1 et,
commune ce qui lui est propre retourne à chacun.
pour les lépreux dont l'Évangile 2 raconte l'histoire.
Alors à nouveau, l' « aspect » que nous voilait la
228 c On dit que le « vif argent », versé
maladie, la santé nous le rend avec ses caractères
La résurrection du vase qui le contient sur un sol
propres. n'est pas plus plat et poussiéreux, se répand à
extraordinaire
Dans le composé que nous que le
terre en minces paillettes. Si vous
L'elOo, du corps sommes, la partie de l'âme sem- développement réunissez à nouveau ce qui est dis-
reste dans l'âme d'une semence. persé un peu partout, les éléments
séparée comme
blable à Dieu reste naturellement
une empreinte. attachée, non à ce qui s'écoule séparés se rassemblent spontané-
228 b dans l'altération et le changement, ment et rien ne peut empêcher ce mélange natu-
mais à ce qui reste permanent et identique à lui- rel. Il se passe certainement, je pense, quelque chose
même. Or les différences dans les combinaisons (de d'identique en ce qui concerne le composé humain:
la matière) donnent à « l'aspect extérieur» (dooç) des que' la possibilité lui, en soit seulement donnée pal'
formes différentes; par ailleurs cette combinaison Dieu et les parties se réunissent spontanément les
n'est autre que le mélange des éléments premiers unes aux autres, selon leurs rapports, sans que le res-
taurateur de la nature ait à produire aucun travail.
1. IV Reg. V, 1 sq. Considérez les produits du sol: la nature n'a aucune
2. Luc, XVII, 12.
peine à transformer le grain de blé, de millet ou quelque
\
214 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XXVII 215
228 d autre semence de blé ou de légumes en paille et en petit élément soit l'origine d'une œuvre pareille? Et
épis. Sans mal et spontanément, chaque semence quand je parle d'une grande œuvre, je ne regarde pas
aspire en elle de la terre commune la nourriture seulement la formation du corps, mais ce qui, plus
appropriée : pour. toutes ces productions, le suc que tout, est digne d'admiration, à savoir, notre
nécess'aire est donné sous forme globale, mais chaque âme et tous ses attributs.
plante qui se nourrit de ce suc tire à elle pour son
développement particulier, ce qui lui revient spécia-
lement. Quoi d'extraordinaire si, dans le cas de la
Résurrection, comme dans celui des semences, chaque
ressuscité attire à lui les éléments qui lui appar-
tiennent? 1
De tout ceci vous pouvez con-
La gr~nde cIure que notre enseignement sur la
merveIlle : R' t' , '
le développement esurrec IOn n est pas du domame
de l'homme. des faits qui sortent de notre ex-
périence. Nous n'avons rien dit
pourtant du fait qui nous est encore le plus connu,
229 a à savoir les débuts mêmes de la formation de notre
être. Qui ne sait l'œuvre admirable de la nature, ce
que reçoit en lui le sein maternel et ce qu'il produit?
Ne voyez-vous pas que la semence jetée dans le sein
maternel pour servir d'origine à notre organisme. cor-
porel est simple d'une certaine façon et présente des
parties toutes semblables? Or qui pourrait exprimer
la variété de l'ensemble qui en est formé? Si vous ne
connaissiez les œuvres ordinaires de la nature, pour-
riez-vous croire possible ce qui arrive, que le moindre
1. Après les preuves scripturaires, prophéties et miracles,
Grégoire aborde lés preuves rationnelles de la résurrection
ou du moins de sa possibilité. L'argument de la semence est
un lieu classique de la catéchèse chrétienne. Voir Cyrille de
Jérusalem, P. G., XXXIII, 492 A-B.
CHAPITRE XXVIII 217
Une autre catégorie d'auteurs,
b) L'âme: s'attachant à l'ordre suivi par
« souffle vital )),
postérieur
Moïse dans le récit de la formation
CHAPITRE XXVIII au corps. de l'homme 1, affirment que tem-
porellement l'âme a été créée après
CONTRE CEUX QUI TIENNENT LA PRÉEXISTENCE le corps. Dieu, en effet, a d'abord pris de la poussière
DES AMES PAR RAPPORT AUX CORPS OU A L'IN- . du sol pour en former i'homme ; ensuite il l'a animée
VERSE, LA FORMATION DU CORPS AVANT LES de son souille. Par cette façon de parler, ils établissent
AMES. RÉFUTATION DE CES FICTIONS QUI CON-
CERNENT LE PASSAGE DES AMES D'UN CORPS
que la chair vaut mieux que l'âme, puisque celle-ci
DANS UN AUTRE est introduite dans une chair formée antérieurement:
ils disent en effet que l'âme existe en \lue du corps,
afin que le corps modelé ainsi ne reste pas sans souille
229 b Peut-être n'est-il pas hors de notre sujet d'examiner et sans mouvement. Or un objet qui existe en vue
soigneusement les problèmes discutés dans les Églises d'un autre a certainement moins de valeur que ce à
à propos de l'âme et du corps. cause de quoi il est fait. Ainsi, d'après les expressions
de l'Évangile, l'âme vaut plus que la nourriture, le
229 d corps plus que le vêtement, car les seconds sont à cause
Certains de nos devanciers, au-
De)upx ~YP~thtèses :teurs . du traité « des Principes )l,
des premiers. L'âme n'est pas faite pour la nourriture
a reexIs ence. ni le corps pour le vêtement, mais, l'âme et le corps
ont enseigné que les âmes pré-
existent et forment pour ainsi dire un peuple dans existant d'abord, les seconds ont été découverts
une. cité à part. Là sont placés les modèles du vice et après coup pour satisfaire aux besoins des premiers.
de la vertu. Tant que l'âme <;lemeure dans le bien, L'une et l'autre hypothèse mé-
elle reste sans l'expérience de liaison corporelle, mais Critique.
ritent la critique, à la fois celle qui
si elle déchoit de la participation qu'elle a avec le imagine que les âmes ont mené une existence anté-
bien, elle glisse vers la vie d'ici-bas et ainsi se trouve rieure dans quelque cité particulière et celle qui tient
dans un corps 1. que les âmes ont été faites après les corps. Il faudrait
examiner en détail chacune de leurs affirmations :
1. Critique de la doctrine d'Origène, désigné directement mais leur critique exacte et la découverte de toutes
comme auteur du De Principiis. Le point est d'autant plus
notable que Grégoire est d'ailleurs nourri d'Origène. Voir la 1. Geu. II, 7. Critique de la doctrine de Méthode. ICi
même critique de la préexÏlitence dans le De Ail. et Res., encore Grégoire prend une position moyenne entre celui-ci
XLVI, 113 B-C. et Origène.
218 LA CRÉA:rION DE L'HOMl\Œ CHAPITRE XXVIII 219
les invraisemblances qu'elles contiennent exigeraient goûté une fois, comme ils disent, à la, vie corporelle,
232 a trop de pages et de temps. Autant que possible, nous devient homme à son tour et si on doit reconnaître
examinerons brièvement chacune des deux, puis à que cette vie charnelle est toute soumise aux passions
nouveau nous reprendrons notre sujet. en comparaison de la vie éternelle et incorporelle, il
s'ensuit nécessairement que l'âme, dans cette vie où
Les tenants de la première opi- elle trouve en grand nombre les occasions de pécher,
La première nion, qui soutiennent que la cité en vient à une malice plus grande et connaît de plus
hypothèse,
formée par les âmes est plus an- en plus l'esclavage des passions. Or, pour l'âme hu-
inspirée de
la philosophie cienne que leur existence dans la 232 c maine, cet esclavage consiste à ressembler aux ani-
~recque. chair, ne me paraissent pas s'être maux. Comme doné elle s'est rapprochée d'eux par
purifiés de ces doctrines imaginées sa nature, elle tombe dans la nature bestiale et, une
par les Grecs sur la métempsychose. Un examen at- fois sur le chemin du vice, elle ne peut s'arrêter dans
tentif ferait voir que cette façon de penser en vient, la voie qui l'emmène au mal, pas même dans l'irra-
selon une pente nécessaire, 'à soutenir, con'tme on le tionnel. L'arrêt dans ce mal est déjà une reprise du
prête à l'un de leurs sages, que le même être devient 'chemin vers la vertu. Or il n'est pas question de
homme, se revêt d'un corps de femme, vole parmi les vertu parmi les animaux. Donc nécessairement l'âme
oiseaux, 'devient arbuste et finit par vivre dans les ne cessera de passer dans un état pire, allant toujours
eaux. Ce sage, il me semble, n'est' pas loin de la à ce qui est plus méprisable et toujours en quête de
vérité, s'il parle de lui-même; car toutes ces concep- ce qui est inférieur à la nature où elle est. Et de même
tions, tenant qu'une âme unique passe par ces divers que du rationnel, on passera au sensible, de même à
états, sont dignes du bavardage des grenouilles ou partir de ce dernier la chute continue vers l'insensible.
des geais, de l'inintelligence des poissons ou de l'in-
sensibilité des chênes. 232 d Jusqu'ici leur façon de "parler,
Incohérences de A •
la doctrine.
dans son développement, meme SI
232b La cause de cette absurdité est elle s'emporte hors de la vérité,
Aucune raison la croyance en la préexistence des suit cependant un ordre logique d'invraisemblances
de s'arrêter âmes. Le principe à la base de cette en invraisemblancès. Mais, du point où elle est par-
dans les ,
transformations. opinion l'entraîne logiquement de venue, leur doctrine se perd dans des imaginations
proche en proche jusqu'à des con- incohérentes et logiquement, on entrevoit la perte
clusions invraisemblables. Si l'âme, tirée, à cause du absolue de l'âme. Lorsque celle-ci glissera de l'état
vice, de cet état plus' élevé où elle est, après avoir élevé où elle se trouve, elle ne pourra s'arrêter à aucune
220 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XXVIII 221
borne dans le vice, mais, soumise aux· passions, de semblance de l'opinion qui tient au contraire que
l'état rationnel, elle passera à l'irrationnel; de celui- l'âme est venue après le corps a été démontrée par
233 a ci elle se transformera dans les végétaux insensibles; ce qui précède. Aussi l'une et l'autre doctrine sont
l'état des inanimés n'est pas loin de celui qui n'a absolument à rejeter.
pas la sensation; et après vient l'inexistant. En Notre façon de penser, il faut sans doute la situer
somme, selon ces auteurs, par une suite logique, entre ces deux hypothèses. Elle consiste à dire: nous
l'âme s'en ira vers le néant. ne croyons pas, selon l'erreur des Grecs, que les âmes
Comme on le voit, le retour à un état meilleur est emportées dans le mouvement universel, ne purent,
nécessairement impossible pour l'âme. Mais eux la à cause de la lourdeur contractée dans le vice, con-
font revenir de l'arbuste à l'état d'homme, sans v~ir server l'allure du mouvement céleste et qu'elles tom-
que de la sorte ils donnent à penser que la vie dans bèrent sur la terre; nous n'admettons pas non plus
l'arbuste a plus de prix que l'état de vie incorporel. que l'homme fut d'abord façonné par le Verbe comme
II a été admis en effet que l'âme, une fois engagée une statue d'argile, puis que l'âme fut faite en vue du
vers le mal, ne cesse naturellement de descendre. Or corps. La nature spirituelle paraîtrait ainsi inférieure
l'inanimé vient au-dessous des êtres insensibles et à l'ouvrage d'argile.
c'est vers l'inanimé que les principes admis au début
entraînent l'âme. Comme ces gens ne veulent pas de
cette conséquence, ou bien ils enferment l'âme dans
233 b un être privé de sensibilité, ou de là ils la font revenir
vers la vie humaine; mais alors, comme nous avons
dit, ils donnent à penser que la vie de l'arbre a plus
de prix que le premier état de l'âme, si précisément
la chute vers le vice a commencé en cet état supérieur
et si de l'état inférieur commence le retoui' vers la
vertu.
l'image une trop grande résistance. L'ensemble doit les mains, qui vont en tous sens et sont aptes à exécu-
tenir le milieu entre la mollesse et la dureté, pour ne ter tout dessein de l'esprit. De là les rotations du
pas priver le vivant de la plus belle des activités de la cou, les inclinations et les relèvements de la tête,
nature, c'est-à-dire du mouvement des sens 1. Or une l'activité de la mâchoire, l'élargissement des paupières
matière molle et sans résistance, si· elle ne possède accompagnant les mouvements de tête, les autres
rien du fonctionnement des corps durs, n'a comme les mouvements des membres, produits comme dans une
mollusques ni mouvement ni articulations. Aussi la machine par la tension ou le relâchement de certains
nature met dans les corps des os solides, qu'elle unit nerfs. Cette force qui se répand dans les membres
harmonieusement les uns aux autres et dont elle res- dépend de notre détermination et elle agit dans cha-
serre les emboîtements, grâce aux liens des nerfs cun d'eux sous l'action de la liberté, selon la disposi-
244 b (nup:z). Tout autour, pour recevoir les sens, elle tion de la nature. On a vu que la racine et le principe
. étend la chair, dont la superficie offre moins de prise de ces mouvements nerveux sont dans la membrane
à la douleur et plus de tension. nerveuse qui entoure le cerveau. II n'est pas néces-
244 d saire, je pense, de nous étendre davantage sur les par-
La nature fit donc porter tout ties vivantes; nous avons suffisamment indiqué l'ori-
Mouvement le poids du corps sur cette ossature
et articulation
gine du mouvement qui est en nous.
des membres. solide, qui ressemble à des colonnes
soutenant un édifice; mais elle eut Le rôle du cerveau dans le main-
soin de la répartir sur l'ensemble du corps. L'homme Rôle:
1) du cerveau. tien de la vie apparaît clairement
ne pourrait se remuer ni agir, s'il était bâti comme un lors des accidents qui lui sur-
arbre fixé au même endroit, sans que la succession viennent. Une blessure ou une lésion de la membrane
régulière de ses jambes lui assurât le mouvement en qui l'entoure cause la mort immédiate: pas même un
avant et sans que le secours des mains lui soit accordé instant, la nature ne résiste à cette blessure, comme,
pour vivre. La nature par ce procédé permet à l'Ol'ga- lorsque l'on enlève les fondements. d'un édifice, celui-
nisme de se déplacer et d'agir, sous l'action de l'es- ci s'écroule tout entier avec ses parties. Or, ce dont
prit qui se communique librement aux nerfs : dans le mal est la cause évidente de la mort du vivant doit
cette fin, elle pousse le corps au mouvement et lui en être reconnu comme la cause principale de la vie 1.
244 c donne la faculté. De là l'aide multiple apportée par
1. La distinction des trois organes comme principes des
1. Ces développements sur le m.élange du mou, principe trois forces vitales se rattache à Platon. C'est de lui que
de la sensation, et du dur, principe du mouvenlent, rappellent Galien l'a reçue pour en faire une application médicale. Elle
la distinction des nerfs mous, sensibles, et des nerfs durs, est contraire à la doctrine stoïcienne du cœur, siège unique
moteurs, de Galien (De us. part., VII, 6 ; XVI, 2). de la vie (Chauvet, loc. cif., p. 326).
234 LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPITRE XXX 235
Comme après la mort la chaleur Alors que seule, la Divinité n'a
2)· du cœur. La division
naturelle s'éteint et que le cadavre aucun besoin, la pauvreté de
du travail.
se refroidit, il nous faut ranger également la chaleur l'homme demande à l'extérieur les
parmi les causes dé la vie. Ce dont l'absence amène biens nécessaires à sa subsistance. A cette fin, les
la mort est de toute nécessité ce dont la présence trois facultés, par lesqueUes nous avons· dit que tout
permet au vivant de subsister. De cette force, nous le corps est administré, permettent à la nature d'ame-
voyons que le cœur est comme la source et le prin- ner en nous la matière extérieure et par des entrées
cipe, à partir duquel des conduits semblables à des différentes, elles introduisent tout ce qui leur convient.
flûtes se séparent les uns des autres pour répandre
dans tout le corps le feu et la chaleur 1. Au foie qui est la source du sang,
Force et sang.
la nature a confié la répartition
Comme la nature devait absolu- de la nourriture. Ce qui y est introduit dans ce but
3) du foie.
ment fournir à la chaleur une nour- lui permet de faire sourdre les sources du sang : le
riture (on ne conçoit pas un feu subsistant de lui- foie agit comme la neige sur les hauteurs, qui, par son
même; il a besoin d'un élément approprié), les con- humidité, grossit les sources du pied de la montagne
duits du sang, partis du foie comme d'une source 2, et dont le poids fait infiltrer l'humidité jusqu'aux
font route partout dans le corps avec l'esprit (7\"'lsUP,C() ruisseaux des vallées.
chaud pour éviter que l'isolement de l'un d'avec
L'air (7\"VêUP,c,;) présent dans le
245 b l'autre n'amène à sa sUÎTe la mort de la nature 3. Cet Le cœur
et le poumon.
cœur est introduit par le viscère
exemple doit servir aux hommes qui pratiquent l'in-
voisin, . dont le nom est le « pou-
justice: la nature leur démontre que l'avarice est un
mon » et qui est le réceptacle de l'air. IGrâce à l'artère
mal porteur de mort.
qui est en lui et qui passe par la bouche, le poumon
1. Le cœur est le principe de la chaleur, du souille vital, aspire l'air (7\"'léull.a) extérieur par le moyen de la res-
qu'il répand dans le corps entier par les artères. Ceci est de
Galien (De dogm. Hipp. et Plat., II, 3). piratio:q. Le cœur, placé en son milieu, imite l'activité
2. Galien- et ceci est le plus caractéristique - tient que le incessante du feu et lui-même, toujours en mouve-
sang a son principe dans le foie, point de départ des veines.
Or cette opinion est contraire à celle d'Aristote et de nom- ment, comme les soufflets des forgerons, attire à lui
breux philosophes et Inédecins (Chauvet, loc. cil., p. 328).
3. Ce qui circule dans les artères issues du cœur n'est donc l'air des poumons voisins; sa dilatation fait se rem-
pas simple 7tVEV!J,a, comme le voulait Erasistrate, mais un plir les parties creuses et l'évacuation de l'air en
mélange de souille .chaud et de sang humide, un sang « spi-
ritualisé ». C'est la doctrine de Galien (De dogm. Hipp. et Plat., combustion envoie celui-ci dans les artères attenantes.
I, 6). Le cœur ne s'arrête jamais dans ce double mouvement
4. Le rôle du foie dans l'élaboration des aliments est ensei-
gné par Galien (De us. part., XII, 1 sqq.). de dilatation pour attirer dans ses cavités l'air exté-
236 LA CRÉATION DE L'HOMME
CHAPITRE xxx 237
dehors l'air resté dans ses cavités. Au contraire sa puissance efficace qu'il possède, selon la disposition
dilatation et son ouverture; par cet écar'tement, at- du créateur voulant que chaque partie ait son activité
tirent l'air dans le vide produit. Et maintenant la et son emploi pour le bien de l'ensemble. De là vient
cause de cette respiration, indépendante de notre que placé en dessous et en arrière du poumon, par la
volonté, est l'impossibilité pour une substance ignée continuité de son mouvement, il assure d'un côté, en
de demeurer dans le repos. Puisque le mouvement tirant vers lui le poumon, l'élargissement des conduits
est un des caractères des activités calorifiques et que pour l'aspiration et de l'autre, en le soulevant à nou-
nous avons placé dans le cœur l'orjgine de la chaleur
.)
veau, l'évacuation de'l'air reçu. De là vient aussi que,
corporelle, la continuité des mouvements cardiaques réuni à la partie supérieure du ventre, il le réchauffe
produit la continuité de l'aspiration et de l'expira- pour le rendre capable d'accomplir sa fonction: il ne
tion. C'est pourquoi, si l'intensité du feu dépasse la l'excite pas pour aspirer l'air, mais pour qu'il reçoive
normale, la respiration des gens ainsi brûlés par la sa nourriture. Les passages du souffle et de la nourri-
fièvre se fait plus pre$sée, comme si le cœur se hâtait ture sont en fait voisins; sur toute leur longueur, ils
248 b d'éteindre par un air renouvelé la brûlure qui est en lui. viennent à la rencontre l'un de l'autre, puis ils se
LA CRÉATION DE L'HOMME CHAPI1'RE XXX 230
248 cl rejoignent vers le haut, au point de n'avoir qu'un alors travailler sans arrêt à le satisfaire, comme font
même orifice et de terminer leurs conduits dans une les animaux.
seule bouche, d'où par l'un se fait l'introduction de la 2,19 b Le foie, plus que le reste, avait besoin de l'aide de la
nourriture, par l'autre celle du souffle. Mais en pro- chaleur pour convertir en sangles substances humides;
fondeur, l'union entre ces conduits n'existe plus du mais, comme par position, il se trouve loin du cœur
tout: le cœur, tombant au milieu du siège de l'un et - (je ne crois pas possible qu'étant lui-même prin-
de l'autre, donne à l'un ce qu'il faut pour respirer, à cipe et source d'énergie, il se trouve à l'étroit par le
l'autre ce qu'il faut pour se nourrir. La substance ignée voisinage d'un autre principe) -,pour que notre orga-
en effet recherche naturellement une substance com- nisme n'ait cependant pas à souffrir de l'éloignement
bustible et elle la trouve nécessairement dans le récep- de la substance calorifique, un conduit semblable aux
tacle de la nourriture. Plus ce réceptacle est chaud, nerfs (que les savants en ces matières appellent « ar- -
à cause de la chaleur environnante, plus sont attirées tère ») reçoit du cœur le souffle chaud et l'apporte au
en même temps les substances capables de nourrir la foie; il communique avec le cœur près de l'endroit
chaleur. Cette attirance, nous l'appelons « appétit ». olt s'introduisent les substances humides et comme sa
chaleur fait bouillir celles-ci, il leur fait part de sa
Quand l'organe qui contient la parenté avec le feu, en donnant au sang une colora-
Répartition de tion de feu. Deux conduits jumelés prennent là nais-
la nourriture.
nourriture a pris la matière suffi-
sante, l'activité du feu n'en cesse 2-!9 c sance: l'un et l'autre, en forme de tuyau, contiennent
pas pour autant. Mais comme dans une fonderie, le le premier le souffle, le second le sang. Il en est ainsi
feu dissout la matière; puis cette masse dissoute se pour faciliter le passage à la: matière humide qui suit
renverse et se répand, comme d'un creuset de fondeur, le mouvement de la chaleur et est par elle rendue plus
dans les conduits voisins. La séparation se fait ensuite légère. De là ils se répandent et se divisent sur tout
entre les éléments plus lourds et les plus purs: ceux-ci, le corps en mille conduits et ramifications qui at-
plus minces, sont poussés par plusieurs canaux vers teignent tous les organes. Cette union des deux prin-
l'entrée du foie et les résidus matériels de la nourri- cipes des forces vitales - de celle qui eilvoie la cha-
ture sont rejetés vers les cop.duits plus larges des leur et de celle qui envoie l'humide à travers le
intestins où, dans les nomhreux replis de ceux-ci, ils corps, -leur permet de communiquer à la puissance
tournent un certain temps, pour fournir un aliment qui gouverne toute notre vie leurs propriétés comme
aux viscères. Si le conduit était droit, les matières un présent dont celle-ci ne pouvait se passer.
seraient facilement évacuées, mais le vivant serait Je veux parler ici de la force qui est dans les mé-
immédiatement repris par l'appétit. L'homme devrait ninges et le cerveau. Que l'on considère les mouve-
240 LA CREATION DE L'HOMME - CHAPITRE XXX 241
ments des membres, les contractions des muscles, la fenses qui l'entourent la mettent à l'abri de toute
réception en chacune des parties du souffle (7tYêül',a) en- atteinte.
voyé par la volonté 1, cette force, comme par un des- De la même façon, on pourrait comparer le cœur
sein prémédité, apparaît être la cause de l'activité et du à une maison inattaquable : les enveloppes des os
249 d mouvement dans cette statue faite de terre que nous 252 b l'entourent et le fortifient très solidement. En arrière,
sommes. Les éJéments les plus purs de la substance il y a l'épine dorsale bien défendue de chaque côté
calorifique et les plus légers de l'humide s'unissent par les omoplates. Sur ses côtés, la position des côtes
très intimement en ces deux puissances pour nourrir tout autour du cœu!' rend le milieu difficile à atteindre
et soutenir le cerveau par le moyen des vapéurs 2. Sur le devant, le sternum et l'attelage formé par la
Ces vapeurs, pour se répartir, sont rendues excessive- clavicule sont placés pour la défendre de partout
ment minces et elles enduisent par en dessous la mem- contre toute attaque du dehors.
brane qui entoure le cerveau; celle-ci, allant de haut
en bas, a la forme d'une flùte et, à travers les vertèbres Il se passe encore en nous un phé-
successives, emmène avec elle la moelle qu'elle con- Transformation .
nomène semblable à ce qui a lIeu
de la nourriture.
tient jusqu'à la dernière vertèbre dorsale où elle s'ar- dans l'agriculture, quand de grosses
rête. A toutes les jointures des os et des articulations, pluies ou la crue des rivières rendent les champs tout
aux origines des muscles, comme un cocher, elle com~ humides. Supposons un champ nourrissant en lui
munique l'excitation et la puissance du mouvement mille espèces différentes d'arbres et toutes sortes
252 a et du repos. Cette constitution rendait, je crois, néces- de produits, dont la forme, la qualité et la couleur
saire une plus grande protection de cette membrane. varient beaucoup des uns aux autres. Toutes ces
Aussi dans la tête, celle-ci est encerclée de la double plantes reçoivent l'humidité du même endroit et la
défense des os ; dans les vertèbres, elle est protégée force qui pénètre de ses sucs chacune d'elles est une
à la fois par les défenses des épines et par les entrela- 252 c par nature; cependant chaque plante en particulier
cements de toutes sortes qu'elles présentent. Ces dé- transforme ,cette humidité en des qualités différentes.
La même humidité devient amère dans l'absinthe;
1. Comme le foie est principe du sang et le cœur principe dans la ciguë, elle se change en un suc qui donne la
du souffie vital, le cerveau est principe du souffle animal, mort; dans une plante, elle devient une chose, autre
qui donne le mouvement au corps. Voir Galien, De dogm.
Hipp. et Plat., VII, 3. Il est notable que l'ordre suivi par chose dans une autre, par exemple, dans le crocus, le
Grégoire est le même que celui suivi par Galien.
2. Il ya relation réciproque entre les trois grands organes. balsame ou le pavot. Dans l'un elle devient chaleur,
Comme le cœur réchauffe le foie dont il reçoit sa nourriture, dans l'autre elle se refroidit, dans une autre elle garde
ainsi le cerveau meut le cœur et le foie, dont il reçoit aussi
sa subsistance. Voir Galien, De us. part., XVI, 1 sqq. une température moyenne. Dans le laurier, le jonc et
6. Grégoire de Nysse, 16
CHAPITRE XXX
243
242 LA CRÉATION DE L'HOMME
tortueux, il donne des cheveux épais, et flexibles;
autres plantes semblables, elle donne une odeur mais si ces vapeurs sortent directement, les cheveux
agréable; dans le figuier et le poirier, elle devient
sont tendus et droits.
d?uce au goût. Dans la vigne elle devient grappe et
Vlll; elle se change aussi dans le jus de III pommé', la Voici que nous nouS égarons
rougeur de la rose, l'éclat du lys, le bleu de la violette ·loin de notre sujet, tandis que
la ?ouleur. pourpre du hyacinte, et dans tous les pro~
Conclusion
sur le mode de nous nous appesantissons sur les
252 d dUIts possIbles de la terre, qui germent à partir d'une développement œuvres de la nature et que nouS
seule et même humidité et se diversifient en autant de notre être.
essayons de décrire comment et
de p.lantes différentes par la forme, l'espèce et les 253 b de quels éléments est composé chaque partie de notre
qualItés. être, celles qui sont faites pour assurer la vie, celles
.La nature ou mieux, la nature du Seigneur accom- qui sont faites pour son bien-être et tout ce qui peut
plIt sur la terre animée que nous sommes une semblable encore figurer dans notre première division. Nous nous
mer:eille. Les os et les cartilages, les veines, les artères, étions d'abord proposé de montrer que la cause apte
les lIgaments, les chairs, la peau, la graisse, les che- à produire notre organisme n'est ni une âme incor-
ve~x, les glandes, les ongles, les yeu~, les narines, les
porelle, ni un corps inanimé, mais que dès l'origine,
oreIlles et tout le reste et encore ces mille éléments à partir des corps animés et vivants, est engendré un
différenciés les uns des autres par leurs propriétés être vivant et animé. La nature humaine le recueille
trouvent leur nou~riture dans un aliment unique, qui et comme une nourrice l'élève par ses moyens à elle.
leur est approprIé. On dirait que l'aliment placé Elle donne sa nourriture à l'une et à l'autre partie
auprès de chaque organe se transforme selôn le genre de cet être et on les voit toutes deux suivre un déve-
de cet orga~e particulier et s'adapte à ses propriétés loppement adapté à ce qu'ils sont. Dès le début, en
pour devemr de la même nature que lui. Si cet ali- effet, tandis que le corps ·se forme suivant un plan
ment est ~~ns l'~il, il. se mélange avec cette partie savamment conçu, la nature fait paraître en lui la
253 a apte à la VISIOn et Il se divise en s'y adaptant en autant
force de l'âme qui lui est liée : celle-ci apparaît
de tissus qu'il ya autour de l'œil. S'il se répand dans d'abord obscurément, puis elle éclate peu à peu avec
la région ?e l'o~eille, il s'unit à l'appareil acoustique; 253 c le perfectionnement de l'organisme corporel. Il se
dans les levres Il devient lèvres; il se durcit dans les passe alors ce que l'on peut voir chez .les sculpte~rs.
os, s'amollit dans la moelle, se tend avec les nerfs Un artiste conçoit l'idée d'un être vIvant à taIller
se répand sur toute la surface du corps, passe dan~ dans la pierre. Quand il l'a bien dans son esprit, il
les ongles, s'amincit en vapeurs pour donner nais- brise d'abord la pie~re dans le bloc où elle appartient;
sance aux cheveux. S'il est amené en des conduits
CHAPITRE XXIX 245
244 LA CRÉATION DE L'HOMME
ensuite, taillant tout autour les matériaux inutiles, blable à celui des animaux, a empêché l'image divine de
il arrive à une première ébauche qui présente déjà briller immédiatement en nous et c'est dans la suc;.
les grands traits du modèle : à cette vue, même un cession que l'homme trouve sa route vers son achève-
profane, peut deviner dès lors l'intention de l'artiste. ment, au travers des particularités matérielles et
Puis les progrès du travail l'approchent encore plus animales de son âme. Cette façon de penser est con-
de l'idéal qu'il veut réaliser. Enfin, lorsqu'il a par- forme à l'enseignement du grand Apôtre dans, s~n
faitement exprimé dans le bloc tout le détail de son Épître aux Corinthiens: ({ Quand j'étais enf~nt, dIt-Il,
idée première, son œuvre est achevée : et alors la je parlais comme un enfant, je raisonnaIS comme
pierre, peu auparavant encore informe, est devenue un enfant 1. » Ce n'est pas par l'introduction dans
un lion ou toute autre œuvre que l'artiste a conçue: l'homme d'une âme différente de son âme d'enfant
le bloc' n'a pas changé de substance en raison de que les habitudes de pensée de l'~nfance so~t chassées
l'idée, mais c'est l'idée qui, par le travail, a pénétré et que celles de l'homme apparaIssent; maIs. la même
la masse. âme montre dans l'un son état d'imperfectIOn, dans
253 d Imaginez pour l'âme un pareil processus et vous ne l'autre son état de perfection. Les êtres, quand ils
serez pas loin de la vérité. La nature qui fait tout avec :156 b naissent et se développent, nous disons qu'ils viven~ :
art prend en elle une matière de même espèce, à puisqu'ils ont la vie et le mouvement naturel, on ne
savoir, cet élément sorti de l'homme, et nous disons peut les dire inanimés;. on ne p~ut P?ur~a~t pas
qu'avec lui, elle construit une st~tue. De même què alors dire qu'ils ont une ame parfaIte : l actIvité des
dans le travail de la pierre, il y a un moment où végétaux est toute ({ physique» et ne s'él~ve p,as aux
l'idée se dégage, d'abord obscurément, puis d'une mouvements de la vie sensitive. Les IrratIOnnels
faç.on parfaite après l'achèvement de l'œuvre; de la ajoutent bien à cette force une autre ({ Psyc~1Îque »,
même faç.on aussi dans le modelage de notre être, mais celle-ci n'atteint pas encore la perfectIOn, car
l'idéal que l'âme doit réaliser ne se fait jour qu'avec elle ne contient pas en elle le don de la raison et de.la
le progrès du corps, imparfaitement dans le corps pensée. Aussi nous disons que l'âme vraie et parfaite
imparfait, parfaitement dans le corps parfait. est cene de l'homme et qu'elle se fait connaître p~r
son activité. Si d'autres êtres participent de la VIe,
Dès l'origine, cet idéal eût at- c'est par un habituel abus de langage que nouS leur
Motif de ce teint sa perfection, si la nature attribuons une âme: car, si leur âme n'est pas pa~
développement faite, ils possèdent quelques caractères de cette actI-
progressif. n'eût été mutilée par le vice. Cet
256 ft amoindrissement, qui nous a valu
un mode de naissance soumis aux passions et sem- 1. l Cor, XIII, 11.
'246 LA CRÉATION DE L'HOMME
ConnaturaIité, 225 a. Éléments, 129 a; 180 a; Harmonie, 161 d ; 209 C. Irrationnel, 181 c; 192 a-b ;
Conservation, 241 b. 205 c ; 224 d ; 225 a; 228 Homme, 128 a; 142 d ; 133 193 C; 205 a; 232 c;
Constitution, 144 b ; 164 d ; b; 241 b. c, etc.
240 c. Embryon, 229 a; 236 c ; 237 Homme (double nature de Jérusalem (ruines de), 216 a.
Contemplation, 133 a. a; 240 a. l'), 133 d. Joie, 196 c ;204 b.
Contrainte, 184 b. Empreinte, 228 b ; 237 b. Hôte, 133 d. Jouissance, 196 b.
Controverse, 209 c. Énergie vitale, 145 b. Humanité, 128 a; 177 d; Justice, 136 d.
Corps, 140 d; 145 d; 165 c; Équilibre, 241 d. 185 b; 204 c; 205 b;
176 a; 225 b; 233 d; Espace, 209 d. 233 d. _ Lâcheté, 192 C.
240 c. Espèce, 189 b. Humide (l'), 129 b; 241 b. Langage, 144 c; 148 c; 149.
Corruption, 200 c; 213 c. Espérance, 201 a; 204 a; b; 152 b.
Couleur, 209 d; 213 a. 208 b ; 209 a. Idée, 213 a; 253 C. Larmes, 156 b ; 157 d.
Crainte, 192 c. Esprit, 137 b-c ; 140 a; 145 Image, 133 d ; 136 c ; 137 a ;Liberté, 137 b ; 177 d; 180
Créateur, 129 Cj 132 a-co d ; 149 b ; 152 b ; 153 c; -140 c; 156 a; 161 c; b; 184 b ; 189 c; 204 C.
Création, 181 a; 184 a; 156 b; 160 d; 164 a; 164 a; 177 d; 180 b; Limite, 185 b; 201 b-c-d;
204 c-d; 233 d. 168 c; 176 a; 177 b; 184 b; 185 d; 192 d; 204 d; 205 c-d.
Créature, 129 c. 181 c; 193 c; 217 b, etc. 193 d; 201 a; 204 a-d; Localisation, 156 b ; 164 c ;
Culture, 193 b. Estomac, 141 a. 228 a ; 256 a-c ; etc. . 173.d· 177 b.
Curiosité, 209 c. Étendue, 113 b. Imagination, 168b-d; 169 d; Logique,'201 C; 209 C; 212 C;
Éternel, 180 b; 205 d. 172 C. 232 b; 236 d.
Définition, 213 a. f:tre, 145 a. Immatériel, 209 d ; 212 a-d. Lourdeur, 145 c; 193 c;
Degrés, 144 d ; 145 a ; 148 C. Événement, 204 b. Immobilité, 237 a. 204 c; 208 a.
Délai, 208 b. Évolution, 129 C. Immortalité, 136 d ; 188 b ; Lumière, 201 d.
Délivrance, 196 a. Exemple, 225 b. 208 a. Lyre, 149 c; 169 c.
Démon, 200 b. Expérience, 216 C; 217 a. Immuable, 129 d; 180 b;
Dépendance, 161 b. 184 C. Mains, 144 c ; 148 c; 149 a;
Déroulement, 209 b. Facultés, 153 c; 165 c. Impassible, 180 c; 204 c; 152 b; 244 b.
Désir, 161 c; 164 b ; 173 d; Faiblesse de l'homme, 141 a. 205 d. Mal, 164 a; 197 a-c ; 200 a;
200 a-b ; 204 b ; 208 d. Faim, 196 d. Inaltérable, 129 d. 201 b ; 205 a; 232 c.
Déterminisme, 184 b. Faute, 188 b ; 201 C. Inclination, 129 c; 193 c; Manichéens, 212 b.
Développement, 229 a; 237 Feu, 129 b ; 157 a. 205a;2<)5b. Mariage, 188 a; 189 a.
b; 253 d. Finalité, 204 d. Incorruptible, 180 b. Matériel, 256 a.
Déviation, 189 C. Fixité, 201 b. Incorporel, 149 b; 177 b; Matière, 145 b ; 145 c; 148
Différenciation, 236 c ; 237 a. Fleuve, 165 a. 180 b ; 213 b. b ; 156 b ; 161 d; 164 b ;
DIgestion, 169 b. Flûte, 149 c ;245 a; 249 d. Incroyànt, 213 C. 176 b; 209 d; 212 b-c;
Dignité, 189 d ; 205 a. Foi, 208 b ; 209 a-c ; 213 b ; Indéterminé, 185 b. 213 b~
Discernement, 197 C. 224 a. Infini, 201 b. Médecine, 240 c.
Dissolution, 165 b ; 224 d. Foie, 240 d; 245 a; 249 b. Initiés, 188 C. Mélange, 129 c; 200 a-d;
Divinité, 137 b ; 161 c. Folie, 157 d. Instant, 205 d. 225 a; 228 b.
Domination, i33 a-d ; 136 a; Force, 193 b ; 236 c. Instincts, 176 a; 193 b. Membres, 244 b.
141 a-d. Formation, 229 a. Instrument, 161 a. Mémoire, 168 d; 169 d;
Durée, 205 C. Forme extérieure, 209 d. Intelligence, 145 c; 181 C; 172 d.
Froid, 241 b 204b. Méninges, 157 a; 249 C.
Échange, 165 b. Fruits mélangés, 197 a. Intelligible, 149 b. Mesure, 205 d.
Écoulement, 225 d. Fusion,145 C. Interprétation (des songes), Métempsychose, 232 a.
Écriture, 128 b ; 144 d. 172 a. Microcosme, 177 d.
Eden, 196 C. Génération, 189 C. Intestins, 249 a. Miracles, 217 b et sq.
eT/lo, Cto), 225 c-d ; 228 b. Germe, 240 b. Invisible, 209 C. Miroir, 161 c; 164 a-b.
Église, 240 C. Glissement, 189 d; 205 c. Invraisemblable, 224 b; 229 Misères, 201 a.
Élan, 201 C. Grandeur, 209 d. d. Modelage, 185 d; 192 C.
250 LA CRÉATION DE L'HOMME
INDEX 251
Modèle, 140 c ; 156 a; 177 d ; Participation, 136 c; 149 b ; Psychique, 256 b. Sens, 152 b; 153 d; 165 d;
229 b. 184 a-b ; 229 b. 168 c; 200 b; 241 d; 252 d.
Moisson, 208 d ; 236 a. Puissance divine, 128 b;
Passion, 164 d; 177 d; 180 185 b-d; 204 d; 212 b; Sensation, 140 a; 145 b;
Mort, 177 d ; 180 b ; 188 b ; b; 192 a-c; 193 d; 232 b- 224 c ; 236 a, 152 b ; 157 b ; 165 d; 176
197 a; 200 a-c-d; 208 a; d: 256 a-co Puissance presciente, 185 a- a-co
236 d. Patriarches, 208 d. Sensible, 232 C.
Mouvement, 128 d; 129 c; b ; 189 C; 233 d.
Péché, 189 a ; 208 c ; 224 b ; Pureté, 137 b; 181 C. Serpent, 197 a; 200 a-b.
165 a; 201 b-c; 205 d; 232 b, Sexes, 177 d; 181 b ; 185 a.
209 b; 213 c; 233 c; Pédagogie, 216 C. Qualité, 209 d. Siècles, 209 C.
237 a; 244 c. Penchant, 189 d. Simple, 200 c; 209. d.
Multiplication, 188 b ; 189 a. Quantité, 209 d; 213 a.
Pensée, 137 c; 177 c; 192 d; Soleil, 201 d.
Musique, 149 c; 152 b. 256 b. Sommeil, 164 b; 165 b;
Mutilation, 256 a. Raison, 137 c ; 144 c ; 145 b ;
Pente, 185 a. 176 a; 177 a; 181 c; 212 169 b.
Mystère, 153 c; 156 b. Perception, 137 d; 152 c; Son; 152 b.
b-c; 237 b-c; 256 b.
209 d. Raisonnement, 128 b; 192 Souffle vital, 229 b.
Naissance, 192 b. Perfection, 256 C. Spirituel, 148 a; 197 d; 212
Nature, 128 c; 137 c; 141 a; d; 209 a; 224 C.
Périssable, 205 C. Rationnel, 232 C. d.
156 b . 160 C' 1f1 c . 165 Permanent, 228 b. Statue, 233 c; 253- C.
. b ; 188 b ; ,229 a; 23'6 b ; Recherche, 209 C •
Pesanteur, 129 c; 213 b. Redressement, 193 c-d. Stature droite, 140 d; 144
237 c; 240 a; 241 d; Pharynx, 149 d.
244 a; 248 d; 252 d; Refroidissement, 237 a. b.
Philosophes de l'extérieur, Relâchement, 165 b. Succession, 189 c; 256 a.
253 d. 144 d ; 177 d ; 224 a; 232 Renouvellement, 205 d. Système nerveux, 168 a.
Nature humaine, 153 c; 181 a; 233 c ; 240 C.
b-d; 204 d. Repos, 128 d.
Physiologie, 156 b. Reproduction, 205 b. Temps, 180 b ; 204 a; 2Q5 c-
Nature rationnelle, 149 a. Physique, 156 b; 161 C; d ;208 a; 209 b.
Nécessité, 196 c; 201 a-c; Résistance, 209 d ; 213 a.
256 b. Respiration, 245 d. Ténèbres, 201 d.
205 c; 208 a; 209 b; Piège, 200 a. Restauration, 212 C; 273 C. Tension, 128 c; 165 b.
212 b ; 236 d. Plaisir, 173 d ; 192 b ; 196 c ; Tentation, 200 b.
Nombre, 204 d ; 205 d. Résurrection, 188 c; 196 a;
197 C; 200 d. , 201 a; 204 a; 209 a; 213 Terme, 189 a; 204 c ; 205 d;
Non-être, 184 d ; 213 c ; 233 Plantes, 145 b. 209 b.
a. c; 221 c; 224 b; 288 C.
Plectre, 149 b ; 1'69 C. Ressemblance, 159 a; 161 c; Terre, 129 b.
Nutrition, .165 c; 169 a; Plein (le), 165 b. Tout (le), 196 d; 204 d; 225
237 c; 248 b; 249 a; 252 b. 177 d; 204 c; cf. image.
Plénitude, 189 c ; 205 b. Retour (au premier état), a; 228 b ; 236 a.
Plérôme, 204 d ; 205 d. 188 c; 189 b; 204 a; Trachée, 149 d.
Obscurcissement, 193 c; 196 Poids, 209 d. Transformation, 209 a, 225 d.
a. 205 C.
Poison, 200 d. Rêve, 164 d; 168 b ; 169 a; Transmission (de la vie), 240
Ombre, 201 d. Poumons, 241 a; 245 C.
Ordre, 144 c ; 145 b ; 148 d ; 173 d. d.
Prédiction, 172 C. Rire, 156 b ; 160 b. Trinité, 140 c:
161 b ; 164 c; 181 c; 201 Préexistence, 229 a. Royauté, 136 b; 144 b.
a; 232 d; 236 d. Prescience, 185 b. Union, 129 a; 173 C.
Organes, 157 b; 176 b; 241 a. Rupture, 161 d.
Procréation, 185 d. Unité, 156 a; 169 a; 176 b.
Origine, 209 b-d; 213 c; Progrès, 236 b ; 237 c ; 256 a. Univers, 125 b ; 132 d; 209
233 d; 236 b. Sadducéens, 188 C.
Propriétés, 213 a. Sagesse, 184 b; 197 b; 201 b ; 212 c; 213 c; 224 d;
Ouïe, 137 c; 140 a. Protection naturelle, 140 d. b; 204 b. 1 225 a; 241 b.
Prolifération, 192 d. Sang, 245 b. Univers (Principes de l'),
Paradis, 196 b-d; 197 c; Propagation, 205 a. 128 c.'
204 a. Sceau, 228 b.
Prophétie, 213 C. Science, 197 C. Universel, 185 b ; 233 C.
Parenté, 225 c. Prototype, 156 a; 161 c;
Parole, 149 d. Sec (le), 241 C.
181 b ; 184 c ; 240 b. Semence, 216 d; 228 c ; 236 Veille, 165 b.
Parole de Dieu, 209 c ; 216 a. Prudence, 193 b. Verbe, 137 b.
a.
252 LA CRÉATION DE L'HOMME
INTRODUCTION. .• . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . • . • . . 5
I. La forme littéraire. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
1. Le symbolisme. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
2. La composition.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .13
II. Les sources philosophiques. . . . . . . . . . . . . . . . . 19
III. La doctrine. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36
1. L'évolution...................... . . . . . 36
2. L' « image de Dieu». . . . . . . . . . . . . . . . . .. . 39
3. La première création. . . . . .. . . . . . . . . . . . . 48
4. L'unité de l'image. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 52
5. La multiplication des individus. . . . . . . . . 54
6. Le mal . .... " ... '" .... , . . . .. . . .. . . . . 59
7. L'apocatastase. '" . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 64
8. Le temps. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
9. La matière.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73
IV. Texte et bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 75
LA CREATION DE L'HOMME. . . . . • . . • . . . . . . . . • . . . . • . . 79
PREFACE. 79
CHAP. I. Quelques considérations sur la nature de
l'univers. Merveilleux récit de ce qui a
précédé la venue de l'homme ....... . 82
CHAP II.. Pourquoi l'homme vint le dernier dans
la création ............. ',' .. ~ ..... . 90
CHAP. III. La nature humaine est ce qu'il y a de
plus précieux dans toute la création
visible ............................ . 92
CHAP. IV. La formation de l'homme signifie le pou-
voir de domination qu'il a sur toutes
choses ........................... . 94
CHAP. V. L'homme est une image de la R.oYauté
de Dieu. , ....................... . 95
CHAP. VI. Examen de la parenté de l'esprit avec la
nature. En passant, réfutation d'une
opinion des Anoméens .............. . 99
TABLE D~S MATIÈRES 255
254 LA CRÉATION DE L'HOMME
Les dispositions animales qui sont en
CHAP. VII. Pourquoi l'homme est sans armes et sans CHAP. XVIII. nous viennent de notre parenté
protections naturelles. . . ........... 102 avec la nature irrationnelle. 167
CHAP. VIII. La raison ~e la stature droite de l'homme. Contre ceux qui font de la nourriture
Les mams ont pour fin le langage. CHAP. XIX. et de la boisson les biens dont nouS
Considérations philosophiques sur la espérons la Jouissance, sous pré-
diversité des âmes ................. 106 texte que l' criture fait consister
radis .. ....................... .
CHAP. IX. L'organisme humain est adapté aux né- en eux la vie originelle dans le Pa-
173
cessités du langage ................. 114
CHAP. X. Activité de l'esprit à travers les sens ... 117 CHAP. XX.
fendu ..........
La vie dans le Paradis et l'arbre dé-
, .............. 176
CHAP. XI. La nature humaine est un mystère .... 121
CHAP. XXI, L'espérance de la Résurrection se
CHAP. XII. Re~herch~s. sur la IO,~alisation de la par- fonde plus encore sur la nécessité
t~e superIeure de 1 ame. Physiologie du de l'ordre des choses que sur les
rIre et des larmes. Considérations ti- paroles de l'Écriture ............. 180
rées de la « Physique » sur les rapports
de la Matière, de la Nature et de l'Es- Contre ceux qui demandent pour-
prit .............................. 124 CHAP. XXII. quoi, si la Résurrection est .un tr~s
grand bien, elle n'a pas lIeu des
CHAP. XIII. Le sOlllmeil. Le bâillement. Les songes. maintenant, mais n'est espérée
Recherches sur leurs causes ......... 135 qu'après la révolution du temps. 183
CHAP. XIV. L'esprit n'est pas dans une partié du Si l'univers a eu un commencement,
corps. Différence entre les mouvements CJl:AP. XXIII. il faut nécessairelllent lui recon-
du corps et ceux de l'âme ........... 146 naître un terme ...' .............. 190
Réfutation de ceux qui tiennent la co-
CHAP. XV. L'âme douée de raison est proprement CHAP. XXIV. existence éternelle de Dieu et de la
« âme » et mérite ce nom. L(;s autres ne matière ................ , .... , .. 194
l'ont que par similitude. La puissance Comment uri incroyant peut être ame-
de l'esprit se répand à travers tout le CHAP. XXV. né à croire ce qu'enseigne l'Écriture.
corps et s'attache aux organes d'une surla Résurreètion .............. 197
façon adaptée à chacun ....... '...... 148
La Résurrection n'est pas du domaine
CHAP. XVI. Considération sur la parole divine: « Fai- CHAP. XXVI. de l'invraisemblable,' ............ 208
sons l'homme à notre image et à notre
ressemblance ». Ce qui est soumis à la Mêllle après le retour du corps hu-
passion et à la mort peut-il ressembler CHAP. XXVII. main aux éléments premIers du
~ l'être qui est dans la béatitude et la tout, chaque être peut tirer à nou:.
lIbert~? C.oII,lme!1t, dans l'image, peut-il veau de la lllasse commune ce qUI
y aVOIr dIstmctIOn en mâle et femelle lui appartient en propre ......... 210
. distinction qui ne se trouve pas dan~
le modèle ? . ..................... 150 CHAP. XXVIII. Contre ceux qui tiennent la préexis-
tence des âmes par rapport aux
CHAP. XVII. Que répondre à ceux qui sont en diffi- corps ou à l'inverse, la formation du
cuIté de savoir comment, si la procréa- corps avant les âmes. Réfutation
tion est une suite de la faute les âmes de ces fictions qui concernent le
seraient venues à l'existenc~ dans 'le passage des âmes d'un corps dans
cas où les premiers hommes se seraient un autre ........... , ........... 216
maintenus hors du péché ............ 162
256 LA CRÉATION DE L'HOMME