CHARTIER D. & BLANC N. (2008), « Les développements durables de l’Amazonie », in BLANC N & BONIN S. (dir.),
Grands barrages et habitants. Les risques sociaux du développement, Éditions QAUE, Paris, pp. 169-189.
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Les développements durables de l’Amazonie
(Denis Chartier & Nathalie Blanc)
« Écoute, je connais tout [du bassin du Xingu], par exemple, tel fleuve a tel chant, tel autre, a tel autre chant. Je
connais ces choses générales. […] je dis la vérité car c’est mon bien, c’est l’endroit où je suis né. Je dois
préserver cela qui m’appartient. Je suis né et j’ai grandi ici, voyageant. […] Mon père est mort dans un bateau,
en voyageant. Mon frère aussi est mort dans une barque en voyageant. Ils avaient de l’amour pour cela et moi
aussi, j’ai de l’amour pour ce fleuve. […] C’est ma richesse, ma joie, mon loisir, mon investissement, ma
tranquillité est de voyager et servir ici. Tête tranquille à l’air libre. […]. Le Xingu ne réunit pas les conditions
pour mettre un barrage. Je peux aller le dire au Président si c’est nécessaire. Je parle en connaissance de cause.
Ce n’est pas comme beaucoup qui parlent à partir de ouï dire. Je parle parce que j’ai une connaissance du
Xingu, je suis né et j’ai grandi ici ». 19
juin 2005 - Cesa (pilote de bateau)
« Le barrage est une chose qui va nous apporter beaucoup d’ennuis, parce que nous allons perdre notre rivière,
parce que nous allons perdre notre forêt… ce que nous avons ici pour survivre ». 19 juin 2005 - Indien de
la tribu Paquiçamba
« Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, indubitablement, Belo Monte est le projet
d’hydroélectrique le plus parfait du monde, avec un potentiel de 11 millions de kilowatts et un réservoir d’à
peine 400 km2. […] l’impact environnemental est minimum et la production d’énergie électrique extrêmement
peu coûteuse. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes favorable à
l’approbation de ce projet technico-législatif ».
07/07/2005 - déclaration de Nicias Ribeiro, député
PSDB du Pará, au parlement.
Lorsque l’on s’intéresse à l’Amazonie, on sait d’emblée que les enjeux sont locaux,
nationaux, mais aussi internationaux, situation typique des conflits existants lorsqu’il s’agit de
« développer » cette région. Elle est en effet au cœur des débats qui concernent la protection
du climat ou de la biodiversité tout en ayant son « intégrité » menacée par des intérêts
économiques locaux et nationaux, voire internationaux (cf. l’IIRSA, Initiative pour
l’intégration régionale des infrastructures sud-américaines). Travailler sur des politiques
publiques visant à construire des barrages dans cette région est donc très pertinent lorsque
l’on tente de mettre à jour des politiques plus adaptées aux enjeux contemporains.
Si la plupart des recherches focalisent sur les aspects naturels et méconnaissent
significativement les populations humaines, l’enjeu des barrages ne concerne pas seulement la
susdite nature. Il se trouve aussi confronté à l’existence de populations qui en contestent la
pertinence au nom de l’habitabilité des forêts. De fait il existe près d’un million d’indigènes
dans les pays Amazoniens, ce qui représente 376 groupes et une grande diversité linguistique,
religieuse et politique (Droulers, 2004). S’y trouve aussi de nombreux groupes issus des
mélanges et d’un syncrétisme culturel comme les ribeirinhos. Enfin la population urbaine
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s’est considérablement accrue (60% de la population régionale) : les deux plus grandes villes
du bassin, Manaus et Belém comptent plus d’un million et demi d’habitants tandis que
nombreuses villes moyennes se sont développées, pour ne citer qu’elles : Porto Velho, Rio
Branco, etc. (Browder, Brain, 1997)
Plus généralement, en ce qui concerne le développement durable, deux points sont à noter.
Tout d’abord, l’Amazonie est, depuis les années 1970 et parallèlement à la multiplication (par
5 entre 1975 et 2003 : Barretto Filho, 2001) du nombre d’aires protégées de tous types (de la
réserve biologique au parc national), l’objet d’une attention mondiale et d’intérêts
contradictoires, entre préservation et développement. Du côté environnement, le PPG7 (Pilot
program for the Protection of Brazilian Tropical Forests), financé par le G7 et conduit par
gouvernement brésilien, a joué un rôle pilote. Les expérimentations en matière de politiques
publiques de développement durable se sont donc multipliées en Amazonie. Outre de
nouvelles lois environnementales qui procurent un cadre légal pour la mise en place d’une
police environnementale peu appliquée sur cet énorme territoire à défaut notamment de
moyens, on assiste, dès les années 1980, au développement et à la structuration de
mouvements indigénistes, mais aussi de « populations traditionnelles » (cela comprend les
seringueiros, les ribeirinhos etc.) qui ont beaucoup changé la donne politique. Ces groupes
ont su jouer des alliances nationales et internationales, en direction de la protection de
l’environnement ou des droits de l’homme. Ils ont su également, pour certains, développer des
programmes de développement écotouristique ou cosmétique avec l’industrie. Du côté
développement, deux types de politique : les politiques productives et les politiques
pionnières (De Mello, Thery, 2003). En ce qui concerne les politiques pionnières il est évident
que même si l’État n’appuie pas directement les exploitations à l’origine de la déforestation, il
appuie néanmoins la construction des routes, le prix du gazole, et finance des crédits aux
agriculteurs. Du côté productif, l’aménagement des voies navigables pour l’écoulement du
soja (dont l’expansion contribue à la concentration foncière puisqu’il nécessite de grandes
surfaces et de forts investissements) du sud de l’Amazonie, via le fleuve, Santarém et Belém,
elles, vont dans le sens du renforcement de l’intégration du brésil au Mercosul (Marché
commun du Sud). Avec les politiques hydro-électriques, elles tendent à donner leur visage
futur aux fleuves amazoniens.
Ces contradictions expliquent, notamment, la déforestation continue, en particulier dans la
région où se situe le cas d’étude, région où se trouve de nombreuses aires protégées et
réserves extractivistes, au sud du Pará. Déforestation qui s’accompagne de nombreux conflits
dont l’issue, comme dans le Pará, peut être violente : en 2005 une religieuse américaine (et
d’autres) est tuée voulant protéger la mise en place d’une réserve pour des « sans terre ». Le
projet de barrage étudié représente pour ses opposants un risque supplémentaire de
déforestation. Il est vrai qu’il existe une corrélation forte entre projet de développement, ce
qu’est ce projet de barrage, et déforestation.
1.1. Le complexe hydro-electrique de Belo Monte, un projet controversé
Cette recherche porte sur le barrage de Belo Monte ; ce projet, décidé il y a plus de 20 ans,
doit être construit sur le fleuve Xingu, sur la commune d’Altamira, la plus grande du monde
avec ses 130 000 km2 et dont la population est aujourd’hui estimée à 80 000 habitants. Le
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Xingu, fleuve de 1979 kilomètres, situé en Amazonie orientale, est l’un des principaux
affluents de l’Amazone. Il prend sa source dans le centre de l’État du Mato Grosso et se jette
dans l’Amazone, au début de son delta, dans l’État du Pará (cf. carte).
Carte : Le bassin versant du Xingu, entre développement hydroélectrique et conservation
Coulant du sud vers le nord, avec un bassin versant couvrant 531 000 km2 (IRN, 2005), le
Xingu a toujours été une route fluviale importante pour les sociétés indigènes, pour les
conquérants, explorateurs et autres scientifiques européens (Coudreau, 1977). C’est autour du
fleuve également que se sont organisées les missions d’évangélisation et la prélature dès le
19e siècle. Sans doute à cause des fréquentes cascades qui rendent toute navigation continue
difficile, les portions médianes et hautes du bassin sont restées relativement préservées, ce
d’autant plus qu’elles étaient densément peuplées d’indigènes, et sont devenues ensuite des
réserves indiennes. On rencontre en effet une douzaine de sociétés indigènes, avec une grande
variété de sous-groupes Kayapó qui, étant les plus nombreux, contrôlent la majorité des terres
(Little, 2003). La portion inférieure du fleuve a connu une pression démographique plus
importante. On y a très tôt rencontré des villages de pêcheurs, des propriétaires de ranch ou
des chercheurs d’or (Coudreau, 1977). Mais cette occupation de la partie inférieure du bassin
est avant tout liée à l’impact de la construction de la transamazonienne par le gouvernement
militaire (1964-1985) à la fin des années 1970. Cette construction a en effet amené un grand
nombre de nouveaux colons et transformé la région en l’un des fronts pionniers les plus
dynamiques de l’Amazonie, la rapide croissance des villes se trouvant sur cette voie en étant
une preuve parmi tant d’autres.
Le projet de Belo Monte, dont est responsable Eletronorte, est le projet qui succède à celui du
complexe de Kararaô et Babaquara dont la construction fut empêchée, en 1989, suite à une
protestation massive du peuple indigène et de la société civile des communes directement
concernées, et sans doute aussi grâce à la crise financière qu’a connu le Brésil, avec le
gouvernement Color.
1.1.1. Kararaô et Babaquara, Belo Monte Version 1(V1)1
C’est dans les années 1970, sous la dictature et dans le cadre des grands programmes de
développement engagés par l’État brésilien, que les barrages de Kararaô et de Babaquara
furent initiés. Ils faisaient partie d’une étude réalisée par la CNEC (Consortium national des
ingénieurs consultants) à la demande d’Eletronorte et qui visaient l’inventaire des sites
appropriés pour la réalisation d’usines hydroélectriques. En 1979, la CNEC termina son étude
d’inventaire hydroélectrique du bassin hydrographique du fleuve Xingu et déclara viables 6
usines hydroélectriques, cinq sur le fleuve Xingu (Jarina, Kokraimoro, Ipixuna, Babaquara et
Kararaô) et une sur l’un de ses principaux affluents, le fleuve Iriri (Cachoeira seca). Les
réservoirs de ces usines devaient inonder un peu moins de 20 000 km2 d’îles, de forêts
primaires, soit pratiquement la moitié de la surface inondée par l’ensemble des différents
1 Les informations historiques proviennent des interview et documents suivants : Scholz Imme et alii. 2004.
Sevá Fihlo, A. Oswaldo (Eds). 2005 ainsi que de l’interview d’Antonia Mello, représentant le MDTX, réalisée le
17 juin 2005 (le MDTX est un regroupement de syndicats, d’associations, etc. créé à la fin des années 1980 sous
le nom MPST - Mouvement pour la survie de la Transamazonienne).
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réservoirs de tous types du pays (Sevá, 2005 : 14). Ils devaient aussi inonder et affecter de
nombreuses terres indigènes. Cette proposition, conçue sous la dictature, fut portée par le
gouvernement Sarney (1985-1989), premier de la toute jeune démocratie brésilienne. C’est en
effet ce nouveau gouvernement civil qui approuva, en 1987, le plan dénommé 2010. Ce plan,
qui ratifiait et étendait les plans établis sous la dictature, incluait l’implantation des usines
hydroélectriques sus citées, les plus importantes et les premières devant être construites étant
celle de Kararaô et de Babaquara, censées produire à elles seules 70% de l’électricité
potentiellement produite sur le Xingu. Babaquara devait être construit en amont de la ville
d’Altamira. Elle devait avoir une capacité d’environ 6500 MW et avoir un réservoir couvrant,
en période de hautes eaux, 6140 km2. Kararaô (le nom d’un chant de guerre kayapó) devait
être construite après les grande chutes (volta grande) qui marquent un dénivelé de 100 mètres
du fleuve Xingu, dans la commune d’Altamira. Cette usine devait produire entre 11 000 et 5
600 MW, selon la saison, avec un réservoir de 1225 km2 en période de hautes eaux. Cette
première proposition qui devait noyer quelques aires indigènes comme celle de la tribu
Paquiçamba, provoqua une opposition intense des populations locales et des populations
indigènes.
En 1988, deux leaders kayapó (Paiakan et Kube-I), invités pour un congrès aux Etats-Unis
par l’ethnobotaniste anglais, Darell Posey, sont mis au courant, par hasard, du projet de
construction des premiers barrages. Dans les couloirs de la Banque mondiale où se tenait le
congrès, un député leur fit savoir que le gouvernement brésilien venait de demander de
l’argent à la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) pour
construire les barrages. Au sein de la société civile brésilienne, personne n’avait jamais été en
présence de documents formels et officiels annonçant ce projet. L’étonnement fut donc grand
quand Darell Posey et les Kayapó rendirent publique la nouvelle. L’effet de surprise passé,
une résistance aux barrages se mit en place, alliant, ce qui était original pour l’époque, indiens
et environnementalistes. Des organisations telles que la commission Pró-Índio de São Paulo,
le Centre oecuménique de documentation et d’information (CEDI), le Conseil indigéniste
missionnaire (CIMI), le Conseil pastoral de la Terre (CPT), l’évêché (prelazia) du Xingu, se
réunirent pour produire un premier livre dénonçant le projet (Santos & al., 1988). Comme
l’explique le responsable du Conseil pastoral, une telle mobilisation n’aurait pas été possible
si ces organisations n’avaient déjà été structurées : « Ce livre fut présenté lors de cette grande
rencontre avec les indiens Kayapó ici à Altamira. À cette période de 1988 à 1989, les
travailleurs ruraux percevaient également la nécessité de s’organiser. C’est pourquoi il y eut
plusieurs mobilisations avec les travailleurs ruraux. C’est aussi que les Kayapó désiraient
montrer à quel point ils étaient nombreux à vivre dans cette région. Que tout le Xingu était
habité. C’est pourquoi tous les peuples indigènes envoyèrent un représentant à cette
rencontre. Et ce fut la première fois qu’il y eut un discours socio-environnemental par
réaction aux projets d’usage de l’eau pour produire de l’électricité. Ainsi les organisations
s’articulèrent rapidement quand se présenta le projet de Belo Monte. Cependant l’aide du
MAB (Mouvement des atteints par les barrages) a été décisive. » Ainsi il faut reconnaître
l’impact des ONG environnementales et des chercheurs sur ces thèmes reconnus dans la
région et qui ont joué un rôle tant dans la formulation des revendications que dans leur
médiatisation. Dans le même temps, sous l’impulsion des mouvements indigénistes et des
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différentes communautés Kayapó, la première réunion des peuples indigènes du Xingu fut
organisée en février 1989, à Altamira. Furent invités à cette réunion les responsables
d’Eletronorte et quelques officiels du gouvernement fédéral. Cette rencontre, qui unissait
indiens et environnementalistes, réunit environ 1000 indiens, 150 journalistes étrangers, un
grand nombre de petits paysans, des représentants d’organisations environnementales
internationales, de nombreuses organisations locales2, des universitaires et quelques
personnalités, telles la rock star Sting ou l’actrice Lucélia Santos.
Cette rencontre marqua la suspension des premiers projets de barrage. Plus symboliquement,
c’est l’image d’une jeune kayapó criant contre le projet et passant la lame de sa machette sur
le coup du directeur de l’Eletronorte qui eut le plus d’impact. Peu de temps après l’assassinat
du seringueiro Chico Mendes, symbole de la résistance contre la déforestation, à une époque
de grande visibilité des mouvements indigénistes et environnementalistes, la Banque
mondiale retira son financement et Eletronorte dut suspendre le projet. Cet abandon ne sera
cependant que de courte durée.
Dès que la crise financière brésilienne fut passée, Eletronorte repris les études afin de
proposer un nouveau projet tenant compte des critiques de la société civile. La forte
croissance urbaine et industrielle des années 1990, la crise énergétique que connut le Brésil en
2001, firent le reste pour qu’une nouvelle mouture du projet soit approuvée et présentée
comme absolument indispensable au développement du Brésil3. Le projet de Kararaô fut de
nouveau remis à l’ordre du jour en gagnant un nouveau design et le nouveau nom de Belo
Monte.
1.1.2. Belo Monte dernière version
En 1994, le Département national des eaux et de l’énergie électrique (DNAEE) créa un
groupe de travail (Portaria n° 769) composé de techniciens de l’Eletronorte, de l’Eletrobrás et
du DNAEE avec pour objectifs : revalider énergétiquement la configuration prévue dans les
première étude de viabilité, dans l’objectif de confirmer l’intérêt de l’usine de Kararaô ;
actualiser les études environnementales, hydrologiques et de financement ; analyser et
proposer des actions pour la viabilisation socio-économique du barrage (Telles do Valle,
2005, p. 68). De ce groupe de travail, surgit un nouveau projet de barrage qu’Eletrobrás
proposa en 1999 au Ministère des mines et énergies, afin que ce dernier fasse le nécessaire
pour que les études de validations soient effectuées. Ce fut le cas le mois suivant. Une
nouvelle étude de viabilité fut initiée, conclue en février 2002 et présentée à l’Agence
2 L’évêché du Xingu, la CIMI, le Syndicat des travailleurs ruraux (STR), le mouvement pour la survie de la
transamazonienne et du Xingu (désormais dénommé MDTX – mouvement pour le développement de la
transamazonienne et du Xingu), la commission régionale des atteints par le complexe hydroélectrique du Xingu,
ou encore, la fondation Chico Mendes.
3 En 2001, suite à une déficit hydrique dans les régions non amazonienne et la partielle privatisation du secteur
électrique ayant entraîné une baisse des investissements, les pays connu une grave crise énergétique. Le
gouvernement demanda aux consommateurs (privés, commerciaux, industriels) de réduire leur consommation de
20%, un système de rationnement étant été mis en place en attendant le remplissage des réservoirs. Cette crise
remit en avant la nécessité de construire de nouveaux barrages, en particulier en Amazonie où le manque d’eau
de se fit pas sentir pendant cette période.
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nationale à l’énergie électrique (ANEEL, successeur de la DNAEE), qui la classa « en
analyse ».
Les modifications apportées au projet ont été conséquentes. Le barrage de Belo Monte se
situe maintenant après les grandes chutes (volta grande), approximativement à l’endroit où la
transamazonienne croise le Xingu. Afin de minimiser les impacts environnementaux et
d’éviter de noyer l’aire indigène de Paquiçamba, un autre barrage (Pimental) doit être
construit en amont des chutes afin de détourner la rivière grâce à la construction de trois
canaux. Deux d’entre eux ont pour principale fonction de détourner le fleuve afin d’amener
l’eau jusqu’au barrage de Belo Monte, où se trouvent les turbines. La construction d’un autre
canal à écluses permet quant à lui de rendre navigable cette partie du fleuve et d’intégrer un
peu plus le bassin versant du Xingu au reste du territoire brésilien. Avec ce nouveau projet, le
réservoir ne sera plus que de 400 km2. Le potentiel de l’usine est, selon Eletronorte, d’une
moyenne de 6289 MW/mois et a un potentiel de 11 182 MW. Pour atteindre ce potentiel toute
l’année, il faudrait cependant construire un autre barrage en amont du premier complexe
(ancien projet Babaraqua dénommé aujourd’hui Altamira). Les coûts prévus pour la
construction sont d’environ 6,5 millions de dollars US, 3,7 millions étant dévolu à la
construction de l’hydroélectrique, 2,8 pour construire les connections visant à transmettre
l’énergie au réseau national (Scholz & al, 2005)4. Notons que selon la loi, une telle
proposition devait être faite suite à un nouvel inventaire du potentiel hydroélectrique du
Xingu. Ce nouvel inventaire n’ayant jamais été réalisé, il est facile d’estimer que Belo Monte
s’insère toujours dans le projet de construction de 6 usines, contrairement à ce qui est annoncé
par les membres d’Eletronorte et compte tenu du fait que d’autres barrages conditionnent la
potentialité du premier (ibid.) (cf. carte).
Quoi qu’il en soit, et toujours selon Eletronorte, ce nouveau projet devrait affecter une
population moindre et être exemplaire écologiquement. Il devrait aussi, grâce à un plan
d’intégration régional prévu et financé sur 25 ans par Eletronorte, avoir un impact positif sur
le développement durable de la région. Bien entendu, ce projet a été très fortement critiqué
par la société civile locale qui a réussi de nouveau à bloquer son avancement, grâce à l’aide
du Ministère public fédéral5 (MPF).
En 2000, Eletronorte avait en effet engagé un processus de validation environnementale du
projet en faisant appel au Secrétariat exécutif des sciences, technologies et environnement
(SECTAM), organisation de l’État du Pará. Dans le même temps, elle contracta, pour près de
4 millions de réais, avec une organisation de droit privé liée à l’Université fédérale du Pará, la
Fondation d’appui et de développement de la recherche (Fadesp), pour réaliser l’étude et le
4 D’autres sources donnent le chiffre de 13 millions de dollars pour couvrir les frais du barrage (Pontes & al,
2005).
5 Le ministère public (MP) est une institution indépendante des trois pouvoirs (exécutif, judiciaire et législatif)
qui agit au nom du peuple et de l’intérêt public avec comme responsabilité l’ordre légal. Il est subdivisé en
organisations étatiques et fédéraux, indépendantes les unes des autres, mais responsables conjointement du
respect des lois sociales ou environnementales. Le Ministère public fédéral dispose de représentations propres
dans tous les États et l’étatique, dans le cas du Pará, d’un représentant dans chaque commune. En cas
d’identification d’une situation illégale, le MP peut obliger toutes les autres organisations publiques de même
niveau administratif à prendre les mesures adéquates (Scholz & Al, 2005).
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rapport d’impact environnemental (EIA/RIMA). L’objectif d’Eletronorte était d’obtenir
l’autorisation environnementale le plus rapidement possible pour commencer la construction
du barrage avant les élections présidentielles de 20026. Ceci était illégal, principalement pour
deux raisons.
Comme le projet de barrage touchait des aires indigènes (cf. carte), l’approbation du congrès
était nécessaire. Il lui fallait autoriser l’exploitation des ressources hydriques en aires
indigènes et, en conséquence, les dépenses de fonds publics dans l’EIA/RIMA (article 231,
paragraphe 3 de la constitution fédérale brésilienne). La deuxième raison tenait au fait que
seul l’Institut brésilien de l’environnement et des ressources naturelles (IBAMA) était habilité
à donner l’autorisation environnementale. En effet, lorsqu’un projet est d’importance supra
régionale, comme c’est le cas ici car le fleuve traverse deux États, et du fait que l’entreprise
exécutrice était une organisation fédérale, seul l’IBAMA peut donner l’autorisation (article 4
de la résolution 237/97 de la CONAMA). Ayant relevé ces infractions à la loi, des membres
de la société civile en appelèrent donc au Ministère public qui entra en action civile contre
Eletronorte. Tous les vices de formes sus cités furent admis en troisième instance et les
recours juridiques d’Eletronorte furent récusés. L’étude d’impact environnemental fut donc
interrompue.
Ces derniers événements et l’arrivée au pouvoir du parti des travailleurs, en 2003, parti
traditionnellement opposé au projet, et auquel la société civile et les chercheurs opposés au
projet de barrage étaient liés pouvait laisser penser que le projet serait définitivement
abandonné. Il n’en fut rien7. Le projet de Belo Monte fut intégré au plan pluriannuel
d’investissement 2004-2007 du nouveau gouvernement et en juin 2005, la réalisation de Belo
Monte fut votée par le congrès (décret n°788/2005) en moins d’une semaine, fait très rare.
La construction du barrage peut donc être réalisée dès que les études de viabilité technique,
environnementale et anthropologique seront finalisées. Quelques jours après l’annonce du
vote des deux chambres, plusieurs organisations de la société civile ont dénoncé ce vote et se
sont tournées vers le Procureur général de la république. L’Institut socio-environnemental
(ISA), la Coordination des organisations indigènes de l’Amazonie brésilienne (COIAB),
Greenpeace et le Forum Carajás s’appuient en effet sur le fait que le congrès a autorisé les
études préliminaires de faisabilité sans entendre les populations qui seront affectées par le
barrage et, plus spécifiquement, les populations indigènes, alors que la constitution l’impose.
La réalisation du barrage reste donc au cœur des débats et les protagonistes ou les opposants
au barrage sont toujours fortement mobilisés, selon des modalités qui ont malgré tout quelque
peu changé, par rapport aux luttes des années 1980. L’arrivée du Parti des travailleurs au
gouvernement a conduit une partie des membres de la société civile, traditionnellement contre
6 Comme le gouvernement de l’État du Pará était en faveur du projet, Electronorte avait estimé qu’elle pouvait
s’assurer l’obtention de la licence environnementale en faisant appel à une organisation publique de l’État.
7 Dans un discours de prise de fonction en tant que Ministre des mines et de l’énergie, Silas Rondeau, président
de l’Eletronorte entre février 2003 et mai 2004, a prétendu vouloir accélérer le plan de construction de l’usine
hydroélectrique de Belo Monte et de l’usine du fleuve Pará (Rondônia), afin de garantir l’augmentation de
l’offre dans le pays (Eletronorte, 2005).
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le barrage, à se montrer favorable à la nouvelle proposition. La forte pression d’Eletronorte,
ayant ouvert un centre culturel à Altamira et finançant massivement le consortium de Belo
Monte réunissant des associations et des communes favorables au barrage, a aussi joué un
rôle dans le retournement d’une partie de la société civile, aujourd’hui divisée au sujet de
l’ouvrage. Les populations amérindiennes sont aussi beaucoup moins présentes dans les
nouvelles revendications. C’est en particulier dû au fait que les groupes les plus affectés par la
nouvelle version du projet sont petits et politiquement très faiblement articulés, voire divisés,
suite aux diverses promesses d’Eletronorte. Au final, les débats sur les bienfaits et les méfaits
du projet sont plus que jamais d’actualité, chaque partie ayant sa version des impacts et autres
conséquences du futur barrage.
Il est à noter ce fait remarquable que l’État fédéral garant du respect de l’environnement et en
lutte historiquement avec des gouvernements locaux plutôt prédateurs se trouve maintenant au
contraire opposé à des associations qui avaient fourni sa base à l’origine de politiques
publiques plutôt innovantes (Little, 2004). Tout d’abord, au delà des différentes réserves, le
report du projet est entièrement dû aux associations et à leur capacité d’alliance avec des
porteurs de thématiques à haute visibilité dans le contexte Amazonie : les
environnementalistes. Cependant, la pression est d’autant plus forte que l’enjeu est national
voire international.
1.1.3. Les deux versions du nouveau projet, selon Eletronorte, et selon la société civile
La plupart des arguments en faveur du barrage sont contredits par les opposants au barrage,
que l’on s’intéresse à la viabilité économique, sociale ou environnementale de l’ouvrage.
Selon Eletronorte, le nouveau barrage produira en moyenne 6289 MW/mois et a un potentiel
de 11 182 MW pendant la saison des pluies (de décembre à mai) (Eletronorte, 2001). Ces
données sont fortement critiquées par certains chercheurs et les membres de la société civile.
Une simulation des potentiels hydroélectriques des usines avec les débits du fleuve relevés à
Altamira entre 1931 et 1996 a été réalisée grâce au modèle Hydrolab. Les auteurs de cette
étude montrent que, sans la construction d’un autre barrage en amont d’Altamira (ancien
projet Babaquara désormais appelé Altamira), le potentiel de l’usine de Belo Monte serait
bien inférieur à celui prévu et, vu l’investissement, peu viable économiquement. Même avec
les deux usines, le potentiel assuré serait de 7950 MW ou de 12090 MW selon les différentes
versions existantes de Belo Monte, alors que les prévisions d’Eletronorte sont de 17 772 MW
(Sevá, 2005 : 148).
Du point de vue environnemental, le barrage est présenté comme presque parfait par certains
membres d’Eletronorte qui se positionnent en disant qu’ils ne commettront pas les mêmes
erreurs que dans le cas des précédents barrages construits, tel que celui de Tucuruí, archétype
du projet désastreux écologiquement et socialement. L’un des premiers arguments des
techniciens en faveur du barrage est que celui-ci s’insère parfaitement dans un modèle de
production d’énergie renouvelable. Plus spécifiquement, dans le contexte du réchauffement de
la planète, ce barrage est présenté comme ne produisant pas de gaz à effet de serre. Si cela est
vrai pour certains ouvrages, il en est tout autrement dans les pays tropicaux où il est prouvé
que les émissions produites par les grands réservoirs tropicaux peuvent être comparables,
voire supérieures, à celles d’une usine de production d’énergie à énergie fossile (Fearnside,
CHARTIER D. & BLANC N. (2008), « Les développements durables de l’Amazonie », in BLANC N & BONIN S. (dir.),
Grands barrages et habitants. Les risques sociaux du développement, Éditions QAUE, Paris, pp. 169-189.
Draft de l’article dans sa dernière version avant publication
2005). Il semble que le projet de Belo Monte soit dans ce cas de figure, en particulier si ce
premier barrage s’accompagne de la construction de celui d’Altamira (ex-Babaquara) qui
devrait avoir un réservoir de 6140 km2. Le niveau des eaux y variant chaque année de 23 m,
une aire de 3580 km2 sera tous les ans découverte. Une végétation herbacée y pousserait et se
décomposerait, tout comme les arbres noyés, avec la remontée périodique des eaux, ce qui
produirait des gaz à effet de serre (ibid.). Globalement, les études montrent que dans le cas de
la construction du complexe hydroélectrique Belo Monte/Altamira, il faudrait 41 ans pour que
le complexe ait un solde positif en termes d’impacts sur l’effet de serre, et ce avec les calculs
les plus favorables (ibid. : 238). Du point de vue de la biodiversité écologique, l’assèchement
de l’écosystème des cascades de volta grande et l’inondation en amont du barrage, ajoutera au
risque de disparition de nombreuses espèces. Ces chutes et les variations annuelles du débit
du fleuve font de cette région du bassin un écosystème unique où des espèces de poissons
endémiques se sont développées. Cet endémisme vaut aussi pour de nombreuses espèces
animales et végétales rencontrées dans les forêts alentours, forêts qui, si elles ne sont pas
noyées, pourraient connaître une pression anthropique supérieure due aux délocalisations de
populations provoquées par le barrage.
Du point de vue des impacts sociaux, Eletronorte affirme que seulement 550 familles
(incluant 200 familles indiennes) seront directement touchées par le barrage de Belo Monte,
alors que seulement quelques milliers seront indirectement affectées. C’est l’ampleur de ces
atteintes indirectes qui posent le plus de problèmes. Trois petits groupes indigènes qui
habitent sur les grandes chutes (Xipáya, Kuruáya et Arara, soit 98 personnes) et les Juruna de
la tribu Paquiçamba (73 personnes), risquent de perdre l’accès à la rivière à cause du
détournement opéré en amont des chutes. Les Xikrin de la terre indigène Trincheira Bacajá
(390 personnes) risquent quant à eux d’être négativement affectés par la montée des eaux
causée par le barrage prévu sur la rivière Bacajá (Little, 2003 : 14-15). En plus de ces
derniers, environ 300 personnes sur la commune d’Altamira ou de Vitória do Xingu vont
devoir être relogées à cause des impacts du barrage. Notons aussi que la commune d’Altamira
risque de passer de 80 000 habitants à 200 000 habitants en très peu temps, alors que celle de
Vitória do Xingu passera de 11 000 à 60 000. Il est bien entendu que ces soldes migratoires
excédentaires sont perçus comme très négatifs par les opposants au barrage. Hormis les
impacts urbanistiques et sociaux d’une telle arrivée de population, il est en effet facile
d’estimer qu’une fois la source d’emploi du barrage tarie, bon nombre des ouvriers iront
tenter leur chance dans l’intérieur, ce qui augmentera le nombre de conflits agraires et la
pression anthropique sur les écosystèmes de la région. C’est ce qui s’est passé à la suite de la
construction de la plupart des autres barrages. C’est ce qu’envisagent les opposants au barrage
et c’est ce que souhaitent empêcher les promoteurs du barrage. Ils estiment pouvoir le faire
grâce aux 3 millions de dollars offerts par Eletronorte pour mettre en œuvre le plan
d’intégration régional qui comprend un plan de développement durable, et qui
accompagnerait la construction de l’usine hydroélectrique.
1.2. Le développement durable en question : une conception du territoire fluvial
Ce Plan d’intégration régionale est un des arguments forts des promoteurs du barrage, pour
prouver que celui-ci s’insère dans une dynamique de développement territorial. Bon nombre
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des opposants au barrage ne croient pas en ce projet. Ils pensent tout d’abord qu’à l’instar
d’autres, il ne sera jamais mis en place. Ensuite, ils ont une autre conception du
développement durable, un développement durable incompatible avec la construction du
barrage. Cette vision du développement est, sans nul doute, ce qui constitue la plus grande
différence entre les deux groupes s’opposant en ce qui concerne le barrage de Belo Monte
(Scholz & al., 2004).
Les opposants aux barrages disposent d’une bonne connaissance des impacts sociaux,
économiques et écologiques de la centrale hydroélectrique. Ces militants en ont conclu que
son impact sur le développement local sera mineur, voire qu’elle aura un impact négatif. Ils
estiment, en effet, que le projet n’aura pas de retombées locales ; les bénéfices attendus seront
essentiellement redistribués à l’échelle nationale ou encore exportés en direction de
l’international via l’emploi de l’énergie par l’industrie. Par conséquent, et compte tenu de
l’ampleur attendue des impacts sociaux et environnementaux, rien ne justifie localement ce
projet. Selon eux, le développement durable se fera dans la région, sans le barrage.
Les personnes et personnalités favorables à la construction du barrage croient, au contraire,
que des investissements d’Eletronorte dans les infrastructures sociales et économiques
peuvent éviter les impacts économiques et sociaux négatifs ; ainsi en serait-il de l’exode rural
ou de la surcharge attendue des services sociaux de base associée à un excédent du solde
migratoire. Ces derniers pensent même que la construction du barrage, aux impacts
environnementaux minimes, contribuera au développement économique de la région. Pour le
maire Eraldo Pimenta, Président du Consortium de Belo Monte, ce projet permettra de rendre
cette région « vivable, génératrice d’emplois et de revenus pour cette population pauvre et
jeune qui a désormais besoin de nouveaux horizons » (Anonyme, 2005).
1.2.1. Le développement durable de la région, selon la société civile opposée au barrage
Le MDTX regroupe 114 groupes de bases en provenance des communes situées le long de la
transmazonienne et du fleuve Xingu. La société civile de la région du Xingu moyen et bas a
présenté au gouvernement brésilien une alternative de développement sous la forme d’une
proposition de réorganisation foncière visant à empêcher le progrès de la déforestation dans la
région. Il s’agit d’implanter une mosaïque d’unités de conservation de toutes natures dans la
partie basse du bassin du Xingu (Réserves extractivistes8, parcs nationaux, forêts nationales et
aires de protection environnementale). L’étude a été conduite par l’ISA et le Programme des
actions stratégiques pour l’Amazonie brésilienne (PRONEAM). Elle vise à préserver la région
de la déforestation liée à l’exploitation forestière, l’élevage extensif et l’expansion de la
culture du soja. Cette proposition de mosaïque est à la base d’un nouveau modèle économique
de développement territorial régional, censé garantir les services environnementaux de la
forêt, tout en permettant un usage rationnel de cette dernière par les communautés et petits
paysans locaux. Ce modèle est basé sur la promotion et le développement d’un usage durable
8 Les réserves extractivistes sont des aires protégées fédérales qui concèdent les droits exclusifs d’exploitation
aux populations résidentes, principalement des collecteurs de caoutchouc ou des cueilleurs de noix, alors que le
titre de propriété foncière reste aux mains du gouvernement fédéral. L’exploitation de la réserve par la
population extractiviste locale est guidée par un plan dans lequel le gouvernement fédéral et la population locale
se montrent responsables de la co-gestion de la réserve.
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Grands barrages et habitants. Les risques sociaux du développement, Éditions QAUE, Paris, pp. 169-189.
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de la forêt et du fleuve fondé sur des unités de production familiales et communautaires. La
promotion de l’agriculture familiale et des réserves extractivistes est censée ici donner une
nouvelle impulsion à la région tout en créant une mosaïque de territoires entièrement protégés
(Da Silva, 2005).
1.2.2. Un plan d’insertion régional, le développement durable selon Eletronorte
En avril 2002, le Ministère des mines et énergies, Eletrobrás et Eletronorte ont proposé leur
plan d’insertion régional pour accompagner l’implantation de l’usine hydroélectrique de Belo
Monte (Eletrobrás & al., 2002). Le Plan d’insertion régional a été élaboré pour tenter de
rompre avec l’économie d’enclave fréquemment associée aux projets d’exploitation des
ressources naturelles traditionnellement conçus pour l’Amazonie. La volonté affichée des
auteurs de ce rapport est que le projet de Belo Monte rompe avec cette tradition et qu’à
l’inverse, il contribue effectivement au développement durable de la région, compris comme
une conservation environnementale en équilibre et en harmonie avec une recherche
d’efficacité économique et d’équitabilité sociale (ibid.).
Ce rapport est surtout concentré sur les questions économiques et sociales : ses auteurs
attendent les résultats de l’étude d’impact environnemental pour affiner les propositions de
préservation de la nature. Ce plan d’insertion comprend un plan de développement durable
associé au projet de barrage de Belo Monte (ibid. : 37). Plusieurs éléments sont valorisés,
principalement : la durabilité environnementale, l’équité sociale, la démocratie politique et la
croissance économique. Ces principes sont traduits en objectifs régionaux pour le
développement en les termes suivants : provoquer un développement économique durable,
combattre la pauvreté et l’exclusion sociale, augmenter la compétitivité, la verticalisation et la
diversification de la base productive, améliorer la qualité de vie de tous les membres de la
communauté régionale et valoriser et étendre la capital social. De là, cinq lignes d’action sont
tracées : produire un développement éducatif et culturel pour tous ; construire et consolider la
compétitivité régionale, renforcer les institutions publiques, implanter une gestion
environnementale efficace et améliorer le développement local. Ces différentes stratégies sont
découpées en 15 programmes et 91 projets tournés vers la réalisation d’un développement
durable qui part du principe que l’assèchement (estancamento) économique est facteur de
pauvreté et de dégradation environnementale. Il faut donc favoriser la croissance économique,
croissance qui doit se baser sur un usage efficace de l’énergie et des ressources naturelles, en
même temps qu’elle doit compter sur l’augmentation de la productivité (ibid. : 42). Le
renforcement de la production, l’augmentation de la demande, l’amélioration des
infrastructures sont les éléments les plus importants du développement, développement
consolidé et provoqué par la construction du barrage de Belo Monte. Notons que ce rapport
est l’un des arguments forts du principal acteur de la société civile faisant la promotion du
projet, le Consortium Belo Monte, association de communes de la transamazonienne et du
fleuve Xingu financé et soutenu par Eletronorte pour convaincre la population des bienfaits
futurs et du rôle crucial que jouerait le barrage pour le développement futur de la région.
Deux conceptions du développement durable territorialisés
De manière synthétique, l’on peut dire que le développement durable qu’envisage la société
civile (version des opposants au barrage) revient à un développement et une production qui
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prenne comme limite l’écosystème et qui, par conséquent, puisse être envisagé sur la longue
durée. C’est la capacité de reproduction des espèces vivantes et des écosystèmes exploités qui
détermine la production, la durabilité impliquant que le processus ne puisse être maintenu
qu’à certaines conditions, données de l’extérieur par les mesures conservationnistes.
La population est un point crucial de ce développement écologiquement respectueux. En effet,
elle apparaît comme la pierre de touche d’un développement axé sur la préservation des
activités en prise directe avec l’écosystème ; ainsi en va-t-il des ribeirinhos qui vivent
traditionnellement et principalement de la pêche, de la chasse et d’agriculture sur brûlis, sur le
bord des fleuves ou, encore, de certains indiens qui vivent selon les mêmes modalités. Ils ont
développé des modes de vie qui combinent extraction et pratiques agricoles, le poisson étant
l’une des principales ressources en protéines. C’est également un territoire traditionnel pour
les indiens Kayapó et la ressource qu’il constitue, comme voie d’eau, comme lieu de pêche,
comme axe structurant, est incontestable au point de devenir un objet de politique publique à
partir du moment ou un projet comme le barrage fait disparaître des ressources territoriales au
profit de la ressource hydrique. La préservation des modes d’habiter est donc au cœur des
mouvements de lutte contre le barrage ; c’est bien au nom de ceux-ci, de leur légitimité, et
surtout de leur pertinence écosystémique (puisqu’ils ne sont pas prédateurs) apparue avec la
montée en puissance de la question environnementale en Amazonie que plusieurs
mouvements, celui des indiens, des ribeirinhos et même des petits paysans se sont rencontrés,
à la fin des années 1980.
Développement durable est ici synonyme de prise en compte de l’existant et d’une économie
tournée vers son maintien respectueux dans le temps et dans l’espace. Le fleuve joue un rôle
incontestable dans cette revendication. Ces luttes ont permis de renforcer cette vision du
territoire comme un fleuve avec des gens qui vivent autour. Cependant, cette population
locale est limitée. Ce ne sont ni les fazendeiros favorables au projet, ni les commerçants qui le
sont également. C’est un local qui se satisfait de l’être. Pour les développeurs, qui sont
favorables au barrage, le développement durable n’est qu’une autre façon de parler du
développement « traditionnel ». Ce n’est pas la survie des écosystèmes qui définit les limites
du développement, mais le développement qui conditionne la survie des sociétés. Pour ces
derniers, seul le développement peut briser le cercle vicieux du dénuement qui cause la
dégradation écologique entraînant à son tour une pauvreté accrue. Ce dont souffre la région
d’Altamira et donc l’Amazonie et le Brésil, c’est d’un manque de développement. Si certaines
des personnes interviewées reconnaissent la nécessité de préserver les ressources naturelles en
prévoyant un volume de production qui soit supportable pour l’écosystème, ces personnes
s’appuient sur un modèle de développement synonyme de croissance économique et visant à
réduire la pauvreté et maintenir la stabilité des écosystèmes. C’est ce modèle qui
historiquement et paradoxalement « n’a fait que creuser l’écart entre les riches et les pauvres
et a mis en danger l’environnement à cause de rythmes différents de croissances déterminés
par l’usage de ressources constituées tantôt de flux et tantôt par des stocks » (Rist, 1996 :
315). On trouve présent dans la bouche des défenseurs du projet de Belo Monte tout ce qui a
fondé le paradigme développementaliste depuis la fin de la seconde guerre mondiale : une
définition du sous-développement comme un état de manque plutôt que comme le résultat de
circonstances historiques, une assimilation des sous-développés aux pauvres, sans s’interroger
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Grands barrages et habitants. Les risques sociaux du développement, Éditions QAUE, Paris, pp. 169-189.
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réellement sur les raisons de leur dénuement, pour finalement proposer la seule réponse
possible à tous ces maux : une aide technique, financière et la croissance.
Sur un plan général, ce cas d’étude montre bien qu’il existe deux populations locales dont
l’une cherche à préserver son écosystème et l’autre à l’exploiter. Ou plutôt disons que leur
conception de l’exploitation de la ressource n’est pas fondée sur le même type de marché :
local ou national voire international.
L’argument du local, utilisé par tous les acteurs, doit donc être manié avec parcimonie et
dépend finalement de la « légitimité du local » que revendiquent ou non les acteurs en
présence. Avec le MDTX, et dans ce cas précis, il semble que l’on fasse de l’action locale un
principe de l’action globale, ne serait ce que par le fait que leurs luttes peuvent articuler les
échelles entre elles ; du local au global. Il n’en demeure pas moins une forte opposition entre
intérêts nationaux et locaux à court terme.
S’il émerge deux définitions antagonistes du développement durable, notons que dans les
deux cas, le projet de construction du barrage et la réappropriation du bassin a conduit les
différents protagonistes à penser en termes de développement territorial du bassin du Xingu.
Que les acteurs soient ou non des usagers du fleuve, tous sont arrivés à penser au
développement du bassin. Les luttes ont ici clairement amené une « pensée territoriale
nouvelle ».
Pour les opposants au barrage, souvent usagers directs du fleuve comme voie de transport ou
source d’alimentation et de loisir, l’alternative passe par une proposition de développement
territoriale du bassin lui-même. Pour les protagonistes du barrage, usagers moins fréquents du
fleuve, l’utilisation du fleuve comme ressource passe aussi par un projet de développement
territorial d’une partie du bassin. Cependant, dans leur bouche, le développement durable de
ce bassin passe d’abord par l’alphabétisation des populations. Dans les deux cas, on note
l’évolution qui a conduit les protagonistes de ce projet à évoquer des projets de
développement durable territorialisés, la partie inférieure du bassin du fleuve étant ici l’unité
territoriale de base. Faut-il alors penser que les politiques de gestion décentralisée de l’eau qui
prennent en compte le bassin versant, en vigueur au Brésil depuis 1997, sont une solution
pour penser le fleuve comme ressource territoriale ? Cela dépend bien évidemment de la place
accordée aux populations locales : la ressource territoriale est évidemment liée à l’importance
donnée aux relations des populations avec leur environnement.
1.2.3. Gestion décentralisée des eaux : une étape ?
Comme l’explique Guy Meublat (2001) la réforme de la politique de l’eau au Brésil s’inscrit
clairement dans un processus de réaction à une dictature militaire qui, dans ce domaine
comme dans d’autres s’était illustrée jusqu’en 1983 par son goût pour la centralisation et les
grands travaux. Elle se présente donc comme un développement de la démocratie et c’est la
caractéristique décentralisatrice du modèle français et sa dimension participative sous forme
de « comité de bassin » qui a influencé le choix des acteurs de l’eau brésiliens.
De fait, la loi sur l’eau de 1997 impose normalement une forte participation des populations
locales dans les gestions des fleuves. Plus spécifiquement, la société civile a aujourd’hui la
possibilité de prendre part à la gestion des fleuves grâce aux comités de bassin, institutions
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qui font désormais partie de l’arsenal juridique national (articles 37 à 40 de la loi 9433/97 et
résolution n°5 du 10/04/200, du conseil national des ressources hydriques). Bien qu’implantés
dans beaucoup de régions du Brésil, aucun de ces comités n’a vu le jour en Amazonie. La
première raison tient sans doute à la taille des bassins versants amazoniens qui rend difficile
et précaire la mise en place et le fonctionnement de tels comités. Le deuxième élément
explicatif tient au fait que les fleuves amazoniens sont encore aujourd’hui perçus par l’État
fédéral plus comme une ressource en eau que comme une ressource territoriale, ce qui
correspond à la tradition de conquête brésilienne.
Quoi qu’il en soit, ces comités de bassin sont désirés, principalement par les opposants au
barrage qui les perçoivent comme un outil susceptible d’ouvrir le dialogue avec l’État et les
intérêts privés dans la gestion des bassins versants. Plus spécifiquement, de nombreuses
personnes interviewées à Altamira pensent que ces comités de bassin pourraient aider à la
mise en place du projet alternatif de développement durable axé sur la mosaïque d’aires
protégées. Ces comités de bassin sont donc perçus comme un lieu où les alliances entre
société civile et État pourraient aider à la mise en place des politiques publiques. Qu’en est-il
exactement ?
Il semble que le pouvoir de la société civile (mais de quelle société civile parle-t-on alors ?)
soit très faible au sein des comités de bassin déjà en vigueur. Christian Caubet (2004) montre,
en effet, que la répartition des sièges au sein des comités n’est pas favorable à la société
civile. Celle-ci dispose de 20 % des sièges, contre 40 % aux membres du pouvoir exécutif et
40% aux usagers (ce qui semble être synonyme de pouvoir économique). Penser que le
comité de bassin est un outil de mise en place de politiques alternatives de développement
durable, c’est postuler une certaine neutralité de l’État qui pourrait conduire à une alliance
entre société civile et pouvoir exécutif. Or aux Suds et dans le contexte économique et social
contemporain, cette alliance ne se vérifie que très exceptionnellement, les intérêts
économiques prenant souvent le pas sur tout le reste. En outre, et on a pu le vérifier en ce qui
concerne Belo Monte, il est important que cette société civile soit à l’abri des pressions ;
Eletronorte a tout mis en œuvre, y compris financé et installé un groupe électrogène aux
indiens de la tribu Paquiçamba, pour faire pression et emporter l’adhésion de la société civile
locale.
Une solution souvent préconisée, en particulier par les chercheurs, repose sur une alliance
entre l’État, la société civile et le secteur privé. Cela pourrait aussi bien augmenter la capacité
d’action de l’État. Cela suppose juste une société où il n’existe pas de collusion entre les
intérêts de l’État et ceux du secteur industriel et privé. Il est évident qu’au Brésil au moins,
rien ne permet de l’affirmer. Récemment encore, le parti des travailleurs (PT) que l’on croyait
à l’abri, s’est révélé très compromis, y compris en Amazonie, dans des affaires de
déforestation. De fait, il s’avère que les intérêts économiques sont tels et aux mains de tels
groupes de pression que les règles du jeu démocratique sont souvent faussées. Cet élément de
réflexion doit contribuer à la mise en place de politiques publiques plus efficaces. La société
civile et sa participation aux instances de gestion et de projet comme les comités de bassin,
dans la mesure où elle est effective peut s’avérer garante en parti du respect de ce jeu
démocratique et d’une certaine transparence des processus. Notons cependant l’ambiguïté du
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terme société civile qui comprend aussi bien les commerçants que les paysans, notons aussi
les risques de manipulation des susdits membres (Melo, 2005).
Cette contradiction n’a pas échappé à certains membres de la société civile qui souhaitent
demander la création d’un comité de bassin après avoir obtenu une plus grande parité entre
société civile et pouvoir économique et exécutif9. Sans doute faudra-t-il aussi en ce qui
concerne l’Amazonie, et ses bassins hydrographiques gigantesques, déterminer des aires qui
correspondent plus à des milieux de vie. Il s’agit de découper la gestion des bassins en
plusieurs territoires homogènes politiquement et culturellement.
*
*
*
L’analyse des luttes menées autour du projet de barrage de Belo Monte, sur le fleuve Xingu,
montre que le fleuve apparaît de plus en plus comme un outil de développement territorial et
durable. Qu’ils soient pour ou contre l’implantation du barrage, la plupart des acteurs
déploient en effet une « pensée territoriale nouvelle » visant au développement durable du
bassin du Xingu. Dans un contexte de mise en place de politiques décentralisée de gestion de
l’eau, dans un contexte de renouveau du politique porté par des alliances originales entre
société civile et État-nation, le fleuve et son territoire occupent une place essentielle qui
permet d’envisager des politiques publiques environnementales novatrices dont les agences de
bassin seraient un élément clef. Ce processus ne se réalise cependant pas sans quelques
importantes contradictions, la principale tenant à l’existence de deux sociétés civiles, de deux
populations locales, qui défendent deux conceptions opposées du développement durable.
Ces deux conceptions poussent à questionner la validité de ces processus de développement
territorial, principalement parce qu’elles sont portées par des groupes d’acteurs locaux qui
opèrent selon les mêmes modalités. Quelles que soient leurs positions, ces acteurs agissent
dans le cadre d’alliances apparemment similaires entre société civile et État-nation, alliances
que certaines théories géographiques et politiques présentent aujourd’hui comme le moyen de
réinventer des politiques environnementales territorialisées multilatérales, multiscalaires et
multimétriques, plus « adaptées » aux processus de mondialisation contemporains. Si cette
réinvention du politique peut être validée dans le cas d’un développement durable prenant
comme limite l’écosystème, il en va tout autrement d’un développement durable
« dominateur » qui ne vise finalement qu’à faire durer le développement. L’apparition de
deux groupes d’acteurs locaux questionne aussi sur la place des sociétés locales dans les
projets de grands barrages et dans les projets de développement durable. Existe-t-il un local
plus légitime que l’autre ? Qu’en est-il des alliances avec les organisations du capital ? Quelle
place donner à ces sociétés locales dans le cadre de politiques publiques décentralisées ? Ce
9 Interview de Tarcísio Feitosa, directeur de CPT d’Altamira, réalisée le 16 juin 2005 à Altamira.
CHARTIER D. & BLANC N. (2008), « Les développements durables de l’Amazonie », in BLANC N & BONIN S. (dir.),
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sont ces questions qui doivent être aujourd’hui abordées pour espérer que le fleuve émerge en
Amazonie comme un réel outil de développement durable.
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