Le Concept de Relation Sociale: Guy Bajoit
Le Concept de Relation Sociale: Guy Bajoit
Le Concept de Relation Sociale: Guy Bajoit
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Prise de parole
ISSN
1712-8307 (imprimé)
1918-7475 (numérique)
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Guy Bajoit
Université catholique de Louvain-la-Neuve
1
Types de relations sociales
Pour que les membres d’un collectif quelconque (un pays, par
exemple) puissent continuer à vivre ensemble, à durer dans le
temps comme collectivité, ils doivent pouvoir résoudre les pro-
blèmes vitaux que cette vie commune leur pose, et la résolution
de ces problèmes implique qu’ils se soumettent à des contraintes
communes. C’est, me semble-t-il, en identifiant ces différentes
formes de contrainte et les problèmes qu’elles permettent de
résoudre, que l’on peut formuler une typologie des relations
sociales.
La continuation de la vie commune suppose d’abord une
division des tâches, plus ou moins complexe, entre les membres
du collectif. Il faut donc qu’une partie d’entre eux (appelons-la
classe productrice) se consacre à produire plus de biens qu’elle
n’en consomme (des surplus), pour nourrir ceux qui s’occupent
d’autres tâches, tout aussi indispensables, ou pour se procurer des
biens collectifs. Ces surplus doivent être gérés par d’autres
membres qui décident de leur usage social (appelons-la classe
gestionnaire). Il en résulte une première forme de contrainte, la
puissance : la classe gestionnaire doit avoir la capacité d’imposer
à la classe productrice de produire des surplus, elle doit pouvoir
se les approprier et les gérer. Cette capacité est l’enjeu des relations
de puissance (ou de classes) : les deux classes ont des finalités, des
contributions et des rétributions différentes et leur coopération
engendre des inégalités et de la domination; les gestionnaires
tendent à conserver ou augmenter leur puissance et les produc-
teurs tendent à la contrôler, à la réduire, à l’orienter autrement
ou, parfois, à la détruire.
Pour durer dans le temps, la vie commune suppose aussi le
respect pacifique d’un ordre interne. Il faut donc que certains
membres du collectif (les élites étatiques) se consacrent à édicter
des lois, à les faire respecter (donc à juger les conduites et à punir
les contrevenants) et à gouverner; il faut aussi que l’ensemble du
collectif (ici, la société civile, ou le peuple) se soumette à ces lois
1
Pour plus de détails, voir mon livre Le changement social. Analyse sociologique
des sociétés contemporaines, Paris, Armand Colin, 2003.
ner leurs produits les livres qu’ils publient, les colloques qui les
réunissent, les questions dont ils débattent. La raison générale de
ce mouvement est assez facile à comprendre : le monde social est
en train de changer profondément, les problèmes vitaux de la vie
commune restent les mêmes, mais les solutions que les humains
mettent en place pour les résoudre, ainsi que les croyances
culturelles qui légitiment les contraintes découlant de ces solu-
tions sont en train de changer radicalement depuis quelques
décennies. Dès lors, cela va de soi, les concepts imaginés par nos
illustres prédécesseurs ont besoin d’être repensés, voire abandon-
nés et remplacés par d’autres, mieux adaptés à la compréhension
de la vie contemporaine.
Si l’on voulait retracer, à grands traits, l’historique de cette
évolution récente, il faudrait sans doute remonter à la crise des
années 1970, quand commencèrent à se manifester les premiers
symptômes d’une mutation de nos sociétés. Quelques précurseurs
(à ma connaissance, Daniel Bell, Alain Touraine, Jürgen
Habermas, Anthony Giddens, Charles Taylor…) ont signalé et
amorcé alors le virage que la sociologie allait devoir négocier. Ils
ont aussi « ressuscité » quelques auteurs que la sociologie « clas-
sique » avait négligé (Georg Simmel, George-Herbert Mead,
Alfred Schütz, Norbert Elias…). À leur suite, de nombreux
sociologues ont entrepris de creuser la question, attirant l’atten-
tion :
3
• sur la critique de la modernité , qui serait entrée dans une
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étape marquée par la subjectivité, donc par la réflexivité ;
• sur le temps d’incertitude et de vide culturel que nous
5
étions – que nous sommes toujours – en train de traverser ,
3
Jürgen Habermas, Le discours philosophique de la modernité. Douze conférences,
Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de philosophie », 1988; Alain Touraine,
Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992; Charles Taylor, Le malaise de la
modernité, Paris, Cerf, coll. « Humanités », [1991] 1994; Bruno Latour, Nous
n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La
Découverte, [1991] 1997.
4
Anthony Giddens, La constitution de la société, Paris, PUF, [1984] 1987; Les
conséquences de la modernité, Paris, L’Harmattan, [1991] 1994.
5
Gilles Lipovetsky, L’ère du vide, Paris, Gallimard, 1983; Yves Barel, La société
du vide, Paris, Seuil, 1984.
6
et qui rendent nos sociétés de plus en plus complexes ;
• sur le fait, essentiel, que « la société » ne détermine plus les
conduites sociales aussi directement que jadis, elle est
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devenue « liquide », « gazeuse » même (car tout ce qui,
8
hier, était « solide » « s’évapore aujourd’hui dans l’air ») ,
certains vont jusqu’à dire que cette « société » serait, en un
9
certain sens, devenue inexistante ;
• sur le fait que, dans un tel monde, le social est une
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construction continuelle , que l’acteur y fait donc son
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retour ;
• sur le constat que ces bouleversements nous font entrer
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dans l’ère de l’individu , de l’ego , du narcissisme et
15
même de l’hyper-individualisme contemporain ;
• sur le fait aussi que cet individu a besoin d’être sujet, dans
16 17
un tissu social de communication , d’informations ,
18 19
d’interactions , de transactions continuelles ;
6
Edgar Morin, La complexité humaine. Textes choisis, Paris, Champs Flammarion,
coll. « L’Essentiel », 1994.
7
Zygmunt Bauman, Liquid Modernity , Cambridge, Polity, 2000.
8
Marshall Berman, All That Is Solid Melts into Air. The Experience of Modernity,
New York, Paperback, 1988.
9
Yves Barel, op. cit.; Alain Touraine, op. cit.; Danilo Martucelli, Forgé par
l’épreuve. L’Individu dans la France contemporaine, Paris, Armand Colin,
2006.
10
Peter Berger et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité, Paris,
Armand Colin, [1967] 1996.
11
AlainTouraine, Le retour de l’acteur. Essai de sociologie, Paris, Fayard, 1984.
12
Alain Renaut, L’Ère de l’individu. Contribution à une histire de la subjectivité,
Paris, Gallimard, 1989.
13
Jean-Claude Kaufmann, Ego. Pour une Sociologie de l’individu, Paris, Nathan,
2001.
14
Christopher Lasch, The Culture of Narcissism, New York, Norton Editions,
1978.
15
Marcel Gauchet, La démocratie contre elle-même, Paris, Éditions Gallimard,
2002.
16
Jürgen Habermas, Théorie de l’agir communicationnel. Tome. 1 : Rationalité
de l’agir et rationalisation de la société, Paris, Éditions Fayard, [1981] 1987.
17
Manuel Castells, La société en réseaux, Paris, Fayard, [1996] 1998.
18
Erving Goffman, La présentation de soi, Paris, Minuit, coll. « Le sens com-
mun », [1956] 1973; Les relations en public, Paris, Minuit, coll. « Le sens
commun », [1971] 1973.
19
Jean Rémy, Liliane Voyé et Emile Servais, Produire ou reproduire? Une
Bibliographie
Bajoit, Guy, Pour une sociologie relationnelle, Paris, PUF, 1992.
Bajoit, Guy, Le changement social. Analyse sociologique des sociétés contempo-
raines. Paris, Armand Colin, 2003.
Barel, Yves, La société du vide, Paris, Seuil, 1984.
Blanc, Maurice et alii, Pour une sociologie de la transaction sociale, Paris,
L’Harmattan, 1992.
Blanc, Maurice et alii, Vie quotidienne et démocratie. Pour une sociologie de
la transaction sociale (suite), Paris, L’Harmattan, 1994.
Blanc, Maurice et alii, Les transactions aux frontières du social, Lyon,
Chronique Sociale, 1998.
Bauman, Zygmunt, Liquid Modernity , Cambridge, Polity, 2000.
Beck, Ulrich, La Société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, Paris,
Aubier, [1986] 2001.
Berger, Peter et Thomas Luckmann, La construction sociale de la réalité,
Paris, Armand Colin, [1967] 1996.
Berman, Marshall, All That Is Solid Melts into Air. The Experience of
Modernity, New York, Paperback, 1988.
Castells, Manuel, La société en réseaux, Paris, Fayard, [1996] 1998.
Dubar, Claude, La socialisation. Construction des identités sociales et profes-
sionnelles, Paris, Armand Colin, 1991.