« Écrire contre les murs : le paradoxe
communauté d’écriture de Julien Gracq »
de
la
Émile Bordeleau-Pitre
Pour citer cet article :
Bordeleau-Pitre, Émile. 2016. « Écrire contre les murs : le paradoxe de la
communauté d’écriture de Julien Gracq », Postures, Dossier « Écrire
avec », n°23, En ligne <http://revuepostures.com/fr/bordeleau-23>
Pour communiquer avec l’équipe de la revue Postures notamment au sujet des droits de
reproduction de cet article : postures.uqam@gmail.com
Émile Bordeleau-Pitre
Revue Postures
Hiver 2016, n°23
Écrire contre les murs : le paradoxe de la communauté
d’écriture de Julien Gracq
Émile Bordeleau-Pitre
Les « préférences littéraires », ou plus précisément la façon
singulière qu’on a de les présenter, pourraient-elles être attribuables à
une expérience spécifique? Serait-il possible de cibler un événement
fort, un traumatisme ayant eu une influence décisive sur les rejets ou
sur les louanges catégoriques d’un individu en matière de goûts
artistiques? Autour de cet événement marquant, de quelle manière un
auteur, faisant état de ses pratiques de lecture et d’écriture (« en lisant
en écrivant », pour reprendre l’heureuse formule de Julien Gracq),
mettrait-il en scène tout le réseau – toute la communauté d’écrivains –
dans lequel il s’insère? Ce sont, à la lecture de quelques articles
critiques rédigés par Julien Gracq, quelques-unes des questions que je
me suis posées. À quelle expérience spécifique vécue par Gracq fais-je
référence? À celle de l’internat. L’écrivain, entré en 1921 au lycée
Clemenceau à Nantes, a vécu le régime de l’internat jusqu’en 1935
(après Clemenceau à Henri-IV, puis à l’École normale supérieure et à
Saint-Maixent) : celui-ci marque, de son propre aveu, l’une des
principales cassures de sa vie (Gracq, 1989, LXIII). Faisant suite à une
analyse de l’œuvre narrative de l’écrivain où je relevais les traces de ce
que j’ai qualifié de « poétique de l’internat » (Bordeleau-Pitre, 2016),
je souhaite à présent montrer combien certaines des découvertes par
rapport à la fiction peuvent aisément être transposables à des textes
gracquiens d’une autre nature, la critique littéraire, et nous amener à
les relire sous une toute autre lumière. Dans le cadre de cet article, je
chercherai à montrer que, tout comme dans ses romans et ses
nouvelles, Julien Gracq érige, dans la présentation de ses goûts
littéraires, des murs, explicites ou tacites, face auxquels les artistes qu’il
convoque se positionnent – et c’est à l’aune de cette mise en scène
particulière que l’auteur du Rivage des Syrtes embrasse ou rejette
certaines œuvres littéraires et crée sa communauté d’écrivains.
La réflexion qui suit est le prolongement de celle qui a soustendu la rédaction d’un mémoire : dans un premier temps, j’exposerai
donc les prémisses, les textes et les conclusions qui m’ont amené à
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Émile Bordeleau-Pitre
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penser la poétique de l’internat propre à l’œuvre narrative de Julien
Gracq (et au Rivage des Syrtes tout particulièrement). Ensuite, mettant
en lumière une structure se déployant au cœur d’un texte publié en
1961, « Pourquoi la littérature respire mal », je tenterai de montrer que
les murs de l’internat, explicites ou métaphoriques, ne sont pas
totalement absents d’une certaine manière de concevoir les tenants et
aboutissants du fait littéraire, de même que la communauté d’écrivains
dans laquelle on dit s’inscrire.
Écrire contre les murs : une poétique de l’internat dans Le Rivage des
Syrtes
Les critiques et lecteurs de Julien Gracq, ce « dernier [des]
classiques [français] » (Hue, 2007, 3) décédé le 22 décembre 2007 à
Angers, ont bien souvent relevé un phénomène récurrent dans sa
fiction. Si cette dernière est loin d’évacuer l’intrigue (à la manière dont
l’a par exemple fait le Nouveau Roman, dont Gracq a vivement
pourfendu la technicité), il faut remarquer combien celle-ci s’inscrit
malgré tout sur un point bien particulier de la chronologie narrative. En
effet, la fiction gracquienne semble systématiquement s’arrêter au seuil
des événements qu’elle s’est pourtant évertuée à appeler de manière
obsessive. La recension exhaustive des finales de ses fictions suffirait à
étayer cette conclusion. La mise en échec du double dans Au Château
d’Argol; le suicide d’Allan dans Un Beau Ténébreux; la reprise de la
guerre entre Orsenna et le Farghestan dans Le Rivage des Syrtes;
l’offensive des Allemands dans Un Balcon en forêt; l’envahissement du
Royaume par les barbares dans Les Terres du Couchant (roman publié
en 2014 à titre posthume) : ces événements dans la narration, attendus
dans l’angoisse ou désirés ardemment (ou vice versa pour Gracq,
attendus ardemment ou désirés dans l’angoisse), restent pourtant tous
extérieurs au cadre de la fiction gracquienne. En tant que lecteurs,
nous les pressentons, on nous invite même à les appréhender, mais
leur arrivée signe à tout coup chez l’écrivain la clôture des récits.
Michel Murat a montré combien la présence d’indices sur l’inévitable
fin peut bien se faire sentir sans que chez Gracq cela n’empêche la
narration d’être amputée d’une conclusion, d’une résolution au sens
vrai du terme :
Ainsi le livre « tourne à la rature de l’événement » : c’est un
mot de Gracq que l’on cite souvent. Mais on en retient
l’aveu d’une déception et d’un manque, sans voir comment
l’écrivain fait nécessité de vertu. L’événement est à la fois
vertige et spectacle. Impossible à raconter, il s’immobilise
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dans des instantanés qui le représentent de manière
indirecte, diffractée (Murat, 2004, p. 87-88).
En ce sens, la littérature de Gracq correspondrait à une « liturgie du
désir » (Le Guillou, 1991, 76). Ce serait, en d’autres mots, une
« littérature de l’attente », « une littérature du dilatoire comme l’est un
texte pornographique » (Michon, 2007, 35). En tant que telle, sa
littérature en serait une d’avant les ébats, en serait une des
« préliminaires » : « [c]ette attente, dont le récit nous force à partager
l’exaltation, ressemble beaucoup à des préludes amoureux : or,
précisément, ce qui intellectualise vertigineusement le rituel érotique,
ce n’est pas l’acte, c’est le préliminaire » (35). Si l’on devait faire un
parallèle avec le théâtre, il faudrait que les fictions de Gracq se
déroulent avant même la levée du rideau. Elles seraient considérées
comme des « pré-fictions », c’est-à-dire comme des introductions à des
événements qui n’auraient lieu qu’une fois le rideau levé dans une
fiction dite normale : « [i]l semble que le théâtre pour Gracq se
confonde avec l’attente du lever du rideau […] Jamais le rideau ne se
lève, jamais on ne part » (Chambers, 1968, 106). On parvient donc
souvent à la conclusion, quand on analyse la littérature de Gracq,
qu’elle est, en quelque sorte, une « littérature de prélude » : « [l]e récit
forme un prélude à une représentation qui n’aura pas lieu, qui ne
pourra pas même avoir lieu après, pour la raison que le récit est cette
représentation du prélude » (Vouilloux, 1989, 323).
Dans un entretien avec Jean Roudaut, Julien Gracq donne raison
à ces lectures. Alors qu’il explique la manière dont ses livres s’écrivent,
il en vient à la conclusion que sa littérature commence, se construit
lorsqu’il a déjà trouvé et que c’est seulement alors que peuvent
débuter les recherches, la fiction se posant comme le canevas de cette
quête particulière – et non pas comme le canevas de la découverte
elle-même :
Un livre naît d’une insatisfaction, d’un vide dont les
contours ne se révéleront précis qu’au cours du travail, et
qui demande à être comblé par l’écriture. […] Dans la
conception d’un livre, on trouve d’abord, et on cherche
après (Gracq, 2002, 49).
À cet égard, il est intéressant de se pencher sur le cas spécifique de la
fin du Rivage des Syrtes – mais surtout sur ce que son auteur en dit. Si
l’on en croit Julien Gracq, ce roman, « jusqu’au dernier chapitre,
marchait au canon vers une bataille navale qui ne fut jamais livrée »
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(Gracq, 1995, 152). Non seulement la fin du Rivage des Syrtes n’est
pas celle-là : sa conclusion véritable est fondamentalement différente,
voire opposée, en ce sens qu’elle ne laisse entrevoir qu’un « prélude »
à la guerre qui avait au début de la rédaction été imaginée comme
appartenant au récit. Est-ce vraiment, pour suivre le raisonnement de
Gracq d’alors, parce que le projet a été « jalonné d’impasses
inattendues, tout gauchi par l’influx de champs magnétiques à mesure
déchargés », d’« incidents de route » (152) 1 ? L’écrivain confessera
pourtant quelques années plus tard qu’il ne s’agissait pas tout à fait
d’une bifurcation au sens strict du terme. Lorsqu’il revient sur ce
« changement de direction », il utilise explicitement le mot
d’« amputation » (Gracq, 2002, 199). Le choix d’une autre fin pour Le
Rivage des Syrtes – qui elle, termine le récit sur le seuil de la guerre,
l’anticipant plutôt que la montrant – est donc délibéré; et ce choix a
été fait, aux dires de Gracq lorsqu’il cite Valéry, parce que cette fin
réussissait à « dire mieux » que l’autre précédemment envisagée :
Le sentiment de trouver, quand on écrit, se montre assez
fort pour rejeter le « non-choisi », un moment envisagé, au
néant. Et je rappellerai ici encore une fois le mot juste de
Valéry : « L’art commence quand on sacrifie la fidélité à
l’efficacité ». Bien écrire n’est pas dire exactement ce qu’on
voulait dire, c’est dire mieux que ce qu’on voulait dire, en
utilisant la langue comme un tremplin (Gracq, 1995, 326).
En quoi pour Julien Gracq, pourrions-nous nous demander, le seuil de
la guerre pouvait-il devenir préférable comme fin que la bataille navale
pressentie au départ – considérant que cette bataille navale aurait
représenté, elle, une rencontre véritable avec l’altérité, une rencontre
avec cette altérité du Farghestan que toute la narration du Rivage des
Syrtes s’évertue à appeler, à désirer à travers des suggestions
omniprésentes? En quoi cette « non-fin » (au sens où elle s’arrête –
explicitement, pourrions-nous affirmer avec la dernière phrase d’Aldo
– avant la levée du rideau, avant que le « décor » ne soit « planté »)
représentait-elle le choix « efficace », le « dire mieux » de ce roman
qui au final, se trouve « amputé » de la conclusion initialement
imaginée par Gracq? Ce sont les interrogations qui, à l’origine, ont –
un peu candidement sans doute – motivé mes recherches. Car si les
1
L’utilisation des italiques étant très courante chez l’écrivain Julien Gracq, je ne m’en
servirai pas pour souligner au sein des citations, afin d’éviter toute confusion. Tous
les italiques, lorsqu’ils se présentent entre guillemets, sont donc attribuables aux
auteurs des citations concernées.
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Émile Bordeleau-Pitre
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critiques ont mis en lumière une certaine structure, une certaine
mécanique narrative, rarement à ma connaissance se sont-ils risqués à
des hypothèses qui parviendraient à les expliquer de manière
satisfaisante. Y aurait-il un moteur sous-tendant l’absence d’apex – et
de résolution subséquente – dans les écrits narratifs de Julien Gracq?
Pourquoi ses fictions nous laissent-elles toujours avec cette impression
– qu’elle soit perçue comme une déception ou un manque n’a pas ici
réellement d’importance – qu’elles représentent des introductions à des
événements qui ne seront pas représentés, des préludes à des
événements entraperçus, mais des préludes à des événements qui
restent et resteront un angle mort de la narration? D’affirmer que la
littérature de Julien Gracq est une littérature de désir, une littérature
d’attente, une littérature du dilatoire a tellement été ressassé que c’est
sans aucun doute devenu le plus grand des clichés gracquiens, s’il en
est : je cherchais humblement, avec mon mémoire, à proposer une
réflexion qui irait un peu plus loin que l’exposition plate de ce que, de
toute façon, tout le monde sait déjà – mais qu’on s’évertue pourtant à
répéter comme s’il s’agissait du sésame par excellence de l’œuvre, de
son incontournable « clé ».
Pour tenter d’expliquer cette non-fin dans Le Rivage des Syrtes, il
est important de souligner ici combien le roman place la transgression
au cœur de son intrigue. C’est effectivement en traversant une frontière
interdite, cette « ligne continue d’un rouge vif », cette « frontière
d’alarme », qu’Aldo, le personnage narrateur, réactive la guerre.
Autour de cette transgression s’inscrira, en filigrane, tout le paradoxe
de l’écriture gracquienne. Car si l’entièreté du récit pointe vers la
violation de l’interdit, si elle l’appelle de toutes ses forces – l’obsession
du Farghestan est explicitement qualifiée de « vice » d’Aldo, elle est sa
« lubie » –, si elle représente en vérité le point focal du Rivage des
Syrtes, il ne faut pas oublier que c’est cette même transgression qui
signe la fin de l’histoire : jamais nous n’aurons accès en tant que
lecteurs au spectacle de la reprise des hostilités entre Orsenna et le
Farghestan; le Farghestan, du début à la fin de la narration, restera aux
marges de ce qui sera raconté. La transgression semble ici coïncider
avec l’impossibilité d’une résolution : une fois la limite traversée, il faut
en effet croire qu’il n’est point de salut possible chez Julien Gracq. Le
désir de transgresser peut bien être le moteur du récit, il peut bien
représenter ce qui l’anime et lui permet même d’exister, cela
n’empêche pas la transgression de constituer, tout à la fois,
l’impossibilité même de continuer à raconter. Une fois effectuée la
désobéissance, l’inobservation aux règles dans Le Rivage des Syrtes, il
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n’y a plus de récit possible; il n’existe donc jamais, dans les textes
narratifs de l’écrivain français, d’après transgression. C’est un peu
comme si, une fois son désir satisfait, la narration chez Gracq finissait
par tourner à vide. Et c’est de ce côté, m’a-t-il semblé, qu’il fallait
chercher la raison pour laquelle ses fictions se construisaient comme
des préludes à des événements annoncés qui n’existent pas dans le
cadre de ce qui est raconté.
Or, que cette mécanique de non-dévoilement, de non-résolution,
fonctionne systématiquement sur la dialectique d’une transgression à la
fois motrice et frein de la fiction n’est pas un fait anodin lorsqu’on se
penche sur deux textes – l’un critique et l’autre « autobiographique »
(chez cet écrivain toujours d’une grande pudeur, cette expression exige
qu’on l’emploie avec précaution) – que l’auteur a écrits, « Lautréamont
toujours » (1961) et La Forme d’une ville (1985). Ceux-ci, à travers
l’expérience du passage par une éducation particulière, celle de
l’internat, déploient en effet une certaine façon de concevoir la
transgression. Dans « Lautréamont toujours », premièrement, Julien
Gracq soulève l’existence d’une dynamique singulière, de marques
spécifiques, de traces qu’aurait laissé le passage par l’internat sur toute
une génération d’écrivains. Effectivement, pour le romancier, tant
l’essor des romans de l’enfance ou de l’adolescence que l’émergence
d’esprits de révolte à une certaine période donnée ne peuvent pas être
considérés comme le fruit du hasard. Rimbaud, Lautréamont et Jarry,
notamment, ne constitueraient en effet rien de moins que les produits
d’une éducation militarisée dispensée par les internats au 19e siècle :
Sous la forme d’un paradis dont on s’emploie à nous
souligner qu’il est de toute façon perdu, [le « roman de
l’enfance » ou de l’adolescence] est l’antidote dérisoire,
mais dont le besoin se fait cruellement sentir, d’une
éducation rationnelle qui tend à faire de l’individu un être à
jamais déchiré, irréconcilié, privé de porte de sortie,
honteux pour toujours de l’esprit devant la raison. On se
prend à considérer sous cet angle l’éclosion étonnamment
accélérée de certains esprits de révolte parmi les plus
intrépides (Rimbaud, Lautréamont, Jarry). Cette précocité
qui leur est commune à l’âge où l’on quitte à peine les
bancs du lycée n’est pas un pur effet du hasard : la société
fixe elle-même à vingt ans, par ses méthodes de
claustration absurdes, le moment de parler pour ceux qui
ont survécu au dressage – de porter témoignage dans un cri
avant qu’il ne soit trop tard (Gracq, 1989, 895).
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Le « dressage » de l’internat, cette expérience traumatisante à laquelle
on « survit », déterminerait donc selon Gracq certaines thématiques,
certains genres propres. Mais pas seulement cela. Si l’on suit son
raisonnement, le passage par la claustration et la dureté de l’école des
internes pourrait également se trouver à l’origine d’une voix singulière :
chez Lautréamont par exemple, c’est son expérience de l’internat qui
expliquerait « l’humour congénital », ou encore « la manière ambiguë
qu’il a de disloquer comme aucun autre le lecteur, d’une façon
angoissante, entre un rire nerveux des plus gênants et une certaine
forme de terreur » (897).
Ce que Julien Gracq ne mentionne pas dans « Lautréamont
toujours », et qui a été fondamental pour mon analyse, c’est que luimême est passé par l’éducation militarisée de l’internat – et ce, même
si son expérience à lui ne date pas du dix-neuvième siècle. Il est
important de rappeler ici combien, de l’inauguration de l’internat
jusqu’à son fonctionnement dans la première partie du vingtième
siècle – l’époque où Julien Gracq le fréquente à son tour –, la
comparaison entre ce type d’institution et la caserne tient toujours
(Mayeur, 2004, 536); entre l’internat des Rimbaud, Lautréamont et
Jarry et celui de Julien Gracq, la ressemblance est donc grande. Cette
ressemblance est même à l’origine d’un anachronisme de l’internat
que relève Gracq dans un deuxième texte autobiographique, La Forme
d’une ville :
Avec le recul d’un demi-siècle, je suis étonné de tout ce
que l’institution […] avait conservé de napoléonien, de tout
ce qu’elle présentait d’agressivement, de diamétralement
opposé au rêve de la société conviviale qui ensorcelle notre
temps. Ordre, uniformité, hiérarchie, discipline, restaient
les maîtres mots. […] J’ai parlé, dans d’autres pages, à
propos de Lautréamont, des pulsions anarchiques, brisantes,
que cette contrainte engendrait par saccades. Mais
l’administration ne se laissait pas gagner à la main : je me
souviens qu’à la suite de chahuts qui passaient la mesure,
une trentaine d’élèves furent rendus d’un coup à leurs
familles, aussi désinvoltement que des diplomates
soviétiques (Gracq, 1995, 773).
Quand l’écrivain traitait des particularités de l’écriture, des
particularités de la voix de certains écrivains de prédilection, n’était-il
pas un peu aussi en train de parler des siennes propres? Je rappelle ici
combien, de son propre aveu, l’internat marque, pour Gracq, l’une des
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principales cassures de sa vie : « [t]out lui pèse, lui semble odieux :
l’éloignement de la maison familiale, l’anonymat grisâtre des lieux, la
promiscuité continue, la nourriture médiocre, la claustration, le
caporalisme disciplinaire, la complète monotonie répétitive des
journées » (Gracq, 1989, LXIII). Ces doléances sont extrêmement
similaires aux témoignages d’internes et aux observations des plus
fervents critiques de l’internat, qui se sont déployés sur toute la période
de leur fonctionnement pendant plus d’un siècle – témoignages et
observations qui exposent la singulière proximité existant entre ce type
de scolarité et un militarisme certain (notamment la rudesse de la vie
de pensionnaire, la « promiscuité imposée » [Mayeur, 2004, 537],
« l’inconfort, l’exiguïté des locaux et leur relatif surpeuplement » [538],
la « mortification » propre à la vie monastique imposant au corps, à
tout moment, une discipline particulièrement contraignante [539]). Le
pensionnaire Maxime Du Camp, face à ce rigoureux régime de vie,
explique avoir eu à se forger pendant ses années d’internat ce qu’il
appelle « une âme d’insurgé » (537) – et cette opération n’est pas non
plus sans rappeler les termes qu’utilise Julien Gracq, jeune interne,
pour exprimer l’expérience qu’il a vécue à la lecture du roman Le
Rouge et le Noir :
Chaque soir, en rouvrant la couverture verte, je
m’établissais dans une paisible, une tranquille insurrection
intellectuelle et affective contre tout ce qui s’était donné à
moi pour recommandé, et que je n’avais fait nulle difficulté
d’accepter comme tel. Je le lisais contre tout ce qui
m’entourait, contre tout ce qu’on m’inculquait, tout comme
Julien Sorel avait lu le Mémorial contre la société et contre
le credo de Verrières (Gracq, 1995, 326).
La lecture comme forme d’« insurrection », donc. Qu’en est-il à
présent de l’écriture ? Dans La Forme d’une ville, un commentaire sur
la fonction de l’imagination est associé de manière explicite au
processus de mise en fiction. Enfant, coincé derrière les murs du lycée,
c’est véritablement grâce à l’imagination que le jeune interne Gracq
(re)crée la ville de Nantes :
Le régime de l’internat, dans les années vingt de ce siècle,
était strict. Aucune sortie, en dehors des vacances, que
celles du dimanche; encore fallait-il qu’un correspondant
vînt prendre livraison de nous en personne au parloir, et,
en principe, nous y ramener le soir. Je ne sortais qu’une fois
par quinzaine; le reste du temps, je n’apercevais de la ville
que la cime des magnolias du Jardin des plantes, par-dessus
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Émile Bordeleau-Pitre
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le mur de la cour, et la brève échappée sur la façade du
musée que nous dévoilait le portail des externes, quand on
l’ouvrait pour leur entrée, à huit heures moins cinq et à
deux heures moins cinq. Mais cette réclusion si stricte était
à sens unique. Deux fois par jour, comme la marée, avec le
flot des externes, la rumeur de Nantes parvenait jusqu’à
nous, tantôt filtrée, tantôt orchestrée. Je vivais au cœur
d’une ville presque davantage imaginée que connue, où je
possédais quelques repères solides, où certains itinéraires
m’étaient familiers, mais dont la substance, l’odeur même,
gardait quelque chose d’exotique : une ville où toutes les
perspectives donnaient d’elles-mêmes sur des lointains mal
définis, non explorés, un canevas sans rigidité, perméable
plus qu’un autre à la fiction. Chacun des rhumbs qui
étoilaient cette rose des vents fleurissait naturellement,
indéfiniment, pour l’imagination (Gracq, 1995, 772-773).
Si Julien Gracq se croit en mesure de noter l’influence de ce qu’il
appelait la « vie prisonnière et secrète » des internes, « cette francmaçonnerie collégiale de l’enfance et de l’adolescence » (Gracq, 1989,
896), il est possible de remarquer qu’il n’est pas resté complètement
silencieux à propos du poids de cette expérience sur sa propre écriture.
Non seulement c’est la réclusion de l’internat qui devient dans La
Forme d’une ville l’une des prémisses à un récit autobiographique où
Gracq raconte la ville de Nantes, qui pour lui reste cette « ville
presque davantage imaginée que connue », c’est la claustration ellemême qui permet la construction d’un « canevas sans rigidité,
perméable plus qu’un autre à la fiction ». Être enfermé, nous dit Gracq,
ne pas pouvoir voir de l’autre côté des murs, nous oblige à imaginer ce
qui se cache derrière, nous force, ultimement, à (se) raconter des
histoires – et c’est là la seule transgression envisageable.
Mais la transgression à travers la fiction manifeste une
contradiction inhérente et indépassable : après tout, malgré tout le
désir de sédition, voire de révolte qui anime certaines des fictions de
Julien Gracq, l’imagination, la mise en récit, l’écriture dépendent au
final des murs contre lesquels elles s’érigent. C’est de cette idée, en fait,
qu’est venue le titre de mon mémoire (et de cet article) : Écrire contre
les murs. L’expression est à double sens. Contre peut ici exprimer une
opposition, dénoter une relation d’hostilité, une relation de lutte dirigé
envers les murs : ce qui est bel et bien le cas dans Le Rivage des Syrtes,
avec cette obsession omniprésente de la transgression qui caractérise
le roman. Mais contre, dans Écrire contre les murs, peut carrément
signifier autre chose – l’expression peut en effet faire référence au
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Émile Bordeleau-Pitre
Revue Postures
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support, à la surface nécessaire à l’écriture. Dans ces deux façons de
l’entendre, même si elles devraient normalement être compétitives, la
fiction gracquienne s’écrit contre les murs.
Dans le cadre de mon mémoire, je me suis penché sur trois
aspects participant à la création de la poétique de l’internat : la
visibilité, la littératie et l’initiation du jeune homme (Bordeleau-Pitre,
2016). Entre ordre et désordre, entre discipline et transgression, entre
désir individuel et normes collectives : ces aspects qui viennent étayer
mon hypothèse jouent tous sur deux plans contradictoires. Ils
convergent tous vers cette conclusion que, chez Gracq, la sédition et
la révolte peuvent bien être la raison d’être d’un récit, son obsession et
son moteur, et qu’il n’existe pas pour l’écrivain de murs qui soient
franchissables. Toutes les tentatives de transgression finissent par
avorter. Ce qui sort victorieux dans Le Rivage des Syrtes, comme dans
toute l’œuvre narrative, c’est le conservatisme initial que la narration
aura tenté, par des moyens variés, d’abattre.
La poétique de l’internat au cœur de la communauté d’écriture
Une multitude de textes n’ont cependant pas été abordés dans
mon mémoire pour exposer le déploiement de la poétique de l’internat
chez Julien Gracq : les écrits critiques, qui représentent une grande
partie de l’œuvre de l’écrivain. En m’y penchant plus avant, j’ai
pourtant constaté que ceux-ci pouvaient également être étudiés à cet
aune.
André Breton; Stendhal; Lautréamont; Chateaubriand; Edgar
Allan Poe; Balzac; Kleist; Novalis; Ernst Jünger; Barbey d’Aurevilly : la
liste des hommes – mentionnons que les femmes sont quasi absentes
de sa critique (un écho aux communautés d’hommes – comme à
l’internat, cette usine à fabriquer des « vrais hommes » – qui peuplent
les fictions?) – dont Julien Gracq a commenté les œuvres parallèlement
à la rédaction de ses écrits narratifs, si elle n’étonne pas par sa
longueur, le fait au moins par son hétéroclisme considérable. Les liens
qui existent entre ces œuvres de prédilection, entre ces préférences,
n’apparaissent effectivement pas tous des plus naturels au premier
coup d’œil. De Racine aux surréalistes, des Chants de Maldoror de
Lautréamont à la Béatrix de Balzac, du Livre du Graal à La Chute de la
maison Usher d’Edgar Allan Poe, les écarts – temporels, stylistiques,
narratifs notamment – sont importants : serait-il même possible de
trouver, dans tout ce corpus composite d’ouvrages favoris, des
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Émile Bordeleau-Pitre
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analogies et similitudes systématiques qui arriveraient à les combler –
un point commun sous lequel se rangerait la totalité de ces choix
bigarrés? Ici aussi, selon moi, la poétique de l’internat telle qu’exposée
dans mon mémoire peut nous aider à mettre en lumière des similitudes
qui autrement nous resteraient cachées.
Dans un texte tiré d’une conférence prononcée à l’École normale
supérieure de la rue d’Ulm, « Pourquoi la littérature respire mal »,
Julien Gracq développe l’idée qu’une certaine façon de faire la
littérature arriverait à ériger ses propres séparations d’avec tout ce qui
l’entoure – érigerait ses propres murs infranchissables, pour dire
autrement – et serait ainsi à l’origine de sa propre désunion d’avec un
monde qui de toute façon ne semble pas intéresser ceux qui en sont à
l’origine. Ce sont les ouvrages qui pour l’écrivain sont mus par « le
sentiment du non » – et dont le représentant type serait Jean-Paul
Sartre :
Non opposé au monde matériel, à la nature – obscène,
proliférant comme un cancer, « désespérément de trop »,
vomie : c’est le thème central de La Nausée. Non aux
autres, à la conscience et au regard d’autrui : c’est l’enfer
de Huis clos. Non à la société existante : c’est le sens de
toute son action de journaliste – et non, je crois bien, à
toute société possible : Sartre est révolté encore plus que
révolutionnaire : il est l’exclu désigné d’avance de tous les
groupements politiques de gauche, y compris de ceux qu’il
a essayé de fonder. Non à la procréation, et non, à la
sexualité : visqueuse, traîtresse, écœurante. Non, même, à
la gloire littéraire, le dernier refuge de l’écrivain révolté : et
non au malentendu qui fait qu’un livre survit à son auteur :
tout livre se doit de mourir dès que s’épuise la virulence du
refus qu’il exprime (Gracq, 1989, 873).
Contre cette littérature qui donne de l’homme « une image mutilée,
par une opération chirurgicale violente » (875) se construirait une autre
manière d’écrire, une écriture mue par un « sentiment du oui ».
Représentée par Claudel chez Julien Gracq, la littérature du oui serait
au contraire pleine, complète, totale – n’effectuant pas la moindre
séparation d’avec le monde :
Un oui global, sans réticence, un oui presque vorace à la
création prise dans sa totalité : Claudel n’a jamais eu très
profondément le sentiment de la vallée de larmes. Un oui
absolu, euphorique, à tout ce qui doit venir : aucune place
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chez lui, même dans l’extrême vieillesse, pour le retour en
arrière, le regret, le souvenir, la nostalgie rétrospective, la
part de ce qu’il appelle ironiquement « le voyageur de la
banquette arrière ». Ce qui l’a mené toute sa vie, ce qui a
alimenté la chaudière congestive de cette puissante
locomotive au cou de taureau, c’est un appétit formidable
d’acquiescement, qui a des côtés grandioses et des côtés
qui le sont moins, mais où il n’est pas question de choisir :
acquiescement à Dieu, à la création, au pape, à la société,
à la France, à Pétain, à De Gaulle, à l’argent, à la carrière
bien rentée, à la progéniture de patriarche, à la forte
maison, comme il dit, qu’il a épousée par-devant notaire
(872).
Malgré les réticences qui existent dans la dernière phrase, il ne fait
aucun doute que l’œuvre de Claudel entre beaucoup plus dans les
grâces de Julien Gracq que ne le fait celle de Sartre : après tout,
Claudel reste dans d’autres écrits de Gracq « la terre ferme qui
argumente contre le mal de mer » (Gracq, 1995, 161); avec Goethe,
« ils ont foré d’une main sûre aux bons endroits, leurs eaux profondes
se sont taries au bénéfice des jardins qu’ils ont fait fleurir » (320). La
révolte sartrienne est vue par Gracq comme un mur dans ce qu’elle
suppose de refus du monde alors que le conservatisme de Claudel,
quant à lui, n’atténue qu’à peine sa valorisation.
La révolte sartrienne comme érigeant des murs et l’embrassement
de la fiction de Claudel comme refus de l’existence de ces mêmes
murs : la position est cohérente avec la poétique de l’internat telle
qu’elle se déploie dans l’œuvre narrative. La « révolte » qui serait celle
de Julien Gracq passe effectivement par un désir de transgression et
non pas par un refus catégorique du monde qu’il voit chez Sartre. Au
contraire, le saut de la frontière que permettrait l’imagination (pour le
Gracq enfant qui fantasme la ville de Nantes) ou la fiction (le narrateur
du Rivage des Syrtes obsédé par la nation ennemie mais inconnue du
Farghestan) cherche à réunir, à allier – voire à se fondre avec le monde,
comme Gracq le lit dans Claudel.
Cependant, remarquons combien le oui radical et sans équivoque
de Claudel ne satisfait pas non plus complètement Julien Gracq : « Il
ne s’agit pas d’abandonner », dit-il, « le refus et la révolte qui sont dans
l’homme aussi essentiels que sa conscience même – il ne s’agit pas de
donner, à ce qui est, l’acquiescement pharisaïque qui a été souvent
celui d’un Claudel » (Gracq, 1989, 880). Pour quelle raison? C’est dans
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l’absence complète de murs, de ceux mêmes qui étaient la cible des
attaques quand il était question de Sartre, que nous pouvons trouver
l’explication. Poétique paradoxale, rappelons-le, que celle de Julien
Gracq : les murs, les frontières et les interdits représentent à la fois le
moteur et l’impossibilité de la fiction; si leur transgression constitue le
désir du texte, sa direction ultime, ce qu’il y a derrière n’en reste pas
moins un point mort de la représentation. Pour Gracq critique, à
l’image de ce qui se produit dans sa fiction, une littérature idéale en
serait donc une de synthèse, une littérature qui ferait le pont entre la
révolte sartrienne et l’embrassement du monde de Claudel, entre la
séparation indispensable à la fiction et l’union comme impossible
quête, entre le sentiment du non et le sentiment du oui… Et c’est ce
qu’il trouvera dans un mouvement auquel il a consacré un bon
nombre de textes, dont son essai André Breton. Quelques aspects de
l’écrivain : le surréalisme. Julien Gracq voit dans ce mouvement une
révolte permanente qui en serait non seulement l’objectif, mais le
moteur – rendant, de ce fait, impossible l’abattement des murs. Une
révolte permanente est une révolte qui, nécessairement, n’abat pas les
murs contre lesquels elle s’érige. L’écrivain semble lire le surréalisme
avec le même paradoxe qui se joue dans la poétique de l’internat, le
mouvement est « refus et acceptation mêlée (sic) » :
À travers mille contradictions, qui après tout n’étaient que
celles de la vie, [le surréalisme] a eu cette vertu essentielle
de revendiquer à tout instant l’expression de la totalité de
l’homme, qui est refus et acceptation mêlée (sic),
séparation constante et aussi constante réintégration – et il
a su se maintenir au cœur de cette contradiction non pas,
comme l’a tenté Camus, par les voies conciliatrices et un
peu molles d’une sagesse modérée, mais plutôt en
maintenant à leur point extrême de tension les deux
attitudes simultanées que ne cesse d’appeler ce monde
fascinant et invivable où nous sommes : l’éblouissement et
la fureur (881).
D’un côté donc, une littérature animée par un sentiment du non,
érigeant ses propres murs d’indifférence et de dégoût face à un monde
qui ne l’intéresse pas; de l’autre, une littérature animée par un
sentiment du oui, caractérisée par sa tendance à vouloir ne faire qu’un
avec un monde qu’il n’a de cesse d’exulter. Entre les deux, selon Julien
Gracq, cette littérature de synthèse – littérature idéale, qui en serait
une de révolte nécessaire mais impossible, paradoxale en ce qu’elle
serait « séparation constante et aussi constante réintégration ». Cette
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littérature de synthèse fait étrangement écho, dans la critique littéraire,
aux traces de la poétique de l’internat telle que je la décrivais dans
mes recherches sur Le Rivage des Syrtes et l’œuvre narrative – et dont
la transgression constituait à la fois le moteur et le frein, la possibilité et
l’impossibilité de l’acte de raconter. Ainsi, dans la critique, on voit
combien les murs – qu’on érige, qu’on abat ou contre lesquels on
appuie sa révolte impuissante – créent, pour Gracq, les communautés
d’écriture dans lesquelles on s’inscrit et auxquelles on s’oppose.
Les murs de l’internat, s’ils ont été l’objet d’une angoisse, d’une
haine et d’un malheur certains pour l’écrivain français, ont gardé sur
lui une prise bien étrange. Ils sont devenus non seulement la médiation
nécessaire et insurmontable propre à la mise en fiction de son œuvre
narrative : nous voyons ici combien, avec « Pourquoi la littérature
respire mal », la poétique de l’internat contamine également la
manière dont Gracq conçoit la littérature et ses fins – sa respiration,
pour reprendre son expression. Les œuvres de prédilection, de Racine
à Lautréamont, possèdent peut-être « objectivement » bien peu en
commun. Cependant, tout comme c’est le cas dans Le Rivage des
Syrtes et dans les autres écrits narratifs, elles semblent porter en elle,
d’une manière très singulière, le lourd héritage des « méthodes de
claustration absurdes » et du « dressage » de l’internat (897). Cette
façon de concevoir le fait littéraire constitue sans doute une manière
personnelle de dire, de raconter, de « porter témoignage dans un cri
avant qu’il ne soit trop tard » (897). Mais une manière qui, bien
paradoxalement, crie – tant dans la fiction que dans la critique – toute
l’impossibilité d’une révolte aux murs de l’internat, qu’ils soient réels
ou métaphoriques.
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