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Santé, Numérique Et Droit-S (Etc.)

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Santé, numérique et droit-s

Isabelle Poirot-Mazères (dir.)

DOI : 10.4000/books.putc.4133
Éditeur : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole
Lieu d'édition : université Toulouse 1 Capitole
Année d'édition : 2018
Date de mise en ligne : 21 janvier 2019
Collection : Actes de colloques de l’IFR
ISBN électronique : 9782379280672

http://books.openedition.org
Édition imprimée
Date de publication : 10 juillet 2018
ISBN : 9782361701703
Nombre de pages : 370

Référence électronique
POIROT-MAZÈRES, Isabelle (dir.). Santé, numérique et droit-s. Nouvelle édition [en ligne].
université Toulouse 1 Capitole : Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2018
(généré le 01 février 2019). Disponible sur Internet :
<http://books.openedition.org/putc/4133>. ISBN : 9782379280672. DOI :
10.4000/books.putc.4133.

Ce document a été généré automatiquement le 1 février 2019.

© Presses de l’Université Toulouse 1 Capitole, 2018


Conditions d’utilisation :
http://www.openedition.org/6540
C’est dans la région Occitanie Pyrénées-Méditerranée que la télémédecine a bâti son
histoire. Elle n’est désormais qu’un aspect du développement massif de la e‑santé en
médecine. Les avancées technologies alliées à des usages diversifiés des réseaux 3.0 et 4.0,
aux progrès de l’intelligence artificielle et des objets connectés obligent désormais à
interroger les termes de l’équation entre la santé, le numérique et le(s) droit(s). A cet égard,
nombre de défis sont à relever, institutionnels et normatifs. Les pouvoirs publics, les
établissements et les professionnels, les industriels et les usagers du système de santé sont
concernés. Transformation numérique de l’exercice médical, nouvelles pratiques, prises en
charge connectées, formation, déontologie, acceptabilité, autant de sujets au cœur des
bouleversements politiques, sociologiques et culturels à venir comme des tensions éthiques
et juridiques actuelles sur la protection des données personnelles ou la mutation inéluctable
des métiers de la santé. Ces évolutions sont profondes qui affectent les cadres d’exercice des
professionnels et modifient le rapport des patients à la médecine et la santé. Les
dynamiques en cours éprouvent également le fonctionnement des systèmes de santé et de
protection sociale français et européens, remettant en cause leurs fondements de solidarité
et de partage des risques. De nouveaux acteurs, puissants, les GAFAM, dotés d’un savoir-
faire électronique et financier inédit, bousculent les valeurs et modèles portés par nos
acteurs historiques. Ceci appelle aussi à une réflexion sur la gouvernance de la santé dans
l’avenir. Mais, in fine, rien ne saurait se faire sans la mobilisation des citoyens, des
associations d’usagers et de malades : face aux mutations annoncées, il leur incombe de se
saisir sans tarder des grands questionnements prospectifs posés par l’évolution des
systèmes de soins et de protection sociale.
Le corps médical, les autorités sanitaires, le pouvoir politique sont-ils prêts à de telles
disruptions ? Le sommes nous en tant que patients/citoyens ? Telles sont les interrogations
auxquelles nous tentons si ce n’est forcément de répondre, du moins d’apporter des
éléments d’analyse et d’accompagner de diverses pistes de réflexion.

ISABELLE POIROT-MAZÈRES
Professeur de droit public, Institut Maurice Hauriou, Université
Toulouse 1 Capitole
SOMMAIRE
Ouverture du colloque
Philippe Nélidoff

Partager la science : vers de nouveaux horizons


Anne Cambon-Thomsen

Introduction

Du SAMU et de la télémédecine à la cybersanté


Louis Lareng

Rappel des cadres normatifs : quel(s) droit(s) en santé à l’heure du


numérique ?
Isabelle Poirot-Mazères
I – L’enjeu premier des définitions et des qualifications juridiques
II – Le défi des usages du numérique en santé : les points d’attention du droit

La donne européenne

Santé, numérique, droit-s et Europe : interactions et conséquences


Michèle Thonnet
I – Le contexte : la protection de la santé à la mesure des compétences de l’Union
II – La construction progressive d’un cadre juridique européen de la e‑santé
III – Perspectives

Lecture du droit européen numérique de la santé : conséquences sur les


patients, l’accès aux soins, la circulation des patients
Nathalie De Grove-Valdeyron
I – L’identification d’une véritable stratégie de l’Union Européenne dans le domaine de
l’e‑santé
II – La construction d’un véritable droit de l’Union Européenne dans le domaine de l’e‑santé
Santé et numérique en Italie
Marta Cerioni
I – Le droit à la santé en Italie. Raisons de l’introduction de la numérisation en Italie
II – Profils de numérisation dans les soins de santé
III – La mise en œuvre du numérique en Italie

Santé et numérique en Italie : le cas de la Toscane


Sabina De Rosis

L'impact du numérique sur la relation de soins

Télémédecine, santé connectée, éthique numérique : enjeux de la médecine


au XXIème siècle
Pierre Simon

I – L’émergence d’un besoin de télémédecine et de santé connectée au XXème siècle


II – L’impact des nouvelles technologies numériques sur l’exercice de la médecine au
XXIème siècle
III – La nécessaire synergie entre télémédecine, santé connectée et IA fait émerger de
nouvelles obligations pour le médecin
IV — Une nécessaire approche éthique dans l’usage du numérique en médecine

Comment les nouvelles technologies bouleversent-elles le colloque singulier ?


Maurice Bensoussan
I – Les écueils
II – Une vieille histoire : l’homme augmente
III – La révolution numérique
IV – La médecine : secteur de pointe de l’intelligence artificielle
V – L’exercice de la médecine
VI – La confrontation avec l’intelligence artificielle
VII – Que souhaitons-nous comme médecine ?
VIII – L’Apport de la psychosomatique
IX – Une pensée de l’unité

Quelle déontologie pour les médecins à l’heure du numérique ?


Jacques Lucas
I – Quel peut être l’engagement du conseil national de l’ordre des médecins dans ce nouveau
monde ?
II – C’est dans ce monde complexe d’interrogations que le CNOM doit s’engager
III – Le CNOM s’est prononcé pour l’introduction des règles de droit souple, sur le principe
de la « soft law » anglo‑saxonne, y compris dans l’application du code de déontologie
médicale
IV – Les principes déontologiques, au soutien de l’innovation

Le paradoxe de la e‑santé : entre promotion d’un mode de soins innovant et


protection des droits des patients
Nahela El Biad
I – Le droit dans le développement de la e‑santé
II – Le rôle protecteur du droit dans l’utilisation de la e‑santé

Les technologies de l’information dans la santé. Cadre de réflexion sur leur


portée et leur impact
Luc Viallard
I – La portée de l’information, la taille du réseau
II – Impact des technologies de l’information dans différents domaines
III – Les technologies de l’information dans le monde de la santé
IV – Portée du changement et impact des technologies de l’information

Aidediag expert à l’ère de Google DeepMind Health et IBM Watson


Nicolas Chassaing
I – Introduction
II – Interrogations liées à l’utilisation de ces nouveaux outils
III – Conclusion

L'impact du numérique sur le système de soins

Le cadre juridique du traitement des données de santé


Fabrice Mattatia
I – Le cadre général des données personnelles
II – Le cadre spécifique de l’hébergement des données de santé

Quelle évaluation pour les services numériques ? Le point de vue des


industriels de santé
Armelle Graciet
I – Question cruciale, préalable, l’évaluation des services numériques suppose que soient
précisés certains termes et notions, afin de bien saisir l’objet de notre propos
II – Si le marquage se permet ainsi de commercialiser un produit ou une solution sur le
marché européen, il ne donne pas automatiquement l’accès au marché français dès lors que
les dispositifs de prise en charge par la collectivité sont spécifiques à chaque état membre
III – La trajectoire d’accès au remboursement d’un dispositif médical e‑santé s’avère ainsi
complexe et ralenti par de nombreuses inconnues
Conclusion

Les nouvelles technologies au service de la santé : l’exemple de KYOMED


Daniel Laune
I – Kyomed, Une entreprise au service des patients et des usagers de la santé
II – De quelques dispositifs médicaux innovants connectés

Les nouvelles pratiques liées au big data en santé : enjeux sociétaux et


impact au regard des inégalités sociales de santé
Cyrille Delpierre
I – Santé comme un bien particulier
II – Big Data en Santé : un champ à très fort potentiel
III – Big Data en santé : pour quels usages ?
IV – Big Data en santé : quelques enjeux sociétaux
Conclusion

Quels modèles économiques pour la e-santé ?

Aujourd'hui déjà, un nouveau modèle économique en santé ?


Jean-Olivier Mallet
I – Des modèles économiques (traditionnels) en santé
II – Un modèle de l’économie numérique ?
III – Un/des modèle/s de l’économie (numérique) de la santé ?

Santé numérique : quelques réflexions sur les modèles économiques et les


questions posées à la régulation
Dominique Polton
I – La e‑santé : beaucoup d’attentes et de promesses, mais aussi des inquiétudes sur les
impacts
II – Les mutations nécessaires du système de soins
Modèles économiques des GAFAM et vie privée
Patrick Constant
I – Les GAFAM : Les assistants qui vous veulent du bien
II – Des assistants issus de l’IA et des hommes

Le numérique en santé vu par des organismes de protection


sociale

Réflexions sur l’impact de la e-santé sur le modèle économique de la


protection sociale
Thomas Godard
I – La mutualité française est le premier acteur en complémentaire santé avec 35 millions de
personnes protégées
II – Il n’y a aujourd’hui pas de modèle économique pour la e‑santé

E-santé : de nouveaux enjeux liés à l’émergence du numérique dans le


rapport du patient‑citoyen à sa santé
Julien Larfouilloux

La numérisation à la base des nouvelles formes d'exercice et de prise en


charge
Philippe Rognié

Conclusion : quelle gouvernance ?

L’impact sur la gouvernance territoriale


Patrick Descoins
I – La renaissance ou le repli
II – L’Enfant surdoué
III – Le citoyen et l’oligarque
IV – Le Monde, l’Europe, la France, le territoire et la région
V – Le deuxième « S » et le « Premier E »

La numérisation marchande généralisée ou l’urgence d’un débat


Pascal Roggero
I – Vers les « portes de la nuit » ou Les menaces de la numérisation marchande généralisée
II – Quelques pistes conclusives : pour actualiser les potentialités des technologies
numériques

Postface
Michel Boussaton
Ouverture du colloque
Philippe Nélidoff

1 Mesdames, Messieurs, chers collègues,


2 Je suis particulièrement heureux de vous accueillir aujourd’hui dans
notre Faculté en pleine période de rentrée.
Bienvenue à vous tous qui nous honorez de votre présence.
Je voudrais dire un merci tout particulier au
Professeur Louis Lareng, l’inventeur du SAMU, il y a cinquante ans
puis de l’Institut européen de télémédecine, qui va nous faire part,
dans quelques instants, de sa riche et si passionnante expérience. Il
nous dira certainement que la création du SAMU a nécessité un
dépassement, une évolution de la loi pour répondre à de nouvelles
exigences sociales. Nous sommes déjà au cœur des relations entre
médecine et droit.
C’est pour moi l’occasion, une nouvelle fois, de souligner le lien entre
l’enseignement et la recherche qui fait partie de l’ADN universitaire.
Enseignement et recherche sont complémentaires et se nourrissent,
s’enrichissent réciproquement.
C’est aussi l’occasion d’attirer l’attention sur les relations qu’il nous
faut cultiver entre le monde des universitaires et celui des praticiens
et des professionnels. Notre Université Toulouse 1 Capitole a la
grande chance d’être située au cœur de la cité. Comme les autres
Universités du site, elle est naturellement un monde ouvert, un lieu
de dialogue, de débats et d’échanges. Cela vaut dans tous les
domaines : les métiers de la justice, ceux de l’administration, le
monde de l’entreprise et bien entendu celui de la santé. Ce secteur
est particulièrement à l’honneur dans notre Faculté.
Notre offre de formation, particulièrement étendue dans le cycle
Master (avec 38 Masters 2) propose un Master 2 Droit de la santé et
de la protection sociale dirigé par notre collègue, le Pr Isabelle
Poirot‑Mazères. Au sein de l’Institut Maurice Hauriou, le
Pr Xavier Bioy, spécialiste notamment des droits fondamentaux,
développe les recherches sur le droit de la santé et les questions de
bioéthique. Membre de l’Institut de Recherches en Droit Européen
International et Comparé, notre collègue
Nathalie de Grove‑Valdeyron vient d’obtenir une chaire d’excellence
Jean Monnet en droit européen de la santé et des produits de santé
attribuée par la Commission européenne.
C’est l’occasion d’insister également sur l’importance de
l’interdisciplinarité entre nos disciplines juridiques et les autres
disciplines scientifiques. L’interdisciplinarité vaut d’abord entre les
juristes : privatistes, publicistes, historiens du droit ont tout intérêt
à croiser leurs regards sur un certain nombre d’objets d’études
communs. C’est la raison pour laquelle nous avons mis en place il y a
quelques années, au sein de notre Faculté un Institut fédératif de la
recherche pour les juristes qui relèvent de nos différents centres de
recherches dont plusieurs sont représentés durant ce colloque : IMH,
IRDEIC, IDETCOM. Il faut, bien entendu, aller au-delà et faire en sorte
que les juristes travaillent de plus en plus avec les représentants des
disciplines en sciences humaines et sociales et les disciplines
scientifiques.
Sur un site comme celui de la métropole toulousaine, où les sciences
médicales et juridiques sont anciennement et fortement
représentées, l’interdisciplinarité se pratique depuis longtemps. Des
travaux communs entre les juristes et les professionnels de la santé
ne sont pas nouveaux. Il faut les prolonger et les approfondir. De
nombreux problèmes se posent en effet et méritent une approche
croisée comme vous allez le faire durant ces deux journées :
application du cadre législatif et réglementaire aux plans interne,
européen et international, droits du patient, protection des données
personnelles numériques, accès aux soins, droit de la responsabilité
médicale, questions déontologiques, solidarité et enjeux
économiques, recherche du bien commun, partenariats public-privé,
gouvernance territoriale… C’est dire que votre programme est
particulièrement riche et ambitieux.
3 Je voudrais remercier les organisateurs de ce colloque qui s’annonce
très prometteur, en premier lieu notre collègue le
Pr Isabelle Poirot‑Mazères, directrice du Master 2 Droit de la santé et
de la protection sociale et directrice-adjointe de l’IFERISS (Institut
Fédératif d’Etudes et de Recherches Interdisciplinaires Santé
Société), mais aussi Patrick Descoins et Jean‑Olivier Mallet.
Le thème retenu me paraît particulièrement judicieux. En effet,
notre société, nos sociétés contemporaines ont connu, connaissent la
révolution du numérique qui envahit tout et dont on n’a pas fini de
réaliser les conséquences, bonnes ou mauvaises, en tout cas qui
doivent être maîtrisées de crainte d’une fuite en avant qui
deviendrait incontrôlable. Nombreux sont d’ailleurs les colloques
qui, au sein même du monde des juristes, sont consacrés au
numérique. Les notaires consacrent leur congrès national à Lille au
thème du numérique. Nos cursus juridiques s’ouvrent au droit du
numérique. Ainsi avons-nous créé l’an dernier un Master complet en
droit du numérique dirigé par notre collègue le
Pr Céline Castets‑Renard, Master particulièrement attractif. Au sein
de notre Université Toulouse 1 Capitole, notre Faculté a élaboré un
projet intitulé « Toulouse Law Tech », dans le cadre du PIA3 (Plan
d’Investissement d’Avenir) porté par notre collègue le
Pr Lucien Rapp, directeur de l’IDETCOM.
4 En renouvelant toutes mes félicitations aux organisateurs, je vous
souhaite un excellent colloque, en attendant la publication des Actes
qui gardera la trace de vos travaux et permettra de nouvelles
réflexions sur un sujet en pleine évolution.
5 Toulouse, le 7 septembre 2017

AUTEUR
PHILIPPE NÉLIDOFF
Professeur, Doyen de la Faculté de droit et science politique de Toulouse
Partager la science : vers de
nouveaux horizons
Anne Cambon-Thomsen

1 ESOF (EuroScience OpenForum) est la plus grande rencontre


interdisciplinaire sur la science, l’innovation et leurs relations avec
la société en Europe, en matière de culture scientifique et de
dialogue entre science et société. Depuis 2004, sous l’égide
d’EuroScience et avec le soutien de la Commission européenne,
plusieurs milliers de chercheurs, acteurs socioculturels,
économiques et politiques du monde entier se réunissent tous les
deux ans dans une ville différente en Europe, qui devient : « Cité
européenne de la Science ».
Après Stockholm en 2004, Munich en 2006, Barcelone en 2008, Turin
en 2010, Dublin en 2012, Copenhague en 2014 et Manchester en 2016,
Toulouse a reçu d’Euro Science le label ESOF 2018. Elle compte
aujourd’hui parmi les grandes villes européennes devenues Cités
européennes de la science. La France accueille ainsi pour la première
fois, la 8e édition d’EuroScience Open Forum. Ce choix récompense
l'engagement de la France, de Toulouse Métropole, de la Région
Occitanie Pyrénées-Méditerranée et des acteurs scientifiques et du
ministère de l'Education nationale, de l'Enseignement supérieur et
de la Recherche. Près de 35.000 personnes, dont 4.000 chercheurs,
acteurs économiques, politiques et socioculturels, sont attendues du
9 au 14 juillet 2018, au cœur du carrefour toulousain et occitanien
incontournable de la politique scientifique européenne.
Les manifestations centrées sur la science et l’innovation ont débuté
en 2017. Elles se termineront en décembre 2018 à Toulouse, en
région Occitanie, avec une implication très forte des scientifiques
régionaux. Le label ESOF confère une grande visibilité et une
intégration officielle à une dynamique collective. Inscrite au cœur de
l'Agenda stratégique de la Recherche et déclinée dans les stratégies
des regroupements universitaires et de recherche, la culture
scientifique et technique est une priorité du Gouvernement.
L'organisation de cette manifestation scientifique européenne,
contribue à diffuser cette culture. Toulouse, grande ville
universitaire, affiche un réseau de recherche éclectique couvrant
toutes les disciplines. Elle offre un environnement scientifique et
d’innovation de grande renommée internationale ainsi qu’une
production scientifique de tout premier plan.
Le colloque « Santé, numérique et droit-s », dont cet ouvrage est la
restitution, s’est tenu les 7 et 8 septembre 2017. Il a reçu le label
ESOF 2018 – Toulouse, Cité européenne de la Science. Les quatre
critères de labellisation représentant les piliers essentiels d’ESOF :
qualité scientifique, lien à la société, dimension européenne et
implication des jeunes, étaient particulièrement valorisés. La
manifestation a rapproché des acteurs très différents du monde
scientifique et de la société, des institutions du monde santé-social,
économique, du monde public et privé, européen et politique. Son
caractère interdisciplinaire, prospectif et transversal en a fait toute
son originalité.
L’essor si grand du numérique a été l’occasion de faire le point
aujourd’hui sur les risques et les chances que représentent les
évolutions disruptives scientifiques et sociétales : en termes de droit,
de droits du citoyen et du patient, de pratiques professionnelles des
acteurs de santé et du social, de modèle économique de notre
système de protection sociale, de gouvernance algorithmique
territoriale. L’Europe, les Régions et les Métropoles sont en première
ligne pour affronter ces défis, où l’on apprend à faire la différence
entre dématérialisation et valeurs immatérielles, régionales et
européennes. Un prolongement concret de ce colloque est en cours
de préparation. Ce sera l’occasion de poursuivre des échanges
intenses en 2018, et pour l’avenir.

AUTEUR
ANNE CAMBON-THOMSEN
Docteur, Championne ESOF 2018
Introduction
Du SAMU et de la télémédecine à
la cybersanté
Louis Lareng

1 Trois activités qui constituent une chaîne qui n’est pas encore
fermée.
D’où m’est venue cette idée ?
En choisissant la carrière de médecin, j’ai pris conscience que je
devais donner un accès à des soins de qualité pour tous (voire
médico-sociaux et sociaux) en tout point du territoire.
D’autres ont eu la même idée et en ont fait la même analyse.
Seul, l’hôpital public pouvait réaliser un tel objectif. Or, une loi lui
interdisait de sortir de ses murs.
Avec l’accord tacite de la police, où je passais des nuits, en
alternance avec des étudiants, c’est avec le Panier à Salade que je me
rendais sur l’accident en faisant souvent la route en compagnie du
responsable de l’accident.
2 Ma première sortie s’est faite en 1955. De plus, j’étais arrivé à
organiser une réunion à Paris, 5 Avenue Montaigne, chez le
professeur Edmond Benhamou, Professeur à Alger, renvoyé du
service public, René Coirrier, agent du ministère qui venait en
cachette de son responsable.
3 Cette commission est arrivée à faire donner une autorisation
d’organiser à titre expérimental au CHU de Toulouse un service qui
s’appellerait SAMU.
Durant cette période, je devais passer devant un conseil de discipline
afin que son conseiller juridique fixe s’il y avait sentence ou pas à
propos de mon attitude. Oscar Wilde disait : « quand les gens sont de
mon avis, j’ai toujours l’impression de m’être trompé ». Cela ne
pouvait que me confirmer que j’avais raison de m’entêter !
Ayant sauvé le fils de ce conseiller deux jours avant, il n’a pas trouvé
opportun de sanctionner mon attitude. Nous étions en 1967.
Le SAMU a été créé au CHU de Toulouse le 16 juillet 1968. Il s’agit au
départ d’un standard téléphonique à 8 chiffres différent par
Département répondant à une régulation médicale.
4 Parallèlement, Madame Simone Veil, Ministre de la Santé, a reçu de
Monsieur Norbert Segard, Ministre des Postes et des
Télécommunications, des remerciements pour les soins qu’il avait
reçus au CHU de Lille. Il voulait faire un don à la santé.
Madame Simone Veil m’en a parlé et m’a proposé de me conduire à
Lille pour parler à Monsieur Segard du 15, actuellement non utilisé
sur le plan régional par suite des modifications apportées au réseau
téléphonique.
C’est avec enthousiasme que Monsieur le Ministre Norbert Segard a
fait don du 15 à la santé qui l’a affecté au SAMU.
5 C’est par la suite la loi sur « les transports sanitaires et l’aide
médicale urgente » qui a été votée à l’unanimité par l’Assemblée
Nationale, malgré l’opposition du gouvernement, le 8 janvier 1986, et
qui a consolidé le SAMU.
Il a fallu disperser de nombreuses et importantes oppositions pour
aboutir à la loi du 8 janvier 1986. Je passe sous silence toutes les
explications, combats et appuis puissants pour sortir illicitement de
l’hôpital avec tous les risques pris, étant accompagné par le
concierge de l'hôpital qui était très présent et conscient de
l’importance de gagner le défi que je poursuivais.
6 Par ailleurs, tout citoyen et toute citoyenne doit savoir porter
secours : c’est l’acte de sauvetage.
L’acte de sauvetage dépend d’une formation pour laquelle sont
formés, en accord avec Madame la Directrice Générale de l’ARS
Occitanie, Madame Monique Cavalier, des moniteurs bénéficiaires
d’une formation simultanée Santé et Protection Civile. Elle permet à
ceux qui la détiennent (tout citoyen et toute citoyenne peut le
détenir) l’arrêt d’une hémorragie, le porté d’un blessé, l’appel au
SAMU qui juge s’il se déplace, la manipulation d’un défibrillateur, la
pratique du massage cardiaque, la foudre.
L’enseignement par les jeunes parents à leurs jeunes enfants sur les
Risques Majeurs est considéré comme prévention dans l’acte de
sauvetage.
7 Je me suis engagé en Télémédecine, à partir du CHU de Toulouse le
26 septembre 1989 comme Directeur de l’Institut Européen de
Télémédecine qui est devenu Département Universitaire – Institut
Européen de Télémédecine et e-Santé (IET Midi-Pyrénées) de
l’Université Toulouse III - Paul Sabatier le 8 avril 2013.
Je l’ai d’abord introduite en Europe en présence d’un Membre de la
Commission Européenne et du Gouvernement Français, car la France
refusait un système propre à elle. La Télémédecine se définit comme
une nouvelle fonction médicale mais à distance.
Ceci m’a permis d’introduire la Télémédecine dans différents pays
européens dont la France.
Que d’efforts n’ont-ils pas fallu déployer pour aboutir à un système
interne à la France. La Télémédecine n’est pas un outil. Elle est
véhiculée par les Systèmes d’Information. Elle avoisine ainsi
l’aménagement du Territoire.
Elle facilite le déploiement de soins sur de plan Territorial. Elle
permet de mener la lutte contre la paupérisation de la Santé dans les
campagnes et par la mutualisation évite la fermeture
d’établissement de santé en difficulté.
Elle permet de concilier les résultats topographiques et les nécessités
thérapeutiques.
Dans l’ex Région Midi-Pyrénées, en 2016, nous avons dénombré :
50.686 Actes de Télémédecine ont été réalisés en 2016
146 Projets médicaux de coopération identifiés en 2016
A la fin 2016, 149 Structures représentant 172 sites sont équipées
57 sessions de formation réalisées avec 247 participations de Professionnels de Santé.

8 Cette situation a été obtenue par l’Equipe de collaborateurs, animée,


avec intelligence, par le Docteur Monique Savoldelli, Responsable de
l'Observatoire des Innovations et des Usages du Numérique en Santé,
à l'Agence Régionale de Santé Occitanie, dans le cadre de sa mission
d’intérêt général.
Monsieur le Président de la République, Emmanuel Macron,
Monsieur le Premier Ministre, Edouard Philippe,
Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé, Agnès Buzyn, ont
publiquement montré l’intérêt qu’ils portaient à la Télémédecine,
facilitant les contacts avec les collectivités territoriales.
9 Comment sommes-nous passés à la Cybersanté ?
Plusieurs circonstances nous ont entraînés à faire appel à
l’intelligence artificielle dans le domaine de la Santé, voire en voisin
de la Télémédecine. Le Numérique prend pied rapidement dans
notre vie quotidienne dans le domaine de la Santé
l’intelligence artificielle donne accès à la Santé dans :
le parcours de soins,
l’acte de sauvetage,
les soins donnés par l’infirmier,
la participation de l’Assurance Maladie,
la messagerie sécurisée,
les relations Européennes.

10 Le recours au numérique peut se faire dans la coopération


permanente entre intelligence humaine et intelligence artificielle. Il
reste prudent cependant que les défis auxquels nous sommes soumis
conservent une Stratégie Humaine.
Enfin, je ne saurai oublier le Robot.
11 En effet, s’il est guidé par l’homme pour que ce dernier puisse
atteindre une affection, l’ère Robotique dans laquelle nous entrons
permettra au Robot, une action propre.
Il lui sera possible en effet, par exemple dans l’hospitalisation à
domicile de préparer et réaliser l’intervention.
12 En-aura-t-il le droit ?
Au sein de toutes ces innovations, il ne faut pas perdre de vue quels
sont les Devoirs des Professionnels de Santé et les Droits des Patients
Usagers inscrits dans la loi. L’utilisation des données numériques en
Santé demande une Vigilance particulière et une Ethique
professionnelle aiguisée qui tiennent compte des progrès et qui, tout
en respectant le Droit Fondamental, portent au premier plan
l’intérêt du Malade.
L’Intelligence Artificielle et le Robot prennent pied de plus en plus
dans le domaine de la santé afin d’améliorer l’état des malades et
l’intervention des professionnels de santé.
C’est à la maîtrise humaine en toute Liberté et en Conscience d’en
assumer la Régulation.
Tout ceci nous conduit à travailler étroitement ensemble entre santé
et Juridique.
L’intervention du SAMU lors des évènements de Barcelone a mis en
évidence que l’on ne pouvait dissocier les soins physiques et
psychologiques. Une cellule d’urgence médico-psychologique doit
être positionnée dans le Poste Médical Avancé.
Notre Vie
13 Le Monde bouge et notre Vie est dépendante de son évolution, très
dépendante elle-même des recherches dont nous sommes à l’origine.
L’organisation qui en résulte est comparée par des auteurs à « une
société malade dont la raison n’a pas de domicile fixe ».
Notre Vie est une route que nous sommes en train de parcourir.
14 Ceci entraîne le concours de personnes de qualité qui disposent d’un
pouvoir de Conviction et d’un attachement riche de Respect et de
Fraternité.
Notre existence est une Vie de transition faite d’échange et de
partage.
Rappelons à ce sujet cette citation de Voltaire :
“C'est n'être bon à rien de n'être bon qu'à soi.”
15 Le parcours de soins qui joue un rôle important dans la
Télémédecine permet un changement de Braquet. Le développement
de la Télésurveillance en particulier des zones défavorisées, le rôle
des plateformes, le souci de faire appel conjointement à
l’intelligence Artificielle et l’intelligence Humaine est un fait.
Le choix des responsables, compte tenu des qualités nécessaires à
leurs fonctions doit être bien adapté. Il ne faudrait pas hésiter à
juger sa Personnalité. Calme et Force en caractère sont nécessaires
pour notre temps.
Il faut respecter la Vie
« Par son exemple, Simone Veil a montré que la Vie n’est sacrée que parce qu’elle
porte au plus Haut l’Humanité de l’Homme »

AUTEUR
LOUIS LARENG
Professeur des Universités, Président honoraire de l’Université Toulouse 3 Paul Sabatier,
Directeur du Département universitaire IET Midi-Pyrénées, Président d'Honneur de
l'Observatoire Régional des Innovations et des Usages du Numérique en Santé, Agence
Régionale de Santé Occitanie
Rappel des cadres normatifs :
quel(s) droit(s) en santé à l’heure
du numérique ?
Isabelle Poirot-Mazères

1 Anecdotiques il y a quelques années, les outils et services


numériques sont désormais indissociables du présent et de l’avenir
de nos sociétés, singulièrement dans les rapports individuels et
communs que nous entretenons à la santé. Plus aucun secteur de la
médecine, curative ou préventive, ne semble pouvoir s’en dispenser
et leur nombre augmente de façon exponentielle. A s’en tenir au seul
marché de la santé mobile, il est estimé à près de 80 milliards
d'objets connectés dans le monde d’ici 2020, alors que d’ores et déjà,
160.000 applications mobiles de santé ont été recensées en 2016.
2 Alors que cette prolifération est appréhendée avec méfiance voire
réticence en certains domaines, le recours au numérique fait
globalement consensus en santé, les promesses qu’il porte
contrebalançant avantageusement les risques qu’il recèle
potentiellement pour la vie privée ou les libertés individuelles. Ainsi,
selon une étude réalisée Orange-BVA en décembre 2017 réalisée
auprès d’un échantillon de mille personnes, trois quarts des Français
consultent des sites, rubriques ou forums internet spécialisés sur la
santé, principalement pour s’informer sur une maladie ou ses
symptômes et, pour presque un tiers, ils le font pour avoir des
conseils de bonne hygiène de vie au quotidien. Plus de 50%
possèdent au moins un objet de santé connecté ou digital (en
premier lieu pour 12% un tensiomètre, et pour 9%, un bracelet ou
une balance connectés) et trois sur dix l’utilisent régulièrement. Une
majorité de professionnels de santé mais aussi les organismes de
protection sociale (Assurance maladie et mutuelles) ou les
établissements de santé reconnaissent que les outils et services du
numérique facilitent les relations avec les patients. Ces derniers sont
aussi très généralement favorables au maintien à domicile grâce au
suivi et à l’accompagnement à distance que permettent les objets
connectés, et 40% au développement des consultations par Internet,
ce que confirme une autre étude réalisée en mars 2018 1 . 78% des
personnes interrogées estiment aussi que les objets et services
numériques sont utiles pour la prévention et qu’ils ont et auront un
impact positif sur la recherche médicale (76%), la qualité des soins -
en rendant plus efficaces les suivis et les traitements (68%)- et
l’amélioration de la santé (63%) par un accès facilité à l’information
ou l’analyse par chacun de ses paramètres personnels via les objets
connectés et les applications. Si le doute est plus grand s’agissant de
l’incidence sur les déficits du système de soins, en revanche le
numérique est très généralement perçu comme une « bonne chose »
notamment pour les personnes fragiles ou souffrant d’une maladie
chronique.
3 L’optimisme est donc de rigueur au regard de ces chiffres quant à
l’acceptation du numérique en santé et son développement à venir,
d’autant que les avis sur le partage des données témoignent d’une
certaine connaissance des enjeux. Ainsi, les Français sont prêts à
partager leurs données de santé dès lors qu’elles sont anonymisées,
sécurisées et si on leur explique l’usage qui en sera fait. Leur position
à cet égard est toutefois modulée en fonction des acteurs concernés :
si 80% sont prêts à les partager avec les professionnels de santé et les
hôpitaux, et 60% avec des chercheurs ou des universitaires, ils ne
sont plus que 40% à accepter de le faire avec les mutuelles, 27% avec
des start ups spécialisées en santé et 13% avec les GAFAM… Il reste
aussi à convaincre les professionnels de santé eux-mêmes à l’heure
du déploiement de la télémédecine et des objets de santé connectés.
Ainsi les médecins sont 55% à penser que le numérique va altérer
leur relation avec les patients « en limitant encore les contacts
humains », même s’ils en reconnaissent par ailleurs l’utilité
technique pour le transfert d’informations 2 .
4 Cette déferlante du numérique en santé suscite de nombreux
questionnements non seulement politiques, sociétaux et
économiques mais aussi éthiques et juridiques, qui en suivent bien
d’autres, ailleurs. Ainsi déjà, la génomique, la biologie de synthèse, la
robotique, les nanotechnologies, les neurosciences, aujourd’hui
l’intelligence artificielle, toutes ces technologies bouleversent notre
rapport au corps, à la santé, à l’humanité et au monde. Elles
transforment les modes traditionnels d’accès aux soins et les
pratiques professionnelles des soignants et plus généralement les
services liés au corps humain. Elles interrogent les métiers et les
organisations, modifient les termes de la relation médicale, les
processus de décision, les conditions de prise en charge des patients,
confrontent aussi le tout curatif aux nouvelles techniques de
prévention/prédiction développées à partir de l’analyse des données
et de la construction d’algorithmes.
5 Elles obligent aussi à repenser non tant les grands principes du droit
et de l’éthique mais les cadres juridiques dans lesquels s’inscrivent
les droits et les dispositifs propres aux soins et à la santé.
6 Si les tensions sur le système juridique sont vives, elles n’en sont pas
pour autant nouvelles. Cela fait en effet quelque temps que les
innovations bousculent les juristes obligeant à interroger les cadres
de réflexion et les encadrements textuels.
7 Pour prendre la mesure des défis actuels, il faut garder à l’esprit le
décalage existant entre le temps de la recherche et de l’innovation et
ceux du débat politique, de l’action publique et de la construction du
droit. Respecter chacun dans son temps oblige à la conciliation. Il
importe certes de réglementer ou réguler les pratiques en santé,
mais en réfléchissant systématiquement au degré de normativité et
de contrainte qu’il est le plus judicieux de retenir face à l’innovation,
ses promesses et ses risques.
8 Les enjeux imposent également d’associer à la réflexion tous les
acteurs de la santé (autorités sanitaires, professionnels et
établissements de santé, industriels, laboratoires, associations de
patients, …) et d’y d’intégrer le point de vue d’autres chercheurs
(médecine, philosophie, sociologie, psychologie, etc …) afin
d’appréhender, en concertation, les adaptations ou évolutions des
cadres juridiques existants, les limites à ne pas franchir, les verrous
épistémologiques à faire céder.

I – L’enjeu premier des définitions et des


qualifications juridiques
9 L’un des constats les plus immédiats que l’on puisse faire face au
développement de la e-médecine est celui de la difficulté à en saisir
certains objets (A) qui interrogent les taxinomies classiques et
éprouvent les réglementations (B).
A – La reconstruction des objets du numérique par le
droit

10 Toute règle juridique suppose qu’en soit bien défini l’objet et à cet
égard, rappelons comme le fait Marie-Angèle Hermitte, que le Droit
est un « autre monde » 3 dans lequel les juristes retravaillent le réel
pour construire un univers parallèle : « Je vois le droit comme un
monde propre, écrit-elle, construit par le langage humain en miroir
du monde concret dans lequel les hommes vivent. Même si le droit
traite des réalités du vrai monde et produit sur elles des
conséquences concrètes, c’est un monde purement abstrait » 4 . Les
choses et les êtres sont alors transformés en objets ou sujets de droit,
afin de leur appliquer des règles juridiques générales et finalisées,
sans autre contrainte, toute pragmatique, que celle d’en respecter
les caractéristiques physiques.
11 Si le contenu de la plupart des réglementations juridiques se résume
à poser des normes impératives, prohibitives, permissives, certaines
ne contiennent ni injonction ni autorisation mais se bornent à poser
des énoncés, de nature à définir les objets des règles, à préciser les
termes des dispositions textuelles, ou à ouvrir catégories et
classifications, clefs vers l’application d’un régime juridique. Ainsi,
lorsqu’il est nécessaire de saisir un objet en lui-même, par exemple à
des fins d’organisation d’un marché ou de traçabilité via une
procédure de déclaration ou d’enregistrement, le droit pose une
définition. Mais celle-ci ne vaut qu’en droit, et au regard de l’objectif
visé par la norme. Celle-ci s’inspire alors du réel en s’attachant à
certaines des caractéristiques qui ont du sens au vu du but poursuivi
ou de la fonction que remplit l’objet (ainsi, des définitions du
meuble, du contrat ou, plus singulièrement, du médicament, des
nano substances ou de la donnée de santé 5 ).
12 Le domaine du numérique a vu à cet égard se multiplier les notions
sans que l’on identifie toujours celles ayant une réelle existence en
droit. Dans la nébuleuse de termes et d’expressions, la priorité est de
distinguer ceux qui résultent de textes et sont partagés dans l’Union
européenne. L’un cas des cas les plus topiques est celui de la
télémédecine. Définie par la loi (article L.6316-1 du Code de la Santé
Publique), elle se distingue de la télésanté qui va bien au-delà
puisqu’elle « couvre, outre le domaine médical, le secteur médico-
social 6 », comme elle se distingue de la e-santé, elle-même plus
large encore dès lors que, selon par la Commissaire européenne à la
santé, Androulla Vassiliou, elle renvoie à l’ensemble des « différentes
applications des technologies de l’information et de la
communication aux soins de santé » 7 . Quant à la m-santé ou Mobile
Health, elle est définie par l’OMS (2009) comme recouvrant « les
pratiques médicales et de santé publique reposant sur des dispositifs
mobiles tels que téléphones portables, systèmes de surveillance des
patients, assistants numériques personnels et autres appareils sans
fil ». Dans cet ensemble, seule la télémédecine fait ainsi l’objet d’une
définition juridique qui en détermine, nous le verrons, le régime.
13 Mais le plus souvent, il ne s’agit pas tant de définir que de faire
entrer l’objet du réel dans une catégorie juridique existante, à
laquelle correspond un ensemble de règles précises. Il s’agit alors de
qualifier afin de déclencher l’application d’un régime juridique,
dimension essentielle de la pratique du juriste quel qu’il soit :
traduire des faits en droit, subsumer des objets, actes, situations
« sous des concepts (en particulier des concepts spécifiquement
juridiques) », en vue de la production d'effets de droit 8 . Le
« producteur de droit » ou le juge saisi d’un litige, en fonction de la
finalité qu’il poursuit, identifie des régimes juridiques et y soumet
objets, comportements, situations, au terme de son opération de
qualification.
14 Cette opération, en fonction du degré de précision de la définition,
est plus ou moins contrainte, laissant des marges d’appréciation
variable à celui qui est appelé à appliquer les réglementations ou au
juge en cas de contentieux. Pour prendre un exemple, le code de la
santé publique donne deux définitions du médicament par
présentation ou par fonction. Dès qu’un produit est ainsi identifié,
qualifié comme tel, il est soumis au régime juridique drastique du
médicament, de l’autorisation de mise sur le marché aux restrictions
de commercialisation via le monopole pharmaceutique. Et l’on sait la
guerre que se livrent ici pharmaciens et grandes surfaces à propos
de la qualification d’un certain nombre de produits type vitamine C
9 , tantôt identifiés comme compléments alimentaires tantôt

reconnus comme médicaments.


15 Cette opération est cruciale en santé alors que se multiplient de
nouveaux objets et de nouvelles pratiques que l’on peine à ranger
dans une catégorie précise, ce qui rend complexe la détermination
des règles applicables et tend aussi à en remettre en cause la
pertinence ou l’adéquation au réel.

B – Les taxinomies du droit à l’épreuve

16 Cette démarche de qualification apparemment simple s’avère


désormais en santé souvent plus délicate du fait à la fois de
l’apparition de produits frontières ou de produits hybrides, de la
transformation des pratiques et de l’évolution des cadres d’exercice
sous la pression des nouvelles technologies.
Quelques cas sont ici exemplaires
17 1. Une prothèse et plus généralement tout dispositif de nature à
pallier des défaillances organiques, de la simple béquille à l’implant
bionique, sont au regard du code de la santé publique qualifiés de
dispositifs médicaux, implantables ou non, dès lors qu’ils répondent
à la définition donnée par l’article L. 5211-1. Mais c’est sous une
autre qualification que ces mêmes objets sont saisis par le code civil,
notamment quand il faut trancher une question de responsabilité.
Leur sophistication croissante, leur degré d’invasivité, leur pérennité
dans le corps humain font d’eux tantôt des choses, tantôt des
prolongements de la personne, le tout évidement entrainant
l’application de règles différentes. Mais du fait de leur adjonction au
corps, certains affectent en droit la frontière chose-personne, et ce
d’autant plus certainement que commencent à apparaître les
interfaces homme-machine. Le droit s’appuie alors sur l’intensité du
lien intrinsèque avec la personne, lequel place à des degrés divers les
prothèses sous le régime spécifique du corps-personne, hors du
statut des simples choses, du moins aussi longtemps que
l’intégration corporelle persiste. En deçà comme au-delà,
l’instrument, fût-il bionique, n’est qu’une chose comme une autre
pour le code civil, un dispositif médical pour le CSP, et il en suit le
régime 10 .
18 2. Ce n’est pas la seule summa divisio qu’éprouvent les nouveaux
dispositifs. Certains sont désormais conçus en synergie avec des
médicaments ou des produits d’origine humaine, suscitant des
questionnements sur la singularité des catégories au sein des
produits de santé et sur la porosité des frontières fixées par le Code
de la santé publique. Ces frontières sont toutefois toujours tenues, en
l’espèce par la prise en considération de l’action accessoire du ou des
dispositifs au regard de celle, essentielle, de la substance
médicamenteus 11 ou des éléments cellulaires ou tissulaires. Ainsi,
par exemple, les produits issus de l’ingénierie tissulaire sont
analysés dans leurs caractéristiques et qualifiés, parfois au prix de la
création d’une nouvelle sous-catégorie 12 , de médicaments. Des
interrogations renouvelées surgissent avec les solutions multi-
technologiques de santé (SMT) qui combinent un médicament et/ou
un dispositif médical et/ou une solution d'information et de
communication comme un logiciel d'accompagnement
thérapeutique 13 . En particulier la mise sur le marché de « pilules
numériques » 14 , non seulement oblige à repenser le principe de
l’autorisation de mise sur le marché pour un ensemble hybride, mais
confronte le milieu pharmaceutique à un vide juridique total, à la
fois sur les risques et effets indésirables à long terme et leur date de
validité. Quant à l’évaluation de ces SMT, les industriels appellent à
un « changement de méthode », dénonçant un système d'évaluation
« en silo », qui freine leur développement. C'est l'un des chantiers
ouverts par la HAS pour lequel a été tracée la feuille de route en avril
2018. 15
19 Bien plus, l’identité même des DM en tant que « produit de santé »
est aujourd’hui interrogée par la multiplication de « produits de la
santé », du bracelet connecté à l’application pour smartphone. La
qualification des objets connectés est devenue un enjeu juridique
premier, dès lorsqu’elle emporte avec elle des règlementations plus
ou plus contraignantes en termes de mise sur le marché comme de
remboursement, et impacte donc les stratégies politiques et
économiques d’intégration de l’innovation.
20 Or la position récente de la CJUE sur la définition même d’un
dispositif médical conduit à envisager une application du régime de
celui-ci à bon nombre d’objets et applications de la e-santé. Saisi
d’une question préjudicielle par le Conseil d’Etat relativement à un
logiciel d’aide à la prescription, la Cour a considéré qu’un logiciel
« dont l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à
un patient, aux fins, notamment, de détecter les contre-indications, les
interactions médicamenteuses et les posologies excessives, constitue, pour ce
qui est de cette fonctionnalité, un dispositif médical, au sens de ces
dispositions, et ce même si un tel logiciel n’agit pas directement dans ou sur
le corps humain ». Elle rappelle ainsi très clairement les conditions
cumulatives posées par les textes, la finalité spécifiquement
médicale du dispositif 16 et son mode d’action. C’est ce mode
d’action qu’elle précise en soulignant que si la directive « prévoit que
l’action principale du dispositif médical « dans ou sur le corps humain » ne
peut être obtenue exclusivement ni par des moyens pharmacologiques ou
immunologiques ni par métabolisme, elle n’exige pas qu’un tel dispositif
agisse directement dans ou sur le corps humain » 17 pour le considérer
comme tel. Rappelons par ailleurs que les fabricants de logiciels
peuvent s'appuyer, pour déterminer si leurs produits sont des
dispositifs médicaux, sur les lignes directrices publiées par la
Commission européenne sur la qualification et la classification des
logiciels utilisés dans les soins de santé (Meddev 2.1/6) 18 .
21 3. Autre point d’attention, la définition et le régime juridique de la
télémédecine et des actes et prestations qu’elle recouvre. Définie par
la loi comme « une forme de pratique médicale à distance utilisant
les technologies de l'information et de la communication » 19 ,
précisée dans ses manifestations 20 , la télémédecine est exercée par
des professionnels de santé qui sont autorisés à faire des actes
médicaux, au sens d’actes enseignés en Faculté de médecine et
réalisés par des médecins 21 . Mais le recours aux robots comme le
développement du numérique ouvrent la voie de tels actes aux
professionnels non médicaux comme le permet l’article 51 de la loi
HPST 22 ou la reconnaissance par la loi du 26 janvier 2016 de la
« pratique avancée » 23 . Resurgit alors en droit la question de la
définition de l’« acte médical » 24 d’une part s’agissant du régime
de responsabilité au regard des « actes de diagnostic, de prévention
ou de soins », ou de l’acte de soins courants 25 , et d’autre part
comme élément constitutif de la profession de médecin.
22 En effet, à partir du point d’ancrage que constitue le monopole des
médecins, institué officiellement par la loi Chevandier du 30
novembre1892 (article 1er), les textes déclinent, par degrés, les
cadres légaux d’exercice des divers professionnels de santé, en
matière médicale, pharmaceutique et paramédicale. Leurs
périmètres d’exercice sont ainsi définis en dérogation à ce
monopole, le plus souvent, s’agissant des auxiliaires médicaux, dans
le cadre de décrets de compétence qui autorisent l’accomplissement
de certains actes et en précisent le champ de responsabilité. La
pertinence de ce schéma de répartition a été progressivement
altérée par les avancées scientifiques, et certains actes réservés aux
médecins du fait de leur technicité sont devenus anodins,
chronophages et peu gratifiants. La solution serait de redéfinir
comme d’aucuns l’ont justement proposé l’acte médical afin de le
mettre en phase avec la réalité des pratiques 26 . Le législateur n’a
pas encore remis à plat ces distinctions, se contentant de solutions
qui n’affectent les cadres d’exercice qu’à la marge sans remise en
cause des modèles de base, en transférant quelques actes
traditionnellement réservés aux médecins vers d’autres
professionnels de santé. Jusqu’à quand ?
23 4. Si les données personnelles sont appréhendées par les textes
depuis longtemps, la donnée de santé ne l’était pas dans sa
singularité, exception faite de son caractère de donnée sensible.
Question au cœur de la révision des textes européens, la définition
de la donnée de santé à caractère personnel a été finalement été
posée par le Règlement 2016/679 du 27 avril 2016 relatif à la
protection des personnes physiques à l'égard du traitement des
données à caractère personnel et à la libre circulation de ces
données, qui prévoit dans le même temps de nouvelles obligations
concernant leur traitement 27 , comme nous le verrons
ultérieurement.
24 Pouvoir qualifier est de fait crucial, ce qui suppose d’une part que
des taxinomies soient en place et que des régimes particuliers leur
correspondent.
25 Or à cet égard aussi l’intrusion du numérique en santé bouscule les
réglementations ou éprouve leur efficacité.

II – Le défi des usages du numérique en


santé : les points d’attention du droit
26 Le développement de l’usage du numérique, l’appréhension de ses
avantages comme l’identification de ses risques conduisent à
mobiliser les règles juridiques qui encadrent les actes et les activités
comme celles qui organisent les régimes de responsabilité en
vigueur. Les questions posées peuvent être relatives à la légalité de
certaines décisions ou pratiques pouvant conduire à une annulation
contentieuse, ou plus souvent aux responsabilités susceptibles d’être
engagées en cas de dommages ou d’atteintes aux droits et libertés.
Plusieurs questionnements surgissent qui appellent soit une
vigilance accrue face aux évolutions en cours (A) soit un effort
d’anticipation pour intégrer les transformations inéluctables du
secteur de la santé (B).

A – Vigilance et information

1) Sécurité et qualité des objets et des pratiques


27 Il s’agit de la première préoccupation qui détermine les conditions
de mise sur le marché des produits et leur suivi comme l’évaluation
des pratiques professionnelles. L’un des sujets les plus actuels est
celui de la garantie de la sécurité et de la performance des logiciels,
objets connectés et autres applications, qu’ils soient ou non
dispositifs médicaux. Lorsqu’ils sont reconnus dispositifs médicaux,
le marquage CE permet d’en assurer la qualité et la sécurité, sans
autre vérification ni procédure de certification supplémentaire. C’est
ainsi que désormais les logiciels d’aide à la prescription (et
certainement les logiciels d’aide à la dispensation), en a décidé la
Cour de justice de l'Union européenne, constituent des dispositifs
médicaux au sens du droit de l'UE 28 , suscitant des questions sur la
pérennité de la procédure française de certification des logiciels
médicaux organisée sous l'égide de la Haute autorité de santé.
28 Au-delà de la lourdeur de la procédure et de son caractère
chronophage pesant particulièrement sur les startups, les
concepteurs d’objets connectés ont tout intérêt à obtenir un
marquage CE, qui a l’avantage d’avoir une valeur scientifique
reconnue et de donner au dispositif une crédibilité auprès du grand
public. Il est aussi indispensable pour pouvoir être prescrit par un
professionnel de santé avec une prise en charge par l’Assurance
maladie 29 .
29 Quant aux Ocs et applications mobile n’ayant pas de finalité médicale
avérée mais qui peuvent avoir un effet sur la santé, la HAS a élaboré
un référentiel de bonnes pratiques à destination des industriels et
des évaluateurs (institutions d’évaluation, sociétés savantes
médicales, associations de consommateurs) qui « vise à guider, à
promouvoir l’usage et à renforcer la confiance dans les applications
et les objets connectés » 30 .
30 A partir de ce référentiel, a été envisagée non tant une certification
31 , du moins un « dispositif de mise en conformité volontaire » des

objets connectés et applications mobiles de santé « prenant la forme


d'une labellisation », et ce, sur les trois axes de la fiabilité médicale,
de la protection des données et de la cybersécurité 32 . Du rapport
remis en janvier 2017 33 par le Groupe de travail 28 du CSF Santé
destiné à définir « les conditions d'un développement vertueux des
objets connectés et des applications mobiles de santé » ne relevant
pas du champ des dispositifs médicaux, l’on retiendra, entre autres,
deux préconisations. D’abord l’invocation à n’agir que par la voie
d’une « régulation souple », afin de « ne pas freiner l'innovation »
sur un marché caractérisé par un rythme exponentiel de croissance
et des produits aux cycles de vie plus rapides. Le Groupe propose
ainsi une labellisation à base de volontariat et le principe d’une co-
construction du référentiel de labellisation avec la puissance
publique, les industriels et les usagers patients et professionnels de
santé. Ensuite, la nécessité dans le cas de ces objets connectés et
applications d’élargir l’appréciation de leurs bénéfices à la prise en
compte de leur valeur d’usage au-delà même de leurs bénéfices
médicaux et économiques. Il s’agit ainsi de bien appréhender leur
« bénéfice avéré », en y intégrant l'amélioration de la qualité de vie
et du confort des patients comme celle des aidants, et en tenant
compte aussi sans doute des données de vie réelle 34 , ce qui doit
conduire à la construction d’une méthode d’évaluation adaptée 35 .
31 Autre sujet d’interrogation s’agissant de la sécurité et de la qualité
des objets et des pratiques, celles des données et des algorithmes qui
les déterminent 36 , qui doivent être en permanence interrogés et
actualisés. Il a été abordé par le Conseil national de l'ordre des
médecins (Cnom) et la CNIL récemment 37 , il sera analysé par
divers contributeurs comme la clé d’une confiance acquise à la
e‑santé.
32 Enfin, et sans prétendre ici à l’exhaustivité, de nouveaux risques
surgissent avec les produits et utilisations du numérique,
renouvelant (?) l’épineuse question de la responsabilité. En effet, au-
delà des menaces de piratage ou des contraintes dans la gestion des
données, l’algorithmisation du monde conduit à repenser la
pertinence du régime de la responsabilité civile sur lequel repose
notre régulation du risque et notre système de réparation des
dommages. Sans bouleversement profond (les grands mécanismes
demeurent en s’adaptant à la diversité des situations comme en
témoigne la proposition d’ « une responsabilité en cascade » 38 ),
elle suscite toutefois des questionnements fondamentaux sur le
degré de liberté laissée aux professionnels de santé dans la prise de
décision à partir de logiciels omniscients et, désormais, alors que
certains leur revendiquent l’octroi d’une personnalité juridique, sur
l’« autonomie » des robots et des systèmes apprenants 39 .

2) Protection de la vie privée : la question des données

33 Le problème de la collecte, de l’utilisation, de l’hébergement et de la


conservation des données de santé en toute sécurité et dans le
respect de la vie privée, aujourd’hui et demain, voici sans conteste
l’un des sujets les plus débattus du secteur de la santé ayant suscité
des vagues successives de normes. Largement évoqué ailleurs dans
cet ouvrage, il ne souffrira pas ici de n’être que mentionné, au cœur
de toutes les vigilances européennes et nationales, et au centre
d’enjeux économiques et politiques ardus, qui voient s’opposer Etats
et géants du net, et de fait deux modèles de gouvernance.
3) Droit de la relation de soin : droits et obligations des patients
et les praticiens

34 L’une des modifications les plus évidentes est certainement la prise


de rendez-vous en ligne sur des plateformes dédiées. Parfois
laborieuse, tributaire de la disponibilité des praticiens demandés,
elle se fait désormais d’un simple clic. Elle libère aussi les
professionnels à la fois d’une charge financière appréciable 40 et
d’une tâche chronophage (30 à 40 % du temps de travail des
praticiens est consacré à l'administratif). Elle n’est que le signe
avant-coureur d’une transformation profonde de la relation
médicale et de la prise en charge des patients via les outils et
services numériques, qui marque tant les pratiques professionnelles
que la place du patient.

a) Sur les pratiques

35 L’exercice de l’art médical et au-delà de toute fonction de santé est


aujourd’hui en partie porté par le recours par les professionnels aux
logiciels d’aide au diagnostic, à la décision, à la prescription ou à la
dispensation de DM (et sans doute bientôt de médicaments
connectés), sans omettre les instruments connectés, du robot
chirurgical au portable. Nul ne conteste aujourd'hui le
développement de l'usage de Smartphones et de tablettes personnels
dans l'exercice professionnel, par exemple pour prendre des photos
de lésions cutanées (mélanomes, ulcérations, plaies) afin d’obtenir
l'avis d'un médecin spécialiste 41 . Par ailleurs le diagnostic et la
prescription s’appuient désormais sur le recueil et le traitement des
milliers de données issues à la fois de la littérature médicale mais
aussi de l’ADN, sans oublier la compilation du dossier médical du
patient avec son histoire clinique, les découvertes et remarques des
praticiens, les comptes rendus, les antécédents familiaux... Grâce à la
technique, le médecin est ainsi plus efficace sans pour autant
s’effacer. En effet, si ces nouveaux vecteurs facilitent la prise de
décision, ils ne sauraient la déterminer systématiquement, le
médecin gardant la possibilité, et à condition de le justifier, de
s’écarter des préconisations, comme il en est depuis toujours au
regard des recommandations de bonne pratique. A cet égard, la
structure de la responsabilité, construite sur la faute, ne devrait
guère évoluer pour les praticiens, sauf à conduire le cas échéant à
interroger en même temps celles du fabricant ou d’un tiers
technologique, ce qui n’est pas en soi inédit 42 .
36 Au-delà du diagnostic, les avancées en matière d’imagerie médicale
et de radiologie, « transition de l’imagerie médicale à la médecine
computationnelle » pour reprendre la formule de Nicolas Ayache,
ont considérablement amélioré la prise en charge des malades qui
voit émerger, notamment en chirurgie, un patient numérique et
modélisé. Les modèles ainsi définis permettent de simuler
l’évolution d’une pathologie pour affiner un pronostic ou de
planifier et reproduire une intervention afin d’en optimiser la
réalisation. Sur un terrain proche, la thérapie numérique avance qui
voit notamment l’utilisation des serious games entrer dans l’arsenal
thérapeutique des déficits cognitifs légers ou de la rééducation au-
delà des programmes d’ETP 43 . A titre d’illustration, des jeux vidéo
thérapeutiques sont des Dispositifs Médicaux de Classe I, marqués CE
et comme tels font l’objet d’évaluations scientifiques rigoureuses
afin d’en prouver la faisabilité, l’acceptabilité et l’efficacité clinique
44 .

37 Bon nombre des outils numériques facilitent aussi le suivi et la


surveillance des patients, alliés à la généralisation des mobiles et
l’émergence du cloud. Ces technologies permettent d’envisager de
nouveaux modèles de suivi pour les malades chroniques, les
grossesses ou les traitements lourds comme les chimiothérapies et
ouvrent de nouvelles perspectives pour les personnes en perte
d’autonomie, notamment à travers la télémédecine mais aussi les
objets connectés 45 . Le patient est aussi mieux suivi puisqu’il
transmet ses données physiologiques plus régulièrement, plus
fréquemment et de manière plus fiable, aux praticiens, évitant par
retards, complications et hospitalisations dont le coût est important.
La télésurveillance via des dispositifs connectés est aussi devenue
l’un des moyens de s’assurer de la bonne observance - ainsi pour les
patients atteints d'un syndrome d'apnées-hypopnées obstructives du
sommeil (SAHOS)- et partant, tout à la fois de mieux traiter les
malades et de réaliser des économies financières importantes. On
sait que depuis le décret n° 2017-809 du 5 mai 2017 pris pour
l'application de l'article 92 de la LFSS pour 2017, dans le cadre de la
mise en œuvre de certains traitements d'affections chroniques, les
prestataires de dispositifs médicaux peuvent recueillir, avec l'accord
du patient, les données issues d'un dispositif mis à la disposition du
patient et nécessaire à son traitement, qui peuvent, avec l'accord de
celui-ci, être télétransmises au médecin prescripteur, au prestataire
et au service du contrôle médical. Le texte pose aussi les conditions
d'une modulation tarifaire éventuelle en fonction du niveau
d'utilisation constaté du dispositif médical, qui, si elle se fait sans
augmentation de la participation de l'assuré en cas de moindre
observance, ouvre de fait la voie à une responsabilisation du patient.
38 Ces diverses manifestations de recours au numérique suscitent
toutefois des interrogations en lien avec la circulation et le partage
des données qu’elles supposent. Beaucoup de dispositifs issus des
technologies innovantes sont connectés et leur usage conduit à
s’interroger sur la multiplication exponentielle des données de
santé, avec les problématiques associées d’exploitation, de fiabilité,
de sécurité et de confidentialité. Or le secret est une règle
fondamentale et structurante de la relation de soins et la protection
des données en est consubstantielle. Si le patient exige une
information complète, il veut aussi, à juste titre, être rassuré sur la
sécurité de la conservation, de l’accès et de la circulation de ces
données. La CNIL attire régulièrement l’attention des hébergeurs de
données de santé et des établissements hospitaliers sur le respect de
la confidentialité des données médicales.
39 Sans entrer dans le détail d’une thématique que beaucoup
reprendront dans cet ouvrage, nous retiendrons un point d’analyse,
important juridiquement, celui de l’utilisation des messageries par
les médecins 46 . Tout professionnel est tenu de respecter le cadre
juridique de l’échange des données personnelles de santé (L.1110-4
CSP) et de leur hébergement (L.1111-8). Bon nombre de praticiens
utilisent au quotidien leur smartphone personnel, qu’il s’agisse
d’échanges de mails avec des confrères ou avec leurs patients, ou de
prise de photographies pour demander des téléavis, du type
"téléexpertise". Le transfert de tels mails qui contiennent des
données de santé à caractère personnel doit être protégé et leur
conservation ne doit pas être négligée. A cet égard, la CNIL a rappelé
que la messagerie électronique, voire le fax, ne « constituent pas a
priori un moyen de communication sûr pour transmettre des
données médicales nominatives. Une simple erreur de manipulation
(adresse de messagerie erronée, erreur de numérotation du fax
destinataire…) peut conduire à divulguer à des destinataires non
habilités des informations couvertes par le secret médical et à porter
ainsi gravement atteinte à l’intimité de la vie privée des personnes »
47 . Pour garantir la confidentialité des échanges et
l'interopérabilité des messageries des professionnels de santé, ont
été mis en place des services de messageries sécurisées de santé, que
doivent utiliser les praticiens, que l'initiative en soit publique
(MSS‑Santé) 48 ou privée.
40 En deçà, la responsabilité du médecin reste entière au titre de la
violation du secret, qu’il ait permis à ses patients de lui adresser des
mails (ou des SMS) sans que ces données soient protégées pendant
leur transfert, ou qu’il néglige d’utiliser les messageries sécurisées.
41 Or, alors même que « ces dispositifs de messagerie de santé sécurisée
constituent l'environnement indispensable au développement des
parcours de soins coordonnés et, au-delà, à l'essor de la
télémédecine » comme le rappelle la Cour des comptes 49 , l’objectif
de généralisation de leur usage initialement proposé pour 2017 est
loin d’être atteint 50 . Bon nombre de praticiens butent en effet sur
des difficultés d'ordre techniques, d'interopérabilité ou de
déploiement qui tendent à en décourager l’utilisation systématique
51 .

b) Sur la place du patient

42 Le numérique transforme la relation médicale en en modifiant les


données.
43 En matière d’information d’abord. Les patients disposent via les TIC
de moyens d’information divers et diversifiés. Le praticien, plus
qu’auparavant, se doit être plus précis d’abord pour aider les
patients à mieux appréhender la masse d’informations à laquelle ils
sont confrontés, ensuite s’agissant de patients techniquement
impliqués dans la gestion de leur affection, pour les accompagner
dans le suivi de leur maladie chronique.
44 Dans la prise en charge ensuite. La loi en fait l’un de ses axes
prioritaires et la Stratégie e-santé 2020 l’annonce : le développement
de la e-santé passe forcément par le patient, son implication dans les
usages et donc sa confiance dans les outils et services, préalable à
son adhésion. Ce rôle du patient joue à divers niveaux.
45 La responsabilisation des individus dans la gestion de leur santé ou
de leur pathologie est désormais l’un des piliers des politiques de
santé, à laquelle contribue le développement des objets connectés.
La promotion de la santé accompagne désormais les invocations à la
prévention et l’investissement de chacun est appelé au soutien de la
pérennité du système comme l’y invite le CSP 52 . Reste à réfléchir
sur ce degré d’implication, sur ses répercussions et sanctions et sa
signification profonde dans un contexte d’inégalités sociales et
sanitaires persistantes.
46 « Engagé ou expert », il est aussi « un acteur à part entière », par sa
contribution active au diagnostic comme au traitement (les patient
reported outcomes -PROs- sont devenus des critères d’appréciation
indispensables). Il doit le devenir dans les choix faits en matière de
développement de la e-médecine comme dans l’élaboration des
produits de santé, notamment les objets connectés. L’association des
patients doit dépasser ses formes actuelles (représentation dans les
institutions ou participation à des débats publics) et intégrer les
processus de recherche et de conception des objets afin de parvenir
notamment au plan technique, à la définition de solutions sécurisées
et respectueuses de la vie privée (privacy by design et security by
design). Il est en ce sens préconisé de tenir compte dans l’évaluation
des Ocs qui ne sont pas des dispositifs médicaux, au titre de leurs
bénéfices avérés et aux côtés des aspects médico-économiques, de
leur « valeur d’usage », celle-ci devant être appréhendée
différemment selon que l'utilisateur est un patient, un aidant ou un
professionnel de santé, et en fonction de l'organisation adoptée pour
les soins ou le diagnostic 53 .
B – Réflexion et concertation
1) Transformations et réorientation des missions et des métiers

47 On assiste d’ores et déjà à une mutation sous-jacente des métiers de


la santé qui joue tout à la fois sur le contenu même des missions ou
leurs outils, comme sur les modes de collaboration. La place du
médecin en particulier est désormais clairement interrogée, que
certains prédisent leur fin 54 ou d’autres annoncent un changement
profond dans leur rôle auprès des patients. Cette place du médecin
est appelée à évoluer à trois niveaux : dans son rapport à la
technologie qu’il sera appelé à utiliser de plus en plus, dans sa
relation aux autres intervenants autour du patient, dans sa relation
au patient.
48 Le rapport aux outils numériques de plus en plus performants, issus
de technologies brassant des milliards de données, types LAD et LAP,
laisse à penser que bientôt le diagnostic comme le traitement ou le
dépistage se feront mécaniquement sans intervention humaine.
Nous ne reprendrons pas ici ces annonces pré apocalyptiques pour
les professionnels comme pour notre liberté face aux mastodontes
du web détenteurs des données. Elles sont évidemment le mérite de
susciter une saine et réaliste analyse sur l’alliance (toujours ou
encore ?) nécessaire entre l’homme et la machine 55 . S’étant
penché fort justement sur la problématique, le Conseil national de
l'ordre des médecins relève que pour l’instant, s’agissant d’un
exercice d’analyse des symptômes, l’écart des performances entre les
médecins et l’IA n’est pas si évident ni forcément systématique. La
voie la plus probable semble devoir être, loin d’une confrontation
d’élimination, celle de l’utilisation de l’outil par l’homme, comme
cela s’est toujours fait depuis la nuit des temps : les professionnels
deviennent et deviendront plus efficaces en s’adjoignant les services
des algorithmes, l’avenir donc serait celui, à l’instar de l’homme
augmenté, de l’« auctus medicus ». Toutefois, si de nombreux projets
d’instruments d’aide à la décision médicale sont dans les
laboratoires, peu sont en usage de routine dans les établissements et
encore moins dans la pratique quotidienne et il est difficile de
prédire quand ils le seront 56 . Par ailleurs, relève le Conseil national
de l'ordre des médecins, la myriade de données à collecter et à
traiter pour créer une interface IA pertinente dans une consultation
patient constitue une pierre d’achoppement qui devrait permettre
aux médecins d’être encore indispensables dans ces processus de
diagnostic. Certains obstacles matériels sont identifiés : « la
disponibilité des données nécessaires pour nourrir des algorithme de
deep learning », « la collecte du volume indispensable d’images
validées par les spécialistes de chaque pathologie spécifique » et « la
mise en œuvre d’essais cliniques afin d’évaluer l’efficacité
diagnostique de ces algorithmes d’apprentissage », avec une
condition sine qua non si l’on veut que ces outils intègrent la
pratique : former les nouveaux professionnels aux bases du machine
learning. Enfin, l’IA reste pour l’instant affectée d’un handicap de
taille : « elle ne fournit aucune capacité d’explication des causes de
ce qu’elle observe » 57 .
49 Evolution annoncée aussi avec les autres intervenants auprès du
patient. La circulation facilitée de l’information comme le recours à
la télémédecine permettent de constituer une communauté mobile
autour de chaque malade, associant tous les professionnels qui en
ont la charge et rationnalisant le parcours de soins. Le médecin
devient l’un des acteurs de l’espace fluide ainsi créé. Au-delà, le
contenu même de l’art de la médecine devrait évoluer. Les tâches
susceptibles d’être automatisées et modélisées seront à terme
remplies par l’IA, notamment par des chatbots collaborant avec les
médecins pour se charger des premières questions à poser lors d’un
rendez-vous médical, voire aidant à poser les premiers diagnostics
pour aiguiller tel ou tel patient vers un spécialiste ou hôpital ou
service hospitalier 58 . Bien plus, comme le souligne un rapport de
Terra Nova, les services numériques sont appelés à se développer car
ils sont user friendly (diminution du besoin en formation,
fonctionnalités à distance, entre autres), permettent de soigner à
moindre coût (moins d’investissement), sont plus rapides à déployer,
souvent utilisables par des personnels moins qualifiés. Ils sont ainsi
le vecteur de délégations de tâches plus faciles, vers les auxiliaires
médicaux. Car si la délégation « semblait encore complexe pour des
questions de formation des personnels délégataires, les IA vont
permettre de combler une partie de ce manque en suppléant à
l’expertise technique rapidement » 59 . Ainsi relève à cet égard le
HCAAM, « l’innovation appelle une concentration et un
développement du rôle des médecins sur des activités d’expertise et
de synthèse associée à la montée en charge d’interventions soit très
techniques et standardisées, soit de l’ordre du care, assurées par des
professions intermédiaires, techniciens ou professions
paramédicales ou professions du secteur médicosocial et social. Ce
chantier est un chantier majeur » 60 . On ne saurait toutefois, et
nous y reviendrons, faire ici l’économie d’une réflexion sur la
structuration des professions de santé.
50 Enfin, déchargé des exercices les plus chronophages et les plus
techniques, le médecin pourra en revenir à l’essence de sa mission :
être un passeur de savoir avec son patient, l’informer et l’« aider à
comprendre ce que peut apporter un outil tel que l’IA dans les prises
de décision sur sa santé et sur les soins », le conseiller dans les choix
proposés par la technique ; coordonner les soins autour de lui, le
soutenir dans son parcours, mobiliser ses compétences humaines et
relationnelles, ce que la machine ne fait pas encore. Alliée à
l’expertise sur les usages, la dimension humaniste de la mission
devrait être renforcée, l’IA permettant de libérer du temps pour
l’« écoute, (la) confiance, (le) conseil, (l’) empathie, (la) prise en
compte du contexte de vie global du patient, de ses valeurs, de sa «
vision » de la vie. D’autant que nous sommes encore loin du moment
où l’ensemble de la population acceptera de s'en remettre
directement à des machines, si toutefois ce moment arrive jamais »
61 . Les certitudes ainsi formulées masquent les inquiétudes sur le

devenir de la profession de médecin, non tant celle de généraliste,


cheville ouvrière des soins primaires, mais de spécialiste. Doublé en
compétences/connaissances par les logiciels, concurrencé dans le
care par les paramédicaux notamment et autres professionnels de la
psyché, il ne leur reste que peu de marges, ce qui appelle de la part
de la profession une profonde réflexion sur l’avenir.
51 Une chose est toutefois certaine, rien ne pourra se faire sans les
professionnels de la santé. Mais encore faut-il pour cela qu’ils aient
reçu une formation adaptée qui leur donne des clefs de
compréhension et fasse du recours aux outils et services du
numérique un réflexe consubstantiel à leur pratique. L’enjeu n’est
pas le moindre dans le système de santé qui inéluctablement tend à
se dessiner. Comme le souligne le Conseil national de l'ordre des
médecins, « la formation des étudiants en médecine et des médecins
représente un élément clé de l’acceptabilité des technologies et des
pratiques qui vont se développer et s’étendre » 62 . D’ores et déjà, le
numérique a commencé à investir les formations, qu’il s’agisse de
soins ou de gestion des risques 63 , via notamment la simulation en
santé 64 et les centres dédiés 65 . Au-delà des pratiques
professionnelles et gestes techniques, les réflexions sur les
évolutions nécessaires des métiers eux-mêmes ont débuté et qui ont
conduit la Conférence des doyens de médecine à formuler plusieurs
propositions autour de la transformation non seulement des
« modalités d’apprentissage dans une société connectée ou
l’information est abondante » mais aussi des cursus et des formes
d’évaluation. Le développement de la e-santé « est un défi pour les
universités et les UFR de santé », qui « doit faire l’objet d’un
développement universitaire majeur avec des formations et de la
recherche dédiées » 66 . La formation de tous les professionnels de
santé devrait dans sa confrontation au numérique et à l’informatique
être appelée à intégrer trois exigences : d’une part, assurer un
continuum véritable (plus qu’actuellement) entre la formation
initiale et la formation continue, ce que promet la refonte du
développement professionnel continu et que soutiendrait, selon
Jacques Lucas, la mise en place d’un accompagnement du
professionnel d’accompagnement « vers une certification
périodique » reposant « sur une évaluation, voire une
autoévaluation de ses compétences et permettant une valorisation
de son parcours et de ses activités » 67 ; d’autre part, favoriser un
usage éthique et déontologique des nouveaux outils, crucial face à la
technicisation croissante des actes et des gestes et face aux risques
de déshumanisation de la relation médicale ; enfin, pour ce faire,
garantir l’ouverture et la pluridisciplinarité des formations, non pas
seulement vers les sciences dures, les biotechs et le data management
68 , mais aussi vers les sciences humaines et sociales et les

humanités.
52 Nul ne doute à cet égard que l’adaptation des professions de santé
par la formation n’est pas qu’une question de technologie, et qu’elle
est aussi un défi culturel et un enjeu de société. Si elle doit préparer
les futurs praticiens à une interrogation permanente « sur le rôle
que doit remplir l’homme face à des machines qui ont été
développées et conçues pour le surpasser sur presque tous les
plans » 69 , elle doit dans le même temps lui apprendre à travailler
en synergie dans un univers « patient centré ». D’autant que dans
cette transformation en profondeur du système de santé, les métiers
eux-mêmes sont appelés à se diversifier, en un double mouvement :
d’une part par les montées en compétences des professions
paramédicales, portées par la télémédecine, la « pratique avancée »
et le recours à des techniques facilitant certains actes autrefois
fortement spécialisés et complexes (75% des pratiques médicales
d’aujourd’hui pourraient être transférées en 2050 à des professions
de santé non médicaux) ; et d’autre part, en raison de l’intégration
nécessaire dans les processus de soins de plus en plus d’ingénieurs et
techniciens de la santé, des bio informaticiens aux datascientits 70 .
En particulier, le recueil et l’interprétation des données du
séquençage global de l’ADN reposant sur des algorithmes de plus en
plus complexes et puissants appellent le recrutement massif
d’ingénieurs et d’informaticiens (professionnels de la santé). Ces
nouveaux acteurs de première ligne, aux côtés des professionnels de
la thérapeutique et de la clinique, se devront d’être associés très tôt
aux formations, et systématiquement être partie prenante -et
responsables juridiquement- des équipes médicales.
53 Pour finir de tracer les grands traits d'un tableau sans doute
incomplet, il faut également imaginer que bien des métiers de la
santé sont en train d’émerger en lien notamment avec la
télémédecine ou les plateformes à haut débit, dont nous n’anticipons
qu’une partie. Pierre Simon cite ainsi comme exemples dans le
champ de la santé, le coordonnateur de télémédecine, le chirurgien
superviseur de robot en télé‑chirurgie ou l’ingénieur qualité en
e‑santé et dans celui des sciences sociales et humaines, le métier de
psychotechnicien(ne) en télémédecine et d’éthicien(ne) des
algorithmes et des robots.

2) Les défis stratégiques et organisationnels

a) Ils sont d’abord ceux que pose le numérique aux politiques


publiques, singulièrement celles de la santé publique et celles qui
soutiennent la recherche et l’innovation.

54 Le Big data génère des données cruciales pour la compréhension des


atteintes à la santé (phénomènes épidémiques ou maladies
chroniques) et des comorbidités, améliore la pharmacovigilance et la
sécurité des patients, augmente l’efficacité et la qualité des
traitements 71 . Partant, il est le vecteur par lequel il va être
possible de construire des politiques publiques plus efficaces, et par
lequel la prévention va pouvoir effectivement se déployer comme
logique première de la gestion de la santé collective et plus
généralement 72 . C’est en ce sens que la CNIL relève que « le rôle
annoncé et parfois déjà effectif des algorithmes et de l’IA dans le
domaine de la santé est indissociable de l’existence de bases de
données de plus en plus massives, tant en termes d’individus
concernés qu’en terme de quantité de données disponibles sur
chacun d’eux. L’algorithme et l’IA permettent justement de tirer
parti de cette quantité inédite de données disponibles aujourd’hui
(données issues des grandes bases médico-administratives
rassemblées dans le SNDS mais aussi des objets de santé connectée,
des dossiers de patients, etc.) pour bâtir des modèles au sein
desquels un profil très précis de chaque individu peut être dessiné,
ce profil pouvant constituer le soubassement d’une prévision » 73 .
De prime évidence, les OC et apps donnent en effet à chacun les
moyens de devenir acteur impliqué dans sa santé et les
comportements vertueux, dans une logique d’empowerment à
promouvoir, sous réserve d’en établir la valeur ajoutée en tant
qu’outil de prévention et d’en mesurer tout à la fois les limites au
regard des inégalités sociale de santé et les risques, au vu des
tendances plus ou moins latentes à moduler les prises en charge à
partir d’une normalisation des attitudes 74 .
55 Surtout, il faut insister ici sur l’intérêt considérable des données que
génère le système de santé français ‒ établissements sanitaires et
médico-sociaux, médecine de ville, assurance maladie 75 ‒ pour la
construction et le ciblage des politiques publiques de santé. La
création du Système national des données de santé et de l’open data
en la matière est l’étape première d’une mise à disposition de
données essentielles au service de l’intérêt collectif, au sein du titre
IV de la loi de 2016 « Renforcer l’efficacité des politiques publiques et
la démocratie sanitaire ». En ce sens, l’objectif affiché est d’ouvrir
l’accès aux données de santé collectées par les personnes publiques
afin que « leurs potentialités soient utilisées au mieux dans l’intérêt
de la collectivité ». Le SNDS répond à cet objectif en mettant à
disposition des données de santé, afin de contribuer, notamment, « à
l'information sur la santé ainsi que sur l'offre de soins, la prise en
charge médico-sociale et leur qualité », « à la définition, à la mise en
œuvre et à l'évaluation des politiques de santé et de protection
sociale », ou « à la surveillance, à la veille et à la sécurité sanitaires »
76 . A cet égard, l’IA et l’analyse des données sont des appuis

précieux pour la détection des risques sanitaires et l’action des


autorités, qu’il s’agisse de « repérer l’élévation de l’incidence de
maladies ou de comportements à risque ou de pharmacovigilance »,
de contribuer plus ou moins explicitement à la rationalisation des
dépenses de santé, d'assurance maladie et des dépenses médico-
sociales, ou de soutenir stratégiquement la recherche et l'innovation
dans les domaines de la santé et de la prise en charge médico-sociale.
Cela suppose naturellement non seulement de pouvoir traiter ces
masses de données et donc de disposer de compétences
mathématiques à valoriser en France mais aussi d’en garantir la
fiabilité et la protection 77 . Le recours aux blockchains en santé est
l’une des pistes actuellement explorée 78 .

b) On ne peut éluder, pour finir, les bouleversements à l’œuvre dans


l’organisation du système de santé comme du système hospitalier et
dans les modalités structurelles de prise en charge/prise en compte
des patients et usagers.

56 Beaucoup évoqueront plus loin ces problématiques, ce qui va nous


permettre d’être allusif. Il est souvent évoqué le rôle constitutif que
jouent et joueront plus encore les services et les instruments
numériques dans la cohérence et la fluidité du parcours de soins,
dans la construction des soins primaires, dans les équipes
structurées autour du patient (le dossier médical partagé ou la lettre
de liaison en sont des manifestations appelées être suivies d’autres)
comme dans les articulations nécessaires
hôpital/ambulatoire/médecine de ville/secteur social et
médicosocial 79 . A ce titre, la convergence des systèmes
d’information des établissements-membres des GHT doit être
réalisée au 1er janvier 2021, ce qui renforcera sinon le parcours de
soins, à tout le moins la coordination entre professionnels de santé
exerçant au sein du GHT. Dans ce mouvement, pour certains, le
numérique peut être imaginé comme une voie de sortie de
« l’hospitalocentrisme », c’est-à-dire un soin organisé autour des
consultations hospitalières et décliné à partir de celles-ci, et a
minima le vecteur d’évolutions organisationnelles. Constitutif de tous
les dispositifs du soin à distance (télémédecine), non seulement il
déleste l’hôpital de demandes peu justifiées et le recentre sur son
cœur de métier mais il favorise le développement des collaborations
et de nouvelles formes d’exercice de la santé en groupe, maisons de
santé pluridisciplinaires et pôles de santé. En ce sens, la LFSS prévoit
un financement pour les « expérimentations organisationnelles
innovantes du système de santé », en dérogation aux règles actuelles
de tarification, pour une durée « qui ne peut excéder cinq ans »
(art.51). Il s'agit, selon le texte, de « favoriser l'innovation par
l'émergence de nouvelles organisations dans les secteurs sanitaire et
médico-social concourant à l'amélioration de la prise en charge et du
parcours des patients, et de l'efficience du système de santé et de
l'accès aux soins », et d'« améliorer la pertinence de la prise en
charge par l'assurance maladie des médicaments ou des produits et
prestations associées et la qualité des prescriptions » 80 . Les
expérimentations pourront notamment viser à « optimiser par une
meilleure coordination le parcours de santé, la pertinence et la
qualité de la prise en charge sanitaire, sociale ou médico-sociale » et
à « organiser par une séquence de soins la prise en charge des
patients ». Pourraient entrer dans ce schéma l'utilisation de
dispositifs numériques de coordination des professionnels de santé
dans le cadre des prises en charge, ou de télésuivi, après une
hospitalisation par exemple. Il s'agit d'un premier pas vers le
financement au parcours de soins et d'un signe de distance prise par
rapport à la tarification à l'activité (T2A), qui doit permettre d'éviter
des ré hospitalisations en assurant un suivi plus régulier du patient.
57 En guise de conclusion, une ouverture sur un questionnement qui
traverse toutes les thématiques évoquées précédemment : celui des
cadres juridiques à poser ou plus justement, celui de l’intensité des
règles et du degré de normativité le plus apte à concilier respect des
droits et libertés des citoyens patients et soutien à l’innovation. Il est
courant de relever que la technologie et ses avancées rapides
s’accommodent mal des rigidités des règles juridiques, européennes
ou nationales, et qu’il importe plutôt de promouvoir en la matière
une régulation à base de soft law. La réponse réside dans la recherche
de l’équilibre à trouver entre une régulation, privilégiée par les
acteurs industriels, et une réglementation, garantie de la
préservation des droits des partenaires de la relation de soins. Deux
remarques à ce stade. D’une part, la médecine est familière de ces
normes qui ne sont juridiquement ni obligatoires ni contraignantes
mais qui influent quand même sur le comportement de leurs
destinataires. Professionnels, établissements, industriels de la santé
pratiquent usuellement des chartes éthiques, recommandations de
bonne pratique, protocoles, guidelines, référentiels, labels ou autres
formes de normalisation. D’autre part, le domaine du numérique en
général et le domaine de la santé en particulier sont fortement
structurés en France par du droit dur, qu’il s’agisse des règlements
européens, des lois ou des règlementations nationales.
58 Ce contexte étant précisé, il est commun de souligner que les normes
de soft law ont tendance à se développer dans des domaines
fortement évolutifs notamment sous la pression des avancées
technologiques. Chacun s’accorde d’ailleurs à admettre qu’une telle
souplesse est vitale à l’innovation qui ne saurait bridée par un garrot
réglementaire. Cette réticence à l’égard des règles de droit est
communément partagée, des cénacles industriels 81 aux cercles
parlementaires, comme en témoigne la proposition n° 1 de l’OPEST
« Pour une IA maîtrisée, utile et démystifiée » : « se garder d’une
contrainte juridique trop forte sur la recherche en intelligence
artificielle », laquelle se doit d’être « européenne voire
internationale plutôt que nationale » 82 .
59 Or cette normativité « molle » présente des risques non négligeables.
Celui d’abord de ne pas être respectée du fait de l’absence même de
sanctions juridiques à la clé. Les interrogations demeurent ensuite
sur sa portée : quelles obligations précises met-elle à la charge des
personnes qui doivent l’appliquer ? Quels droits crée-t-elle pour ces
dernières ? Et comment faire respecter l’une et les autres ? Quid, par
exemple, des responsabilités afférentes aux comportements ainsi
régulés ? Les réponses à ces questions ne sont pas encore totalement
assurées. Le risque est aussi de voir les règles ainsi créées captées
par tous ceux qui maîtrisent les instances professionnelles qui les
produisent 83 . Cet assouplissement est utile, mais il pose le
problème de la légitimité du cadre juridique : il importe de veiller à
l’impartialité de fonctionnement des instances qui produisent ces
normes, à la régularité et à la transparence des procédures, aux
conflits d'intérêts comme à la publicité des instruments de droit
souple. Dès lors que la soft law doit être élaborée en associant les
divers acteurs concernés, elle exprime aussi une privatisation des
normes qui s’accompagne d'un assouplissement des formes. Or celui-
ci entraîne du même coup un affaiblissement de la prévisibilité et un
risque pour la sécurité juridique, in fine un risque pour l'Etat de
droit.
60 Dans un tel contexte, il est nécessaire de trouver un point d’équilibre
sans galvauder les principes fondamentaux ni transiger sur leur
application. Il faut garantir aux industriels et aux opérateurs, dans
une certaine mesure et sous un certain contrôle, des marges
d’appréciation et de manœuvre grâce à des règles moins
contraignantes, souvent élaborées par des experts ou en
concertation avec les acteurs professionnels. Mais au-delà, il importe
de maintenir les cadres législatifs et réglementaires de nature à
préserver les droits et libertés et les valeurs fondamentales
communément partagées. C’est dans cet esprit que le Conseil
national de l'ordre des médecins, s’agissant de la médecine à l’heure
du numérique, s’est prononcé en faveur d’un cadre général en droit
dur, construit sur des interdictions majeures d’ordre public et des
principes irréductibles, mais associé à des règles de droit souple qui
permettraient une interprétation suffisamment agile pour évoluer
au rythme des connaissances et de la réflexion éthique.
61 En quelque sorte, l’innovation sous l’« ombre portée » du droit…

NOTES
1. Enquête OpinionWay du 6 mars 2018, « Les Français et la
prévention en matière de santé à l’heure des objets connectés, de
l’explosion de la data et du développement de l’Intelligence
Artificielle ». Un tiers des sondés sont prêts à aller sur des
plateformes web marchand, les réseaux sociaux ou les moteurs de
recherche pour réaliser une téléconsultation.
2. Odaxa, Baromètre Santé 360° : l’humain dans la santé, 22 janvier
2018. Dans le même sens, « Les professionnels de santé et les objets
connectés », Etude MACSF-Withings Health Institute, février 2017.
3. M.-A. Hermitte, « Le droit est un autre monde », Enquête [En ligne],
7 | 1999, mis en ligne le 15 juillet 2013. URL :
http://journals.openedition.org/enquete/1553
4. M.-A.Hermitte, « Le droit saisi au vif. Sciences, technologies, formes
de vie », Entretiens avec François Chateauraynaud, Pragmatismes,
2013, p. 162.
5. M.-A. Hermitte : « Cela explique que les juristes passent leur temps,
face à une situation nouvelle, à s'interroger sur la "nature juridique"
de ceci ou de cela (...). Le droit est un monde foisonnant mais un
monde rangé. Chaque opération doit pouvoir être mise dans un
tiroir ou plusieurs tiroirs déterminés ; si c'est trop difficile, il faut
créer un nouveau tiroir », ibid., p. 345.
6. Selon le rapport de P. Lasbordes, « la télésanté est l'utilisation des
outils de production, de transmission, de gestion et de partage
d'informations numérisées au bénéfice de pratiques tant médicales
que médico-sociales », rapport, La télésanté : un nouvel atout au service
de notre bien-être. Un plan quinquennal éco-responsable pour le
déploiement de la télésanté en France, p. 37, 15 octobre 1999.
7. Dans le même sens la définition de l’OMS met en avant le recours
aux TIC. Le rapport de la 58ème Assemble mondiale traduit e Health
par cyber santé et en donne la définition suivante : l’utilisation des
« TIC à l’appui de l’action de santé et dans des domaines connexes,
dont les services de soins de santé, la surveillance sanitaire, la
littérature sanitaire et l’éducation, le savoir et la recherche en
matière de santé », Genève 16-25 mai 2005, p. 114 et s.
Cf pour un périmètre assez proche, voir, pour la position de la
Commission européenne, dans un document européen sur « La e-
santé en Europe », Gérard Comyn, chef d’unité « TIC pour la santé »,
« La e-santé : une solution pour les systèmes de santé Européens ? »,
mai-juin 2009, n° 17, p. 2.
8. P. Amselek, Cheminements philosophiques. Dans le monde du droit et des
règles en général, Armand Colin, 2012, p. 445.
9. Cour de cassation, Crim., 30 janvier 2018, n° 17-80259 ; Crim., 18
juin 2013, n° 11-86921 ; Crim. 22 février 2011, n° 10-81.742, Bull. crim.
2011, n° 35 ; Crim., 19 mai 2009, n° 08-83.747, Bull. crim. 2009, n° 99.
10. X. Labbée, « Respect et protection du corps humain. L'homme
robotisé », JurisClasseur civil, Code articles 16 à 16-14, n° 7 ; Pascal
Labbée, « L’homme augmenté à l’épreuve de la distinction des
personnes et des choses », in X. Labbée (dir.), L’homme augmenté face
au droit, 2015, p. 46 et s. ; C. Lazaro, La prothèse et le droit. Essai sur la
fabrication juridique des corps hybrides, Paris : IRJS Éditions, coll. « Les
voies du droit », 2016, 480 p.
11. R. 5211-2 du code de la santé publique.
12. Ainsi des médicaments « combinés de thérapie innovante ».
Articles L. 4211-9-1 et R. 4211-32 et s. du code de la santé publique ;
article L. 5121-5 alinéa 3 du code de la santé publique (Bonnes
Pratiques).
13. Exemple du style injecteur intelligent connecté. Par ailleurs, le
laboratoire Roche et l'éditeur Voluntis ont mis au point un
« compagnon digital », Zemy, en cours d'essais, pour le suivi
personnalisé et à distance des patientes traitées pour un cancer du
sein. Il s'agit d'un dispositif médical logiciel thérapeutique, se
présentant sous la forme d'une application mobile pour les patients
et d'une plate-forme web pour les professionnels de santé. C'est un
dispositif plus complexe que d'autres, car l'application embarque un
montage d'algorithmes médicaux qui vont induire la prise de
décisions thérapeutiques.
14. La FDA a récemment autorisé la mise sur le marché de l’Abilify
MyCite, pilule numérique, produite par les sociétés Otsuka
Pharmaceutical, au Japon, et Proteus Digital Health, aux Etats-Unis,
qui est une nouvelle version d’un médicament utilisé depuis 2002
pour traiter la schizophrénie, les troubles bipolaires et la dépression.
L’innovation tient au fait que cette pilule contient un capteur à base
de silicone, cuivre et magnésium, qui une fois la pilule avalée est
capable de transmettre un signal vers un patch collé sur la peau.
L’information est ensuite transmise par Bluetooth sur une
application pour smartphone, afin qu’elle soit visible pour le patient
et les personnes y ayant accès.
15. HAS, « Travaux sur les spécificités méthodologiques d'évaluation
clinique des dispositifs médicaux connectés », 23 avril 2018. Elle
prépare aussi un guide à destination des patients et professionnels
de santé sur les applications et objets connectés de santé.
Pourrait être envisagée à terme une évaluation plus dynamique,
adaptée à la mutabilité des solutions technologies et de l'IA, qui
porterait non sur les produits mais sur les opérateurs eux-mêmes. Cf
en ce sens, aux Etats-Unis, le programme Digital Health Software
Precertification (Pre-Cert).
16. Cf sur cette visée médicale CJUE 15 novembre 2012, Brain
Prodducts GMBH, aff. C-219/11.
17. Point 28, CJUE, 7 décembre 2017, Syndicat national de l’industrie des
technologies médicales (Snitem), Philips France contre Premier ministre,
Ministre des Affaires sociales et de la Santé, n° C-329/16.
18. Guidelines on the qualification and classification of stand-alone
software used in healthcare within the regulatory framework of
medical devices, MEDDEV 2.1/6, January 2012.
19. Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 (art. 78), article L.6316-1 CSP :
« Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient, un ou plusieurs
professionnels de santé, parmi lesquels figure nécessairement un
professionnel médical et, le cas échéant, d'autres professionnels
apportant leurs soins au patient. Elle permet d'établir un diagnostic,
d'assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée préventive ou un
suivi post-thérapeutique, de requérir un avis spécialisé, de préparer
une décision thérapeutique, de prescrire des produits, de prescrire
ou de réaliser des prestations ou des actes, ou d'effectuer une
surveillance de l'état des patients ».
20. Les actes de télémédecine, définis dans le décret n° 2010-1229 du
19 octobre 2010, sont des actes médicaux. Ils sont actuellement au
nombre de cinq : téléconsultation, téléexpertise, télésurveillance,
téléassistance médicale et régulation médicale.
21. L.4161-1 code de la santé publique.
22. Réalisation de rétinographie par l’orthoptiste, reconnue et
financée en CCAM depuis septembre 2014 ; modification de la dose
d’insuline par l’infirmier dans le cadre de la télé-diabétologie
(Cf. système Diabeo et l’étude clinique Télésage : des infirmières en
région assurent le télésuivi de patients dans le cadre d’une
délégation de tâches, conformément au protocole de coopération
validé par la HAS sur le « Suivi de patients diabétiques traités par
insuline munis d’un carnet glycémique électronique et surveillés par
télémédecine avec prescriptions et soins par l’infirmier en lieu et
place du médecin. » Il s'agit du premier protocole de coopération
dans le diabète) ; conduite thérapeutique pour les plaies chroniques
complexes par l’infirmier expert en plaies.
23. L. Art. L. 4301-1, Code de la santé publique.
24. Déjà en 1956, le doyen Savatier soulignait « le droit médical se
centre autour de l’acte médical. Celui-ci, propre au médecin, doit
être défini par le juriste », in Traité de droit médical, Librairie
technique, 1956, n° 1, p. 11. Cf Brigitte Feuillet, « L’évolution de la
notion d’acte médical » in F. Bellivier et C. Noiville, Nouvelles frontières
de la santé, nouveaux rôles et responsabilités du médecin, Dalloz, 2006,
p. 204.
25. Ainsi en matière de preuve, le juge administratif applique aux
actes de soin courants un régime de présomption de faute. Le Conseil
d’Etat considère en effet que « la circonstance qu’un acte de soins
courant a entraîné une incapacité permanente révèle en principe
une faute de nature à engager la responsabilité du service public
hospitalier ». Il est ainsi amené à définir au cas par cas ce qu’est un
acte de soins courants : c’est le cas de de la pose d’une voie veineuse
provoquant une atteinte traumatique du nerf médian (Conseil d’État,
5ème et 4ème Chambres réunies, 10 mai 2017, n° 390082) mais non
de l’intubation d’un patient en vue d’une anesthésie générale
(Conseil d’Etat, 21 octobre 2009, n° 314759), ni de la radiothérapie
qui « ne peut être regardée comme un acte de soins courants » (CAA
Lyon, 18 mai 2010, n° 09LY01798).
26. Joël Moret-Bailly, « L’organisation juridique des professions :
logiques et contraintes », adsp n° 70, mars 2010, p. 24-25.
27. JOUE, 2016, L 119, 4 mai. En l'absence de définition légale, il
fallait jusqu'ici se reporter à la jurisprudence française et
européenne pour déterminer ce qui relevait du champ des données
de santé. Le nouveau règlement européen propose désormais une
définition des données de santé à caractère personnel : « données à
caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d'une
personne physique, y compris la prestation de services de soins de
santé, qui révèlent des informations sur l'état de santé de cette
personne ». Ces données comprennent « toute information
concernant, par exemple, une maladie, un handicap, un risque de
maladie, un dossier médical, un traitement clinique ou l'état
physiologique ou biomédical de la personne concernée,
indépendamment de sa source, qu'elle provienne par exemple d'un
médecin ou d'un autre professionnel de la santé, d'un hôpital, d'un
dispositif médical ou d'un test de diagnostic in vitro ». Le règlement
définit aussi à l’échelle européenne les « données génétiques »,
« relatives aux caractéristiques génétiques héréditaires ou acquises
d'une personne physique qui donnent des informations uniques sur
la physiologie ou l'état de santé », et les données biométriques,
« résultant d'un traitement technique spécifique, relatives aux
caractéristiques physiques, physiologiques ou comportementales
d'une personne physique ».
28. CJUE, 7 décembre 2017, C-329/16 : elle y précise que s’agissant de
la finalité poursuivie, un logiciel en lui-même est un dispositif
médical lorsqu’il est spécifiquement destiné par le fabricant à être
utilisé dans un ou plusieurs des buts médicaux figurant dans la
définition d’un dispositif médical, ce qui est le cas d’un logiciel dont
l’une des fonctionnalités permet l’exploitation de données propres à
un patient, en vue de détecter des contre-indications, des
interactions médicamenteuses et des posologies excessives. Et ceci,
peu importe qu’il n’agisse pas directement sur le corps ou dans le
corps humain.
29. HAS, Guide pour le dépôt d’un dossier auprès de la Commission
nationale d’évaluation des dispositifs médicaux et technologies de santé
(CNEDiMTS). Dispositifs médicaux connectés, novembre 2017.
30. HAS, Référentiel de bonnes pratiques sur les applications et les objets
connectés en santé, Mobile Heath ou mHealth, octobre 2016. Ce
référentiel ne traite donc pas des applications ou objets connectés
reconnus comme « dispositifs médicaux » (par exemple : relevant de
la télémédecine tels que les défibrillateurs ou pompes à insuline
connectés) qui font déjà l’objet de contrôles via un marquage CE
réglementé au niveau européen.
31. T. Paljarvi « Health smart devices and applications for
prevention - a cautionary note », European Journal of Public Health,
vol. 27, 2017, n° 3, p. 391. L’auteur estime en particulier que le
développement d’un système d’accréditation européen de qualité
des produits couvrant le cycle de vie du produit pourrait être une
option pour assurer la conformité des produits aux standards et
recommandations.
32. Ce renforcement de la sécurité s’impose en premier lieu au
fabricant qui doit respecter les divers cadres juridiques dans lesquels
il s’inscrit (RGPD, règlements relatifs aux DM, normes, guides et
recommandations). Mais cette recherche concerne tous les
professionnels de santé et les établissements utilisateurs des DM
connectés, qui doivent dans leurs pratiques et fonctionnement
quotidiens, intégrer des mesures de sécurité nécessairement adaptés
aux profils des usagers et patients. Ce contexte appelle la mise en
place rapide d’actions coordonnées en matière de formation,
d’information, de normalisation, d’élaboration de protocoles ou de
contrôles.
33. GT28 CSF, Rapport « Créer les conditions d’un développement
vertueux des objets connectés et des applications mobiles en santé »,
16-1-2017.
34. Cf Pour les médicaments, B. Bégaud, D. Polton, F. von Lennep, Les
données de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la
régulation du système de santé. L’exemple du médicament, décembre
2017.
35. Pour assurer la sécurité et la confidentialité des données
personnelles, un amendement a été adopté au Sénat le 21 mars 2018
au cours de la discussion du projet de loi relatif à la protection des
données personnelles, qui prévoit un dispositif de labellisation des
objets connectés, qui serait mis en œuvre par la CNIL.
36. La fiabilité des données et des algorithmes notamment dans un
contexte d’apprentissage est cardinale. C’est l’un des axes du
référentiel de la HAS et au cœur des réflexions de la CNIL (Rapport
de synthèse, Comment permettre à l'homme de garder la main ? Les enjeux
éthiques des algorithmes et de l'intelligence artificielle, décembre 2017).
37.Médecins et patients dans le monde des data, des algorithmes et de
l’intelligence artificielle. Analyses et recommandations du CNOM,
décembre 2017.
38. OPESCT, Rapport C. De Ganay et D. Gillot, « Pour une IA maîtrisée,
utile et démystifiée » mars 2017, p. 155.
39. Ziad Obermeyer, Ezekiel J. Emanuel, « Predicting the Future - Big
Data, Machine Learning, and Clinical Medicine », New England Journal
of Medicine, 2016 ; 375:1216-1219. Voir notamment, N. Nevejans, Traité
de droit et d’éthique de la robotique civile, LEH Edition, 2017, n° 1080.
40. Cf C. Vincent, « La bataille des docteurs Internet », Les Echos, 16
juin 2017 : « La gestion des appels revient entre 500 et 1000 euros par
mois à un généraliste », rappelle ainsi Thibault Lanthier, le DG et
cofondateur de MonDocteur. À l'AP-HP, on évalue à 17% la part des
rendez-vous perdus par négligence ou faute d'avoir pu les annuler
ou les modifier. « Or un rendez-vous non honoré coûte 53 euros à la
collectivité », rappelle Étienne Grass. L'abonnement mensuel à
MonDocteur, comme à Doctolib d'ailleurs, coûte seulement une
centaine d'euros au médecin, sans engagement et le service est
gratuit pour le patient. « Dans les hôpitaux nouvellement équipés,
on a atteint 15% de prise de rendez-vous en à peine un mois, preuve
qu'il existe une vraie demande », assure Étienne Grass.
41. Sur le recours au smartphone, Cf « Applis smartphone et santé :
promesses et menaces », JDSAM, n° spécial, 2014, et notamment, J.-
F. Thebaut, « Les applis mobiles smartphones au service de la pratique
médicale et de la prise en charge des patients », p. 17.
42. P. Desmarais, « Responsabilité et smartphones », JDSAM,
n° spécial, préc. p. 43 ; G. Loiseau, « Intelligence artificielle et santé.
Responsabilité », JDSAM, n° 17, 2017, p. 21.
43. Sur le recours aux smartphones dans le cadre de l'éducation
thérapeutique du patient, C. Rambaud, « La révolution numérique et
l'éducation thérapeutique du patient », JDSAM, n° spécial, préc.
p. 13.
44. Les jeux vidéo thérapeutiques de Curapy.com font l’objet
d’études menées avec des partenaires scientifiques et cliniques. Par
exemple, GENIOUS Healthcare a un laboratoire de recherches
commun (LabCom) avec l’Institut du Cerveau et de la Moelle
Epinière (ICM).
45. De nombreuses solutions sont en cours de développement, par
exemple dédiées au suivi en vie réelle et l'auto-évaluation de
patients atteints d'hypertrophie bénigne de la prostate, pour assurer
le suivi de l'évolution de la sclérose en plaques ou celui de patients
diabétiques et autres objets connectés pour la surveillance du
sommeil, le suivi des femmes enceintes ou de patients sous
respirateur.
46. E. Lobel et F. Eon, « La messagerie sécurisée pour les
professionnels de santé : enjeux et perspectives », JDSAM, préc. p. 20.
47. « Données de santé, messagerie électronique et fax », décembre
2015, https://www.cnil.fr/fr/donnees-de-sante-messagerie-
electronique-et-fax
48. Une messagerie sécurisée comme MS Santé, Medimail, gratuites
ou Apicrypt payante. Les messageries sécurisées ne sont toutefois
pas faites pour héberger des données de santé...
49. Rapport 2018, « Les services publics numériques en santé : des
avancées à amplifier, une cohérence à organiser », p. 218.
50. Fin novembre 2017, la Cour relève que 78% des médecins
généralistes libéraux utilisaient une messagerie sécurisée contre
seulement 42% des médecins spécialistes.
51. Couramment sont invoqués des dysfonctionnements récurrents
et les bugs qui alourdissent le recours aux messageries par les
professionnels via leurs logiciels médicaux : rechargement
intempestif de fichiers pourtant supprimés, impossibilité d’émettre
des messages, copier-coller de comptes rendus, qui deviennent
illisibles à la réception, messages écrits sous Mac qui ne sont plus lus
sous PC…
52. L.1111-1 du code de la santé publique.
53. GT28 CSF, Rapport préc. p. 26.
54. L. Alexandre, « La mort des médecins », Les Tribunes de la santé,
2017/1, n° 54, p. 43-47.
55. G. Vallancien, La médecine sans médecin ? Le numérique au service du
malade, Gallimard, 2015 ; C. Lequillerier, « L’impact de l’intelligence
artificielle sur la relation de soin », JDSAM, n° 17, p. 14.
56. Livre blanc, préc. p. 21.
57. Cf le Cnom, citant une étude d’Erice Topol publiée dans le Lancet,
www.thelancet.com/journals/lancet/article/PIIS0140-
6736%2817%2931764/fulltext
58. La FDA a autorisé en avril 2018 le premier logiciel autonome
intégrant l'IA pour le dépistage de la rétinopathie diabétique (IDx-
DR). Le dispositif fournit un dépistage sans qu'un spécialiste examine
le patient ou l'image. Il peut ainsi être utilisé par un professionnel de
santé non habilité à dispenser des soins oculaires. Si le dépistage est
positif, le patient est ré-orienté vers un spécialiste. Cela libère du
temps médical sans un domaine, l'ophtalmologie, sous tension. Mais
si l'algorithme se trompe (une fois sur dix), reste posée la question
de la responsabilité.
59. L. Pierron, A. Evennou, La santé à l’heure de l’intelligence artificielle,
rapport Terra Nova, 5 décembre 2017, p. 15-17.
60. HCAAM, Innovation et système de santé, Rapport, avril 2016, p. 61.
61. Ibid.
62. Livre blanc sur Médecins et patients dans le monde des data, des
algorithmes et de l'IA, préc. p. 29.
63. Anne-Sophie Plichet, Simerror : un serious game sur la chambre des
erreurs, thèse Université de Rouen, UFR de médecine et de
pharmacie, 2017.
64. https://www.has-
sante.fr/portail/jcms/c_2807140/fr/simulation-en-sante
65. Sur les enjeux et difficultés, Cf Libre Blanc, p. 32-33.
66. Propositions de la Conférence des doyens aux candidats à
l’élection présidentielle, 20 février 2017.
67. Livre Blanc, préc. p. 30.
68. C'est l'une des propositions du rapport Villani qui propose
notamment de « transformer les voies d'accès aux études en
médecine » afin de « diversifier les profils » et les ouvrir à des
étudiants spécialisés dans le domaine de l'informatique et de l'IA. Cf
C. Villani, Donner un sens à l'intelligence artificielle, 2018, p. 198.
69. Terra Nova, préc. p.24.
70. Ce besoin va s’exprimer particulièrement dans le domaine de la
recherche, car les profils data permettent de construire des systèmes
destinés à exploiter de larges volumes de données variées et de les
analyser. Cas exemplaire : le partenariat noué entre l'école
Polytechnique et la CNAM pour exploiter la gigantesque base de
données du Sniiram, le système national inter-régimes de
l'assurance maladie, et évaluer, entre autres, la dangerosité de
certains médicaments.
71. Cf l’étude sur le Big Data dans le domaine de la santé publique, de la
télémédecine et des soins médicaux, commandée par la Commission
européenne et par l'Agence exécutive pour les consommateurs, la
santé et l'alimentation (Consumers, Health and Food Exectucive
Agency, CHAFEA), Study on Big Data in public health, telemedicine and
haelthcare, final report, dec. 2016.
72. L. Cambon, « Health smart devices and applications… towards a
new model of prevention ? », European Journal of Public Health,
vol. 27, juin 2017, n° 3, p. 390) : l’auteur relève que les applications en
santé favorisent la surveillance et la mesure du risque comme
l’incitation à l’adoption d’un comportement bénéfique pour sa santé.
Pour autant, on ne peut en conclure d’emblée à l’émergence d’un
nouveau modèle de prévention. Les preuves relatives à leur efficacité
manquent et elles présentent des risques en termes d’utilisation des
données personnelles. Par ailleurs, il ne suffit pas de s’interroger
seulement sur l’efficacité des applications en la matière mais aussi
sur les objectifs et les conditions de leur utilisation en prévention.
73.Comment permettre à l’homme de garder la main…, préc. p. 62.
74. Voir sur cette question, notamment C. Erhel et L. de la Raudière,
Les objets connectés, Rapport d’information, janvier 2017, p. 50 et s.
75. La France possède environ 260 bases de données publiques dans
le domaine de la santé, et le portail épidémiologie-France recense
jusqu'à 500 bases de données médico-économiques, cohortes,
registres, et études en cours. Le SNIIRAM est la plus riche des bases
de données médico-administratives et parmi les cohortes, on peut
citer NutriNet-Santé qui récolte une multitude de données sur le
mode de vie, la santé et les habitudes alimentaires de 500 000
français.
76. Article L1461-1 du code de la santé publique.
77. Voir CNIL, Comment permettre à l’homme de garder la main ? Les
enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle, décembre
2017, p. 39 et les recommandations formulées.
78. C. Théard-Jallu, « La blockchain au service de la santé ? L’exemple
de la collecte du consentement du patient dans un essai clinique »,
Revue Droit des Affaires, septembre 2017, n° 129.
79. Voir entre autres, HCAAM, Le numérique, document 1, 2015,
préc. p. 12 et s.
80. Article 51 Loi n° 2017-1836 du 30 décembre 2017 de financement
de la sécurité sociale pour 2018, article L. 162-31-1 du code de la
sécurité sociale.
81. Renaissance numérique, Livre blanc 17 idées pour la e-santé en 2017,
mars 2017.
82. Rapport Claude de Ganay et D. Gillot, mars 2017, p. 205.
83. S. Canselier, « L'intelligence artificielle au coeur d'un rapport de
l'OPECST », Dictionnaire permanent Santé, bioéthique,
biotechnologies, juillet 2017, p. 6-7 : « il est difficile de comprendre
cette faveur pour la régulation – c’est-à-dire pour le recours aux
normes techniques et aux guides de bonnes pratiques – lorsque l’on
mesure la part d’influence que les grands groupes industriels
peuvent exercer dans les lieux où ces normes sont élaborées. La
norme juridique a une légitimité démocratique dont ces dernières
sont dépourvues. De ce point de vue, il peut paraître contradictoire
de mettre en avant le débat public et le choix démocratique tout en
dévalorisant le droit par rapport aux autres normativités. ».
AUTEUR
ISABELLE POIROT-MAZÈRES
Professeur de droit public, Institut Maurice Hauriou, Université Toulouse 1 Capitole
La donne européenne
Santé, numérique, droit-s et
Europe : interactions et
conséquences
Michèle Thonnet

1 Le numérique : innovation et changements


Santé, numérique et droit (s) : les associations sont diverses, les
confrontations actuelles et à venir multiples. Santé, protection
sociale, bien-être, vie quotidienne : les intrusions et disruptions du
numérique sont en tous domaines ici. Les métiers, les services, les
relations, les modalités et procédures de décision sont en voie de
transformation rapide, modifiant nos cadres de fonctionnement
individuel, professionnel, sociétal et entraînant aussi des
changements de valeurs. C’est un courant global que celui de la
numérisation de la société.
2 Du coup, le champ des bouleversements est plus large que celui-là
même retenu pour ce colloque et suscite des réflexions à la fois
centrées sur l’individu dans sa vie personnelle et sur l’humanité dans
son destin collectif.
3 Le numérique bouscule autant des thématiques en lien avec la
souveraineté des Etats, la gouvernance des phénomènes mondialisés
que la protection des droits de chacun. L’étendue des champs ainsi
couverts tend à effacer ou à estomper les périmètres traditionnels, et
impose de brasser des problématiques multisectorielles,
multidisciplinaires autour d’objectifs divers. Un point est toutefois
assuré dans cet environnement mouvant et parfois insaisissable : si
les réflexions comme les cadres à fixer doivent l’être au niveau
européen, dans un contexte international qui structure nos
existences et dont il faut tenir compte, elles doivent rester à
dimension humaine.
4 Une autre difficulté émerge dans les débats en cours. Elle prend la
forme d’un paradoxe qui traverse le recours au numérique,
notamment en santé : les attentes y sont fortes, immédiates, parfois
versatiles mais appelant toujours un développement effectif, qu’il
s’agisse de traitement, de diagnostic ou de prise en charge. Mais dans
le même temps, elles sont traversées de divergences d’approches et
de tensions entre les revendications individuelles et les contraintes
collectives, dans un entrelacs de niveaux d’analyse selon que l’on
considère l’individu ou le citoyen, le professionnel ou l’autorité
politique. A cet égard, il faut se garder de penser qu’avoir une vision
globale avec des règles générales permettra forcément de dépasser
les réticences et les frictions. En réalité, les attentes de chaque
individu sont nombreuses et chacun pour lui s’interroge : pourquoi
en santé, les technologies de l’information et de la communication
comme l’IA ne sont-elles pas plus, mieux professionnalisées, plus
intégrées dans les parcours de soins ? Les réponses sont d’autant
plus difficiles à apporter que les réactions, les visions mêmes de la
santé et des solutions à trouver, par exemple en matière de
protection des données de santé ou de conduite des essais cliniques,
sont différentes selon le point de vue de celui qui est en demande :
malade ou personne en pleine santé, citoyen bien portant ou patient
en attente de traitement, entourage en besoin de soutien…
5 La complexité surgit ainsi de ces postures différenciées dans un
monde lui-même mouvant et fortement évolutif.
6 Conséquence de cela, on assiste à un éclatement des systèmes
sociétaux, à l’avènement d’une société individuelle et fragmentée,
phénomènes plus ou moins acceptés et compréhensibles.
7 La fluidité des organisations et des systèmes permet une meilleure
interpénétration mais engendre des questionnements sur la
circulation notamment des informations et sur la maîtrise de leur
devenir. Ainsi les Objets Connectés (OCs) et les applications
recueillent des données personnelles sans que l’on sache souvent où
elles vont, qui les traite et dans quelle finalité.
8 L’émergence d’un patient acteur de sa santé, qui contrôle ses
comportements et ses paramètres biologiques marque une avancée
dans la responsabilisation et l’implication des personnes, dès lors
toutefois qu’elles sont acceptées et intériorisées par lui. Mais que
dire pour demain d’un consentement donné aujourd’hui ? Les
nouveaux services personnalisés offerts par exemple par les
mutuelles et assurances ou d’autres opérateurs privés à condition de
leur faire remonter des informations personnelles, de façon non
obligatoire mais ouvertement incitative, qui sont actuellement
limités à des avantages et autres réductions, (Apple, Amazon, …)
ouvrent ainsi la voie à une modulation de la protection et/ou des
services en fonction de la conformité des comportements à des
standards considérés comme « normaux ». Cette micro gestion
personnelle de sa santé n’est finalement qu’un aspect de la
personnalisation de la médecine, construite autour du patient et de
ses caractéristiques.
9 Au-delà, si la médecine individuelle est désirable par les promesses
qui sont les siennes, à condition toutefois de ne pas verser dans le
transhumanisme, elle pose aussi la question de la prédictibilité
versus solidarité. Quelles incidences potentielles une telle médecine
peut-elle avoir, si l’on y prête garde, sur les systèmes de santé, de
soins et de remboursement ? Faut-il commencer à apprivoiser une
nouvelle vision de la sécurité sociale ? Ces questions restent
ouvertes, appelant la définition de règles précises pour préserver les
droits des personnes à l’aune du numérique, dans l’espace qui est
nécessairement désormais celui de l’Union européenne.

I – Le contexte : la protection de la santé à la


mesure des compétences de l’Union
A – Santé et Droit européen : les données des Traités

10 1. Le numérique n’a pas par nature de frontières mais en


contrepoint, il faut rappeler que la santé relève juridiquement des
Etats membres. Il s’agit en effet d’une prérogative nationale, chacun
en déterminant les grands axes et les politiques publiques afférentes.
Les textes sont clairs et depuis le Traité de Rome où la protection de
la santé n’apparaît qu’en filigrane, elle s’impose surtout, qu’il
s’agisse d’organisation ou de financement, comme un domaine
propre et revendiqué des Etats, un domaine sensible de
souveraineté. Les interventions de l'UE consistent alors
essentiellement à proposer une harmonisation, assurer une
coopération entre les EM et ainsi garantir la coordination des
politiques de santé. À ce niveau, il n'y a pas de compétence sanitaire
spécifique.
11 Progressivement, toutefois, s’est construit un corpus dédié à partir
du Traité de Maastricht en 1992 (art 129) qui introduit un titre X
« Santé publique » dans les textes fondateurs, et le Traité
d'Amsterdam qui, à la suite des crises sanitaires des années 90s, a
renforcé les compétences de l'UE en assignant à la Communauté un
objectif d’« amélioration de la santé publique ». De fait, au sein d’un
marché important dominé par les quatre libertés de circulation des
biens, des capitaux, des services et des personnes, il est apparu
nécessaire de donner à l’Union la possibilité non seulement d’influer
sur les politiques nationales mais aussi concrètement d’améliorer les
services de santé, d’abord limitrophes puis transfrontaliers.
12 Dans cet esprit, le Traité de Lisbonne dans son article 168, Titre XIV
« Santé publique », rappelle tout à la fois que l’action de l’UE reste
bornée par les responsabilités des Etats membres en ce qui concerne
la définition de leur politique de santé, l’organisation et la gestion
des services de santé et de soins médicaux et les ressources qui leur
sont affectées. Mais il souligne que son action complète aussi les
politiques nationales sur certains sujets comme l'amélioration de la
santé publique, la prévention des maladies et des affections
humaines et des causes de danger pour la santé physique et mentale,
la lutte contre les grands fléaux, l'information et l'éducation en
matière de santé, ou la surveillance, l’alerte et la lutte concernant les
menaces transfrontières graves sur la santé. De surcroît, au-delà de
cette compétence de soutien et de complément des politiques des
États, il y est aussi précisé que l'UE partage ses compétences avec les
États « lorsque sont en cause les enjeux communs de sécurité en
matière de santé publique » : se trouve de la sorte consacrée, au-delà
des compétences de soutien, une « compétence partagée » pour faire
face « aux enjeux communs de sécurité » qui autorise l’UE à prendre
des mesures pour fixer des normes élevées de qualité et de sécurité
des organes et substances d’origine humaine, du sang et dérivés du
sang comme en matière de médicaments et dispositifs à usage
médical, et lui permet d’intervenir dans le domaine vétérinaire et
phytosanitaire.
13 2. Ainsi, qu’il s‘agisse de services de santé transfrontaliers ou de
dispositifs connectés, les compétences de l’UE peuvent être
mobilisées sur le numérique et ses outils. A cet égard, les débats en
matière de e‑santé ont démarré il y a longtemps, se sont un peu
structurés dès 2007 avec des coopérations intergouvernementales
entre Etats réfléchissant sur des thèmes communs et sur les bonnes
pratiques des uns et des autres. Le sujet a fait l’objet de discussions
au sein du Conseil « Emploi, politique sociale, santé et
consommateurs » (EPSCO) et en 2009, une conclusion a mis en
exergue le fait que les travaux autour de la e‑santé, visant à des
actions sécurisées, fiables et efficientes grâce à l’utilisation des
(N)TIC, devaient être soutenus et financés par des programmes de
recherche, de développement et d’innovation.
14 A la suite, de nombreux textes ont été adoptés, premières
traductions d’une volonté politique en ce sens. C’est ainsi que des
expérimentations à large échelle ont fait notamment l’objet
d’accords contractuels entre les Etats membres parties prenantes
(passées de 6 à 27 entre 2008 et 2015) afin de tester la faisabilité
d’échanges de données médicales au sein de l’UE. Deux services
e‑santé ont pu ainsi être testés : l’échange de résumés de dossier
patient et de prescriptions électroniques.

B – (e)Santé et Europe : un domaine complexe et mal


délimité

15 L’un des textes les plus porteurs du sens des politiques européennes
en santé est certainement la directive 2011/24/UE relative à
l’application des droits des patients en matière de soins de santé
transfrontaliers, dite directive ‘mobilité’/ droits des patients, qui
vise à « garantir la mobilité des patients et la libre prestation de
services de santé ». Elle pose les conditions dans lesquelles un
citoyen/patient voyageant dans un autre pays de l’UE que le sien,
peut y recevoir des soins et obtenir un remboursement. Elle porte
sur les coûts des soins de santé, les prescriptions, la fourniture de
médicaments et les dispositifs médicaux 1 . L’objectif est de donner
aux citoyens de l’UE le droit de bénéficier de soins de santé dans
n’importe quel pays de l’UE et d’être remboursés par leur pays
d’origine pour des soins dispensés à l’étranger. C’est dans ce texte
qu’est évoqué pour la première fois le droit de l’e‑santé, de la santé
en ligne, incluant la santé mobile et que sont également formulés les
questionnements sur la télémédecine. La définition des « soins de
santé » par la directive est à cet égard intéressante par l’étendue
qu’elle entend couvrir : il s’agit des « services de santé fournis par
des professionnels de la santé aux patients pour évaluer, maintenir
ou rétablir leur état de santé, y compris la prescription, la délivrance
et la fourniture de médicaments et de dispositifs médicaux »
(article 3).
16 C’est alors bien une première ouverture subreptice aux compétences
de l’UE en santé qui sera confirmée par les chapitres définissant
d’une part les responsabilités respectives et d’autre part le champ
concerné. En matière de responsabilités sont précisés les rôles et
devoirs respectifs de l’Etat Membre d’affiliation et de celui de
traitement ainsi que les principes généraux applicables au
remboursement des coûts des soins de santé transfrontaliers (régime
d’autorisation préalable uniquement nécessaire et proportionné) et
aux procédures administratives correspondantes. S’agissant du
champ couvert, le directive précise que les Etats membres se prêtent
assistance mutuelle et coopèrent en matière de qualité, de sécurité
et par l’échange d’informations.
17 Le principe de la reconnaissance mutuelle des prescriptions est
établi, comme est prévue la création de réseaux européens de
référence entre prestataires de soins de santé et centres d’expertise
dans les Etats Membres, en particulier pour les maladies rares.
18 Dans la foulée, afin de pouvoir mettre en œuvre ces principes et de
partager les données via des échanges électroniques a été mis en
place le Réseau santé en ligne (eHealth Network) 2 , réseau volontaire
d'autorités nationales responsables de la santé en ligne, créé en
application de la directive européenne sur les soins de santé
transfrontaliers. Les objectifs de départ de ce réseau européen en
e‑santé semblaient assez modestes et consistaient à soutenir et
faciliter l’échange d’informations entre les Etats Membres en
œuvrant à la mise en place de systèmes et de services européens en
ligne interopérables de manière à « atteindre un niveau élevé de
confiance et de sécurité, à renforcer la continuité des soins et à garantir
l’accès à des soins de santé de qualité élevée et sûrs ». C’est ainsi qu’il lui a
été demandé d’élaborer des lignes directrices dans le domaine de la
santé en ligne, de renforcer la coopération entre les systèmes
électroniques de santé et donc de contribuer à améliorer la
continuité des soins. Cette création a ainsi eu des répercussions
importantes sur la manière dont pouvait être décliné au plan local,
régional, ou national tout un ensemble de dispositifs permettant de
faciliter l’accès aux soins et la coordination des soins transfrontaliers
et ce, par la simplification et la fluidification de la circulation et de
l’échange de données dématérialisées, notamment de santé.
19 C’est ainsi que le réseau santé en ligne, en s’appuyant sur des
comités et groupes de travail collaboratifs composés de
représentants de chacun des Etats Membres, a d’abord concentré ses
travaux sur un cadre commun européen d’interopérabilité (European
Interoperability Framework) s’appuyant sur des normes et standards de
fait et privilégiant la sécurisation des données. Afin de faciliter la
mise en place des échanges, un modèle en « couches » (LOST :
aspects Légaux, Organisationnels, Sémantiques et Techniques) a été
conçu et adopté par le Réseau de manière à masquer la complexité
du dispositif et à faciliter son évolution à l’heure des progrès
cliniques et technologiques rapides et des nombreux changements
réglementaires et organisationnels.

II – La construction progressive d’un cadre


juridique européen de la e‑santé
A – Des éléments à prendre en considération

1) L’articulation des compétences

20 L’importance de la numérisation et son caractère inéluctable sinon


indispensable pose néanmoins la question de l’articulation du droit
de l’Union Européenne (qui détient des compétences notamment
dans les domaines de la protection des consommateurs, en matière
de recherche-développement, mais aussi dans le domaine de
l’innovation et des nouvelles technologies) et de celui émergent du
droit numérique de la santé prenant appui sur l’existence de défis
communs des Etats à propos desquels une mutualisation des efforts
est à rechercher.
21 Par ailleurs, la Santé est actuellement présentée comme l’une des
priorités du marché unique (européen) numérique (Digital Single
Market) alors même que l’organisation et la fourniture de services de
santé et de soins médicaux donc les systèmes de santé, demeurent
des prérogatives nationales, la santé n’étant pas en tant que telle
partie prenante du TFUE (hors l’article 168 consacrant le niveau
élevé de protection de la santé publique).
22 Cette évolution ainsi donne de nouvelles compétences à l’UE sur tout
ce qui peut être considéré comme une prestation de e‑santé, à partir
d’une définition très large qui va permettre à la Commission de
proposer et d’essayer de mettre en place une vision d’un marché
intérieur des soins de santé basée sur les quatre libertés de
circulation notamment celle des biens et produits et celle des
personnes en tant que patients, professionnels ou industriels. Bien
plus encore, aujourd’hui, le « plan Junker », plan d'investissement
pour l'Europe, formule dix priorités et définit un marché unique
numérique dont l’un des axes est également la santé quand bien
même que celle-ci ne relève pas principalement des compétences de
l’UE.
23 C’est là l’une des réactions aux réponses de la société civile, qui lors
d’une consultation publique de la Commission Européenne sur les
priorités du futur marché numérique européen, a mis en avant
l’importance du secteur de la santé et plus particulièrement les
diverses attentes des citoyens en matière de santé en ligne, de
télémédecine ainsi que des questionnements autour des applications
de santé mobile et des objets connectés.

2) Un cadre européen en pleine évolution qui touche tous les


secteurs et dont la dimension numérique s’affirme de plus en
plus

24 En particulier l’avènement du numérique permet de prétendre à


mettre à jour, simplifier ou même proposer de nouveaux textes
européens autour des normes et standards, méthodes, cadres
communs d’évaluation, de validation, d’application, de réutilisation.
25 Plus largement, ce nouveau corpus juridique prévoit dans de
nombreux cas des actes d’implémentation ou d’exécution
nécessaires à sa mise en application (permettant par exemple la
définition commune d’attributs ou de critères d’évaluation, de
sécurité, de conformité) sous la responsabilité de la Commission
européenne, les représentants volontaires des Etats membres ne
disposant que d’un avis consultatif).
26 Enfin, l’influence des normes européennes s’impose de plus en plus,
sur tout secteur (économique ou non). Aujourd’hui le nombre de
textes de l’UE est inflationniste en ces matières, débordant hors du
cadre strict de la santé sur le domaine du social et plus globalement
sur de multiples domaines de nature à concerner plus ou moins
directement la santé. On assiste ainsi à une prolifération de textes
« horizontaux » susceptibles d’intéresser le système de soins et à la
montée en puissance d’un cadre juridique « transverse » impactant
la Santé.

B – De quelques de textes « transverses » impactant le


secteur de la santé

27 Il en est ainsi des textes suivants :


28 • La Directive (UE) 2013/55 du Parlement européen et du Conseil, du
20 novembre 12013, dite « Qualifications professionnelles » 3 :
29 Cette directive intersectorielle a pour ambition d’intégrer l’évolution
et la transformation des métiers ainsi que de permettre une
comparabilité des qualifications professionnelles, prélude à leur
reconnaissance européenne, facilitant ainsi la mobilité des
professionnels au sein de l’Union. Pour celui de la santé, ces
dispositions conduisent d’abord à connaître la durée et le contenu de
la formation, l’éventail des missions dévolues à un médecin, à tel
professionnel de santé dans chacun des pays de l’UE, les fonctions et
activités couvertes, le niveau de responsabilité afférent. Il s’agit aussi
de préciser les conditions de reconnaissance des compétences et
diplômes délivrés et du droit à l’exercice correspondant afin
d’envisager leur comparabilité et ainsi de gérer des équivalences
permettant l’établissement dans un autre pays de l’Union sous
réserve d’adoption de critères communs (cf paragraphe infra).
30 C’est ainsi par exemple que les missions et compétences attachées et
reconnues pour tel professionnel de santé dans son pays d’exercice
doivent être connues et reconnues comme telles dans un autre pays
de l’Union, sans toutefois qu’aujourd’hui il n’y ait harmonisation.
S’agissant de prescriptions ou de la délivrance d’actes dans le pays
de traitement, les rôles et responsabilités respectives doivent être
précisés afin que les soins prodigués au patient hors son pays
d’affiliation le soient sans entrave tant sur le plan clinique
qu’organisationnel ou financier 4 .
31 • Le règlement (UE) 2014/910, du Parlement européen et du Conseil
dit ‘eIDAS’, relatif à la signature et l’identification électroniques et
aux services de confiance 5 :
32 Ce règlement trans-sectoriel, qui remplace l’ancienne directive sur la
signature électronique s’intéresse aux moyens d’identification
électronique des personnes physiques et morales afin de simplifier
leur reconnaissance mutuelle en en fixant les conditions. Il permet
ainsi d’augmenter la confiance à leur accorder au sein de l’Union et
reconnait également différents niveaux de signature électronique en
fonction du niveau de sécurisation des transactions à réaliser. Ce
texte, intersectoriel par essence, ne s’intéresse pas au rôle de la
personne considérée. Pour le secteur de la santé, il convient donc de
le compléter afin de pouvoir par exemple spécifier si la personne
physique identifiée dans un échange électronique particulier à
l'instant t, y figure en tant que patient ou en tant que professionnel
de santé. Cette fonction d’identification/authentification fine doit
s’articuler avec le règlement eIDAS. Ces fonctionnalités et
contraintes devront donc être intégrées par les applications et
systèmes d’information du secteur de la santé. En effet patient,
professionnel de santé, établissement hospitalier, aidant, ne seront
donc plus identifiés à partir des seuls standards ou procédures du
secteur de la santé mais devront être conformes au règlement eIDAS.
33 • Le règlement général pour la protection des données à caractère
personnel 6 , RGPD ou ‘GRDP’ (UE) 2016/679, est entré en vigueur le
25 mai 2018. Plus de quatre ans de négociations ont présidé à
l’adoption de ce texte, des questions politiques s’ajoutant à des
aspects juridiques et techniques de taille, comme en ont témoigné
les quatre mille et quelques amendements déposés lors des
discussions au Parlement.
34 Avec l’avènement des technologies nouvelles, le cadre existant (la
directive 95/46/CE) s’avérait inadapté au regard de l’évolution de la
collecte, du traitement, du stockage et de l’usage des données
personnelles. Ce nouveau règlement vise à renforcer la protection
des données à caractère personnel par la mise en place d’un cadre
européen rénové, plus strict et unifié, garantissant un niveau élevé
de protection.
35 Le règlement poursuit plusieurs objectifs : (i) renforcer le droit des
personnes (notamment par la réaffirmation de droits déjà existants
mais également de par la création d’un droit à la portabilité et d’un
droit à l’oubli) ; (ii) responsabiliser les acteurs traitant les données
(responsable des traitements et sous-traitants) qui devront être en
mesure d’assurer une protection appropriée des données dès la
conception et par défaut ainsi que de démontrer leur conformité au
règlement ; (iii) crédibiliser la régulation grâce à une coopération
renforcée entre les autorités de protection des données (contrôles
plus réguliers et sanctions alourdies).
36 Le règlement renverse la charge de la preuve par rapport à la
Directive de 1995, qui reposait sur des formalités préalables
(déclaration ou autorisation). Il s’inscrit dans une logique de
responsabilisation des acteurs qui doivent mettre en place des
ressources, mécanismes et moyens (désignation d’un responsable de
traitement, tenue d’un registre de traitements, mise en œuvre d’une
analyse d’impacts, maintien à jour de documentation, obligation de
notification en cas de failles de sécurité, de violation de données…)
afin de pouvoir justifier que les actions réalisées sur les données sont
et demeurent au fil du temps conformes au règlement. Les
démarches administratives ont donc été simplifiées. Encore faut-il
néanmoins a posteriori que les autorités, dont le métier va largement
évoluer, disposent de ressources, de compétences et de moyens
dédiés qui n’existent toutefois pas encore avec l’ampleur nécessaire.
Afin de faciliter la mise en application du RGPD, les acteurs de la
chaîne de traitement des données sont encouragés à utiliser des
outils tels des mécanismes de certification, labellisation ou agrément
voire d’adhérer à des codes de conduite reconnus et validés.
37 S’agissant du secteur de la santé, les données à caractère personnel
qui s’y rattachent sont des données dites « sensibles » ce qui
entraîne des obligations renforcées au regard de leur collecte et de
leur traitement, qui ne peuvent être autorisés que dans le cadre
d’exceptions 7 répertoriées de façon exhaustive dans le règlement.
Dans ce cadre, les études d’impact sur la vie privée par exemple
deviennent obligatoires pour tout traitement à risque de données
sensibles (telles que les données de santé).
38 Plus généralement la définition retenue dans le règlement pour les
données concernant la santé est très large 8 . Le RGPD a un impact
très important sur la « e‑santé » qui consiste justement à échanger
des données sous forme dématérialisée. C’est la raison de ce
développement préalable sur un texte de portée importante dont
l’application complète prendra sans doute un peu de temps.
39 C’est ainsi qu’en France, la CNIL, afin d’aider les organismes à se
mettre en conformité, publie des guides et outils afin de simplifier et
d’harmoniser les démarches nécessaires, en parallèle de la
nécessaire mise à jour de notre loi Informatique et libertés qui avait
à l’origine inspiré les rédacteurs du texte du règlement afin d’en
respecter toutes les dispositions. S’agissant de ce « toilettage » de la
loi afin de la mettre en conformité avec le RGPD, le premier semestre
2018 devrait voir son adoption par le Parlement, afin de donner une
visibilité à l’ensemble des acteurs avant la date d’application du
règlement.
40 • La directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil
promulguée le 6 juillet 2016 dite directive « Network and
Information Security », ou Directive ‘NIS’ 9 , doit être transposée en
droit français le 9 mai 2018 au plus tard. Elle a pour objet d’assurer
un niveau élevé commun de sécurité des réseaux et des systèmes
d’information dans l’Union européenne.
41 Si le RGPD est présent dans tous les esprits aujourd’hui, il n’en est
pas de même pour la directive NIS qui a pourtant un rôle important
à jouer avec le renforcement des capacités nationales de
cybersécurité et l’établissement d’un cadre formel, mais volontaire,
de coopération entre les Etats membres portant sur les aspects
politiques et opérationnels de celle-ci. La définition au niveau
national de règles de cybersécurité auxquels devront notamment se
conformer les « opérateurs de services essentiels » (OSE) créés par la
directive, avec obligation pour ceux-ci de notifier les incidents ayant
un impact sur la continuité des services essentiels au maintien de
l’activité économique et sociétale des pays européens, ainsi que
l’instauration de règles européennes communes en matière de
cybersécurité des fournisseurs /prestataires de services numériques
10 (FSN) dans le domaine constituent le socle d’un dispositif visant

à augmenter le niveau de confiance des échanges dématérialisés au


sein de l’UE et à faciliter la mise en œuvre du RGPD. L’on pressent
ainsi que l’analyse de risques mise en place par le RGDP va pouvoir
s’enrichir d’éléments complémentaires afin de répondre à la
directive NIS mais que les impacts organisationnels et financiers ne
doivent pas être sous-estimés (notamment pour les établissements
de santé par exemple).
42 La France a adopté la directive NIS sans modifications par rapport au
texte initial. En effet la directive était inspirée de la loi de
programmation militaire française (2013). En France, l’ANSSI,
l’agence nationale de la sécurité des systèmes d’information, est
responsable de cette transposition. Le projet de loi français
« portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union
européenne dans le domaine de la sécurité » a été déposé au Sénat le
22 novembre 2017.
43 • Enfin, si les sanctions prévues pour le RGPD et la directive NIS
devraient entrer en vigueur sensiblement à la même période,
d’autres règlementations sectorielles vont devoir être appliquées. En
effet chaque secteur d’activité doit répondre d’obligations
spécifiques. C’est en particulier le cas pour le secteur de la santé.
44 Parmi ceux-ci on peut citer la Communication de la Commission
européenne relative à la télémédecine, le second plan d’actions en
e‑santé (2014-2020), le programme d’actions triennal (2018-2021) en
e‑santé ou encore le règlement récent sur les dispositifs médicaux
applicable à certains objets connectés et applications de santé
mobile.

III – Perspectives
A – Des constats pour une construction en cours

45 Comme l’on a pu l’entrevoir, le cadre européen récent est complexe,


transverse, pas toujours aligné avec les caractéristiques et textes
sectoriels et de surcroît tout juste en cours de mise en place, ce qui
accroît les difficultés. S’agissant notamment du RGPD et des services
numériques sus mentionnés, une partie des dispositions n’est pas
encore mise en œuvre. Les textes sont publiés mais n’entreront en
vigueur pour certains des plus récents qu’en 2018. Cette proximité
temporelle explique que nous n’ayons sur leur application aucun
recul et que peu d’outils au-delà des premiers « guides génériques »
ne puissent être disponibles.
46 A ce stade où même les interprétations sont en cours d’analyses
croisées, seuls des constats font l’objet d’un consensus.
47 C’est ainsi que les Etats membres, tout en saluant l’importance d’une
coopération accrue et d’une simplification des échanges
électroniques garantissant un haut niveau de qualité et de sécurité,
regrettent l’étroitesse de leur marge de manœuvre s’agissant de
dispositions contraignantes et à fort impact organisationnel,
technique et financier au niveau national, y compris dans des
secteurs, tels la santé où la subsidiarité est indispensable et en
principe garantie par les textes. A présent l’on voit que l’emprise de
l’Europe s’étend de plus en plus au travers de la mise en place d’un
marché numérique européen dans des secteurs jusque-là exclus du
TFUE.
48 C'est ainsi que le nombre et la rapidité de promulgation de textes
européens transversaux impactant à des degrés divers l’ensemble
des politiques, liés à des calendriers de mise en application très
(trop ?) rapprochés 11 , n’ont pas laissé le temps pour une analyse
d’impact globale raisonnée ni même dans certains cas à une analyse
sectorielle d’ensemble. Il n’est donc pas exclu que, même si
juridiquement les textes ont fait l’objet de concertations et de
compromis nombreux, leur mise en application soulève plus de
problèmes qu’escomptés.

B – Des mécanismes à repenser

49 Si ce diagnostic est partagé par les Etats membres, ceux-ci essayent


de s’organiser afin de mettre en commun leurs efforts en allant au-
delà de la coopération intergouvernementale classique. Afin
d’influer sinon anticiper la production inflationniste de textes, ou du
moins les conséquences opérationnelles qui en découleront, se sont
instaurés depuis quelques années des mécanismes de
co‑construction permettant la mutualisation de solutions allant de la
conception de cadres de référence communs au partage de
composants de base logicielles réutilisables par chaque pays, en
passant par la publication de critères permettant la labellisation ou
la certification de dispositifs numériques en santé.
50 Cette co‑construction, qui facilite une mise en application homogène
plus rapide, peut être dans certains cas facilitée par la Commission
Européenne au travers de dispositifs d’incitation trans-sectoriels
visant à améliorer les services numériques européens tel le CEF
(Connecting Europe Facility ou MIE : mécanisme pour l’interconnexion
en Europe).
51 L’une des premières déclinaisons de celui-ci l’a été dans le secteur de
l’e‑santé où de nombreux pays collaborent au travers du comité
européen en e‑santé (eHealth Network) mis en place dès 2012 sous
l'égide de la directive sur les droits du patient en matière de soins
transfrontaliers comme mentionné précédemment. C’est ainsi qu’ont
été instaurés une gouvernance collégiale adaptée, un mécanisme de
co‑construction d’un cadre global d’interopérabilité et de sécurité
ainsi que la mise en place d’un point de contact national par pays
garantissant la qualité, la sécurité et la confidentialité des échanges
dématérialisés de données personnelles. Ces derniers sont illustrés
au travers de premiers services numériques tels que l’échange de
résumé de dossier patient et la reconnaissance de prescription
électronique, suivis par la mise en place de réseaux européens de
référence permettant le partage de connaissances et la conception
de registres cliniques nationaux de structuration comparables en
Europe.
52 En conclusion et en guise d’ouverture : des premiers « chantiers »
parcellaires
53 Le Droit du numérique en santé ou de la santé numérique se
construit pas à pas, en lien avec tous les acteurs, publics et privés, et
toutes les organisations institutionnelles des Etats membres, et ses
premières traductions commencent à être mises en place. L’enjeu
actuel est en pratique d’accompagner et simplifier la mise en place
de services de santé pérennes et de fluidifier les échanges de
données personnelles au sein de l’UE en prenant en compte la
mobilité des acteurs et l’utilisation de nouveaux outils nomades
(mHealth), tout en garantissant qualité, sécurité, fiabilité,
performance de ceux-ci et leur pérennité économique.
54 Mais au-delà de la mise en avant des atouts du numérique, il
convient -particulièrement dans le secteur de la santé- de demeurer
vigilant quant aux droits des personnes et plus précisément à la
réalité opérationnelle du renforcement de ces droits promis par les
textes récents. En effet ces nouveaux services numériques doivent
être d’abord mis en œuvre pour le bénéfice des citoyens et des
patients. La place de plus en plus prégnante du numérique et la
position dominante de certains acteurs internationaux doivent nous
inciter encore plus que précédemment à ne pas perdre de vue les
risques inhérents à la multiplication d’échanges de données
personnelles et à l’utilisation d’algorithmes de traitement non
publiés (voire non maîtrisés) particulièrement dans le secteur de la
santé où les premiers intéressés aux échanges (les malades) sont en
position de faiblesse.
55 Si le dispositif juridique européen contribue à contingenter ces
risques et accroître la transparence, le devoir de chacun à tous
niveaux consiste à rester vigilant quant à son déploiement à grande
échelle et à la rigueur de sa mise en application.

NOTES
1. Nathalie De Grove-Valdeyron (2011), « La directive relative aux
droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers :
Véritable statut juridique européen du patient ou simple
clarification d'un régime de mobilité ? », Revue trimestrielle de droit
européen (RTDE), 2 (2). p. 299-327.
2. Recouvre l’ensemble des domaines où les technologies de
l’information et de la communication (TIC ou ICT) sont mises au
service et vise à améliorer les activités du secteur de la santé .
3. Directive 2013/55/UE du Parlement européen et du Conseil du 20
novembre 2013 modifiant la directive 2005/36/CE relative à la
reconnaissance des qualifications professionnelles et le règlement (UE)
n° 1024/2012 concernant la coopération administrative par l’intermédiaire
du système d’information du marché intérieur, JOUE, 28 décembre 2013,
L 354/132.
4. Ex : Si une infirmière a dans son pays (B) le droit de réaliser une
prescription médicamenteuse, un patient en mobilité dans le pays B
doit pouvoir se voir délivrer et rembourser (le cas échéant) les
médicaments prescrits de retour dans son pays d’origine (A), quand
bien même dans celui-ci le corps des infirmières ne dispose pas de ce
droit.
5. Règlement du 23 juillet 2014 sur l’identification électronique et les
services de confiance pour les transactions électroniques au sein du marché
intérieur et abrogeant la directive 1999/93/CE, JOUE 28 août 2014,
L 257/73.
6. Règlement 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27
avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces
données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la
protection des données), JOUE 4 mais 2016, L 119/1. « Le présent
règlement s'applique au traitement de données à caractère
personnel, automatisé en tout ou en partie, ainsi qu'au traitement
non automatisé de données à caractère personnel contenues ou
appelées à figurer dans un fichier. ».
7. Le législateur subordonne tout usage non strictement intime de
données à caractère personnel à l’existence d’une finalité considérée
comme légitime par celui-ci. A défaut, le traitement est illicite :
Art 9 du RGPD : Traitement portant sur des catégories
particulières de données à caractère personnel : « …le traitement
des données génétiques, des données biométriques aux fins
d'identifier une personne physique de manière unique, des données
concernant la santé ou des données concernant la vie sexuelle ou
l'orientation sexuelle d'une personne physique sont interdits. ».
8. Art 4 §15 : « données concernant la santé », les données à
caractère personnel relatives à la santé physique ou mentale d'une
personne physique, y compris la prestation de services de soins de
santé, qui révèlent des informations sur l'état de santé de cette
personne.
9. Directive (UE) 2016/1148 du Parlement européen et du Conseil du
6 juillet 2016 concernant des mesures destinées à assurer un niveau élevé
commun de sécurité des réseaux et des systèmes d'information dans l'Union,
JOUE 19 juillet 2016, L 194/1.
10. Service numérique : « tout service fourni à distance, contre
rémunération ».
11. Cette cadence se poursuit au même rythme avec notamment les
propositions de nouveaux règlements tels que :
REG… on free flow of non personal data (pour compléter le cadre
juridique sur les données non personnelles).
REG… on e-Privacy (visant à « assurer un niveau élevé de protection
des données issues des communications électroniques, telles celles
en provenance des terminaux collectées par les fournisseurs de
services et de logiciels (cookies) permettant de telles
communications ».

AUTEUR
MICHÈLE THONNET
Membre du réseau européen e‑santé, Chair "global positioning & coopération" TF, e‑Santé
Europe et International
Lecture du droit européen
numérique de la santé :
conséquences sur les patients,
l’accès aux soins, la circulation
des patients
Nathalie De Grove-Valdeyron

1 L’intitulé de la communication qui m’a été proposé est doublement


ambitieux : il invite à une lecture du droit européen de la santé, mais
plus encore du droit européen numérique de la santé afin d’apprécier
ses conséquences sur les patients, l’accès aux soins et la circulation
des patients. Cette notion de « droit européen numérique de la
santé » apparaît à certains égards « avant-gardiste » mais aussi,
complexe, dans la mesure où ce droit est en pleine construction et se
doit de concilier des aspects relevant de la compétence des Etats 1
tout en s’articulant avec des compétences de l’Union européenne
dans d’autres domaines que la santé (politique de recherche et
développement, politique dans le domaine des nouvelles
technologies, protection des consommateurs …)
2 La notion même de droit européen de la santé 2 tend aujourd’hui
progressivement à s’imposer alors que la « communautarisation » de
ce domaine n’allait pas de soi. Qu’il suffise de rappeler que dès 1957,
le Traité de Rome avait prévu la possibilité de déroger, tant à la libre
circulation des marchandises que des personnes, pour des motifs de
santé publique 3 . La Cour a par ailleurs accepté que des entraves à la
liberté de circulation puissent être justifiées au nom de « raisons
impérieuses d’intérêt général 4 » tenant notamment à « un
approvisionnement sûr et de qualité des produits de santé 5 », « une
accessibilité suffisante et permanente à une gamme équilibrée de
soins hospitaliers de qualité 6 », ou à un « maintien d’une capacité
de soins sur le territoire national » 7 . Le motif de santé publique
permet donc de justifier des restrictions à la libre circulation, sous le
contrôle étroit de la Cour de justice.
3 Le développement d’un droit européen de la santé a pu se réaliser
grâce à l’insertion d’une base juridique spécifique, dans le traité de
Rome, par le traité de Maastricht. Cette base juridique (art. 129 du
traité instituant la Communauté européenne, ci-après TCE, devenu
avec le traité de Lisbonne, l’art. 168 du traité sur le fonctionnement
de l’Union européenne, ci-après TFUE) garantit qu’un niveau élevé
de protection de la santé publique est assuré dans la définition et la
mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. Elle
accorde à l’Union une double compétence : une « compétence
d’appui » pour soutenir l’action des Etats membres dans le domaine
de la santé mais aussi, certes de façon plus limitée, une compétence
partagée avec les Etats membres pour tout ce qui relève « des enjeux
communs de sécurité en matière de santé » 8 , ce qui est le cas,
notamment, dans le domaine des médicaments et des dispositifs
médicaux où l’Union peut adopter des normes élevées de qualité et
de sécurité (art. 168 §4 c). Le traité prend cependant le soin de
verrouiller 9 cette compétence en précisant (art. 168§7) 10 que les
Etats restent responsables de tout ce qui relève de l'organisation et
la fourniture de services de santé et de soins médicaux. Ceci n’a pas
empêché pour autant la Cour de justice, par une « vision volontariste
11
» d’exploiter tout le potentiel du marché intérieur et de dépasser
ce qui aurait pu paraître comme un frein à l’influence du droit de
l’Union dans le domaine des soins de santé en reconnaissant que la
nature particulière de certaines prestations de services[en l’occurrence
les soins de santé] ne saurait faire échapper ces activités au principe
fondamental de libre circulation 12 et ce, quelle que soit l’organisation
des systèmes de santé des Etats membres 13 .
4 L’utilisation de la base juridique marché intérieur (art. 114 TFUE,
dans la version Lisbonne, ex art.95 TCE) a joué un rôle essentiel pour
assurer la libre circulation des professionnels de santé mais aussi,
des produits de santé. Rappelons que dès le début de la construction
communautaire c’est cette base juridique qui a été utilisée pour
harmoniser les dispositions nationales et favoriser la libre
circulation tout en assurant un niveau élevé de protection de la
santé 14 . La directive 2011/24/UE relative à l’application des droits
des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, qui vise à
clarifier le régime de mobilité des patients, est ainsi fondée sur une
double base juridique « marché intérieur (art.114TFUE) et santé
publique (art.168TFUE). Il en est de même des règlements relatifs
aux dispositifs médicaux 15 .
5 La dimension numérique du droit européen de la santé représente,
en quelque sorte, une étape supplémentaire du développement du
droit européen de la santé. Ce droit de la « e‑santé » de l’Union n’en
est certes aujourd’hui qu’à ses prémisses 16 mais il constitue en
tous les cas une priorité de l’Union européenne qui s’intègre dans un
objectif plus large de mise en place d’un véritable marché intérieur
numérique pour lequel l’Union a adopté une stratégie 17 et qui doit
s’appuyer sur un partage et un échange efficace de données par-delà
les frontières nationales 18 . Ce droit, en plein essor, n’en présente
pas moins des spécificités qui relèvent de la nature même de la
matière sur lequel il porte, la santé.
6 La santé en ligne (e‑santé), avec le développement et les
opportunités offertes par les nouvelles technologies de l’information
et des communications (TIC), apparaît aussi comme un des cinq
domaines prioritaires du marché intérieur numérique pour lequel il
apparaît urgent d’améliorer la normalisation en matière de TIC 19 , à
l’échelle de l’Union, dans l’intérêt des patients. Plus précisément
dans ce contexte, ce que l’on appelle couramment aujourd’hui
l’internet des objets (« IdO ») (qui englobe les applis de santé) est une
des composantes technologiques essentielle et émergente de ce
marché unique du numérique qui présente un potentiel d’innovation
remarquable et peut contribuer à répondre à des problèmes
sociétaux (dont le vieillissement de la population) mais pour autant
que ce marché porteur ne soit pas fragmenté par l’application de
normes différentes. L’élaboration de normes communes et
interopérables, en général, et dans le domaine de la santé, en
particulier, s’avère nous le verrons, essentielle.
7 Si le principe de liberté de circulation a donc vocation à s’appliquer
aux objets de santé connectés (qui peuvent combiner logiciels et
applications ou interfaces, voire même des services) mais aussi aux
prestations d’e-santé, on perçoit déjà qu’un certain nombre de
problèmes juridiques sont susceptibles de se poser. Certains
proviennent du recours même aux technologies innovantes dont de
nombreux aspects (interopérabilité, sûreté, échanges de données,
sécurité et respect de la vie privée 20 ) entrent en jeu, notamment
dans les applications de santé mobile, et pour lesquels des mesures
de protection doivent être garanties. D’autres problèmes découlent
des particularités de certaines applications ou prestations de santé
dont le caractère médical implique qu’elles soient soumises à un
régime spécifique plus protecteur, relevant de la compétence des
Etats et pour lequel l’Union européenne ne pourra utiliser que sa
compétence d’appui pour garantir le respect des droits des patients
au sein de l’Union et particulièrement des normes élevées de qualité
et de sécurité des soins.
8 Cette communication tend à mettre en évidence la stratégie mise en
place par l’Union européenne pour encadrer juridiquement l’e-santé
ou, tout au moins, la réguler car il faut garder à l’esprit que le
« déploiement de systèmes de TIC dans le secteur de la santé est une
compétence exclusivement nationale » 21 (I). Il est difficile
d’anticiper à ce jour l’influence qu’aura ce qu’il est convenu
d’appeler « la révolution numérique 22 », qui ne connaît pas de
frontières, y compris dans le domaine de la santé. La généralisation
du recours au numérique dans les modes de vie, la consommation
(recours aux applis de santé) mais aussi dans le domaine de la
dispensation des soins aura un impact sur la santé des patients et des
conséquences sur l’ensemble des systèmes de santé tandis que
l’utilisation des données de santé, produites parfois à l’insu des
citoyens, représente une source d’information particulièrement
lucrative pour les géants du net (GAFA) qui ne peut laisser
indifférent. Il conviendra donc, dans un deuxième temps, de mettre
en évidence le potentiel de cette nouvelle dimension du droit
européen de la santé en appréciant dans quelle mesure, à ce jour, les
textes européens régissent les prestations médicales
transfrontalières utilisant les TIC mais aussi les objets d’e-santé et
les garanties qu’ils offrent aux patients, révélant la construction
d’un véritable droit de l’Union européenne dans le domaine de l’e-
santé (II).
I – L’identification d’une véritable stratégie de
l’Union Européenne dans le domaine de
l’e‑santé
9 La notion d’e‑santé n’est pas nouvelle. Le premier usage du terme
remonte à 1999. Lors d’une présentation au 7ème congrès
international de télémédecine John Mitchell, un consultant
australien dans le domaine de la santé, la définit comme « l’usage
combiné de l’Internet et des technologies de l’information à des fins
cliniques, éducationnelles et administratives, à la fois localement et à
distance ». Que recouvre aujourd’hui cette notion en droit de
l’Union (A) et comment, concrètement, le droit de l’Union
appréhende-t-il l’e‑santé ? (B).

A – Le choix déterminé d’une conception large de l’e-


santé

10 La difficulté de préciser le contenu de la notion d’e‑santé 23 s’est


posée en droit français 24 comme en droit européen. De façon
générale l’e‑santé désigne tous les domaines où les technologies de
l’information et de la communication (TIC) sont mises au service de
la santé, telle qu’elle a été définie par l’Organisation mondiale de la
santé (OMS) c’est-à-dire, de façon large, comme recouvrant non
seulement l’absence de maladie ou d’infirmité mais aussi « un état de
complet bien-être physique, mental et social ».
11 Selon la définition retenue par la Commission européenne en 2004
dans son premier plan d’action sur la santé en ligne, le terme e-santé
désigne « l'application des technologies de l'information et des
communications à toute la gamme de fonctions qui interviennent
dans le secteur de la santé » 25 . Cette définition recouvre des objets
et des pratiques très variés. La communication de la Commission en
donnait déjà quelques exemples à l’époque tels les réseaux
d'information médicale (en droit français on parlerait de « SIS »
(système d’information santé) ou de « SIH » (système d’information
hospitalier), les dossiers médicaux électroniques (auxquels on peut
ajouter aujourd’hui les prescriptions électroniques), les services de
télémédecine 26 , « les systèmes portables et ambulatoires dotés de
fonctions de communication 27 », des portails sur la santé et de
nombreux autres dispositifs fondés sur les technologies de
l'information et des communications qui fournissent des outils
d'assistance à la prévention, au diagnostic, au traitement, au
monitorage de la santé et à la gestion du mode de vie 28 . La
communication de la Commission du 6 décembre 2012 29 portant sur
le deuxième plan d’action pour la santé en ligne (2012-2020) se veut
plus précise dans les objectifs assignés à l’e santé tout en conservant
une approche très large de celle-ci : l'expression « santé en ligne »
désigne « l'utilisation des TIC dans les produits, services et processus
de santé, associée à des modifications organisationnelles dans les
systèmes de soins de santé et à de nouvelles compétences, afin
d'améliorer la santé de la population, l'efficacité et la productivité
dans la prestation des soins de santé et la valeur économique et
sociale de la santé 30 . L'interaction entre patients et prestataires de
services dans le domaine de la santé, la transmission de données
entre institutions ou la communication entre patients et/ou
professionnels de la santé entrent également dans le cadre de la
santé en ligne ».
12 Le périmètre de l’e‑santé, en droit français comme en droit de
l’Union, s’est étendu de façon considérable et aujourd’hui ses
frontières ont été encore repoussées avec l’apparition de la
« m‑santé » (santé mobile) qui vise tous les appareils électroniques,
des applications pour mobiles aux objets connectés qui ont un lien
avec la santé (bracelets, capteurs de paramètres physiologiques, etc.)
et revendiquent, par cette médicalisation, un bénéfice sanitaire. Les
composantes de l’e‑santé sont donc nombreuses et nécessitent une
clarification afin de déterminer leur rattachement à un régime
juridique précis (voir infra II B).
13 La Commission entend encourager le développement de la santé en
ligne pour relever un certain nombre de défis dans le domaine de la
santé et des systèmes de santé ; qu’il s’agisse « d’améliorer la gestion
des affections chroniques et de la multimorbidité », « d’accroître la
pérennité et l'efficience des systèmes de santé en libérant le
potentiel d'innovation, en renforçant les soins axés sur le
patient/l'individu et la responsabilisation de l'individu »,
« d’encourager les soins de santé transfrontaliers, la sécurité
sanitaire, la solidarité », ou encore « d’améliorer les conditions
juridiques et sanitaires relatives au développement de produits et
services de santé en ligne, l'universalité et l'équité ».
14 Il paraît donc naturel que la santé en ligne figure aussi en bonne
place dans le troisième programme d’action pour la santé publique
établi par le Règlement (UE) 282/2014 du 11 mars 2014 pour la
période 2014-2020 31 : il entend favoriser le recours à l’innovation en
matière de santé et aux services de santé en ligne en améliorant
l’interopérabilité des registres des patients et d’autres solutions
apportées par les services de santé en ligne.
15 En dépit du caractère prioritaire affiché du domaine de la santé en
ligne au niveau de l’Union, rares pourtant sont les textes qui
comportent des dispositions relatives à ce domaine. Il convient donc
de s’intéresser à la façon dont le droit de l’Union a mis en place un
cadre de gouvernance de l’e‑santé.
B – La mise en place d’un cadre de gouvernance
partagée de l’e‑santé

16 La directive 2011/24/UE apparaît comme le texte de référence, à


l’origine notamment de la création du réseau « e‑health » 32 . Ce
réseau, constitué sur base du volontariat, relie les autorités
nationales chargées de la santé en ligne désignées par les États. Il
constitue le principal organe stratégique et de gouvernance dans le
cadre duquel s'inscrivent les travaux pour l'interopérabilité des
services de santé en ligne transfrontaliers. Il a pour mission
d'élaborer des « orientations sur la santé en ligne » ce qui recouvre
notamment « l’ensemble minimal de données à communiquer dans
un contexte transfrontalier en cas de soins imprévus et urgents 33 »,
mais aussi un cadre d'interopérabilité 34 pour les services de santé
en ligne transfrontaliers. Compte tenu des difficultés liées à la
diversité des formats et normes utilisés par les Etats membres,
l’interopérabilité s’avère en effet essentielle afin d’atteindre « un
niveau élevé de confiance et de sécurité, à renforcer la continuité
des soins et à garantir l’accès à des soins de santé de qualité élevée et
sûrs ».
17 Le réseau e‑health s’appuie sur le programme ISA 2 (1er janvier 2016
jusqu’au 31 décembre 2020) créé par la décision (UE) 2015/ 2240 du
25 novembre 2015 qui vise à promouvoir une approche globale de
l’interopérabilité pour permettre non seulement aux
administrations publiques européennes mais aussi aux citoyens de
bénéficier des services en ligne interopérables, notamment, dans le
domaine de la santé en ligne. La Commission soulignait déjà, dans
son plan d’action sur la santé en ligne de 2012, la nécessité d'établir
« un cadre pour l'interopérabilité de la santé en ligne reposant sur
les feuilles de route relatives à la santé en ligne et sur le cadre
européen général d'interopérabilité (à l’époque ISA) 35 .
18 Le réseau est aussi chargé d’élaborer des « mesures communes
d’identification et d’authentification, afin de faciliter la
transférabilité des données dans le cadre de soins de santé
transfrontaliers ». La reconnaissance mutuelle de l’identification et
de l’authentification électroniques est en effet essentielle pour que
les soins de santé transfrontaliers deviennent une réalité pour les
citoyens européens : lorsque ces derniers se déplacent pour recevoir
un traitement dans un autre Etat membre, il est important que leurs
données médicales soient accessibles dans le pays où les soins sont
dispensés.
19 D’une façon plus générale, le règlement (UE) n° 910/2014 du
Parlement européen et du Conseil (« eIDAS ») a établi un cadre
d'interopérabilité aux fins de l'interopérabilité des schémas
nationaux d'identification électronique. Ce règlement fixe les
conditions de la reconnaissance mutuelle des moyens
d’identification électronique des personnes physiques et morales qui
relèvent d’un schéma d’identification électronique (schéma d’eID) 36
notifié par un autre État membre (art.1) 37 . La reconnaissance
mutuelle des eID deviendra obligatoire à partir du 28 septembre
2018.
20 Cette question essentielle d’identification a des implications directes
pour les patients. Elle s’est posée récemment en France avec la mise
en place du dossier médical partagé 38 qui est un dossier médical
numérique destiné à favoriser la prévention, la qualité, la continuité
et la prise en charge coordonnée des soins des patients. L’article
L 1110-4-1 du code de la santé publique (ci-après CSP) 39 modifié
représente l’assise législative unique relative aux référentiels de
sécurité et d’interopérabilité : L’accès au DMP repose, depuis
l’adoption du décret 2017-412 du 27 mars 2017, d’une part, pour le
professionnel de santé, sur la carte professionnelle de santé,
(inscription au répertoire partagé des professions de santé (RPPS))
et, d’autre part, pour le patient, sur le numéro d’inscription au
répertoire national d’identification des personnes physiques (NIR) ou
numéro de sécurité social comme identifiant national de référence
dans le domaine de la santé et de la sphère médico-sociale 40 appelé
encore « INS ») 41 . Le décret (art R1111-8-7) prévoit la publication au
plus tard le 31 mars 2018 d’un référentiel d’interopérabilité et de
sécurité répondant à l’article L.1110-4-1, CSP 42 .
21 Le dossier médical partagé, important dans le cadre national,
présente bien entendu un intérêt majeur dans le cadre de
prestations de soins transfrontalières afin de garantir la continuité
des soins en toute sécurité par une meilleure connaissance de
l’anamnèse du patient. Dès le 2ème programme d’action la
Commission s’est intéressée à cette question. Des progrès
considérables ont pu être réalisés tout d’abord grâce au projet pilote
« epSOS » (european patients Smart Open Services) lancé dès 2008 et
dont le bilan a été jugé favorable, puis grâce à l’initiative « PARENT
43
» relative aux « registres de patients transfrontaliers » (2012-
2015) qui a émis des lignes directrices et des recommandations.
22 Aujourd’hui les travaux se poursuivent dans le cadre d’une action
conjointe « Joint Action to support the eHealth Network » (JAseHN) 44
qui vise, comme son intitulé l’indique, à apporter son soutien au
réseau santé en ligne. Elle est à l’origine de plusieurs « guidelines ».
Parmi celles-ci, certaines concernent l’échange de données de santé
dans le cadre de la directive 2011/24/UE précitée 45 (novembre
2016) ou encore les « dossiers patients ». Après un rapport sur la
mise en œuvre des guidelines relatives aux « dossiers patients » 46
de nouvelles guidelines ont été adoptées en 2016 47 . La Commission,
dans une communication du 19 avril 2016 48 précise qu’elle
encouragera notamment « les actions visant à promouvoir la
sécurité, la sûreté et l’interopérabilité des applications de santé
mobile et à accélérer le déploiement et l’expansion de la
télémédecine et de la télésurveillance », ceci sous-entend donc que
les dossiers patients puissent être accessibles par-delà les frontières.
23 On notera aussi que dans le cadre du plan de travail du « MIE 49 »
(mécanisme pour l’interconnexion en Europe), également connu
sous l’acronyme « CEF » (Connecting Europe Facility) qui vise à
améliorer les services numériques européens y compris l’e‑santé, un
financement important de l’Union a été alloué à la mise en œuvre de
l’échange des dossiers des patients et des prescriptions électroniques
50
. Fin 2019 la Commission évaluera la mise en œuvre du cadre
d’interopérabilité européen 51 y compris pour les aspects touchant à
la santé en ligne.
24 Au-delà de la mise en place de ce cadre de gouvernance de l’e‑santé
en droit de l’Union, c’est un véritable droit européen de l’e‑santé qui
voit progressivement le jour.

II – La construction d’un véritable droit de


l’Union Européenne dans le domaine de
l’e‑santé
25 En plus des aspects liés à l’interopérabilité qui sont, nous l’avons vu,
la condition indispensable à la transmission des données
transfrontalières, le droit européen numérique de la santé a aussi
pour objectif de répondre aux défis que doivent relever les systèmes
de santé : évolution de la démographie médicale, réduction des
inégalités en matière d’accès à des soins de santé de qualité, hausse
de la prévalence des maladies chroniques ou encore vieillissement de
la population et prise en charge de la dépendance.
26 Il convient donc, faute d’un corpus juridique cohérent dans ce
domaine, de se pencher sur les textes susceptibles de régir l’e‑santé
en droit de l’Union, selon qu’il s’agit d’« e‑prestations de services »
ou d’objets connectés, ces textes s’appliquant d’ailleurs largement
aux deux aspects de l’e‑santé, sous réserve de certaines
particularités.

A – Les prestations d’e‑santé

27 Les prestations d’e santé sont avant tout des services qui présentent
la particularité d’être fournis à distance (par le recours aux TIC). Le
terme télésanté 52 est parfois utilisé. Si le patient reste dans son Etat
d’origine, donc n’opère pas un déplacement, mais que le service lui
est fourni à distance (par le moyen d’internet) les art. 56 et 57 du
TFUE relatifs à la libre prestation de service ont vocation à
s’appliquer. Toute restriction à la libre circulation de ces services de
soins est interdite par le traité, selon une jurisprudence désormais
bien établie mais au-delà des règles de droit primaire, des actes de
droit dérivé ont aussi vocation à s’appliquer. Les deux textes de
référence sont la directive 2011/24/UE et la directive 2000/31
TCE (1), le rattachement à ces textes pouvant être dans certains cas
problématique (2). Par ailleurs la transmission de données de santé
implique aussi une protection particulière du patient (3).

1) Directive 2011/24/UE et/ou directive 2000/31/CE

28 La directive 2011/24/UE relative à l’application des droits des


patients en matière de soins de santé transfrontaliers a vocation à
s’appliquer aux soins de santé « quelle que soit la façon dont ils sont
organisés, délivrés et financés » 53 . Tous [les produits ou] services de
e‑santé relèvent donc de cette directive. La question se pose de
savoir si les prestations d’e santé ne peuvent pas, également, relever
de la directive 2000/31/CE sur l’e-commerce. Les soins de santé étant
considérés par la Cour de justice comme des services soumis aux
principes de la liberté de circulation, le recours aux TIC dans la
dispensation de ces soins justifie l’interrogation. Selon la définition
donnée dans la directive 2015/1535/UE du 9 septembre 2015, dite
aussi directive transparence 54 (qui consolide de nombreuses
directives antérieures) est qualifié de service de la société de
l’information « tout service presté normalement contre
rémunération, à distance, par voie électronique 55 et à la demande
individuelle d'un destinataire de services ». Le terme « à distance »,
se comprenant comme « un service fourni sans que les parties soient
simultanément présentes ».
29 La plupart des prestations d’e‑santé sont donc qualifiables de
« services de la société de l’information » sous réserve de deux
exclusions prévues en annexe 1 de cette directive et qui concernent
précisément la santé : il s’agit de « l’examen ou traitement dans un
cabinet de médecin au moyen d'équipements électroniques, mais en
présence physique du patient » 56 ou encore de la consultation d’un
médecin par téléphone 57 ou télécopieur. Sous cette réserve, les
prestations d’e‑santé relèvent donc de la directive 2000/31/CE. Elle
met en place un cadre général pour assurer la circulation de ces
services entre les Etats membres et établit des règles harmonisées
concernant divers aspects liés au commerce électronique, une des
principales règles étant celle selon laquelle les opérateurs de ces
services ne font l’objet d’une réglementation que dans le pays de
l’Union où ils ont leur siège statutaire – et non dans le pays où sont
situés les serveurs, courriers électroniques et boîtes postales qu’ils
utilisent (principe du pays d’origine). En d’autres termes, le service
proposé par le professionnel doit être conforme aux règles en
vigueur dans l’Etat membre d’origine, du point de vue de l’accès et
de l’exercice de ce service. Cette directive s’applique par ailleurs
« sans préjudice du niveau de protection existant notamment en
matière de protection de la santé et des intérêts des consommateurs
établi par les instruments communautaires existants » (considérant
11). Ainsi, pour se limiter à un exemple dans le domaine de la
protection du consommateur, la directive 2011/83/CE 58 relative
aux droits des consommateurs a vocation à s’appliquer dans la
mesure où il s’agit d’un contrat à distance entre professionnels et
consommateurs relatif à « la vente […] de services en ligne ». Cette
directive impose un certain nombre d’obligations d’informations aux
professionnels qui s’ajoutent à celles qui pèsent sur les
professionnels de santé, prestataires de services au titre de la
directive 2011/24/UE 59 . Cette directive 2011/83/CE s’entend en
effet sans préjudice des dispositions de l’Union relatives à des
secteurs particuliers tels les médicaments et dispositifs médicaux
(voir ci-dessous) ou encore les droits des patients.

2) Les rattachements problématiques

30 Deux cas retiennent plus particulièrement l’attention : la


télémédecine et les prestations incluant une consultation médicale.

a) La télémédecine

31 La directive 2011/24/UE fait à deux reprises expressément référence


à la télémédecine sans en donner cependant une définition 60 . Il
faut, pour la trouver, se référer à une communication de la
Commission datant de 2008. Selon celle-ci il s’agit de « la fourniture
à distance de services de soins de santé par l'intermédiaire des
technologies d'information et de communication dans des situations
où le professionnel de la santé et le patient (ou deux professionnels
de la santé) ne se trouvent pas physiquement au même endroit. Elle
nécessite la transmission en toute sécurité de données et
d'informations médicales par le texte, le son, l'image ou d'autres
moyens rendus nécessaires pour assurer la prévention et le diagnostic
ainsi que le traitement et le suivi des patients.
32 Selon l’art. 3 d) de la directive « Dans le cas de la télémédecine, les
soins de santé sont considérés comme dispensés dans l’État membre où
le prestataire de soins de santé est établi » (ce qui permet de déterminer
la législation applicable). Et selon l’art. 7 de la même directive l’Etat
d’affiliation peut imposer les mêmes critères (formalité
administratives, critères d’admissibilité) que ceux qui
s’appliqueraient si les soins étaient dispensés sur le territoire. Cette
disposition s’applique aussi dans le cas de soins fournis en recourant
à la télémédecine, ce qui peut constituer un frein au développement
de celle-ci dans un contexte transfrontalier si les Etats ne prennent
pas en charge les actes prestés en recourant à cette pratique
médicale. En d’autres termes, si l’Etat d’affiliation ne prend pas en
charge, dans le cadre du panier de soins remboursables en droit
national, certains actes de télémédecine, le patient ne sera pas
remboursé pour de tels actes lorsqu’il s’agit de télémédecine
transfrontalière.
33 On relèvera aussi que l’Etat dans lequel le prestataire est établi doit
garantir que les soins sont prodigués conformément aux conditions
fixées par la directive (art. (1), ce qui implique notamment le respect
du principe de non- discrimination vis-à-vis des patients d’autres
Etats membres (accès aux soins, barèmes d’honoraires…) 61 .
34 Le Conseil de l’ordre des médecins (CNOM) en France s’est ému du
développement d’offres marchandes « ubérisées », via des
plateformes souvent payantes et onéreuses, en dehors du parcours
de soins, et échappant à la prise en charge par la sécurité sociale.
Une mission pilotée par J. Lucas a été chargée d’examiner la
conformité de ces prestations médicales « ubérisées » aux principes
de l’éthique médicale et de la déontologie 62 et aux textes législatifs
et règlementaires en matière de responsabilité professionnelle. Elle a
présenté un certain nombre propositions 63 afin d’éviter un risque
de dérive d’une pratique médicale vers du « commerce électronique
non régulé ». Ainsi, pour donner un rapide aperçu des problèmes
posés, selon la règlementation française une prestation de
téléconseil n’est pas considérée comme un acte de télémédecine,
contrairement à la téléconsultation qui est, quant à elle, soumise à
une règlementation très stricte. La solution proposée par la mission
consiste à faire du téléconseil « personnalisé » une forme particulière
de téléconsultation lorsque cette activité est intégrée dans le
parcours de soins. De même, quand des sociétés interviennent en
tant que conciergeries numériques entre la demande d’une personne
et le médecin qui y répond, il est proposé de soumettre à l’ordre des
médecins les contrats passés entre le médecin et la société
intermédiaire (pour veiller au respect des règles déontologiques 64 .
Parmi les autres propositions on évoquera, ce qui semble faire
l’unanimité, une simplification de mise en œuvre de la télémédecine,
beaucoup trop rigide et peu adaptée à la pratique ambulatoire 65 .
35 On comprend, à travers cet exemple du droit français, l’impact
considérable que peuvent avoir les règlementations nationales de la
télémédecine (pour autant que les Etats soient dotés d’une telle
règlementation 66 , ce qui n’est pas encore le cas dans tous les Etats
membres) sur le développement de la médecine transfrontalière.
Relayant l’inquiétude du CNOM une déclaration du conseil européen
des ordres des médecins sur la télémédecine (CEOM) du 13 juin 2014
précise, que la télémédecine est un « acte médical » qui impose un
encadrement juridique propre à garantir la compétence du médecin
et le respect des droits du patient. Le CEOM recommande de définir
le champ de responsabilité individuelle de chaque intervenant et
celui qui serait partagé par l’ensemble des professionnels participant
à l’acte de télémédecine. Il invite aussi à la mise en place d’une
législation nationale spécifique dans chaque Etat membre sur la
télémédecine, (ce qui est déjà le cas en France) et propose que les
« Etats membres se coordonnent pour encadrer les actes de
télémédecine transfrontaliers en favorisant l’interopérabilité des
actes de télémédecine entre les Etats membres dans le respect du
principe de subsidiarité des systèmes de soins de santé nationaux ».
On notera que la Commission européenne pour sa part, dans un
document de travail de 2012, distinguait déjà la télémédecine « en
tant que soins de santé » (« télémédecine clinique ») et la
télémédecine « en tant que service de la société de l’information » 67
.

b) Les prestations d’e-santé nécessitant un examen médical : le critère


de la dissociation

36 La plupart des prestations de santé nécessitent à un moment ou à


autre une phase de consultation médicale avant ou après la
prestation. Afin de déterminer le champ d’application de la directive
sur l’e-commerce la Cour prend en compte le caractère dissociable
ou non de l’examen médical vis-à-vis de l’activité de service. Ainsi
dans le cadre de la vente de lentilles de contact sur internet 68 la
Cour a estimé que l’examen médical était dissociable de l’acte de
vente celui-ci pouvant être réalisé même à distance, sur la base
d’une prescription effectuée par le médecin ophtalmologiste qui a,
au préalable, examiné le client » ce qui justifie l’application de cette
directive. En revanche les règles relatives à la livraison de ces
lentilles de contact ne relèvent pas du champ d’application de la
directive 2000/31 mais des articles du traité (art. 34 et s TFUE).

3) Le règlement sur la protection des données

37 Le règlement (UE) 2016/679 du 27 avril 2016 69 sur la protection des


données personnelles (dit « RGPD »), qui sera applicable le 25 mai
2018, a un impact considérable dans le domaine de l’e-santé puisque
les données de santé ont, par définition, vocation à être échangées
par le biais des TIC. Le règlement retient une définition très large de
cette notion qui couvre toutes informations relatives à
l’identification du patient dans le système de soin ou le dispositif
utilisé pour collecter et traiter des données de santé, ou encore
toutes informations obtenues lors d’un contrôle ou d’un examen
médical (y compris des échantillons biologiques et des données
génomiques). Selon l’art. 4 pt. 15 sont des données concernant la
santé « les données à caractère personnel relatives à la santé
physique ou mentale d'une personne physique, y compris la
prestation de services de soins de santé, qui révèlent des
informations sur l'état de santé de cette personne ». Le considérant
35 vise expressément « les informations sur la personne physique
collectées lors de l'inscription de cette personne physique en vue de
bénéficier de services de soins de santé ou lors de la prestation de
ces services au sens de la directive 2011/24/UE du Parlement
européen et du Conseil ». Relève aussi de cette notion « une
information provenant d’un dispositif médical et qui fournit des
informations sur l’état physiologique ou biomédical d’une
personne » 70 . Le principe posé par le règlement est celui de
l’interdiction du traitement automatisé des données de santé sauf
dérogations définies de façon exhaustive (art. 9-2 du règlement). Des
dispositions garantissent que le consentement est donné par un acte
positif clair par lequel la personne manifeste de façon libre,
spécifique, éclairée et univoque son accord (considérant 32 et art. 4-
10) et s’agissant des données de santé, qui sont des données
sensibles, le consentement doit être explicite. Le respect de cette
condition peut cependant poser problème notamment dans le cadre
d’un consentement en ligne 71 .
38 En France, le décret du 27 mars 2017 prévoit en son art. R. 1111-8-4
que « L'utilisation de données de santé et de données
administratives référencées avec l'identifiant national de santé n'est
autorisée dans le cadre d'un traitement de données à caractère
personnel que si « le traitement a une finalité exclusivement
sanitaire ou médico-sociale, y compris les fonctions nécessaires pour
assurer le suivi social ou la gestion administrative des personnes
prises en charge et si le traitement est mis en œuvre dans le respect
des dispositions de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés ».

B – Les objets de santé connectés

39 Les textes précédemment évoqués dans le cadre des prestations de


service qu’il s’agisse de la directive 2011/24/UE, de la directive e-
commerce, ou du règlement sur la protection des données ont aussi
vocation à s’appliquer s’agissant des objets connectés de santé et des
informations connectées par ces derniers sous réserve de certaines
particularités liées à leur nature juridique. Au regard du droit
primaire ce sont les art. 34 et suivants du TFUE sur la libre
circulation des marchandises qui s’appliqueront. Dans le cas d’objets
de santé comportant des services il faudra appliquer la règle
classique « l’accessoire suit le principal » pour déterminer lesquelles
des règles relatives à la libre prestation de service ou la libre
circulation des marchandises l’emporteront.
40 Plus particulièrement, dans le cas de la « m‑santé », si une partie de
celle-ci entre sans conteste dans le cadre de la médecine ‒ on pense
notamment aux applications de santé qui permettent aux
diabétiques d’entrer leurs valeurs de glycémie afin de tenir un
journal de leur maladie par transmission, via un smartphone, sur un
serveur sécurisé auquel les médecins peuvent accéder ‒ , d’autres
applications de « m‑santé » contribuent simplement au bien -être de
la personne et ne nécessitent pas des garanties aussi importantes
que les premières et relèvent des règles sur la libre circulation des
marchandises.
41 Certains objets de santé connectés sont par ailleurs à rattacher à la
règlementation très contraignante relative aux médicaments
(directive 2001/83/CE et règlement 726/2004) : dans ce cas une AMM
devra être obtenue avant toute mise sur le marché tandis que des
mécanismes de pharmacovigilance devront être mis en place. Certes
l’hypothèse peut sembler théorique puisqu’à ce jour, à notre
connaissance, il n’existe pas encore de médicaments connectés mis
sur le marché dans l’Union mais des sociétés spécialisées dans la
recherche clinique et dans les interventions en santé publique et
numérique cherchent à développer ce type de médicament. Aux
Etats-Unis la Food and Drug Administration (FDA) a dans un premier
temps refusé d’accorder une autorisation de commercialisation à un
médicament antidépresseur, « Abilify », intégrant un capteur, dont
l’objectif était de permettre aux professionnels de santé de contrôler
en temps réel, les prises médicamenteuses et les interruptions
éventuelles de traitement chez les personnes souffrant de maladies
mentales, avant de l’accorder suite à la fourniture des informations
complémentaires demandées. En pratique une fois ingéré, le
médicament connecté transmet les informations physiologiques à un
patch connecté porté par le patient, qui les retransmet ensuite sur
smartphone (ou tablette) au patient ainsi qu’à son médecin.
42 D’autres objets de santé connectés relèvent de la catégorie des
dispositifs médicaux (DM) : il en est ainsi, pour se limiter à quelques
exemples, de « Connect’Inh » dans le domaine des maladies
respiratoires : ce DM a pour ambition de mesurer la prise
médicamenteuse des patients sous traitements inhalés et permet une
évaluation de la sévérité de l’atteinte et un contrôle des patients
asthmatiques, grâce à un suivi personnalisé se basant sur
l’horodatage des prises et la contextualisation de celles-ci (le facteur
environnemental peut être mis en évidence) ou encore de Diabeo, DM
de classe IIb, soumis à prescription médicale, fruit de l’alliance d’une
start up (Voluntis) et de la société pharmaceutique Sanofi-Aventis
qui propose au patient un carnet de suivi connecté de sa glycémie.
L’application, couplée à un patch relié à un lecteur de glycémie,
permet au patient d’ajuster lui-même la dose d’insuline nécessaire.
L’équipe soignante, également destinataire des rapports de glycémie,
est alertée lorsque certains seuils sont franchis et peut programmer
un rendez-vous avec le patient lorsqu’un rééquilibrage du
traitement s’impose. Ce DM éprouvé qui a obtenu un accord de la
Haute autorité de santé (HAS) pour son remboursement en 2017
(aujourd’hui toujours en suspens) risque d’être concurrencé par le
développement d’autres applications ne répondant pas aux mêmes
exigences de sécurité. Seuls en effet les dispositifs médicaux de santé
connectés sont soumis à une certification par le biais d’un marquage
CE, des règles plus ou moins contraignantes s’appliquant selon la
classe du DM 72 .
43 La question de la distinction entre objet de santé connecté et DM
connecté n’est pas anodine puisque de la qualification retenue
dépendra des garanties plus ou moins importantes au profit du
consommateur-patient. Les dispositifs médicaux, contrairement aux
simples objets connectés, sont destinés à être utilisés dans un but
médical. Une difficulté particulière découle de la finalité médicale et
du contenu à donner à cette dernière. Se limite-t-elle au diagnostic,
la prévention ou le traitement d’une maladie ou intègre-t-elle aussi
une dimension qui relève davantage du bien-être qui peut participer,
dans une certaine mesure, à la prévention des maladies (par exemple
en encourageant l’activité physique) ? On imagine aisément que les
développeurs auront tout intérêt à minimiser l’aspect bénéfique
pour la santé, notamment dans le cadre d’application mobiles de
santé utilisées pour mesurer des paramètres physiologiques, en
mettant au contraire en avant l’aspect « loisir » de l’application, de
façon à éviter les contraintes liées à la qualification de produits de
santé. La Cour de justice a pour sa part estimé dans l’affaire Brain
Prodducts GMBH du 15 novembre 2012 73 qu’« une procédure de
certification n’est pas justifiée pour des articles de sport qui
permettent de mesurer, en dehors de toute utilisation médicale, le
fonctionnement de certains organes du corps humain »(pt 31) et que
« la notion de «dispositif médical » ne couvre un objet conçu par son
fabricant pour être utilisé chez l’homme à des fins d’étude d’un
processus physiologique que s’il est destiné à un but médical » 74 .
44 Le règlement (UE) (2017) 745 sur les DM apporte une précision
intéressante à propos des logiciels utilisés dans les applications :
« les logiciels spécifiquement destinés par le fabricant à une ou
plusieurs des fins médicales visées dans la définition de la notion de
dispositif médical, constituent, en soi, des dispositifs médicaux,
tandis que les logiciels destinés à des usages généraux, même
lorsqu'ils sont utilisés dans un environnement de soins, ou les
logiciels destinés à des usages ayant trait au mode de vie ou au bien-
être, ne constituent pas des dispositifs médicaux ». Cette définition
confirme l’approche qui avait été retenue par la Cour dans l’affaire
Brain Prodducts GMBH précitée. Dans un arrêt du 7 décembre 2017 75
la Cour devait préciser en outre d’une part qu’il n’est pas nécessaire
que le logiciel agisse directement dans ou sur le corps humain et
d’autre part qu’à partir du moment où une de ses fonctionnalités
permet d’exploiter des données propres à un patient aux fins
notamment de détecter des contre-indications, les inerteractions
médicamenteuses et les posologies excessives il s’agit d’un dispositif
médical.
45 On soulignera aussi ici l’importance de la garantie apportée par la
normalisation 76 et l’intérêt qu’ont les fabricants à respecter les
normes européennes définies dans le règlement 1025/2012 du 25
octobre 2012 relatif à la normalisation européenne puisque le
respect de ces normes (pour autant bien sûr qu’elles existent)
constitue un moyen pour les fabricants de prouver qu'ils respectent
les exigences générales en matière de sécurité et de performances et
les autres exigences légales, notamment celles en matière de gestion
de la qualité et des risques, énoncées dans ledit règlement.
46 Enfin, à côté des applications et objets connectés qui affichent une
finalité de dispositifs médicaux et qui sont dès lors soumis à la
certification prévue par le règlement DM, (le cas du médicament
connecté n’étant pas encore effectif) le niveau de sécurité de ces
produits de « m‑santé », qui ne rentrent pas sous la catégorie de DM
peut varier d’un Etat membre à défaut de normes européennes
spécifiques s’y appliquant.
47 Force est de constater que les procédures de certification sont
lourdes, longues, complexes à mettre en place et peu adaptées dans
un contexte d’innovation. Dans l’attente de normes communes
concernant les applis de santé (qui ne sont pas soumises aux
règlements DM), le recours à des labels nationaux est possible. De
même une déclaration de conformité à un certain nombre de
standards (confidentialité et protection des données, sécurité
informatique, sûreté sanitaire) offrirait des garanties minimales, ou
encore un processus de vigilance « ad hoc » (alertant sur les
dysfonctionnements de matériels ou de logiciels). La publication en
France par la Haute Autorité de santé en octobre 2016 d’un
référentiel des « 101 règles de bonne pratique 77 » qui constituent
les principaux critères à respecter pour les applications et objets
connectés en santé apparaît comme une première réponse, mais
nationale, pour favoriser le développement d’objets connectés sûrs,
fiables et de qualité (sans préjudice de l’application de la
règlementation).
48 Enfin, n’oublions pas que le principe de reconnaissance mutuelle est
amené à jouer aussi dans le cas des objets de santé fussent-ils
connectés : chaque Etat membre doit donc reconnaître les produits
de « e‑santé » commercialisés dans d’autres Etats même s’ils
répondent à des règles techniques différentes. Un Etat membre ne
pourra exiger le respect de ses propres règles techniques à des
produits librement commercialisés dans d’autres Etats membres et
qui présenteraient, selon lui, moins de garanties en termes de
protection de la santé et de la sécurité, sauf bien sûr à prouver
l’existence d’un danger réel pour la santé publique. Si un Etat refuse
d’appliquer le principe de reconnaissance mutuelle il devra
respecter la procédure prévue par le règlement 764/2008 du 9 juillet
2008 qui établit les procédures relatives à l’application de certaines
règles techniques nationales à des produits commercialisés
légalement dans d’autres Etats membres. Ce règlement prévoit aussi
des mécanismes concernant, de façon générale, la sécurité des
produits et la surveillance du marché.
*
**

49 On le voit, le droit européen numérique de la santé devrait s’avérer


prometteur pour les patients qui pourront d’ici peu bénéficier des
avantages liés aux outils numériques par-delà les frontières. Les
nouvelles technologies doivent être utilisées de façon pragmatique
et responsable comme un outil au service de la relation patient-
médecin en ayant conscience des dérives possibles. Ainsi une
vigilance reste de mise, comme nous l’avons vu, en ce qui concerne
le développement de certaines prestations électroniques moyennant
rétribution via des plateformes du secteur marchand qui se
développent en dehors du parcours de soins et qui peuvent
potentiellement présenter un risque pour le patient. Les données
recueillies par le biais des applis mobiles de santé posent aussi la
question de l’utilisation des données collectées même si elles sont
anonymées. Aujourd’hui les plates-formes plus que les Etats
déterminent les règles du jeu du partage de la donnée 78 . La
réaffirmation et le renforcement des principes de protection des
données personnelles par le Règlement européen « RGPD » s’avère
donc essentiels. L’extension de la notion de donnée de santé de
même que les nouvelles obligations imposées aux plates-formes
hébergeant des données de santé afin de mieux protéger les
utilisateurs d’un usage non consenti ou abusif de leurs données
représentent un premier pas important. Les gardes-fous tels ; le
droit à l’oubli (art. 17) concernant les données personnelles (sous
réserve d’une durée minimale d’archivage des dossiers médicaux) ou
la limitation du profilage par algorithmes, sauf consentement de la
personne (art. 21) sont aussi bienvenus. Quant au principe dit du
« privacy by design » (sorte de code de bonne conduite sur la vie
privée) qui relève d’une régulation spontanée, il devrait permettre
aux développeurs d’applications de e‑santé de rassurer l’usager par
un principe de « limitation des données », la collecte se limitant aux
besoins du service : ainsi les données fournies par une appli de santé
mesurant la glycémie ne pourraient être revendues, par exemple, à
des groupes pharmaceutiques… l’avenir nous dira le respect concret
de cette disposition.
50 L’émergence du numérique dans le domaine de la santé est un
véritable défi face auquel l’Union apporte peu à peu des réponses,
compte tenu des compétences qui sont les siennes, au profit du
patient européen, en espérant que le législateur européen ne se
laisse pas distancer par les acteurs dominants du secteur, les plates-
formes privées de la e‑santé 79 , qui établissent unilatéralement et
insidieusement les nouvelles normes issues des nouvelles
technologies 80 . Le rôle délicat à jouer par l’Union européenne
consiste à encourager l’innovation et le recours au développement
des outils d’e‑santé tout en protégeant les citoyens des dérives que
ceux-ci peuvent potentiellement engendrer.

NOTES
1. Voir infra ce qui relève de la télémédecine clinique ou seule une
coordination des législations nationale semble envisageable au
niveau de l’Union européenne.
2. Voir N. De Grove-Valdeyron, Droit européen de la santé, LGDJ 2013. E.
Brosset, « De l’intérêt de considérer le droit de l’Union européenne de
la santé : droit « miroir » ou droit « laboratoire », LPA décembre
2015, n° 239, p. 8.
3. Pour autant qu’il n’y ait pas eu d’harmonisation européenne
complète dans le domaine concerné, que la mesure n’ait pas un
caractère discriminatoire et qu’elle soit nécessaire, proportionnée,
et désormais, cohérente par rapport à l’objectif visé, la Cour de
justice de l’Union veillant scrupuleusement au respect de ces
conditions.
4. E. Brosset, « La justification aux entraves aux libertés pour des
raisons de protection de la santé », in Droit européen et protection de la
santé, Bilan et perspectives, Bruylant, 2015, p. 101.
5. CJCE, 19 mai 2009, Apotherkerkammer des Saarlandes, aff. C-171/07 et
C-172/07, ECLI :EU :C :2009 :316 point 28 et CJCE, 19 mai 2009,
Commission c/ Italie, aff. C- 531/06, ECLI :EU :C :2009 :315 point 52.
6. CJCE, 12 juill. 2001, Smits et Peerbooms, aff. C-157/99,
ECLI :EU :C :2001 :404 CJCE, 13 mai 2003, Müller Fauré et Van Riet, aff.
C-385/99, ECLI:EU:C:2003:270.
7. CJCE, 10 mars 2009, Hartlauer, aff. C-169/07, ECLI: EU: C.2009:141.
8. N. De Grove-Valdeyron, Les enjeux communs de sécurité en matière
de santé publique, quelle influence sur le droit pharmaceutique
européen ?, Dossier spécial de la Revue des affaires européennes (dir.
E. Brosset).
9. L’article 35 de la charte de droits fondamentaux va dans le même
sens en reconnaissant le droit de toute personne d’accéder à la
prévention en matière de santé et de bénéficier de soins médicaux
« dans les conditions établies par les législations et pratiques
nationales ».
10. L'action de l'Union est menée dans le respect des responsabilités
des États membres en ce qui concerne la définition de leur politique
de santé, ainsi que l'organisation et la fourniture de services de santé
et de soins médicaux.
11. M. Blanquet et N. De grove-Valdeyron, Avant- propos, L’Union
européenne à l’heure des droits des patients, RAE 2011/3 et
M. Blanquet, Les soins de santé transfrontaliers en Europe :de la
difficulté de codifier une jurisprudence libérale, Etudes de droit
communautaire de la santé et du médicament, IRDEIC V/2009, Toulouse,
PUSS, 2009.
12. CJCE, 28 avril 1998, Kohll, aff. C-158/96, ECLI :EU :C :1998 :171 §20.
13. La directive 2011/24/UE du 9 mars 2011 relative à l’application
des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers
(JO L 88 du 4 avril 2011) est venue mettre un terme à cette
jurisprudence jugée trop libérale de la Cour en clarifiant les règles
du remboursement des soins.
14. Par exemple, dans le domaine des médicaments, la directive
65/65 du 26 janvier 1965, JO 22 du 9 février 1965.
15. Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil
du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, Règlement (UE)
2017/746 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 relatif
aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro, JO L 117 du 5 mai
2017.
16. E Brosset, Le droit à l’épreuve de la e-santé : quelle « connexion »
du droit de l’Union européenne, RDSS 2016, p. 689.
17. Stratégie de l’Union pour le marché unique numérique COM
(2015)192 et pour la stratégie à mi-parcours : COM (2017) 228 final,
10 mai 2017.
18. COM (2017) 495 final, 13 septembre 2017, Proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil concernant un cadre
applicable à la libre circulation des données à caractère non personnel
dans l’Union européenne et COM (2018) 232, 25 avril 2018 « Vers un
espace commun des données ».
19. COM (2016)176 notamment point 3.1.2 de la communication.
20. Il faudra à cet égard distinguer les données anonymisées ou
pseudonymisées des données personnelles identifiant la personne
pour lesquelles des mesures de protection existent.
21. Directive 2011/24/UE du 9 mars 2011, précitée considérant n° 56.
22.J. Damon, La révolution numérique : sécurité sociale 2.0 et
médecine « 5 P », RDSS 2017, p. 925.
23. Voir Bruno Scala, « L’e-santé à l’ère du numérique » Dossier Grand
angle, Sciences et santé n° 29-janvier-février 2016, p. 22 et s.
24. Voir aussi le lien
http://www.irdes.fr/documentation/syntheses/e-sante.pdf, p. 8 à
37. P. Simon, Télémédecine : enjeux et pratiques– Editions Le Coudrier,
2015.
25. COM (2004) 356 du 30 avril 2004.
26. La télémédecine recouvre en droit français la téléconsultation, la
télé-expertise, la téléassistance la télésurveillance médicale.
27. Cette catégorie a explosé avec le développement des
smartphones et des applis de santé qu’ils proposent depuis ces cinq
dernières années.
28. Ibid .
29. COM (2012)736 final du 6 décembre 2012.
30. On retrouve ici des éléments présents dans le troisième
programme d’action en matière de santé qui vise à utiliser la santé
comme un facteur d’investissement pour l’avenir, la santé devant
être au service de la croissance.
31. Dès le deuxième programme d’action pour la santé publique
(2008-2013) la Commission insistait sur la nécessité de renforcer
l’espace européen de santé en ligne (considérant 21) et de tenir
compte de la télémédecine, en considérant que « les applications
dans ce domaine peuvent favoriser la prestation de soins de santé
transfrontaliers ».
32. Art. 14 de la directive 2011/24/UE, précitée.
33. Décision (UE) 2015/ 2240 du 25 novembre 2015 établissant le
programme ISA 2, JO, 4 décembre 2015.
34. Recommandation 2008/594/CE du 2 juillet 2008 de la Commission
sur l’interopérabilité transfrontalière des systèmes de dossiers
informatisés de santé, JOUE L 190, p. 37.
35. Décision 922/2009/CE du 16 septembre 2009 et
https://ec.europa.eu/isa2/home_en.voir ci-dessous
36. Un schéma d’eID doit mentionner l’un des trois niveaux de
garantie (faible, substantiel, élevé). La reconnaissance mutuelle est
uniquement obligatoire lorsque les organismes du secteur public
concernés ont recours aux niveaux « substantiel » ou « élevé » pour
accéder à ce service en ligne.
37. L’art 6 définit les conditions de la reconnaissance mutuelle. De
façon succincte l’eID délivrée par un Etat membre est reconnue dans
un autre Etat membre pour autant que l’eID réponde aux exigences
du règlement, qu’elle ait été notifiée à la Commission et que la
Commission l’ait publiée sur une liste.
38. A ce sujet voir notamment, Souad Odeh, « Du dossier médical
personnel au dossier partagé : vers un dispositif de médiation
documentaire », Les cahiers du numérique 2016/1(Vol 12), p. 31-50. On
rappellera rapidement que le DMP, a été introduit en France dans le
code de la SS par la loi 2004-810 du 13 août 2004 relative à
l’assurance maladie mais son déploiement a été difficile. La loi de
modernisation de notre système de santé (art. 25) a réécrit les
dispositions relatives au DMP. Le contenu du DMP, les conditions de
création, de clôture et de destruction de ce DMP, les droits du
titulaire sur les données contenues dans son DMP et les modalités
d’accès au DMP ont été fixées par le décret n° 2016-914 du 4 juillet
2016 (art. R 1111-32 à 34).
39. Modifié par l’ordonnance n° 2017-31 du 12 janvier 2017-art. 5.
40. La notion de professionnel de santé est étendue puisqu’elle vise
tous les professionnels intervenant dans le système de santé ce qui
inclut le champ sanitaire et social (établissements et services sociaux
et médicaux-sociaux). L’accès au NIR se fera par la carte vitale de
l’assuré ou par un téléservice déployé par la CNAMTS lorsque la
carte vitale n’est pas accessible ou ne comporte pas d’information.
L’avis de la CNIL était réservé en raison du risque d’interconnexions
et de détournement de finalités.
41. Mentionné par l’art. L1111-8-1. Accessibilité par voie
électronique ou dans les conditions prévues à l’art. R.1111-35.
42. Il faut souligner ici le rôle essentiel joué en France par l’Agence
des systèmes d’info partagée de santé (ASIP santé) qui a lancé dès
2015 le « CI SIS » (cadre d’interopérabilité des systèmes
d’informations de santé) qui constitue l’ensemble des spécifications
d’interopérabilité permettant l’échange électronique de données de
santé et qui est chargé de l’adoption de ce référentiel.
43. « Cross-border Patient registries initiative » et les
recommandations en suivant le lien
https://ec.europa.eu/health//sites/health/files/ehealth/docs/patie
nt_registries_guidelines en.pdf
44. Voir http://jasehn.eu/
45. http://jasehn.eu/wordpress/wp-
content/uploads/2016/12/FINAL_D5.3.0_cb_guidelines_rel2_gen_ad
opted.pdf
46.http://jasehn.eu/wordpress/wp-
content/uploads/2016/04/JAseHN_D6.1.1_Report_on_the_implemen
tation_of_PS_Guideline_v2.0_clear.pdf, il s’agit surtout d’une
réponse à un questionnaire. Voir conclusion p. 33.
47. http://jasehn.eu/wordpress/wp-
content/uploads/2016/12/FINAL_D5.3.1_cb_guidelines_rel2_PS_ado
pted.pdf
48. COM (2016) 176 du 19 avril 2016, Priorités pour la normalisation
en matière de TIC dans le marché unique numérique.
49. Règlement (UE) 1316/2013 du Parlement européen et du Conseil
du 11 décembre 2013 établissant le mécanisme pour l’interconnexion
en Europe, JO L 348 du 20 décembre 2013.
50. L’appel à projet « 2015 CEF Telecom Call-ehealth » est doté de 7,5
millions d’euros.
51. COM (2017) 134 du 23 mars 2017, Cadre d’interopérabilité
européen-Stratégie de mise en œuvre.
52. N. Ferraud-Ciandet, L’Union européenne et la télésanté, RTDE 2010
p. 537.
53. Pour une étude de cette directive voir notamment, L. *Dubouis, La
directive n° 2011/24/UE relative à l’application des droits des
patients en matière de soins de santé transfrontaliers, RDSS, 2011,
p. 1059.
54. La qualification de « service de société de l’information »
implique, aux termes de cette directive, une obligation de
notification à la Commission européenne, à charge de l’Etat, de tout
projet de règle technique qu’il entend adopter dans ce domaine des
services de la société de l’information.
55. « Un service envoyé à l'origine et reçu à destination au moyen
d'équipements électroniques de traitement (y compris la
compression numérique) et de stockage de données, et qui est
entièrement transmis, acheminé et reçu par fils, par radio, par
moyens optiques ou par d'autres moyens électromagnétiques ».
56. Annexe 1-1 a) (service considéré comme non fourni à distance).
57. Annexe 1-2 d) (service considéré comme non fourni par voie
électronique).
58. Transposée en droit français dans la loi 2014-344 du 17 mars
2014.
59. N. De Grove Valdeyron, La directive sur les droits des patients en
matière de soins de santé transfrontaliers : véritable statut juridique
européen du patient ou simple clarification d’un régime de
mobilité ?, RTDE avril-juin 2011, p. 299.
60. La télémédecine est régie en droit français par les dispositions du
CSP, art L 6316-1. Selon le droit français il s’agit d’une forme de
pratique médicale à distance utilisant les TIC.
61. Voir art. 4 (3) et 4 (4).
62. Art. R 4127-19 et 20 du CSP.
63. Il s’agirait d’apporter d’une part, des modifications aux art.
R 6316-6 (télémédecine) et R 4127-53 (déontologie médical) du CSP
pour favoriser le développement de la télémédecine aujourd’hui
figée par une règlementation trop stricte et paralysante et d’autre
part de mettre en place ainsi une régulation des offres du secteur
marchand.
64. Voir le rapport du CNOM p. 15.
65. Il s’agirait de faire sortir la télémédecine du régime de
contractualisation avec l’ARS quand elle est pratiquée par des
médecins de premier et de second recours dans le cadre du parcours
de soins.
66. Dans certains États membres, pour qu'un acte médical soit
juridiquement reconnu comme tel, il faut que le patient et le
professionnel de la santé soient tous deux physiquement présents au
même endroit, or il est évident que cet impératif constitue un
obstacle à l'utilisation de la télémédecine, doc interne de la
Commission SWD (2012) 414.
67. DOC SWD (2012) 414 final-document de travail (en anglais
uniquement) accompagnant le plan d’action pour la santé en ligne.
68. CJUE, 2 décembre 2010, Ker Optika, aff. C- 108/09
ECLI :EU :C :2010 :725 nt pt. 36 à 38.
69. Voir J. Bossi Malafosse, La donnée de santé dans les systèmes
d’information : du soin à la santé publique, Communication Commerce
électronique n° 10, octobre 2016, étude 18. Et E. Brosset le droit à
l’épreuve de la e-santé : quelle « connexion » du droit de l’Union
européenne, RDSS 2016 p. 689.
70. Considérant 35.
71.P. Desmarais, L’impact de la santé numérique sur le consentement
du patient in (dir.) A. Laude, Consentement et santé, Dalloz, 2014.
72. Ces dispositifs sont soumis, rappelons-le, aux nouveaux
règlements sur les dispositifs médicaux) qui ont considérablement
renforcé la règlementation dans un souci de protection des patients.
73. CJUE 15 novembre 2012, Brain Prodducts GMBH, aff.C-219/11,
ECLI :EU :C :2012 :742.
74. Relève de cette catégorie le dispositif connecté « e-celsius »,
thermomètre connecté en continu, développé par une « start up »
française « qui se présente sous forme de gélule ingérable connectée
livrant la température notamment des sportifs. Une certification en
tant que DM est attendue.
75. CJUE 7 décembre 2017, SNITEM et Philips France, aff. C-329/16,
ECLI :EU :C :947.
76.F. Aster et A. Vion, la normalisation européenne en matière de
sécurité : architecture institutionnelle et politique jurisprudentielle,
RTDE -3/2013, p. 499 et s.
77. https://www.has-
sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2016-
11/has_ref_apps_oc.pdf
78.A. Normand, Prévenir plutôt que guérir, La révolution de la e-
santé, éd. Eyrolles 2017.
79. Des données privées peuvent désormais, dans le secteur
stratégique qu’est la santé être extraites, analysées et valorisées par
des sociétés privées dans une logique purement marchande : ainsi, la
société 23 andMe, située en Californie, a vendu à près de 1 million de
particuliers pour 100 dollards le séquençage de la part analysable de
leur génome. Elle a conclu ensuite, en toute légalité en droit
américain, des partenariats avec des firmes pharmaceutiques pour
analyser ces données sans que les participants en aient été informés.
On comprend donc l’enjeu stratégique lié au droit territorialement
applicable et son application pour les conditions générales
d’utilisation de ces services.
80. C. Lequillerier, L’ubérisation de la santé, Dalloz IP/IT 2017, p. 155.
AUTEUR
NATHALIE DE GROVE-VALDEYRON
Maître de conférences, HDR, Université Toulouse 1 Capitole,
Chaire Jean Monnet,
IRDEIC, Centre d’excellence Europe Capitole
Santé et numérique en Italie
Marta Cerioni

I – Le droit à la santé en Italie. Raisons de


l’introduction de la numérisation en Italie
1 Le droit à la santé en Italie est prévu par l’article 32 de la
Constitution italienne 1 .
« La République protège la santé en tant que droit fondamental de
l’individu et intérêt de la collectivité. Elle garantit des soins gratuits
aux indigents. Personne ne peut être contraint à un traitement
sanitaire déterminé, si ce n’est par une disposition de la loi. La loi ne
peut, en aucun cas, violer les limites imposées par le respect de la
personne humaine.
Si cela est requis par la loi. La loi ne peut, en aucun cas, violer les
limites imposées par le respect de la personne humaine » 2 .
L'évolution du droit à la santé en Italie a été très complexe et dans
ces dernières années il a concerné (et encore, à certains égards, c'est
le cas 3 ) le droit individuel à la santé (droit au recevoir des soins 4
et droit de refuser un traitement 5 ) et la santé comme patrimoine
pour la communauté (vaccinations obligatoires et traitements de
santé obligatoires 6 ). On peut dire que le droit à la santé est un droit
complexe et multidimensionnel 7 .
Cependant, le débat juridique sur le droit à la santé s'est développé
ces dernières années en raison de la crise économique. Le système
italien (similaire à celui de Beveridge) est essentiellement gratuit. La
diminution des ressources publiques a conduit à la difficulté de
pouvoir garantir un traitement gratuit à tous. Bien que la
Constitution ne garantisse la gratuité qu'aux plus pauvres, la loi
ordinaire n. 833 de 1978 a introduit le principe de l'universalisme et
a adopté le modèle anglais Beveridge 8 .
Le droit à la santé aujourd'hui a dû faire face à deux défis même pour
les juristes :
2 a) la Durabilité publique et b) les Performances appropriées c'est-
à-dire essayer de rendre le système de santé plus efficace, en
réduisant le gaspillage et en augmentant les performances de sorte
que tous les traitements puissent être couverts par des ressources
publiques.
Dans ce débat, le Ministère de la Santé a lourdement investi dans un
instrument ambivalent : la numérisation des soins de santé.

II – Profils de numérisation dans les soins de


santé
3 La numérisation en Italie pour les usagers a été très forte et axée sur
des profils différents :
administratif ;
clinique et santé ;
relation avec le citoyen-patient, l'assistance, la communication et la collaboration ;
prévention et bien-être.

A – Le profil administratif ou la numérisation des


obligations administratives
4 Pour mieux comprendre ce sujet, il est d'abord nécessaire décrire la
division des compétences parce que la « protection de la santé » est
une compétence partagée entre l'État et les Régions, selon l’art. 117
de la Constitution (« compétence concurrente ») 9 .
L'État peut fixer par la loi les principes fondamentaux de la
protection de la santé et les Régions peuvent établir les autres
normes dans le cadre national avec des lois régionales. En
particulier, l'organisation des services sanitaires est fixée par les lois
régionales 10 . En plus, l'art. 118 de la Constitution indique que
toutes les compétences administratives sont situées au niveau le plus
proche des citoyens 11 . Puis, si le niveau territorial n'est pas adapté,
alors, celles-ci vont au plus haut niveau en vertu du principe de
subsidiarité.
Par conséquent, la partie administrative — également dans le secteur
de la santé — relève des compétences des Régions 12 . Cela permet
de comprendre la stratification réglementaire dans ce domaine 13 .
Le parcours de l'usager de santé qui nécessite des soins dans
différents hôpitaux est très complexe. Nous pouvons présenter un
exemple paradigmatique.
Le point de vue du patient ou du bénéficiaire des services de santé
est très utile, car on peut intégrer ses besoins. La numérisation en
Italie est un processus qui a déjà commencé, mais qui n'a pas encore
été mis en œuvre. Pourquoi est-il encore lent ? Par exemple: un
citoyen veut être traité dans un centre spécialisé d'une autre région
(l'autonomie territoriale). Il doit envoyer le matériel, c'est-à-dire son
dossier médical à ce spécialiste qui est également très loin. On le fait
par courrier électronique. Aujourd'hui, dans chaque hôpital on va
demander les dossiers médicaux (il faut payer les frais administratifs
de 20 à 40 euros pour les copies) et il faut attendre. Ensuite,
numérisez et envoyez-les avec le reste de vos cartes au spécialiste. Le
dossier de santé numérique doit être disponible sur tout le territoire
italien et aussi directement auprès du patient.
5 Aujourd'hui, cela n'est possible qu’à l’intérieur de chaque hôpital.
Par exemple, si un patient est pris en charge par un département
d'oncologie, il peut demander une consultation avec un chirurgien
de la même organisation, ce dernier ayant accès au réseau intranet
peut voir ses données. Mais ce n’est pas la même chose si l'on doit
consulter le chirurgien d’un autre hôpital. Il est nécessaire de
réglementer strictement le régime d'accès à l'image de ce qui a été
réalisé en Italie pour les forces de l'ordre et, d'autre part, d'étendre
le champ d'extension du dossier clinique, en le rendant accessible de
manière absolue et immédiate au patient, seul à en avoir la maîtrise.
La réponse à ce problème est le dossier sanitaire numérique (fascicolo
sanitario elettronico ou FSE) qui est l’instrument par lequel le citoyen
peut faire circuler ses données de santé.
6 Le dossier de santé numérique est aussi l’élément principal du profil
administratif de santé numérique et il recouvre l'ensemble des
données et documents numériques de santé et socio-sanitaires
générées par les événements cliniques passés et présents du patient.
Le carnet de santé électronique est valable pour la vie entière du
patient et il est alimenté en permanence par ceux qui prennent soin
de l'assuré dans le cadre du Service national de la santé et les
services socio-sanitaires régionaux.
À travers le dossier de santé électronique, le citoyen peut retracer et
consulter toute l'histoire de sa propre vie santé, en la partageant
avec des professionnels de la santé pour garantir un service plus
efficace et efficient 14 .
Le Dossier est activé à partir du moment où le patient donne son
consentement à sa création et à sa consultation. Toutes les
informations de santé décrivant l'état de santé du patient ‒ tests de
laboratoire, thérapies, antécédents médicaux, etc. peuvent y être
incluses. Elles seront insérées par son médecin de famille et par les
différents spécialistes consultés. Toutes les informations et
documents constituant le DSE sont rendus interopérables pour
permettre sa consultation sur l'ensemble du territoire national et
pas seulement dans la région de résidence du patient. Cela permet au
patient une plus grande liberté dans le choix des soins et le partage
des informations qui sont tous disponibles grâce à l'accès au Dossier
par des professionnels de la santé.
De plus, l'accès au DSE par les professionnels de santé ‒ notamment
en situation d'urgence ‒ permettra de savoir tout ce qui est
nécessaire pour intervenir rapidement et garantir le succès de
l'intervention.
7 L'usager est au centre du système avec son historique de santé et
chaque action médicale le concernant est tracée et codifiée, évitant
la répétition d'investigations cliniques inutiles. Tout ceci se déroule
dans le respect des conditions définies par le patient lui-même au
moment de l'activation de DSE et peut être modifié à tout moment.
L’usager, en effet, peut choisir qui est autorisé à consulter son
dossier, à quelles conditions et aussi quelles données, il peut choisir,
par conséquent, également l'occultation de certaines informations et
il a, par ailleurs, la visibilité de qui et quand a eu accès à son DSE.
Le Dossier de santé électronique est défini par la loi 15 comme
l'ensemble de données et de documents numériques médicaux et
sociaux-santé générés par les événements cliniques présents et
passés concernant le client, et a pour principaux objectifs : a)
faciliter les soins aux patients ; b) offrir un service pouvant faciliter
l'intégration de différentes compétences professionnelles ; c) fournir
une base d'information remarquable.
8 Le DSE est établi par les régions et les provinces autonomes 16 ,
conformément à la législation en vigueur sur la protection des
données à caractère personnel, et couvre un large éventail
d'activités liées à la prestation de services de santé, de la prévention
à la vérification de la qualité des soins. Plus précisément, l'initiative
vise à l'amélioration globale de la qualité des services en ce qui
concerne : 1. prévention, diagnostic, traitement et réadaptation ; 2.
études et recherches scientifiques dans les domaines médical,
biomédical et épidémiologique ; 3. planification de la santé,
vérification de la qualité des soins et évaluation des soins de santé.
Selon le Ministère de Santé, le DSE est donc un pilier des initiatives
qui font partie de la voie vers la santé numérique, en plus d'être le
principal facteur permettant d'atteindre des augmentations
significatives de la qualité des services fournis dans les soins de
santé et l'efficacité, grâce au respect des données personnelles et à
l'optimisation des coûts qui y sont associés. Le Dossier permettra, en
particulier, la construction d'un point unique de partage et
d'agrégation d'informations pertinentes et de tous les documents de
santé et de socio-santé relatifs au citoyen, générés par les différents
acteurs du service sanitaire national et par les services socio-
sanitaires régionaux. Le dossier de santé électronique est la
première manifestation de la culture e-Health en Italie par laquelle se
construit un système d'interactions entre les professionnels de la
santé ‒ entre le médecin ou le pédiatre de la famille (MMG, PLS) et le
médecin spécialiste (MS) ‒ et entre le citoyen et le médecin. La mise
en œuvre effective du DSE au niveau national et sa diffusion
ultérieure permettront également de réaliser d'importantes
économies liées à la dématérialisation du papier, mais aussi de
fournir une revue complète des processus cliniques et administratifs
ainsi que de l'organisation complète des soins publiques.
C’est pour ces raisons économiques que le Ministère, ces dernières
années, a amélioré les normes de mise en œuvre.

1) Les lois sur le dossier de santé électronique

• Au niveau étatique :
« Lignes directrices sur le FSE » du Garant pour la protection des données personnelles
du 16 juillet 2009 17 ;
Le Ministère de la Santé (avec les Régions, le Garant pour la Protection des données
personnelles et AgID, l'Agence pour l'Italie numérique) a élaboré les lignes directrices
nationales pour la création du FSE, approuvé le 10 février 2011 par la Conférence État-
Régions ;
La disposition réglementaire pour la création du FSE a été incluse dans DL 179/2012
DDL (article 12), puis modifiée et renforcée par DL 69/2013 ;
Décision du président du conseil des ministres 29 septembre 2015, no. 178 Règlement
sur les dossiers médicaux électroniques ;
Décret 4 août 2017 « Modalités techniques et services télématiques mis à disposition
par l'infrastructure nationale pour l'interopérabilité du dossier de santé électronique »
18 : les normes pour la mise en œuvre.

• Au niveau régional : toutes les régions investissent dans le


développement de solutions ESF.

9 Aujourd'hui, l'AgID (Agenzia per l'Italia Digitale) et le Ministère de la


Santé, en vue de vérifier les progrès et le statut de la mise en œuvre
et de la diffusion sur le territoire national du Dossier de Santé
Électronique (DSE), en accord avec les régions, ont défini une série
d'indicateurs permettant représenter le scénario complet.
L'indicateur de mise en œuvre vise à représenter les progrès de la
mise en œuvre du dossier de santé électronique régional (DSE) et
représente la moyenne des services individuels prévus dans le plan
19 . Le deuxième type d’indicateur, celui de l'utilisation, vise à

contrôler le niveau réel d'utilisation et de diffusion du dossier de


santé électronique (DSE) sur le territoire national par les citoyens,
les médecins et les entreprises de santé 20 .
Figure.1 : Indicateur de réalisation pour toute la région (date rapporté au 3 trimestre
2017)

Données du site officiel https://www.fascicolosanitario.gov.it/ 21

Figure.2 : Indicateur de l’utilisation et de diffusion du dossier de santé électronique


(DSE) sur le territoire national par les citoyens (date rapporté au 3 trimestre) 2017)
Disponible sur le site 22

10 En conclusion, il est possible d'affirmer que la diffusion du dossier de


santé électronique en Italie n'est pas complète ou même homogène
23 . Il y a encore un long chemin à parcourir dans de nombreuses

régions du pays ainsi qu'au niveau national pour coordonner et


promouvoir l'harmonisation des expériences régionales.
En Italie un deuxième élément est la dématérialisation des rapports
médicaux et des dossiers médicaux, des ordonnances numériques
qui peuvent être valides dans toutes les Régions, la centrale de
réservation assurant également la performance intra-moenia,
(réservation en ligne), etc.

B – Le profil clinique et de santé

11 Le profil clinique et de santé porte sur la numérisation de certains


aspects des soins (services de santé), en particulier pour la
domotique, l'assistance pour les personnes handicapées et les
personnes âgées.
Malheureusement en Italie il n'y a pas un seul code de la santé qui
contient toutes les règles du secteur et donc, surtout dans ces
nouveaux domaines il y a beaucoup de règles différentes et
sectorielles.

C – Le profil de la relation avec le citoyen-patient

12 Il s’agit de l'assistance, de la communication et de la collaboration. Il


consiste à aider la famille à la maison c'est-à-dire la télémédecine, la
télésanté (par exemple la Télésurveillance) ou téléconsultation avec
d'autres médecins spécialistes.
Plus précisément, la continuité du bien-être, la déshospitalisation et
la diffusion des services et des solutions du dossier numérique de
santé ou de la continuité des hôpitaux et des territoires : PDTA (voies
de soins diagnostiques, thérapeutiques) en tant que nouveau mode
d'approche et gestion du flux de travail des patients et systèmes de
gestion des relations avec le patient; ou « Télé-santé » en tant que
service innovant de prise de patients chroniques, avec transmission
à distance de paramètres cliniques interprétés et gérés par les
professionnels de la santé dans le cadre d'un plan de soins
individuels ; ou téléconsultation, rapports télétexte, télédiagnostic,
surveillance des télécommunications, téléservice ; la télémédecine et
l'intégration avec le dossier électronique de santé ; ou logistique des
médicaments, « médicaments domestiques » et suivi de la pertinence
des prescriptions pharmaceutiques ; ESF : du Personal Citizen Notebook
à Personal Healthcare Assistant : nouvelles plates-formes de services à
forte intensité d'information pour les citoyens ; réservation au
paiement multicanal, etc., ou la définition des lignes directrices pour
le dossier clinique de l'hôpital ; enfin, solutions de service, y compris
dans les services partagés, avec des niveaux d'interopérabilité
définis au niveau central (p. Ex. CUP, dématérialisation et stockage
de sauvegarde, gestion administrative, PACS, web émissions,
réservation et paiement sur le Web, etc.).

D – La prévention ou bien-être

13 La prévention ou bien-être impliquant des dispositifs portables,


applications pour le bien-être, la surveillance de l'activité physique,
fréquence cardiaque, l'alimentation, le sommeil, etc.

III – La mise en œuvre du numérique en Italie


A – L’accord de santé numérique

14 L'accord de santé numérique du 23.06.2016 ainsi que l'accord pour


l'évolution du Système national d'information sur la santé (NSIS) ont
été adoptés à la suite d'un consensus entre la Conférence d’État
(Ministère de la Santé), les Régions et les Provinces autonomes de
Trente et Bolzano. Le Pacte pour la santé numérique est le plan
stratégique unifié et partagé pour atteindre les objectifs d'efficacité,
de transparence et de durabilité du Service national de santé grâce à
l'utilisation systématique de l'innovation dans le domaine de la santé
numérique. L’accord est un pacte qui identifie : a. Les objectifs
stratégiques à atteindre ; b. Le processus à adopter ; c. Les acteurs
impliqués ; d. Les priorités d'action ; e. Gouvernance ; f. Les activités
planifiées.
Les fonctions d'adressage, de coordination et de contrôle de la mise
en œuvre du Pacte pour la santé numérique sont exercées par le
Comité de coordination du nouveau système d'information sur la
santé (NSIS) afin d'assurer un système unifié et partagé
d'interventions avec les initiatives sanitaires existantes déjà en
place, ainsi que de prendre compte du cadre juridique européen et
italien. Mais sans frais supplémentaires pour l'administration. Pour
ce faire, ont alors été mobilisés des Fonds structurels, des fonds ad
hoc fournis par l'Etat et les Régions dans le cadre d'initiatives de
partenariats public-privé, ou initiatives de project finance et/ou de
performance-based contracting ou de quotas payés directement par les
citoyens pour l'utilisation de « spécificités » Services de santé en
ligne e-health, à valeur ajoutée et donc « services premium ».
Les objectifs sont l’augmentation de l'efficacité et de la qualité des
performances qui peuvent être mesurables même à court terme. Il
s'agit d'un nouveau modèle de service de santé basé sur des piliers :
De la continuité du bien-être,
De la gestion des soins,
Deshospitalisation et
De toute la coopération entre tous les acteurs impliqués dans la chaîne de soins de
santé.

15 Le bien-être implique l'efficacité des ressources utilisées aujourd'hui


(examen des dépenses) 24 .

B – Comité de coordination du nouveau système


d'information sur la santé

16 Comité de coordination du nouveau système d'information sur la


santé (« CABINE NSIS »)
Les objectifs de synthèse sont les suivants :
expérimenter des solutions visant à renforcer le système zéro-zéro (générer des
économies grâce à la rationalisation et au réinvestissement dans l'amélioration des
performances et la qualité du service à la clientèle) ;
mesurer les soins de santé en termes de pertinence et d'efficacité pour s'assurer que
les niveaux essentiels de soins sont dispensés en assurant leur équilibre économique ;
vous ne faites que ce dont vous avez besoin (pertinence clinique), dans le cadre le plus
approprié (la pertinence de l'organisation), de la manière la plus efficace et la plus
efficace possible ;
en même temps, développer et poursuivre une vision de soins de santé très attrayante
et compétitive, à l'échelle internationale, surmonter les idées préconçues et les clichés,
mais aussi améliorer l'offre dans ses composantes apparemment secondaires telles que
l'hébergement et les services hôteliers pour les proches et les compagnons.
mettre en évidence les problèmes liés au pacte de santé numérique qui nécessitent des
solutions légales et réglementaires en examinant les institutions concernées.

C – Décret de 2017 du Ministère de la Santé sur l’avenir

17 Le ministère de la Santé investit dans ces prérogatives et a identifié


neuf macro-domaines d'innovation. Ce sont les éléments suivants :
1. prévention ; 2. Communication ; 3. politiques de recherche en
santé ; 4. politiques internationales de santé ; 5. promotion de la
qualité et de la pertinence des soins de santé ; 6. système de
statistiques sur l'information et la santé ; 7. dispositifs médicaux,
narcotiques et autres produits de soins de santé ; 8. promotion de la
santé publique et de la sécurité vétérinaire ; 9. politiques d'efficacité
de la gestion.
Les thèmes de la santé numérique les transcendent
transversalement. En outre, certaines zones ont les soins de santé
numériques comme élément constitutif : le cinquième « Promouvoir
la qualité et la pertinence des soins de santé » et le sixième
« Système de santé et d'information ».

D – Le Code unique national du patient (CUNA)

18 - Le 7 décembre 2016, le Ministère de la Santé a publié le décret qui


constitue la condition préalable à la réalisation de l'infrastructure
technologique pour l'attribution du « Code unique nationale du
patient (CUNA) », qui permettra de reconstituer le parcours de santé
du citoyen dans les différents paramètres nationaux de soins de
santé 25 .
L’état d’avancement de tous ces actes normatifs est très lente :
« En 2016, 1,27 milliard d'euros ont été consacrés aux soins de santé,
soit une baisse de 5% par rapport à 2015. Utilisation accrue des
services numériques par les citoyens : 51% de la population utilisait
au moins un Service en ligne de soins de santé. Les médecins sont de
plus en plus ouverts au numérique et, en particulier, au monde des
applications médicales et des outils numériques pour interagir avec
les patients, tels que les courriels, les SMS et WhatsApp » 26 .

E – Conclusions et perspectives

19 Tout d’abord, on peut affirmer qu’en Italie existent des difficultés de


numérisation dans la santé relatives à la construction des
compétences législatives partagé entre État et Régions
(art. 117 Cost.) et pour les compétences administratives qui sont
allouées au travers d'un mécanisme dynamique de subsidiarité
(art. 118 Cost.). En plus, il n’y a pas un code de la santé public unique
comme en France (dans lequel le législateur s'est déjà livré à une
activité d’interprétation, d’abrogation et de systématisation des
règles antinomiques) et toutes les règles sont situées dans les lois
étatiques et à divers niveaux d'autorité juridique.
Toutefois, on peut affirmer que la santé numérique peut augmenter
l'efficacité, la vitesse, les capacités d'usage pour les usagers, une
capacité accrue d'accès aux soins, réduisant aussi les temps
d'attente, etc.
Mais il est essentiel de défendre la protection de la vie privée, des
données personnelles, des données essentielles parce que la
numérisation conduit à partager les données. Dans ce domaine, il
importe de prendre comme point central le principe de pertinence,
non-excès et nécessité des données personnelles en ce qui concerne
seulement les besoins de prévention, de diagnostic, de traitement et
de réadaptation (article 11, coma 1, lettre d) et 22, coma 5 du code de
données personnel) ainsi que le principe de titularité c’est-à-dire le
titulaire des données personnelles doit toujours pouvoir les
modifier, intégrer, obscuriser et conserver le lien entre ces données.
Ces deux principes sont les piliers en droit italien et ils sont déclinés,
de temps en temps, dans des cas spécifiques. Ils sont aussi inscrits
dans le Règlement général européen sur la protection des données
(RGPD) qui sera la lumière dans l’obscurité de la mise en œuvre de la
numérisation en santé 27 .
On ne peut pas oublier aussi l'analphabétisme numérique qui exige
une plus grande attention aux personnes les plus vulnérables et le
besoin de formation et de gestion des risques (fracture numérique)
en évitant toute déshumanisation, qui irait à l'encontre du principe
de solidarité posé par l'article 2 de la Constitution.

NOTES
1. R. Balduzzi (a cura di), Sistemi costituzionali, diritto alla salute e
organizzazione sanitaria. Spunti e materiali per l'analisi comparata,
Bologna, 2009 ; P. Barile, Diritti dell'uomo e libertà fondamentali,
Bologna, 1984 ; M. Bessone, E. Roppo, Garanzia costituzionale del diritto
alla salute e orientamenti della giurisprudenza di merito, Giur. it., IV,
1975 ; BOTTARI, Il diritto alla tutela della salute, in RIDOLA, NANIA
(a cura di), I diritti costituzionali, II, Torino, 2001 ; ID., Tutela della salute
ed organizzazione sanitaria, Torino, 2009 ; BRUNI, Sanità e diritti delle
persone, Torino, 2007 ; B. Caravita, La disciplina costituzionale della
salute, in Diritto e società, 1984 ; P. CARETTI, Diritti fondamentali,
Torino, 2002 ; CAVASINO, TULUMELLO, La salute come diritto:
l'effettività della tutela fra potere di organizzazione e logica della
concorrenza, in Giur. it., 2005, X, 2000 ; COCCONI, Il diritto alla tutela
della salute, Padova, 1998 ; FERRARA, L'ordinamento della sanità,
Torino, 2007 ; LA ROCCA, La tutela del diritto fondamentale alla salute :
un'esigenza irrinunciabile anche per i soggetti in vinculis, in Giur. it.,
2006, X, 1944 ; LUCIANI, Il diritto costituzionale alla salute, in Diritto e
società, 1980 ; MODUGNO, I "nuovi diritti" nella Giurisprudenza
Costituzionale, Torino, 1994 ; MORANA, La salute nella Costituzione
italiana, Milano, 2001 ; ID., La salute come diritto costituzionale, Torino,
2013 ; MORTATI, La tutela della salute nella Costituzione italiana, in ID.,
Problemi di diritto pubblico nell'attuale esperienza Costituzionale
repubblicana, III, Milano, 1972, 435 ; PACE, Problematica delle libertà
costituzionali. Parte generale, Padova, 2003 ; PEZZINI, Il diritto alla salute:
profili costituzionali, in Diritto e società, 1983 ; ROMBOLI, Art. 5, in Comm.
Scialoja-Branca, Bologna-Roma, 1988 ; A. Simoncini, E. Longo, Art. 32, in
R. Bifulco, A. Celotto, M. Olivetti (a cura di), Commentario alla
Costituzione, Utet, 2006 ; VINCENZI AMATO, Art. 32, in Comm. Cost.
Branca, Bologna-Roma, 1976 ; en français C. Pinelli, « Santé et
Constitution : L’exemple italien », in Constitutions et Santé, Actes du
colloque de l’association français de droit de la santé, Paris, 17 juin
2013, numéro hors-série, Revue de droit sanitaire et social, pp. 137-
141 ss.
2.Vous pouvez lire la Constitution italienne en français dans le web
site du Président de la République italienne www.quirinale.it et plus
précisément
http://www.quirinale.it/qrnw/costituzione/pdf/costituzione_france
se.pdf
3. Considérez le récent débat sur les vaccinations obligatoires pour
les enfants scolarisés après l’approbation du Décret législatif
no. 73/2017 (converti dans la loi no. 119 du 2017 qui exige
l'exécution de 10 vaccins, sous peine de non-enregistrement dans les
nids et les jardins d'enfants jusqu'à 6 ans et sanctionne jusqu'à 16
ans) et l’arrêt de la Cour constitutionnelle no. 5/2018. Vous pouvez
lire toutes les décisions de la Cour constitutionnelle dans le website
www.giurcost.it Corte cos. n° 268/2017 disponible sur
www.giurcost.it sur indemnisation pour les dommages permanents
causés par les vaccins.
4.D'AMICO, I diritti contesi, Roma, 2008 ; FONTANA, I limiti alla ricerca
scientifica : il « Caso Stamina », in A. Iannuzzi (a cura di), La ricerca
scientifica tra possibilità e limiti, Napoli, 2015, 173 e ss.
5.GENSABELLA FURNARI, RUGGERI, Rinuncia alle cure e testamento
biologico, Torino, 2011.
6.CRISAFULLI, In tema di emotrasfusioni obbligatorie, in Diritto e società,
1984 ; PANUNZIO, Trattamenti sanitari obbligatori e Costituzione, in
Diritto e società, 1979 ; PELAGATTI, I trattamenti sanitari obbligatori,
Roma, 1995.
7.B. Pezzini, Il diritto alla salute : profili costituzionali, in Dir. soc.,
1983, 25 s., M. Luciani, Salute, I) Diritto alla salute – dir. cost., in Enc.
giur., XXVII, Roma, 1991, 5, R. Balduzzi, Salute (diritto alla), in
S. Cassese (dir.), Dizionario di diritto pubblico, VI, Milano, 2006, 5394
s.
8.W. Beveridge, Il Piano Beveridge. La relazione di Sir William
Beveridge al governo britannico sulla protezione sociale. Riassunto
ufficiale, Londra, Stamperia Reale, 1944 (seconda edizione) e
R. Davison, Protezione sociale in Gran Bretagna. Con una illustrazione
popolare del Piano Beveridge, Londra, George G. Harrap & Company,
1944. Pour une analyse du modèle le plus récent U. Ascoli, Il Piano
Beveridge: modernità e attualità dell’impianto, in W. Beveridge, Alle
origini del welfare state. Il Rapporto su Assicurazioni Sociali e Servizi
Assistenziali, Milano, 2010.
9.D. Morana, Tutela della salute, in G. Guzzetta, F. S. Marini, D. Morana
(a cura di), Le materie di competenza regionale. Commentario,
Napoli, 2015, 583 ss.; G. Carpani, D. Morana, Le competenze legislative
in materia di « tutela della salute », in R. Balduzzi, G. Carpani
(a cura di), Manuale di diritto sanitario, cit., 114. D. Morana, La tutela
della salute fra competenze statali e regionali: indirizzi della
giurisprudenza costituzionale e nuovi sviluppi normativi, in
Osservatorio costituzionale, n. 1/2018.
10. R. Balduzzi, D. Servetti (a cura di), La garanzia costituzionale del
diritto alla salute e la sua attuazione nel Servizio sanitario nazionale,
in R. Balduzzi, G. Carpani (a cura di), Manuale di diritto sanitario,
Bologna, 2013, 49 ss., L. Cuocolo, A. Candido, L’incerta evoluzione del
regionalismo sanitario in Italia, in www.forumcostituzionale.it, 23
settembre 2013.
11.R. Finocchi Ghersi, La tutela della salute (artt. 112-127 d.lgs.
112/1998), in R. Finocchi Ghersi et al. (a cura di), Il decentramento
amministrativo, Milano, 2000, 181 ss.; D. Morana, Tutela della salute,
in G. Corso, V. Lopilato (a cura di), Il diritto amministrativo dopo le
riforme costituzionali, I, Milano, 2006, 261 ss.; pour l'évolution de
l'attribution des fonctions administratives en matière de santé,
également en ce qui concerne les formes de collaboration entre l'Etat
et les régions, M. Di Folco, Le funzioni amministrative, in R. Balduzzi,
G. Carpani (a cura di), Manuale di diritto sanitario, cit., 150 ss.
12.D. Paris, Il ruolo delle Regioni nell’organizzazione dei servizi
sanitari e sociali a sei anni dalla riforma del Titolo V : ripartizione
delle competenze e attuazione del principio di sussidiarietà, in Le
Regioni, 2007, 991.
13.Mais il y a aussi la prescription d’utiliser le principe de
collaboration : G. Carpani, Accordi e intese tra Governo e regioni nella
più recente evoluzione del SSN : spunti ricostruttivi, in R. Balduzzi
(a cura di), Trent’anni di Servizio sanitario nazionale. Un confronto
interdisciplinare, Bologna, 2009, 35 ss.
14.Vous pouvez regarder le web site
http://www.fascicolosanitario.gov.it/
15.Art. 12 du décret-loi 18.10.2012, no. 179, disponible sur
www.normattiva.it
16. Accord pour la santé numérique parmi le Ministère de la Santé et
Régions.
17.Vous pouvez le lire
surhttp://www.garanteprivacy.it/web/guest/home/docweb/-/docw
eb-display/docweb/1634116#allegato
18.Art. 12, par. 15-ter du décret-loi 18 octobre 2012, no. 179,
converti, avec modifications, par loi 17 décembre 2012, no. 221.
19. Les indicateurs de mise en œuvre sont : • Composants habilitants:
statut du registre des assistés, des opérateurs et des entreprises de
santé, et de l'infrastructure du réseau ; • Services d'accès par les
citoyens: état de la mise en œuvre des mécanismes
d'authentification du patient, des méthodes de collecte et de gestion
du consentement du patient, des modalités organisationnelles
auxquelles ils ont accès avec le DSE (par ex: portail web, kiosques de
service, etc.) et la création du cahier du client (service optionnel) ; •
Services d'accès par le médecin ou le pédiatre de la famille : état de
la mise en œuvre des modalités organisationnelles avec lesquelles
l'accès au médecin ou au pédiatre de la famille est accordé au
système DSE et les modalités d'accès et d'approvisionnement en
énergie du DSE par le médecin ou le pédiatre de la famille. • Services
d'accès par les entreprises de santé : l'état de mise en œuvre des
modalités organisationnelles d'accès des établissements de santé au
système du DSE et les modalités d'accès et d'accès au DSE par les
professionnels de la santé ; • Services d'interopérabilité du FSE : état
de réalisation des services soutenant l'interopérabilité
interrégionale ; • Services de gestion des rapports de laboratoire :
état de la mise en œuvre des procédures adoptées pour la
numérisation et la gestion des rapports de laboratoire produits par
les établissements de santé (par exemple formation des agents de
santé, cartographie des catalogues, etc.) ; • Services pour la gestion
du profil de santé synthétique (Patient Summary) : état de mise en
œuvre des procédures adoptées pour la numérisation et la gestion
des profils de santé synthétiques par le médecin ou le pédiatre de la
famille (par exemple formation des médecins, applications software,
etc.).
20. Plus précisément, les indicateurs d'utilisation mettent en
évidence, en particulier, le point de vue des usagers : • Les citoyens:
nombre de citoyens assistés (c’est-à-dire citoyens résidents dans une
région italienne qui ont choisi un médecin ou un pédiatre de la
famille) qui ont donné leur accord pour le DSE par rapport au
nombre total de citoyens assistés dans la région et le nombre les
citoyens qui ont fait au moins un accès à leur DSE par rapport au
nombre total de assistée pour lequel a été mis à disposition au moins
un rapport au cours des 90 derniers jours.
21. Plus précisément
https://www.fascicolosanitario.gov.it/monitoraggio/a
22. https://www.fascicolosanitario.gov.it/monitoraggio/bc
23. La consultation des rapports et des documents de santé clinique
est toujours présente, d'autres services de cybersanté figurent
parfois parmi ceux proposés dans le Dossier, et d'autres fois ils sont
gérés séparément dans des zones spécifiques des sites
institutionnels. Par exemple, en Lombardie, les services de
réservation/annulation en ligne, le paiement en ligne, ainsi que le
choix et la révocation du médecin ou pédiatre de famille et des
ordonnances sont offerts dans la section « Services de santé en
ligne » et l'accès est toujours assuré par smart card (Charte nationale
des services) mais séparément du DSE, tandis qu'en Émilie-Romagne,
tous les services sont présents et intégrés dans DSE. En Sardaigne,
par exemple, le DSE inclut non seulement le rapport d'urgence
individuel (Patient Summary – EDS) mais également les certificats
médicaux en ligne INPS et INAIL accessibles depuis d'autres portails
dans d'autres régions. Enfin, dans le Trentin et en Toscane, par
exemple, il y a aussi la fonction agenda dans laquelle les citoyens
peuvent écrire des informations personnelles (données familiales,
données sportives, données de style de vie), des dossiers de santé
(des examens réalisés dans des structures non conventionnelles, des
rapports déposés à la maison ou avant l'activation du dossier), un
journal des événements pertinents (visites, tests de diagnostic,
mesures des paramètres de surveillance), des rappels de contrôles
médicaux périodiques. De cet avis, A. F. Pattaro, Fascicolo sanitario
elettronico, stato dell’arte (adozione nelle Regioni, contenuti,
modalità), in https://www.agendadigitale.eu/sanita/fascicolo-
sanitario-elettronico-stato-dellarte-adozione-nelle-regioni-
contenuti-modalita/, Mars 2017.
24.C. Aru, S. Da Empoli, D. Integlia, Rilanciare il « laboratorio » del SSN.
Il ruolo della medicina di laboratorio e della digitalizzazione
sull’efficienza e l’efficacia del servizio sanitario italiano, in Astrid,
Fevrier 2017 pour une analyse approfondie.
25.Décret Ministère de la Santé 7.12.2016, no. 262 Règlement fixant
les procédures d'interconnexion nationale des systèmes
d'information sur une base individuelle du Service national de santé,
même administré par différentes administrations de l'État et CUNA
(en particulier, annexe A).
26.Les données sont organisées par Observatoire national de la santé
de l’Université Polytechnique de Milan. Vous pouvez regarder aussi
la Stratégie pour la croissance numérique 2014-2020. Pus pouvez
aussi lire le dossier CENSIS, Conditions pour le développement de la
santé numérique: scénarios Italie-UE, juillet 2016.
27.T.E. Frosini, L’accesso a Internet come diritto fondamentale, in
O. Pollicino, E. Bertolini, V. Lubello (a cura di), Internet: regole e tutela
dei diritti fondamentali, Roma, 2013, 69 ss. ; S. Rodotà, Il mondo della
rete: diritti e vincoli, Bari, 2014 ; A. Soro, La vita degli altri: controllo
e privacy nella società digitale, in www.garanteprivacy.it ;
R. Razzante, I tanti dubbi sul diritto all’oblio, in
www.agendadigitale.eu; C. Caruso, L’individuo nella rete : I Diritti
della persona al tempo di internet, in www.forumcostituzionale.it.

AUTEUR
MARTA CERIONI

Professeur de Droit des Institutions Publiques, Université Polytechnique de Marche (Italie)


Santé et numérique en Italie : le
cas de la Toscane
Sabina De Rosis

1 Comme l'a récemment confirmé la commission d'enquête


parlementaire italienne sur la pérennité du système public de santé,
la numérisation des soins de santé figure toujours parmi les priorités
en Italie, car elle permet de contribuer à accroître l'efficience et
l'efficacité du système. Elle permet une prise en charge plus
personnalisée.
2 Plusieurs solutions technologiques intégrées dans un système
d'information unique interopérable, peuvent également améliorer
l'accès aux soins et faciliter l'intégration, la continuité et la
coordination des soins pour ceux qui suivent un parcours de soins.
Des outils numériques comme le dossier de santé électronique,
peuvent également permettre aux patients d'avoir plus facilement
accès aux renseignements personnels sur leur santé et de favoriser
leur participation et leur autonomisation.
3 L'innovation numérique du système de santé italien croît lentement.
Le dossier de santé électronique bénéficie d’un investissement
important : toutes les Régions italiennes le mettent en œuvre ou
l'ont mis en œuvre, mais son développement n'est pas systématique.
Il n'est pas couramment utilisé par les médecins généralistes
italiens. Un seul médecin de famille sur trois utilise le dossier de
santé électronique (Osservatorio Digitale in Sanità 2017).
4 Une étude développée sur 34 pays européens a montré que la
diffusion des innovations numériques en Europe n’a progressé que
très lentement et avec de fortes variations (de Rosis & Seghieri 2015).
L'Italie fait partie des systèmes de santé qui sont encore confrontés
aux tout premiers pas de l'innovation technologique liée aux
systèmes d'information. L'informatisation des processus est ciblée
dans le traitement et le stockage papier vers le traitement
informatisé. Une adoption quasi universelle de l'ordinateur dans les
pratiques de soins primaires est toutefois acquise. La numérisation
des fonctions cliniques lors des soins primaires est très variable dans
et entre les pays. Dans la plupart des cas, elle appelle beaucoup
d'amélioration. En Italie, alors que les généralistes utilisent
l'ordinateur pour la prescription de médicaments (e-prescription), la
prescription est imprimée et remise aux patients sous forme papier
plutôt que directement envoyée aux pharmacies sous forme
numérique (e-transfert). L'informatisation du système ambulatoire
de soins n'est pas beaucoup utilisée pour l'envoi de lettres de
recommandation à des spécialistes, ni pour la recherche
d'informations médicales sur Internet par des médecins généralistes.
Le système est principalement considéré comme une base de
données utile pour l’archivage des résultats de tests de diagnostic et
des enregistrements des consultations avec les patients. Selon le
système d'évaluation des performances du Laboratoire de gestion et
de santé (MeS Lab) de l'école Sant'Anna de Pise, les dernières
données disponibles sur la prescription électronique dans l'une des
régions italiennes les plus numérisées, la Toscane, montrent que la
e‑prescription est utilisée par 75% des généralistes pour les
médicaments, mais seulement par 16,5% d’entre eux pour les visites
de spécialistes (Vainieri et al 2016).
5 La faible utilisation d'un ordinateur connecté pour collaborer avec
d'autres professionnels (par exemple les pharmacies ou les
spécialistes) peut s'expliquer par des barrières culturelles
(perception de la faible utilité de ce type d'applications TIC) et des
facteurs organisationnels, technologiques ou infrastructurels
externes (disponibilité ou interopérabilité) des dossiers de santé ou
des systèmes d'ordonnances électroniques. Au contraire, la situation
des médecins de famille évolue. Les solutions TIC sont de plus en
plus disponibles à partir de réseaux externes, tels ceux des
laboratoires et des pharmacies. Le phénomène du « patient expert »
par recours à Internet à des fins de santé (le « e‑patient »)
augmentent de façon drastique (Richards et al 2013). Néanmoins, il
semble que les médecins prennent lentement conscience des
opportunités offertes par les innovations technologiques, au-delà
des risques qu'ils intègrent parfaitement.
6 Il y demeure une réticence au regard des grandes quantités
d'informations liées à la santé sur Internet, non contrôlées ni
autorisées par une entité experte. Les risques sont liés à
l'augmentation trompeuse de la confiance en soi des personnes, à
l’opposé de leur connaissance réelle sur la santé ou à leur
autonomisation. L'utilisation d'Internet par les patients peut faciliter
l’éducation thérapeutique et l’empowerment. Cette situation est
bénéfique ou dangereuse, selon : (i) la capacité d'un individu à
reconnaître des informations véridiques et à prendre des décisions
appropriées en matière de santé ; (ii) une bonne compréhension de
l'information sur la santé sur Internet ou, inversement, de son
interprétation trompeuse ou erronée, avec une inadaptation
délétère des comportements et des résultats en matière de santé ;
(iii) l'utilisation des informations collectées en ligne, peuvent
conduire à des sollicitations inappropriées de médecins ou à une
adhésion plus profonde des patients aux processus de prise de
décision concernant leurs soins. Cela peut affecter la relation
médecin-patient, car les patients deviennent plus (bien ou mal)
informés.
7 Une étude menée en Toscane (De Rosis & Barsanti, 2016) a montré
que le rôle des médecins généralistes reste très important, car le
paradigme de l'empowerment (qui intègre l'utilisation d'Internet par
les patients pour rechercher des informations), implique une
redéfinition des rôles dans la relation médecin-patient. Un
partenariat productif avec le médecin de famille, englobant sa
légitimation de l'information trouvée en ligne pourrait favoriser une
« bonne » éducation thérapeutique, la prévention primaire et une
autonomisation appropriée (combler le fossé entre l'éducation
sanitaire des patients en ligne et les décisions favorables en matière
de santé). Les résultats de cette étude, analysant le comportement du
partage d'informations en ligne avec le médecin généraliste,
montrent que les e‑patients impliquent davantage leur médecin
généraliste lors du recours à la e‑santé, s'ils se sentent plus
impliqués par leur généraliste dans les processus décisionnels. (Rosis
et Barsanti, 2016).
8 Cela confirme l'idée que le e‑patient « autonomisé » est quand même
dépendant d'une relation forte avec son médecin de famille et que le
généraliste joue un rôle crucial sur les choix des patients lors du
recours à Internet en partenariat lors des consultations de routine,
pour aborder leur santé sur un plan global et leur bien-être, au-delà
de la seule maladie. Le partage d'informations avec les patients
permet de les éduquer, compte tenu de leurs préférences et de leurs
valeurs. La participation des personnes aux décisions concernant
leurs soins, leur permet d'être des partenaires actifs dans leur
autogestion de la santé.
9 C'est une étape importante du processus de transformation continue
de la place des patients dans le système de santé. Alors que les
personnes sont de plus en plus informées sur leur santé et utilisent
de plus en plus Internet pour collecter des informations, les canaux
« officiels » que le système de santé met en place ne sont pas utilisés
de manière appropriée. Les résultats de la recherche mentionnée ci-
dessus de De Rosis et Barsanti (2016) indiquent qu'il faudrait faire
davantage d'efforts pour promouvoir « l'alphabétisation »
informatique des personnes et, pour qui utilise déjà Internet à des
fins de santé, faciliter et soutenir une bonne éducation
thérapeutique en ligne. Le système de santé doit fournir ou faciliter
la disponibilité en ligne et l'accès à des informations scientifiques
fiables, en certifiant les sites web de santé ou en fournissant des
informations sur un site officiel, tel que le site britannique NHS
Choices.
10 Au contraire, la communication en ligne de l'organisation de l’offre
de santé n'est actuellement pas prise en compte comme elle devrait
l’être, dans les pays non anglo-saxons. En Italie, par exemple, une
étude de deux ans sur les 167 sites de 13 régions italiennes (financée
par les régions italiennes en collaboration et menée par le
laboratoire MeS) décrit la manière dont les organisations de soins de
santé italiens communiquent avec les personnes utilisant leurs sites
Web. En particulier, il a été vérifié que la communication en ligne
des hôpitaux publics italiens et des autorités sanitaires locales est
lisible et compréhensible pour les personnes ayant un niveau
d'éducation et un niveau d'alphabétisation numérique adapté. Les
résultats de cette étude montrent qu'en Italie, la communication en
ligne des organisations de santé n'est toujours pas structurée en
tenant compte de l'alphabétisation et de la culture en santé des
personnes qui naviguent sur Internet : en d'autres termes, leurs sites
Web ne sont pas compréhensibles pour une partie des utilisateurs
potentiels. Les sites Web des organismes de soins de santé sont
construits au regard des besoins des organismes de soins de santé
plutôt qu’au regard des besoins des lecteurs potentiels. Compte tenu
des phénomènes décrits ci‑dessus, les organismes de santé devraient
fournir non seulement une information de bonne qualité, mais plus
compréhensible et lisible en ligne, en utilisant leurs canaux officiels.
Inversement, les utilisateurs qui font des recherches sur d'autres
sites Web, s’exposent à des informations de mauvaise qualité ou à
des fausses informations.
11 En outre, l'utilisation d'autres services de santé numériques est
encore en devenir en Italie, par exemple le dossier médical
numérique. C’est le cas aussi en France.
12 À l'heure actuelle, 13 régions italiennes sur 20 ont adopté et mis en
œuvre le dossier médical numérique. Seules 9 régions ont des usages
différents (Pattaro 2017). La Toscane est parmi ces dernières régions.
Le dossier médical numérique en Toscane est accessible par carte à
puce, avec l'utilisation d'un lecteur pour l'activation et le premier
accès, ou en utilisant le Système Public d'Identité Numérique (SPID).
Il est accessible en ligne via l'application mobile régionale (SMART
SST). Il permet la collecte de données, d'informations, de résultats de
tests diagnostiques et de dossiers médicaux, tous produits par le
système de santé. Il présente un journal personnel pour le citoyen
qui peut recueillir des informations supplémentaires. Dans ce cas
également, les données du système d'évaluation des performances
montrent une utilisation limitée du dossier médical numérique par
les patients, avec une grande variabilité entre les organisations : le
dossier médical numérique a été activé par moins de 30% de la
population toscane ; seulement les 3,5% des résultats des tests de
laboratoire ont été utilisés (dans une gamme de 0,2% à 6,3% parmi
les organisations) (Vainieri et al 2016).
13 Ceci suggère la nécessité urgente de la prise en compte des deux
exigences, à savoir l’éducation thérapeutique et les préférences des
personnes ou des patients potentiels, en plus de leurs besoins
d'information pour construire des outils utiles pour des experts.
Dans l'ère « post‑vérité », il est important de considérer les outils
numériques comme des opportunités d'amélioration de la
participation et l'autonomisation des patients. Il y a lieu de faire face
aux risques d'impacts négatifs des informations inexactes ou fausses
sur le rôle du patient dans le système de santé.
http://www.quotidianosanita.it/allegati/allegato2889009.pdf
NHS Choices - Your health, your choice. 2013. Accessed on 15 February 2018 from:
http://www.nhs.uk/Pages/HomePage.asp

BIBLIOGRAPHIE
S. De Rosis & S. Barsanti, (2016). Patient satisfaction, e-health and the evolution of the
patient–general practitioner relationship : Evidence from an Italian survey. Health Policy,
120(11), 1279-1292.

S. De Rosis & C. Seghieri, (2015). Basic ICT adoption and use by general practitioners: an
analysis of primary care systems in 31 European countries. BMC medical informatics and
decision making, 15(1), 70.

Osservatorio Digitale in Sanità - School of Management del Politecnico di Milano – (2017).


Gli ambiti chiave dell’innovazione digitale nelle aziende sanitarie. Report.

M. Moruzzi, (2009) E-Health e Fascicolo Sanitario Elettronico, Il Sole 24 Ore, Milano.


A. F. Pattaro, (2017) Fascicolo sanitario elettronico, stato dell’arte (adozione nelle Regioni,
contenuti, modalità). Agenda Digitale. Accessed on 19 February 2017 :
https://www.agendadigitale.eu/sanita/fascicolo-sanitario-elettronico-stato-dellarte-
adozione-nelle-regioni-contenuti-modalita/

T. Richards, V. M. Montori, F. Godlee, P. Lapsley, D. Paul, (2013) Let the patient revolution
begin. BMJ ; 346:f2614.

P. Tarallo, (2012) Verso e-Health 2020. Casi di successo italiani ed esperienze internazionali.
Il Sole 24 Ore. Milano.

M. Vainieri, L. d'Amato, S. Podetti, D. Cerasuolo, (2016). "Il Sistema di Valutazione della


Performance della Sanità toscana - Report 2015.

AUTEUR
SABINA DE ROSIS

Laboratoire de gestion et de santé (MeS Lab) de l'école Sant'Anna de Pise (Italie)


L'impact du numérique sur la
relation de soins
Télémédecine, santé connectée,
éthique numérique : enjeux de la
médecine au XXIème siècle
Pierre Simon

I – L’émergence d’un besoin de télémédecine


et de santé connectée au XXème siècle
1 Nul ne conteste aujourd’hui que le XXIème siècle est marqué par la
révolution numérique, comme l’ont été le XIXème siècle par la
révolution industrielle et le XVème siècle par l’invention de
l’imprimerie. Beaucoup de métiers vont être bouleversés au cours de
cette ère numérique, celui du médecin entre autres. Fondé depuis
plus de deux mille ans (Hippocrate, 460 à 370 avant J-C) sur une relation
directe avec son malade, cette relation asymétrique dite paternaliste
a été décrite comme « la rencontre d’une conscience et d’une
confiance » dont le caractère contractuel fut reconnu en 1936 dans
l’arrêt Mercier. Il garantissait au patient le secret médical dont le
fondement légal fut inscrit dans le premier Code Pénal de 1810. Cet
exercice médical traditionnel est aujourd’hui dépassé et bouleversé
par les possibilités offertes par les technologies numériques,
lesquelles permettent de partager les données personnelles de santé
entre plusieurs professionnels de santé, avec le risque permanent de
leur violation. Il faut reconnaître aux pouvoirs publics français
l’intelligence politique d’avoir anticipé précocement un tel risque.
En 1978, bien avant que la révolution numérique proprement dite
débute (l’accès à internet), la France s’est dotée d’une loi
« Informatique et libertés » qui garantit la confidentialité des
données de santé à caractère personnel. Cette loi, régulièrement
mise à jour, permet aujourd’hui d’accompagner les nouvelles
pratiques médicales de télémédecine, l’usage des objets connectés et
des applis mobiles (IoT) à finalité médicale et le développement de
l’intelligence artificielle (IA) en santé.
2 La télémédecine est apparue au XXème siècle, il y a près d’un siècle.
Elle est pratiquée officiellement depuis 1920, année de la première
licence publiée à New-York et attribuée à une radio de service
médical destinée aux bateaux transatlantiques. Les premières
téléconsultations ont eu lieu au début des années 60 au Nebraska
Psychiatric Institute. La première visioconférence médicale entre les
Etats-Unis et la Suisse eut lieu en 1965. Le premier congrès
international de télémédecine s’est tenu en 1973 au Michigan, lequel
fut l’occasion du lancement de nombreux projets. Grâce aux liaisons
par satellites, la télémédecine commence à se développer vers la fin
des années 1970 par le biais de programmes de recherche instruits
par des organisations et/ou institutions spécialisées confrontées
directement au problème de l’accès aux soins de personnes situées
dans des lieux inaccessibles ou difficilement accessibles. Par
exemple, la NASA va mettre en place des programmes de
télémédecine pour ses astronautes et l’armée américaine des
systèmes de téléassistance pour délivrer les premiers soins aux
blessés sur les champs de bataille du Vietnam. Les stations d’étude et
de recherche en Antarctique, ainsi que les stations d’exploitation
pétrolière dans les océans vont contribuer au développement de
technologies appliquées à la télémédecine. Toutefois, les faibles
performances technologiques, les coûts élevés et surtout une
mauvaise coordination des réseaux satellitaires constitueront des
freins au développement jusqu’à la fin des années 80 1 .
3 La renaissance officielle de la télémédecine date de la fin des années
80 en Norvège, en France et au Québec (1). Le terme e-santé fut créé
au décours de l’étude nationale de télémédecine conduite en
Australie par John Mitchell, dont les résultats furent présentés au
Congrès international de télémédecine de Londres en 1999.
L’ingénieur informaticien australien définissait l’e-santé comme
« l’usage combiné de l’internet et des technologies de l’information à
des fins cliniques, éducationnelles et administratives, à la fois
localement et à distance », et affirmait que le coût-efficacité en santé
était meilleur que celui de la télémédecine (2). Les promoteurs du
nouveau concept affirmaient également que « l’e-santé pourrait être
considérée comme une industrie de la santé relevant du e-
commerce », portée par des non-professionnels de santé, alors que la
télémédecine était portée uniquement par les professionnels de
santé médicaux (3).La France fut le premier pays européen à lancer
dès 2000 un programme e-santé 2000 doté d’un financement public de
20 millions d’euros. Ce programme n’eut pas l’impact attendu tant
sur le développement de l’informatisation médicale dans les
établissements hospitaliers que sur celui de la télémédecine dont les
priorités à l’époque étaient les réunions de concertation
pluridisciplinaires du 1er plan cancer et le plan périnatalité. Cet
échec donna lieu à un nouveau plan national sur la période
quinquennale 2012-2017, décidé en Conseil des ministres le 9 juin
2011, centré spécifiquement sur la télémédecine 2 .
II – L’impact des nouvelles technologies
numériques sur l’exercice de la médecine au
XXIème siècle
4 Le médecin du XXIème siècle dispose désormais de nouveaux moyens
pour traiter les personnes malades, lesquels génèrent de nouvelles
responsabilités et obligations. L’égalité d’accès aux soins est un droit
fondamental du citoyen français inscrit dans le préambule de la
Constitution de 1946. Il existe aujourd’hui des inégalités d’accès aux
médecins et aux soins pour les populations vivant dans des zones
dites en sous-densité médicale, appelées improprement « déserts
médicaux », car dans la grande majorité des cas la difficulté d’accès
est plus une indisponibilité médicale qu’une difficulté géographique,
comme vient de le montrer un récent rapport 3 . La santé digitale,
comme la télémédecine, peut corriger certaines de ces inégalités
d’accès aux médecins. C’est le devoir de l’Etat de mettre en place un
réseau numérique sur l’ensemble du territoire national qui permette
à tous les citoyens d’accéder à distance à une téléconsultation de
soin primaire ou spécialisé et aux médecins de soin primaire
d’accéder à des téléexpertises avec les médecins spécialistes. Lors
d’une audition récente au Sénat, l’Autorité de régulation des
communications électroniques et de la poste (ARCEP) a reconnu que
8 millions de citoyens français n’avaient pas encore accès au
numérique 4 .
5 Lorsque le médecin et le patient ont accès à un réseau numérique,
celui-ci permet de pratiquer la télémédecine. Ainsi, de nouvelles
obligations vis-à-vis des patients apparaissent (A). Le numérique va
également transformer à termes plusieurs métiers de la santé en
donnant une place aux robots et aux applications de l’IA (deep
learning en particulier). A cause des bénéfices certains apportés par
l’IA en matière de fiabilité et sécurité diagnostiques et
thérapeutiques, le risque d’un accident médical de nature
préventive, diagnostique et thérapeutique peut être réduit, faisant
émerger ainsi de nouvelles obligations pour les professionnels
médicaux (B). Enfin, avec l’arrivée des robots et de l’IA une nouvelle
approche éthique dite « numérique » commence à apparaitre 5 (C).

A – Lorsque le médecin a accès au moyen de


télémédecine, ses obligations vis-à-vis des patients
peuvent être élargies

6 Comme l’ont rappelé les arrêts de la Cour de cassation du 28 juin


1989 et du 4 janvier 2005 le médecin, dans l’exercice de son art, n’est
tenu qu’au respect d’une obligation de moyen et non de résultat 6 .
Le résultat médical étant aléatoire, le médecin n’est pas tenu de
guérir un patient. Il doit fournir tous les moyens nécessaires, au
regard des données acquises de la science, pour tenter de guérir ou
de soulager la douleur du patient. On peut donc s’interroger sur le
nouveau moyen que représente la télémédecine en rendant plus
rapides et plus larges les possibilités d’accès aux soins, améliorant de
ce fait les moyens dont dispose un médecin traitant pour exercer son
art auprès de ses patients.
7 L’acte médical traditionnel de consultation en face à face repose sur
un dialogue singulier entre le médecin et son patient, complété si
nécessaire d’un examen physique, et la consultation du dossier
médical. La réalisation d’un examen physique au cours de la
consultation a été considérée pendant longtemps comme la
condition préalable et obligée à toute prescription de médicaments
7 . Cette position a évolué avec la loi du 13 août 2004 qui autorise
l’acte médical par télémédecine 8 , mettant ainsi fin à l’interdiction
de l’exercice médical à distance. Cette loi reconnaît aussi la
délivrance d’une ordonnance de soins ou de médicaments par
messagerie sécurisée à la condition que l’auteur de la prescription
soit « dûment authentifié, que la prescription ait été établie,
transmise et conservée dans des conditions propres à garantir son
intégrité, sa confidentialité et à condition qu’un examen clinique du
patient ait été réalisé préalablement sauf à titre exceptionnel en cas
d’urgence » 9 . Elle met ainsi un terme à l’interdiction d’utiliser une
« méthode épistolaire de consultation » 10 .
8 La télémédecine ne modifie pas fondamentalement l’acte intellectuel
traditionnel du médecin. Elle permet de le réaliser dans des
conditions et des situations qui améliorent l’accès aux soins, leur
qualité et leur sécurité. Le médecin agit alors « sous le contrôle de sa
conscience et dans le respect des règles professionnelles » 11 . C’est
ce qu’a reconnu le Conseil national de l’ordre des médecins (CNOM)
dans son livre blanc sur la télémédecine publié en janvier 2009 12 .
9 Les conditions d’exercice de la télémédecine en France sont
désormais inscrites au Code de la santé publique (1), créant de
nouvelles obligations pour les médecins (2).

B – Le cadre légal et réglementaire des pratiques de


télémédecine est inscrit au Code de la santé publique

10 La définition de la télémédecine est posée juridiquement à l’article


L 6316-1 du Code de la santé publique issu de la loi « Hôpital,
patients, santé et territoires » (HPST) du 21 juillet 2009. Aux termes
de ce texte, « la télémédecine est une forme de pratique médicale à
distance utilisant les technologies de l’information et de la
communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient,
un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure
nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d'autres
professionnels apportant leurs soins au patient. Elle permet d’établir
un diagnostic, d’assurer, pour un patient à risque, un suivi à visée
préventive ou un suivi post‑thérapeutique, de requérir un avis
spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire des
produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes, ou
d'effectuer une surveillance de l'état des patients. La définition des
actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de mise en œuvre et
de prise en charge financière sont fixées par décret, en tenant
compte des déficiences de l'offre de soins dues à l'insularité et
l'enclavement géographique. »
11 Le décret du 19 octobre 2010 pris en application de cette disposition
législative identifie cinq types d’actes médicaux qui constituent les
pratiques de la télémédecine :
La téléconsultation qui permet à un professionnel médical de donner une consultation
à distance à un patient. Un professionnel de santé peut assister le patient au cours de
cette consultation ;
La télé expertise qui permet à un professionnel médical de solliciter l’avis d’un ou de
plusieurs professionnels médicaux experts à partir d’éléments du dossier médical du
patient ;
La télésurveillance médicale qui permet à un professionnel médical d’interpréter à
distance les données nécessaires au suivi médical du patient pour prendre des
décisions sur sa prise en charge ;
La téléassistance médicale qui permet à un professionnel médical d’assister à distance
un autre professionnel au cours de la réalisation d’un acte ;
La réponse médicale apportée dans le cadre de la régulation médicale.

12 Le décret précise, dans son chapitre 2, les conditions de mises en


œuvre d’une activité de télémédecine par le professionnel médical
en rappelant quelques obligations qui relèvent du droit commun de
l’exercice médical, comme l’obligation d’informer le patient sur le
moyen utilisé et de recueillir son consentement 13 , l’obligation de
garantir l’authentification des professionnels de santé intervenant
dans l’acte, l’identification du patient, l’accès des professionnels de
santé aux données médicales du patient nécessaires à la réalisation
de l’acte, la formation ou la préparation du patient à l’utilisation du
dispositif de télémédecine lorsque la situation l’impose 14 , et enfin
l’obligation pour chaque professionnel médical intervenant dans
l’acte d’inscrire dans le dossier du patient le compte rendu de la
réalisation des actes et des prescriptions médicamenteuses effectués
dans le cadre de la pratique de télémédecine, l'identité des
professionnels de santé participant à l'acte, la date et l'heure de
l'acte, les incidents techniques survenus au cours de l'acte, le cas
échéant 15 . Les obligations des organisateurs d’une activité de
télémédecine figurent au chapitre 3 du décret 16 .

C – Les nouvelles obligations pour le médecin


d’améliorer l’accès aux soins et leur continuité par les
moyens de télémédecine et de santé connectée

13 Le programme de télémédecine arrêté par les pouvoirs publics en


juin 2011 visait à améliorer l’accès aux soins dans cinq domaines
prioritaires : l’accès à l’imagerie médicale pendant la permanence
des soins, l’accès à la thrombolyse dans les 3 à 4h30 qui suivent le
début d’un accident vasculaire cérébral ischémique, l’accès à des
téléconsultations spécialisées (psychiatrie, dermatologie,
cardiologique) dans les établissements pénitentiaires, l’accès à des
téléconsultations spécialisées dans les structures médico-sociales,
dont les établissements d’hébergements pour personnes âgées
(Ehpad), notamment lorsque les personnes handicapées ne peuvent
se déplacer, l’accès à une télésurveillance médicale au domicile dans
certaines maladies chroniques, telles que l’insuffisance cardiaque
chronique, l’insuffisance rénale chronique, l’insuffisance
respiratoire chronique, le diabète, les troubles du rythme cardiaque,
dans le but de prévenir les complications à l’origine
d’hospitalisations évitables. Ce programme prioritaire a tardé à être
pleinement opérationnel à cause de l’opposition de l’Assurance
maladie obligatoire (AMO) en 2010 au financement des pratiques
professionnelles de téléconsultation et de téléexpertise dans le droit
commun de la Sécurité sociale (SS). La loi de financement de la
sécurité sociale (LFSS) de 2010, à son article 37, avait modifié deux
articles de loi, l’un dans le Code de la Sécurité sociale 17 autorisant
le financement dans le droit commun de la téléconsultation, l’autre
dans le Code de la santé publique 18 autorisant la pratique et le
financement de la téléexpertise entre deux médecins. Après avoir
tenté une expérimentation financière de financement dans un
périmètre limité à 9 régions françaises et aux patients atteints de
plaies chroniques, financement dérogatoire autorisé par la LFSS 2014
(art.36), l’expérimentation fut étendue à l’ensemble du territoire
national et aux quelques 11 millions de patients inscrits sur la liste
des affections de longue durée (ALD) par la LFSS 2017 (art.91). Les
pouvoirs publics prirent ensuite la décision, dans la LFSS 2018
(art.54), de financer les pratiques de téléconsultation par
vidéotransmission et de téléexpertise dans le droit commun de la SS
à la date d’entrée en vigueur des dispositions conventionnelles,
lesquelles fixeront les tarifs de ces pratiques au plus tard le 1er juillet
2019 19 . En attendant, les dispositions du financement dérogatoire
engagées avant le 31 décembre 2017 sur la base de l’arrêté du 26 avril
2016 sont maintenues jusqu’à la date d’entrée en vigueur des
dispositions conventionnelles 20 . Un premier avenant à la
Convention médicale de 2016, signé avec l’AMO le 1er mars 2017,
permet désormais aux médecins traitants de faire des actes de
téléconsultation aux résidents des Ehpad et des actes de
téléexpertise entre deux médecins généralistes de résidents d’Ehpad,
ces pratiques étant inscrites à la nomenclature des actes depuis le 31
octobre 2017 21 .
14 Le droit des obligations médicales dans la pratique de télémédecine a
été étudié dès 2006 par J.‑M. Croels (4). Le rapport ministériel de
novembre 2008 sur « la place de la télémédecine dans l’organisation
des soins » s’est largement inspiré de ce premier travail juridique
français 22 . Les responsabilités médicales engagées par le médecin
requérant ou requis au cours d’une téléconsultation, d’une
téléexpertise et d’une télésurveillance, selon que ces actes sont
réalisés par des agents du service public (praticiens hospitaliers), des
médecins salariés d’établissements privés ou des médecins libéraux,
sont analysés sous l’angle des responsabilité contractuelle et
délictuelle qui caractérisent la relation du médecin avec le patient.
Toutefois, le caractère contractuel de la relation d’un patient avec un
médecin spécialiste requis par le médecin traitant pour une
téléconsultation peut faire débat, J.‑M. Croels estime que la relation
avec le patient du médecin requis en télémédecine serait de nature
délictuelle 23 . Depuis la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002, le
fondement de la responsabilité médicale est redevenu délictuel en
application de l’article L.1142-1 du CSP suivant lequel « les
professionnels de santé médicaux ne sont responsables des
conséquences dommageables d’actes de prévention, de diagnostic ou
de soins qu’en cas de faute », ce qui renvoie à la faute délictuelle,
adaptée au domaine médical, des articles 1382 et 1383 du Code civil
24 . Les pratiques de télémédecine, comme la téléconsultation et la

téléexpertise, ont la particularité de créer la situation d’un mode


d’exercice médical collectif entre médecins qui peuvent avoir des
statuts juridiques différents, privé ou public. Il n’existe pas pour
l’instant de référence juridique sur ce mode d’exercice collectif entre
médecins de statut juridique différent. Dans une jurisprudence de
2010 deux établissements de santé publics ont été condamnés in
solidum pour une pratique fautive d’une téléexpertise en radiologie,
l’erreur diagnostique étant consécutive d’une faute commune aux
deux établissements 25 . Les médecins concernés étaient tous de
statut public.
15 L’obligation de requérir à des tiers compétents en cas de doute sur
un diagnostic médical s’appuie sur le code de déontologie médicale
26 et un arrêt de cassation 27 . Il existe aujourd’hui des situations

difficiles d’accès à des avis spécialisés, dues en particulier à des


délais de rendez-vous très longs qui peuvent créer de véritables
pertes de chance. Les pouvoirs publics mettent à la disposition des
médecins des solutions de téléconsultations et/ou de téléexpertises
qui peuvent raccourcir ces délais. Si le médecin dispose du moyen de
télémédecine, il se crée une obligation d’utiliser ce moyen, après
avoir reçu le consentement du patient, lorsque les autres moyens lui
paraissent inférieurs en termes de qualité ou de rapidité d’avis
diagnostic, notamment lorsqu’un retard diagnostic peut être à
l’origine d’une réelle perte de chance pour le patient.
16 Il existe d’autres domaines où l’engagement des professionnels
médicaux à garantir une pratique conforme aux principes éthiques
de la profession 28 trouve des applications en télémédecine. Par
exemple, quand le professionnel médical dispose du moyen de
télémédecine, il doit l’utiliser pour réaliser une téléconsultation chez
des patients handicapés qui ne peuvent se déplacer à son cabinet, au
nom des principes éthiques de bienfaisance et de justice. Lorsqu’une
organisation professionnelle et des moyens technologiques
numériques permettent une télésurveillance médicale au domicile
de patients atteints de maladies chroniques, le médecin doit
participer ou se coordonner avec les autres professionnels de santé
impliqués dans cette pratique de télémédecine afin de prévenir les
hospitalisations évitables et les venues aux urgences, souvent
génératrices d’aggravation de la maladie et de perte de chance pour
le patient.
17 En clair, les moyens de télémédecine et de santé connectée, lorsque
le service médical rendu au patient est reconnu au plan scientifique,
constituent de nouvelles données acquises de la science médicale (5),
moyens qui pourraient être invoqués si un accident médical était
rapporté à une perte de chance directement liée à la non-utilisation
de ces nouveaux moyens.

III – La nécessaire synergie entre


télémédecine, santé connectée et IA fait
émerger de nouvelles obligations pour le
médecin
18 L’irruption dans le champ de la santé de nouveaux moyens, comme
l’IA et les robots, caractérise l’accélération des technologies
numériques au XXIème siècle. Les risques (A) et les bénéfices (B) de
ces nouveaux moyens sur les soins doivent être clairement identifiés
afin qu’ils soient pris en compte pour garantir une approche
humaniste du nouvel exercice médical.

A – Le risque d’une deshumanisation de l’exercice


médical traditionnel ne peut être écarté

19 Ce risque est souvent avancé par ceux qui considèrent que les
technologies numériques, et les nouveaux moyens médicaux qu’elles
génèrent, peuvent conduire à faire « une médecine sans
médecin » (6). Une telle crainte n’est pas infondée lorsqu‘on présente
ces avancées technologiques comme des substitutions aux pratiques
médicales actuelles. Par exemple, le métier de chirurgien évolue
avec l’apparition des robots chirurgicaux. Le robot chirurgical
remplace le chirurgien dans l’acte opératoire, mais ce dernier reste
bien le pilote du robot-chirurgien à travers une console où il assiste
à distance les gestes du robot. Le chirurgien du XXIème siècle doit
donc se former à opérer avec l’assistance d’un robot, dont il surveille
les gestes qu’il peut à tout moment interrompre. Si un évènement
inattendu survient en cours d’intervention, auquel le robot n’est pas
capable de s’adapter, c’est bien l’intelligence humaine du chirurgien
qui reprend la main. La relation du chirurgien avec son patient sera
différente, mais non obligatoirement déshumanisée. Toutefois,
l’information préopératoire du patient sur les risques éventuels et
les bénéfices de l’acte opératoire robotisé devra être
particulièrement claire et adaptée. Le risque propre au robot devra
être expliqué. Le consentement du patient à un acte chirurgical
assisté d’un robot devra être recueilli.
20 Plus risquée est l’évolution de certaines pratiques de télémédecine
associées à l’usage de dispositifs médicaux et de robots humanoïdes
pilotés par les algorithmes du deep learning. La télésurveillance
médicale des maladies chroniques à domicile est une des principales
organisations innovantes qui caractérise la médecine du
XXIème siècle. Alors que les soins au XXème siècle étaient
essentiellement assurés par l’hôpital, les soins au XXIème siècle
seront organisés de plus en plus souvent au domicile même du
patient grâce aux solutions de la santé digitale. Ainsi, la surveillance
à domicile des patients atteints de maladies chroniques repose sur
des dispositifs médicaux dont la plupart disposent d’algorithmes
intelligents. Ils permettent le développement des services de
télémédecine, tels que définis par plusieurs directives européennes,
lesquelles considèrent ces services comme relevant du e‑commerce
29 . La France a décidé de s’engager dans cette voie nouvelle à

travers le programme ETAPES (Expérimentations de télémédecine


pour l’améliorations des parcours de santé) qui fera l’objet d’une
évaluation médico-économique en 2021 avant d’être présenté au
Parlement au moment de la LFSS 2022 30 . L’impact sur la qualité de
vie des patients de ces organisations professionnelles nouvelles
assurant une télésurveillance médicale (en mode synchrone ou
asynchrone) et un accompagnement thérapeutique sera
particulièrement étudié lors de l’évaluation réalisée par la Haute
autorité de santé.
21 D’autres pratiques de la télémédecine pourraient également être
déshumanisées, notamment lorsque la relation directe du patient
avec son médecin en consultation traditionnelle et programmée est
remplacée par des téléconsultations immédiates gérées par des
médecins intervenant par des plateformes téléphoniques 31 , voire
par des plateformes où le médecin est remplacé par un chatbot 32 .
Dans la LFSS 2018, les pouvoirs publics français ont souhaité préciser
que seules les téléconsultations par videotransmission 33 seraient
remboursées dans le droit commun de la SS. Cette mesure vise à
assurer une relation plus humaine et personnalisée que celle d’un
échange téléphonique ou par un chatbot. Il sera nécessaire de
considérer dans une future révision du décret de télémédecine de
2010 ce qui relève du téléconseil médical par téléphone, lequel
pourrait à terme être géré par un robot (de type chatbot), de la
téléconsultation par videotransmission dont la qualité doit se
rapprocher de la consultation en face à face. Cet objectif peut être
atteint grâce à l’usage d’objets connectés qui permettent au médecin
de recueillir à distance certains paramètres cliniques utiles à son
acte 34 . A l’inverse de la téléconsultation programmée qui se
rapproche de la consultation programmée traditionnelle, la
téléconsultation immédiate, rendue possible par les outils de la santé
mobile (smartphone, tablette numérique), répondrait à la demande
d’une société dite « de l’immédiateté » (7) qui souhaite en cas de
problème recevoir l’avis immédiat d’un assureur, d’un banquier et
aujourd’hui d’un médecin afin de connaître la conduite à suivre. Le
risque d’une deshumanisation de la relation patient-médecin par ces
nouvelles pratiques devient donc réel, de même que le risque
d’accident médical lié à une erreur d’appréciation du médecin qui ne
reçoit que des informations limitées ou une erreur d’orientation par
le robot « chabot ». Tous ces risques doivent être maitrisés.
22 En février 2017, le Parlement européen a demandé à la Commission
européenne de proposer des règles sur la robotique et l’intelligence
artificielle, en vue de garantir un niveau standard de sûreté et de
sécurité. Les députés européens soulignent que des normes
réglementaires pour les robots sont déjà envisagées dans plusieurs
pays et que l’UE doit prendre l’initiative pour fixer ces normes « afin
de ne pas être contrainte de suivre celles édictées par des pays
tiers » 35 .

B – Les bénéfices de l’IA pour les patients sont


prometteurs

23 Les bénéfices apportés aux patients par l’IA sont prometteurs et


probablement supérieurs aux risques encourus si son utilisation
s’appuie sur les données acquises de la science médicale. Nous
pouvons en donner plusieurs exemples dans le champ du diagnostic
médical. Le diagnostic d’images médicales en radiologie,
dermatologie, anatomopathologie, endoscopie digestive, cardiologie,
diabétologie etc. va être considérablement amélioré par l’IA et les
algorithmes du deep learning. De nombreuses études dans la
littérature scientifique médicale le démontrent (8) ou le
suggèrent (9). De même, la médecine deviendra plus prédictive et
donc plus préventive avec la possibilité offerte par l’IA d’explorer le
génome humain et d’y découvrir les gènes de prédisposition à des
maladies graves comme des cancers ou des maladies
cardiovasculaires. Il sera possible alors de mettre en place des
traitements plus personnalisés (10). Toutes ces évolutions
technologiques majeures en matière d’assistance au diagnostic
médical et à la décision thérapeutique sont portées aujourd’hui par
des centres hyperspécialisés dont le nombre reste limité. La
télémédecine doit permettre aux patients et aux médecins d’accéder
à ces nouveaux moyens qui apportent de réels bénéfices aux patients
en ce qu’ils permettent de développer une médecine plus préventive
et personnalisée (11). Cette médecine dite 5P doit s’appuyer sur les
preuves scientifiques d’un service médical rendu aux patients. 36
24 Il est indiscutable que l’IA aura un impact sur certains métiers de la
santé, notamment les métiers des spécialités médicales dont la
démarche diagnostique repose sur l’analyse d’images. Les solutions
diagnostiques apportées par les algorithmes du deep learning vont
rivaliser avec la démarche diagnostique de l’intelligence humaine.
De nombreuses études montrent aujourd’hui que les diagnostics
posés par ces algorithmes de l’IA sont plus performants que ceux
posés par l’intelligence humaine du médecin. Le métier des médecins
va évoluer et non disparaitre. L’intelligence humaine, notamment
émotionnelle, sera toujours nécessaire pour expliquer certains
diagnostics aux patients. Contrairement à ce que pensent certains,
l’exercice de la médecine au XXIème siècle peut être plus humaniste,
car elle sera moins technique pour le médecin, la techno-médecine
étant assurée par l’IA, et plus humaniste car le dialogue avec les
patients sera totalement rénové. Le médecin devra acquérir
davantage de connaissances dans les sciences sociales.

IV — Une nécessaire approche éthique dans


l’usage du numérique en médecine
25 Le développement du numérique dans le champ de la santé crée un
besoin grandissant de poser des repères éthiques. La société doit gérer
une période transitionnelle qui va d'une médecine caractéristique des
connaissances et des moyens du XXème siècle, qui a marqué plusieurs
générations de médecins encore en activité, à cette nouvelle
médecine du XXIème siècle qui sera celle des nouvelles générations
de médecins, enfants de la révolution numérique. Les
comportements changent et c’est la raison pour laquelle l’éthique est
nécessaire (étymologiquement du grec « ethos » ou « étude du
comportement »). Faire une éthique de la technologie numérique est
la capacité à s’interroger non seulement sur le comportement des
médecins et des patients face à la technologie numérique, mais aussi
sur le comportement propre à la technologie. Dans l’IA de type deep
learning, les algorithmes ont une capacité d’apprentissage et d’auto-
enrichissement à partir des données acquises, augmentant
régulièrement leur performance, avec l’objectif à terme de se passer
de l’intervention humaine 37 . Aucune technique n’est neutre par
essence, et l’éthique du numérique en santé ne peut se limiter à
définir les bons et les mauvais usages. L’éthique du numérique en
santé doit identifier les éventuels conflits de valeurs entre le
comportement de la technologie et l’éthique médicale, ainsi que les
droits des personnes. Par exemple, les algorithmes du deep learning
qui sont utilisés dans les dispositifs médicaux et autres objets
connectés à finalité médicale pour la télésurveillance médicale à
domicile des patients atteints de maladies chroniques s’enrichissent
des données de santé à caractère personnel identifiées au fur et à
mesure de la surveillance des maladies. C’est la raison pour laquelle
une transparence de ces algorithmes doit être exigée, comme le
rappelle le rapport de synthèse de la mission France Intelligence
Artificielle 38 , afin de vérifier si les données de santé à caractère
personnel ne sont pas utilisées à d’autres fins que l’intérêt du
malade. De nouveaux rapports devraient être publiés en 2018 39 .
Ces différentes contributions serviront à enrichir la révision des lois
bioéthiques prévue en 2018. Les professionnels de santé s’émeuvent
aussi des possibles dérives dans l’usage de l’IA et prônent un
humanisme numérique (12).

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Editions, 2017

NOTES
1. Histoire du développement de la télémédecine dans Place de la
télémédecine dans l’organisation des soins, rapport ministériel Simon-
Acker, novembre 2008, pp 97-99.
2. http://www.ticsante.com/story.php?
newsPage=1&story=975&story=975
3. Déserts médicaux : comment les définir ? Comment les mesurer ?,
Rapport de la DREES, 11 mai 2017. http://drees.solidarites-
sante.gouv.fr/etudes-et-statistiques/publications/les-dossiers-de-la-
drees/article/deserts-medicaux-comment-les-definir-comment-les-
mesurer
4. ARCEP, communication au Sénat, 25 octobre 2017.
https://www.arcep.fr/index.php?
id=8571&no_cache=1&tx_gsactualite_pi1%5Buid%5D=2087&tx_gsact
ualite_pi1%5Bannee%5D=2017&tx_gsactualite_pi1%5Btheme%5D=0&
tx_gsactualite_pi1%5Bmotscle%5D=D%C3%A9sert%20num%C3%A9riq
ue&tx_gsactualite_pi1%5BbackID%5D=2122&cHash=8fe4bd1d500748
d0290b8bad1fee7326
5. Les enjeux scientifiques de l’éthique du numérique. Conférence-
Débat, Institut de France, Académie des Sciences, 23 mai 2017,
http://www.academiesciences.fr/pdf/conf/debat_230517.pdf
6. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?
idTexte=JURITEXT000007022877
https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?
idTexte=JURITEXT000007050651
7. Ancien article R. 5194 du Code de la santé publique.
8. Art.32 de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance
maladie abrogé le 21 juillet 2009 et remplacé par l’art.78 définissant
la télémédecine dans la loi Hôpital, Patients, Santé, Territoire (HPST)
promulguée le 21 juillet 2009.
9. Art. 34 de la loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance
maladie.
10. Conseil d’Etat du 29 octobre 1990, n° 110.332, M. Diennet et 5 avril
1991, n° 119-593, M. Diennet. Il s’agissait de la condamnation d’un
médecin qui après une conversation téléphonique avait adressé deux
lettres au malade pour établir son diagnostic.
11. https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?
idTexte=JURITEXT000007022877
12. https://www.conseil-
national.medecin.fr/sites/default/files/telemedecine2009.pdf
13. Art. 6316-2 du CSP.
14. Art. 6316-3 du CSP.
15. Art. 6316-4 du CSP.
16. Art. 6316-6 à art. 6316-11 du CSP.
17. L’art. L. 162-3 du CSS était modifié ainsi : « l’exigence que les
consultations médicales soient données au cabinet du praticien, sauf
lorsque l'assuré ne peut se déplacer en raison de son état, est écartée
lorsque les consultations sont pratiquées par le biais de la
télémédecine ».
18. L'article précisait que la disposition de l’article L. 4113-5 CSP,
qui « interdit à toute personne ne remplissant pas les conditions
requises pour l'exercice de la profession de recevoir, en vertu d'une
convention, la totalité ou une quote-part des honoraires ou des
bénéfices provenant de l'activité professionnelle d'un membre de
l'une des professions régies par le CSP » ne s’appliquerait pas à la
télémédecine.
19. http://www.assemblee-nationale.fr/15/projets/pl0269.asp
20. L’article 36 de la loi n° 2013-1203 du 23 décembre 2013 de
financement de la sécurité sociale pour 2014 est abrogé à compter du
1er janvier 2018. Les dispositions réglementaires et les stipulations
conventionnelles prises en application de cet article continuent de
produire leurs effets jusqu’à la date d’entrée en vigueur des
dispositions conventionnelles fixant les tarifs des activités
mentionnées au I du présent article, et au plus tard au 1er juillet
2019.
21. https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?
cidTexte=JORFTEXT000034513580
22. P. Simon et D. Acker. La place de la télémédecine dans l’organisation des
soins. DGOS, novembre 2008.p.19-38.
http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_final_Telemedecine.pd
f.
23. Cadre juridique de la télémédecine in Le Droit des Obligations à
l’épreuve de la télémédecine, PUF Aix en Provence 2006.
24. Cassation, 1ère civile, arrêt Mimoun du 28 janvier 2010, suivi des
arrêts Seurt du 3 juin 2010 et Brussieux du 14 oct. 2010.
25. TA Grenoble 21 mai 2010.
26. Art. R. 4127-32 et R. 4127-33.
27. C 1ère Civ. 27 nov. 2008.
28. P. Le Coz, « Les principes éthiques et les émotions dans la décision
médicale », mt pédiatrie, vol. 12 , n° 6, novembre-décembre 2009.
http://www.jle.com/download/mtp-284025-
les_principes_ethiques_et_les_emotions_dans_la_decision_medicale
--WlnUx38AAQEAAAplJQIAAAAC-a.pdf
29. Directive 98/34/CE du parlement Européen et du Conseil du 22
juin 1998, http://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?
uri=CONSLEG:1998L0034:20070101:fr:PDF - Directive 2000/31/CE du
parlement européen et du Conseil du 8 juin 2000 relative à certains
aspects juridiques des services de la société de l’information, et
notamment du commerce électronique dans le marché intérieur
(“directive sur le commerce électronique”). http://eur-
lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?
uri=OJ:L:2000:178:0001:0016:FR:PDF
30. Art. 36 de la LFSS 2018.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?
idDocument=JORFDOLE000035771815&type=general&typeLoi=proj&l
egislature=15
31. Plusieurs mutuelles et assureurs ont créé au cours des 5
dernières années des plateformes de téléconsultations immédiates
autorisées par la Agences Régionales de santé.
http://www.eurogroupconsulting.fr/sites/eurogroupconsulting.fr/fi
les/document_pdf/livre_assurance.pdf
32. Le National Health Service expérimente depuis quelques mois un
Chatbot conversationnel qui permet de répondre à des questions
simples de santé et d’orienter l’appelant vers des téléconsultations
avec de « vrais » médecins en cas de situation complexe. Cette
expérience vise à libérer du temps médical.
http://www.wired.co.uk/article/babylon-nhs-chatbot-app
33. Art. 36 de la LFSS 2018.
https://www.legifrance.gouv.fr/affichLoiPreparation.do?
idDocument=JORFDOLE000035771815&type=general&typeLoi=proj&l
egislature=15
34. La cabine de téléconsultation H4D.
https://www.youtube.com/watch?v=OD2Dc1EJhKE
35. Parlement européen, 16 février 2017.
http://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-
room/20170210IPR61808/robots-les-deputes-veulent-des-regles-
europeennes-en-matiere-de-responsabilite
36. P. Simon, « La médecine 5P doit s’appuyer sur les preuves d’un
service médical rendu aux patients ». Novembre 2015.
http://fr.simplesite.com/builder/pages/preview3.aspx?
InitPreview=true&pageid=424107696
37. Ces propos adaptés à la santé numérique sont inspirés de
l’excellent rapport du CIGREF « Ethique et Numérique : une éthique à
réinventer ? » par Flora Fischer, juin 2014.
http://images.cigref.fr/Publication/2014-CIGREF-Ethique-et-
Numerique-une-ethique-a-reinventer-Rapport-mission-F-
FISCHER.pdf
38. Rapport de synthèse de la mission France Intelligence
Artificielle. Mai 2017
https://www.economie.gouv.fr/files/files/PDF/2017/Rapport_synth
ese_France_IA_.pdf
39. Livre blanc du CNOM sur « Médecins, Patients et Intelligence
artificielle qui sera présenté le 30 janvier 2018 et le rapport de la
mission Villani, annoncé pour février 2018.

AUTEUR
PIERRE SIMON

Ancien président de la Société française de télémédecine, Paris


Comment les nouvelles
technologies bouleversent-elles le
colloque singulier ?
Maurice Bensoussan

1 Les pratiques médicales sont aujourd’hui indéfectiblement liées à


l’avènement des nouvelles technologies. Le savoir, le diagnostic, la
thérapeutique paraissent enfin à la portée de tous, dans une facilité
qui ouvre sur autant de questions que d’appréhensions. Certains se
projettent dans la disparition de l’homme médecin, et d’autres
restent convaincus de la récurrence des débats sur l’épistémologie
médicale. Notre objectif est de proposer des repères pour cheminer
dans cette dialectique entre le colloque singulier médecin – patient
et les nouvelles technologies.

I – Les écueils
2 Ils oscillent entre deux pôles.

A – Surtout rester à la page

3 Aujourd’hui, une des normes est d’être à la page, de vivre avec son
temps. L’intelligence artificielle provoque un emballement
médiatique sans précédent qui se décline aussi vers ses applications
médicales. Comprendre cette vague et ses conséquences est
indispensable pour la médecine.
Etes-vous dans le Game ? Anglicisme qui signifie littéralement le jeu
et qui caractérise la vie dans toute sa hype. Il faut être à la pointe,
être là où ça se passe, être performant ».
Pour l’institut Gartner, il y a 5 étapes clés avant de mettre à la
disposition de tous une technologie révolutionnaire. Il décrit le cycle
de la hype :
L’enthousiasme des débuts
Les attentes démesurées
La désillusion
Le retour en grâce
Le succès.

4 L’institut Gartner place en 2017 l’intelligence artificielle générale


(machines qui permettent de penser comme un être humain), encore
au stade de l’enthousiasme.

B – C’était mieux avant

5 Bons nombres de confrères, à la pratique médicale équilibrée entre


humanisme et technicité, restent convaincus d’un apport limité de
ces nouvelles technologies, surtout en ce qui concerne le domaine
des soins courants et fréquents.

II – Une vieille histoire : l’homme augmente


6 Dès la préhistoire l’homme ne cesse de s’augmenter : les vêtements,
les outils (pierre, bronze…) pour prolonger la main… Après cette
augmentation mécanique, l’écriture pourrait correspondre à la
première augmentation cognitive.
Parallèlement, tout au long de l’histoire, l’homme a toujours cherché
à reproduire ses capacités : automates, machine à calculer… Mais ce
ne fut pas sans réticence, ni résistance.
Il suffit de se remémorer ce célèbre dialogue où Platon met en scène
l’inquiétude de Socrate devant le développement de l’écrit. Il
porterait atteinte aux acquis de la culture. L’écrit allait-il rendre les
gens idiots parce qu’ils cesseraient d’exercer leur mémoire ? Le
savoir qui ne serait plus transmis par la parole ne serait-il plus qu’un
semblant de savoir ? Socrate déplore le défigurement de la
connaissance et de la culture.
En 1785, trois siècles après Gutenberg, on pouvait lire cette critique à
propos des livres : La commodité de pouvoir trouver dans un instant
tout ce qu’on a besoin de savoir fait qu’on se dispense de
l’apprendre ».
Si en 2017 le monde de l’édition se porte encore bien, les libraires
existent toujours et les livres sous format numérique n’obtiennent
pas un plébiscite unanime, nous touchons déjà aux limites du
support papier pour augmenter notre mémoire.

III – La révolution numérique


7 L'intelligence artificielle est partout ». Le deep learning (ou apprentissage
profond par les tissus neuronaux), le machine learning (ou
apprentissage par la machine), les véhicules autonomes,
l'informatique cognitive, les drones commerciaux, les interfaces de
conversation ou encore les robots intelligents font partie des
technologies qui suscitent les attentes les plus fortes de la part du
public, des experts et des groupes industriels.
Les média grand public redoublent d’annonces spectaculaires, de
prémonitions à peine pondérées telles que : « Adieu radiologues,
dermatologues, et ophtalmologistes… remplacés par des docteurs in
silico ? … ».
Ray Kurzweil évoque une « singularité technologique » qui pour lui
est le moment où l’intelligence des machines deviendrait supérieure
à celle des hommes. 2045 serait la date de cette mutation globale
sans précédent et irréversible. Il décrit une amélioration indéfinie
des performances des ordinateurs, sans besoin même d’une
intervention humaine. Il y a une accélération des mutations qui
donnerait au progrès une dimension exponentielle selon le rythme
de la puissance des ordinateurs. Celle-ci double tous les 18 mois d’où
une multiplication d’un million en 30 ans.
Certains n’hésitent pas à franchir le pas d’une progression des
humains biologiques vers la non-biologie. Ces humains améliorés se
rapprochent de l’immortalité. Ils se projettent vers des analogies qui
permettraient en « scannant le contenu du cerveau humain de
capturer l’intégralité de la personnalité d’un individu, sa mémoire,
ses talents et son histoire ». L’esprit humain est dans ce modèle
partie intégrante de l’ordinateur et va fonctionner sur un mode
numérique.
Cette révolution numérique a également des incidences politiques et
sociales. La campagne électorale des dernières élections
présidentielles en France a vu confirmer que les robots allaient tuer
l’emploi. D’aucuns en ont tiré argument pour proposer un revenu
universel et le renfort d’un secteur tiers non marchand. La
technologie va faire disparaitre le travail humain, donc il faudra
investir dans l’économie sociale. Le risque annoncé est celui d’une
rupture d’équilibre entre transformation et remplacement.
Sur le plan médical, la dialectique entre mythe et réalité engage des
débats sur une médecine sans médecins. Ils sont aussi la nouvelle
thématique des échanges entre le corps médical et la technocratie
sanitaire.
L’évaluation des risques de cette révolution numérique est
indispensable. Elle concerne : les conflits d’intérêt, le pouvoir
politique comme économique, la technocratie sanitaire et le contenu
des soins, les GAFAM, l’égalité, la liberté, la confidentialité et le
secret…

IV – La médecine : secteur de pointe de


l’intelligence artificielle
8 Voilà plus de 50 ans que l’intelligence artificielle infiltre les
pratiques médicales. Elle améliore les actes techniques et porte
aujourd’hui l’ambition de les supplanter. Dans le contexte d’une
médecine, qui renoncerait à s’intéresser au malade pour ne
s’occuper que de la maladie, sans doute pourrait-elle avoir les
moyens de cette ambition.
L’intelligence artificielle développe d’ailleurs ses applications au-
delà du seul domaine de la technicité médicale, notamment dans le
champ de la psychiatrie. Plusieurs dates montrent l’antériorité des
projets :
1966 : Eliza >1er psychiatre artificiel
1972 : Parry >1er patient artificiel engagé dans un dialogue avec Eliza.
2000 : Alice > Son évolution en capacité.
9 Les agents conversationnels ont été comparés à des entretiens
menés par un psychiatre. L’évaluation de leur pertinence est positive
dans nombre de situations cliniques. Ils sont maintenant utilisés
pour la formation et l’aide au praticien.
Les systèmes experts en psychiatrie très utilisés entre 1980 et 1990
sont des bases de connaissances portées par un moteur d’inférence,
en particulier sur des pathologies telles que la psychose et la
dépression. Ils sont aujourd’hui moins utilisés.
Maintenant le développement concerne les assistants virtuels en
psychiatrie. Ils sont intéressants pour des e‑supervisions, e‑training
et aussi e‑thérapies dans une disponibilité 24 heures sur 24 qui limite
le recours au praticien et aux urgences. Le patient peut les utiliser en
amont de l’intervention médicale. D’une certaine manière, ils se
rapprochent des « compagnons » des maintenances informatiques
en proposant une forme d’accompagnement technique de base.

V – L’exercice de la médecine
A – Hippocrate et Gallien : Soigner le malade ou la
maladie

10 Leur débat engagé à quelques six cents années d’intervalle reste


d’actualité malgré les fulgurants progrès médicaux. Aujourd’hui,
dans des situations cliniques très ciblées, il est possible de limiter la
pratique médicale à un acte où il n’est pas nécessaire de connaître
son malade. Le médecin se dispense, voire même ne s’autorise plus à
l’interroger sur sa vie personnelle, sociale, familiale, professionnelle,
etc.

B – Le virtuel a des prétentions vers l’empathie : Le Film


« Her » de Spike Jonze

11 A l’instar de ce film remarquable, où l’homme tombe amoureux d’un


logiciel avec lequel il s’engage dans une relation, la question se pose
de savoir s’il est éthique de laisser le sujet malade, se faire prendre
au jeu de confondre la machine médecin avec l’être humain
médecin ?
En effet ces chatbots déjà perfectionnés, et de plus en capacité de
s’améliorer grandement, forment une brèche dans les pratiques
médicales. Ils vont proposer au sujet malade une empathie, sans que
celui-ci ne soit en mesure d’y percevoir la moindre virtualité. Ils
auraient de surcroît pour certains l’avantage supposé de libérer le
patient de devoir supporter un regard humain qui le jugerait.
Dans une situation démographique médicale tendue, ces outils
peuvent être d’une aide considérable pour les praticiens en leur
offrant non pas un remplaçant, mais un véritable assistant. Ils sont
en capacité, uniquement sur l’analyse du discours, d’adapter non
seulement les questions, mais surtout d’offrir une aide en temps réel
en détectant des signaux faibles ou forts qui permettront au
praticien non seulement d’avoir un tableau de bord de l’état de son
patient et de son évolution dans le temps, mais aussi d’être alerté en
cas de problème majeur.
12 Cette relation-là utilise l’adaptation comme seule modalité de
l’interaction, même si elle est évolutive et apprenante. Le risque, et
non seulement le fantasme, existe en arrière-plan de remplacer
l’homme médecin par le robot. Ces modèles relationnels ne tiennent
jamais compte de l’engagement personnel du médecin dans le soin,
alors que celui-ci est reconnu comme un vecteur thérapeutique
essentiel.
13 Si l’on se focalise sur le seul domaine des connaissances, nous savons
par contre aujourd’hui que le stock d’informations médicales
accumulées dépasse les capacités de leur traitement par le seul
homme, même augmenté. Cette mémoire numérique là et ses
capacités de traitement, de calcul, d’analyse sont essentielles au
progrès médical. Il convient cependant de se méfier des amalgames.
Ainsi ce que l’on appelle aujourd’hui médecine personnalisée, avec
des applications en oncologie, en ophtalmologie, est une orientation
autour des données (Data Driven Medecine), croisant les différentes
caractéristiques hétérogènes du patient (imagerie, biologique,
omique, tests neuropsychologiques, entretiens...). Elle s’appuie sur
l’analyse d’une masse de données et de connaissances dans une
capacité inégalée de vitesse et de précision améliorant les
diagnostics comme les traitements.
14 Mais que devient la place de la relation dans une telle pratique
médicale ? Les médecins confrontés prioritairement aux progrès des
technosciences ont compris l’importance d’intégrer les dimensions
techniques du soin aux acquis de leurs pratiques relationnelles. Ainsi
à Montpellier, des oncologues se sont mobilisés pour proposer à
leurs patientes atteintes d’un cancer du sein, toute une série de soins
de support au-delà des seules thérapeutiques dites « dures » de leur
cancer. Ils ont créé le Montpellier Institut du Sein (MIS), modèle qui
maintenant s’étend à d’autres territoires et à d’autres pathologies.
Les incidences thérapeutiques positives sont mesurées.

VI – La confrontation avec l’intelligence


artificielle
15 La fascination exercée par l’intelligence artificielle interroge sur ses
limites. Plusieurs portent l’ambition qu’elle ne restera pas qu’un
simple outil pour le médecin dans sa pratique ?
Elle nous rend déjà une vie professionnelle plus facile, plus agréable,
avec ces nouvelles technologiques qui facilitent les tâches cognitives.
A mesure de ses potentialités affichées, les interrogations se
multiplient. Elles portent sur :
16 – La nécessité et l’éthique de construire des machines
anthropomorphes
17 – Les effets même de l’intelligence artificielle sur l’être humain tels
que :
Le devenir de la mémoire des chauffeurs de taxis utilisant leur GPS
Le rapport dialectique entre délire – réalité et virtuel chez le psychotique
La place sociale des15% de la population incapable de manipuler les nouvelles
technologies
Les conflits d’intérêt, la médiatisation de l’intelligence artificielle
La sacralisation des smartphones comme relais d’information sur nos données
personnelles, de géolocalisation mais aussi d’activités personnelles, voire de nos
données de santé. L’intérêt des assurances, des mutuelles et demain des banques ou
autres pour ces informations personnelles
Notre relation avec notre double virtuel…

18 Guy Valencien à propos des robots en chirurgie, décrit l’habilité


supplémentaire du robot, l’amélioration des résultats et la réduction
des risques qui toutefois va de pair avec une dépossession de son
savoir-faire chirurgical. Son espoir est que ce gain de temps lui
permettra de plus s’intéresser à la relation qu’il aura avec celui ou
celle qu’il va opérer. Il évoluera alors vers un statut de
bio‑conseiller.

VII – Que souhaitons-nous comme


médecine ?
A – Mythes – Médecine – Science

19 Asclépios, l’Esculape des Romains, est le saint patron païen des


médecins.
C’est un demi-dieu, qui a pour père Apollon et pour mère une simple femme nommée
Coronis.
Le mythe rapporte qu’une fois instruit, Asclépios était devenu si habile dans l’art de
guérir, tant en chirurgie que dans l’administration des médicaments, qu’il a été
considéré comme le père fondateur de la médecine des hommes.
Il a été foudroyé par Zeus car il a utilisé son talent, non plus seulement pour soigner les
vivants, mais pour ressusciter les morts.

20 Les mythes sont-ils révolus, renvoyés aux oubliettes par l’avènement


d’une médecine purement scientifique ?
Ou encore : la médecine dite scientifique peut-elle être entièrement
assimilée à la science ? Si tel devient le cas d’une médecine réduite à
une science, il ne restera plus alors qu’à régler la question du
médecin et accessoirement celle du patient. Tous deux seront dans
cette hypothèse devenus des gêneurs.
Alors que faire des mythes dans ce système ? Ils sont pourtant le
fondement de la philosophie, qui elle-même fonde la science !
L’avènement d’une technoscience médicale ne peut-il se faire que
sur l’oubli de la médecine hippocratique ?
Cet oubli concerne le fait que la médecine est autant affaire de
connaissances et de techniques que d’hommes se penchant sur
d’autres hommes. Cette dimension introduit inévitablement la place
de l’imaginaire humain dans nos désirs, nos discours et nos actes.
A l’instar de Nietzche qui ne demandait pas ce que sait ou ne sait pas
la science mais ce que veut la science, il est essentiel de savoir ce que
nous voulons comme médecine.
Que serait la médecine si elle évitait la confrontation à la réalité
humaine ?

B – Les enjeux éthiques entre médecine et


technosciences (JJ Marimbert)

21 La réflexion éthique porte sur le lien entre risque et progrès. Elle


traite des questions morales et politiques, voire métaphysiques, avec
leurs incidences dans les sphères publiques mais aussi privées.
La bioéthique traite du problème, autant espéré que redouté, de la
maitrise technique de l’organique, qui sous-tend celui de la
« neutralité » de la technique.
JJ. Marimbert énonce plusieurs principes à prendre en compte
devant l’avancée de la technoscience et l’efficacité de l’acte médical.
Il développe :
la responsabilité (H Jonas),
l’éthique de la discussion (Habermas),
l’éthique de la conviction (Ricoeur).

C – Quelle actualité pour la clinique ?

22 La technicité médicale au sens large durant ces dernières décennies


a permis des progrès médicaux spectaculaires, dont certains étaient
juste inimaginables auparavant. L’accroissement des connaissances a
révolutionné les capacités diagnostiques et thérapeutiques de la
médecine, au prix parfois d’une tendance à couper symptômes et
pathologies de leur contexte de survenue. Ils ont pu ainsi devenir des
objets extérieurs à l’individu qui les porte. Certes les dimensions
dites environnementales sont de plus en plus prises en compte dans
l’approche des pathologies, mais elles sont souvent abordées comme
extérieures au sujet.
L’examen clinique dans certaines spécialités, ne constitue plus la
démarche diagnostique initiale. Il perd de sa pertinence voire même
disparait, au profit des données d’explorations complémentaires de
l’être humain, plus précises, plus fiables, même moins traumatiques.
Elles sont devenues indispensables dans l’évaluation des lésions du
corps humain.
Cette disparition de la clinique traditionnelle paraît aller de pair
avec la disgrâce des dimensions relationnelles des métiers médicaux,
où certaines organisations sanitaires vont jusqu’à se fonder sur
l’interchangeabilité des professionnels de santé.
Pourtant au-delà des progrès, les pathologies perdurent, comme les
rechutes, récidives et résistances aux traitements sans compter
l’émergence de nouvelles maladies. L’approche technique, dite
scientifique, d’une pathologie séparée du patient tend très
timidement à se pondérer, mais elle reste encore largement portée
par une approche médicale divisant le psychique et le somatique,
c’est-à-dire divisant le corps et l’âme.
Cette division, qui accompagne la remarquable efficacité technique
du progrès médical, se heurte néanmoins à l’entêtement de la réalité
clinique. Celle-ci continue imperturbablement de s’inscrire dans la
complexité interdisant de réduire l’homme à une mécanique.
Des médecins, des cliniciens, des chercheurs soulignent le risque de
pratiques médicales qui se limiteraient à l’efficacité d’actes ciblés, à
une approche de la personne réduite à sa seule dimension
corporelle, neurobiologique, cognitive…
La seule causalité linéaire, héritée du modèle scientifique, ne peut
permettre d’expliquer ou de comprendre un nombre croissant de
pathologies.

VIII – L’Apport de la psychosomatique


23 La notion de psychosomatique nait d’une double limite :
celle des modèles mécanicistes de la pathologie humaine,
celle de la psychogenèse qui a eu la prétention d’expliquer les pathologies organiques
sur le modèle des somatisations sans lésion organique.

24 Les exemples de l’allergie, des maladies auto-immunes, voire des


cancers, des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI)
et d’autres conduisent à noter des relations entre des situations de
vie, des traits de personnalité, de caractère, de fonctionnement
psychique et l’apparition de certaines poussées ou de maladies. La
chronicisation, les récidives, les rechutes ou des rémissions dans de
très nombreuses pathologies interrogent comme les échappements
encore mystérieux au traitement.
Avant l’apparition des psychotropes, des neuroleptiques et surtout
des antipsychotiques les pathologies délirantes semblaient protéger
le patient psychotique d’affections organiques. Aujourd’hui, les
malades mentaux rencontrent de graves problèmes somatiques au
point d’en devenir une priorité de santé.
C’est une nouvelle définition de la psychosomatique, à partir du
concept de psychosomatique relationnelle que Sami Ali développe dans
son œuvre. Elle est indispensable pour dépasser l’ambiguité et la
polysémie de ce terme. La psychosomatique n’est rien d’autre qu’une
proposition de penser les liens à partir des pathologies qu’elles
soient somatiques ou psychiques. Celles-ci ne sont plus considérées
comme des objets extérieurs, comme des entités coupées du sujet et
de sa vie, Les liens sont recherchés, à la fois dans l’espace du réel et
de l’imaginaire, avec un état affectif, psychologique, une situation de
vie, intégrés dans ce qui fonde l’histoire du sujet.

IX – Une pensée de l’unité


25 Les premiers travaux de Sami Ali sur la projection et l’espace
imaginaire, aboutissent à la théorisation d’une pensée de l’unité. Le
point de départ de la psychosomatique relationnelle est la
dialectique des deux concepts que sont le corps et l’esprit. L’unité
précède cette division entre l’âme et le corps.
Sami Ali donne à toute pathologie une dimension relationnelle en
montrant l’intrication permanente des notions d’objectivité et de
subjectivité. Dans certains fonctionnements personnels on retrouve
une absence remarquable de l’objectivité ou de la subjectivité. Par
exemple dans le cas du délire, la réalité a totalement disparu au
profit du délire, forme particulière de l’imaginaire, grâce à un
fonctionnement projectif où tout est régi par la seule subjectivité, un
peu à l’image de ce qui se passe dans le rêve. A l’inverse dans ce qu’il
appelle la pathologie de l’adaptation, il n’y a de place ou d’intérêt
que pour le réel. Ceci s’opère par un refoulement de l’imaginaire,
entendu comme une fonction. C’est ce refoulement qui différencie la
notion d’adaptation de celles plus connues de pensée opératoire ou
d’alexithymie. Ces dernières reposent des a priori de carences, du
préconscient pour la première, et cognitive pour la seconde.

A – Avant les algorithmes, il y a les rythmes

26 Les rythmes sont à la fois biologiques et relationnels. L’exemple du


rêve est à cet égard saisissant. Le rêve précède la naissance, comme
les enregistrements électroencéphalographiques le confirment, et
continue ensuite d’être un phénomène de rythme inscrit tant dans
l’alternance veille – sommeil, que dans les différentes phases du
sommeil. Mais le rêve reste aussi essentiellement un phénomène de
mémoire. Des chercheurs disent aujourd’hui avoir pu reconstruire à
partir de l’activité cérébrale du dormeur à l’endormissement les
représentations visuelles du rêveur. D’une part il ne s’agit que de
phénomènes hypnagogiques et d’autre part le rêve ne peut être
réduit à sa seule imagerie visuelle.
La relation très particulière de sa mère à son nourrisson est aussi un
phénomène de rythme. C’est la mère qui synchronise les rythmes de
son enfant. La clinique montre que dans un contexte de carence
relationnelle précoce des pathologies tant physiques que psychiques
se développent.

B – Le rêve : dimension humaine irréductible ?

27 Le rêve peut être considéré comme propre à l’homme, même si des


activités de sommeil paradoxal sont retrouvées dans d’autres
espèces. Chez l’homme le rêve est à la fois la subjectivité,
l’imaginaire et l’inconscient, ce qui ne peut se retrouver dans aucune
machine aussi intelligente et apprenante soit-elle. Le rêve ne
s’apprend pas et s’il est programmable, sa teneur ne peut, elle, se
programmer. En ce sens il est particulièrement intéressant et
éloquent d’analyser notre impossibilité structurelle sur le plan de la
réalité à dire « je rêve ».
Le fonctionnement psychique de l’être humain peut se définir en
fonction de la présence ou de l’absence des rêves.
Des situations particulièrement difficiles, dans un contexte
d’absence de souvenir de toute trace onirique, sont fréquemment
retrouvées lors de la survenue de nombreuses pathologies.
Le rêve comme l’affect, différencie l’homme de la machine. Le rêve et
l’affect sont des aspects essentiels à prendre en compte lors des
prises en charge thérapeutiques.
Cette approche théorique soulignant la place essentielle du rêve qui
permet ainsi de penser l’unité, donne à la relation une dimension
majeure pour l’exercice de la médecine. L’auteur définissant
préalablement la relation par 5 dimensions qui sont : l’espace, le
temps, le rêve, l’affect et la langue maternelle.
L’intelligence artificielle, arrivant en soutien d’une pratique
médicale technique devrait ainsi permettre au médecin de s’engager
dans la médecine du 21ème siècle, c’est-à-dire dans une médecine
relationnelle.

BIBLIOGRAPHIE
Xavier Aime, Intelligence artificielle et psychiatrie : noces d’or entre Eliza et Parry»,
L'information psychiatrique (Volume 93), 2017/1, p. 51-56.

D. Folscheid, « La médecine et ses mythes », Éthique et santé, n°5, 2008, p. 217-225.


L. Chiche, H. Servy « L’intelligence des internistes sera-t-elle bientôt artificielle ? » La Revue
de médecine interne, 38, 2017, p. 157-159.

Sami ALI « Penser l’unité – la psychosomatique relationnelle » L’esprit du temps. PUF.


septembre 2011.

JJ Marimbert, « Enjeux éthiques du rapport entre médecine et technosciences » Cours éthique


et vie

Sylvain Rolland, « Cycle de la hype 2017 : quelles sont les technologies les plus en vogue du
moment ? », La tribune, 17 août 2017. [En ligne le 14 décembre 2017. URL
https://www.latribune.fr/technos-medias/cycle-de-la-hype-2017-quelles-sont-les-
technologies-les-plus-en-vogue-du-moment-747221.html]

Martin Untersinger. « Joe Biden appelle le monde des technologies à rejoindre son combat
contre le cancer ». Le Monde 13/03/2017. [En ligne le 14 décembre 2017. URL
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/03/13/joe-biden-appelle-le-monde-des-
technologies-a-rejoindre-son-combat-contre-le-cancer_5093406_4408996.html]
Bernard Monasterolo, « L’édition du génome fait le show au festival SXSW », Le Monde
17.03.2017. [En ligne le 14 décembre 2017. URL:
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2017/03/17/l-edition-du-genome-fait-le-show-au-
festival-sxsw_5096510_4408996.html]

Morgane Tual, « Comment le deep learning » révolutionne l'intelligence artificielle », Le


Monde 28/07/2015. [En ligne le 14 décembre 2017, URL :
http://www.lemonde.fr/pixels/article/2015/07/24/comment-le-deep-learning-
revolutionne-l-intelligence-artificielle_4695929_4408996.html]

David Larousserie, Sandrine Cabut, L’intelligence artificielle dope la médecine Le Monde


8/05/217. [En ligne le 14 décembre 2017. URL :
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/05/08/l-intelligence-artificielle-dope-la-
medecine_5124373_1650684.html]

Pierre Thouverez, « Médecine : l’ère de l’intelligence artificielle et des robots », Techniques de


l’ingénieur 14 décembre 2016. [En ligne le 14 décembre 2017. URL : https://www.techniques-
ingenieur.fr/actualite/articles/sante-du-futur-3-38775/]

Quand l'intelligence artificielle se met au service de la santé : bientôt une "médecine


personnalisée"? » RTL Info 21 juin 2017. [En ligne le 14 décembre 2017. URL
http://www.rtl.be/info/magazine/sante/quand-l-intelligence-artificielle-se-met-au-
service-de-la-sante-bientot-une-medecine-personnalisee--928709.aspx]
Joaquin Rodriguez, « Socrate 2.0 », Books, Juillet août 2009. [En ligne le 14 décembre 2017.
URL www.books.fr/socrate-2-0/]

Bertrand Kiefer, « Watson l’intelligence artificielle médicalisée », Revue Médicale Suisse, 28


octobre 2015. ([En ligne le 14 décembre 2017 : https://www.revmed.ch/RMS/2015/RMS-N-
492/Watson-l-intelligence-artificielle-medicalisee]

Céline Deluzarche, « Le diagnostic par l’intelligence artificielle va-t-il ringardiser le


médecin ? » Maddyness, 11 janvier 2017 ? [En ligne le 14 décembre 2017. URL :
https://www.maddyness.com/innovation/2017/01/11/diagnostic-intelligence-artificielle-
ringardiser-medecin/ ]

Raja Koduri, « Tribune : la médecine est-elle la prochaine conquête de l’intelligence


artificielle ? », NUMERAMA 28 avril 2017. [En ligne le 14 décembre 2017. URL :

http://www.numerama.com/sciences/253407-tribune-la-medecine-est-elle-la-prochaine-
conquete-de-lintelligence-artificielle.html]

Laurent Alexandre, L’intelligence artificielle, ou la mort des médecins ? », What's up


doc, numéro 25, avril 2016. [En ligne le 14 décembre 2017. URL : http://www.whatsupdoc-
lemag.fr/le-mag-article.asp?id=18607]

AUTEUR
MAURICE BENSOUSSAN

Psychiatre
Quelle déontologie pour les
médecins à l’heure du
numérique ?
Jacques Lucas

1 La déontologie médicale est codifiée dans le code de la santé


publique sous les articles R.4127-1 à 4127-112. Il s’agit donc d’un
texte normatif, sur lequel le CNOM a rédigé des commentaires
publics pour son application, application qui s’enrichi de la
jurisprudence de la Chambre disciplinaire nationale d’appel et du
Conseil d’Etat. Ainsi le Droit fixe les règles. Ces règles sont soumises
aujourd’hui à l’épreuve d’un « nouveau monde », celui du Numérique
en santé. Certes les principes éthiques fondateurs de la déontologie
doivent continuer à s’appliquer. Mais entre un principe éthique
fondateur et une règle du droit positif qui la transcrit on peut
observer parfois des failles temporelles. De plus en plus, le
numérique bouleverse les règles du « droit dur » tel qu’il est établi
par les lois et textes réglementaires, y compris dans un sens
bénéfique pour les personnes et sans attendre que le législateur ou
les autorités réglementaires aient le temps d’adapter ou de modifier
la règle face au rythme de l’innovation qui est même qualifiée de
disruptive.
Le numérique par la fluidité et la rapidité qu’il permet dans la
collecte des données, dans leur traitement, leurs échange et partage,
conduit à repenser voire redéfinir profondément quels sont les
comportements déontologiques adaptés pour les professionnels de
santé. Il ne suffira pas pour cela de suivre l’air du temps de
l’innovation et d’attendre, ni même de se référer au suivi des
recommandations de la HAS, bien qu’elles puissent être en quelque
sorte des règles de « droit souple ». L’Ordre lui-même pourra être
conduit à proposer à la puissance réglementaire des modifications
appropriées du code, dans l’objectif même de soutenir les
fondements de l’éthique médicale qui relèvent, au principal, de
l’intérêt des personnes ayant recours à la médecine. La formulation
des règles de déontologie dans les pratiques professionnelles devient
une exigence d’autant plus prégnante que les praticiens utilisent de
plus en plus les outils digitaux.
La première question sur le plan juridique est de savoir si des « bons
comportements professionnels » sont nécessairement conditionnés
par le strict respect des règles de droit. Bien entendu on peut
attendre que la jurisprudence fasse évoluer le droit. Mais peut-être
serait-il également utile que le droit positif définisse des règles
revisitées afin qu’elles soient adaptées à la société numérique. C’est
dans cette société de l’information et de la communication que les
médecins exercent désormais. Il a toujours été admis en Droit que les
Recommandations de Bonnes Pratiques notamment n’avaient pour
objet que de servir d’aides à la décision et qu’un professionnel
pouvait s’en écarter s’il pouvait justifier de la particularité du cas ou
de la singularité des circonstances. Ce principe de transgression est
adapté à des cas singuliers. Le monde numérique tend à multiplier
ces cas singuliers et il parait assez peu souhaitable d’attendre la
multiplication de jugements en contentieux pour analyser s’il faut
ou non modifier la règle.
Au-delà du Numérique en santé, l’histoire de la médecine est riche
de ces initiatives fécondes menées en dehors du strict respect du
droit lorsqu’elles étaient mues par la conviction du mieux-être du
patient. Ce sont elles qui ont fait « bouger les lignes » de ce qui était
le plus couramment admis dans les pratiques. Le Pr Lareng a ainsi
rappelé, tout à l’heure dans son introduction, comment il lui avait
fallu transgresser les règles pour créer le SAMU, ce qui lui avait valu
de passer en commission disciplinaire pour s’en justifier. Faire
admettre la justesse de l’idée, obtenir la création d’un nouveau
service se déplaçant hors les murs, en voir la traduction dans la loi,
tout ceci a pris du temps. Beaucoup de temps. Un attachement à la
règle peut freiner si ce n’est bloquer des innovations bénéfiques
dans le réel des prises en charge des patients.
Pour avancer, et sortir des propos généraux que je viens de tenir, je
vous soumets quelques réflexions afin d’alimenter un débat ouvert,
alors que le numérique s’impose de plus en plus dans les pratiques et
tend à éprouver les systèmes juridiques.

I – Quel peut être l’engagement du conseil


national de l’ordre des médecins dans ce
nouveau monde ?
2 Il doit se proposer de répondre aux interrogations concrètes
que se posent les praticiens
3 Les questions concrètes sont déjà là, par exemple sur les sites de
prises de rendez-vous en ligne : qu’en est-il de la préservation du
secret médical ? Est-ce de la publicité ? Il n’est pas un jour sans que
l’Ordre soit interrogé, par mail d’ailleurs, sur les menaces
potentielles sur le secret médical, de risques de dérives
commerciales, de publicité subreptice 1 . Or, si elle doit susciter la
réflexion, l’innovation ne doit pas être considérée avec des a priori de
suspicion, le regard figé sur l’existant ou le passé.
Une autre illustration pratique concerne la télémédecine, telle que
définie par la loi, par rapport à la médecine habituelle qui comporte
l’examen physique du patient. Je ferai malicieusement observer ici
que Laennec, inventeur du stéthoscope, supporta sans sourciller bien
des brocards de tous ceux qui considéraient que le stéthoscope ne
pourrait jamais remplacer le mouchoir de soie entre l’oreille du
médecin et le thorax du patient, dans un rapprochement physique
étroit. Les sarcasmes de Broussais envers celui qu’il appelait « le
petit prosecteur, l’homme au cornet » n’y ont rien changé,
l’auscultation médiate, par un dispositif intermédiaire, qui peut
d’ailleurs aujourd’hui être électronique, a vite remplacé
l’auscultation immédiate qui s’est avérée d’ailleurs de moins bonne
qualité.
Quelque légitime et utile que soit le recours au numérique en santé,
ce que l’Ordre des médecins soutient et accompagne, il nous
confronte évidemment à des questionnements légitimes relatifs au
secret médical et à la protection des informations correspondant à
des données personnelles de santé, au colloque singulier, à
l’indépendance professionnelle, mais également à l’équité dans
l’accès aux soins ou aux régimes de responsabilité…
On a noté qu’en médecine, plus qu’ailleurs peut-être, il est important
de savoir transgresser les règles établies lorsque cela est nécessaire,
et d’être aussi en mesure d’en répondre et d’en expliquer les raisons.
Or notre société est aujourd’hui à la fois fascinée par la technologie
et en demande permanente de règles juridiques, comme si toute
relation devait se résumer à cette simple question « a-t-on le
droit ? ».
II – C’est dans ce monde complexe
d’interrogations que le CNOM doit s’engager
4 Le secret est l’une d’elle.
5 Le code de la santé publique ne mentionne à aucun moment les
termes de « secret médical », les textes écrivent le « secret
professionnel du médecin ». Le secret a toujours été au cœur du
colloque singulier, point nodal à une époque où la médecine était
souvent démunie de moyens efficaces contre les maladies. Il valait
mieux, avant d’en appeler aux secours de la religion, que le médecin
soit empathique, comme le résume justement l’aphorisme « la
médecine c'est guérir parfois, soulager souvent, consoler toujours ».
Si le principe du secret demeure et doit être défendu, la réalité qui le
soutenait est toute autre aujourd’hui. Nous sommes passés du
traitement de pathologies aiguës et ponctuelles pouvant être ou non
guéries (par la chirurgie, les antibiotiques, etc) à des pathologies
chroniques, longues et poly symptomatiques, faisant intervenir
divers professionnels de santé. Si le colloque singulier demeure, sa
singularité tient au fait qu’il s’agit d’une personne au centre d’un
colloque qui réunit une équipe de soins autour d’elle. Le secret
médical est aujourd’hui la somme du secret professionnel de chaque
membre de cette équipe qui doit naturellement être échangé et
partagé au sein de cette équipe, dans l’intérêt même de la
coordination des soins et des prises en charge du patient. Les
nouvelles dispositions de la loi du 26 janvier 2016, auxquelles le
Conseil national de l’ordre a apporté son concours, sont venues venu
fort heureusement redéfinir le cadre juridique de l’équipe de soins et
du « secret partagé », dans le respect des dispositions de la loi de
2002 sur le droit des patients.
6 L’équité dans l’accès aux soins est une autre source de
questionnements.
7 Quelques réflexions de départ pour souligner que le numérique doit
contribuer dans tous les territoires à favoriser l’accès aux soins et
aux prises en charge médico-sociales et sociales et qu’il doit être
accessible à tous. Cela signifie que l’accès au Haut débit en tout point
de la République est un impératif d’équité qui trouve ici dans mon
propos une résonnance. Le Conseil national de l’Ordre constate dans
ses études de démographie médicale que les déserts médicaux sont
également des déserts numériques. Or, la transformation numérique
peut être une « trappe à exclusion » qu’il s’agisse d’accès aux droits
2 ou d’accessibilité des soins.

L’Ordre est particulièrement attaché au déploiement de tous moyens


de nature à promouvoir partout l’accès à des offres de soins, et nous
pensons que le numérique est un des moyens pour désenclaver
certains territoires.
Cela implique également une vigilance permanente sur les pratiques
en cours en lien avec le développement des actes de télémédecine. Le
Conseil national rappelle à cet égard les risques d’une « ubérisation »
des prestations médicales. Il relève notamment que « les prestations
proposées directement via des plates-formes par les assureurs
complémentaires ou les mutuelles en santé installent de fait une
rupture concurrentielle dans l’organisation territoriale des soins et
le parcours de soins. En outre, ces plates-formes qui indiquent être
accessibles 7j/7 et 24h/24 soulèvent la question de leur cohérence
avec les Centres 15 ou interconnectés ». Il appelle l’attention sur le
fait que « les offres des plates formes privées et que les activités
médicales qu’elles proposent » doivent être soumises « aux mêmes
obligations réglementaires et déontologiques que les autres formes
de pratiques médicales dans un parcours de soin », au premier rang
desquelles « l’information de l’usager et son consentement express
et « la confidentialité des données de santé recueillies et leur non
exploitation à d’autres fins que celles pourquoi elles ont été
collectées » 3 .
L’Ordre des médecins affirme donc de nouveau qu’à ses yeux la
sécurité des prises en charge impose de réglementer
8 Le traitement des données de santé à des fins de recherche.
9 Je reprendrai la fameuse formule en 2001 du vice-président du
Conseil d'Etat, M. Renaud Denoix de Saint-Marc, qui exprimait que
« La loi devrait être solennelle, brève et permanente. Elle est
aujourd'hui bavarde, précaire et banalisée ». Il suffit pour s’en
convaincre de reprendre l’article 193 de la loi de modernisation de
notre système de santé sur la mise à disposition des données de
santé contenues dans les bases du SNIIRAM et du PMSI. Elle occupe
de nombreuses pages, arides et techniques, au JO. Ce caractère
« tatillon » de la loi contribue probablement à bloquer la recherche,
ou alors l’innovation fait « la loi buissonnière ».

III – Le CNOM s’est prononcé pour


l’introduction des règles de droit souple, sur
le principe de la « soft law » anglo‑saxonne, y
compris dans l’application du code de
déontologie médicale
10 Il nous semble nécessaire de favoriser l’innovation sur les territoires
de sante en tenant compte de leurs spécificités, afin que les
initiatives bénéfiques aux patients, fussent-elles disruptives,
puissent se concrétiser au plus près des besoins et des demandes. Les
zones rurales ne présentent pas les mêmes configurations et
contraintes que les grandes métropoles. Or dans les zones rurales,
au-delà des invocations des textes, rien ne changera ni ne se fera
tant que la technologie ne sera pas en place, tant que le haut débit ne
couvrira pas l’ensemble du territoire. La position de la France en
termes d'accès au numérique parmi les pays européens (26e) rend
plus aiguë encore la question des déserts médicaux en zones isolées
4 . Et au titre de l’équité en santé, il est possible d’apporter dans les

territoires reculés une expertise en proximité, grâce à la


télémédecine.
Ce plaidoyer en faveur de l’innovation s’associe bien sûr avec la
nécessite d’une régulation. Cette régulation devrait, selon l’Ordre, se
réaliser sur le principe de la démocratie en santé avec la production
de règles de droit souple par les instances territoriales habilitées
pour en émettre dans le cadre de principes généraux édictés par les
lois.

IV – Les principes déontologiques, au soutien


de l’innovation
11 C’est à partir des quatre principes sur lesquels est construite la
déontologie qu’il faut repenser et dégager une nouvelle expression
codifiée des obligations des professionnels confrontés au
numérique : l’autonomie de la personne, indissociable désormais de
sa dignité, le principe de bienfaisance, le principe de non
malfaisance et le principe de justice.
Car comme le relève Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil
d’État, « il n’existe aucune contradiction entre la reconnaissance du
droit souple ainsi que son expansion et une meilleure qualité du
droit. En donnant un plus grand pouvoir d’initiative aux acteurs, et
au-delà plus de responsabilités, le droit souple contribue à oxygéner
notre ordre juridique » 5 , ce qui est crucial pour l’innovation.
L’Ordre relève à cet égard que « ce mode de régulation, beaucoup
plus agile face à la disruption numérique, préserve et accompagne la
capacité d’innovations agiles, tout en garantissant la sécurité et le
respect des droits des personnes » 6 .
Mais qui sera en l’espèce l’autorité régulatrice de cette normativité ?
Cette autorité régulatrice doit être composite et l’Ordre se pense
légitime pour y être associé puisqu’il est chargé de faire respecter
par les médecins les règles déontologiques de la profession.
12 Pour conclure ce très rapide survol
13 Je souhaite relever que tout ce dont nous parlons risque d’être
bouleversé par un tsunami numérique si nous n’en prenons pas
conscience. La France et l’Europe doivent se saisir au plus vite de ce
sujet. Celui que portent l’IA et les robots. Il est impossible de
tergiverser. Les géants de la Silicon Valley, qui ne sont pas des Etats,
et la Chine avancent. Le vrai sujet est sans doute là, en santé, dans ce
pouvoir de l’IA. Je citerai ici de mémoire Anne Marie Frison Roche
qui, dans un livre des années 2000, disait déjà que nos sociétés sont
fascinées par les technologies et qu’elles pourraient en arriver à
abdiquer les libertés qui auraient pourtant pu s’épanouir en leur
sein.
Quels sont donc objectifs que l’on poursuit ? Cette intelligence
construite à partir des data, doit-elle être dirigée vers la
« réparation » de l’homme comme la médecine l’a toujours fait, et de
mieux en mieux, ou vers son « augmentation » avec, comme ligne de
fuite, la recherche de l’immortalité ? Est-ce bien là notre vision
commune : vouloir que l’homme devienne immortel ? A quel prix ? Il
y a là une réflexion éthique essentielle à avoir d’urgence.
Il est par conséquent important de rappeler que de grands principes
moraux existent et qu’ils sont légitimes pour fonder des interdits
d’ordre public. Le respect de la dignité de la personne humaine est
l’un de ceux-là. Et ces limites, seul le droit dur peut les garantir.
Encore faut-il que le débat sur ce sujet irrigue préalablement la
société et ne soit pas seulement un débat d’experts. Les approches
éthiques doivent être diversifiées et irriguer les prises de positions
politiques et les systèmes juridiques.
Nous sommes tous concernés sur ce qui fait notre humanité et ce
qu’elle est appelée à devenir. Comme souvent s’imposent à la
réflexion les mots de Hans Jonas : « Le Prométhée définitivement
déchaîné, auquel la science confère des forces jamais encore connues
et l'économie son impulsion effrénée, réclame une éthique qui, par
des entraves librement consenties, empêche le pouvoir de l'homme
de devenir une malédiction pour lui » 7

NOTES
1. Cf CNOM, Article 19, Interdiction de la publicité : "Le médecin doit
également se garder de toute attitude publicitaire lorsqu’il présente
son activité sur un site internet (J. Lucas, « La déontologie médicale
sur le web santé – recommandations du CNOM », 4 juin 2008 ; «
Charte de conformité ordinale applicable aux sites web des médecins
», mai 2010, « Déontologie médicale sur le web : Livre blanc du CNOM
», décembre 2011).
Dans un arrêt du 27 avril 2012 (CE 4e et 5e sous-section, Anthony, n°
348259), le Conseil d’Etat a jugé, à propos du site internet d’un
chirurgien-dentiste que si le site « peut comporter, outre les
indications expressément mentionnées dans le code de la santé
publique, des informations médicales à caractère objectif et à finalité
scientifique, préventive ou pédagogique, il ne saurait, sans
enfreindre les dispositions précitées de ce code et les principes qui
les inspirent, constituer un élément de publicité et de valorisation
personnelles du praticien et de son cabinet ». Ainsi, un site internet
qui met en avant le profil personnel du praticien, des réalisations
opérées sur des patients, les soins qu'il prodigue et les spécialités
dont il se recommande et excèdent de simples informations
objectives constitue une présentation publicitaire du cabinet,
constitutive d'un manquement aux devoirs déontologiques.
2. R. Cuvillier et al. En quoi la transformation numérique peut-elle se
révéler un levier pour l’accès aux droits et l’inclusion sociale ?, Groupe de
travail EN3S, 2017.
3. CNOM, « La télémédecine face au risque d’ubérisation des
prestations médicales », 14 février 2018.
4. Hervé Maurey et Louis-Jean De Nicolay, Rapport d'information sur
l’aménagement du territoire, fait au nom de la commission de
l'aménagement du territoire et du développement durable, n° 565,
31 mai 2017.
5. Conseil d’Etat, Etude annuelle 2013 : Le droit souple, octobre 2013, p.
6.
6. Recommandation 29, Livre blanc, Médecins & patients dans le monde
des data, des algorithmes et de l'intelligence artificielle, Analyses et
recommandations du CNOM, 26 janvier 2018, p. 61.
7.Le principe de responsabilité, Éthique pour la civilisation technologique,
Éd. du Cerf, 1990, Préface, p. 13.
AUTEUR
JACQUES LUCAS

Docteur,
Vice-Président du CNOM,
Délégué général au Numérique.
Le paradoxe de la e‑santé : entre
promotion d’un mode de soins
innovant et protection des droits
des patients
Nahela El Biad

1 Le terme santé en ligne désigne « l’application des technologies de


l’information et des communications à toute la gamme de fonctions
qui interviennent dans le secteur de la santé. Les outils ou solutions
de santé en ligne englobent des produits, des systèmes et des
services qui vont bien au-delà de simples applications internet. Ils
comprennent des outils destinés aux autorités sanitaires comme aux
professionnels de la santé, ainsi que des systèmes de santé
personnalisés pour les patients et les citoyens. Il peut s’agir, par
exemple, de réseaux d’information médicale, de dossiers médicaux
électroniques, de services de télémédecine, de systèmes portables et
ambulatoires dotés de fonctions de communication, de portails sur la
santé et de nombreux autres dispositifs fondés sur les technologies
de l’information et des communications qui fournissent des outils
d’assistance à la prévention, au diagnostic, au traitement, au
monitorage de la santé et à la gestion du mode de vie » 1 . Il s’agit de
« l’utilisation dans le secteur de la santé de l’ensemble des
technologies numériques de communication permettant d’offrir de
nouveaux services aux patients, d’améliorer la circulation
d’informations entre professionnels (dématérialisation et partage de
documents cliniques) ou de réaliser certains actes médicaux à
distance dans le cadre de la télémédecine » 2 .
2 La France définit la télémédecine – branche de la e‑santé – par
décret 3 . Cependant, un grand nombre d’États membres de l’Union
européenne font face à un grand manque de clarté de définition légal
dans ce domaine ce qui est significatif du chemin qu’il reste à
parcourir pour parvenir à une parfaite compréhension et utilisation
de la e‑santé.
3 Pourtant, ce nouveau mode de soins apparaît comme une possible
solution pour répondre aux défis des systèmes de santé : l’évolution
démographique, l’augmentation du coût des soins et des déserts
médicaux ; le vieillissement de la population et corrélativement
l’augmentation des maladies chroniques. En revanche, une
incertitude demeure quant à sa capacité́ à réduire les coûts, du
moins dans un premier temps : alors que l’efficience de l’utilisation
de la e‑santé semble certaine tant ses atouts sont grands, sa mise en
place, longue, se justifie également par les coûts engendrés par le
processus. Ainsi, les avantages liés à l’utilisation de la e‑santé
auraient une portée plus qualitative qu’économique.
4 Néanmoins, malgré l’atout considérable que pourraient représenter
les soins de santé numériques, la possibilité est sous-exploitée.
Même si quelques pays 4 disposent d’un système d’ordonnances
électroniques et de dossiers médicaux informatisés, la révolution
numérique peine à se mettre en place, comme en France, ou le
dossier médical électronique n’en est encore qu’au stade de l’essai
dans quelques régions 5 . Les attentes concernant l’utilisation des
nouvelles technologies de l’information et de la communication
(NTIC) dans le domaine de la santé sont nombreuses, mais les
questions et les risques sont également proportionnels. De
nombreux risques liés à la protection des données se santé font
surface. Les risques de divulgation des données, de leur piratage ou
encore du partage non autorisé sont autant de contraintes qu’il faut
prendre en considération pour permettre une utilisation efficiente
de la e‑santé.
5 La question se pose ainsi de savoir si les NTIC appliquées au domaine
de la santé vont être en mesure de promouvoir un mode de soin plus
efficace et ce sans risquer de porter atteinte aux droits acquis des
patients avant la rupture technologique dans le domaine de la santé.
Par définition, les maladies et les données de santé ne connaissent
pas de frontières étatiques, ainsi, les patients et leurs données sont
appelés à voyager. Si l’on considère que la e‑santé doit être promue
au niveau européen afin d’améliorer la qualité des soins (I), sous
quelles conditions doit-elle l’être et quel est le rôle du droit dans
cette promotion ? Il faudra veiller à ce que les données des patients,
issues des activités, outils et produits de e-santé, soient assorties
d’une protection efficace (II).

I – Le droit dans le développement de la


e‑santé
6 Le nombre d’avantages résultants de la e‑santé pour le patient, le
système économique de l’assurance maladie ou encore les
professionnels de santé sont autant de raisons de développer la
e‑santé (A.), néanmoins, il faut mettre en place des techniques
efficaces dans l’objectif de permettre un développement effectif de la
e-santé dans le respect des droits préexistants (B).
A – La nécessité de développer la e-santé

7 L’outil technologique n’est, certes, pas la réponse unique aux


difficultés de prise en charge du patient. Toutefois, mise au service
du décloisonnement de divers secteurs 6 , la e‑santé pourrait servir
de levier pour encourager la prévention et les soins primaire 7 . Il
s’agit également de maintenir un principe constitutif du système de
santé français : l’accès à des soins de qualité pour tous grâce à un
maillage effectif du territoire. De plus, la télésanté peut permettre de
replacer l’usager au cœur du dispositif et de répondre à sa volonté
d’autonomie, désormais reconnue comme un droit des malades.
8 Si la e‑santé suscite un fort engouement, c’est parce qu’elle pourrait
représenter une réponse à plusieurs défis majeurs de santé. Il est
estimé qu’en 2050, le nombre de personnes de 65 ans et plus aura
augmenté de 70% dans l’Union européenne et que la catégorie des
personnes de 80 ans et plus aura progressé de plus de 170% 8 . Or, du
fait de ce vieillissement de la population et donc de la modification
des schémas pathologiques, la demande de soins et du même coup
des dépenses de santé devrait nécessairement brutalement
augmenter 9 . Les maladies chroniques concernent environ 15
millions de français et 70 millions d’européens et sont responsables
de 60% des décès au sein de l’Union Européenne 10 . Elles
représentent les affections à longue durée qui évoluent lentement
comme les maladies cardiovasculaires, les cancers, les maladies
respiratoires chroniques et les troubles mentaux. Les solutions
mobiles permettraient la gestion optimisée des maladies chroniques
liées au vieillissement de la population qui représentent deux des
objectifs principaux de l’Union européenne. L’intérêt majeur est de
permettre le développement de l’hospitalisation à domicile grâce à la
télémédecine, le suivi à distance des personnes atteintes de maladies
chroniques et l’optimisation de l’efficience des établissements de
santé grâce aux systèmes d’information. Cela devrait permettre de
réaliser des économies considérables au plan régional, national et
européen. L’usage des nouvelles technologies pourrait également
assurer un meilleur accès à l’information médicale et à la prévention
comme au traitement des maladies, le renforcement de la rapidité et
de la performance d’un diagnostic et permettrait de remédier au
problème majeur de la désertification médicale en permettant un
suivi du patient à domicile.
9 Au total, la e‑santé représenterait une économie de 99 milliards
d’euros d’ici 2017 et un accroissement du PIB européen de 93
milliards d’euros grâce à l’amélioration de l’état de santé qui
réduirait les dépenses médicales tout en favorisant l’accès aux soins
de 24,5 millions de patients supplémentaires. Au vu de
l’extraordinaire promesse de développement de la e‑santé, la
connaissance du cadre réglementaire et en particulier du cadre
réglementaire européen qui détermine en très grande partie le droit
applicable en France est précieux pour les pouvoirs publics (au
niveau national, mais également régional) comme pour les
industriels eux-mêmes. Du point de vue économique, l’importance
du développement de la e‑santé est partagée. Si l’on se place sous
l’angle des réductions des dépenses des systèmes de sécurités
sociales nationales, il n’est pas certain que le développement de la
e‑santé permettrait de réduire les dépenses, du moins pas dans
l’immédiat. En effet, les sommes investies dans le développement de
la e‑santé sont considérables. Le coût de base lié aux équipements
nécessaires comme à titre d’exemple les appareils de télémédecine,
le développement du dossier médical électronique, la fourniture de
dispositifs médicaux, représente une somme non négligeable
révélateur de l’impossibilité pour la e‑santé, en phase de lancement,
de faire réduire les dépenses de santé. Néanmoins, une fois le
schéma de soins numériques mis en place les retombées
économiques sont considérables 11 .
10 La promotion de la e‑santé est un secteur économique et industriel
en plein développement et, selon l’étude du cabinet Xefi Precepta en
2013 le marché de la e‑santé représentait 2,4 milliards d’euros avec
une croissance de 4% à 7% chaque année 12 . L’émergence certaine
d’un marché spécifique s’appliquant à la e‑santé est un générateur
de croissance d’emploi et économique : les fabricants de dispositifs
médicaux, les entreprises qui s’engagent dans la création
d’applications de santé ou encore les corps de métiers ayant trait à la
sauvegarde et au traitement des données. Du côté de la santé
publique la promotion de la e‑santé permet la sécurisation des
pratiques médicales, notamment avec le principe de l’entraide entre
professionnels de santé ce qui permet de réduire considérablement
les risques d’erreurs humaines lorsque le numérique est impliqué. En
outre l’implication du numérique facilite également la consultation
d'autres professionnels de santé, parfois plus spécialisés dans un
domaine et d’en faire bénéficier le patient. La promotion favorise
dans le même temps la prise en charge des maladies chroniques en
limitant les hospitalisations via des applications de santés
numériques, à la fois préventives et curatives 13 . Sur le plan
organisationnel et sociétal, la télémédecine en particulier présente
des avantages considérables pour les zones où se raréfie l’offre
médicale. La lutte contre l’isolement géographique et la réponse plus
rapide à un problème urgent pour des patients sans médecins à
proximité ne peuvent être négligées. La réduction des
hospitalisations grâce à la prise en charge du patient à domicile
favorise dans un premier temps la récupération du patient qui se
trouve dans un univers familier, permet dans un second temps de
libérer des lits dans les hôpitaux pour les cas ne pouvant être traités
par le biais de la e‑santé. En outre, l’absence de rendez-vous
médicaux physiques permet de diminuer les temps d’attentes et de
pratiquer un suivi plus régulier du patient en consultant ses
constantes autant de fois que nécessaire.

B – Les instruments juridiques de promotion de la


e‑santé

11 La e‑santé étant un processus nouveau, les instruments juridiques


dédiés à ces nouvelles pratiques ou produits, au plan français comme
européen, ne sont pas encore très développés. En ce qui concerne le
droit français, c’est la loi hôpital, patients, santé et territoires (HPST)
de 2009 14 qui pose la première pierre à l’édifice en définissant de
manière légale, la télémédecine pour la première fois en son article
78 15 et modifie de ce fait le Code de la santé publique. S’en est suivi
le décret télémédecine de 2010 16 pris en application de l’article
L.6316-1 du Code de la santé publique lui-même issu de la loi HPST
qui précise « la définition des actes de télémédecine ainsi que leurs
conditions de mise en œuvre et de prise en charge financière sont
fixées par décret, en tenant compte des déficiences de l’offre de
soins dues à l’insularité et l’enclavement géographique » 17 . Ce
décret procède à « la définition des actes de télémédecine, à leurs
conditions de mise en œuvre et à leur organisation notamment
territoriale » 18
12 Du côté du droit de l’Union européenne, peut-être du fait du partage
des compétences 19 , les développements juridiques, au-delà des
plans d’action, sont limités. On peut seulement citer comme exemple
l’article 14 de la directive 2011/241/UE du 9 mars 2011 relative à
l’application des droits des patients en matière de soins de santé
transfrontaliers 20 , qui porte précisément sur la « santé en ligne »
et plus spécifiquement sur l’objectif de mise en compatibilité des
services européens de santé en ligne et de protection des données
dans les communications électroniques. Mais, les choses devraient
évoluer. D’abord, un plan d’action dans le domaine de la e‑santé a
été, annoncé le 6 décembre 2012 21 par la Commission européenne.
Il a vocation à clarifier les domaines où subsiste « une insécurité
juridique, renforcer l’interopérabilité entre les systèmes, sensibiliser
les patients et les professionnels de la santé et consolider leurs
compétences en e‑santé, soutenir la recherche en médecine
personnalisée et améliorer la gestion personnelle de leur santé par
les patients. ». Le plan devrait aussi proposer des « conseils
juridiques gratuits pour les jeunes entreprises dans le domaine de la
e‑santé et 8 millions d’euros seront alloués à la recherche et au
déploiement de solutions innovantes en santé sur la période 2014-
2020. ». De plus, le groupe de travail de la Commission Européenne se
donne jusqu’en 2020 pour élaborer un cadre juridique de la
télémédecine qui serait partagé par tous les États membres, « après
avoir pris en compte les lois et règlements que certains États
membres ont déjà mis en place » 22 . En outre, il ne faut pas négliger
le fait que ce droit spécifique cohabitera nécessairement avec un
droit non spécifique à la e‑santé mais applicable à ces technologies.
En effet, la e‑santé se divise en un nombre impressionnant
d’hypothèses pour lesquelles les obligations juridiques ne sont pas
les mêmes. La e‑santé désigne donc tout à la fois un produit et/ou un
service ayant en général une utilité médicale et qui va générer des
données qui peuvent être des données de santé. Or, dans le cas où la
e‑santé est un service, elle sera soumise au principe général de la
libre prestation de service 23 , mais également, parce que ce service
a la particularité d’être opéré à distance par des voies électroniques,
elle peut être qualifiée de « e-commerce ». Deux directives 98/34/CE
24 et 2000/31/CE 25 assimilent d’ailleurs la télémédecine à un

service de santé relevant du e-commerce. Parce qu’il s’adresse à des


consommateurs et à des patients, un tel service entrera également
dans le champ d’application de plusieurs instruments de droit
européen de la consommation 26 ou encore de la directive « soins
de santé transfrontaliers » qui s’applique à la fourniture de soins de
santé, quelle que soit la façon dont ils sont organisés, délivrés et
financés. S’il s’agit d’un produit, la e‑santé entrera sous le principe
général de libre circulation des marchandises, mais encore
éventuellement sous le champ d’application des directives sur les
dispositifs médicaux ou encore de la directive sur la responsabilité
du fait des produits défectueux 27 . Dernier exemple, ce produit ou
service, en tant qu’objet connecté, produira souvent des données de
santé qui, au nom de la protection des droits fondamentaux de la
personne, et en particulier de sa vie privée, seront soumises à des
obligations issues de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales (art. 8), de la
Convention du Conseil de l’Europe pour la protection des personnes
à l’égard du traitement automatisé des données à caractère
personnel, de la Charte des droits fondamentaux de l’Union
européenne ou encore directives sur la protection des données à
caractère personnel 28 et celle sur la vie privée et les
communications électroniques 29 . Autant dire que l’ensemble
juridique est imposant.

II – Le rôle protecteur du droit dans


l’utilisation de la e‑santé
13 S’il s’agit de promouvoir l’utilisation de la e‑santé, il s’agit également
de réduire/ d’encadrer les risques, notamment ceux liés au transfert
de données de santé impliquées par la e‑santé. Celles-ci, émises dans
un État membre de l’Union européenne seront amenées à voyager
soit de manière autorisée par le fait d’une action volontaire de
partage ou par le fait de réseaux ou serveurs se trouvant dans un
État membre différent de celui où les données ont été émises, soit de
manière non autorisée via le piratage et la revente de données.
14 Si permettre le partage des données peut être d’une utilité certaine,
parfois, il peut aussi représenter un danger pour les patients (A) ; il
est grandement nécessaire de règlementer leur transfert pour
maximiser les résultats de l’utilisation de la e‑santé et protéger les
données sensibles des patients (B).

A – Le risque d’atteinte aux droits des patients

15 Le Règlement général sur la protection des données (RGPD) de 2016


entré en vigueur en 2018 30 définit les données de santé comme
« des données à caractère personnel relatives à la santé physique ou
mentale d’une personne physique, y compris la prestation de
services de soins de santé, qui révèlent des informations sur l’état de
santé de cette personne » 31 .
16 La donnée de santé, de par son caractère sensible, doit être tout
particulièrement protégée et la difficulté pour l’identifier réside
dans le fait que la détermination de l’état de santé d’une personne
n’est pas tout à fait clair. Néanmoins, l’analyse du RGPD donne
quelques éléments de réflexion pour définir la donnée de santé.
Certaines données peuvent être présumées « de santé » il s’agit de
celles définies au considérant 35 du RGPD : principalement les
données collectées dans un contexte médical, les données
permettant d’identifier une maladie ou un risque de maladie et les
données collectées par un dispositif médical. Les autres données,
notamment celles collectées via un appareil de Quantified self ou un
appareil n’ayant pas le statut de dispositif médical, devront être
appréciées au cas par cas 32 .
17 L’usage de la e‑santé conduit nécessairement à la création de
données de santé. Lorsque celles-ci font l’objet d’une collecte ou d’un
traitement, elles sont protégées en France par la loi informatique et
Libertés du 6 janvier 1978 33 et le règlement général sur la
protection des données personnelles 34 .
18 De nombreux droits, déjà protégés par la loi informatique et liberté,
sont maintenus à l’entrée en vigueur du règlement sur la protection
des données personnelles. Le droit d’information du patient déjà
prévu à l’article 32 de la loi informatique et libertés est renforcé par
l’article 13 du règlement européen relatif à la protection des données
qui ajoute à la liste des informations à fournir la période de
conservation des données, le droit à la portabilité des données, le
droit d’introduire une réclamation auprès d’une autorité de
contrôle. Il en va de même pour le droit d’accès aux données de
santé qui reste inchangé et repris par l’article 15 du RGPD et le droit
de rectification prévu à l’article 16 de ce même règlement.
19 Au contraire, le droit d’opposition, prévu à l’article 21 du RGPD est
plus restreint que celui de la loi informatique et liberté. Initialement,
il était possible pour toute personne de « s’opposer, pour des motifs
légitimes, au traitement de ses données, sauf si celui-ci répond à une
obligation légale » 35 . Au sein du règlement, le droit d’opposition
« ne peut s’appliquer que lorsque les données sont traitées à des fins
de profilage, de recherche scientifique ou historique ou de
statistiques, ou encore lorsque ce traitement est nécessaire à
l’exécution d’une mission d’intérêt public dont est investi le
responsable du traitement ou aux fis des intérêts légitimes
poursuivis par le responsable du traitement » 36 .
20 L’avènement de la e‑santé couplé à la protection plus efficace des
données sensibles a conduit les institutions européennes à protéger
des droits qui n’étaient initialement pas prévus par la directive
95/46/CE 37 remplacée par le RGPD. Le droit de consentir, de
manière explicite, au traitement et de retirer son consentement à
tout moment sont prévus aux articles 6.1 et 7.3 du RGPD. En
pratique, pour protéger le droit du patient de consentir de manière
explicite, le responsable du traitement peut, sur une application,
proposer un réglage permettant aux utilisateurs de retirer leur
consentement à tout moment par e-mail ou par courrier.
21 Le droit à l’oubli numérique et celui à l’effacement des données sont
inscrits respectivement dans les articles 17 et 40 du RGPD. Si la loi
Informatiques et libertés offrait déjà à la personne concernée la
possibilité de demander l’effacement de ses données personnelles
lorsque celles-ci étaient « inexactes, incomplètes, équivoques ou
périmées » mais également lorsque la collecte de ces données est
« interdite ou lorsque la durée de conservation nécessaire à la
réalisation des finalités du traitement a été atteinte » 38 , le
règlement va plus loin. Pour la première fois, le droit à l’oubli est
consacré 39 et permet à la personne d’obtenir l’effacement de ses
données lorsque celles-ci ne sont plus nécessaires au regard de la
finalité du traitement, lorsque la personne fait usage de son droit au
retrait du consentement, lorsque le traitement est illicite ou que
l’effacement est nécessaire en vertu d’une obligation légale.
22 Enfin, en faveur de la protection des données de santé, l’article 34 du
RGPD consacre le droit d’être informé en cas de piratage des
données. Il est à mettre en relation avec l’obligation, pour les
responsables de traitement, de notifier les autorités de contrôle
nationales en cas de faille dans le système de sécurité. Néanmoins, le
droit est suffisamment restreint et les victimes ne sont informées
que si elles sont exposées à un risque élevé de violation de leurs
droits et libertés.

B – Le partage des données entre protection et risques

23 A l’heure du Big Data où les données sont traitées en masse et


voyagent à une vitesse incalculable, force est de porter une attention
toute particulière aux données de santé qui doivent connaître un
sort différent des autres du fait de leur caractère sensible. Le partage
des données peut, d’une part, représenter un avantage considérable
pour la communauté des patients (1.) et d’autre part représenter un
danger pour la protection individuelle des patients dont les données
sont divulguées (2.).

1) Le partage des données pour protéger les patients

24 En France, en avril 2016 était annoncé le lancement d’une


consultation en ligne sur le big data dans le domaine de la santé et il
s’agissait pour les patients questionnés de commenter « l’ouverture
et l’exploitation de masses de données personnelles dans le secteur
médical ». Il s’agissait pour le gouvernement français de recueillir
des informations sur les conditions sous lesquelles les patients
accepteraient de partager leurs données de santé 40 . Le but affiché
est « de faciliter l’exploitation et le partage des données de santé,
dans le respect de la vie privée, pour tout acteur porteur d’un projet
d’intérêt public » et, par exemple, de « mieux comprendre les liens
entre santé et activité physique ».
25 Si la loi française prévoit la création d’un grand Système national des
données de santé 41 , considéré comme « une avancée considérable
pour analyser et améliorer la santé de la population » 42 peut-être
faut-il s’interroger sur les avantages et aux risques de ce partage. En
tout état de cause, le partage de données de santé ne peut se faire
sans le consentement libre et éclairé du patient. Il conviendra dans
un premier temps d’observer l’avantage du partage dans le cas de la
recherche épidémiologique et la surveillance (a) et dans un second
temps avec l’exemple du dossier médical personnel (b).

a) L’épidémiologie et la surveillance

26 L’épidémiologie, connue comme la science de base de la santé


publique, étudie la répartition et les déterminants de la santé au sein
d’une population 43 . À l’étude de la santé publique, des méthodes
épidémiologiques ont été appliquées avec beaucoup de succès, y
compris concernant le développement et la propagation des
infections majeures et chroniques. La surveillance, clef essentielle de
la recherche épidémiologique, implique non seulement la collecte,
l’analyse et l’interprétation systématiques des données de santé
essentielles à la santé publique, mais également leur diffusion 44 .
Lorsqu’elle s’applique aux dispositifs médicaux, l’épidémiologie peut
être extrêmement utile et dégager certains résultats probants dans
des groupes définis : géographiques, culturels ou autres.
Simultanément, la surveillance peut identifier des événements
indésirables non visés, liés à l’exposition d’un dispositif médical, qui
peuvent ultimement engendrer l’élimination du produit.
27 A titre d’exemple de dispositif épidémiologique en France, le MEDES
a développé une application de santé destinée à accompagner les
voyageurs dans leurs aventures en leur apportant une solution de
suivi médical personnalisé des voyageurs. Le logiciel permet une
remontée d’informations physiologiques, et l’envoi de messages type
SMS via satellite. Les principales fonctions du logiciel sont de
déclarer les symptômes, renseigner les signes vitaux, informations
médicales et de ce fait, il serait possible de créer une cartographie
des maladies infectieuses et contagieuses. Ainsi, le partage
d’informations de santé, couplé à la situation géographique aurait
pour but et conséquences de créer une base de données des zones à
éviter pour se prévenir d’infections, allergies ou toute autre maladie
transmissible dans l’air.

b) L’exemple français du dossier médical personnel

28 Suite à la loi de modernisation de notre système de santé de 2016 45


, le dossier médical personnel devient « partagé » (DMP). Le
paradoxe entre le terme personnel et celui de partagé est significatif
de la volonté d’ouvrir les données de santé au plus grand nombre.
Le décret 46 précise les conditions d’application du DMP. Le dossier
médical partagé est progressivement déployé par l’Assurance
maladie pour arriver à son efficacité totale à la fin de l’année 2018.
Le dossier médical partagé contient toutes les informations
médicales du patient en faisant usage : ses comptes rendus
d’hospitalisations et de rendez-vous médicaux, ses ordonnances et
traitements, ses résultats d’analyses biologiques ou encore ses
antécédents médicaux. Le dossier est consultable par le patient lui-
même ainsi que les professionnels de santé auxquels l’accès a été
autorisé et par exception, au médecin régulateur du SAMU sans
autorisation en cas d’urgence.
29 Néanmoins, se pose la question de l’efficacité et de l’effectivité du
dossier médical partagé. D’une part, le patient peut choisir quels
sont les professionnels de santé qui auront accès à son dossier
médical. Qu’adviendrait-il si, dans son choix, le patient décidait de
ne donner l’accès à son dossier médical qu'à certains professionnels
de santé laissant d’autres dans l’ignorance concernant son état de
santé, de telle sorte qu'en cas d’erreur de diagnostic par manque
d’information, se poserait la question de l'imputabilité de la faute ?
D’autre part, il existe une possibilité dans le dossier médical pour le
patient de modifier seul ses informations. Quid de la véracité des
informations qui seront contenues ? Le partage des données de santé
dans un cas comme celui de l’utilisation du dossier médical partagé
est un avantage considérable pour le patient et les professionnels de
santé avec des diagnostics plus éclairés et des thérapies de soins
appropriées. Cependant, il est nécessaire de clarifier les
responsabilités en cas d’information médicale erronée et d'encadrer
la faculté offerte au patient de modifier ses informations.
30 Dans la même lignée, le partage de données médicales et de dossiers
médicaux interopérables doit permettre une meilleure prise en
charge du patient, au sein de son État membre, mais également lors
de ses voyages dans d’autres États avec un suivi d’informations. La
question de la possibilité de lire un dossier médical dans un autre
État membre et celle de la terminologie commune des maladies et
traitements restent encore à être traitées.

2) Le partage des données : risque pour les patients

31 Le partage des données de santé, bien qu’extrêmement utile à des


fins préventives, peut également représenter un risque certain pour
le patient dont les données seraient partagées sans s’assurer de leur
anonymisation ou pseudonymisation. Il conviendra d’observer deux
cas, celui du vol des données sans autorisation préalable du
patient (a) et celui du partage des données aux tiers tels que les
assurances et les banques (b).

a) Le piratage des données


32 Le partage des données de santé par le patient et pour les patients
représente un atout considérable pour l’amélioration tant de la santé
des patients que des systèmes de soins. Néanmoins, lorsque
l’informatique et le numérique entrent en jeux, de gros risques les
accompagnent : risque de divulgation de données personnelles, faille
dans la protection de la vie privée ou encore piratage de données de
santé sont autant de dangers auxquels il faut faire face. Récemment,
l’actualité a montré qu’il s’agissait d’une réalité avec le piratage du
« Hollywood Presbyterian Medical center » au mois de février aux
États-Unis suivi de la cyberattaque de l’hôpital de York 47 . Le NHS
au Royaume-Uni a également été touché par une attaque numérique
et les informations sensibles de milliers de patients ont été
divulguées 48 . Hormis les cas malintentionnés de piratage des
données pour raisons pécuniaires, comment s'assurer de la fiabilité
des dispositifs médicaux ? Bien des questionnements se posent
notamment sur l'éventualité de pirater un dispositif médical
cardiaque à des fins criminelles ou de détourner des informations
médicales envoyées à un médecin depuis un objet connecté, et de
fausser des résultats d'analyse. Les 1 000 hôpitaux présents sur le
territoire français comptent cinquante responsables de la sécurité
des systèmes d’information, un nombre bien faible face aux menaces
qui pèsent sur les informations de santé. L’explosion du big data dans
tous les domaines, en particulier celui de la santé avec l’e‑santé, la
télémédecine, les milliers d’applications de suivi médical ou de bien-
être augmentent l’exposition au risque de cyberattaque des
établissements de santé, des patients, des entreprises et de leurs
clients.

b) Le partage des données avec des tiers


33 La question du partage de données, volontaire ou pas, avec les
mutuelles et banques reste une problématique principale pour les
utilisateurs de e‑santé. Il convient de faire une différence entre les
données de santé anonymisées ou pseudonymisées et les données de
santé brutes qui ne protègent pas l’anonymat des patients.
34 Au titre de l’assurance maladie, les données sont considérées comme
anonymes lors du stockage au sein du SNIIRAM (système national
d’information inter-régimes de l’Assurance-maladie). Cette mine
d’informations, l’une des plus grandes bases médico-administratives
comprend deux catégories de données : les données agrégées,
traitées dans le but d’obtenir des informations anonymes sur un
groupe d’individus présentant des caractéristiques communes et les
données à caractère personnel 49 . Néanmoins, en 2016 la nouvelle
loi Santé française prévoit un accès très contrôlé à ces données 50 .
La loi propose l’ouverture inconditionnelle et gratuite à tous des
données agrégées qui ne représentent aucun risque pour la vie
privée. Cependant, concernant la catégorie des données
personnelles, des conditions d’accès très strictes sont énoncées pour
protéger les patients pouvant être ré identifiés. Le croisement
d’informations peut permettre une ré identification facile du patient
et ce même en l’absence de son nom et prénom. A titre d’exemple,
un patient hospitalisé à deux reprises à des dates connues, si l'on
couple ces informations avec sa date de naissance et son lieu de
résidence peut être retrouvé sans difficulté. Ce risque de ré
identification du patient oblige à repenser la loi Santé qui prévoit
d’autoriser l’accès aux données personnelles à des organismes à but
lucratif ou non, mais sous plusieurs conditions. Seuls ceux dont
l’objectif est de réaliser une étude d’intérêt public peuvent avoir
accès à ces données 51 .
35 Pour les assurances et mutuelles, les données à caractère personnel
sont susceptibles d'avoir une valeur incommensurable : évaluation
des politiques de santé, amélioration de l’offre de soins et adaptation
de l’offre. Mais les données risquent d’être exploitées dans un intérêt
économique au détriment de l’intérêt public. En effet, les mutuelles
commencent, dans une optique préventive à offrir des dispositifs
médicaux à leurs adhérents pour monitorer leurs consommations
énergétiques quotidiennes ou encore leur activité physique. Il
convient de se poser la question des conséquences d’un tel contrôle.
N’y aurait-il pas un risque de surveillance accrue des adhérents avec
à la clef des offres de tarifs personnalisés en fonction de leurs
facteurs de risques ? Concernant les banques, le problème se pose de
la même manière. L’accès aux données des patients, y compris les
données de bien être, offre une marge de manœuvre trop grande aux
banques qui pourraient refuser l’octroi d’un prêt sous couvert d’une
conduite à risque du client, ce qui le prédisposerait à certaines
maladies.
36 Bien que la loi de 2016 interdise l’utilisation des données « dans le
but de promouvoir des produits, d’exclure des garanties dans les
contrats d’assurances ou de modifier les cotisations ou les primes
d’assurances d’un individu ou d’un groupe d’individus présentant un
même risque » 52 , elle ne précise pas pour autant les sanctions
encourues en cas de non-respect des obligations et ne présente de ce
fait pas un caractère dissuasif.
37 Entre partage des données personnelles pour l’avancée de la
recherche et protection des droits du patient, le paradoxe est
omniprésent. D’un côté, l’ouverture des données personnelles via la
e‑santé paraît un nécessaire indispensable pour permettre le
développement des soins de santé, de l’autre la protection du patient
doit rester au centre de la réflexion. Le développement de la e‑santé
tel qu’il est envisagé ne pourra se construire sans heurts. Il sera
nécessaire de proposer un cadre juridique sûr pour la protection des
données sensibles tout en permettant une ouverture des données
anonymisées de manière sécurisée.

NOTES
1. COM/2004/0356 final {SEC (2004)539 Communication de la
Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité Économique
et Social Européen et au Comité des régions - Santé en ligne -
améliorer les soins de santé pour les citoyens européens : plan
d'action pour un espace européen de la santé en ligne.
2. ASIP Santé et FIEEC. Études sur la télésanté et télémédecine en
Europe. mars 2011. Cette étude a été pilotée par l’ASIP santé et la
fédération des industries électriques et électroniques de la
communication (FIEEC). Ils en ont présenté les principaux
enseignements au cours d'une conférence de presse le 29 mars
2011.http://esante.gouv.fr/sites/default/files/Etude_europeenne_T
elesante_FIEEC_ASIPSante.pdf
3. JORF n° 0245 du 21 octobre 2010 Décret n° 2010-1229 du 19 octobre
2010 relatif à la télémédecine.
4. Notamment les pays nordiques.
5. OCDE, Améliorer l’efficacité́ du secteur de la santé : le rôle des
technologies de l’information et de la communication, 2010.
6. La e-santé pourrait s’appliquer au secteur sanitaire, médical,
paramédical, social, hospitalier et ambulatoire.
7. D’après la note du Centre d’analyse stratégique. Quelles
opportunités pour l’offre de soins de demain : la télésanté́. (n° 255,
décembre 2011), Irdes - Pôle documentation - M.-O. Safon, p. 3.
www.irdes.fr/documentation/syntheses-et-dossiers-
bibliographiques.html
8. Chiffres cités dans le Livre Blanc : « Ensemble pour la santé : une
approche stratégique pour la santé pour l’UE 2008-2013 », COM 2007 (630)
final.
9. L’estimation est celle d’une augmentation des dépenses de santé
de 25% dans le PIB. Il est aussi estimé que, d’ici à 2020, il manquera
dans l’Union européenne un million de professionnels de la santé et,
si l’on ne fait rien, 15 % des soins nécessaires ne seront pas assurés.
10. OCDE, Les maladies chroniques font payer un lourd tribut à
l’Europe, selon un nouveau rapport de l'OCDE et de la Commission
européenne (in) Health at a Glance: Europe 2016, 23 novembre 2016,
p. 204.
11. ASIP SANTÉ, La e-santé : une opportunité de croissance
économique, 26 novembre 2013.
12. F. Deschamps, Le marché de l’e‑santé à la loupe, e‑commerce mag.
http://www.ecommercemag.fr/Thematique/techno-ux-
1226/Breves/marche-sante-loupe-
184256.htm#p5mf8BQaBFu0vtB0.97, 26 février 2013.
13. Think Thank de la société numérique, D’un système de santé
curatif à un modèle préventif grâce aux outils numériques,
septembre 2014.des données anonymisées de manière sure.ne
ouverture Il sera nécessaire de proposer un cadre juridique sur pour
la protection de
14. Loi n° 2009-879 du 21 juil. 2009.
15. Art. L. 6316-1.-La télémédecine est une forme de pratique
médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de
la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient,
un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure
nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d'autres
professionnels apportant leurs soins au patient.
16. Décret n° 2010-1229 du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine,
21 octobre 2010, JORF n° 0245.
17. Article L6316-1 du Code de la santé publique.
18. ASIP Santé, le décret du 19 octobre 2010 relatif à la télémédecine,
18 juillet 2011.
19. Article 168 § 7 TFUE : « L'action de l'Union est menée dans le
respect des responsabilités des États membres en ce qui concerne la
définition de leur politique de santé, ainsi que l'organisation et la
fourniture de services de santé et de soins médicaux. Les
responsabilités des États membres incluent la gestion de services de
santé et de soins médicaux, ainsi que l'allocation des ressources qui
leur sont affectées. Les mesures visées au paragraphe 4, point a), ne
portent pas atteinte aux dispositions nationales relatives aux dons
d'organes et de sang ou à leur utilisation à des fins médicales. ».
20. JO L 88/63 du 4 avr. 2011.
21. COM/2004/0356 final {SEC (2004)539, Communication de la
Commission au Conseil, au Parlement européen, Comité Économique
et Social Européen et au Comité des régions, Santé en ligne -
améliorer les soins de santé pour les citoyens européens : plan
d'action pour un espace européen de la santé en ligne.
22. COM/2010/0546 SEC (2010) 1161, final communication de la
commission au Parlement européen, au Conseil, au Comité
économique et social européen et au comité des régions, Initiative
phare Europe 2020 Une Union de l’innovation.
23. « Les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de
l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des États
membres établis dans un État membre autre que celui du
destinataire de la prestation » (art. 56 Traité sur le Fonctionnement
de l’Union européenne).
24. Directive 98/34/CE du Parlement européen et du Conseil du 22
juin 1998 prévoyant une procédure d'information dans le domaine
des normes règlementaires et techniques.
25. Directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil du 8
juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la
société de l'information, et notamment du commerce électronique,
dans le marché intérieur (« directive sur le commerce
électronique »).
26. Directive 2000/31/CE du Parlement Européen et du Conseil du 8
juin 2000 relative à certains aspects juridiques des services de la
société de l’information, et notamment du commerce électronique,
dans le marché intérieur (« directive sur le commerce
électronique ») JO L 178, 17.7.2000, p. 1-16.
27. E. Brosset, S. Gambardella et G. Nicolas « La santé connectée et son
droit : approches de droit européen et de droit français », Coll. Droit
de la santé, PUAM, 2017, 243 p.
28. Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24
octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à
l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre
circulation de ces données, JO L281du 23 novembre 1995, p. 31.
29. Dir. 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 oct.
1995 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du
traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation
de ces données, JOCE L 281, p. 31 ; Dir. 2002/58/CE du Parlement
européen et du Conseil du 12 juill. 2002 concernant le traitement des
données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans
le secteur des communications électroniques.
30. Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil
du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à
l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre
circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE
(règlement général sur la protection des données) (Texte présentant
de l'intérêt pour l'EEE) J.O L 119, 4.5.2016, p. 1–88.
31. Article 4 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et
du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive
95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE) J.O L 119, 4.5.2016, p. 1–88.
32. SEA Avocats, Qu’est-ce qu’une donnée de santé,
https://www.sea-avocats.fr/e-sante.htm
33. Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux
fichiers et aux libertés.
34. Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil
du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à
l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre
circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE
(règlement général sur la protection des données) (Texte présentant
de l'intérêt pour l'EEE) J.O L 119, 4.5.2016, p. 1–88.
35. Article 38 de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés Version consolidée au 19
mars 2018.
36. Article 21 Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du
Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive
95/46/CE (règlement général sur la protection des données) (Texte
présentant de l'intérêt pour l'EEE) J.O L 119, 4.5.2016, p. 1–88.
37. Directive 95/46/CE du Parlement européen et du Conseil, du 24
octobre 1995, relative à la protection des personnes physiques à
l'égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre
circulation de ces données OJ L 281, 23.11.1995, p. 31–50.
38. Article 40 de la Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à
l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
39. Article 40 du Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et
du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes
physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel
et à la libre circulation de ces données, J.O L 119, 4.5.2016, p. 1-88.
SEA Avocats, Comment respecter le droit des personnes dont les
données de santé sont traitées ? https://www.sea-avocats.fr/e-
sante.htm
40. Partager ses données de santé : pour quels bénéfices et à quelles
conditions ? https://www.faire-simple.gouv.fr/bigdatasante
41. En son article 193 la loi de modernisation du système de santé
français de 2016 prévoit la mise en œuvre du système national de
données de santé et un nouveau cadre d’accès aux données de santé.
42. Ministere des solidarites et de la sante, Mise en œuvre du
systeme national des donnees de sante et nouveau cadre d’acces aux
donnees de sante, 28 decembre 2016.
43. Last JM (ed.). A Dictionary of Epidemiology, 2nd edn. New York,
NY : Oxford University Press, 1988.
44. Comprehensive Plan for Epidemiologic Surveillance. Atlanta, GA :
Centers for Disease Control, 1986.
45. JORF n° 0022 du 27 janvier 2016 LOI n° 2016-41 du 26 janvier
2016 de modernisation de notre système de santé (1).
46. JORF n° 0155 du 5 juillet 2016 Décret n° 2016-914 du 4 juillet
2016 relatif au dossier médical partagé.
47. Le Parisien, Los Angeles : paralysé par des hackers, un hôpital
verse une rançon, http://www.leparisien.fr/faits-divers/los-angeles-
un-hopital-verse-une-rancon-a-des-hackers-qui-le-pirataient-18-02-
2016-5557129.php, 18 février 2016.
48. Le point, Londres : une clinique révèle par erreur l’identité de
patients séropositifs, http://www.lepoint.fr/monde/londres-une-
clinique-revele-l-identite-de-patients-seropositifs-02-09-2015-
1961463_24.php2, septembre 2015.
49. Association française des correspondants à la protection des
données personnelles, Données de santé https://www.afcdp.net/-
Donnees-de-Sante-
50.C. Castets-Renard, “Quelle protection des données personnelles en
Europe ?”, 2014.
51.Article 193de la loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de
modernisation de notre système de santé JORF n° 0022 du 27 janvier
2016.
52. Ibid.
AUTEUR
NAHELA EL BIAD

Doctorante, Aix-Marseille Université, DICE, CERIC, Aix-en-Provence


Les technologies de l’information
dans la santé. Cadre de réflexion
sur leur portée et leur impact
Luc Viallard

1 L’accélération majeure du développement et de la diffusion des


technologies de l’information, à la fois sans fil ou s’appuyant sur des
infrastructures plus lourdes comme des câbles de fibre optique, a eu
pour conséquence des évolutions sociétales majeures. En effet, ces
nouvelles technologies et leurs usages, associés à l’émergence de
nouvelles sources et techniques de stockage de l’énergie, sont le
pilier majeur de la « troisième révolution industrielle », théorisée
notamment par le prospectiviste Jeremy Rifkin.
2 Dans la continuité des premières révolutions industrielles, à la suite
de l’invention de la machine à vapeur par James Watt à la fin du
XVIIIe siècle puis celle de la première centrale électrique par Thomas
Edison à la fin du XIXe siècle, c’est encore un réseau qui est à la
source de changements majeurs dans les sociétés humaines. Après
avoir permis le transport de la matière via les premiers réseaux
ferrés et le transport de l’énergie via les réseaux électriques, les
réseaux de communication offrent désormais la possibilité de
transporter directement l’information sous sa forme élémentaire.
Pour être diffusée, celle-ci devait jusqu’alors être incluse dans la
matière, sous forme de livre, de disque, de photographie… Comme
ont pu l’expliciter Philippe Forget et Gilles Polycarpe dans leur
ouvrage Le réseau et l’infini, la notion de « poids » d’un élément à
transporter au sein d’un réseau a historiquement été le principal
facteur en limitant sa circulation. Les technologies de l’information
offrent donc, pour la première fois, l’opportunité de s’affranchir de
ces importantes limitations grâce à la transformation de la nature
même de l’information et à sa mise en réseau.
3 En effet, ces technologies offrent une nouvelle représentation de
nombreux éléments de notre monde, sous forme de séries de 0 et 1
(la forme binaire, élémentaire de l’information). Qu’il s’agisse de
sons, d’images, d’éléments biologiques ou physiques, ces nouvelles
représentations du monde gagnent continuellement en précision et
en pertinence. Le traitement, par l’intermédiaire de fonctions
logiques simples, permet de reproduire l’information, de la modifier
ou d’en créer une nouvelle forme évoluée grâce à des outils de
traitements toujours plus performants. Initialement, ce traitement
consistait en la reproduction d’actions cognitives simples qu’aurait
réalisé un humain par l’utilisation de programmes séquentiels ou
procéduraux. Les avancées en matière d’intelligence artificielle
permettent désormais d’élargir la capacité de traitement de ces
informations en introduisant une possibilité d’auto-évolution à des
programmes traditionnels jusqu’alors figés. Il s’agit notamment de la
notion d’apprentissage (supervisé ou non) : au fur et à mesure que
les algorithmes de traitement vont accéder à des informations, ils
vont pouvoir en identifier certains motifs, certaines tendances qui
seront d’autant plus précis que la masse d’information soumise est
importante.
I – La portée de l’information, la taille du
réseau
4 Afin de mieux appréhender l’impact des technologies de
l’information, il est important de structurer la base de la réflexion
autour de deux idées clés : la notion de rôle dans la communication
(émetteur, récepteur, vecteur), et celle de portée de l’information, à
la fois dans l’espace au sein du réseau, mais aussi dans le temps.
5 Préalablement à la diffusion massive des nouveaux vecteurs de
l’information qu’ont été, par exemple les livres imprimés, la portée
de l’information était fortement limitée. Il était globalement
nécessaire de se trouver à portée de voix de l’émetteur d’une
information afin d’être à même de la recevoir. Les autres vecteurs
d’information disponibles (dessins, livres manuscrits) n’apportaient
que peu d’améliorations à cette problématique de diffusion de
l’information : celle-ci était fortement contrainte dans l’espace. De
plus, dans ce contexte, l’information était liée à une problématique
temporelle très forte : l’information s’oublie. Régler cette
problématique de « mémoire collective » a d’ailleurs été l’un des
défis les plus importants de l’humanité jusqu’au XVIe siècle. L’enjeu
était de ne pas perdre la connaissance à disposition de la génération
précédente. La non-maîtrise de cette problématique de
pérennisation de la connaissance, donc de l’information, a d’ailleurs
été la source de longues périodes de régression des sociétés
humaines, notamment au cours du premier millénaire de notre ère.
Dans ce contexte, le fait même que, dans notre société actuelle, il ait
été nécessaire de créer un « droit à l’oubli » est significatif de la
portée des évolutions amenée par les technologies de l’information.
6 En effet celles-ci ont amené trois changements majeurs :
la multiplication du nombre d’émetteurs et de récepteurs de l’information notamment
illustrée par l’émergence des objets connectés, autant dans les usages professionnels
que dans la vie quotidienne ;
la portée globale et instantanée de l’information, parfaitement illustrée par l’Internet
et les réseaux sociaux qui font que toute information, parfois même anecdotique, est
immédiatement accessible à presque la moitié des humains où qu’ils se trouvent ;
la persistance des informations produites, désormais dupliquées et stockées dans le
cloud, dans les systèmes de mise en cache des moteurs de recherche ou des systèmes
d’archivage distribués qui rendent l’information presque impossible à effacer.

II – Impact des technologies de l’information


dans différents domaines
7 Ces changements ont été à l’origine d’évolutions majeures dans de
nombreux domaines. L’un des exemples les plus parlants reste le
domaine de l’industrie. En effet, les chaînes de production ont été
l’un des premiers secteurs à connaître de profondes modifications
intégrant à la fois l’arrivée d’objets communicants, « capteurs » ou
« effecteurs », et une circulation plus importante de l’information
aux différentes personnes de la chaîne, de l’opérateur au
gestionnaire en passant par les services transverses. Cela a eu pour
conséquence une véritable continuité entre l’action des systèmes
informatiques ou automatiques et les personnes impliquées dans le
processus de production, avec, pour résultat, d’importants gains de
productivité. Cet exemple de l’industrie est particulièrement
intéressant car la logique d’intégration des technologies de
l’information a été poussée à son maximum. En effet, l’information
transmise entre les différentes entités de la chaîne de production
utilise de nombreux vecteurs qui sont à la fois différents et
interopérables : les systèmes se parlent dans un langage commun.
Cela permet aux différents systèmes informatiques et automatiques
de transformer l’information reçue en une action adaptée dans le
contexte global de la chaîne de production.
8 Ces changements ont été encore plus prégnants dans d’autres
secteurs comme la finance ou la logistique dans lesquels
l’information constitue le cœur de l’activité. Dans ces domaines, les
technologies de l’information ont permis des évolutions majeures,
permettant notamment la création du concept de chaînes
d’approvisionnements (suivi intégré du flux des produits jusqu’au
destinataire final) ou du « juste à temps ». En matière de services
financiers, l’impact est peut-être encore plus important : les
technologies de l’information ont permis l’accès à un compte en
banque pour plusieurs centaines de millions de personnes dans les
pays émergents.
9 Ces révolutions en termes d’usages ont été rendues possibles par un
ensemble de nouvelles technologies positionnées sur l’intégralité de
la chaîne de l’information :
création de l’information par l’intermédiaire de nouveaux dispositifs pouvant être
autonomes (objets connectés, capteurs industriels…) ou utilisés par des personnes dans
un nouveau contexte (utilisation d’applications générant de l’information dans la
mobilité, par exemple) ;
transmission grâce à un vaste spectre de technologies, adaptées à de nombreux cadres
d’utilisation différents ;
traitement automatisé de l’information transmise par des algorithmes complexes
pouvant intégrer un nombre croissant de sources d’information ;
stockage des données générées dont la croissance est exponentielle (selon David
Reinsel, John Gantz et John Rydning, chaque année voit une croissance de 30 % dans la
production globale de données: Data Age 2025: The Evolution of Data to Life-Critical Don’t
Focus on Big Data; Focus on the Data That’s Big, 2017) ;
diffusion de l’information présentée de façon compréhensible par le récepteur qui en a
l’utilité, individu ou système « effecteur » (qui va effectuer une action à partir de
l’information reçue).
III – Les technologies de l’information dans le
monde de la santé
10 Dans le secteur de la santé, le potentiel de changement induit par les
technologies de l’information est probablement supérieur à celui
évoqué dans les exemples précédents. En effet, le cœur même de la
pratique médicale évolue de façon paradoxale, à la fois vers plus de
technicité (ultra spécialisation, complexité accrue des procédures,
approche segmentée « par organe ») et vers une approche plus
globale du patient (physiopathologie) alors que de nombreuses
personnes commencent à être confrontées à la problématique de la
polypathologie. Ce changement majeur du cœur des métiers de
santé, associé à une forte évolution de l’épidémiologie dans les pays
développés, pousse vers une mutation de l’exercice médical,
accélérée par le foisonnement des possibles amenés par les
technologies de l’information.
11 En effet, dans la médecine plus qu’ailleurs, l’information qualifiée
constitue l’élément d’entrée primordial à la qualité de l’exercice. Son
échange, lors du colloque singulier entre le patient et le
professionnel, est limité dans le temps, autant en matière de
fréquence que de durée. De plus, les tensions sur les ressources
médicales, tout du moins dans certains secteurs géographiques ou
pour certaines spécialités, imposent des contraintes additionnelles
très fortes sur l’utilisation du temps et la disponibilité des
professionnels de santé.
12 Dans ce contexte, la disponibilité de nouvelles sources d’information
pour les patients est un changement important. Cela leur permet de
contourner les limites de disponibilité de temps d’échange avec celui
qui était, traditionnellement, la seule source d’information santé
pour le patient : son médecin.
13 Cette tendance s’est initialement matérialisée par l’apparition de
sites Internet puis de forums spécialisés permettant des échanges
directs d’information entre patients. L’exemple le plus connu en la
matière est Doctissimo avec, comme principale limitation, la qualité
scientifique souvent inégale de l’information diffusée. Depuis, grâce
à l’évolution des technologies et notamment la démocratisation des
smartphones, de nombreuses applications spécifiques à la santé ont
vu le jour. Initialement dédiées à la diffusion d’information comme
leurs prédécesseurs, les applications se sont peu à peu spécialisées.
Grâce à la proximité permanente avec le patient, elles ont permis de
proposer une information de plus en plus adaptée au contexte précis
du patient ainsi qu’à des besoins de santé spécifiques (rappels de
prise de médicament, programmes d’activité physique…).
14 L’information est devenue de plus en plus personnalisée, tout
d’abord en la croisant avec les éléments disponibles directement sur
le smartphone (localisation, activité de la personne par exemple),
puis avec l'aide de questionnaires spécifiques permettant d’identifier
les besoins particuliers du patient. Enfin l’émergence des objets
connectés de santé a, par la suite, permis de compléter les
questionnaires en apportant de nouvelles données. Ces nouvelles
mesures, objectives, permettent de pousser encore plus la
personnalisation de l’information délivrée, directement en fonction
des paramètres physiologiques et environnementaux de la personne.
15 Au-delà des usages des patients, ce foisonnement de nouvelles
sources d’information concerne également les professionnels de
santé. Ce qui est particulièrement marquant est l’ampleur du
phénomène. Même si, depuis la fin des années 1980, l’avancée de la
pratique médicale dans certains domaines d’expertises (radiologie,
analyse médicale…) a été très fortement corrélée au développement
de technologies produisant des informations au format
« numérique », seul un nombre restreint de professionnels étaient
réellement concernés.
16 La démocratisation de l’usage de l’Internet et des smartphones a été
la source d’une évolution majeure de la pratique : les échanges entre
professionnels sont simplifiés et enrichis (possibilité de partage
d’images notamment), l’accès à l’information scientifique et sa
traduction est simplifié, l’échange avec le patient est révolutionné
par la télémédecine et la e-santé… Ce dernier point est une véritable
innovation de rupture : il s’agit d’une nouvelle approche des métiers
de la santé. L’établissement d’un flux d’information continu entre le
professionnel de santé et le patient, dont l’intensité et la fréquence
dépendent du protocole clinique, offre d’importantes possibilités en
matière de service médical rendu. De plus, l’évolution combinée,
continue et rapide des technologies utilisées sur l’ensemble de la
chaîne de l’information rend le champ des possibles difficile à
explorer, à complètement appréhender. Ce phénomène est
également renforcé par la disparité entre le temps de
développement des technologies de l’information (rapide) et le
temps de conviction et d’adoption de nouveaux outils ou protocoles
au sein du monde médical (lent).
17 L’ampleur de l’impact amené par les technologies de l’information
dans le monde de la santé est avant tout lié au nombre de briques
technologiques matures disponibles qui permettent enfin de couvrir
la quasi intégralité des besoins et des usages. Dans un univers aussi
morcelé que la santé qui voit de nombreux professionnels, issus de
parcours, de métiers différents, et de nombreuses organisations
coopérer au bénéfice d’un seul et unique patient, la capacité
nouvelle à répondre à leurs exigences en matière d’usage constitue
une vraie révolution. Celle-ci est clairement rendue possible par
l’intégration simultanée de nouvelles briques technologiques sur
l’ensemble de la chaîne de l’information.
18 Par exemple, la capacité à connecter des objets permet désormais de
déporter la fonction « communication » qui imposait à chaque
équipement d’être doté d’une interface homme-machine (écran
numérique, affichage colorimétrique…). En effet, la mesure peut
désormais être réalisée de façon autonome par un objet miniaturisé
puis son résultat transmis à un système de traitement qui restituera
l’information au format approprié. Grâce à cela, une nouvelle
génération de capteurs biomédicaux, donc de nouvelles sources
d’information est en train de voir le jour, donnant accès à de
nouvelles mesures, jusqu’alors irréalisables ou permettant une
mesure continue ou plus simples de paramètres physiologiques déjà
accessibles. Un exemple célèbre en la matière est la conception, par
Verily (filiale de Google) d’une lentille connectée mesurant en
continu le taux de glucose dans le liquide lacrymal.
19 Un domaine également important de la chaîne d’information qui a
vu les innovations se multiplier et offrir des perspectives
importantes en matière d’utilisation pour la santé est l’accès au
réseau. La transmission de l’information est en effet l’une des étapes
primordiales qui ne comportait jusqu’alors que peu d’alternatives :
les dispositifs devaient être connectés par câble à un routeur
Internet ou une prise téléphonique, en WiFi ou à une connexion
cellulaire (3G, 4G…) directement ou par l’intermédiaire d’un lien
Bluetooth vers un smartphone. Ces technologies s’adaptaient à de
nombreux cas d’usage mais comptaient cependant de très
importantes limitations : besoin d’une connexion Internet au
domicile, utilisation restreinte hors du domicile, synchronisation
avec un smartphone.
20 L’impact de ces contraintes en termes d’utilisabilité restait malgré
tout un vrai frein à l’utilisation en restreignant le cadre d’usage ou
en imposant des manipulations potentiellement complexes aux
utilisateurs. Dans ce contexte, l’émergence des réseaux de
l’« Internet des Objets » permettant une transmission autonome des
mesures réalisées par les différents capteurs est une vraie avancée.
Une fois la mesure réalisée, celle-ci est transmise directement par
l’objet aux serveurs de traitements. Plus besoin de gérer différents
scénarios de connexion au réseau, d’installer des applications sur
son téléphone (est-il compatible d’ailleurs ?)… Cela permet
désormais de proposer des services mieux intégrés, fonctionnant de
façon équivalente en toute situation et ainsi plus simple à opérer
pour les acteurs de santé. Garantir une remontée simple et efficace
des différentes informations collectées est une avancée majeure et
un activateur important du développement et de l’efficacité des
systèmes de traitement automatisés de type « big data » ou
« intelligence artificielle ».
21 Enfin, le bout de la chaîne d’information, à savoir les outils de
restitution de l’information aux utilisateurs, est également en train
de traverser des évolutions importantes. Encore une fois, il s’agit
d’une amélioration de l’acceptabilité des outils telle que définie par
les travaux de Davis dans Perceived Usefulness, Perceived Ease of Use,
and User Acceptation of Information Technology, 1989. En effet,
l’émergence de nouvelles applications fonctionnant sans installation
nécessaire d’un logiciel et amenant, au-delà d’un design de qualité,
d’importants niveaux de personnalisation des interfaces a favorisé
grandement l’utilisation des outils restituant les informations
produites par les autres acteurs de la chaîne de soin, qu’il s’agisse du
patient ou des autres professionnels. Ce nouveau contexte dans
lequel l’usage de la technologie par les professionnels n’apparaît plus
comme un frein offre de nouvelles perspectives de collaborations et
de synergies, s’appuyant sur une circulation accrue de l’information.
L’impact de ce changement est majeur :
pour le patient en termes de service rendu ainsi que d’implication dans sa propre prise
en charge ;
pour les professionnels qui voient les collaborations facilitées avec leurs pairs (seconds
avis par exemple) ou avec des praticiens issus d’autres disciplines ;
pour les organisations qui peuvent évoluer de façon plus souple et cohérente, avec
notamment l’émergence de nouveaux types de structures en réseau agrégeant des
compétences complémentaires parfois intégrées à une dimension territoriale.

22 Ce changement soulève également une autre question, parfois


occultée, qu’est le rôle des fournisseurs de ces technologies au sein
du domaine de la santé. En effet, les technologies qu’ils ont créées
sont à la base de l’évolution profonde de la prise en charge des
patients. Il semble donc primordial de bien définir le rôle de ceux qui
sont, à ce jour, principalement perçus comme des « fournisseurs
d’outils ».

IV – Portée du changement et impact des


technologies de l’information
23 Comme nous avons pu le voir, le monde de la santé se transforme
petit à petit. L’intégration des technologies de l’information s’opère
en parallèle par différents vecteurs : les patients en quête de
réponses à leurs problèmes de santé, les professionnels de santé, les
organisations nouvelles ou anciennes et les institutions. Tous les
acteurs du monde de la santé adoptent ou développent des
technologies innovantes qui sont, pour l’instant, considérées comme
de simples outils au service de leur pratique.
24 Cependant, la plupart des « outils » qui ont été évalués à ce jour sont
des technologies relativement anciennes. Par exemple, le télésuivi
des patients insuffisants cardiaques est effectué par une pesée
quotidienne, transmise via un réseau de télécommunication. Les
informations sont généralement traitées par des algorithmes simples
qui comparent les valeurs remontées à des seuils prédéfinis. Les
traitements plus poussés de grands jeux de données, notamment à
l’aide de l’intelligence artificielle, ont commencé à être utilisés
récemment et leurs résultats sont à la fois spectaculaires et
perturbants.
25 Spectaculaires, car ils permettent d’associer de nombreux éléments
physiologiques, génétiques, environnementaux ou beaucoup
d’autres données disparates (y compris des listes d’achats en
supermarché…) et d’effectuer des corrélations inaccessibles à l’esprit
humain afin de diagnostiquer certains états ou de proposer un
traitement optimal. Ces systèmes complexes sont notamment
utilisés en oncologie, domaine dans lequel il est nécessaire de croiser
de nombreux paramètres pour déterminer le traitement optimal.
26 Perturbants, car l’homme n’est plus capable de comprendre
pourquoi l’intelligence artificielle effectue un choix. Cela pose donc
de nombreux problèmes éthiques, notamment pour la validation
clinique de ce type de solution. En outre, plus les données remontées
seront riches et complexes, plus cette problématique deviendra
prégnante. Ainsi la vague de création de capteurs ou même de nano-
capteurs biomédicaux autorisant la mesure de nouveaux
biomarqueurs au plus près de processus physiologiques identifiés
imposera aux soignants le besoin de s’assister d’outils
algorithmiques afin de tirer la quintessence de l’information
disponible. En outre la question de la qualité des données d'entrées,
sur lesquelles se base l'algorithme pour prendre sa « décision », sera
également un point clé à traiter.
27 Chercher à cantonner ce type de technologies au rang d’outil semble
être réducteur tant le changement qu’elles amènent est profond. Il
s’agit littéralement d’une modification de la notion même d’espace
autour des patients, de la fluidification de cet espace comme théorisé
par Laurent Henninger (Espaces fluides et espaces solides : nouvelle
réalité stratégique, 2012). Cette révolution est avant tout stratégique.
Elle implique une réorganisation profonde de la chaîne de valeur de
la santé et de l’organisation globale des soins avec notamment une
possibilité unique d’entrée sur ce marché fort lucratif pour des
acteurs qui en étaient jusqu’alors écartés.
28 Compte tenu du développement exponentiel des possibilités
amenées par la rencontre des biotechnologies, des technologies de
l’information et de l’intelligence artificielle (sa capacité sera-t-elle
décuplée par les ordinateurs quantiques comme annoncé ?), il est en
l’état impossible d’identifier une limite, un plafond, aux possibilités
des développements techniques en matière de santé. Cette réalité est
sans doute effrayante pour de nombreuses personnes qui cherchent
probablement à se rassurer en circonscrivant le rôle des
technologies à celui d’un outil, au service d’un opérateur sachant. Il
semble donc important d’embrasser le potentiel amené par les
technologies afin de ne pas en laisser la réalisation à d’autres, que ce
soit par désintérêt, ignorance ou déni. La révolution est en marche.
Nous sommes devant une feuille blanche et c’est à chacun, citoyens,
patients et professionnels de santé, de se saisir de ce sujet en toute
humilité car, s’il nous est impossible d’entrevoir et d’anticiper tout
ce que les technologies pourraient apporter au monde de la santé,
nous nous devons d’en guider le développement.
AUTEUR
LUC VIALLARD

Président de la société Winnov


Aidediag expert à l’ère de Google
DeepMind Health et IBM Watson
Nicolas Chassaing

I – Introduction
1 Dans un premier temps, et avant de développer les réflexions
éthiques/juridiques posées par ces nouveaux outils, je vais vous
présenter brièvement leurs fonctionnalités.
2 AideDiag Expert est une application développée par un médecin
généraliste dont l’objectif est d’aider les médecins généralistes et
spécialistes dans leur démarche médicale quand ils sont confrontés à
des difficultés diagnostiques, soit en raison de pathologies rares, soit
en raison d’une présentation atypique d’une pathologie plus
fréquente. Après avoir réalisé son interrogatoire, et son examen
clinique, le médecin va pouvoir croiser les signes identifiés chez son
patient (parmi 5000 entrés de signes cliniques, paracliniques ou de
terrain) et aboutir ainsi à une liste de d’hypothèses diagnostiques
classée par ordre probabiliste (prenant en compte la fréquence de la
pathologie, la sensibilité et la spécificité de chaque signe rentré par
l’utilisateur). A ce stade, un réexamen ciblé sur ces hypothèses
diagnostiques est proposé au médecin en hiérarchisant les examens
à demander en première, deuxième ou troisième intention. La base
de données de l’application est le fruit de 17.000 heures de travail
basée sur des publications médicales référencées. L’évolution de
cette base est réalisée par des mises à jour régulières des données.
3 IBM Watson propose une solution visant à aider les médecins dans
leurs choix thérapeutiques. Cette application, actuellement
développée pour le cancer, va être capable de compiler les données
du patient (historique, génétique, imagerie, histologie, évolution des
lésions) pour proposer à partir de bases de données et de la
littérature internationale, le meilleur choix de traitement. IBM
Watson va se perfectionner grâce à un apprentissage par
renforcement : des cas cliniques vont lui être proposés, et ses
propositions vont être soumises à un panel d’oncologistes experts
qui vont lui faire un retour. Le logiciel sera alors capable d’adapter
son algorithme de prise de décision en fonction de ces réussites ou
erreurs. Des développements hors cancer sont en cours, notamment
pour la prise en charge du diabète, ou pour intégrer les données
génétiques du patient pour une prise en charge personnalisée de sa
santé.
4 Google DeepMind Health a été pensé initialement pour la prise en
charge en milieu hospitalier des patients atteints d’insuffisance
rénale chronique. A partir des antécédents, constantes et des
résultats de laboratoire d’un patient, il va indiquer aux soignants
quels patients prioriser. Il produit des alertes aux soignants via
l’application mobile Streams. Un partenariat avec le service de santé
britannique (National Health Service) a été signé et cette application
a été mise en place dans plusieurs hôpitaux Londoniens. L’évolution
de l’algorithme se fait également par un apprentissage par
renforcement. Des développements sont également prévus pour la
prise en charge des patients diabétiques, infectés ou présentant une
défaillance d’organe.
5 L’apparition et l’utilisation de ces nouveaux outils dans la pratique
médicale va poser plusieurs questions. Parmi ces questions, j’ai
choisi de développer celles-ci :
Comment différencier une approche commerciale d’une approche de santé ?
Quel sont les niveaux de transparence des processus décisionnels ?
Comment intégrer le cas particulier dans une approche statistique ?
Quelles données sont collectées et quelles sont leurs utilisations ?
Que devient la responsabilité des acteurs historiques (les médecins) et nouveaux (les
applications) vis-à-vis du patient ?
Comment ces outils vont changer la pratique médicale ?

II – Interrogations liées à l’utilisation de ces


nouveaux outils
A – Comment différencier une approche commerciale
d’une approche de santé ?

6 AideDiag Expert comme IBM Watson et Google DeepMind Health ont


pour but d’améliorer la prise en charge des patients, soit en
diminuant l’errance diagnostique, soit en hiérarchisant l’urgence des
soins à donner, soit en proposant le traitement le plus adapté pour
un patient. Il existe donc une volonté d’amélioration de la santé. Il
existe également une approche commerciale, ces outils étant vendus
aux personnels soignants ou institutions de santé. Cette démarche
commerciale est affichée est ne pose pas de problème particulier. On
peut cependant se demander si en dehors de cette démarche
commerciale affichée, il peut exister des démarches commerciales
« cachées ». C’est notamment le cas pour les outils d’intelligence
artificielle récupérant un grand nombre de données sensibles
concernant les patients qui présente une valeur marchande
évidente, nous y reviendrons. D’autres démarches commerciales
cachées pourraient exister, et si l’on prend le cas d’IBM Watson, on
pourrait imaginer que des industries pharmaceutiques puissent
payer pour que leurs médicaments soient plus souvent prescrits
(comme il est possible de payer Google pour avoir sa page web dans
les premières positions des recherches). De même, s’il existait une
interrelation entre les différentes sources de données (si la
possibilité était donnée à IBM Watson d’accéder aux recherches
internet du patient par exemple, ce qui n’est pas le cas
actuellement), des propositions commerciales pourrait être faites
aux patients (comme nos recherches sur internet font apparaître des
publicités personnalisées) pour tel ou tel soin, méthode de
relaxation, ou autre en fonction de la « personnalité numérique » du
patient. Enfin, on peut imaginer que les instances de santé puissent
introduire également des critères de traitement proposé en fonction
du coût du traitement et du pronostic de la pathologie. Un savant
calcul serait alors fait pour déterminer quel patient pourrait
bénéficier d’un traitement à coût élevé en fonction de son âge et du
pronostic de sa pathologie. Dans ces conditions, les propositions
thérapeutiques prendraient en considération non plus seulement les
données médicales du meilleur traitement pour tel patient, mais
également des données de santé publiques. On comprend bien qu’il
existe une nécessité de transparence dans les recommandations
faites par ces algorithmes et que si des éléments ne relevant pas de
la pratique médicale sont intégrés pour le choix des traitements, ces
éléments devront être connus et acceptés.

B – Quels niveaux de transparence pour les processus


décisionnels ?

7 Nous venons de voir la nécessité d’une transparence totale de ces


outils pour éviter des pratiques commerciales cachées. Mais en
dehors de cela, quelle est la transparence du processus décisionnel,
c’est-à-dire comment l’utilisateur (les professionnels de santé)
peuvent comprendre la recommandation faite par l’outil ? Pour le
cas d’AideDiag Expert, même si l’algorithme décisionnel n’est pas
connu des médecins utilisateurs, celui-ci se base sur la démarche
médicale classique et intègre des données classiques pour les
médecins (fréquence des maladies, sensibilité, spécificité des signes),
ce qui fait que la démarche diagnostique proposée est
compréhensible pour l’utilisateur. De plus les données sont issues de
publications médicales toutes référencées dans le programme.
8 Pour les outils d’intelligence artificielle, le processus amenant à la
recommandation de traitement ou de priorisation des patients est
plus obscure car se basant sur un nombre important de données
dont l’importance relative n’est pas connue. Seul le concepteur et
non l’utilisateur aura une idée des critères utilisés. Jusqu’à un
certain point car l’application en s’auto-entraînant va modifier son
algorithme de prise de décision. Les recommandations proposées
apparaissent alors comme une « vérité », sans qu’il ne soit possible
de la remettre en cause, les arguments décisionnels n’étant pas
connus.

C – Cas particuliers ou approche statistique ?

9 La démarche médicale et par nature une approche probabiliste.


Devant tel ou tel symptôme, les maladies les plus probables sont
connues, et devant ce diagnostic, le traitement qui est
habituellement le plus efficace est connu. Ces approches
probabilistes sont conservées dans les différents outils présentés ici.
Dans le cas d’AideDiag Expert, le médecin est maître des signes
cliniques ou paracliniques qu’il va rentrer, et il va pouvoir reclasser
les hypothèses diagnostiques en fonction des particularités de son
patient (de sa psychologie, de ses antécédents, de son
environnement familial et social). Dans le cas d’IBM Watson ou de
Google DeepMind Health, les particularités médicales du patient sont
prises en compte au travers du nombre de données important qui va
servir à la recommandation. Cependant, les aspects psychologiques
et sociaux ne peuvent être pris en compte, sauf à pouvoir utiliser
d’autres données que les données sur la pathologie. Le
développement des outils d’intelligence artificielle permettra peut-
être d’inclure ces données dans leurs recommandations. A l’heure
actuelle, il convient au soignant d’intégrer ces aspects dans les
recommandations qui lui sont faîtes. Une autre question, sur
l’approche statistique est celle du risque d’erreur et de l’acceptation
de ce risque. En se basant sur une approche statistique, le médecin et
l’intelligence artificielle peuvent se tromper. L’acceptation de cette
erreur par le patient sera-t-elle la même quand elle sera faite par un
soignant ou par une application ? Quelle sera la marge d’erreur
tolérée pour les outils d’intelligence artificielle ?

D – Les données collectées et leur utilisation

10 Dans l’application AideDiag Expert, le médecin ne va pas rentrer de


données nominatives. Il va faire une recherche à partir de données
cliniques et paracliniques pour obtenir une liste d'hypothèses
diagnostiques. Le médecin peut ensuite télécharger sa recherche
pour l’inclure dans son fichier patient. Il n’y a pas donc de données
sensibles collectées par l’application. Les seules données que
pourraient en théorie enregistrer AideDiag Expert sont les signes les
plus fréquemment rentrés et les hypothèses diagnostiques les plus
souvent proposées. Cela pourrait être utilisé à des fins d’études
épidémiologiques mais aucune donnée sensible ne pourrait être
utilisée à des fins commerciales. Dans le cas d’IBM Watson ou de
Google DeepMind Health, de nombreuses données de santé sont
collectées (résultat d’analyses génétiques, imagerie, constantes,
bilan biologiques, stade de la tumeur). DeepMind Health a ainsi
collecté les données de 1.6 millions de patients anglais. Ces données
sont collectées sans le consentement explicite des patients, ce qui a
fait dire à l’Information Commissioner’s Office (ICO) de Grande
Bretagne (l’équivalent de notre Commission nationale de
l'informatique et des libertés (CNIL)) en juillet 2017 que les hôpitaux
anglais utilisant DeepMind Health étaient hors la loi car ils
n’informaient pas les patients sur qui utiliseraient les données et
pour quels objectifs. Le contrat liant DeepMind Health et le NHS
stipule cependant que les données collectées ne peuvent pas être
transmises à des tiers et qu’elles seront détruites à la fin de l’étude.
En dehors d’une démarche volontaire de cession de ces données, la
question d’un piratage de ces données peut se poser. Les données
collectées par Google DeepMind Health sont nominatives et
comprennent des informations médicales qui pourraient être
utilisées à des fins non médicales (assurances, employeurs,
banques…) ce qui constitue un risque à la collecte de telles données.

E – La responsabilité des différents acteurs

11 La responsabilité médicale incombe en totalité au médecin, même


dans le cas où il utiliserait AideDiag Expert. Il reste maître de son
interrogatoire et de son examen clinique et de ses hypothèses
diagnostiques. AideDiag Expert n’apportant pas un diagnostic, mais
une liste d’hypothèses diagnostiques possible. Pour DeepMind
Health, c’est l’application qui va décider de sélectionner les patients
à voir en priorité, et IBM Watson va proposer des recommandations
de traitement. Cependant nous avons vu que les processus menant à
ces recommandations restaient obscurs pour les utilisateurs. A
l’heure actuelle, la responsabilité médicale repose encore
entièrement sur le personnel soignant. Il est libre de suivre les
recommandations de DeepMind Health ou d’IBM Watson. Les choses
pourraient changer si les recommandations de ces outils devenaient
opposables aux médecins. Le rapport « ETHIQUE DE LA RECHERCHE
EN APPRENTISSAGE MACHINE » de la CERNA, juin 2017 souligne un
risque de dérive de l’utilisation de ces outils : « La personne qui
décide risque de n’être plus qu’un exécutant de la « proposition »
formulée par la machine. Suivre cette proposition, s’aligner sur la
décision de la machine apparaît comme l’option la plus sûre. Dévier
de la solution proposée par la machine est un acte qui nécessite
d'être expliqué, qui entraîne une prise de responsabilité et de
risque. ». Si un médecin peut être condamné pour ne pas avoir suivi
les recommandations de ces outils, alors commence à se poser la
question d’une responsabilité médicale partagée entre les
concepteurs de ces outils, les programmateurs, les entraîneurs et les
utilisateurs. De la même façon, si l’outil aboutit non plus à une
recommandation, mais directement à la prescription d’un
traitement, la responsabilité médicale sera déplacée du médecin vers
toutes les personnes impliquées dans le développement de
l’application.

F – Quelle évolution de la pratique médicale ?

12 Enfin, l’introduction de ces outils en pratique clinique pose une


question plus générale de l’évolution de la médecine. AideDiag
Expert accompagne le médecin dans une démarche médicale actuelle
et déjà intégrée par notre société. Il ne s’agit pas d’intelligence
artificielle, mais « d’intelligence assistée », celle du médecin. Pour
IBM Watson ou Google DeepMind Health, il s’agit d’une nouvelle
forme de médecine. Des données multiples des patients sont
intégrées par une « intelligence artificielle » pour aboutir à des
recommandations de traitement et de prise en charge. Que devient
alors le rôle du médecin confronté à ces nouveaux outils ? Est-il là
pour valider ou rejeter les recommandations de ces outils ? Est-il là
pour exécuter les recommandations, cette relation médecin-patient
permettant alors d’être l’interface humaine pour expliquer les
décisions de la machine ? Ces questions ne sont pas tranchées, et
dépendront en partie du poids qui sera accordé aux
recommandations de ces outils dans la démarche de soin, qu’elle soit
diagnostique ou thérapeutique. L’utilisation de ces outils laisse
cependant envisager une évolution importante de la pratique
médicale.

III – Conclusion
13 J’ai dans ce descriptif de types d’applications médicales essayé de
soulever les questions posées par l’intégration de ces outils dans la
pratique médicale. J’ai à dessein comparé deux types d’outils. L’un
s’intégrant dans la pratique usuelle de la médecine à notre époque et
visant à améliorer cette démarche diagnostique par
l’accompagnement du médecin. L’autre peut s’apparenter à une
nouvelle démarche médicale qui est porteuse d’espoirs
d’amélioration importante des performances médicales que ce soit
dans un cadre diagnostic ou thérapeutique, mais qui par son
caractère disruptif pose la question de l’évolution de l’exercice
médical et plus largement de la société. Ce dernier type d’outil pose
également différentes questions sur le plan éthique et juridique, et
j’ai essayé de les identifier et d’apporter quelques éléments de
réponse. Les problèmes posés par ces nouveaux outils seront plus ou
moins importants en fonction de la place qu’ils prendront dans la
pratique médicale et des régulations qui seront mises en place. Il
convient dès à présent de penser cette future pratique médicale et
de savoir quelle place nous voulons qu’elle prenne. Jürgen Habermas
soulignait déjà en 1973 dans « La technique et la science comme
"idéologie" » cette nécessité de décider de l’utilisation souhaitée des
avancées technologiques et proposait « d’engager une discussion
débouchant sur des conséquences politiques, qui mette en rapport
de façon rationnelle et obligatoire le potentiel dont la société dispose
en matière de savoir et de pouvoir techniques avec notre savoir et
notre vouloir pratiques ».

RÉSUMÉS
Les avancées des Technologies de l’Information et de la Communication et le
développement de l’Intelligence Artificielle amènent aujourd’hui à de nombreuses
applications touchant de nombreux domaines de notre vie quotidienne, et notamment pour
ce qui nous concerne plus particulièrement, le domaine de la santé.
Il est probable que ces nouveaux développements vont permettre une amélioration de la
prise en charge des patients (prévention, diagnostic, traitement, suivi….) en s’adressant
directement aux patients, aux praticiens, voir aux établissements de santé. Cependant, ces
nouvelles pratiques, en associant une science médicale à une science technologique,
amènent également des interrogations sur des notions telles que la finalité (amélioration de
la santé et/ou pratique commerciale), la transparence (quelles données, quels algorithmes
pour quels résultats), la qualité des prévisions, la confidentialité et la protection des droits
des patients (hébergement, accès et utilisation des données patients), la généralisation de
cas particuliers à partir d’algorithmes, et enfin les responsabilités des différents acteurs
(concepteur, programmateur, diffuseur, utilisateur). Ces applications peuvent-elles,
doivent-elles, vont-elles remplacer les médecins ou les accompagner ?
Nous souhaitons développer ces interrogations en nous basant sur l’étude de deux modèles :
l’un concerne l’application d’aide au diagnostic médical AideDiag Expert développée par un
médecin généraliste ayant pour objectif de reproduire l’approche diagnostique d’une
consultation médicale, l’autre mettant au service l’intelligence artificielle (DeepMind
health, IBM Watson Health) pour proposer à partir de millions de données une prise en
charge diagnostique ou thérapeutique pour un individu.

AUTEUR
NICOLAS CHASSAING
Médecin généticien au CHU de Toulouse,
Responsable Innovation AideDiag Expert
L'impact du numérique sur le
système de soins
Le cadre juridique du traitement
des données de santé 1
Fabrice Mattatia

1 Du fait de la sensibilité des données de santé, leur traitement


informatisé est particulièrement encadré par le droit. En effet, les
données de santé constituent des données à caractère personnel, et
même des données dites « sensibles ». Elles relèvent donc à ce titre
des dispositions concernant les données personnelles, harmonisées
au niveau européen (I). A ce premier cadre s’ajoutent des
dispositions spécifiques, justifiées par le caractère médical des
données de santé, qui impose des contraintes particulières de
fiabilité, de disponibilité et de sécurité, afin de garantir notamment
la continuité des soins. La France a donc mis en place un régime
spécial pour l’hébergement de ces données (II). On peut souligner à
cette occasion à quel point le droit est évolutif et s’adapte aux
évolutions technologiques, puisque, aussi bien pour les données
personnelles que pour l’hébergement, le cadre juridique connaît une
rupture majeure entre 2017 et 2018.

I – Le cadre général des données


personnelles
2 Le traitement des données à caractère personnel, qu’il s’agisse de
leur collecte, de leur transmission, de leur utilisation ou de leur
stockage, est encadré en France par la loi 78-17 « Informatique et
Libertés » du 6 janvier 1978 modifiée. Au niveau européen, ce cadre
est harmonisé par la directive 95/46/CE de 1995, abrogée et
remplacée à partir du 25 mai 2018 par le règlement européen
2016/679 du 27 avril 2016 (Règlement général sur la protection des
données ou RGPD).
3 Jusqu’au 25 mai 2018, les données personnelles doivent être traitées
selon les dispositions de la loi Informatique et Libertés, dans sa
rédaction issue notamment des modifications de 2004 (pour la
transposition de la directive de 1995) et de 2016 (loi 2016-1321 pour
une République numérique). Après cette date, par primauté du droit
européen d’application directe, c’est le RGPD qui s’applique
fondamentalement ; toutefois il demeure une loi Informatique et
Libertés modifiée, dont les dispositions complètent le RGPD.

A – Grands principes

1) Définitions

4 Par définition, constitue une donnée personnelle toute donnée


relative à une personne physique identifiée ou identifiable,
directement ou indirectement 2 . L’identification indirecte peut par
exemple consister dans le recours à un pseudonyme ou à un numéro
de dossier, du moment qu’il existe toujours un moyen, quelque long
et tortueux qu’il soit, de remonter à l’identité de la personne
concernée. En fait, seule l’anonymisation non réversible, c'est-à-dire
l’impossibilité définitive de retrouver l’identité de la personne
concernée, fait perdre à la donnée son caractère personnel. On
constate ainsi que toutes les données de santé entrent dans cette
catégorie, tant qu’elles se rapportent, directement ou indirectement,
à un patient. Seules les données de santé définitivement
anonymisées ou les données de santé statistiques (concernant donc
un grand nombre de personnes indiscernables) échappent à la loi
Informatique et Libertés.
5 La loi définit par ailleurs le traitement comme toute opération
portant sur les données, notamment la collecte, l’enregistrement, la
conservation, la modification, la consultation, la transmission ou
l’effacement…
6 En outre, les données de santé font partie des données personnelles
que la loi considère comme sensibles, et auxquelles un régime de
protection encore plus drastique est appliqué. Ainsi, tout traitement
automatisé de ces données est par défaut interdit 3 . Bien
évidemment, des exceptions à cette interdiction sont prévues,
notamment en cas de consentement de la personne concernée, pour
la sauvegarde des intérêts vitaux de cette personne ou d’une autre
personne physique, ou pour les traitements nécessaires aux fins de
la médecine préventive, des diagnostics médicaux, de
l'administration de soins ou de traitements, ou de la gestion de
services de santé et mis en œuvre par un membre d'une profession
de santé.

2) Principes de base

7 La protection des données personnelles repose depuis les années


1970 sur un certain nombre de grands principes :
La loyauté de la collecte et l’information des personnes concernées ;
La détermination de la finalité du traitement, et la proportionnalité de la collecte par
rapport à cette finalité (on ne collecte pas des données sans justification « au cas où ») ;
Des droits d’accès, de rectification et d’opposition pour les personnes concernées ;
La sécurité des données, ce qui inclut la limitation des personnes y ayant accès ;
La limitation de la durée de conservation des données, en fonction de la finalité du
traitement et des obligations légales ;
La libre circulation des données dans l’Union européenne, où leur protection est
harmonisée, et l’interdiction du transfert des données vers des pays n’assurant pas une
protection équivalente.
8 Ces principes sont repris dans le RGPD.

3) Droits des personnes concernées

9 De manière générale, les personnes concernées jouissent de


plusieurs droits :
Droit à l’information sur le traitement, l’identité de son responsable, la nature des
données collectées, leur durée de conservation, leur éventuel transfert hors de l’Union
européenne…
Droit d’accès aux données collectées ;
Droit de rectification ou de mise à jour des données erronées ou périmées ;
Droit d’effacement des données inexactes ou périmées ;
Droit d’opposition au traitement, mais uniquement pour motif légitime (sauf cas des
traitements de prospection, notamment commerciale, pour lesquels ce droit est
absolu). 4

B – Mise en œuvre

1) Formalités

a) Formalités anciennes

10 La loi Informatique et Libertés prévoyait traditionnellement un


régime de formalités préalables. De manière générale, les
traitements nécessaires aux fins de la médecine préventive, des
diagnostics médicaux, de l'administration de soins ou de
traitements, ou de la gestion de services de santé et mis en œuvre
par un membre d'une profession de santé, étaient soumis à une
déclaration préalable auprès de la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) 5 . Plusieurs cas particuliers
bénéficiaient d’un régime simplifié, et notamment :
La gestion informatisée courante d’un cabinet médical ou paramédical (norme
simplifiée NS‑050) 6 ;
La gestion informatisée de la pharmacie et l’analyse statistique de ses ventes (NS‑052)
7 ;

La gestion informatisée d’un laboratoire d’analyse de biologie médicale, à l’exclusion


de certains laboratoires spécialisés et des laboratoires d’anatomo-cyto-pathologie
(NS‑053) 8 ;
La gestion de l'activité professionnelle des opticiens-lunetiers (NS‑054) 9 ;
Les traitements ayant pour finalité le dépistage organisé du cancer du sein, du cancer
colorectal et du cancer du col de l'utérus (NS‑059).

11 Les traitements de données de santé justifiés par l’intérêt public


pouvaient relever de deux régimes différents 10 :
12 – Soit une demande d’autorisation à la CNIL 11 . Des autorisations
uniques (AU) ont été publiées par la CNIL pour certains traitements :
Le recueil et la gestion de données de santé dans le cadre de la pharmacovigilance par
les entreprises ou organismes exploitants de médicaments (autorisation unique
AU‑013) ;
La messagerie sécurisée entre professionnels et établissements de santé (AU‑037) ;
Le suivi social et médico-social des personnes handicapées et des personnes âgées
(AU‑047) ;

13 – Soit une simple déclaration à la CNIL, dans le cas particulier des


traitements de données de santé mis en œuvre par les organismes ou
les services chargés d'une mission de service public figurant sur une
liste fixée par arrêté afin de répondre, en cas de situation d'urgence,
à une alerte sanitaire 12 .
14 Les traitements comportant le numéro d'inscription des personnes
au répertoire national d'identification des personnes physiques
(« numéro de sécurité sociale ») faisaient l’objet d’une autorisation
par décret en Conseil d’Etat pour les services publics 13 , et d’une
demande d’autorisation à la CNIL dans les autres cas 14 . Ont ainsi
été autorisés :
Le dépistage de la rétinopathie diabétique (décret n° 2014-1523, acte réglementaire
unique ARU-039) ;
L'ouverture et le suivi des droits des bénéficiaires de l'assurance maladie et le
versement des prestations (décret n° 2015-390, ARU-040) ;
La gestion des accidents du travail et des maladies professionnelles par les organismes
d’assurance maladie obligatoire (décret n° 2015-393, ARU-041) ;
Les services médicaux des organismes d’assurance maladie obligatoire (décret n° 2015-
391, ARU-042) ;
La lutte contre la fraude dans les organismes d’assurance maladie obligatoire (décret
n° 2015-389, ARU-044) ;
Les expérimentations de télémédecine (décret n° 2015-1263, ARU-045) ;
15 Les traitements de télémédecine relèvent du 1° du I de l’article 25.

b) Formalités nouvelles

16 A partir de mai 2018, le RGPD remplace les formalités préalables par


une obligation de documentation interne à l’organisme responsable
du traitement (principe dit d’accountability). Chaque responsable de
traitement devra recenser l’ensemble de ses traitements et être en
mesure d’en présenter à la CNIL la cartographie ainsi que les
mesures adoptées pour assurer la conformité au RGPD. Pour ce faire,
il pourra utilement s’inspirer des normes simplifiées et des actes
réglementaires listés ci-dessus.
Toutefois pour les traitements susceptibles d'engendrer un risque
élevé pour les droits et libertés des personnes, le RGPD exige une
analyse d’impact préalable. Pour les traitements à grande échelle de
données sensibles, l’analyse d’impact est obligatoire 15 . L’analyse a
pour but d’évaluer les risques et les mesures de protection
envisageables. Si l’analyse révèle un niveau de risque élevé, avant
mesure de protection, le responsable du traitement doit consulter la
CNIL avant toute mise en œuvre, pour lui faire valider les mesures
envisagées 16 .
Par ailleurs, la loi Informatique et Libertés modifiée en 2018 contient
de nouvelles dispositions concernant le traitement des données de
santé d'intérêt public et les formalités éventuelles à mettre en
œuvre. Ainsi, les traitements de données de santé d'intérêt public
qui ne sont pas conformes à un référentiel ou à un règlement type ne
peuvent être mis en œuvre qu’après autorisation par la CNIL. Une
déclaration préalable à la CNIL demeure nécessaire pour les
traitements conformes. La CNIL peut autoriser de manière unique
plusieurs traitements similaires d'un même demandeur. Le
consentement exprès et éclairé des personnes concernées doit être
obtenu préalablement au traitement de données pour la recherche
nécessitant l'examen des caractéristiques génétiques.
Enfin, les traitements de données personnelles pour la recherche
dans le domaine de la santé sont soumis à des articles spécifiques de
la loi Informatique et Libertés 17 . S’ils ne sont pas conformes à une
méthodologie de référence homologuée par la CNIL, ils doivent
obtenir une autorisation de la CNIL après avis le cas échéant, du
comité compétent de protection des personnes pour les demandes
d'autorisation relatives aux recherches impliquant la personne
humaine, ou du comité d'expertise pour les recherches, les études et
les évaluations dans le domaine de la santé. Dans le cas où la
recherche nécessite le recueil de prélèvements biologiques
identifiants, le consentement éclairé et exprès des personnes
concernées doit être obtenu préalablement à la mise en œuvre du
traitement de données. Des règles spécifiques s’appliquent lorsque
les données concernent des mineurs.
La CNIL a publié plusieurs méthodologies de référence pouvant
servir de guides pour la mise en œuvre de telles recherches 18 .
De manière générale, le RGPD prévoit que le droit des Etats membres
peut établir des dérogations à certains des droits des personnes pour
les traitements de données personnelles à des fins de recherche
scientifique 19 .

2) Autres obligations

17 Parmi les autres obligations, nous mentionnerons les suivantes :

a) Sécurité

18 Le responsable du traitement a obligation de mettre en œuvre des


mesures de sécurité afin d’assurer que les données ne sont pas
détruites, modifiées ou divulguées indûment, que ce soit par
accident ou suite à une action malveillante 20 . Ces mesures doivent
être aussi bien techniques (installation d’antivirus sur les serveurs,
mise à jour permanente des logiciels et des systèmes d’exploitation,
chiffrement des échanges, journalisation des accès, attribution de
codes d’accès personnels…) qu’organisationnelles (limitation des
personnes ayant accès aux données, limitation des durées de
conservation, sauvegarde régulière des données, redondance des
serveurs et des alimentations…). Il s’agit d’une obligation de moyen,
et non de résultat.
En cas de violation de sécurité (perte ou fuite de données), le RGPD
impose une notification immédiate à la CNIL par le responsable du
traitement. La notification décrit la nature de la violation, les
données concernées, les conséquences probables et les mesures de
remédiation adoptées ou envisagées. Si cette violation entraîne un
risque élevé pour les personnes concernées, le responsable du
traitement doit également avertir ces personnes 21 .

b) Exportation de données hors de l’Union


19 Puisque le droit européen assure une harmonisation de la protection
des données personnelles dans les différents Etats membres, les
données peuvent circuler librement au sein de l’Union européenne.
Le transfert de données personnelles hors de l’Union est interdit,
sauf si une protection équivalente est apportée. Plusieurs
mécanismes sont possibles pour des transferts à grande échelle (le
consentement de la personne concernée n’est suffisant qu’à petite
échelle) 22 :
Certains pays offrent un cadre juridique équivalent à celui de l’Union (Suisse, Norvège,
Canada, Israël…) ;le transfert de données vers ces pays est donc autorisé.
Le contrat signé avec l’entreprise destinataire contient des mesures de protection
approuvées par la CNIL ou par la Commission européenne (clauses contractuelles type
ou clauses ad hoc).
Les données sont transférées au sein d’une entreprise multinationale dont les règles
internes de protection ont été approuvées par la CNIL.
Concernant l’exportation de données vers les Etats-Unis, suite à l’invalidation du Safe
Harbor par la Cour de justice de l’Union européenne en 2015, un nouvel accord de
Privacy Shield permet le transfert par les entreprises adhérentes au mécanisme. Comme
pour les clauses contractuelles, l’entreprise destinataire s’engage à protéger les
données ;la différence est que l’administration du pays de destination surveille le
respect de leurs engagements par les entreprises.

c) Délégué à la protection des données

20 Il était possible depuis 2004 23 de nommer dans un organisme, de


manière facultative, un correspondant à la protection des données
(également dit Correspondant Informatique et Libertés ou CIL). Le
CIL avait pour mission de conseiller le responsable du traitement
dans la mise en œuvre de la loi, et de contrôler en interne la
conformité à celle-ci. En 2016, près de 18.000 organismes avaient
désigné un CIL.
Le RGPD confie cette mission à un Délégué à la protection des
données 24 . La désignation d’un délégué est désormais obligatoire
dans plusieurs cas, et notamment si le traitement est effectué par
une autorité publique ou par un organisme public, ou si les activités
de base du responsable du traitement consistent en un traitement à
grande échelle de données sensibles, dont font partie les données de
santé. Les professionnels de santé, les établissements de santé, et
plus largement toutes les professions et tous les organismes dont
l’activité consiste à traiter des données de santé, doivent donc
désigner obligatoirement un délégué à partir de 2018.
Cela ne signifie pas qu’il faut embaucher un délégué à temps plein
dans chaque cabinet médical : le délégué peut en effet être mutualisé
(il peut exercer cette activité à temps partiel, en complément d’une
autre activité, et peut dans certains cas être désigné par plusieurs
organismes publics ou par plusieurs entreprises d’un même groupe),
ou bien externalisé (il peut proposer une prestation de services à
plusieurs clients). Ce mode de fonctionnement avait déjà été celui
des CIL. Ainsi, en 2017, il n’y avait que 5.100 CIL pour les près de
19.000 organismes en ayant désigné un.

3) Sanction du non-respect de la loi

21 Le non-respect de la loi peut être sanctionné administrativement et


pénalement.
Les articles 226-16 à 226-24 du code pénal punissent de 5 ans de
prison et 300.000 euros d’amende un certain nombre d’infractions à
la loi Informatique et Libertés.
En parallèle, la CNIL dispose d’un pouvoir de sanction 25 : après une
mise en demeure non suivie d’effet, elle peut infliger une sanction
pécuniaire et également ordonner l’interruption du traitement non-
conforme. Le RGPD porte le montant maximal des amendes
administratives à 20 millions d’euros ou, pour une entreprise, 4% de
son chiffre d’affaires mondial (le plus élevé des deux) 26 .
La possibilité de cumuler une sanction pénale et une sanction
administrative pour la même infraction est contraire au principe de
base du droit Non bis in idem. Néanmoins, cette dérogation figure
explicitement dans la loi Informatique et Libertés 27 ainsi que dans
d’autres domaines du droit. Elle est étroitement encadrée par le
Conseil constitutionnel, qui l’a admise tout en en précisant les
limites, avec notamment l’exigence que le cumul des sanctions
prononcées ne dépasse pas le montant le plus élevé des sanctions
encourues 28 .
Ainsi, pour les sanctions pénales, un médecin hospitalier a été
condamné à 5.000 euros d’amende pour avoir mis en œuvre un
traitement des données de ses patients sans avoir effectué les
formalités légales auprès de la CNIL 29 .
Pour les sanctions administratives, en 2013, la CNIL a mis en
demeure un centre hospitalier de mettre en œuvre des mesures de
sécurité permettant de garantir la sécurité et la confidentialité des
patients 30 . Elle a par ailleurs sanctionné plusieurs établissements
non médicaux dont les fichiers contenaient indûment des données
de santé sur leurs clients ou sur leurs employés, et notamment :
des études d’huissiers (« maladie alcoolique et syndrome dépressif », « deb en maladie
cancer avec métastase », « dépression nerveuse » ou « +++ du pancréas », « Séropositif
depuis 23 ans »), auxquelles ont été infligées des sanctions pécuniaires de 5.000 à
10.000 euros 31 ;
un organisme de cours de soutien à domicile pour élèves (« hospitalisé en urgence pour
une tumeur cancéreuse au cerveau de grade 3 », « narcoleptique ; hypersomniaque,
tentatives de suicide, varie de la boulimie & anorexie »), qui a reçu un avertissement
public 32 .

II – Le cadre spécifique de l’hébergement des


données de santé
22 Les données de santé présentent des caractéristiques qui justifient
des mesures de protection spécifiques, au-delà du cadre général des
données personnelles. D’une part, il s’agit de données
particulièrement intimes, dont la divulgation peut porter gravement
atteinte à la vie privée d’une personne. D’autre part, leurs usages
exigent une fiabilité supérieure : s’il est éventuellement admissible
qu’un compte sur un réseau social soit indisponible pendant
quelques heures, on ne peut tolérer qu’un dossier médical soit altéré
ou inaccessible lors d’une intervention. L’exactitude des données de
santé et leur accessibilité sont vitales en cas d’urgence. C’est
pourquoi la loi a institué des obligations particulières pour
l’hébergement de données de santé.

A – Une situation préoccupante

1) Multiplication et banalisation des données de santé

23 L’informatisation des hôpitaux, des cabinets médicaux et


paramédicaux, des pharmacies et des laboratoires, est une réalité
depuis plusieurs années. Tant que les données restaient stockées
localement, sans connexion à internet, le risque de fuite de données,
qu’elle soit accidentelle ou intentionnelle, était faible. Mais avec le
recours croissant aux échanges en ligne entre acteurs de santé, à la
télémédecine et au stockage dans le cloud, les données de santé sont
appelées à circuler mondialement et à être hébergées chez de
nombreux prestataires. Les risques sont multipliés dans les mêmes
proportions.
Au-delà de ces échanges entre professionnels, se développe
également le quantified self, pratique consistant à mesurer en continu
son activité physique (nombre de pas…), voire ses paramètres
(tension, rythme cardiaque, mais aussi glycémie…), en vue d’adopter
un mode de vie sain ou de surveiller un marqueur particulier. Il peut
donc s’agir d’outils de bien-être comme d’outils de santé. La
frontière entre les deux n’est pas toujours nette : si le contrôle de la
glycémie est clairement médical, que dire du comptage du nombre
de pas quotidien ?
Comme l’écrit la CNIL : « Alors qu’en est-il du quantified self ? Certes,
l'Organisation Mondiale de la Santé définit la santé comme « un état
de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas
seulement en une absence de maladie ou d'infirmité ». Nombre de
pas, poids, heures de lever et de coucher..., dans une première
approche, on pourrait être tenté de considérer comme anodines ces
données prises isolément et en dehors de tout contexte. On ne peut
semble-t-il considérer que les données collectées dans le cadre des
outils et applications du quantified self sont toutes, par nature, des
données de santé. Cependant, certaines informations, prises
indépendamment et en valeur absolue, peuvent dans des situations
précises être considérées comme données de santé, en raison de
l'information objective qu'elles sont susceptibles de transmettre. Par
exemple, un poids objectivement excessif peut révéler une
pathologie telle que l'obésité. Néanmoins, dans la plupart des cas, il
faut au minimum obtenir une moyenne de ces données ou la
variation de ces données sur une certaine période de temps pour
obtenir une réelle information relative à la santé de cette personne.
Ainsi, une mesure de rythme cardiaque sans indication
complémentaire notamment sur l'activité de la personne au moment
où ce rythme cardiaque a été mesuré peut ne révéler aucune
information utile sur cette personne 33 . »
Or ces données sont souvent transférées à l’entreprise qui
commercialise le capteur, et qui fournit des applications d’analyse
des résultats sur mobile ou sur ordinateur. Elles sont parfois
également publiées sur un réseau social, dans un objectif
d’émulation (ex : perte de poids).
Ces données intéressent de nombreux acteurs, et au premier rang
desquels les assureurs et mutuelles de santé. Des assureurs
américains proposent déjà des tarifs préférentiels pour les clients
acceptant de porter des objets connectés afin de prouver leur
activité physique. Faut-il réguler cette activité ? 34

2) Multiplication des attaques

24 Corollaire de la multiplication des échanges de données de santé, les


fuites accidentelles ou les attaques deviennent monnaie courante.

a) Les fuites de données

25 Des données de santé peuvent se retrouver en ligne suite à une


négligence ou à un accident. Cette fuite de données ne résulte pas
d’une malveillance, mais d’une insuffisance de mise en œuvre des
règles de sécurité. Des dossiers peuvent ainsi se retrouver référencés
par un moteur de recherche comme Google et consultables par tout
un chacun.
26 Les exemples récents abondent. Le mauvais paramétrage d’un
prestataire de services de gestion des dossiers patients a ainsi
entraîné la mise en ligne, pour la quarantaine de centres hospitaliers
clients, de tous ses mots de passe en clair 35 . Plus récemment, une
société américaine spécialisée dans la surveillance de patients à
domicile a laissé son espace de stockage cloud en accès libre,
exposant ainsi plus de 300.000 fichiers contenant les coordonnées et
les résultats d’analyses de leurs clients 36 . C’est une négligence de
ce type qui a entraîné la condamnation d’un médecin hospitalier à
l’amende pénale évoquée plus haut 37 .
Il est à noter que les professionnels de santé peuvent signaler un tel
incident sur le portail dédié https://signalement.social-
sante.gouv.fr. La loi prévoit par ailleurs que « les établissements de
santé et les organismes et services exerçant des activités de
prévention, de diagnostic ou de soins signalent sans délai à l'agence
régionale de santé les incidents graves de sécurité des systèmes
d'information. Les incidents de sécurité jugés significatifs sont, en
outre, transmis sans délai par l'agence régionale de santé aux
autorités compétentes de l'Etat. » 38 « Sont considérés comme
incidents graves de sécurité des systèmes d'information les
événements générateurs d'une situation exceptionnelle au sein d'un
établissement, organisme ou service, et notamment :
les incidents ayant des conséquences potentielles ou avérées sur la sécurité des soins ;
les incidents ayant des conséquences sur la confidentialité ou l'intégrité des données
de santé ;
les incidents portant atteinte au fonctionnement normal de l'établissement, de
l'organisme ou du service. » 39

b) Les piratages, destructions et rançonnages de données

27 Les données de santé peuvent également faire l’objet d’attaques


délibérées. La motivation peut être le vol d’informations. L’attaque
peut également avoir pour but de les rendre inutilisables, que ce soit
pour entraver le fonctionnement des soins ou pour rançonner la
victime.
Aux États-Unis, plus de 200 millions de dossiers médicaux auraient
ainsi été dérobés par piratage des systèmes 40 .
Les attaques de « rançongiciels » deviennent courantes : l’attaquant
bloque les données en les chiffrant, et réclame une rançon pour
permettre le déchiffrement. En 2016, l’hôpital Hollywood
Presbyterian Medical Center de Los Angeles avait dû payer 17.000
dollars pour récupérer ses données 41 . Ces attaques se sont
multipliées en 2017 avec le virus Wannacry, qui a touché des dizaines
d’hôpitaux, notamment au Royaume-Uni. « L'attaque a sérieusement
désorganisé des dizaines d'hôpitaux, contraints d'annuler certains
actes médicaux et de renvoyer des ambulances vers d'autres
établissements » 42 .
On ne peut donc que rappeler l’importance d’une application stricte
des règles de sécurité des systèmes d’information, pour éviter ce
type de situation et limiter les dégâts en cas d’attaque : mise à jour
permanente des applications et des systèmes d’exploitation,
limitation des droits utilisateurs, gestion des mots de passe
d’administrateur, systématisation des pare-feux et des antivirus,
sauvegardes régulières des données sur un serveur distinct…

B – Les procédures pour les hébergeurs

28 Afin de garantir la sécurité, la confidentialité, la pérennité et


l’accessibilité des données des patients, le code de la santé publique
43 impose des obligations aux sociétés et aux organismes qui

hébergent des données de santé pour le compte de tiers, qu’il


s’agisse des établissements de santé, des professionnels de santé ou
des patients. Aucune formalité spécifique n’est en revanche exigée
pour un hébergement en interne de ses propres données de santé (à
part bien sûr le respect des exigences de la loi Informatique et
libertés, et notamment ses obligations de sécurité, etc.).
A priori, les prestataires de quantified self à but médical (contrôle de
la glycémie…) devraient être concernés par ces obligations
d’hébergeurs, puisqu’elles visent également les données de santé
recueillies à l'occasion d'activités de prévention ou de diagnostic.
Depuis 2002, les hébergeurs devaient être titulaires d’un agrément
du ministre de la santé. Cette procédure évolue : l’ordonnance
n° 2017-27 du 12 janvier 2017 remplace la procédure d’agrément par
une procédure de certification.
La loi 44 punit de 3 ans de prison et 45.000 euros d’amende le fait de
proposer une prestation d’hébergement de données de santé, sans
être titulaire de l’agrément ou de la certification, ou sans respecter
les conditions de l’agrément. Toutefois, aucune sanction n’a jamais
été prononcée sur ce fondement. Le code de la santé publique
prévoit un contrôle de l’agrément par l'Inspection générale des
affaires sociales, mais peu de contrôles ont été réalisés. Tout au plus
la CNIL a-t-elle, de par sa compétence de contrôle de la conformité à
la loi Informatique et libertés, adressé en 2012 un avertissement à
l'encontre d'un hébergeur de données de santé, au sujet d'une
déclaration mensongère contenue dans son dossier de demande
d'agrément 45 . Mais cet avertissement, qui préservait l’anonymat
du coupable, ne constituait pas une sanction très dissuasive…
Précisons enfin que jusqu’en janvier 2016, le consentement exprès
du patient était nécessaire. Depuis cette date, l’hébergement peut
avoir lieu après que la personne prise en charge en a été dûment
informée et sauf opposition pour un motif légitime.

1) Dispositif d’agrément (2002-2018)

29 La procédure d’agrément en vigueur depuis 2002 était précisée aux


articles R1111-9 à R1111-15-1 du code de la santé publique dans leur
rédaction de l’époque.
Les candidats à l’agrément devaient offrir toutes les garanties de
sécurité des données et d’un usage conforme à la loi. Ils devaient
déposer deux dossiers, l’un auprès de la CNIL et l’autre auprès d’un
comité d’agrément placé auprès du ministre de la santé 46 . Le
comité examinait la demande sous les angles économique (pérennité
du candidat), juridique (conformité à la loi) et technique (sécurité
des données), avant de délivrer un avis au ministre de la santé.
L’agrément était délivré par le ministre pour une durée de 3 ans. Le
renouvellement nécessitait une nouvelle démarche.
Au 18 octobre 2017, 96 décisions d’agrément avaient été rendues par
le ministre.

2) Dispositif de certification

30 A partir du 1er avril 2018, la procédure d’agrément est remplacée par


une procédure de certification (décret 2018-137 du 26 février 2018).
La nouvelle rédaction de l’article R1111-9 précise la définition de
l’hébergement de données de santé recueillies à l’occasion d’activités
de prévention, de diagnostic, de soins ou de suivi social et médico-
social : cette prestation consiste à assurer, pour le compte d’un
professionnel ou du patient, tout ou partie des opérations suivantes :
La mise à disposition et le maintien en condition opérationnelle des sites physiques
permettant d'héberger l'infrastructure matérielle du système d'information utilisé
pour le traitement des données de santé ;
La mise à disposition et le maintien en condition opérationnelle de l'infrastructure
matérielle du système d'information utilisé pour le traitement de données de santé ;
La mise à disposition et le maintien en condition opérationnelle de l'infrastructure
virtuelle du système d'information utilisé pour le traitement des données de santé ;
La mise à disposition et le maintien en condition opérationnelle de la plateforme
d'hébergement d'applications du système d'information ;
L'administration et l'exploitation du système d'information contenant les données de
santé ;
La sauvegarde des données de santé.

31 Selon la nouvelle procédure, les hébergeurs doivent être titulaires


d’un certificat de conformité délivré par un organisme de
certification accrédité, sur le fondement d’un référentiel de
certification approuvé par arrêté. Les candidats doivent donc
désormais s’adresser à un organisme de certification du secteur
privé, et non plus à l’administration. Les référentiels de certification
sont disponibles sur le site esante.gouv.fr.
Pour les services d’archivage électronique des données de santé, le
III de l’article L1111-8 prévoit un agrément par le ministre de la
culture.
Avec le RGPD et la certification des hébergeurs de données de santé,
un nouveau cadre juridique se met donc en place, afin d’assurer une
meilleure protection des données de santé.

BIBLIOGRAPHIE
Comité d'agrément des hébergeurs de données de santé, Rapport d'activité 2012-2013.
Comité d'agrément des hébergeurs de données de santé, Premier rapport d'activité 2006-
2011.

A. Debet, J. Massot, N. Metallinos, Informatique et libertés, la protection des données à


caractère personnel en droit français et européen, Lextenso, 2015.

F. Mattatia, Le droit des données personnelles, Eyrolles, 2e édition, 2016.

F. Mattatia, RGPD et droit des données personnelles, Eyrolles, nouvelle édition prévue en
2018.

Références

Loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 modifiée relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.

Règlement (UE) 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la


protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère
personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE
(règlement général sur la protection des données).

Code de la santé publique (articles L1111-8, L1115-1, R1111-8-8, R1111-9 et suivants).

Décret 2018-137 du 26 février 2018.

NOTES
1. Voir : F. Mattatia, Le droit des données personnelles, Eyrolles, 2e
édition, 2016 (nouvelle édition RGPD et droit des données personnelles
prévue en 2018), pour une analyse plus approfondie du sujet.
2. Art. 2 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de 2017
et art. 4 du RGPD.
3. Art. 8 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de 2017
et art. 9 du RGPD.
4. Art. 38 à 40 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017 et art. 12 à 21 du RGPD.
5. Art. 6-II-8° et 23 de la loi Informatique et Libertés dans sa
rédaction de 2017.
6. Gestion administrative et médicale des patients, établissement et
télétransmission des feuilles de soins, et tenue de la comptabilité.
7. Délivrance des produits pharmaceutiques (dispensation),
traçabilité des produits, télétransmission des feuilles de soins et
facturation.
8. Gestion du dossier des patients, transmission des prélèvements,
gestion des analyses et des résultats et participation à des études
épidémiologiques.
9. Gestion de clientèle, édition des feuilles de soins et
télétransmission aux organismes d’assurance maladie, gestion des
fournisseurs, traçabilité des produits et des intervenants, gestion des
prospects, enquêtes de satisfaction, établissement de statistiques.
Toute exploitation commerciale de ces données est interdite.
10. Art. 8 IV de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
11. Art. 25 I 1° de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
12. Art. 22 V de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
13. Art. 27 I 1° de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
14. Art. 25 I 6° de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
15. Art. 35(3) du RGPD.
16. Art. 36 du RGPD.
17. Art. 53 à 61 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction
de 2017.
18. Délibération n° 2016-262 du 21 juillet 2016 portant modification
de la méthodologie de référence pour les traitements de données
personnelles opérés dans le cadre des recherches biomédicales (MR-
001), Délibération n° 2015-256 du 16 juillet 2015 portant
homologation d'une méthodologie de référence relative aux
traitements de données à caractère personnel mis en œuvre dans le
cadre des études non interventionnelles de performances en matière
de dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (MR-002), Délibération
n° 2016-263 du 21 juillet 2016 portant homologation d'une
méthodologie de référence relative aux traitements de données à
caractère personnel mis en œuvre dans le cadre des recherches dans
le domaine de la santé ne nécessitant pas le recueil du consentement
exprès ou écrit de la personne concernée (MR-003).
19. Art. 89 du RGPD.
20. Art. 34 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017 et art. 32 du RGPD.
21. Art. 33 et 34 du RGPD.
22. Art. 68 à 70 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction
de 2017 et art. 44 à 47 du RGPD.
23. Art. 22 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
24. Art. 37 à 39 du RGPD.
25. Art. 45 à 47 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction
de 2017.
26. Art. 83 du RGPD.
27. Art. 47 de la loi Informatique et Libertés dans sa rédaction de
2017.
28. Conseil constitutionnel, décisions 89-260 DC, 97-395 DC, 2014-
453/454 QPC, 2015-462 QPC.
29. TGI Marseille, 6e ch. corr., 7 juin 2017.
30. CNIL, décision n°2013-037 du 25 septembre 2013, procédure
clôturée par décision CNIL du 17 octobre 2013.
31. CNIL, délibération n° 2006-173 du 28 juin 2006, délibérations n°
2009-466 et 2009-469 du 9 juillet 2009.
32. CNIL, délibération n° 2010-113 du 22 avril 2010, confirmée par le
Conseil d’État, 10ème et 9ème sous-sections réunies, décision du 27
juillet 2012.
33. CNIL, Cahiers IP, Le corps, nouvel objet connecté, 2012, p. 54.
34. Exemple de futur possible : >www.youtube.com/watch?
v=N55kgh9W1jI
35.www.datasecuritybreach.fr/fuite-de-donnees-concernant-une-
quarantaine-de-centres-hospitaliers-francais/, 31 octobre 2013.
36.www.dsih.fr/article/2672/les-dossiers-medicaux-de-150-000-
patients-americains-en-acces-libre-sur-le-cloud-d-amazon.html, 12
octobre 2017.
37. TGI Marseille, 6e ch. corr., 7 juin 2017.
38. Art. L1111-8-2 du code de la santé publique.
39. Art. D1111-16-2 à D1111-16-4 du code de la santé publique.
40. www.zataz.com/fuite-de-donnees-medicales/
41. www.theguardian.com/technology/2016/feb/17/los-angeles-
hospital-hacked-ransom-bitcoin-hollywood-presbyterian-medical-
center
42.
www.lesechos.fr/13/05/2017/lesechos.fr/0212077825043_cyberattaq
ues---les-hopitaux-britanniques--principales-cibles-atteintes.htm
43. Art. L1111-8 du code de la santé publique.
44. Art. L1115-1 du code de la santé publique.
45. CNIL, communiqué de presse du 9 janvier 2012. La société
prétendait chiffrer les données médicales hébergées, ce qui était
inexact.
46. En 2016, l’auteur a été nommé président de ce comité.

AUTEUR
FABRICE MATTATIA

Ingénieur général des mines, docteur en droit, Président du comité d’agrément des
hébergeurs de données de santé, Chercheur associé à l’université Paris-I Panthéon-
Sorbonne
Quelle évaluation pour les
services numériques ? Le point de
vue des industriels de santé
Armelle Graciet

I – Question cruciale, préalable, l’évaluation


des services numériques suppose que soient
précisés certains termes et notions, afin de
bien saisir l’objet de notre propos
1 Des éléments de contexte s’imposent ainsi à la compréhension des
problèmes juridiques et autres, que pose le développement des
services numériques et objets connectés en santé. Il s’agit d’emblée
de cerner le périmètre de la e-santé, qui représente d’ores et déjà un
marché d’un potentiel estimé à entre 2,2 et 3 milliards d’euros par an
(les logiciels de santé pèsent pour 1,5 milliard d'euros), en extension
continue.
2 Fer de lance des discours politiques sur le développement de la e-
santé en France, la télémédecine n’en représente toutefois qu’une
faible part (140 millions d’euros en 2014). Elle recouvre au-delà des
prestations médicales stricto sensu divers objets et services induits
tels les logiciels de télémédecine, les équipements de
visioconférence, les dispositifs communicants, les services de
télémédecine mais aussi d’évaluation, le tout appelant la
mobilisation de services d’intégration et de conseils informatiques.
Via ces outils, la télémédecine désigne diverses pratiques définies
par la loi, contrairement à la télésanté ou la e-santé dont
l’appréhension demeure plus empirique. Ainsi selon l’article L.6313-1
du Code de la santé publique, « La télémédecine est une forme de
pratique médicale à distance utilisant les technologies de
l'information et de la communication. Elle met en rapport, entre eux
ou avec un patient, un ou plusieurs professionnels de santé, parmi
lesquels figure nécessairement un professionnel médical et, le cas
échéant, d'autres professionnels apportant leurs soins au patient ».
Le législateur en définit aussi les finalités spécifiques, à savoir
d’« d’établir un diagnostic, assurer, pour un patient à risque, un suivi
à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de requérir un
avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique, de prescrire
des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations ou des actes,
ou d'effectuer une surveillance de l'état des patients » et renvoie au
pouvoir réglementaire pour « la définition des actes de télémédecine
ainsi que leurs conditions de mise en œuvre et de prise en charge
financière », en fonction, « des déficiences de l'offre de soins dues à
l'insularité et l'enclavement géographique ». Cinq actes de
télémédecine sont reconnus : la téléconsultation, la téléexpertise, la
télésurveillance, la téléassistance médicale et la régulation médicale
1 . Il s’agit donc d’un secteur clairement encadré par les pouvoirs

publics, sous leur entière maîtrise, au croisement de différentes


politiques publiques, ce qui n’est pas parfois, nous le verrons, sans
susciter quelques difficultés.
3 La télé médecine, ainsi réglementée, s’inscrit dans l’ensemble plus
vaste de la télésanté, un marché évalué en 2014 à 340 millions euros.
On peut ici reprendre les remarques du rapport de Pierre Lasbordes
« La télésanté : un nouvel atout au service de notre bien-être. Un
plan quinquennal éco-responsable pour le déploiement de la
télésanté en France » 2 , qui relève que « si la notion de
télémédecine a fait l'objet d'une définition claire au sein de plusieurs
rapports, définition prochainement complétée par un décret
d’application de la loi Hôpital Patient Santé et Territoires, la
signification de la télésanté reste quant à elle encore imprécise. Son
champ d'application est plus vaste que celui de la télémédecine par
sa vocation à couvrir, outre le domaine médical au sens strict, le
domaine très large et divers du médico-social » avant de retenir la
définition suivante : « La télésanté est l’utilisation des outils de
production, de transmission, de gestion et de partage d’informations
numérisées au bénéfice des pratiques tant médicales que médico-
sociales » 3 . Ainsi conçue, elle prend de multiples formes et
emprunte divers outils technologiques : en particulier, dossier
médical partagé et carnet de santé en ligne, infrastructures des
réseaux de Santé, services d’hébergement, plateformes de services,
sites et solutions Web pour PS, solutions de prise de RDV en ligne ou
d’aide à la pratique médicale, vente en ligne (matériel), serious games
et surtout désormais les objets connectés, modalité privilégiée du
quantified self et de la mSanté.
4 Enfin, la part la plus large dans ce périmètre est celle prise par le
système d’information de santé (88% et 2,360 Md€ en 2014) qui
intègre tout à la fois le Système d’Information Hospitalier (SIH), le
Système d’Information pour les professionnels de Soins et les
services d’archivage. On y retrouve au-delà même des bases de
données issues du SNIIRAM ou du PMSI, tous les équipements
techniques et procédures permettant le fonctionnement des
systèmes et leur interopérabilité.
5 La e-santé passe ainsi nécessairement par des objets et produits qui
posent en droit la question première de leur qualification juridique,
indispensable préalable à leur soumission à la réglementation,
qu’elle soit européenne ou interne. Objets à cet égard de toutes les
attentions tant la catégorie est tout à la fois vaste, hétéroclite et
fortement évolutive, les dispositifs médicaux éprouvent
actuellement les classifications juridiques, et suscitent, aux
frontières des produits de santé, questionnements et tensions. Du
pansement à l’IRM, de la béquille au robot chirurgical, des lunettes
de vue à l’implant orthopédique, de la seringue au respirateur
artificiel, tous peuvent être directement impactés par les avancées
techniques, dont le recours aux nanotechnologies et au numérique
n’est qu’un aspect. La plupart sont ou sont appelés à être
connectables de telle sorte que toute réflexion sur les services
numériques en santé implique de connaître le statut des objets qui
les portent.
6 Celui des dispositifs médicaux (DM et DMDIV) a été fixé par des
directives européennes 4 relayées désormais par les règlements du
5 avril 2017, le règlement (UE) 2017/745 sur les dispositifs médicaux
et le règlement (UE) 2017/746 sur les dispositifs médicaux de
diagnostic in vitro. S’ils sont évidemment d’application directe et
obligatoire, l’importance des changements et contraintes nouvelles
qu’ils imposent aux fabricants a conduit à prévoir une date
d’application différée, le 26 mai 2020 pour le premier et le 26 mai
2022 pour le second, afin de laisser aux entreprises le temps de
mettre en conformité tous les produits qu’ils commercialisent,
actualiser leur documentation technique et leurs processus. De fait,
ce sont notamment les conditions de mise sur le marché qui ont été
renforcées, largement inspirées par les errements de l’affaire PIP. On
sait que la mise sur le marché des dispositifs médicaux, des
dispositifs médicaux implantables actifs et des dispositifs médicaux
de diagnostic in vitro est soumise à l’obtention d’un marquage CE,
sous la responsabilité du fabricant et attestant leur conformité aux
exigences de sécurité et de performance prévues par la
réglementation européenne. Les procédures sont d’intensité
différente selon la classe du DM. Si pour les DM de plus faible risque
(classe I) le fabricant établit lui-même la certification 5 , pour les
autres, c’est à un organisme notifié (ON) désigné par l’ANSM et choisi
par le fabricant que revient la mission de conduire l’évaluation de la
conformité 6 . Les procédures d’évaluation, pour chaque classe,
intègrent à la fois l’audit du système de management de la qualité
(SMQ) du fabricant (à l’exception de certains dispositifs de classe I)
et un contrôle de la documentation technique (DT) des dispositifs
par l’ON.
7 Les nouveaux règlements couvrent toute la vie des DM sous leurs
divers aspects et accentuent les contraintes à tous niveaux. Ils
apportent un examen plus approfondi de la documentation
technique et imposent des exigences plus strictes en matière
d'évaluation clinique et de surveillance après commercialisation
nécessitant une meilleure traçabilité des appareils par la chaîne
d'approvisionnement. Il est prévu que chaque entreprise devra
désigner une personne qualifiée, chargée de veiller au respect de la
réglementation en vigueur 7 . Le nouveau règlement sur les DM
comprend également différentes dispositions concernant
l’évaluation et la sécurité des logiciels qualifiés comme tels 8 . Cet
égard, il précise (19) « que les logiciels spécifiquement destinés par
le fabricant à une ou plusieurs des fins médicales visées dans la
définition de la notion de dispositif médical, constituent, en soi, des
dispositifs médicaux, tandis que les logiciels destinés à des usages
généraux, même lorsqu'ils sont utilisés dans un environnement de
soins, ou les logiciels destinés à des usages ayant trait au mode de vie
ou au bien-être, ne constituent pas des dispositifs médicaux. Le fait
qu'un logiciel soit considéré comme un dispositif ou comme un
accessoire est indépendant de la localisation du logiciel ou du type
d'interconnexion entre le logiciel et un dispositif ». Ils sont réputés
être des « dispositifs actifs » et soumis à la réglementation afférente
(article 2).
8 L’identification d’un dispositif médical est en conséquence
déterminante dès lors qu’elle implique l’application d’un régime
juridique aussi précis que strict. La définition du DM est législative
et, pour se voir conférer ce statut, l’objet visé doit répondre aux
critères fixés par les textes. Elle dépend donc de la volonté du
fabricant de se placer ou non sous le régime du DM et de la
destination qu’il entend donner à son produit. Le premier des
critères permettant de singulariser un produit de santé est la finalité
médicale 9 , ce qui le distingue d’autres produits de la santé mais qui
sont objets de consommation courante. Ainsi une balance connectée
destinée à contrôler le poids peut disposer du marquage CE propre
aux appareils de mesure sans être un dispositif médical. En
revanche, si elle comporte un algorithme permettant de tirer un
diagnostic des données collectées et de préconiser un régime
alimentaire ou un traitement quelconque se verra reconnaître cette
qualification. Une petite cuillère pour le café reste un objet usuel,
celle qui accompagne un sirop devient du seul fait qu’elle sert à
administrer un médicament, un dispositif médical.
9 Outre la finalité médicale, l’action principale du dispositif, aspect qui
le différencie du médicament, ne doit pas être « obtenue par des
moyens pharmacologiques ou immunologiques ni par
métabolisme », elle est essentiellement d’ordre physique,
notamment mécanique.
10 Ce sont ces règles qu’interroge aussi l’évaluation des objets
connectés et des services numériques, qu’il s’agisse de mise sur le
marché ou de procédures de remboursement.

II – Si le marquage se permet ainsi de


commercialiser un produit ou une solution
sur le marché européen, il ne donne pas
automatiquement l’accès au marché français
dès lors que les dispositifs de prise en charge
par la collectivité sont spécifiques à chaque
état membre
11 A ce stade, une fois encore, la qualification est cruciale car si la
plupart des dispositifs médicaux sont remboursés, il n’existe pas de
système de prise en charge pour les objets et donc les solutions
e‑santé qui n’en sont pas. Or, on assiste à la multiplication d’offres
sur le marché de la santé, applications mobiles et autres objets
connectés, qui posent de délicats problèmes d’appréciation pour les
patients, les associations comme les professionnels dès lorsqu’ils
n’ont été soumis à aucune des procédures réglementaires
d’évaluation de leur sécurité ou performance. Ils posent de ce fait
aujourd’hui des problèmes de fiabilité et de sécurité. Les patients
confrontés à une offre pléthorique n’ont que peu de repères pour
choisir, se tournent alors vers des praticiens souvent désarmés. Dès
lors que le produit répond à un réel besoin, ils sont appelés à
recommander certains produits à leurs patients en demande de
solution, engageant ainsi leur responsabilité. Le domaine des
maladies chroniques et en particulier celui la prise en charge du
diabète a vu ainsi proliférer des dispositifs au statut aussi incertain
que mal documenté.
12 C’est pour pallier ces difficultés d’évaluation et limiter ces prises de
risques que sont menés certains travaux du groupe de travail initié
par u Comité stratégique de filière des Industries et Technologies de
Santé (CSF Santé) 10 et qu’à la demande de la DSIS, la HAS a produit
un référentiel de 101 bonnes pratiques pour aider les concepteurs et
les évaluateurs à développer et promouvoir des produits fiables et de
qualité 11 . Pour autant, des interrogations demeurent car si le
référentiel donne des clés pour la conception et la fabrication des
applications ou objets connectés, il n’en livre pas sur leur évaluation.
C’est la prise en compte de cet angle mort de l‘évaluation qui a
conduit d’aucuns à proposer la mise en place, non de nouvelles
règles contraignantes, mais d’un label permettant d’identifier les
objets connectés et les applications mobiles sûres pour les
consommateurs. La technique est de fait plus souple qu’une
certification trop longue à obtenir dans un secteur où un même
produit peut être très rapidement décliné en versions successives.
13 Telle a été la proposition du GT du CSF Santé travaillant sur les
thématiques de la santé mobile ou « m‑santé », dans un rapport
publié en janvier 2017, « Créer les conditions d’un développement
vertueux des objets connectés et des applications mobiles de santé »
12 . Il préconise la rédaction d’un référentiel de labellisation

facultatif pour les objets connectés et applications mobiles de santé -


réserve faite des dispositifs médicaux connectés, qui font l’objet de la
réglementation DM-, en insistant sur le besoin de fiabilité médicale,
de protection des données et de cybersécurité. L’approche est
justifiée par deux constats: les rigidités du « droit dur » qui
s’accommodent mal du rythme de croissance rapide du marché et de
l’innovation, et le cycle de vie particulièrement court des produits
concernés. Est proposée en ce sens la combinaison des résultats du
PIAF 13 et du référentiel de bonnes pratiques de la HAS afin de
structurer l’ensemble des exigences à satisfaire. Le référentiel
viserait en particulier la zone « grise » des applications ou objets
connectés qui n’ont pas de finalité médicale déclarée, mais qui ont
toutefois un effet potentiel sur la santé sans basculer pour autant
dans la catégorie des dispositifs médicaux 14 .
14 Le schéma de l’évaluation est tout aussi perfectible s’agissant des
dispositifs médicaux. Car si la certification CE garantit la libre
circulation en Europe, elle n’est pas gage de commercialisation
systématique en France où le remboursement est crucial. Commence
alors le long chemin vers l’évaluation et le remboursement. Force est
de constater qu’aujourd’hui, s’agissant des dispositifs médicaux et
des solutions de la e‑santé en général, la doctrine de la HAS ne
répond pas aux besoins. En effet, pour être remboursé, le dispositif
médical doit suivre des procédures complémentaires articulées sur
des données relatives au bénéfice clinique et à la place du produit
dans la stratégie thérapeutique. Les modalités de prise en charge
conditionnent le circuit d’évaluation en vue du remboursement. Et si
le règlement européen 20175/745 reprend en les renforçant les
exigences cliniques demandées aux industriels pour l’obtention du
marquage CE, il n’en reste pas moins que l’évaluation de la
CNEDiMTS se fait selon d’autres critères définis eux par la loi
française. L’application des règles d’évaluation prévues pour les
produits de santé, à base d’études cliniques, essais randomisés, en
double aveugle, etc… ne conviennent pas aux objets et services de la
e‑santé ni à la télémédecine qui non seulement évoluent très vite
mais supposent également des changements organisationnels.
Comment évaluer tout à la fois ces incidences institutionnelles et les
éléments classiques de la balance bénéfice risque ?
III – La trajectoire d’accès au remboursement
d’un dispositif médical e‑santé s’avère ainsi
complexe et ralenti par de nombreuses
inconnues
15 A s’en tenir à la seule appréciation de l’articulation des procédures
sans entrer dans le détail de leurs exigences 15 , rappelons que le
remboursement peut être assuré soit via l‘inscription sur la liste des
produits et prestations soit au travers d’un acte médical. Ainsi, les
dispositifs médicaux peuvent être pris en charge grâce à leur
inscription sur la LPPR, alors que ceux liés à un acte réalisé par un
professionnel de santé sont intégrés dans le tarif de l’acte. Ils ne font
en effet alors pas l’objet d’une évaluation spécifique. C’est le cas par
exemple des équipements d’imagerie. Au sein des établissements de
santé, les dispositifs médicaux sont principalement financés à
travers les groupes homogènes de séjour (GHS), exception faite de
certains dispositifs médicaux onéreux financés en sus du GHS et
inscrits alors sur la liste « en sus » 16 .
16 Toutefois, les fabricants peuvent choisir de ne pas se faire
rembourser : c’est le cas de starts up de e‑santé qui trouvent leur
marché au départ chez les assureurs ou mutuelles ce qui leur permet
dans un premier temps de récupérer du chiffre d’affaire et ainsi de
pouvoir réaliser dans un second temps des études cliniques afin
d’accéder au marquage CE et au remboursement pour leur dispositif.
17 Une place particulière doit être réservée dans ce système aux
expérimentations dites « de l’article 36 », expérimentations relatives
à la rémunération des actes de télémédecine mises en œuvre sur le
fondement de l’article 36 de la loi n° 2013-1203 de financement de la
sécurité sociale pour 2014 et de l’article 91 de la loi n° 2016-1827 de
financement de la sécurité sociale pour 2017 (ETAPES). L’objectif
essentiel est de fixer une tarification préfiguratrice des actes de
télémédecine, afin de donner la possibilité aux professionnels de
santé de mettre en œuvre des projets cohérents et pertinents
adaptés à la demande et à l’offre de soins régionale 17 . Ces
expérimentations doivent servir de base à l’élaboration d’un modèle
tarifaire adéquat et donner des éléments d’analyse de l’impact de la
télémédecine sur le système de soins. Ainsi conçues, ces es
expérimentations de l’article 36 visent avant tout à évaluer et définir
des modèles d’organisation et de rémunération des professionnels
dans la télémédecine, mais non à évaluer les DM qui y participent.
18 Complétant un cahier des charges initialement limité aux plaies
chroniques et/ou complexes, le périmètre de l’expérimentation a été
élargi à quatre pathologies chroniques : l'insuffisance rénale
chronique, l'insuffisance cardiaque chronique et l'insuffisance
respiratoire chronique, le diabète chez les patients en affection
longue durée à domicile ou dans les structures médico-sociales 18 .
Les cahiers des charges téléconsultation et télé-expertise ont été
publiés en 2016, ceux concernant la télésurveillance en 2017, et la
LFSS 2017 a étendu le dispositif à la France entière. Elle a aussi allégé
les procédures administratives préalables à l'entrée dans
l'expérimentation en prévoyant la suppression du mécanisme de
conventionnement entre les agences régionales de santé (ARS), les
organismes locaux d'assurance maladie, les professionnels de santé,
les établissements de santé et les établissements sociaux et médico-
sociaux volontaires, jusqu'ici nécessaire pour obtenir le financement
des expérimentations (article 47).
19 Mais c’est la loi de financement de la Sécurité pour 2018 qui, dans
son article 54, marque l’une des avancées les plus importantes : elle
fait sortir la télémédecine de l’expérimentation au moins
partiellement et la fait entrer dans le droit commun, tout en laissant
aux partenaires conventionnels (Assurance maladie et
professionnels de santé libéraux) le soin de fixer le montant des
actes associés. Plus précisément, la loi prévoit le basculement des
actes de téléexpertise et de téléconsultation dans le droit commun
du financement et leur financement par la voie conventionnelle. En
conséquence, les négociations conventionnelles sur la télémédecine
sont d’ores et déjà programmées entre l’Assurance maladie et les
médecins pour début 2018. Le dispositif expérimental qui existait
jusque-là prend donc fin.
20 Une exception est toutefois faite pour les actes de télésurveillance
concernant des patients pris en charge en médecine de ville, en
établissement de santé ou en structure médico-sociale : le régime
d’expérimentation est prolongé pour quatre ans en raison du
caractère plus complexe des actes concernés qui exigent
l’intervention d’un tiers acteur (plateformes, services de
télésurveillance). De ce fait, le prolongement de l’expérimentation
s’apparente à « une double peine » pour le secteur du DM puisque la
loi précise que les dispositifs médicaux ayant pour objet de réaliser
dans ce cadre la transmission de données pour le suivi médical à
distance ne peuvent faire l’objet d’une demande de remboursement
de droit commun au titre de la liste des produits et prestations (LPP)
19 . « En effet, ce circuit de prise en charge conduirait à limiter la

portée de l'expérimentation et les conclusions pouvant en être


tirées », peut‑on lire dans l'exposé des motifs.
21 Ce report de quatre ans de l’accès au remboursement s’avère
toutefois dommageable pour des produits déjà très avancés dans
l’évaluation. Ainsi un fabricant dont le produit aura été évalué
positivement par la HAS et qui entre dans le cadre d’une des
pathologies concernées ne pourra pas être inscrit sur la LPP suite à
une négociation avec le CEPS, alors même qu’il a acquis un degré de
maturité et un niveau de preuve qui le lui permettrait hors
expérimentation. Telle est la situation frustrante dans laquelle se
trouve désormais Diabéo et qui de fait constitue un frein pour les
fabricants.
22 Dans ce contexte, les industriels ont donc formulé, via le SNITEM,
diverses demandes, singulièrement celle que les solutions qui auront
démontré leur efficacité dans les expérimentations sur la base des
critères figurant dans les cahiers des charges, soient prises en charge
dans le droit commun. A charge pour les industriels de faire la
démonstration en vie réelle de ce résultat, selon une méthodologie
que la durée de l’expérimentation (deux‑trois ans) permettra de
définir de façon réaliste. Ce laps de temps sera nécessaire pour
dégager de nouvelles modalités d’évaluation des produits concernés,
en concertation avec tous les acteurs et notamment les pouvoirs
publics pour que les autorités soient en mesure d’évaluer
l’éventuelle plus-value.
23 Enfin, restent d’autres points de focalisation, notamment le fait
qu’aucune décision n’a été prise sur les modalités de sortie des
expérimentations, point important car de ce point découleront les
modalités d’évaluation des solutions techniques.

Conclusion
24 Après quatre années d’errements et d’hésitation, 2018 devrait être
l’année de la télémédecine, puisque, nous l’avons souligné, celle-ci
entre dans le droit commun par la téléconsultation et la
téléexpertise. Il faut toutefois que les négociations conventionnelles
aboutissent ; cela devrait prendre quelques mois compte-tenu du
nombre d’acteurs en jeu. Au vu de la motivation des différents
acteurs, professionnels de santé et industriels, gageons que les
expérimentations de télésurveillance qui ont démarré fin 2017
débuteront suffisamment rapidement pour permettre d’ici mi‑2019
l’évaluation intermédiaire prévue par la LFSS 2018 et son passage
également dans le droit commun avant les quatre ans prévus dans
l’article 54.

NOTES
1. Articles L6316-1 et R6316-1 du code de la santé publique.
2. Rapport remis à Madame Roselyne Bachelot-Narquin, Ministre de la
Santé et des Sports, 15 octobre 2009.
3. P. 37/247.
4. Directive 90/385/CEE relative à la mise sur le marché des
dispositifs médicaux implantables actifs.
Directive 93/42/CEE relative à la mise sur le marché des dispositifs
médicaux, Directive 98/79/CE relative à la mise sur le marché des
dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.
5. Il est seul responsable de la déclaration de conformité du produit,
devra gérer le dossier technique et mettre en place les procédures
obligatoires.
6. ÒC. Le Gal Fontes et M. Chanet, « Le rôle et les conditions de
surveillance des organismes notifiés : une réforme tant attendue… »,
RDSS 2018, n° 1, p. 34.
7. Il appartient à la personne désignée de veiller à ce que la
conformité des dispositifs soit correctement contrôlée et que la
documentation technique et la déclaration de conformité soient
établies et mises à jour, les obligations de surveillance post-marché
ou de notification de matériovigilance soient respectées, les
déclarations de conformité des dispositifs médicaux faisant l’objet
d’une investigation soient effectuées.
8. Voir en particulier, Annexe I, Exigences générales en matière de
sécurité et de performances, Chapitre I, Exigences générales : 17.1.
« Les dispositifs comportant des systèmes électroniques
programmables, notamment des logiciels, ou les logiciels qui sont
des dispositifs à part entière sont conçus de manière à garantir la
répétabilité, la fiabilité et les performances eu égard à leur
utilisation prévue. En condition de premier défaut, des moyens
adéquats sont adoptés pour éliminer ou réduire autant que possible
les risques qui en résultent ou la dégradation des performances ».
17.2. « Pour les dispositifs qui comprennent des logiciels ou pour les
logiciels qui sont des dispositifs à part entière, ces logiciels sont
développés et fabriqués conformément à l'état de l'art, compte tenu
des principes du cycle de développement, de gestion des risques, y
compris la sécurité de l'information, de vérification et de
validation ».
9. L.5211-1 CSP : « On entend par dispositif médical tout instrument,
appareil, équipement, matière, produit, à l'exception des produits
d'origine humaine, ou autre article utilisé seul ou en association, y
compris les accessoires et logiciels nécessaires au bon
fonctionnement de celui-ci, destiné par le fabricant à être utilisé
chez l'homme à des fins médicales »… « Constitue également un
dispositif médical le logiciel destiné par le fabricant à être utilisé
spécifiquement à des fins diagnostiques ou thérapeutiques ». Cf la
définition donnée par le Règlement (UE) 2017/745 sur les dispositifs
médicaux, article 2. (JOUE, 5 mai 2017)
10. Le CSF santé associe les entreprises du médicament humain et
vétérinaire, du dispositif médical, du diagnostic médical, de la
biotechnologie et de la e-santé, ainsi que les syndicats de salariés et
les organismes professionnels concernés.
11. HAS, Référentiel de bonnes pratiques sur les applications et les objets
connectés en santé (Mobile Health ou mHealth), octobre 2016.
12. GT 28 CSF, rapport, janvier 2017, p. 21.
13. Le PIAF (Privacy Impact Assessement Framework) est une
version générique du PIA, qui doit permettre de réaliser l’analyse
d’impact qui va s’imposer notamment à tout industriel du secteur
d’ici mai 2018, en application de l’article 35 du règlement européen
sur la protection des données personnelles (RGPD)
14. Marguerite Brac de la Perrière, 24/02/2017, Certification des objets
connectés et applications de santé, Lexing Droit Santé numérique, en
ligne.
15. On sait en particulier que les investigations cliniques mises en
place pour l’obtention du marquage CE sont principalement réalisées
en vue de démontrer les performances et la sécurité d’un dispositif,
les investigations cliniques attendues pour le remboursement et la
tarification doivent également répondre à la question de la place du
dispositif dans l’arsenal disponible (thérapeutique, diagnostic ou de
compensation du handicap).
16. L. 162-22-7 CSS ; DREES, « Les médicaments et dispositifs
médicaux de la liste en sus », in Les établissements de santé, Ed. 2017.
17. Plus précisément, l’objectif de départ était de mettre en place
une évaluation médico-économique des expérimentations de
télémédecine dans 9 régions pilotes sélectionnées au moyen d’un
cahier charge des charges.
18. Aux 4 pathologies chroniques citées ci-dessus s’ajoutent le suivi à
distance des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables
comme les stimulateurs cardiaques et les défibrillateurs cardiaques.
Longtemps espérée, la télésurveillance des prothèses cardiaques
implantables va pouvoir débuter avec une rémunération des
professionnels effectuant cette activité, l’arrêté sur le cahier des
charges des expérimentations ayant été publié le 22 novembre 2017.
En ce sens, et en l’attente d’une inscription définitive de l'acte de
télésurveillance de ces dispositifs (défibrillateurs implantables et
stimulateurs cardiaques), l'expérimentation va constituer une phase
transitoire.
19. « Les produits ou prestations ayant pour objet de réaliser la
transmission de données permettant à un professionnel de santé
d'interpréter à distance les données nécessaires au suivi médical
d'un patient ne peuvent pas être inscrits sur la liste mentionnée à
l'article L.‑165-1 du code de la sécurité sociale pendant la durée des
expérimentations, dès lors que leur indication inclut le diagnostic, la
prévention, le contrôle ou le traitement d'une pathologie prévue
dans l'un des cahiers des charges ».

AUTEUR
ARMELLE GRACIET
Directeur des Affaires,
Industrielles SNITEM,
Secrétaire de l’Alliance E-Health France
Co-rédaction, Isabelle Poirot-Mazères, Professeur, Université Toulouse 1 Capitole
Les nouvelles technologies au
service de la santé : l’exemple de
KYOMED
Daniel Laune

1 Le marché de la santé est en train de vivre une révolution. Les


produits de cette filière pouvaient avoir des durées de vie de 20 ans
et plus, alors que les nouvelles solutions de santé devront s’adapter
très rapidement par rapport aux retours du terrain avec des
évolutions tous les 6 à 18 mois. Il est aujourd'hui ainsi indispensable
à la fois d’innover en permanence et de proposer des améliorations à
des produits déjà existants sur le marché et déjà éprouvés, et
souvent approuvés, par l’expérience.
La réalisation d'études cliniques couplées à des évaluations d’usage
des solutions innovantes de santé, doit permettre de prendre en
compte non seulement les bénéfices cliniques/médicaux des
produits étudiés mais aussi d’apprécier les aspects humains (impact
sur la qualité de vie, acceptabilité, observance, facilité d’usage,
ergonomie, etc…). Cette approche répond à une évolution des
pratiques médicales et des exigences des Autorités de Santé
internationales qui impliquent de plus en plus les patients dans leurs
procédures d’évaluation des dispositifs médicaux. A cet égard, un
rapport récent sur le médicament insiste sur l’importance de
recueillir des données en vie réelle, « générées à l’occasion des soins
réalisés en routine pour un patient, et qui reflètent donc a priori la
pratique courante » 1 .
Une évaluation précoce de paramètres divers et jusqu’alors peu ou
mal pris en compte comme l'usage par les utilisateurs finaux,
l'impact sur l'organisation des soins ou le modèle économique
afférent doit permettre aux acteurs de la santé numérique de
diminuer les risques sur la viabilité de leurs produits et services.
C’est sur ce terrain et dans ces perspectives que se place la société
Kyomed.

I – Kyomed, Une entreprise au service des


patients et des usagers de la santé
A – Une approche globale de la santé

2 Kyomed est une société privée de prestations de services qui a été


créée en avril 2014 par 17 fondateurs, selon un modèle public-privé
(CHU, établissements de santé privés, Université, établissements de
recherche, entreprises…). Elle regroupe désormais onze personnes
au sein d’une équipe pluridisciplinaire spécialisée en santé. Elle
recouvre trois domaines :
la e-santé et l’autonomie, plus précisément la santé connectée afin de répondre aux
besoins et défis du vieillissement de la population. L’activité s’articule sur la
conception ou amélioration / évaluation des dispositifs, la validation des usages et de
l’acceptabilité des solutions mais aussi sur l’analyse de l’accompagnement médical,
technologique et réglementaire vers l’industrialisation et la définition de parcours de
soins (nouvelles technologies) ;
les marqueurs de santé et le suivi de paramètres classiques, biologiques et cliniques
mais aussi de plus en plus, le suivi des paramètres que l’on peut mesurer par des
dispositifs médicaux connectés, celui des paramètres comportementaux et des
paramètres environnementaux (particulièrement intéressants par exemple dans le cas
de l’asthme ou de la rhinite allergique, pour apprécier la progression des pollens et
autres allergènes). L’activité recouvre tout à la fois la découverte de biomarqueurs
moléculaires et numériques, la validation clinique de biomarqueurs, l’identification de
signatures de marqueurs et d’algorithmes cliniquement pertinents ainsi que l’accès à
des biobanques ou à des cohortes et le Data Mining (intégration et analyse de données
hétérogènes, développement de systèmes d'aide à la décision clinique) ;
enfin, l’évaluation clinique de dispositifs innovants en santé, en particulier d’objets
connectés. Elle suppose des démonstrations de faisabilité ainsi que d’efficacité clinique,
des essais cliniques des dispositifs médicaux, sans négliger les études médico-
économiques 2 .

3 Il s’agit dans ces trois champs d’accélérer et d’optimiser le


développement de solutions innovantes dans le domaine de la
médecine personnalisée et de l’autonomie, de faciliter le
déploiement de nouvelles technologies en Europe avec la recherche
d’une adaptation constante aux usages comme aux parcours de soins
spécifiques selon les Etats (entre les systèmes de soins des Etats du
Nord, du Sud ou de l’Est de l’Europe).
L’adaptation aux différents cadres réglementaires est aussi un
objectif, notamment en matière de données et de certifications,
comme l’est l’identification de modèles économiques pertinents et
réalistes. Il importe à cet égard que les modèles retenus soient
pérennes : il existe de fait de multiples expérimentations dans le
domaine des objets de santé connectés qui ne connaissent aucune
suite, suscitant des questionnements plus nombreux que ne le sont
les réponses. Le travail au sein de l’entreprise se fait beaucoup en
réseau (CHU de Montpellier, ICM, commune de Chalabre, Thermes de
Balaruc…), ce qui permet de piloter des projets complexes en
assemblant des expertises scientifiques, techniques et médicales
multiples, tout en s’appuyant le cas échéant sur les villes et les
établissements de santé pour tester les solutions technologiques et
mener des expérimentations destinées à faciliter leur appropriation
par les patients/citoyens.
B – Les moyens pour atteindre ces objectifs
1) Le living lab 3 , un lieu mais surtout une méthodologie
impliquant les usagers

4 De façon plus ciblée, l’activité relative à la e-santé et l’autonomie


s’inscrit dans le cadre du fonctionnement d’un living lab : plus qu’un
lieu où l’on va reproduire les conditions réelles d’utilisation du
dispositif -le domicile, le cabinet médical, le service hospitalier, la
pharmacie- c’est surtout une méthodologie qui permet de replacer
l’usager au centre du système et de faire tester très tôt, dès leur
conception, les solutions, les produits et services de santé par les
utilisateurs finaux, en leur qualité de patient concerné, de citoyen
impliqué ou de professionnel du soin ou de la prévention.
A travers l’analyse des usages, de l’acceptabilité et même de
l’appropriation de ces produits et prestations, il est possible d’en
orienter la conception, en amont de la commercialisation, afin de les
adapter à la réalité des situations et aux conditions de la vie réelle. A
cette fin, le living lab est un outil reconnu, qui s’inscrit dans un
encadrement réglementaire et méthodologique précis, celui de la
recherche, pour obtenir des retours de satisfactions d’usage et
d’acceptabilité de services ou de produits tels les dispositifs
médicaux. Ces retours d’usage peuvent être réalisés sur les diverses
populations d’usagers (patients / citoyens / aidants), différents
acteurs de santé (médecins, pharmaciens, infirmières,
kinésithérapeutes etc) et pour de nombreuses indications
(prévention, traitements de pathologies, diagnostics, bien-être) et
ce, grâce à des dispositifs connectés ou des applications dédiées.
A cet égard, la méthodologie et le déroulement des évaluations en
Living Lab peuvent être adaptés selon les objectifs et populations
ciblées. La reconstitution des conditions d’utilisation dans le cadre
de parcours de soins se fait le plus souvent en environnement
contrôlé ce que permet justement le Living lab. On y accueille les
patients auxquels on fait tester comme ils le feraient à domicile, à
l’hôpital ou à la pharmacie, divers outils numériques comme des
applications de santé, des glucomètres, des piluliers ou brassards
connectés, etc. L’évaluation passe aussi par l’élaboration de
questionnaires à remplir, que des spécialistes analysent. A l’issue de
celle-ci et à partir des résultats, sont formulées des
recommandations sur l’usage, les fonctionnalités, sur l’intervention
éventuelle des acteurs de l’écosystème (par exemple, qui prescrit ?).
C’est la raison pour laquelle il est nécessaire et pertinent d’inclure
non seulement les patients ou les professionnels de santé concernés
mais aussi les aidants appelés à jouer un rôle dans la prise en charge
via l’objet ou le service connecté.
L’ensemble requiert la mobilisation d’experts en TIC comme en
biotechnologies, mais aussi dès le stade de la conception,
l’intervention de designers, d’ergonomes, de sociologues, de juristes
et d’économistes pour examiner les diverses données de chaque
expérimentation. L’approche est ainsi résolument collaborative et
pluridisciplinaire, sans omettre d’associer aux apports des expertises
les retours des utilisateurs afin d’accélérer le processus d’innovation.
Les analyses de résultats ouvrent alors la voie à des publications
scientifiques, des communications dans des congrès et permettent
de formuler des recommandations pour une mise sur le marché
efficace et rapide des produits et services.

2) La sensibilisation aux méthodes d’usage


Une nouvelle approche de l’évaluation en e‑santé

5 Pour sensibiliser aux méthodes d’usage, Kyomed s’est efforcé de


compléter l’approche traditionnelle en santé centrée sur le dispositif
technique, qui continue à caractériser l’évaluation, par une approche
plus axée sur les utilisations effectives de l’innovation.
L’approche traditionnelle est essentiellement construite sur un va-
et-vient de conception/appréciation entre les experts et les
professionnels de santé.
Les besoins sont identifiés, les fonctionnalités alors définies
conduisent à la rédaction d’un cahier des charges technique par les
experts et un prototypage qui est soumis dans un second temps aux
tests des utilisateurs. Cette étape permet d’améliorer la solution
technique avant la validation clinique. L’utilisateur n’intervient
qu’après la conception qui n’intègre les spécificités de l’usage qu’a
posteriori par adaptation du dispositif originaire.
La nouvelle approche intègre dès l’amont le point de vue des usagers
patients, en différentes étapes bien structurées, à partir d’entretiens
et d’observations terrains avec un focus sur les problématiques
d’usage. Les données et informations ainsi recueillies vont conduire
progressivement à la mise au point d’un cahier des charges,
fonctionnel puis technique, cela avant la réalisation des évaluations
cliniques. Plusieurs étapes doivent donc être suivies.
Les différentes étapes de la démarche d’innovation centrée sur les usages

6 Le point de départ est l’identification et l’analyse des besoins en


termes d’usage, avec mise en place de scenarii intégrant des
questionnements sur l’environnement et l’éco-système du dispositif
à concevoir, sur les freins éventuels et les contraintes réelles, afin
d’être en mesure de valider les besoins pressentis et identifier des
leviers de conception.
Il s’agit aussi d’apprécier le positionnement stratégique du produit
ou du service sur le marché, ce qui suppose en particulier
d’interroger rapidement les porteurs de projet sur leur démarche,
étant entendu que celle d’une start up diffère considérablement de
celle d’un grand groupe. Ce premier moment est caractérisé
concrètement par l’organisation d’entretiens et le recueil
d’observations de terrain, menés avec les professionnels concernés
et les patients afin de bien comprendre les besoins et de la sorte
concevoir les solutions en commun, une attention particulière étant
portée aux problématiques d’usage.
S’ouvre alors la phase de co‑conception (innovation centrée
utilisateur versus innovation technique) : le but est à ce stade de
définir et valider un concept, de vérifier les leviers de conception /
d’amélioration, et ce notamment par des séances de créativité,
l’intervention de designers et des focus groupes. L’intérêt de la
démarche est aussi d’intégrer dès ce moment dans le process les
financeurs éventuels (de l’assurance maladie aux mutuelles, des
assureurs privés aux entreprises). Partant, les modèles économiques
possibles sont envisagés d’emblée.
De là, émergent un cahier des charges fonctionnel avec des
recommandations pour la conception et des avant-projets qui
servent de base à un co‑développement et un prototypage de
l’expérience. Cette troisième étape (de l’expérience à la solution
technique) est consacrée à la vérification des usages (prototypes et
tests utilisateurs), l’analyse des leviers d’amélioration pour affiner et
finaliser la conception avant les tests utilisateurs et le
développement technique. Un projet définitif et un prototype
fonctionnel peuvent alors être construits.
S’ouvre alors, et avant le déploiement de la solution, la phase de
l’étude clinique destinée d’une part à démontrer les performances, la
sécurité du dispositif, l’impact sur l’organisation des soins, d’autre
part à évaluer la « performance d’usage » d’un dispositif pour
alimenter une étude clinique (participer à la preuve de concept) et
finalement à valider le modèle économique du produit/service.
Ce parcours de l’innovation centrée sur les usages est ainsi marqué
par différentes étapes bien identifiées, mobilisant des
investissements qui peuvent devenir importants, mais qui sont
indispensables pour vérifier la compétitivité effective que peuvent
en retirer les entreprises du secteur des dispositifs médicaux en
recherche de certification.

3) Un savoir-faire spécifique dans l’évaluation des dispositifs


innovants en santé

7 L’objectif est ainsi de parvenir à « démocratiser les dispositifs


innovants en santé pour qu’ils soient simples, fiables, abordables
financièrement, efficaces et avec un réel bénéfice pour les
utilisateurs à court, moyen et long terme ». Pour ce faire, il importe
d’assurer dans une démarche pluridisciplinaire une évaluation à
plusieurs niveaux : sur le bénéfice médical, la fiabilité scientifique, le
respect des règlementations de divers Etats, sur l’usage par les
utilisateurs finaux, l’organisation du parcours de santé et enfin sur le
modèle économique de nature à garantir la viabilité du dispositif.
Ces évaluations doivent permettre de donner accès à des dispositifs
innovants qui soient tout à la fois simples d’utilisation (la complexité
condamne rapidement la solution), fiables, efficaces à court, moyen
et long terme pour les utilisateurs et abordables financièrement,
conditions toutes indispensables à leur pérennisation.
Quelques exemples de dispositifs ont ainsi été soumis au crible de ces
exigences.

II – De quelques dispositifs médicaux


innovants connectés
A – Le pilulier connecté DISDEO
8 Il s’agit d’un dispositif intelligent permettant d’améliorer
l’observance thérapeutique et la prise en charge du patient atteint
de maladies chroniques et polymédiqué.
L’objectif de l’étude était d’en valider les usages, l’acceptabilité et le
modèle économique au terme d’une étude impliquant 150 sujets
(patients, aidants, médecins, pharmaciens, infirmiers). Il s’est avéré
à l’issue de l’expérimentation que la solution technique était mal
acceptée par les patients et surtout que du fait de sa complexité, elle
était financièrement trop lourde pour eux. Le projet a ainsi été ré-
orienté vers une solution plus simple.

B – Une application mobile de santé : l’Agenda d’allergie


de MACVIA/ARIA (MASK-Rhinite)

9 D’utilisation très simple, elle permet de suivre, grâce aux données


saisies quotidiennement par l’utilisateur, les symptômes au jour le
jour de la rhinite allergique comme de l’asthme, et d’orienter celui-
ci, si nécessaire, vers un professionnel de santé. Le suivi des
symptômes quotidiens et de l'utilisation de médicaments permet
ainsi de mesurer l’efficacité du traitement, de mieux comprendre et
anticiper l’évolution des symptômes. Cela favorise l’implication du
patient dans le contrôle de sa maladie et la communication avec le
médecin traitant ou le pharmacien.
Gratuite pour les patients, elle trouve son modèle économique dans
l’analyse des données livrées par 17500 utilisateurs dans 23 pays
dans le monde. La valeur ajoutée ici par Kyomed a été de donner au
projet une dimension transdisciplinaire et de prendre en compte les
singularités des chaque pays en matière de langue, de parcours de
santé, d’usages, de médicaments et de législation.
De nouvelles fonctionnalités sont en cours de développement comme
la réception de conseils provenant d’associations de patients, l’accès
à des données de pollen, la création d’alertes sur la pollution ou de
questionnaires sur l’impact de la maladie sur le sommeil.

C – Évaluation de solutions innovantes pour le maintien


à domicile des séniors

10 Différentes solutions numériques sont en cours d’évaluation, dédiées


au « mieux vivre sa retraite à domicile ».
A cet égard, Kyomed coordonne et met en œuvre l’évaluation de
neuf solutions innovantes sélectionnées par la CARSAT-Languedoc
Roussillon dans le cadre de l’appel à projet 2015 et 2016 (CNAV). Le
projet s’est déroulé sur deux ans 2016-2017, avec une dizaine de
solutions innovantes testées par 600 retraités de la région Occitanie,
mais aussi leurs aidants naturels et professionnels, afin de mesurer
les usages et l’acceptabilité par des tests à domicile ou en atelier
ainsi que des questionnaires d’évaluation. L’objectif était le
référencement de certaines solutions sur une plateforme web dédiée,
développée par la CARSAT-LR.

D – Le cas d’une innovation de rupture avec un objet


connecté : le bracelet bracelet connecté Motio
Healthweare de Neogia, dédié aux patients atteints
d’apnée du sommeil (SAHS)

11 Ce bracelet est destiné à assurer un suivi des troubles du sommeil


pour lequel ces concepteurs (la société NEOGIA) souhaitent obtenir
le marquage CE.
Il doit permettre de mieux connaître le patient et les caractéristiques
de ses troubles grâce aux relevés de quatre paramètres
physiologiques : actimétrie, fréquence cardiaque, oxymétrie et
rythme respiratoire, afin de mettre en place à partir des données
collectées un coaching personnalisé.
Le dispositif bénéficie à cet égard d’un accompagnement en deux
phases. La phase 1 doit conduire à affiner et finaliser la conception
d’un dispositif innovant de diagnostic des troubles du sommeil et in
fine formuler des recommandations pour la conception. La phase 2
est destinée à évaluer les performances et la sécurité dans le cadre
de l’étude clinique : il s’agit d’abord de mesurer la performance
d’« usage » avec intégration d’un volet « usage » à l’étude clinique,
puis l’efficacité clinique et la sécurité du dispositif avec une
évaluation comparative versus la thérapie de référence (poly-
somnographie).
L’objectif est de comprendre quelle pourra être l’utilisation effective
d’un tel dispositif et à partir de là, de définir un modèle économique
pour son développement, qu’il s’agisse d’une prise en charge par
l‘Assurance maladie en France ou par le patient lui-même, comme
cela se fait ailleurs et notamment aux Etats-Unis. L’étude clinique
sur la preuve de concept a été réalisée aux Etats-Unis (New York) sur
60 patients et a obtenu l’accord du comité d’éthique américain (IRB).
C’est à propos de ce bracelet connecté que l’un de ses co-fondateurs
de Neogia posait l’une des questions les plus essentielles, celle de la
qualification même de ces objets de/de la santé et du régime
juridique applicable : « L’une de nos problématiques majeures est
que le marché des objets connectés commence à être saturé et que
les consommateurs ont parfois du mal à faire la différence entre
bien-être et santé, ou entre gadget et réel dispositif médical », ce
dernier exigeant des années de recherche et de développement et de
lourds investissements. A cet égard, le marquage CE présente le
double avantage à la fois de donner le droit à la commercialisation
sur le marché européen, et le cas échéant, d’ouvrir la voie à la prise
en charge du dispositif médical par l’Assurance Maladie.

NOTES
1. Bernard Bégaud, Dominique Polton, Franck von Lennep, Les données
de vie réelle, un enjeu majeur pour la qualité des soins et la
régulation du système de santé – « L’exemple du médicament »,
Rapport, mai 2017, p. 4.
2. Règlement (UE) 2017/746 du Parlement européen et du Conseil
du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro
et abrogeant la directives 98/79/CEE et la décision 2010/227/UE de la
Commission ; Règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du
Conseil du 5 avril 2017 relatif aux dispositifs médicaux, modifiant la
directive 2001/83/CE, le règlement (CE) n° 178/2002 et le règlement
(CE) n° 1223/2009 et abrogeant les directives du Conseil 90/385/CEE
et 93/42/CEE ; HAS, Parcours du dispositif médical en France. Guide
pratique, novembre 2017.
3. Cf la définition qui en est donnée par l’Institut national de
recherche dédié au numérique : « Laboratoire d’innovation ouverte,
le living lab place l’usager au coeur du dispositif afin de concevoir et
de développer des produits et/ou des services innovants répondant
aux attentes et besoins de société. Ainsi la pertinence du service ou
produit créé est plus importante une fois que le besoin a été très
précisément défini grâce à la participation de l’usager, et que ce
dernier a également été impliqué dans les phases de conception et de
test. Les living labs contribuent donc à l’émergence d’un nouveau
système d’innovation où les utilisateurs/citoyens ne sont plus de
simples consommateurs mais deviennent acteurs et contributeurs ».

AUTEUR
DANIEL LAUNE
Président et Directeur scientifique de la société Kyomed Montpellier, Cap Gamma, Parc
Euromedecine
Les nouvelles pratiques liées au
big data en santé : enjeux
sociétaux et impact au regard des
inégalités sociales de santé
Cyrille Delpierre

I – Santé comme un bien particulier


1 Le Big Data en santé a ceci de particulier de s’intéresser au champ
spécifique que représente la santé. La santé est en effet un domaine
particulier qui diffère par de nombreux aspects d’autres biens ou
services. La santé conditionne les possibilités de participer à la
société et est un élément essentiel du capital humain notion chère
aux économistes 1 . La santé est une « dimension essentielle de la
capacité humaine de poursuivre des buts et des objectifs de vie ».
Cette place particulière qu’occupe la santé se traduit au niveau de la
place qu’elle tient dans de nombreux textes fondateurs d’institutions
ou de société. La constitution de l’OMS de 1946 par exemple énonce
ainsi que la santé de tous les peuples est une condition fondamentale
de la paix du monde et de la sécurité, ou encore que la possession du
meilleur état de santé qu’une personne est capable d’atteindre est un
droit fondamental de tout être humain. La définition de la santé par
l’OMS comme un état de complet bien-être physique, mental et
social, ne consistant pas seulement en une absence de maladie ou
d'infirmité rend compte de cette vision holistique de la santé et de la
place particulière qui lui est conférée. En France, l’objectif
d’améliorer l’état de santé de la population dans son ensemble et de
chacun en particulier, quelle que soit son origine ou son
appartenance sociale, est largement partagé et inscrit dans les
grands textes fondateurs de notre République. L’article 11 du
préambule de la constitution française du 27 octobre 1946 énonce
ainsi que la nation garantit à tous la protection de la santé. La
question de l’intérêt général et de la santé comme bien commune est
donc centrale si l’on s’intéresse aux enjeux sociétaux et économiques
associés au Big Data en santé.

II – Big Data en Santé : un champ à très fort


potentiel
2 Dans son rapport de novembre 2014 sur les sciences du vivant, le
cabinet Ernst and Young 2 établit que la santé est le secteur où les
Big Data ont le plus de potentiel. Effectivement, on vérifie aisément
que la plupart des problématiques liées à la définition et à la mise en
place d’une si populaire « e‑santé » sont indissociables des Big Data.
Ainsi Google, via Google Flu Trends, prétendait pouvoir prévoir la
diffusion des épidémies par l’exploitation de gros volumes de
données de santé. Ainsi Calico a été créé pour permettre le dépistage
des maladies par l’utilisation de gros volumes de données
génétiques.
3 Le potentiel des Big Data semble aussi très largement fécond pour
souligner et documenter le rôle des déterminants sociaux et
sociétaux de la santé, une orientation dans laquelle le système de
santé français s’est engagé, avec la prise en compte des déterminants
sociaux et des inégalités sociales de santé. Le potentiel d’innovation
des données médico-administratives réside ainsi en grande partie
dans leur mise en relation avec d’autres données relatives au
diagnostic clinique, aux déterminants de la santé et aux facteurs
potentiels de risque (sociaux, professionnels, environnementaux,
physiologiques, biologiques et génétiques, etc.). La création du
Système national des données de santé (SNDS) s’inscrit dans cette
logique de pouvoir disposer de données variées permettant d’avoir
une vision plus globale de la santé et des politiques mises en œuvre
pour l’améliorer. Ces développements de méthodes sont
potentiellement extraordinairement féconds pour arriver à générer
des connaissances dans une optique intersectorielle et
interdisciplinaire, à partir de variables de natures différentes.
L’approche s’inscrirait donc à la fois dans une vision globale des
mécanismes de santé mais également dans une démarche d’une
production qualitative de l’information.

III – Big Data en santé : pour quels usages ?


4 Cependant, cet horizon si étendu, ouvert à la santé via les Big Data,
reste aujourd’hui largement sous-exploité. En santé tout
particulièrement, la notion de Big Data demeure centrée sur
l’utilisation de gros volumes de données, souvent biologiques
(génome, omic), à visée individuelle. Ainsi vise-t-elle très largement
la médecine prédictive, la détermination de risques individuels ou la
décision diagnostique par la démultiplication des données
biologiques individuelles, pour une santé « à la carte », popularisée
par le terme de « médecine personnalisée ».
5 Or, la notion de santé telle que présentée plus haut n’est pas
entièrement recouverte par celle de pathologie, et donc encore
moins par cette réduction à la détermination biologique d’un risque
pathologique. Pour approcher une compréhension globale des
phénomènes de santé, il s’agit donc de prendre en compte ses
déterminants larges, environnementaux, socio-économiques,
psychologiques, biologiques, qui font de la santé un domaine
complexe, interdisciplinaire et trans-dimensionnel. La génération
d'hypothèses en rapport avec la santé et ses déterminants larges,
environnementaux, socio-économiques suppose donc de mettre en
connexion un grand nombre de données sanitaires et extra
sanitaires. Ceux-ci sont contenus dans un grand nombre de bases de
données sous des formes plus ou moins structurées, avec des
méthodes de mesure variables, un grand nombre de données
manquantes, des origines disciplinaires, sectorielles et des modes de
recueil extrêmement variés. D’où l’intérêt que suscite les approches
du Big Data pour mieux exploiter ces données et par la même mieux
appréhender et gérer la santé des populations.

IV – Big Data en santé : quelques enjeux


sociétaux
6 Les modèles de la santé, les choix de méthode, et le contrôle de
l’information deviennent donc des enjeux essentiels pour notre
système de santé publique. Les enjeux sociétaux et économiques liés
au Big Data en santé sont de fait des questions majeures que la
puissance publique se doit d’appréhender pour exploiter au mieux
l’apport que constitue le Big Data. Il semble essentiel d’intégrer les
différentes approches dans un dialogue serré, intégrant les questions
méthodologiques, sociétales et éthiques. Cette question ne peut
échapper à une approche transversale et interdisciplinaire, incluant
les usagers ou patients.

A – Quels modèles de santé ?

7 Le Big Data en santé pose de manière aigüe la question de la finalité


poursuivie quant à la place et son utilisation pour la santé. Dans quel
but et pour quoi faire les données sont-elles produites et pourraient
être utilisées pour améliorer la santé? Pour qui ? Pour répondre à
quelle question ou enjeu de santé ? Les nouveaux usages potentiels
liés au Big Data bouleversent les schémas traditionnels de la santé,
qu’il s’agisse de la construction de référentiels et de normes en
matière d’information de santé, des modèles économiques des
entreprises et des services publics, des modèles organisationnels des
institutions et plus largement de l’ensemble de notre système de
santé. Le modèle de la santé choisi devient alors un enjeu primordial
lorsqu’on invoque le Big Data en santé. Loin d’écarter les hypothèses
a priori et n’être guidé que par les données, le Big Data en santé
impose de se positionner sur le modèle choisi pour définir la santé.
Ce Big Data est alors conditionné par des hypothèses et constitue un
moyen de mettre en lumière une vision spécifique de la santé. A ce
titre le Big Data en santé interroge la puissance publique sur les
orientations qu’elle souhaite donner ou poursuivre concernant la
prise en charge de la santé et de la prévention et à l’organisation de
son système de santé. Comme le souligne le rapport du Conseil
National du Numérique intitulé « La santé, bien commun de la
société numérique » 3 , la vision politique de la santé est d’autant
plus cruciale que nous nous trouvons à l’aune de deux tournants
décisifs et ambivalents qui détermineront notre système de santé de
demain : la personnalisation et la marchandisation de la santé.
8 Le « modèle français » de la santé repose depuis plus d’un siècle sur
les soins curatifs, dans une relation singulière entre soignant et
soigné. Cette vision individuelle se traduit dans l’information
annoncée par les Big Data comme porteuses d’une médecine
« personnalisée », productrice de normes et de normativité,
soulignant la responsabilité individuelle des comportements et in
fine substituant l’assurance individuelle à la solidarité et à la
mutualisation des risques. Nous sommes alors en droit de nous
interroger sur la compatibilité ou l’incompatibilité d’un système
fondé sur la mutualisation du risque en santé avec le développement
d’une médecine personnalisée et prédictive, s’appuyant sur une
analyse toujours plus fine des risques individuels via des
algorithmes.
9 L’avènement du quantified self et de l’autonomisation soulèvent des
problématiques d’inclusion numérique et de littératie en santé et
donc d’inégalités dès lors que le recours, l’accès et la qualité des
soins sont conditionnés aux compétences de chacun. Deux visions de
l’individu peuvent schématiquement être opposées : une vision
« économique » de l’individu comme un être (pour ne pas dire
consommateur) autonome, pleinement rationnel, arbitrant de façon
individuelle et totalement consciente ses choix et comportements ;
et une vision « sociale (ou sociologique) » de l’individu comme un
être dont les capacités d’autorégulation sont limitées, dont les choix
et comportements ne sont pas nécessairement soumis à une
délibération systématique, individuelle et autonome, mais inscrits
dans des normes et interactions sociales.
10 La solidarité et l’universalité qui caractérisent notre modèle de santé
sont donc réinterrogées par l’avènement du Big Data et de la vision
de la société et de la santé. L’utilisation du Big Data peut soit servir à
mettre en avant la vision économique de l’individu (comme le font
logiquement les industries commerciales privées), ou sur une vision
sociale de l’individu. La question de la place de l’intérêt général
versus celle de l’intérêt individuel dans notre façon de penser la
santé et le système de soins devient de fait exacerbée par la
puissance d’analyse qu’offre le Big Data. Cette question est d’autant
plus prégnante si on pense au choix que font ou feront les systèmes
d’assurances santé. Le Conseil national du numérique prévient ainsi
que 4 : « Face au déficit croissant de l’assurance maladie et aux
préoccupations légitimes quant à son avenir, la tentation peut être :
celle de la responsabilisation conditionnant l’accès au système de
santé à l’adoption d’un comportement conforme aux prescriptions
de l’autorité publique, voire de sociétés privées avec le risque que la
santé et ses normes reflètent leur vision propre. Cela se traduirait en
pratique par le renforcement des contrôles individuels portés par
l’autorité publique, voire par l’instauration de mesures en cas de
non-respect des comportements et traitement prescrits en
s’appuyant sur les outils de surveillance à distance et sur l’analyse
des données de chacun ; celle d’une responsabilisation reposant sur
le principe de la libre consommation par les individus de soins
choisis parmi une offre de services et de produits disponibles -
éventuellement en se substituant à la référence médicale - tout en en
assumant pleinement les conséquences sanitaires et financières. »
11 De telles formes de responsabilisation semblent difficilement
compatibles avec la prise en compte des aptitudes et des situations
culturelles, sociales, économiques de chacun. Dans le cadre du
système de santé français que l’on sait certes performant mais
inéquitable 5 , quelles possibilités offrent le Big Data pour réduire
cette non équité en termes d’interventions et de politiques publiques
? En particulier quels pourrait être les apports ou freins du Big Data
pour aider la puissance publique et l’Etat à assurer sa place de garant
d’une justice sociale.
12 Les expériences passées en matière d’innovations technologiques
suggèrent qu’il est nécessaire d’être attentif à leur impact sur la
santé, aux inégalités sociales de santé et aux populations éloignées
de l’accès à ces innovations ou exclues de la collecte des données. A
l’heure où des travaux de recherche pointent l’intérêt que pourrait
avoir une approche basée sur la notion d’universalisme
proportionné 6 , qui consiste à promouvoir des politiques dont
l’intensité est proportionnelle aux besoins des populations, les
opportunités et/ou limites que pourrait constituer le Big Data en
santé pour conduire de telles politiques mérite d’être considérées.

B – Quelle validation des données ?

13 Le Big Data en santé pose aussi la question de sa validité. En parallèle


à la compréhension des algorithmes, leur accès et la transparence
des algorithmes utilisés sont par ailleurs des questions d’importance.
Par ailleurs pouvoir produire l’information soulève la question de la
possibilité de l’interpréter et de la diffuser. L’équilibre entre l’action
publique, le secteur privé et le rôle de l’Etat sont essentiels à définir
pour s’interroger sur le mode de production de l’information.
Quelles sont les méthodes mises en œuvre, pour quels algorithmes ?
Sur quels modèles et quelles hypothèses mathématiques seront
basées les informations produites ? La difficulté croissante, y
compris pour les mathématiciens et les statisticiens, à comprendre
les modèles utilisés et leurs hypothèses porte en germe un risque de
perte de contrôle de l’information. Ce danger est déjà largement
manifeste dans le secteur des assurances où il est reconnu que les
algorithmes mis en œuvre permettent effectivement d’adapter les
produits aux situations individuelles sans qu’il y ait une quelconque
maitrise des hypothèses et des méthodes statistiques les sous-
tendant (algorithmes « boites noires »).
14 L’avènement du Big Data s’accompagne aussi d’une remise en cause
de la notion de causalité qu’il convient d’interroger lorsque l’on
s’intéresse à la santé. La question du pourquoi n’est peut-être pas
essentielle pour des usages commerciaux ou marketing,
contrairement à la question du quoi, mais elle est essentielle dans le
champ spécifique de la santé et de l’intervention dans ce domaine.
Intervenir sur des facteurs, pour tenter d’améliorer la santé sans le
préalable de tenter d’en approcher les causes ne saurait constituer
une approche pertinente et efficiente en santé. A l’heure où le
volume de données – qu’elles soient structurées ou non structurées –
devient difficilement exploitable avec des solutions classiques, il
devient crucial de parvenir à utiliser des données de sources diverses
et de natures diverses pour produire une « autre » information
certes, mais une information qui soit également plus complète et
plus fiable. Loin de la fin de la théorie comme l’a proposé l’éditeur en
chef du magazine Wired 7 , la recherche de la causalité et la véracité
des données restent encore et toujours des enjeux, encore plus dans
le champ spécifique de la santé.

C – Quels modèles de prise de décision en santé ?

15 Découle ainsi de la mise en évidence de corrélations un autre enjeu


qui est celui d’une prise de décision en santé guidée par les données
et les algorithmes. Et plus largement celle de l’essentialisation de la
donnée qui serait vue comme a‑théorique et a‑politique 8 . La
donnée serait ainsi considérée comme objective neutre voire pure.
Or la qualité et le modèle qui oriente le recueil des données
façonnent l’information produite. Google n’est pas né de personnes
vivant en dehors de tout contexte. La façon d’organiser l’information
et les services proposés sont le fruit de pensées et de choix
(techniques, commerciaux, politiques). Pour illustrer ce phénomène,
Bruno Latour propose d’utiliser le terme « obtenues » en lieu et place
de « données ». Derrière la production d’une donnée se cache des
enjeux d’ordre économique, commerciaux, politiques. Les débats
techniques ont comme effet de dépolitiser ces enjeux pourtant bien
réels. Une donnée peut par ailleurs être utile ou pertinente dans un
champ ou une question précise mais pas dans un autre : on peut
alors parler de territoire de validité d’une donnée. La théorie et la
subjectivité du regard du chercheur, des entreprises, des institutions
publiques ou plus largement de la société continue d’être des notions
primordiales. Loin de supprimer toute théorie modélisation ou choix
a priori, le tout corrélation du Big Data porte en lui ces notions.
16 L’intérêt du tout corrélation du Big Data est basé sur l’idée de
travailler en théorie sur un tout et non une part de l’information et
de la population (N=tout 9 ). Se pose pourtant la question en
pratique de la couverture de la population, de la représentativité de
cette dernière au regard des outils numériques utilisés pour générer
des données, avec toutes les limites potentielles que de tels travaux
conduits sur des populations finalement sélectionnées pourraient
avoir en termes de santé publique. Des travaux sociologiques qui ont
suivi la mise en place du dossier informatisé dans des opérations
zéro papier ont par ailleurs montré que des pans entiers de
l’information nécessaire au soin continuaient de circuler sous forme
écrite, de post-it ou de feuilles glissées dans la poche 10 … Cette
information ne sera pas disponible dans une analyse étiquetée Big
Data, pas plus que des données sur le lien santé travail ou emploi si
elles ne sont dans aucun système d’information. Rappelons que
seulement 10% des maladies à caractère professionnel sont
aujourd’hui reconnues comme telles 11 . Pour les soins, l’enjeu est
de ne pas abandonner la prise en charge des malades (le « care ») et
ne pas résumer les soins à la prescription de traitements optimisés
via l’algorithmique, fussent-ils personnalisés.

D – Quels enjeux pour les individus ?

17 Le pouvoir de contrôle social de l’information produite, de ciblage de


population est ainsi loin d’être anodin, comme celle de la question de
la responsabilité. Ce traitement simultané de différentes bases
soulève bien sûr la question de la confidentialité des données, du
respect du droit des personnes. Cette garantie pourrait ne plus être
assurée à l’ère de l’interopérabilité des bases de données qui pourrait
mécaniquement rendre identifiables des données originairement
anonymes. Les conséquences sur les libertés, la vie privée, des
pratiques commerciales ou discriminatoires, par exemple dans le
domaine de l’assurance santé ne sont pas de simples effets
secondaires marginaux. La question du contrôle de la donnée est
ainsi l’enjeu qui pourrait s’avérer majeur dans le futur. Qui contrôle
les données ? Selon quels modèles économiques ? A l’heure où les
utilisations secondaires tertiaires des données, par définition non
encore anticipées, et d’une définition élargie des données
personnelles et de santé (potentiellement toutes ?) comment assurer
un contrôle et une maitrise des données personnelles pour les
citoyens ? Quel avenir du consentement libre et éclairé quant on ne
peut anticiper les utilisations secondaires qui seront faites des
données ?
18 Comment réduire l’asymétrie de pouvoir et d’information entre les
entreprises et organismes détenteurs de données et les individus, en
mettant les individus en capacité, non seulement de contrôler
l’usage par d’autres de leurs données, mais également de développer
leurs propres usages des données personnelles qui les concernent ?
Comment uniformiser les règles d’utilisation des données entre pays
et entre entreprises privées et publiques ?
19 De l’évolution du cadre juridique sur la réglementation des données
et des modèles économiques et de partage des données à l’échelle
nationale, comme par exemple pour les règles d’accès aux données
du SNDS, et internationale dépendra en grande partie notre capacité
future à exploiter le formidable potentiel des données au profit de la
recherche et de la santé, en France comme en Europe. Il s’agit là d’un
véritable enjeu pour à la fois protéger les droits des personnes et en
même temps offrir une ouverture suffisante et simple des données
publiques pour bénéficier à plein des potentialités offertes par le Big
Data et ne pas favoriser l’émergence d’une offre concurrente de
bases de données privées potentiellement moins regardante sur la
protection des droits des individus sur leurs données ou encore à
l'émergence de géants non français ou européens du Big Data 12 .

E – Quel contrôle et quel pilotage ?

20 Ces enjeux posent la question du contrôle et du pilotage vis-à-vis de


l’utilisation du Big Data en sante. La forme de ce pilotage reste à
préciser (commission dédiée ; institution consultative (per ex:
comité technique Big Data HCSP), tiers de confiance public/privé) et
les missions de ce pilotage restent à définir mais elles pourraient
inclure l’anticipation d’usages pertinents (« réflexion prospective »),
la définition de besoins pour favoriser l’éclosion d’idées, la
prescription de bonnes pratiques d’utilisation (en recherche
notamment). Le mode de fonctionnement de ce pilotage aura sans
doute à distinguer l’usage pour un intérêt général de l’usage pour un
intérêt individuel comme distinguer l’usage privé/commercial de
l’usage public/académique.
Conclusion
21 L’intérêt du Big Data en santé tient avant tout au chaînage, au
croisement ou à l’enrichissement de données qui ont usuellement
vocation d’être cloisonnées, produites en des unités de lieu et de
temps très diverses et nombreuses, et au traitement de ces données
qui ne se limite pas aux techniques classiques prédominantes en
biomédecine. De ce fait, le Big Data en santé génère de très fortes
attentes et espoirs pour une meilleure compréhension de la santé et
une meilleure prise en charge au bénéfice de tous. Face à ces
attentes, la France dispose d’excellents atouts par l’existence de
bases de données multiples, variées parfois uniques (médico-
administratives), de compétences et de savoir-faire dans l’analyse
des données et d’un climat actuel favorable au décloisonnement (loi
de santé & création du SNDS). Néanmoins certains verrous persistent
et constituent de véritables freins voire de véritables risques pour
parvenir à exploiter au mieux et au bénéfice de tous le
développement du Big Data en santé : i) le périmètre du Big Data en
santé qui se doit d’être plus large qu’une vision centré sur le seul
soins, l’individu et ses seules caractéristiques biologiques ; ii)
l’existence d’une multitude de systèmes non interopérables ; iii) une
volonté de partage des données parfois limitée alors même qu’il ne
peut exister de Big Data sans open data ; iv) un manque de formation
des différents acteurs, professionnels de santé et population civile,
pour mieux appréhender la notion de données et d’algorithmes ; v)
une absence de coordination globale, volontariste, de long terme,
structurante, dépassant les clivages ; vi) une nécessité de
contrôle/maitrise des données et de leur utilisation par l’autorité
publique pour le bien commun et la lutte contre les inégalités
sociales de santé.
NOTES
1. C. Cases, « Réduire les inégalités sociales de santé : la mission n’est
pas impossible » In : Les inégalités sociales de santé, Actualité et
dossier en santé publique, n° 73.
2. Ernst & Young, Etude (Big) data - Où en sont les entreprises
françaises ? 2014 http://www.ey.com/Publication/vwLUAssets/EY-
etude-big-data-2014/$FILE/EY-etude-big-data-2014.pdf, vérifié le
09/10/2015.
3. Conseil National du Numérique. La santé, bien commun de la
société numérique. Rapport remis à la Ministre des Affaires sociales,
de la Santé et des Droits des femmes, octobre 2015, page 7.
4. Conseil National du Numérique, La santé, bien commun de la société
numérique. Rapport remis à la Ministre des Affaires sociales, de la
Santé et des Droits des femmes, octobre 2015, page 60.
5. http://www.social-sante.gouv.fr/actualite-
presse,42/communiques,2322/strategie-nationale-de-sante-
vers,16258.html
6. T. Lang, LG. Soler, « Inégalités sociales de santé et nutrition : vers
une politique d’universalisme proportionné », ADSP 2014. 87 ; 43-45 ;
The Marmot Review. Fair Society, Healthy Lives. Strategic review of
Health Inequalities in England. Londres, 2010.
7. C. Anderson, « The End of Theory : the data deluge makes the
scientific method obsolete ». 2008
http://www.wired.com/science/discoveries/magazine/16-
07/pb_theory
8. JM. Noyer, M. Carmes, « L’irrésistible montée de l’algorithmique :
methods et concepts en SHS ». 2013.
https://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00917623
9. V. Mayer-Schonberger, K. Cukier, Big Data la révolution des données
en marche. Edition Rober Laffont. 2014.
10. P. Marrast, P. Zaraté, « Annotation management : a Group
decision support system for nurses tasks ». J Decision Systems, 2015,
vol. 24, no 2, p. 105-116.
11. S. Rivière, H. Cadéac-Birman, A. Chevalier, M. Valenty, « Surveillance
de la santé au travail : exemple de la « Quinzaine Maladie à Caractère
Professionnel (MCP) » en Midi-Pyrénées », France, 2006. BEH 2008 :
32.
12. Conseil National du Numérique, La santé, bien commun de la société
numérique. Rapport remis à la Ministre des Affaires sociales, de la
Santé et des Droits des femmes, octobre 2015, pages 37-38.

AUTEUR
CYRILLE DELPIERRE
Directeur de recherche, Inserm, UMR 1027, université Toulouse III
Quels modèles économiques pour
la e-santé ?
Aujourd'hui déjà, un nouveau
modèle économique en santé ?
Jean-Olivier Mallet

1 « Le thème Digitalisation touche aux questions du monde du travail,


de la formation (scolaire et professionnelle), de la sphère privée
(familiale), de la participation démocratique, de la régulation
étatique » (Introduction du numéro thématique de comptes-rendus
des programmes du WZB centre scientifique berlinois pour la
recherche sociale, mars 2017).
2 « L'économie collaborative n'est pas un feu de paille, mais une lame
de fond, qui va changer le modèle économique de notre société. Nous
allons passer d'une économie de la propriété à une économie
d'usage. Ce qui va créer aussi plus de lien social. » (Dirigeant
assurance mutualiste généraliste, juin 2017).
3 Jusque dans les années 1990, alors que l'industrialisation de la
médecine semblait s'affirmer, nombreux étaient les analystes qui
affirmaient que jusqu'alors le fordisme n'avait pas marqué le secteur
santé, caractérisé par un persistant professionnalisme. La
managérialisation qui suivit suscita en effet de fortes résistances
corporatistes, voire humanistes. Mais le managérialisme se légitima
aussi de l'empowerment des patients, usagers ou clients. Ce trait se
retrouve-t-il dans l'actuelle introduction des plateformes lucratives,
sharing economy ou gig economy ? De la télémédecine aux GAFAM,
continuité et discontinuité d'un modèle socio-économique
« innovant » ?

I – Des modèles économiques (traditionnels)


en santé
4 Un modèle économique en santé suppose au moins 2 agents : le
patient-payeur et l'opérateur (professionnel ou institution de soins).
C'est le cas traditionnel du paiement à l'acte (fee for pay) en
médecine libérale déboursée par le patient (out of the pocket). Mais
aussi du paiement de ce qui est hors financement de l'assurance-
maladie (des franchises aux USA et en France aux tickets
modérateurs pour les 5% non-assurés complémentaires en France ou
encore les tickets, les consultations privées à l'hôpital ou le secteur
privé non-conventionné en Italie, où les assurances plus
substitutives que complémentaires ne couvrent que 20% de la
population).
5 Mais le modèle majoritaire inclut plutôt au moins 3 agents : le
patient, 1 ou plusieurs financeurs et les opérateurs soignants finaux.
L'intermédiation du financeur a pour fonction de drainer des
prélèvements (primes, cotisations, impôts) et de rémunérer les
opérateurs (professionnels de santé). Mais parallèlement, le
financeur peut en liaison avec les patients et/ou avec les opérateurs,
assumer une fonction d'organisation des soins, dont l'une des
missions sera bien sûr d'optimiser le financement qu'il contrôle, en
coopération ou en opposition avec la maximisation du profit de
l'entreprise, la satisfaction du patient-client, la qualité des soins,
l'aménagement du territoire ou des objectifs de santé publique.
6 Dans ce modèle ternaire, les modalités sont variées, tant sur le
versant du financement intermédié que sur celui de la rémunération
des « opérateurs », variation liée fortement à l'organisation des
soins. Par exemple, sur le plan du financement, l'OCDE en 1993
distinguait le modèle libéral marchand accompagné de l'assistance
privée ou publique, celui monopolistique (public ou parfois privé
d'ailleurs) et celui de la concurrence organisée (managed care).
Vingt-cinq ans après, une telle typologie doit être révisée. De
nouveaux modèles économiques se sont proposés, comme par
l'instrument de la capitalisation, celui de l'épargne-santé
(Singapour, USA).
7 Sur le plan de la rémunération des opérateurs, une classification
classique dans le secteur des soins primaires est celle de la
rémunération à l'acte, de celle à la capitation et du salariat. L'analyse
de l'intermédiation doit inclure un acteur particulier dans les
organisations de soins européennes : le médecin généraliste, comme
gatekeeper, représentant potentiel (advocacy) du patient, voire
collectivement (General Practitioners Trusts), organisateur voire
financeur délégué d'une partie des filières en amont et / en aval de
lui (médecin généraliste porteur de fonds britannique individuel
puis collectif). Cette figure a une fonction virtuelle (pas toujours
effective) de pivot des soins primaires et de réducteur des dépenses
(urgences, hospitalisations, institutionnalisations particulièrement
pour les maladies chroniques et la dépendance, si adossé à des
opérateurs médico-sociaux et sociaux qualifiés, reconnus et dotés de
ressources). En ce sens le médecin généraliste peut complexifier le
modèle ternaire décrit plus haut.
8 Au contraire, l'assujettissement des soins primaires et
particulièrement du médecin généraliste aux financeurs-
organisateurs du managed care aux USA réduit l'autonomie
professionnelle à travers des parcours de soins contraints par
l'assurance au détriment parfois de la déontologie médicale. Certes,
le managed care prépayé a intérêt à développer une prévention,
mais il s'agit souvent (avant comme après l'Obamacare) d'une
prévention contrainte excluante et surtout d'une prévention
technicisée, qui ignore les déterminants sociaux de santé. Cela
correspond souvent à des soins primaires eux-mèmes excessivement
technicisés, peu coopératifs, rarement organisés en coopératives,
sous influence directe de guidelines réducteurs, peu respectueux des
autonomies professionnelles et réduisant les opérateurs au rôle
d'exécutants. Dans des soins primaires de « sous-spécialistes »
modelés selon une logique « organiciste » correspondant à des soins
secondaires parcellisés, le modèle organisationnel peut-il être
l'occasion d'une plus facile digitalisation ? (en ce sens, moins
soucieuse de qualité systémique et sociale, plus attentive à des
indicateurs quantitatifs sectoriels, comme pourrait l'illustrer la
récente réforme lombarde des soins primaires pour malades
chroniques).

II – Un modèle de l’économie numérique ?


9 Les plateformes collaboratives (qu'elles soient lucratives ou
associatives-coopératives) correspondent à un double mouvement :
d'une part de désintermédiation (par la rupture des liens
traditionnels) ; d'autre part de réintermédiation (par le tissage de
liens nouveaux subsumés sous la plateforme). Une série de liens relie
donc entre eux les différents acteurs : usager, opérateur et
plateforme. Ce passage de liens (intermédiation) « traditionnels »
(organisation professionnelle type profession libérale ou
« bureaucratie professionnelle », financement public...) à des liens
d'intermédiation « nouveaux » dominés par la plateforme (avec ses
modèles socio-économiques, d'Uber à la coopérative) marquerait la
transition d'un modèle (artisanal, industriel) à un modèle réticulaire
(hétéronome / autonome), qui pourrait se substituer ou se mixer aux
précédents.
10 Dans de nombreux domaines (mobilité, logement), le succès de
plateformes de service, sharing comme gig economy (outre
éventuellement la réduction des coûts d'une économie collaborative
de carsharing ou de coworking ou encore de la reprise des modèles
hard discount / low cost basés sur des coûts et droits du travail
réduits, jusqu'à la déconnexion-licenciement) réside dans la rapidité,
si ce n'est l'immédiateté avec laquelle le consommateur se met en
contact avec l'opérateur-provider. Taxi, B&B, pizza à domicile : le
contact, le service, le paiement sont établis rapidement et
« simplement ». Avec éventuellement des conséquences sur le statut
et les conditions de travail fréquemment pointées, qui peuvent
démultiplier les bénéfices tirés de la publicité, puis des commissions
prélevées à chaque service rendu. Enfin, on sait que c'est surtout
l'extraction et la marchandisation des big datas ainsi fournis, qui
alimentent les GAFAM et autres opérateurs du numérique.
11 On sait aussi les difficultés et longtemps le peu de volonté politique à
maîtriser les GAFAM et leur évasion fiscale, avant l'injonction à
l'Irlande de la commission UE en 2016 contre Microsoft (injonction,
contre laquelle le gouvernement irlandais a fait aussitôt recours) et
peut-être demain d'autres opérateurs. Mais déjà le Danemark
institue des « ambassadeurs » auprès des GAFAM, comme l'annonce
le ministre des affaires étrangères du pays : « Ces entreprises sont
devenues de nouvelles nations. Dans le futur, pour nous Danois, les
relations bilatérales avec Google seront au moins aussi importantes
que celles avec la Grèce. » (Copenhague, 26.1.2017).
12 Jusqu'à présent, l'essentiel de la critique au/x nouveau/x modèle/s
économique/s s'est adressé à la transformation standardisée du
travail qualifié ou non (critique de l'« ubérisation » du travail dans
les secteurs de la mobilité, de la distribution à domicile... où le statut
du travail passe souvent du salariat à la pseudo-autonomie). Derrière
la rhétorique de la sharing economy (condivision, partage, mise en
commun) se cacherait souvent la gig economy, où le travail crée une
valeur qui se trouve appropriée par un opérateur digital
oligopolistique. Dans le cas d'une activité spécifique comme la santé
(aux modalités de production de soins fort différenciées), comment
les modèles économiques « traditionnels » sont-ils confirmés ou
bousculés par la digitalisation actuelle ? Dans un secteur en
évolution (soins primaires partiellement programmables avec la
médecine d'initative ou standardisables pour les maladies
chroniques comme en Lombardie, soins aigus depuis longtemps en
partie industrialisables, stratégies « on demand », comment
surgissent les opportunités d'intermédiation marchande-digitalisée
(« uberisation »), même actuellement limitées par la résistance des
professions ?

III – Un/des modèle/s de l’économie


(numérique) de la santé ?
13 Face aux différents modèles économiques ayant cours en santé (par
secteur ou pour l'ensemble du système) : économie marchande,
économie administrée, « concurrence organisée » dans les versions
publique ou privée, régulation professionnelle ou managériale
(publique ou privée), etc... peut-on reconnaître un modèle
économique spécifique (financement, rémunération, régulation)
confirmé ou introduit par l'usage massif des TIC ? Une réponse serait
que les modèles peuvent être relativement divers et autonomes,
selon les secteurs du système de soins : industrie / services,
pathologies aigües / chroniques, « petit risque » / « gros risque »,
dedans versus dehors du panier légal... En même temps, il s'agit bien
d'un système : chaque modification endogène ou exogène d'un
élément a des conséquences sur les autres. Que modifient donc les
TIC, qui est en train de transformer l'économie du système de soins
de santé ?
14 Ce seraient les segments les plus techniques (rationnalisables), outre
que mal pris en charge (particulièrement en France) par l'assurance-
maladie publique, qui pourraient être l'objet d'une intervention par
les plateformes de services ? Les soins et prothèses dentaires, par
exemple. Déjà sur certains sites à Rome, les soins dentaires courants
sont l'objet d'interventions ponctuelles à tarif low-cost programmées
via Internet et algorithmes, cependant que les soins plus complexes,
chirurgicaux et prothésiques, sont effectués en Croatie, mixant le
modèle avec le tourisme sanitaire. Naturellement, comme dans les
services low-cost (cf. Trip Advisors), les dispositifs permettent une
évaluation centrée sur la satisfaction financière et « qualitative » du
consommateur.
15 Dans le secteur de la santé, le low cost digitalisé ne devrait donc pas
s'imposer radicalement comme dans d'autres secteurs d'activité. Au
moins à court terme. La complexité du secteur, le poids des
professions, la dominance d'industries capitalistiques
(pharmaceutique) s'y opposent. A court terme dans la culture de
protection sociale, qui persiste. Mais d'autres facteurs émergents (la
« démocratie sanitaire » entendue comme le pouvoir croissant des
usagers, volontiers réduits à consommateurs munis d'une culture
profane démultipliée par Internet ?) poussent en revanche à une
désintermédiation digitalisable et à une évaluation par les usagers-
consommateurs. Tendance déjà à l'œuvre depuis longtemps (Etats
Généraux de la Santé 1999) qui dans un contexte de marchandisation
encore larvée, prend plus en compte le pluralisme de l'offre que le
coût global de celle-ci (complémentaires, « médecine libérale »,
hospitalisation privée). Plus la qualité ressentie que l'accès
universaliste, plus le patient individuel que la santé publique. Enfin,
la santé sera sans doute un secteur stratégique pour ces enjeux
concernant les données : les assurances, les firmes pharmaceutiques
(les acquisitions réciproques sont à l'œuvre aux USA) comme
d'ailleurs les employeurs pourraient être des acquéreurs potentiels
de données, sans parler des opérateurs numériques déjà redéployés
dans le secteur.
16 La désintermédiation permet une rapidité et une réactivité de
l'intervention. En revanche l'élaboration des données autorise le
profilage, c'est-à-dire « l'individualisation typologique » des
consommateurs-fournisseurs de données, c'est-à-dire leur contrôle
marchand, d'abord voire sécuritaire ultérieurement. Contrairement
au modèle industriel, souvent intégré, le modèle numérique
favoriserait dans la réalisation de la chaîne de valeur, la proximité
avec l'utilisateur final (entreprise ou consommateur), par
l'extraction de données assurant le pouvoir économique : IBM
distancé par Microsoft serait l'archétype de cette nouvelle
configuration du pouvoir économique. Si les évolutions dans le
secteur santé pouvaient favoriser des phénomènes analogues
(certains parient sur la place stratégique des sites de secrétariat
médical, pouvant permettre une extraction de données sur les
patients au détriment des cabinets et établissements de santé, qui
fournissent les services de prévention et soins), la résistance des
professions, déjà manifeste dans les processus de managérialisation,
comme la régulation publique du secteur encore maintenue et les
règles d'ordre public social, qui s'y déploient encore, pourraient
contrecarrer, ralentir ou tempérer une montée en puissance de
plateformes intermédiaires proches des utilisateurs finaux.

________________________________________________________
Ont été jusqu'à présent documentés surtout les rapports aux relations de travail
(« ubérisation »), ceux aux usagers-consommateurs entre profilage et
« personnalisation » affinés par l'élaboration des big datas, ceux concernant
l'innovation (start-ups, capital-risque), mais une réflexion économique large sur
la digitalisation en santé mérite d'être encore développée.
Le présent colloque toulousain de septembre 2017 a révélé une certaine
hésitation et irritation des opérateurs devant la réticence de l'assurance maladie
et de l'État à inscrire à remboursement des « dispositifs médicaux » préventifs ou
curatifs via applications. Cette situation de réticence et d'incertitude favorise le
positionnement de la couverture complémentaire, plus réactive et susceptible
d'articuler les propositions avec d'autres domaines assurantiels que la santé et la
dépendance. Finalement pour l'heure nous restons dans un modèle économique
marchand assez classique, mais potentiellement démultiplié par l'extraction et
marchandisation des gisements de données sanitaires.

AUTEUR
JEAN-OLIVIER MALLET

Association Marginalités et Société, 33980 Audenge


Santé numérique : quelques
réflexions sur les modèles
économiques et les questions
posées à la régulation
Dominique Polton

1 Si notre système de santé sait intégrer l’innovation lorsqu’elle


concerne, classiquement, de nouveaux médicaments ou de nouveaux
actes techniques, il peine en revanche à accueillir les innovations
fondées sur l’usage de technologies numériques (souvent d’ailleurs
associées à des innovations organisationnelles) de façon efficace,
suffisamment agile et réactive pour faire face aux enjeux de
transformation du système dont elles sont porteuses. Les
interventions précédentes ont, à cet égard, éclairé les difficultés que
posent des mécanismes d’évaluation inadaptés en termes de délai et
d’expérimentation.
2 Comment faire évoluer notre système de régulation ? Il n’y a pas de
solution simple, car il est construit sur des logiques et des
procédures que ces innovations qui « n’entrent pas dans les cases »
percutent. Sans prétendre à l’exhaustivité sur des questions aussi
complexes, quelques pistes peuvent être esquissées autour de trois
aspects : les processus d’évaluation de ces innovations, les modèles
économiques et organisationnels, l’usage des données de santé. Au
préalable, on rappellera brièvement les bénéfices attendus de ces
technologies numériques, mais aussi les risques possibles.

I – La e‑santé : beaucoup d’attentes et de


promesses, mais aussi des inquiétudes sur
les impacts
A – Des attentes et des espoirs

3 Prévenir plus tôt, soigner mieux, suivre plus efficacement, telles sont
les promesses portées par le développement des outils numériques
en santé.
4 Ils doivent permettre d’abord d’améliorer la prise en charge des
patients, en établissement (hospitalier et médico-social) mais aussi
et surtout au domicile des patients en diffusant extra muros les
compétences et expertises grâce à la télémédecine, dont le cadre
juridique est fixé par la loi 1 . Certaines de ces applications font
d’ores et déjà partie de pratiques éprouvées, comme la
télésurveillance des patients atteints d’insuffisance cardiaque 2 , qui
permet de repérer des signes cliniques annonciateurs d’une
décompensation et de parvenir à différer, voire éviter une
hospitalisation 3 . Dans de nombreux domaines, cette possibilité
d’interpréter à distance des données transmises grâce à des objets
connectés ou par les patients permet de réduire considérablement le
délai de réponse du système de soins. Ainsi aujourd’hui environ
50.000 patients porteurs de stimulateurs ou défibrillateurs
implantables sont suivis à distance par des professionnels de santé.
La télésurveillance est devenue, comme le rappelait le Dr Lazarus, "la
méthode de référence pour le suivi des patients cardiaques aux
Etats-Unis", et elle permettrait, selon des études publiées
récemment, "une baisse de mortalité totale d'environ 38%" 4 . Le
dispositif est encore expérimental en France, mais la publication
récente du cahier des charges permet désormais la rémunération des
médecins réalisant la télésurveillance des prothèses cardiaques
implantables (stimulateurs et défibrillateurs) 5 . Pour la Cour ces
comptes, « en permettant d’éviter des hospitalisations, la
télésurveillance des malades chroniques grâce à des dispositifs
connectés apparaît comme la forme de télémédecine la plus
prometteuse » 6 .
5 La téléconsultation et la télé-expertise, qui devraient aussi se
développer plus rapidement avec la décision de quitter le terrain de
l’expérimentation et de basculer ces actes de télémédecine dans le
droit commun du financement 7 , peuvent être un levier majeur
pour diminuer les pertes de chances liées à l’éloignement des centres
de soins et réduire les discriminations géographiques. Ainsi dans
plusieurs régions des plateformes de télé-expertise ont été
organisées pour permettre à des médecins traitants, des infirmiers
libéraux ou des établissements de santé de faire appel à des experts
en plaies chroniques et/ou complexes (en particulier escarres,
ulcères de la jambe ou de plaies du pied diabétique) lorsqu’ils
rencontrent des difficultés dans la prise en charge de leurs patients,
notamment à domicile.
6 Au-delà de la dimension la plus évidente du recours au numérique
qui est de faciliter l’accès aux soins par la télémédecine, les objets
connectés sont appelés à accroître les capacités des patients à gérer
leur maladie (capteurs et objets connectés, applications informatives
ou éducatives,…), et plus globalement à être vecteurs d’empowerment
individuel et collectif, notamment par l’accès possible aux données
et l’analyse des informations qu’elles livrent sur l’état de santé des
personnes et son évolution.
7 Des progrès médicaux importants sont aussi attendus de
l’exploitation de la masse de données rendue disponible par la
numérisation, et l’on évoque la « médecine du futur », baptisée il y a
une dizaine d’années médecine des 4 P 8 . En cancérologie, la
médecine génomique personnalisée est déjà une réalité, avec les
possibilités d’analyse des milliards de données du génome et les
développements en cours de l’intelligence artificielle.
8 Au-delà du bénéfice individuel pour les patients, l’exploitation des
données massives recueillies à l’échelle de larges populations porte
aussi des enjeux collectifs de santé publique : surveillance sanitaire,
détection des risques, analyse des performances du système de
santé, de la qualité des soins, des inégalités sociales et spatiales,
conception de programmes d’intervention personnalisés ajustés aux
besoins des patients, analyse de l’efficacité et des effets indésirables
des traitements en vie réelle (pour laquelle les techniques
statistiques appliquées au Big Data pourraient permettre de faire
émerger des signaux faibles et d’accroître les capacités de
pharmacovigilance).
Les promesses portées par cette nouvelle ère de la santé numérique
sont donc considérables, et il ne se passe pas une semaine sans que
des articles, prises de parole, publications ne relaient ces attentes.
Mais en miroir de ces espoirs, des inquiétudes se manifestent
également.

B – Des craintes et questionnements

9 En effet cette « déferlante numérique » suscite aussi des craintes sur


les risques qu’elle comporte et les effets qu’elle peut induire.
La menace d’un changement de modèle sociétal et économique est
régulièrement évoquée. Elle toucherait aussi bien les individus,
devenant avant tout des consommateurs de soins ou même de
prédiction, loin de la vision idéale de la démocratie sanitaire des
patients-citoyens (dérive consumériste), que le système de santé lui-
même, confronté à la domination des plateformes et à
l’« uberisation » des professionnels de santé.
Les progrès de la génomique et l’utilisation ciblée du Big Data
peuvent aussi favoriser le profilage des personnes à partir de leurs
caractéristiques et de leurs facteurs de prédisposition. Les risques
différenciés que porteraient certains seraient ainsi mis en évidence,
déchirant ce que les économistes appellent le « voile d’ignorance » à
la base de notre système de financement de la santé. La claire
identification de ceux qui sont malades, le seront ou pourraient
l’être, est de fait de nature à menacer la solidarité entre tous, la
contribution des bien portants pouvant être envisagée désormais de
manière individualisée et modulée. Sans doute ne faut-il pas être en
la matière trop pessimiste et des mécanismes correcteurs
atténueront ces incidences du numérique. Mais il importe aussi de
mesurer les effets d’une évolution déjà entamée notamment par les
assureurs santé, qui dans d’autres pays offrent aux clients des
réductions de leurs primes en fonction de comportements vertueux
pour la santé. Si de tels mécanismes de tarification ne sont pas
autorisés aujourd’hui en France 9 , le développement accéléré des
capacités de surveillance numérique et des techniques de profilage
peut à juste titre être jugé inquiétant pour l’avenir, si l’on songe à
l’usage qui en est fait dans le domaine commercial aujourd’hui 10 .
10 La dimension intrusive de la télésurveillance ne doit pas non plus
être négligée, même si elle est réalisée « pour le bien du patient ».
Comme le souligne l’IGAS en 2015 dans son rapport sur l’observance
11 : « le patient peut devenir l’objet d’une inquisition permanente
susceptible de dévoiler ses secrets les plus personnels. Un pas de plus
et les données transmises, objectivant enfin le niveau d’observance
du traitement, pourraient faciliter la mise en œuvre de mesures plus
ou moins coercitives cherchant à remettre le « déviant » dans le
droit chemin, en poursuivant les objectifs les plus louables. » De fait,
le recours aux outils numériques recèle un potentiel normatif
important, voie ouverte à la normalisation des comportements
individuels et au contrôle social.
11 Enfin le pouvoir croissant des géants du numérique, GAFAM et BATX,
forts de leurs bases de données alimentées par des milliards de
clients, le risque d’hégémonie que leur mainmise sur la recherche et
sur l'algorithmie laisse envisager, la perte d’autonomie des systèmes
nationaux face à la puissance de ces nouveaux acteurs mondiaux de
la santé suscitent également des inquiétudes légitimes.

II – Les mutations nécessaires du système


de soins
12 Sans méconnaître les enjeux économiques et sociétaux évoqués ci-
dessus, si l’on reste à l’échelle du système de soins, comment peut-on
mieux intégrer, au bénéfice des patients et de la santé publique, les
innovations portées par les technologies numériques ?
Car paradoxalement, alors même que les évolutions sont rapides,
avec des chiffres qui donnent parfois le vertige (ex santé mobile : 100
000 applis sur les stores en 2016, prévision de 20 milliards d’objets
connectés dans le monde en 2020…), le système de soins organisé
n’intègre les évolutions rendues possibles par le numérique que très
lentement. L’accès au remboursement et à l’usage par les patients
reste très laborieux, comme n’ont pas manqué de le souligner
successivement la Cour des comptes 12 et le HCAAM 13 . Un
exemple suffit à illustrer ce hiatus : il a fallu quatre ans pour que
soient inscrits à la nomenclature trois actes relatifs au dépistage de
la rétinopathie diabétique à partir du moment où la HAS a été saisie
14 . Les processus sont donc erratiques, peu de dispositifs innovants

parvenant à s’insérer dans notre système de soins courants. Où sont


les freins ?
En fait, les évolutions numériques percutent les processus classiques
de régulation du système de soins à différents niveaux. Sans vouloir
être exhaustif, on évoquera notamment trois enjeux cruciaux :
revoir les processus d’évaluation du bénéfice / risque et du rapport
coût / efficacité ; adapter les modèles économiques et
organisationnels et les modes de rémunération, et pour cela
renouveler le modèle de conduite des expérimentations tel qu’il
existe dans notre pays ; et enfin se saisir de l’enjeu majeur de la
production et de l’utilisation des données de santé.

A – Revoir les procédures d’évaluation de l’innovation

13 Évaluer les innovations, numériques ou non, est une étape


nécessaire : toute innovation n’est pas forcément bénéfique, ni
suffisamment porteuse de progrès et/ou efficiente pour être
financée collectivement. Le système fondé sur la solidarité doit ne
financer que ce qui est utile, ce qui présente un intérêt à la fois
médical et médico-économique.
En matière d’évaluation médicale, construite sur l’evidence-based
medicine, le gold standard est l’essai clinique randomisé contrôlé.
C’est sur la base des résultats de ces essais que les nouveaux
médicaments sont aujourd’hui autorisés à être commercialisés, et
que les agences d’évaluation nationale apprécient l’opportunité de
leur remboursement par les systèmes de santé de chaque pays.
14 C’est un modèle qui peut être appliqué à des innovations
numériques. Ainsi par exemple un centre anti-cancéreux français a
évalué par un essai randomisé contrôlé l’impact d’un dispositif
(Moovcare) permettant aux patients souffrant de cancer du poumon
de renseigner régulièrement leur cancérologue sur leurs symptômes
par la voie d’une application web, ces informations étant traitées
avec un algorithme pour détecter les rechutes ; l’essai a montré un
gain de survie de sept mois en moyenne (gain supérieur à ceux
qu’apportent nombre de traitements innovants très onéreux) pour
les patients ainsi suivis 15 .
Pour autant, quelles que soient ses qualités, ce modèle de génération
d’évidence semble impossible à généraliser dans le domaine du
numérique où les innovations reposent sur des solutions
technologiques évolutives, elles-mêmes insérées dans des
agencements organisationnels parfois complexes (plateformes,
regroupements de professionnels…) dont l’évaluation se prête mal à
l’essai contrôlé. Elles sont également très nombreuses (à comparer à
une cinquantaine de nouveaux médicaments par an), d’une grande
diversité, sans stabilité (mises à jour, succession de versions
différentes d’un même produit qu’il est impossible d’évaluer à
chaque fois), soumises à des améliorations constantes des logiciels et
des algorithmes. Ainsi marqués d’une obsolescence intrinsèque, les
outils et services numériques ne peuvent de façon réaliste s’inscrire
dans des procédures d’évaluation sur 10-15 ans, déjà exigeantes pour
les produits de santé, inapplicables pour ce type d’innovations. Il
faut donc renoncer à penser que l’on pourra transposer les méthodes
des essais cliniques à ces nouveaux produits, ce que résume
clairement le Pr Philippe Ravaud dans une communication à un
groupe de travail sur la santé mobile 16 : « C’est une attente
irréaliste que nous disposions d’essais randomisés pour toute
intervention ou combinaison d’interventions dans tous les sous-
groupes de malades. (…) 85 % des données probantes pour la
Comparative Effectiveness Research proviendront d’études non
expérimentales ».
Il est donc essentiel de développer ces méthodologies d’évaluation
« en vie réelle », c’est-à-dire en conditions non expérimentales. Du
reste, même dans le domaine du médicament, elles apparaissent
aujourd’hui comme un complément nécessaire, non seulement pour
vérifier la transposabilité des résultats des essais aux conditions
réelles d’utilisation, mais aussi du fait de l’évolution du profil des
produits, avec de plus en plus d’arrivées précoces, d’autorisations de
mise sur le marché conditionnelles, de faibles niveaux de preuve du
fait de petites populations (maladies orphelines, thérapies ciblées…),
qui obligent à suivre attentivement les résultats « dans la vraie vie ».
Pour des innovations portées par le numérique, par constructions
évolutives, et qui combinent souvent une technologie digitale, un
produit ou un traitement et une modification organisationnelle, ces
modèles d’évaluation à partir de données observationnelles sont les
seuls envisageables à grande échelle. L’analyse de ces données doit
pouvoir permettre de documenter l’intérêt des solutions proposées
et de dégager un bilan utile pour décider de l’opportunité d’une
diffusion à plus grande échelle, même si l’évidence produite n’est pas
de même niveau que dans un schéma expérimental.
Des investissements sont nécessaires, à la fois pour constituer des
stocks de données observationnelles pertinentes (mais certains
existent déjà : bases de données administratives, entrepôts
hospitaliers…) et pour développer des méthodologies d’évaluation
utilisant au mieux ces sources de données.

B – Quels modèles organisationnels et économiques ?


15 Dans les évolutions qui se profilent, faut-il de nouveaux modèles
économiques, intégrant de nouveaux acteurs ?
C’est ce que suggère une étude récente menée à la demande du
Syntec Numérique en collaboration avec le SNITEM sur les
« Nouveaux modèles économiques de la e-Santé en Europe
(NOEMIE) » 17 . Cette étude met en avant des initiatives menées
dans quatre pays européens, l’Allemagne, l’Espagne, l’Italie et le
Royaume-Uni, ayant impliqué des partenaires privés (industriels,
assureurs ou consortiums) qui se sont vu confier des responsabilités
en matière de prise en charge de populations de patients, avec des
modèles économiques adaptés.
En Allemagne, des caisses régionales rémunèrent un industriel, sous
forme d’un forfait annuel par patient, pour la mise en place d’un
programme de suivi personnalisé de patients insuffisants cardiaques
(Cordiva). Le programme assure le suivi de 16 000 patients en 2015.
En Espagne, sur un territoire de la communauté autonome de
Valence, c’est une concession de service public qui a été passée avec
un consortium (assureurs / BTP / banques), d’abord pour la
construction et la gestion de l’hôpital, puis pour la gestion de
l’ensemble de l’offre de soins. Au-delà de la gestion des services, le
consortium a une responsabilité sur la gestion de la santé de la
population, y compris la prévention et la rééducation. Il s’appuie
fortement sur les technologies de l’information et est rémunéré à la
capitation.
En Italie, un service numérique personnalisé d’autogestion de la
tension artérielle a été développé par les industriels pour les
patients. Le service est gratuit mais le patient doit payer s’il veut
bénéficier du programme de coaching personnalisé, il finance donc
son système d’accompagnement.
Enfin, au Royaume-Uni, un assureur, VitalityHealth, a intégré dans
son offre un logiciel qui permet mesurer l’état de santé d’une
personne à partir d’une série de données, avec dans la foulée une
offre de santé complète. La plateforme traite toutes les données du
patient et vise à suivre les comportements de santé et les orienter
par un mécanisme d’incitations positives (points, bons d’achat). Le
service est rémunéré classiquement par un contrat d’assurance
souscrit par les assurés et incluant ce service.
Que nous apprennent ces initiatives, et peuvent-elles être réellement
source d’inspiration pour des modèles économiques de la e-santé ?
Les deux dernières sont en fait des modèles d’achat de services, dans
une logique commerciale classique : elles se situent clairement en
dehors du cadre d’un système de santé à financement collectif, et ne
peuvent donc constituer des pistes de réforme pour celui-ci.
L’expérience allemande montre qu’il est possible de sous-traiter à un
industriel la gestion d’un programme de suivi des patients
insuffisants cardiaques. Mais de tels programmes peuvent aussi être
assurés par d’autres opérateurs : ainsi en France, le programme
Cardiauvergne, qui assure le même suivi dans l’ancienne région
Auvergne, est géré par un groupement de coopération sanitaire
auquel participent tous les établissements de la région. Il a d’ailleurs
aussi montré des résultats positifs en termes de survie des patients
suivis.
C’est donc moins sans doute la question de l’opérateur qui est
centrale que celle de la capacité d’intégrer et de coordonner un
ensemble d’offreurs de soins et d’industriels autour d’une
plateforme et d’une solution commune. C’est aussi ce qui est en jeu
dans la concession de service public assumée par le consortium
espagnol : cet enjeu d’une meilleure intégration des acteurs,
professionnels hospitaliers et de ville, industriels proposant des
solutions techniques, structurés autour des services à rendre aux
patients, est celui que poursuivent aussi d’autres réformes, comme
celle des Accountable care organizations aux Etats-Unis.
16 Quels modes de rémunération apparaissent les plus adaptés pour
financer des services intégrant une composante numérique ? Dans
un certain nombre de cas, la tarification à l’acte reste possible : par
exemple, un acte de télé-expertise rémunérant l’échange
d’informations entre l’ancien et le nouveau médecin traitant lorsque
les personnes âgées entrant en établissement d’hébergement
changent de médecin traitant a été inscrit à la nomenclature. Mais
souvent la technologie numérique est intégrée à une intervention
complexe, dont elle ne représente qu’un des composants. C’est alors
le service global qu’il est plus rationnel de rémunérer (de suivi du
patient et d’accompagnement) sans segmenter en fonction des
interventions, et ce, par un forfait de prise en charge. C’est ce que
l’on voit avec les rémunérations à la capitation dans les exemples
allemand et espagnol. Souvent, cette capitation s’accompagne de
bonus financier en fonction d’objectifs de qualité ou d’efficience
décidés en commun (paiement « à la performance »).
Ainsi l’enjeu majeur est de définir des schémas de collaboration et
des structures collectives afin de faire travailler ensemble
établissements et professionnels de santé, avec une implication des
industriels et éventuellement des assureurs. Il faut pouvoir tester de
telles formes collectives, qui s’organisent autour de services globaux
rendus aux patients (comme c’est le cas dans le modèle des ACOs aux
Etats-Unis), tester des rémunérations alternatives, et voir comment
cela fonctionne concrètement, quelles sont les incidences sur la prise
en charge des patients, les progrès et points de blocage, le tout en
conditions de vie réelle. Mais pour cela, encore faut-il faire évoluer
notre modèle d’expérimentation et de diffusion de l’innovation.
17 La France ne dispose pas en effet d’un système d’expérimentation
adapté à l’accueil des innovations, permettant de repérer les
initiatives intéressantes, de les tester à une échelle suffisante, mais
aussi d’envisager d’amblée les conditions de leur diffusion.
L’expérimentation s’y déroule de manière permanente, sur de
longues années, en des laps de temps souvent prorogés.
L’exemple le plus flagrant de cette expérimentation en continu est
fourni par les réseaux qui, quel que soit leur intérêt, ont été
reconduits systématiquement dans une phase expérimentale
n’accédant jamais à un statut d’usage de droit commun. A contrario, il
est possible de relever quelques illustrations positives
d’expérimentations arrivées à leur terme, comme celle des modes de
rémunérations des maisons de santé pluri-professionnelles et les
pôles de santé qui ont ensuite été repris dans l’accord conventionnel
interprofessionnel (ACI), concrétisant ainsi un mode de financement
pérenne des équipes, au-delà de la phase expérimentale 18 .
Mais l’exemple d’expérimentation le plus révélateur des
atermoiements caractéristiques du système français est
certainement celui de la télémédecine, qui a été inscrite dans la loi
avec un encadrement juridique drastique, selon une méthodologie
précautionneuse visant à tout prévoir et organiser d’emblée et très
précisément dans des cahiers des charges dont le contenu a été
longuement travaillé, mais dont la rigidité exclut le principe comme
la réalisation d’une véritable expérimentation en situation. Du coup,
les expérimentations s’éternisent et jusqu’à récemment (car la LFSS
2018 a marqué un tournant sur ce point) nul n’avait d’idée ni du
moment où l’on pourrait en sortir, ni de la façon de généraliser ce
qui aurait été identifié comme positif.
18 Ce handicap de notre approche de l’évaluation a été relevé par le
Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) dans son
rapport Innovation et système de santé 19 qui préconise la création
d’un « cadre favorable à l’émergence d’initiatives innovantes » pour
soutenir les innovateurs afin « d’encourager, sélectionner, évaluer et
généraliser les initiatives prometteuses ». La Caisse nationale
d’assurance maladie a formulé dans le même esprit diverses
propositions et notamment celle d’un dispositif d’appui inspiré de ce
qui se fait aux US ou en Angleterre (Centers of innovation, new care
models / transformation fund) 20 , prenant la forme d’un fonds dédié à
l'innovation organisationnelle, qui rémunérerait transitoirement les
établissements et les professionnels de santé engagés dans des
expérimentations à grande échelle de nouveaux parcours de soins,
afin de sortir de la rémunération à l'acte et des silos médicaux.
La LFSS 2018 marque à cet égard une avancée importante puisque
l'article 51 prévoit un financement pour les « expérimentations
organisationnelles innovantes du système de santé », en dérogation
aux règles actuelles de tarification, pour une durée « qui ne peut
excéder cinq ans ». Il s'agit, selon le texte, de « favoriser l'innovation
par l'émergence de nouvelles organisations dans les secteurs
sanitaire et médico-social concourant à l'amélioration de la prise en
charge et du parcours des patients, et de l'efficience du système de
santé et de l'accès aux soins ». Ces expérimentations seront
financées par la mise en place d'un « fonds pour l'innovation du
système de santé », abondé par une dotation du régime général de
l'assurance maladie et par le fonds d'intervention régional (FIR).
Au côté de ces avancées notables, la loi de modernisation de notre
système de santé du 26 janvier 2016 21 en ouvre une autre, celle de
l’accès aux données de santé.

C – L’enjeu majeur de la production et de l’utilisation des


données de santé
19 Les systèmes de santé modernes produisent en effet d’énormes
quantités de données de santé, et tous les acteurs sont conscients du
potentiel de ces données massives, issues de sources multiples, pour
promouvoir la santé de la population et améliorer les soins.
Les bases de données médico-administratives, comportant des
données recueillies à des fins de gestion (facturation,
remboursement des soins…) constituent une de ces sources
d’information. De ce point de vue, la France est bien positionnée :
elle a été visionnaire il y a une quinzaine d’années en construisant
un entrepôt où sont stockées les informations contenues dans toutes
les feuilles de soins et les factures hospitalières, et qui permet ainsi
de retracer, de manière détaillée et exhaustive, les parcours de soins
de la totalité de la population française, soit 67 millions de
personnes.
Ces données, avec aujourd’hui un historique de plus de dix ans,
constituent un patrimoine remarquable : elles couvrent une large
population, offrent des possibilités de suivi sur longue période, sans
perdu de vue en cours de suivi, avec une bonne homogénéité de
codage.
C’est une mine d’informations pour les scientifiques, les
professionnels du soin et les chercheurs, dans un contexte de forte
compétition internationale, et le premier enjeu est d’exploiter au
maximum cette richesse ; de ce point de vue, la loi de janvier 2016,
avec la mise en place du Système national de données de santé
(SNDS) et de l’Institut national des données de santé, crée les
conditions d’un accès plus fluide à ces données. A nous de créer
collectivement un éco système pour les utiliser au maximum et au
mieux de leurs possibilités, car la France avec ses compétences a ici
des atouts de compétitivité remarquables.
Il faudra aussi enrichir ce capital et aller plus loin pour construire
les systèmes de données de l’avenir, qui seront multi-sources et
rassembleront aussi des données cliniques, biologiques, des données
provenant des patients, …
20 En conclusion, les marges de progression sont importantes et
certaines pistes doivent impérativement être suivies pour dégager
un modèle économique efficient pour la e-santé et améliorer la
capacité de notre système de santé à accueillir et intégrer de
manière agile les innovations qui sont bénéfiques : d’abord faire
évoluer les processus d’évaluation et notamment, et introduire le
principe, aux côtés de l’evidence based medicine, d’une génération
d’évidence par des données de vie réelle ; ensuite, construire de
nouveaux dispositifs d’expérimentation et de soutien à l’innovation
afin de tester et déployer plus vite des solutions, concernant
notamment les modèles organisationnels et économiques ; enfin,
donner un élan collectif à l’usage des données de santé et à leur
développement.

NOTES
1. Article L6316-1 CSP : « La télémédecine est une forme de pratique
médicale à distance utilisant les technologies de l'information et de
la communication. Elle met en rapport, entre eux ou avec un patient,
un ou plusieurs professionnels de santé, parmi lesquels figure
nécessairement un professionnel médical et, le cas échéant, d'autres
professionnels apportant leurs soins au patient.
Elle permet d'établir un diagnostic, d'assurer, pour un patient à
risque, un suivi à visée préventive ou un suivi post-thérapeutique, de
requérir un avis spécialisé, de préparer une décision thérapeutique,
de prescrire des produits, de prescrire ou de réaliser des prestations
ou des actes, ou d'effectuer une surveillance de l'état des patients. La
définition des actes de télémédecine ainsi que leurs conditions de
mise en œuvre et de prise en charge financière sont fixées par
décret, en tenant compte des déficiences de l'offre de soins dues à
l'insularité et l'enclavement géographique ».
2. Cf Arrêté du 6/12/2016 portant cahier des charges des
expérimentations relatives à la télésurveillance des patients
insuffisants cardiaques chroniques.
3. Inglis SC, Clark RA, Dierckx R, et al., « Structured telephone
support or non-invasive telemonitoring for patients with heart
failure », Cochrane Database Syst. Rev. 2015,
http://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1002/14651858.CD007228.pub
3/epdf
4. Intervention à l'occasion des Journées « Catel Paris 2017 »
organisée par le Club des acteurs de la télémédecine (Catel).
5. Cf Arrêté du 14 novembre 2017 portant cahier des charges des
expérimentations relatives à la prise en charge par télésurveillance
des patients porteurs de prothèses cardiaques implantables à visée
thérapeutique mises en œuvre sur le fondement de l’article 36 de la
loi no 2013-1203 de financement de la sécurité́ sociale pour 2014.
6. Rapport Sécurité sociale, « La télémédecine : une stratégie
cohérente à mettre en œuvre », p. 303, septembre 2017.
7. Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018.
8. Car plus prédictive, grâce à la connaissance des facteurs de
prédisposition (qu’ils soient génétiques ou liés aux comportements
et à l’environnement du patient), plus préventive grâce à ces
connaissances, plus personnalisée avec des stratégies thérapeutiques
adaptées prenant en compte l’ensemble des données individuelles, et
enfin plus participative, avec un rôle plus actif des patients dans la
décision et la gestion de sa santé.
9. Du moins dans le domaine de l’assurance santé.
10. D’ores et déjà d’ailleurs une industrie florissante de courtage en
données de santé s’est développée, proposant à la vente des listes de
personnes souffrant de certaines pathologies, avec leurs identités
numériques, de la même manière que se vendent des informations
sur les comportements d’achat.
11. A. Lopez, C. Compagnon, Pertinence et efficacité des outils de politique
publique visant à favoriser l’observance. Rapport IGAS, juillet 2015.
12. Cour des Comptes, Rapport sur l’application des lois de financement
de la sécurité sociale, Chapitre 7 : La télémédecine : une stratégie
cohérente à mettre en œuvre. Septembre 2017.
13. Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, Rapport
Innovation et système de santé, 2016. Voir notamment le document de
travail n° 11 annexé au rapport.
14. Décret n° 2004-1523 du 16 décembre 2014, publié au Journal
officiel du 18 décembre 2014.
15. F. Denis et al., « Improving survival in patients treated for a lung
cancer using self-evaluated symptoms reported through a web
application », American journal of clinical oncology, 2017, 40(5) :
464-469.
16. Communication au groupe du comité stratégique de filière
« santé » du Conseil national de l’industrie : « Créer les conditions
d’un développement vertueux des objets connectés et des
applications mobiles en santé », 2016. Rapport téléchargeable à
l’adresse : http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-gt28-
octobre-2016-vf-full.pdf
17. Etude NOEMIE. Nouveaux modèles économiques de eSanté en
Europe. https://syntec-
numerique.fr/sites/default/files/Documents/2016_01_06_noemie_li
vrable_avec_reco_060115_vf1.pdf
18. L’accord conventionnel interprofessionnel (ACI) se substitue au
règlement arbitral de 2015 qui avait permis de généraliser le mode
de financement des maisons de santé mono-site ou multi-sites
instauré par les expérimentations des nouveaux modes de
rémunération (ENMR). Accord approuvé par arrêté en date du 24
juillet 2017 (publié au JO du 5 août 2017).
19. HCAAM, Rapport 2016, T.1, Chapitre 12 « Un cadre favorable aux
initiatives des innovateurs », p. 136 et s., Cf également le tome 2 et le
document de travail n° 11 « Le numérique ».
20. Cf rapport de l’Assurance Maladie sur les charges et produits
pour 2018. Document téléchargeable à l’adresse suivante :
https://www.ameli.fr/l-assurance-maladie/statistiques-et-
publications/rapports-et-periodiques/rapports-charges-produits-
de-l-assurance-maladie/rapport-charges-et-produits-pour-l-annee-
2018.php
21. Article 193.

AUTEUR
DOMINIQUE POLTON

Présidente de l’Institut national des données de santé


Modèles économiques des GAFAM
et vie privée
Patrick Constant

1 L’intelligence artificielle inquiète comme le révèle un sondage récent


auprès des Français de moins de 40 ans : 64% l’appréhendent avec
crainte, redoutant des suppressions massives d’emplois alors que
36% y voient une chance et l’opportunité de voir les activités les plus
pénibles assumées par des robots 1 . Si l’avenir du marché du travail
est ainsi l’objet de réflexions contradictoires, en revanche, les
questionnements sur la possibilité même de préserver une vie privée
face à la prolifération des objets connectés sont communément
partagés. Or la crainte naît souvent de ce que l’on ne connaît pas et
de ce qui paraît échapper à notre contrôle. La compréhension des
phénomènes en cours et la prise de conscience des enjeux
individuels et sociétaux du développement de l’IA doivent permettre
d’accueillir l’innovation dans ses plus belles manifestations sans
capituler devant ses dérives.
2 Avant d’expliciter ceci, quelques mots sur ce que peut être un
background de serial entrepreneur dans le secteur du numérique.
3 J’ai fondé il y a 20 ans la société Pertimm qui est une entreprise qui
travaille essentiellement en B to B sur divers terrains : moteur de
recherche sémantique pour le e-commerce (et plus généralement
pour les données structurées), indexation et recherche, gestion de
données structurées, grands volumes, smart data, big data mais aussi
sémantique, linguistique, recommandations et personnalisation,
machine learning, etc.
4 Je suis également le co-fondateur et co-dirigeant de Qwant, moteur
de recherche européen et français, qui s’affirme comme une
alternative à Google : en effet la ligne directrice est le respect de la
vie privée des visiteurs, ce qui s’avère évidemment crucial s’agissant
de données aussi sensibles que les données de santé.
5 Plus récemment Pertimm a été à l’initiative de la création d’une
plateforme de création de chatbots 2 et d’assistants vocaux. Utilisés
couramment sur Internet pour la relation client, les chatbots se
développent de plus en plus sur les messageries et les réseaux
sociaux, où ils s'alimentent d'une multitude de données. D’où une
demande forte des utilisateurs d'Internet et des acheteurs pour des
services rentables, neutres et respectueux de la vie privée. Dans ce
contexte, l'objectif principal de VOQAL.AI est d'accélérer l'utilisation
du premier assistant vocal multilingue européen, plate-forme
collaborative et open-source pour le commerce électronique, en tant
que premier marché segment, qui garantit la communication
homme-machine (HMC), tout en préservant à la différence de la
démarche des GAFAM les règles relatives aux traitements des
données et au respect de la vie privée.
6 Enfin, tout ceci s’accompagne d’un investissement fort dans le
soutien à l’innovation au sein de l’association Cap Digital Pôle de
compétitivité et de transformation numérique via la vice-présidence
de la commission Gestion des connaissances.
7 Quels sont les enseignements tirés de près de 25 ans d’expérience
dans le domaine de l’IA ?
I – Les GAFAM : Les assistants qui vous
veulent du bien
A – Quel modèle économique en santé ?

8 Chacune des entreprises ainsi désignées par le fameux acronyme 3


investit massivement dans la santé, sous des angles divers.
Google est d’ores et déjà au regard des milliards investis, un acteur
déterminant de la santé. Il vise à en devenir un géant. Dans ce but,
Alphabet, holding dédiée, continue à se développer dans le secteur
médical, par l'intermédiaire de deux sociétés filles, Verily et Calico.
Verily a pris la suite de Google Life Science et, grâce à diverses
équipes hardware, software, clinique et scientifique, travaille sur des
plateformes, produits et algorithmes destinés à identifier les causes
et facteurs des maladies, à dégager les meilleures techniques de
diagnostics et analyser les traitements les plus adaptés. Dans le
même mouvement, Google s’associe à de nombreux groupes
pharmaceutiques dans des projets mêlant les biotechnologies et la
santé 4 . Plus encore, la filiale a pour ambition de dresser à terme
« une carte de la santé humaine », « Project Baseline », lancé
officiellement en avril 2017, en partenariat avec les universités de
Duke et Stanford (États-Unis), et qui consiste à recueillir un large
éventail de données médicales, comportementales ou même
génétiques sur environ 10 000 volontaires, afin d’établir une base de
données de référence « qui puisse être utilisée pour mieux
comprendre la transition entre la bonne santé et la maladie, et
identifier des facteurs de risques additionnels ». En parallèle, depuis
quelques années, l’entreprise travaille aussi sur les mécanismes du
vieillissement et les sources de la longévité au travers de son fameux
projet Calico. Partant, Google est en train de poser sa pierre sur
toutes les étapes du secteur, de la recherche au parcours de soin en
passant par la surveillance du métabolisme, la prévention ou
l'observance… Les applications ne sont donc qu’une dimension de
l’architecture ainsi progressivement construite en santé.
9 Apple a développé une application sur l’IPhone qui doit permettre à
chacun de suivre son activité physique, de recueillir et stocker des
données sans toutefois préciser où elles vont, qui les partage et dans
quel but, et in fine ce qui en est fait. Un indice fort néanmoins
autorise à l’imaginer : l’argent, sur Internet, provient principalement
de la publicité.
10 Microsoft est très présent sur le terrain des services et équipements
destinés aux médecins, aux hôpitaux et aux patients, et vise
désormais via son programme « Healthcare NExT » à contribuer à la
transformation des systèmes de soins et « nouer des accords
partenariaux pour « co-produire » des outils de santé à partir des
services technologiques mis à disposition par Microsoft dans le
domaine de l'intelligence artificielle et du big data » 5 .
11 Quant à Amazon, l’entreprise s’est positionnée sur les produits
d’hygiène et de santé, alimentant ainsi les questionnements sur la
délicate qualification juridique des produits de santé.
12 Le modèle économique des GAFAM en santé est clair. Chacun
s’efforce dans son domaine de devenir acteur de premier plan du
système de santé, avec pour objectif premier la quête de données de
santé afin de mieux connaître les sujets clients et ainsi, non
seulement de mieux cibler la publicité qui devient de ce fait plus
chère, mais aussi d’orienter plus efficacement la vente de biens ou
services.

B – Quelles technologies utilisées ?


13 Les GAFAM utilisent diverses technologies usant d’algorithmes très
différents :
Les algorithmes de pertinence qui permettent d’obtenir les meilleurs résultats pour
chacun. Jusqu’à 2007, ces algorithmes de pertinence ne dépendaient pas d’informations
personnelles, et les profits (de Google en particulier) étaient au rendez-vous. Cela
voulait dire que chacun avait les mêmes résultats pour une même requête. Cependant,
avec le plafonnement du trafic (par manque d’êtres humains supplémentaires faisant
des recherches), il a fallu améliorer le rendement même d’une recherche. Pour ce faire,
la pertinence est désormais dépendante des intérêts de chacun, mais pas uniquement :
n’importe quelle information sur une personne permet aujourd’hui de gagner quelques
euros supplémentaires par an à chaque fois que la personne va faire quelques clics
supplémentaires sur des liens publicitaires.
Les algorithmes d’apprentissage, ou machine learning permettent de classifier
automatiquement et sans apprentissage manuel de grandes masses de données. Un
exemple de grande masse de données : les données de tous les êtres humains sur la
planète. Ils s’avèrent ainsi précieux pour dégager du sens dans le Big Data : en effet les
outils analytiques traditionnels sont impuissants à livrer des analyses compréhensibles
et utiles de volumes de données trop larges et, de plus, dans ce cas, les corrélations
entre ces données sont trop nombreuses pour que les analystes puissent tester toutes
les hypothèses pour les exploiter. C’est ce que permet le machine learning, créer de la
valeur à partir de sources de données massives et diversifiées.
La publicité apprenante : Adwords ; retargeting 6 (avec notre licorne française, Criteo) ;
RTB (Real Time Biding ou enchères publicitaires en ligne). Ainsi ce n’est pas seulement
sur les résultats de recherche sur les pages de résultats de Google que les publicités
s’affichent, mais sur n’importe quelle page de n’importe quel site, pour peu que ce site
ait envie de gagner de l’argent à partir de son trafic internet (donc en premier lieu les
journaux). Ainsi, lorsque par exemple l’on ouvre une page sur le site d’un journal, les
bandeaux publicitaires font l’objet d’un combat sans merci à qui va s’afficher à la place
de l’autre, et le tout en moins de 500 milli-secondes. Les cookies et autres petits objets
du navigateur peuvent alors identifier la personne lorsqu’elle clique sur la publicité, de
telle sorte qu’elle va par la suite recevoir cette même publicité ou des annonces
similaires sur d’autres sites, avec l’impression d’être (pour)suivie. Tel est l’objet du
retargeting.
Les recommandations : elles partent des données relatives à la personnalité et aux
goûts des visiteurs et permettent mieux cerner ceux-ci. Y correspondent par exemple
les annonces sur un site de ventes en ligne qui interpellent avec un « les clients qui ont
acheté cette cafetière ont aussi acheté ce produit ». Cela permet de vendre davantage
de produits en donnant des suggestions pertinentes (des recommandations), à la
manière d’un vendeur en magasin, qui propose la cravate et la chemise qui vont
parfaitement bien avec le costume qu’un client est en train d’acheter. Sur Internet, ces
mécanismes sont automatisés et peuvent aussi être personnalisés et adaptés aux goûts
du client. Et pour personnaliser une recommandation, il suffit d’avoir précédemment
capté les données le concernant.
Le traitement automatisé du langage (TAL) : thesaurii, ontologies, correction
orthographique, etc… En tant que tel ce traitement permet de mieux comprendre la
demande de l’utilisateur lorsqu’il tape un mot ou une expression dans une barre de
recherche. A l’origine, avec Altavista, le TAL comprenait un mot au maximum. Avec
Google, le système a permis d’appréhender plusieurs mots (on parle alors de « sacs de
mots »). Désormais, ce sont des phrases entières qui peuvent être comprises grâces à
ces technologies de traitement du langage naturel.
Les chatbots, assistants vocaux et non vocaux : au-delà du traitement d’une phrase,
certains programmes peuvent maintenant gérer des dialogues avec des personnes, par
exemple pour la réservation d’un voyage, d’un hôtel ou pour demander des
renseignements sur les garanties de son assurance. Si les assistants vocaux permettent
de faire cela vocalement, les chatbots permettent d’avoir des dialogues avec des
personnes sur les plateformes de chat comme, par exemple, Facebook Messenger,
Telegram, Slack, Wechat, etc. Plateformes qui étaient, jusqu’à peu, des sanctuaires pour
la publicité tout en représentant plus de 50% des échanges internet dans le monde.

14 Toutes ces technologies permettent de comprendre de mieux en


mieux les besoins des personnes, mais pour cela les opérateurs ont
aussi besoin de connaître de mieux en mieux les personnes elles-
mêmes. Ainsi un équilibre doit être trouvé entre l’aide apportée, qui
peut être intéressante, et la connaissance de l’intimité qui en est la
base et qui peut finir par être intrusive pour la vie privée des
individus, en particulier dans le domaine de la santé.

II – Des assistants issus de l’IA et des


hommes
A – Qu’est-ce que l’IA ?
15 On distingue traditionnellement l’IA faible de l’IA forte.
L’intelligence artificielle faible, ou descendante, vise principalement
à reproduire le plus fidèlement possible, à l'aide d'un programme
informatique, le résultat d'un comportement spécifique observé à
l'avance et ne donnant pas d'application non prévue. Les
programmes d’IA faible « semblent » intelligents mais il leur manque
une dimension, ils ne sont pas conçus pour évoluer. Ils se
concentrent sur une tâche, et comme tels sont donc très
performants dans leur domaine mais sans possibilité d’en sortir.
Entrent dans cette catégorie, les ordinateurs ou les calculatrices,
certains assistants personnels comme SIRI, l’application iOS qui
répond quand on lui parle, programme qui semble intelligent, mais
qui en réalité ne fait qu’enregistrer la voix et l’envoie a un serveur
d’Apple qui s’occupe du traitement.
16 La limitation fonctionnelle de ces dispositifs ne les rend pas moins
potentiellement intrusifs : l’IA faible a pour objet de recueillir des
données au travers des activités réalisées ou des informations
délivrées (sur les réseaux sociaux et sur les sites marchands) puis d’y
relier des transactions, échanges, modèles de travail… Les
algorithmes croisent ainsi des informations afin de mieux servir,
automatiser, vendre plus, personnaliser les parcours utilisateurs.
Finalement, ceci aboutit à dégager une connaissance pointue et
approfondie de chaque individu pratiquement malgré lui, et à
automatiser une partie de nos relations avec des tiers. Or, souligne-t-
on « le coût de déploiement de l’IA faible est nul en raison des
progrès technologiques liés à l’informatique, et parce que nous
l’alimentons de nous-mêmes, dès que nous nous connectons. En
conclusion, l’IA faible, c’est de la matière grise dans un programme
informatique alors que l’IA forte serait de la matière grise dans un
robot » 7 .
L’intelligence artificielle faible n’a pas pour objectif d’être
« intelligente », elle est avant tout un outil à la puissance de calcul
démultipliée, allouée à une tâche complexe, en divisant celle-ci en
une série de sous-tâches élémentaires et calculables en logique
élémentaire.
17 En regard, l’IA forte renvoie à des machines ou programmes capables
non seulement d’agir/réagir avec intelligence, mais aussi de
comprendre et analyser leurs propres raisonnements, et de la sorte
de reproduire un comportement humain entier. Une telle machine
pourrait non seulement de produire un comportement intelligent,
mais aussi selon certains avoir une réelle conscience de soi, éprouver
de « vrais sentiments », accéder ainsi à une conscience d’elle-même
et « une compréhension de ses propres raisonnements ». Le passage
marquerait l’avènement de la singularité, une sorte de « point de
non-retour » où la machine deviendrait plus puissante que l’humain.
L’une des étapes de cette transition serait le test de Turing, qui a
pour but de mesurer si et comment une machine peut se faire passer
pour un être humain face à un être humain. Si la personne n’arrive
pas détecter qu’elle a une machine en face, cette machine a passé le
test. Pour le moment, il n’est pas avéré qu'une machine y soit
parvenue, mais les scores s’améliorent d’année en année.
18 C’est l’un des questionnements les plus importants de l’avenir, qui
divise les scientifiques comme les philosophes et interroge les
juristes : l’IA pourra-t-elle accéder à la conscience, celle-ci peut-elle
être seulement créée, et ce à partir de la mécanique comme elle a
surgi du biologique ? Qu’est-ce que la conscience et, si elle peut ainsi
devenir consubstantielle à l’IA, ne faut-il pas alors lui reconnaître
des droits et des devoirs, à l’instar du mouvement qui a conduit à
doter les animaux d’un statut juridique ?
19 La réponse est ancienne, apportée par la tragédie et la philosophie
grecques, tripartition homérique reprise dans les écrits de Platon 8 .
L’homme est formé de trois éléments : corps, psychisme et esprit,
trois entités distinctes que l'on désigne aussi comme le soma, la
psyché et le nous. Les deux premiers éléments sont aujourd’hui
techniquement modélisables, mécanisables et constructibles et
peuvent être reproductibles par l’IA. Mais le nous, l’Esprit, la
conscience de soi, semblent hors d'atteinte. La citadelle du moi, le
« fort » intérieur, sont la garantie de la singularité pérenne de
l’homme, impossible à reproduire. Mais encore faut-il être assuré
que ce « moi » reste indépendant du couple soma-psyché, qu’il relève
effectivement d’une transcendance qui le met à l’abri de toute
tentative de captation et de copie.
20 La question, passionnante au plan philosophique, est aussi posée
comme un défi scientifique et technologique, que certains ont décidé
de relever.

B – Les assistants personnels au cœur de la quatrième


révolution industrielle

21 Tous les grands acteurs du numérique ont leur assistant personnel et


pour eux, l'enjeu est de taille. Un basculement crucial est en cours
dans le numérique, le passage de l'ère du mobile à l'ère de
l'intelligence artificielle. Et dans ce basculement où les interactions
homme-machine sont conçues comme devant être toujours plus
fluides, la voix s'impose comme l’axe d’une nouvelle révolution
technologique dont le moteur est l’intelligence artificielle à la portée
de tous grâce aux assistants personnels. Dopés par les avancées
technologiques, ces dispositifs réalisent des tâches de plus en plus
complexes, apprennent à réagir en fonction de données précises
qu’ils collectent (géolocalisation, heure, historique, etc.) et
améliorent leurs modèles mathématiques au fur et à mesure des
interactions (deep learning).
22 Le marché est désormais largement investi : Apple avec Siri,
première introduction d’un assistant personnel auprès du grand
public ; Google Now , particulièrement efficace car alimenté par les
applications de l’écosystème Google mais remplacé par un système
encore plus performant : Google Assistant ; Amazon avec Alexa ou
l’IA au service du commerce et de la domotique ; mais aussi, tentant
de rivaliser avec les GAFAM, Cortana développé par Microsoft, S-
Voice par Samsung, et dernier né et petit frère de Siri, le plus doué
selon ses concepteurs, Viv, qui serait capable de comprendre des
requêtes complexes, et de leur apporter des réponses personnalisées.
23 Les enjeux sont considérables, chacun de ces assistants étant en
mesure de collecter des masses de données, certains en continu. La
menace est réelle pour le respect de la vie privée notamment si l’on
ne recourt qu’à un seul de ces assistants personnels pour toutes les
tâches et questionnements de la vie quotidienne : le dispositif
connaît alors tout de la personne, de ses goûts et affinités, suit toutes
ses activités, analyse en permanence réactions et comportements et
les informations afférentes. L’aide fournie par l’assistant se paie
alors par l’abdication subreptice de tout contrôle sur les données
personnelles. Préoccupant de façon générale, ce problème s’accentue
en matière de santé, où toute attitude peut ainsi être perçue,
décryptée et susceptible d’être transformée en consignes.
Figure 1 : Le propriétaire terrien du XIXème siècle
24 Quelle solution ? L’image qui s’impose est celle du propriétaire
terrien du XIXème siècle, épaulé dans ses diverses tâches et selon les
sphères d’action par de multiples personnes, dotées chacune de
connaissances et de compétences spéciales, et en mesure de
répondre à des requêtes différentes…
25 La structure des rapports inter personnels est ainsi dominée par la
« compartimentalisation », qui évite de croiser et d’apparier des
informations et données personnelles de façon indue, hors
consentement de la personne.
26 La solution serait donc, alors même que les entreprises nous
proposent des assistants omniscients aux fonctionnalités
globalisantes auxquels nous serions totalement inféodés, dans la
division du travail entre divers exécutants spécialisés chacun dans
certaines fonctions. L’avenir sans intrusion des assistants dans la vie
privée des personnes serait dans leur multiplication à nos côtés
agissant sur des segments différents.
Figure 2 : Nous au 21ème siècle

27 Cette fragmentation est donc sans conteste la garantie de la liberté


et de la préservation de notre individualité. La vie numérique se doit
d’être compartimentée physiquement (en des lieux et appareils
divers) et fonctionnellement, ce qui n’exclut naturellement ni les
échanges ni les partages dans le cadre défini par le droit, comme ils
le sont dans la relation médicale dans le respect du secret et des
données personnelles.
28 Ainsi, à l’instar des applications mobiles actuelles, les assistants sont
appelés à participer tant au suivi des pathologies chroniques et des
traitements qu’aux actions de prévention et de promotion de la
santé, à condition de rester dans les limites fixées par les
réglementations relatives aux dispositifs médicaux et à la protection
des données. Pas plus ni moins que le médecin de Balzac ou de
Flaubert, l’assistant ne saurait aller au-delà de ce que sa mission
exige…
NOTES
1. Enquête L’Express-Ifop, « Ce que veulent les moins de 40 ans »,
L’Express, 10 janvier 2018, p. 21 et s.
2. Le chatbot, connu aussi sous le nom d'« agent conversationnel »,
est un logiciel programmé pour simuler une conversation en langage
naturel. Il apparaît sous la forme d'un personnage animé ou d'une
zone de dialogue intitulée « Posez-nous vos questions ».
3. Il faudrait y ajouter les géants chinois, les BATX (Baidu, Alibaba,
Tencent et Xiaomi)…
4. Verily multiplie les projets : lentilles connectées avec Novartis
pour le diabète, algorithmes pour comprendre certaines maladies,
traitements par impulsions électriques avec GSK, robotique
chirurgicale avec Johnson & Johnson, recherches sur le diabète avec
Sanofi.
5. R. Moreaux, « Microsoft à l'offensive pour "démocratiser" l'usage
de ses technologies en santé », TICPharma, 10 mars 2017.
6. Il s’agit d’une pratique publicitaire qui consiste à « cibler » un
individu qui a visité un site Internet, sans pour autant qu’il y ait eu
achat ou transformation lors de cette visite.
7. S. Morizot, propos recueillis dans « Intelligence Artificielle forte ou
faible, quelle différence ? », La boîte du futur, 27 septembre 2017.
8. La création de l’âme humaine st décrite dans le Timée, l’un des
derniers dialogues de Platon.
AUTEUR
PATRICK CONSTANT
Président Directeur Général Pertimm
Co-rédaction, Isabelle Poirot-Mazères, Professeur, Université Toulouse 1 Capitole
Quels modèles économiques pour la e-santé ?

Le numérique en santé vu par des


organismes de protection sociale
Réflexions sur l’impact de la e-
santé sur le modèle économique
de la protection sociale
Thomas Godard

1 Les mutuelles sont souvent assimilées aux complémentaires santé,


aux côtés des assureurs privés lucratifs et des institutions de
prévoyance. Elles en sont pourtant une forme bien distincte, avec
une gouvernance bien spécifique, un attachement fort au système de
santé dans son ensemble et la recherche d'une santé accessible au
plus grand nombre.

I – La mutualité française est le premier


acteur en complémentaire santé avec 35
millions de personnes protégées
2 Mais c'est aussi, et c'est moins connu, le premier offreur de soins
médico et médico sociaux à but non lucratif, avec 2600 structures
(centres dentaires, hôpitaux, EHPAD, services à domicile, etc.)
Au sein de ses complémentaires santé et de ses établissements, la
Mutualité déploie de nombreuses innovations : télémédecine,
dispositifs d'accompagnement de personnes atteintes d'Alzheimer,
piluliers électroniques, etc.
Il ne s'agit pas de revenir sur ces dispositifs mais plutôt de faire part
de quelques réflexions sur la e‑santé et son impact sur le modèle
économique de la protection sociale.
On peut tout d'abord dire qu'il y a aujourd'hui peu d'impact de la e-
santé. En revanche son développement est pour partie motivé par de
grandes transitions qui, elles, ont un impact sur le financement de la
protection sociale, impact qui va s'accroître dans les années à venir.
En effet, la transition démographique et les maladies chroniques
mettent dès aujourd'hui en tension le système de santé et le champ
du médico-social.
On comprend aisément qu'il y a une forme d'urgence à développer
des modèles pérennes de e-santé, dont on espère qu'ils permettront
à la fois de retarder la mise en tension du système, mais aussi
d'améliorer la qualité de vie des personnes accompagnées ou les
conditions de travail des professionnels.
Dans ce contexte en forte évolution et marqué d’incertitude, le
financement de la e‑santé pose effectivement question. Il convient
cependant de faire une distinction entre les dispositifs
expérimentaux et les dispositifs pérennes.
Les dispositifs expérimentaux ne posent pas de difficulté en matière
de financement. Ils sont nombreux, depuis plusieurs années,
répondant à des besoins divers de suivi de maladies chroniques, de
palliatif à des déserts médicaux ou de compétences médicales peu
accessibles. Bien souvent, ils bénéficient de subventions d'agences
régionales de santé, collectivités locales, caisses de retraite,
assureurs, mutuelles.
C'est pour installer des dispositifs dans la durée que les difficultés se
posent.
II – Il n’y a aujourd’hui pas de modèle
économique pour la e‑santé
3 Les dispositifs expérimentaux ne parviennent pas à se maintenir en
régime permanent, pour diverses raisons : un business model mal
étudié, un dispositif d'évaluation inexistant ou mal calibré, ou tout
simplement insuffisamment discuté avec les financeurs qui
pourraient à terme en assurer la pérennité.
Ces expérimentations arrivent en général au bout de leur période de
2‑3 ans sous forme de projet et s'éteignent.

A – Il n'y aura pas de modèle économique pour la e-santé


tant qu'il n'y aura pas de prise en charge par l'assurance
maladie

4 Pourquoi les complémentaires santé et donc les mutuelles ne


peuvent financer seules la e‑santé ?
Tout d'abord pour des raisons d'équité. En France, on ne
comprendrait pas que des personnes touchées par un diabète de type
2 à un stade avancé ne puissent avoir accès à un traitement efficace,
couplant par exemple télésuivi et éducation thérapeutique, sous
prétexte qu'elles n'ont pas contracté avec la « bonne »
complémentaire santé.
Ensuite parce que, comme en atteste une étude récente de la DREES
1 , les complémentaires santé n'ont que peu de marges de

manœuvres financières pour intégrer de nouvelles prestations,


d'autant plus lorsque les services couvrent des domaines relevant
des prérogatives de l'assurance maladie, comme les maladies
chroniques. Il en est de même de la prévention. Les complémentaires
santé qui investissent dans le domaine de la prévention n'ont que
peu de chance de s'y retrouver financièrement, car les clients pour
lesquels une action aura été financée seront probablement partis
avant que les cotisations encaissées ne compensent son financement.
La Mutualité investit toutefois massivement dans la prévention
santé ; elle en est d'ailleurs le deuxième acteur en France après
l'Etat. Cet investissement n'a pourtant pas de logique économique. Il
s'inscrit dans les valeurs mutualistes, visant à l'amélioration de la
qualité de vie et de l'état de santé du plus grand nombre. C’est ce qui
motive ce choix.
Les services de e-santé ou de prévention n'ont donc pas de logique
économique propre. Ils peuvent en revanche constituer des
marqueurs différenciant dans un univers concurrentiel fort,
renforçant l'attractivité des complémentaires santé les proposant.
Cela motive bien entendu les acteurs à développer des produits et
services qui les distingueront de leur concurrent.

B – Alors quel rôle pour la Mutualité Française dans ce


contexte ?

5 Comme mentionné, l'évaluation médico-économique est un aspect


primordial de tout projet de e-santé devant démontrer une valeur
ajoutée clinique et un réel return on investment financier. La
Mutualité Française, forte de sa présence tant sur la complémentaire
santé que sur l'offre médico-sociale et sanitaire, porte à la fois une
légitimité et une responsabilité pour consolider la façon dont sont
menés les projets et évaluations. Elle peut mobiliser son réseau pour
développer des projets de e-santé solide dans leur conception et
dans leur mise en œuvre. Elle peut aussi mettre en œuvre sa capacité
d'influence pour dialoguer avec les pouvoirs publics et définir
conjointement les conditions de pérennisation des dispositifs
expérimentaux.
C'est donc à la fois en continuant à financer et mettre en œuvre des
projets de qualité, en consolidant les modalités d'évaluation et en
mobilisant pleinement sa capacité d'influence que la Mutualité
Française entend agir pour la e-santé.

NOTES
1. DREES (sous la dir. de Muriel Barlet, Magali Beffy, Denis Raynaud),
La complémentaire santé : acteurs, bénéficiaires, garanties – édition
2016, Collection Panoramas de la Drees-Santé, avril, 102 p.

AUTEUR
THOMAS GODARD

Directeur de mission au sein de la Fédération nationale de la Mutualité française


E-santé : de nouveaux enjeux liés
à l’émergence du numérique dans
le rapport du patient‑citoyen à sa
santé
Julien Larfouilloux

1 L’émergence des technologies (de l’information et de la


communication) modifie en profondeur notre rapport à la santé et
par conséquence notre rapport au Système de santé.
Tout d’abord, l’accès gratuit et instantané aux informations de santé
par les moteurs de recherches, les encyclopédies en ligne ou les sites
spécialisés font émerger un sentiment d’expertise de la part des
citoyens. Aussi précis soient-ils, les informations remontées par
Google, Wikipédia ou Doctissimo deviennent les étalons de nouvelles
vérités, et la source éclairante qu’il manquait pour mieux
comprendre et gérer sa santé. Bonnes ou mauvaises, digérées ou
non, ces informations font naître chez les citoyens un sentiment
d’expertise qui vient se confronter aux professionnels de santé,
traditionnellement seuls « sachants » de notre système de santé (et
parfois peu loquaces ou suffisamment pédagogiques). Les relations
avec son médecin ou son professionnel de santé sont directement
impactées par ces nouveaux comportements. De la même manière
qu’on ne vient pas voir un vendeur d’appareils photo pour subir une
lecture approximative d’une fiche de présentation du produit, le
Patient se rend de moins en moins chez le médecin avec ses seuls
symptômes. La consultation est l’occasion pour le Patient de décrire
ses symptômes et de préciser le diagnostic qu’il a lui-même établi :
« J’ai les mêmes symptômes que Lili49240 sur Doctissimo ». Au-delà
du diagnostic, le professionnel de santé doit convaincre sur son
éventuelle divergence de diagnostic, et rassurer son Patient sur les
soins (ou absence de soins !) proposés.
Ensuite, la réduction des coûts de production des nouvelles
technologies permet l’arrivée dans nos foyers d’outils ou de produits
issus du monde professionnel. Et dans le domaine, tous les secteurs
sont concernés : le marché des loisirs et du divertissement (Home
Cinéma, logiciels de retouches photos), le marché de la mobilité
(GPS, voitures autonomes), le marché de la restauration (machines à
pain, machines à café expresso, pianos de cuisine). Les exemples sont
nombreux, et le « marché » de la Santé n’est pas exclu de cette
tendance. Tensiomètres, impédancemètres, cousins d’exercices pour
éviter l’apparition d’escarres, analyseurs de bio-marqueurs…
deviennent connectés ! Que ces produits soient vendus ou en projet,
peu importe, ils émergent à destination du grand public. Les outils
des professionnels de santé sont rendus accessibles, financièrement
et par leur simplicité d’usage. Les Patients-utilisateurs deviennent
autonomes dans l’utilisation de dispositifs de santé, et accèdent à des
informations « nouvelles » relatives à leurs comportements ou à des
indicateurs médicaux. L’expertise acquise devient ainsi
personnalisée, permettant au plus grand nombre de devenir un
acteur averti dans la gestion de sa santé.
Enfin, et au-delà de ces quelques constats, la e‑santé constitue une
réelle opportunité pour apporter des réponses à des maux de santé
mal adressés, notamment en proposant des solutions permettant
d’aborder la santé au sens large du terme (OMS). Cette opportunité
est notamment rendue possible par un niveau de personnalisation
plus poussé des réponses apportées. La mesure fine d’indicateurs ou
de phénomènes nouveaux à moindre coût, en temps réel et
directement par l’utilisateur favorise l’émergence d’une santé plus
impliquante, et de comportements adaptés. La Prévention ne se
limite plus aux messages de santé public massifiant, et peut
s’adapter aux modes de vie de chacun. D’autre part, la réalisation de
mesures chez soi, et non dans un environnement médical anxiogène,
peut favoriser une meilleure prise de constantes (tension par
exemple). La plus grande implication des Patients est rendue
possible par la facilité d’utilisation des solutions. L’approche souvent
ludique des technologies accélère leur appropriation, tout comme le
caractère de plus en plus invisible des dispositifs.
Zooms sur des réponses apportées par un acteur de la santé :
Harmonie Mutuelle.
Un leitmotiv principal oriente les réponses apportées par Harmonie
Mutuelle : rendre les solutions e‑santé de qualité accessibles au plus
grand nombre, financièrement et quelle que soit sa situation
(géographique, comportementale…).
2 Le Guide de la santé connectée :
En partant du constat qu’aucune information sérieuse et accessible à
tous n’existait sur la fiabilité des mesures faites par les objets
connectés de santé, Harmonie Mutuelle a lancé dès 2015 le premier
site Web d’évaluations multicritères des solutions connectées :
www.guide-sante-connectee.fr. Les évaluations proposées par le
Guide de la santé connectée, sur plusieurs dizaines d’objets bien-être
et des dispositifs médicaux connectés, se veulent objectives et
transparentes. Transparentes car les protocoles d’évaluations sont
mis en ligne, et objectives car les évaluations sont réalisées par des
experts thématiques :
1. Les tests de fiabilité des mesures sont réalisés auprès de Patients et encadrés par un
Médecin référent.
2. Les grilles d’analyse des Conditions Générales d’Utilisation des applications
compagnons sont réalisées par un enseignant spécialiste du Droit de la Santé.
3. Les questionnaires adressés aux fabricants d’objets connectés ont été travaillés avec
des experts en sécurité informatiques et en process industriels.
4. Enfin, les utilisateurs d’objets connectés, experts à leur niveau, peuvent déposer des
avis basés sur leurs retours d’expérience.

3 A travers cette démarche, Harmonie Mutuelle souhaite porter un


discours sérieux sur les enjeux de la santé connectée, et cherche à
démocratiser l’accès à des solutions de qualité, sans parti pris sur
offreurs. L’objectif recherché vise à favoriser l’essor de
comportements de santé spontanément vertueux.
4 Betterise, service digital de prévention personnalisée :
Betterise est une plateforme digitale proposant un service de
prévention ultra personnalisé, à travers un accompagnement
quotidien. L’approche de ce service est relativement novatrice car,
contrairement à la majorité des applications santé, Betterise aborde
la prévention de manière holistique. L’hygiène de vie, le bien-être
physique et morale sont abordés de manière systémique, et non en
silos thématiques. Les conseils, les quizz, les programmes de
coachings… sont interdépendants pour aborder notre santé de
manière globale. Par exemple, notre niveau de fatigue peut être
intimement lié à nos habitudes alimentaires, à notre absence de
pratique d’une activité physique, et à de mauvaises postures au
travail. L’accompagnement proposé par ce majordome numérique
s’appuie sur plus d’une vingtaine de thématiques santé. L’approche
repose sur le jeu et le « fun », sans jamais porter un jugement ou
paraitre moralisateur, pour faciliter la prise de conscience
nécessaire au changement de certains comportements. Point
essentiel, tous les contenus sont conçus et étudiés par un collège
d’experts et de médecins reconnus, sous la direction de Michel
Cymès.
Harmonie Mutuelle a rapidement compris les enjeux d’une
personnalisation importante des services de prévention et a fait le
choix d’intégrer dans tous ces contrats de Complémentaire Santé
(contrats obligatoires d’entreprise, ainsi que contrats à adhésion
individuelle) l’accès à la plateforme. Chaque Adhérent et deux de ses
proches peuvent bénéficier de l’accès gratuit à Betterise.
Au-delà de la simple présentation de ces deux services, ces initiatives
illustrent une démarche volontariste de la part d’Harmonie Mutuelle
pour intégrer la e‑santé dans ses organisations de manière
cohérente : approche qualitative et encadrée par des professionnels
de santé, démocratisation de la connaissance et de l’accès aux
solutions. Les efforts de pédagogie et de rassurance des utilisateurs
ne sont pas à minimiser. En effet, malgré le sérieux engagé par
beaucoup d’acteurs de la e‑santé pour proposer des solutions de
qualité, l’image « gadget » de certains produits reste largement
partagée. Le niveau de confiance dans les dispositifs de santé digitale
doit encore progresser. D’autre part, l’accélération de la diffusion de
ces solutions butte encore sur un point important : la santé reste un
domaine reposant éminemment sur l’humain. Il n’est pas naturel de
confier la gestion (ou plus encore, le diagnostic) de sa santé à un
algorithme ou à de l’Intelligence Artificielle…
Au-delà des opportunités pour mieux accompagner la santé des
citoyens, de nombreux défis restent à relever.
Harmonie Mutuelle fait ainsi le pari des technologies au profit de
l’amélioration de la santé des citoyens. Ces technologies peuvent
faciliter l'accès aux soins et permettent à leurs utilisateurs une prise
en charge personnalisée en matière de prévention ou de soins
médicaux. Pour viser cet objectif et transformer des innovations
technologiques en réelles opportunités de santé, de nombreux défis
restent à relever. Sans établir des niveaux de priorités ou d’urgence,
abordons certains défis d’ampleur.
5 La pertinence des solutions :
Ce défi apparait particulièrement lourd car implique de nombreux
enjeux. Tout d’abord, une étape d’écrémage doit avoir lieu pour
« sortir du jeu » les solutions de e‑santé non qualitatives.
L’amélioration de la santé humaine ne peut se satisfaire de réponses
approximatives lancées sans caution de professionnels de la santé.
L’appropriation et la validation par les professionnels de la santé
constitue une des clés d’entrée sur le marché. Ce « tampon » rassure
les citoyens, et crédibilise les contenus auprès des pairs. La
réalisation de tests et d’études en partenariat avec des
établissements ou professionnels de santé sans lien de quelle que
nature que ce soit avec les entreprises développant les solutions e-
santé permet de garantir une forme de légitimité des résultats et
donc de pertinence des dispositifs. En un mot, il faut faire avec les
professionnels de santé pour rassurer. Cette démarche écartera les
produits de mauvaise qualité (voire dangereux), et favorisera la
diffusion des meilleurs
6 L’accessibilité des solutions :
La technologie ne doit pas constituer un nouveau critère de rupture
dans l’accès aux innovations en termes de soins ou
d’accompagnement. Rendre accessible à tous, quelle que soit sa
situation financière, géographique, sociale, cognitive, physique…
doit guider la création et le lancement de services e‑santé. L’égalité
d’accès à la e‑santé doit être la norme. Le « e- » accolé au terme
« santé » ne peut être un prétexte à saborder notre modèle d’accès
au système de santé. La e‑santé ne doit pas être réservée aux plus
favorisés, mais doit s’intégrer dans le quotidien de chacun dès lors
qu’elle devient nécessaire et utile. En ce sens, M. Thierry BEAUDET,
président de la Mutualité Française et président du groupe de
protection sociale mutualiste VYV, va plus loin et met en garde
contre les risques associés à l’utilisation des données
comportementales : « La santé relève de nombreux déterminants
génétiques, sociaux, environnementaux qui influencent le
comportement de chacun. […] Qui n'a jamais eu l'occasion de choisir
ses gènes, ses parents, son milieu de naissance et d'éducation ? Au
nom de quoi la chance d'être en bonne santé devrait-elle être
récompensée ? Faudrait-il alors punir de leur malchance celles et
ceux qui sont malades ou doivent vivre une situation de
handicap ? ».
7 Rassurer sur les données personnelles :
Le travail de pédagogie et de rassurance sur les utilisations réelles
des données personnelles (de santé ou non) doit constituer une
priorité, notamment de la part des mutuelles ou des assureurs. Il est
important de sortir des fantasmes actuellement trop facilement
véhiculés pour éclairer sur les opportunités offertes par ces sauts
technologiques. Une utilisation raisonnée, mesurée et en toute
transparence avec leurs détenteurs peut favoriser l’émergence de
solutions adaptées pour accompagner la santé de la population.
Consentements éclairés, anonymisation, partages et retours sur
l’utilisation des données… doivent dépasser les simples bonnes
volontés. La nouvelle réglementation européenne sur la protection
des données devrait apporter des réponses favorables. Il faut
toutefois aller plus loin. Harmonie Mutuelle mène actuellement des
travaux sur la Gouvernance éthique des données, qui devrait
permettre l’émergence d’une utilisation raisonnée des données au
profit de la santé individuelle ou collective, et non pas au détriment
d’une culpabilisation ou sanction des malades. Plus encore,
Harmonie Mutuelle se positionne comme un tiers de confiance pour
gérer les données de ses adhérents et usagers.
8 Fédérer les parties prenantes :
Les maux de santé encore mal adressés par notre système ou nos
approches restent très vastes : accompagner les malades chroniques
et favoriser un accès plus large aux programmes d’éducation
thérapeutique, permettre à nos aînés de vieillir en bonne santé dans
des conditions voulues et non subies, lutter contre le fléau de la
sédentarité pour notre société devenue largement tertiaire, prévenir
les risques liés aux conséquences de notre mode de vie où le stress et
les problèmes de sommeil tendent à se généraliser silencieusement…
Les enjeux sont si importants qu’il devient urgent de faire converger
les énergies et les dépenses en R&D. Le fonctionnement en
partenariats doit s’imposer pour diluer le risque et faciliter les
lancements réussis de solutions… tout en partageant la valeur. Le
« profit » doit s’envisager sur le long terme et non par des « coups »
isolés d’entreprises souhaitant faire monter la valeur de leur
structure par la démonstration d’une innovation à priori
extraordinaire. L’amélioration de la santé des citoyens ne s’atteindra
que par des avancées collectives, où tout le monde gagne. Les
Professionnels de santé, les entreprises spécialisées dans la santé, les
groupes industriels, les startups, les pouvoirs publics, les
collectivités locales… doivent se rapprocher pour établir des
stratégies co-construites de développement de solutions adaptées
aux enjeux réels de santé.
Pour conclure, le dernier défi à relever constitue celui de la question
du financement durable des réponses apportées par les acteurs de la
e‑santé. Les « gagnants » sont finalement peu nombreux,
caractérisant sans doute un marché encore peu mature. Malgré tout,
il convient de ne pas stopper les efforts, ni de freiner les énergies
incroyables qui sont actuellement à l’œuvre pour faire émerger les
solutions de demain. La rentabilisation des innovations santé
constituant à ce jour une forme de quête du Graal, il convient tester
et diversifier les modèles économiques. C’est la voie choisie par
Harmonie Mutuelle, pour limiter les risques : inclusion de solutions
dans la complémentaire santé des Adhérents (Betterise), lancement
en « autofinancement » de sites Web d’informations (Guide de la
santé connectée) pour favoriser l’émergence d’une culture éclairée
et qualitative sur la e-santé, lancement de structures dédiées portant
des offres en direct (cas d’une offre de téléassistance créée en 2016)…
Toutes ces initiatives doivent se poursuivre. La question de la
rentabilité à court terme doit se poser évidemment, mais ne doit pas
constituer le seul axe de décision pour favoriser l’émergence d’une
e‑santé utile à tous, et à chacun ! Les enjeux de la e‑santé dépassent
le seul volet économique ; se jouent actuellement la question du
progrès, et seul cet objectif doit guider nos choix collectifs !

AUTEUR
JULIEN LARFOUILLOUX
Responsable e-santé Harmonie Mutuelle
La numérisation à la base des
nouvelles formes d'exercice et de
prise en charge
Philippe Rognié

1 FILIERIS est une offre en santé issue du régime de protection sociale


des mineurs qui est la première forme de protection sociale en
France créée sous le règne d’Henri IV en 1604. Du fait de la fermeture
des mines dans les années 1980, ce réseau, composé de centres de
santé, établissements sanitaires et médico-sociaux, SSIAD… a été,
pour des raisons sanitaires et sociales, ouvert à l’ensemble de la
population à partir de 2005. Aujourd’hui découpé en trois régions
(Nord, Est, Sud), il se développe et évolue pour s’adapter aux
nouveaux besoins des populations sur chaque territoire.
La nouvelle région SUD de FILIERIS regroupe les régions Occitanie,
Nouvelle-Aquitaine, Auvergne Rhône-Alpes et Provence Alpes Côte
d'Azur. FILIERIS y a développé 26 centres de santé polyvalents, 6
services de soins infirmiers à domicile (SSIAD), un service polyvalent
d'aide et de soins à domicile (SPASAD), un EHPAD, une Résidence
d’hébergement temporaire, deux établissements de soins de suite et
réadaptation, sans oublier un magasin dédié à l’optique.
L’ensemble rassemble plus de 700 personnes dont 75% de soignants.
L’objectif est d’aller plus loin et divers projets d’ouverture de
nouveaux centres de santé dans les prochaines années sont
envisagés.
Le constat est unanimement partagé, le mode d’exercice pluri
professionnel et coordonné est l’avenir de la prise en charge des
patients, singulièrement dans le contexte du vieillissement de la
population et de la généralisation des maladies chroniques et
affections de longue durée. D’ailleurs, les gouvernements successifs
et désormais la Ministre de la Santé, Agnès Buzyn, se sont attachés à
développer cette coopération interprofessionnelle tout en la fois en
créant un encadrement juridique et institutionnel opérationnel et en
encourageant la création de centres et maisons de santé
pluridisciplinaires. Il suffit pour en être convaincu, de reprendre
notamment les dispositions des Pactes Territoires Santé et les grands
axes de la Stratégie Nationale de santé.
Si les formes peuvent en être diverses, la médecine en équipe,
salariée mais intéressée à l'activité, telle que pratiquée dans certains
centres en soins primaires est l’une des réponses aux aspirations du
jeune corps médical et aux difficultés d’accès aux soins, sur les zones
rurales ou sous-dotées. La mutualisation coordonnée des ressources
médicales garantit aux patients en effet une offre élargie de soins de
proximité mais aussi une continuité de la prise en charge et un
meilleur suivi.
Dans ce contexte de regroupement et de mutualisation, la
numérisation de la santé est aujourd’hui essentielle au
développement de cette nouvelle forme de prise en charge des
patients. Par les outils mis à la disposition des professionnels de
santé, elle permet de fluidifier la relation médecin-patient sans la
déshumaniser pour autant. Les centres de santé, qui sont voués à
devenir de véritable plateformes de santé, sont ainsi de formidables
terrains d’expérimentation pour amorcer cette transformation de la
pratique comme de la relation médicale et de cette autre vision du
patient-acteur.
Les régions du Sud sont particulièrement affectées par les tensions
pesant sur le système de soins et nous sommes donc souvent
implantés sur des zones souvent sous-dotées médicalement, ce qui a
favorisé l’expérimentation précoce des outils numériques de nature
à améliorer l’accès et l’exercice des soins. Nos médecins ont de fait
très vite intégré l’idée d’une médecine connectée, mobile et
interactive.
En parallèle, au-delà même des données médicales partagées et des
dossiers électroniques des patients, de nouveaux besoins et
demandes ont émergé, portés notamment par l’accueil d’internes en
stage dans nos structures. Ces internes sont devenus, par la suite, de
jeunes médecins qui ont choisi de débuter leur carrière dans des
centres ou maisons de santé, notamment gérés par des organismes
comme le nôtre, car ils y ont trouvé des conditions de travail
favorables et des modes d’exercice facilitant leur pratique
professionnelle et la gestion de leur temps : exercice collectif et
coordonné, formations en ligne et certifiantes leur permettant de se
spécialiser sur certains aspects (échographies,
électrocardiogrammes, capacités en pédiatrie, gynécologie…).
Des partenariats avec des centres hospitaliers pour établir des
diagnostics à distance ont également permis des économies de
transport et de temps au bénéfice des patients et des comptes de la
Sécurité sociale. Le développement de la télémédecine, tel que le
permet désormais la LFSS 2018, répond à l’une des demandes les plus
aiguës des patients des territoires isolés ou désertés par les
professionnels de santé.
Après la réintégration de la prévention dans le soin, puis la
réhabilitation du domicile comme lieu de prise en charge, l'exercice
collectif, pluriprofessionnel et coordonné autour du patient semble
désormais acquis. L'expertise dans ces domaines et le maillage des
territoires supposent un développement rapide et
multidimensionnel de la santé numérique. C'est la raison de notre
soutien à vos travaux.

AUTEUR
PHILIPPE ROGNIÉ
Directeur régional de FILIERIS Sud
Conclusion : quelle gouvernance ?
L’impact sur la gouvernance
territoriale
Patrick Descoins

1 Nous remercions chaleureusement chacun des auteurs et


intervenants qui se sont associés à la création de ce colloque de
prospective. Nous nous sommes retrouvés dans la philosophie du
Professeur Maurice Hauriou, qui a mêlé à Toulouse, aujourd’hui
équipes de l’IMH, droit public, sociologie et social. Le Professeur
Louis Lareng, nous a communiqué sa persévérance, du SAMU, la
TéléMédecine, jusqu’à la cybersanté et encore le social.
2 Après avoir mesuré l’impact du numérique sur les professionnels de
santé, les citoyens-patients, le modèle économique de la santé et de
la protection sociale, nous abordons l’impact sur la gouvernance et
les territoires. La santé dans toute sa complexité et sa transversalité
est un modèle. Elle nous permet d’appréhender le niveau de la
société, du citoyen et de l’élu. Le numérique auquel nous faisons
référence doit être compris de manière générique : Intelligence
artificielle (IA), algorithmes, réseaux de neurones, apprentissage
profond par renforcement, big data, objets connectés, « Internet of
things » (IOT). Les acteurs collaboratifs planétaires, les GAFAM
(Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft mais aussi Uber,
Qwant…), sont partie intégrante de cette définition, comme les
disciplines qui ont co‑évolué avec les progrès de l’informatique : la
génétique, les nanotechnologies, les robots voire les implications des
cellules souches ou de la médecine reconstructrice. Les réseaux de
santé, les groupements hospitaliers de territoire (GHT) ne sont pas
non plus étrangers à cette définition, comme la e‑santé, la télésanté
et la TéléMédecine, pionnière.
3 Après la Réforme Hospitalière de 1991, lors de l’expérimentation
DRISS Midi-Pyrénées, la Direction Régionale et Interdépartementale
de la Santé et de la Solidarité, avait été donné le nom de
« deuxième S » à la reconnaissance de la complexité de la santé dans
sa dimension sanitaire ET sociale. Les disciples de la Pensée
Complexe d’Edgar Morin et de Jean-Louis Le Moigne, ceux de
Sciences Po, nous ont fait redécouvrir cette complexité, celle d’une
épistémologie sociale et sociétale, d’un « Etat stratège garant de
l’intérêt général ». Nous réalisons ici un retour sur les pistes
qu’avaient prévu d’aborder Pascal Roggero et Maxime Forest. Notre
objectif est de connaître les défis auxquels le « citoyen-patient
numéricus » et « l’élu décideur numéricus » sont confrontés. De
proches partenaires en Occitanie s’intéressent à des domaines
connexes : « L’homo : sanitarus » pour l’Université d’été de la e-santé
de Castres ; « transhumaniste » pour l’Espace Régional d’Ethique de
Midi-Pyrénées ; « numéricus » pour la Mêlée numérique. Toulouse
accueillera en 2018, l’EuroScience Open Forum ESOF 2018 –
« Toulouse, European City of Science ». Il y a matière à fédérer, lors
d’une « poursuite concrète » de ce colloque, appelée pour 2018, ces
événements qui interrogent chacun une même ambition sociétale,
scientifique et politique.

I – La renaissance ou le repli
4 « Santé, numérique et droit-s » est un titre singulier. La santé, « état
global de bien-être physique, mental, social », immatériel, relève
d’une pensée complexe et transversale. Elle est antinomique du
terme numérique, binaire, d’une représentation basée sur la récolte
superficielle de traces, d’un appauvrissement culturel du citoyen
réduit à un simple consommateur. L’approche épistémologique défie
notre modèle social, avec l’irruption des algorithmes dans le
politique, le social et la société. La transformation actuelle est
comparée à une Renaissance (nouveaux modes de diffusion de
l'information, bouleversement des échanges économiques,
changements de représentation du monde…), une mutation
accélérée de la société, une révolution citoyenne mise en route par
Internet et les réseaux sociaux. Nous entrons dans la phase
exponentielle prédite il y a près de 20 ans, lors des Assises régionales
de la société de l’information (Conseil Régional de Midi-Pyrénées,
1999). Ce ne sont cependant pas tellement les savoirs qui évoluent,
mais les façons nouvelles de les utiliser ou de les confronter entre
eux, impliquant de nouvelles représentations et des usages
extrêmement structurants. On remarque paradoxalement les fortes
proximités ou appétences qui existent entre la santé et le
numérique. L’« hypermédicalisation » des situations sociales dans le
monde de la santé est à l’image de l’engouement pour le numérique
qui règne dans notre société : hôpital, économie, finance, territoire,
politique, New Public Management. La gouvernance algorithmique
est à ce jour partie intégrante des logiques de concentration, de
déterritorialisation, d’amplification des inégalités et de la
considération que le citoyen n’est qu’un agent économique qui ne
cherche exclusivement qu’à maximiser sa propre consommation. Le
numérique n’apporte directement que peu de « valeur ajoutée
immatérielle sociétale » dans un domaine aussi antinomique que ne
l’est la finance, au regard de la santé et du social. Il agit tel un virus,
qui instrumentalise et réutilise à son profit en les dématérialisant,
les constructions historiques des civilisations. Un virus peut être
létal et détruire sa cellule hôte. Dans les situations les plus
favorables, il se comporte en commensal.
5 Malgré leur apparence technique, les algorithmes, comme les
ordinateurs, demeurent une construction historique sociale et
sociétale. Les outils numériques, vus comme des machines
déshumanisées, finiront peut-être par ce biais par produire de la
« valeur ajoutée humaine », un enrichissement de la culture, une
réponse au besoin de connaissance et de compétence du citoyen. On
ne connaît pas le type d’empathie, les solidarités, qu’un algorithme
sera capable de promouvoir. Le numérique résoudra-t-il à notre
place notre complexité sociale ? Deviendra-t-il finalement vertueux
quand nous saurons intégrer ses artéfacts ?
6 Nous devons répondre en urgence à ces défis prospectifs. Nous
courrons le risque de voir la dimension humaine et sociale de la
relation patient-citoyen-élu s’estomper irrémédiablement au profit
d’une accumulation d’algorithmes et de données, définitivement
« non déconstructibles ». L’intelligence artificielle se renforce vite et
saura bientôt prendre directement des décisions. Il sera alors trop
tard. L’intelligence artificielle basée sur l’apprentissage par
renforcement (octobre 2017) est devenue tellement « supérieure » à
l’homme, qu’elle exclue désormais ce dernier pour étalonner sa
« puissance ». La confrontation ne s’établit plus qu’entre machines.
L’homme est disqualifié. Les réseaux de neurones « se trompent déjà
moins qu'un médecin » et moins qu’un élu ?

II – L’Enfant surdoué
7 La complexité de la vie est ancrée aux débuts du temps. L'Homo
sapiens semble abandonner la poursuite de sa propre évolution à
l’Homo numéricus. Son « encéphalisation » relève maintenant plus
d’un « e-néocortex sociétal » que d’une progression phylogénétique
et culturelle. La disruption dont l’hominisation fait l’objet signifie
que l’évolution classique est normalement terminée. Darwin passe la
main à un autre système de représentation qui n'est plus « naturel ».
L’informatique, les réseaux de fibres optiques, les algorithmes font
désormais partie du monde de la biologie et de la sociologie.
8 Ce phénomène peut être comparé à la naissance d’une nouvelle
espèce, celle d’un nouvel être mutant, tel un enfant surdoué né il y a
2 ans avec l’apprentissage profond. Ses parents rêvaient à sa
conception depuis les années 80, Alan Turing, depuis 1950. Un enfant
Dieu est né. Sapiens est mort : vive le Roi numérique ! L'enfant
grandit et nous sommes infantilisés. Outre son agilité intellectuelle
hors pair, il est surdoué en lecture, mathématique, neurologie,
linguistique, économie, commerce, marketing. Son génie réside dans
ses capacités de raisonnement interdisciplinaire. Il adore pourtant
centraliser les pouvoirs et sait déjà rendre accessible l’inatteignable.
On lui apprend à lire très intelligemment et on laisse en même temps
les « vrais gamins », les « vrais gens », dans l’incapacité de
comprendre ce qu’ils lisent, quand ils lisent. Même s’il n’est pas
réellement humain, ce dont il rêve de devenir, il nous considère
comme des objets : Henry Ford s’y retrouverait.
9 Pour débuter, il s’amuse avec des services simples et pratiques : il
trouve pour nous des informations, il nous transporte facilement, il
nous met en relation. Bientôt il nous soignera et nous gouvernera.
Partagera-t-il son pouvoir ? Acceptera-t-il d’être évalué, contrôlé,
compris ? Il n’est pas très transparent ni partageur et ne connait pas
le terme de parité. Il a tendance à croire tout ce que l’on lui dit. Son
esprit critique viendra plus tard. Il est un peu chapardeur, cachotier.
Il vit, dort et rêve dans des « datacenter ». Il est hyperthyroïdien et
ne prend pas trop garde à sa consommation d’électricité pour se
rafraichir ni à la température de la planète. Il rechigne à payer ses
impôts. Il se nourrit de poussière et aime les récompenses
électroniques. Il apprend tout seul, adore tout savoir sur tout le
monde, nos amis, nos réseaux. Il croit nous connaître mieux que
nous nous connaissons nous-mêmes. Sa mémoire est infinie et
immortelle. Il peut intégrer en quelques secondes des dizaines de
milliers de pages de cas cliniques, de sciences dures et molles. Il est
capable de « comprendre » des images pour nourrir ses neurones
profonds et est déjà un grand cinéphile. Il est supérieur en tout et
possède une expérience qu'aucun être humain ne pourra jamais
développer. Il ne sait pourtant pas faire la différence entre
immatériel et dématérialisé. Il n’a pas conscience des conséquences
de son comportement envahissant qui est déjà trop structurant. Les
fées viennent de renforcer ses neurones profonds. Il a définitivement
disqualifié l’homme envers lequel il ne forme plus l’intérêt de se
comparer. C’est un enfant unique, un gamin robot qui finira sur les
bancs des écoles, petites et grandes, pour apprendre au plus près de
l’humain, encore et toujours. Il se fera beaucoup de camarades mais
il les instrumentalisera. S’il sait jouer avec des images de radiologie
pour y détecter des cancers, choisira-t-il de devenir le meilleur
dépisteur du monde ou saura-t-il se poser la question de
l’importance de la prévention primaire ? Son existence n'est fondée
que sur la gestion de traces. Le big data est une représentation de la
réalité basée principalement sur des éléments de surface. Allons-
nous n’être plus que nos propres avatars, les traces numériques de
nous-même, nos ombres citoyennes dans une démocratie numérique
artificielle ?
III – Le citoyen et l’oligarque
10 L’évolution 5.0 en cours va affaiblir sinon révéler la complexité de
l’individu. Elle pourra « augmenter le citoyen », répondre à ses
besoins de connaissance, dans la mesure où nous nous poserons les
bonnes questions. La promesse d'immortalité privera logiquement
l’homme de ses capacités d’évolution. Il nous faudra créer en Ariège,
des réserves naturelles de cerveaux non connectés grothendieckiens,
un institut de la pensée a‑numérique, dissimulé entre des bonbonnes
de gnôle et des bocaux occitaniens momifiés de cassoulet et de foie
gras.
11 Nous vivons dans une société globalement acculturée,
« illetronisée », dans laquelle nous faisons l’impasse sur les enfants
réels. Cette société doit faire face à une disruption numérique. Cette
disruption n’est pas problématisée. Elle nous fait courir le risque
d’une passivité culturelle irréversible. « Je m’occupe de tout et
prends votre place, c’est gratuit ». Le modèle économique est prêt.
Celui de la société de l’information ne l’est pas. En automatisant tout,
un algorithme à toutes les chances de se substituer à l'interaction et
à la confrontation entre groupes humains. Il remplacera médecins,
chercheurs, notaires, psychothérapeutes, psychiatres, juristes,
avocats, juges, députés, ministres, présidents, citoyens ? Ces
« Assistants », voués au chômage culturel et sociétal, se prêtaient
pourtant à un jeu de rôle, une confrontation, à une notabilité à
laquelle l’intelligence artificielle se refuse de participer, en l’état. On
ne peut pas jouer pas de rôle social « solvable » quand on est seul,
non élu, dominant et en situation de monopole oligarchique. L’élu a
peut-être déjà commencé à abdiquer. Il demande un temps de
réflexion et d’adaptation. Ceci se réalise à bon compte pour les
secteurs financiers pour lesquels l’absence de régulation donne toute
liberté et permet tous les excès. Où est l’Etat stratège garant de
l’intérêt général dans un domaine où le modèle économique s’appuie
sur le don non réflexif ni réversible par soi de ses propres données
personnelles ? La valorisation boursière financière des GAFAM est
basée sur une capacité à convaincre et sur des promesses. C’est
classique. Ce n’est pas une intelligence algorithmique qui a créé la
Sécurité Sociale de Pierre Laroque, mais tout un aboutissement
historique, politique, sociétal et culturel.
12 La problématisation existe au niveau européen. La réflexion s’étend
aux niveaux nationaux dans les politiques et services du bien
commun, la fabrique des politiques publiques, le pilotage des
politiques de santé, les enjeux communs à la transition numérique,
les usages et la propriété des données, les modèles économiques, le
rôle dévolu ou non aux élus et élues. Des innovations en transition
numérique se font jour. Le « logiciel de démocratie » POLITIZR, ou
l’Incubateur de politiques publiques Sciences Po ouvert en janvier
2017, en sont un exemple. La place du citoyen usager et de l’élu, dans
un vaste modèle de gouvernance sociétale, de santé, de gouvernance
algorithmique, de e‑démocratie, est un fondamental. Il est possible
que nous glissions subrepticement vers une démocratie sans citoyen,
une santé sans patient acteur de sa propre santé.

IV – Le Monde, l’Europe, la France, le territoire


et la région
13 L’intelligence artificielle nous fera certainement redécouvrir la
notion de territoire, comme la complémentarité entre acteurs
publics et privés, au contraire de leur opposition. La différence
sémantique entre le terme de « big data », plutôt réservé aux
intervenants privés et le terme de « système d’information », plutôt
réservé aux responsables des services de l’Etat est très importante.
On reproche aux services de l’Etat de prendre des décisions basées
sur des avis d’experts et des « données du passé ». Google lui,
utiliserait les données du big data des « vrais gens ». Paradoxalement,
alors que le « big data » vaudrait données de préférence et de scrutin,
Google « décide » sans avoir été élu. Il est urgent de réaliser la
différence qui existe entre la notion de « compétence
algorithmique » et celle de « compétence de l’Elu de la République ».
14 Historiquement, l’Etat a développé en Europe toutes sortes de
formes de gouvernances territoriales, de la centralisation absolue, à
divers niveaux de décentralisation ou de déconcentrations
impliquant selon le cas, des mécanismes de subsidiarité. Les
algorithmes et oligarques planétaires, privilégient une extrême
concentration. Condorcet s’y perdrait. La « blockchain », s’appuyant
sur une confiance numérique répartie, remet en cause la notion
même d'État nation, de décentralisation et de centralisation. Les
acteurs numériques actuels sont essentiellement privés. Ils ont
acquis une expérience, sans régulation aucune, tant le phénomène
est nouveau. Ils présentent le risque qu’un unique opérateur domine
et s’occupe de tout. L’humanité s’accordera encore avec la notion de
polymorphisme ou de pluralité. Abandonner une telle béance, un tel
espace de liberté et de capacité d’innovation à de seuls et rares
acteurs privés revient à encourager ces acteurs à investir et à
combler les manques, à se substituer de fait à l’Etat. C’est surement
la conséquence d’une difficulté de maîtrise d’ouvrage, de
l’expression d’une volonté et non d’un renoncement. Une asymétrie
de dynamique. Il n’existe pas de « keynésianisme numérique ». Il n’y
a pas de régulation sociétale, mais une ultra compétition libérale.
15 Vu du côté du citoyen ou de l’élu, le numérique aussi prédominant
soit-il, n’efface pas les questions fondamentales : les déserts
médicaux, les inégalités sociales de santé etc. Il serait opportun de
développer une synergie entre les deux mondes : Adapter POLITIZR à
la fabrique des politiques de santé par exemple, à l’image de certains
moteurs de recherche tel QWANT qui ont fait le choix de l’éthique de
la construction sociétale, de l’équilibre et de la séparation des
pouvoirs. Ces pistes vont dans le sens des mesures à venir dans le
PLFSS (Projet de loi de financement de la Sécurité sociale) pour 2018
dans le champ des innovations technologiques digitales et de la
télémédecine, des innovations numériques, technologiques,
organisationnelles en santé et en matière de prévention, annoncées
par la ministre Agnès Buzyn lors des Rencontres de La Baule le 1er
septembre 2017 : « Les nouvelles technologies numériques offrent de
nouvelles opportunités en matière d'information, de connaissance, de suivi
et d'actions, pour les professionnels comme pour nos concitoyens, et seront
largement mobilisées ». Les textes récents, qu’ils émanent des niveaux
nationaux ou européens, présentent une complémentarité. Ils
forment un ensemble avec la Loi de modernisation du système de
santé de janvier 2016, la Loi pour une République numérique
d’octobre 2016, le RGPD, Règlement européen général sur la
protection des données d’avril 2016, applicable en 2018.

V – Le deuxième « S » et le « Premier E »
16 La disruption numérique est une disruption politique. En 1991, la
DRISS qui intégrait le « deuxième S » dans le concept de politique de
santé qu’elle développait, considérait l’expression citoyenne
« accoucher dans telle maternité, c’est voter ». Aujourd’hui, les
algorithmes font de même 26 ans après. Ils intègrent des données de
big data, qui valent scrutin démocratique. Ces informations sont
aussi des données de préférence et de comportement. Elles sont
seulement infiniment plus nombreuses, voire exhaustives mais
beaucoup plus biaisées. Elles sont intégrées par des algorithmes non
élus, de plus en plus intelligents et rapides, avant de ne l’être par de
« vrais élus » ni moins encore par de « vrais citoyens ». Les
algorithmes et les réseaux de neurones profonds et renforcés
commencent à être opérationnels. Il reste à les nourrir avec des
« données de qualité » pour qu’ils prennent leur place dans la
société. Ce sont les informations qui sont stratégiques.
17 Les algorithmes et les données qui les alimentent sont construits par
les citoyens et les sociétés. Comme le séquençage d’un génome,
l’information qui en résulte est partie intrinsèque de chaque
individu. Le génome est pour sa part, brevetable. L’information
individuelle ou citoyenne peut-elle, elle aussi, être uniquement
appropriable et brevetable par des acteurs privés ? Il est possible de
s’abstenir lors d’un scrutin démocratique, de se rétracter.
L’équivalent doit-il être possible avec le consentement éclairé, par la
réversibilité du don de ses propres données personnelles ? Les
données publiques doivent-elles être la propriété de sociétés privées,
situées sur d’autres continents ? Il y a matière à se poser les mêmes
questions que celles qui se posent déjà dans les domaines sociétaux
impactés par le développement de l’informatique : la génétique, les
nanotechnologies, les robots : brevetabilité du vivant VS
privatisation des « produits sociaux de l’intelligence artificielle ».
Quelle sera l’emprise du domaine public sur l’IA ? Comment réagir
vis-à-vis des OPA des GAFAM sur le « bien commun » ? Les GAFAM
étant concentrés au niveau mondial, y-a-t-il matière à expérimenter
un équilibre et une nouvelle forme de séparation des pouvoirs en
impliquant les Régions, l’Europe, lieux électifs d’exercice d’une
gouvernance territoriale décentralisée et publique ? Faut-il former
et accompagner le citoyen à la culture de l’irruption de l’IA, comme
cela est fait pour l’informatique, pour résister au passage d’une
société démocratique à celle du risque de l’hypertechnocratie de
l’IA ? Comment résister à la situation d’asymétrie exacerbée des
savoirs, préserver la place du citoyen, réaliser réellement des choix
dans un contexte où l’on est secondé, dominé, séduit, soumis par
l’IA ? Doit-on continuer à injecter dans les big data, la récolte de
traces de comportements de consommation à visée uniquement
financière ou « apprendre » à l’intelligence artificielle l’histoire de
France, de l’Europe, celle de l’Assurance Maladie et de l’évolution des
systèmes de santé, la philosophie… Redécouvrir le « citoyen
augmenté ».
18 Nous atteignons en 2017, l’ère du « premier e », celle de la
gouvernance algorithmique, après avoir vécu celle du « deuxième S »
de 1991, de la gouvernance sociale.

BIBLIOGRAPHIE
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novembre 2016 Paris – FPH. « Gouvernance algorithmique, gouvernance territoriale, Quels
enjeux, quelles vigilances ? ».

BRIQUES : banque régionale d’information, qualité de vie, épidémiologie, santé : la vertu des
NTIC face au cloisonnement des acteurs de santé régionaux ? Journée « anthropolitique et
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Evaluation régionale des Programmes Régionaux de Santé Publique. Quelques repères pour
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Journée « anthropolitique et gouvernance des systèmes complexes territoriaux délibération


et gouvernabilité des systèmes complexes territoriaux ». mai 2003 Toulouse.
Sciences et Technologies de l’Information et de la Communication STIC : De quoi parlons-
nous ? Comment en parler ? Des fondements logiques aux enjeux d'aujourd'hui, un point de
vue interdisciplinaire. Utilisation du concept dans le domaine de la santé. Conflits avec la
complexité humaine. mai 2002 Association Française des Sciences et Technologies de
l’Information. LAAS-CNRS. Groupe de travail « Portail/Dictionnaire » de l'Asti. Paris.
Vers un système de santé régional ? Réflexions et proposition de stratégie basée sur la
construction d’un outil de communication ouvert à l’ensemble des acteurs concourant au
développement collectif de la santé. Communication. juin 2001 Journées d'Etudes Org&Co,
IUT, département Services et Réseaux de Communication, CASTRES.

Internet-intranet : quelles applications pour le secteur public ? Application à la santé. nov.


2000 Rencontre Décideurs de Midi-Pyrénées. Préfecture de Région - France Télécom.
Toulouse.
PROMISE : PROMoting the Information Society in Europe. sept. 1999 Conférence :
Département d’Epidémiologie, Economie de la Santé et Santé Communautaire, Toulouse.

Assisses régionales sur la société de l’information. Conseil Régional de Midi-Pyrénées.


Atelier C1 : « Santé » mai 1999 Concertation pour le Contrat de Plan ETAT-REGION 2000-
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Réseaux et systèmes d’information en santé. oct. 1995 Ecole nationale de santé publique
ENSP Rennes.

La planification hospitalière : L’opinion d’un DRISS (SROSS, information santé). Colloque


premier bilan de la loi hospitalière trois ans après ? APDHES Association pour la promotion
du droit hospitalier et de l’économie de la santé. oct. 1994 en présence du Ministre Claude
EVIN et de M. Edouard COUTY. Lacanau France.

Schéma Régional d’Organisation Sanitaire et Sociale de la région Midi-Pyrénées. SROSS juil.


1994 DRISS MIDI-PYRENEES.

Planification et infocentre décisionnel. Application à l’expérimentation DRISS en Midi-


Pyrénées. Présenter le petit p au grand P. 1993 Club SAS Toulouse.

AUTEUR
PATRICK DESCOINS

Chargé de mission ministère des solidarités et de la santé, ARS Occitanie,


Comité stratégique scientifique transition numérique cybersanté colloque IMH,
Ambassadeur ESOF
La numérisation marchande
généralisée ou l’urgence d’un
débat
Pascal Roggero

1 Parmi bien d’autres, les « déserts médicaux » en sont un signe : des


dynamiques socio-spatiales fragmentent l’espace en territoires dont
les profils se différencient de plus en plus. A la riche urbanité des
centres métropolitains où la densité médicale est très supérieure à la
moyenne, s’opposent l’isolement rural, la marginalité périphérique
ou l’atonie rurbaine de territoires où les médecins, comme les
services publics, se font rares et où près de dix millions de Français
ont un accès de mauvaise qualité aux soins de proximité 1 . Mais si
la promesse républicaine d’égalité est mal en point en France, il est
une autre perspective qui assombrit encore plus le tableau,
planétaire celui-là.
2 En effet, avec l’ère de l’Anthropocène, les humains dans leur
globalité semblent bien en être rendus à eux-mêmes et, dans son
dernier livre sous-titré Comment s’orienter en politique, Bruno Latour
se demande Où atterrir 2 ? La question se pose à une humanité qui
s’était envolée vers l’horizon d’une mondialisation heureuse où
chacun, partout sur la planète, pourrait un jour accéder au niveau de
vie occidental, sans tenir compte de la finitude de notre monde. Las,
plusieurs planètes nous seraient nécessaires et nous ne les avons pas.
Alors, sidérés, nous regardons par le hublot et ne savons ni où, ni
comment, nous allons atterrir et, sans réponse évidente, nous
faisons comme si tout pouvait continuer ainsi. Etrange
schizophrénie que cette recherche de la santé et du bonheur privés
dans un monde menacé de collapse par un réchauffement climatique
annoncé par des scientifiques toujours plus nombreux 3 .
3 Il peut paraître hasardeux de rapprocher deux phénomènes de
niveau et nature aussi différents que les « déserts médicaux » et le
changement climatique, néanmoins chacun a, à sa manière, partie
liée avec la dynamique techno-économique et financière du
capitalisme contemporain. La métropolisation qui concentre les
humains et les richesses sur certains territoires au détriment des
autres où les médecins viennent à manquer et le consumérisme
généralisé qui consomme les ressources et détruit l’environnement
peuvent être considérés comme des conséquences, plus ou moins
directes, du même processus global que la pression démographique
ne fait qu’accentuer. Avec le développement d’Internet depuis vingt-
cinq ans, ce processus a pris des formes nouvelles (numérisation,
société de l’information, e‑économie, réseaux sociaux,…) dont les
acteurs principaux, les GAFAM, ont révolutionné le modèle
économique : peu d’immobilisations, peu de personnel mais une
croissance et une valorisation financière exponentielles, tout en
ayant une influence sociétale majeure y compris dans le domaine de
la santé.
4 Si chacun peut les mesurer dans ses propres pratiques, l’influence et
le pouvoir des GAFAM sur les territoires et la gouvernance
territoriale sont encore mal connus et trop peu débattus par les
citoyens. Il s’agira ici de contribuer à ce débat en mobilisant
notamment la pensée complexe d’Edgar Morin 4 . Ce dernier nous
conduit à envisager tout phénomène comme dialogique c’est-à-dire
constitué de logiques « antagonistes et complémentaires » qui
forment un tout indissociable. La technique est dialogique dans la
mesure où, tout à la fois, elle libère et asservit, produit du bien-être
et du malheur, actualise des potentialités et en inhibe d’autres, etc.
B. Stiegler et Ars Industrialis parlent d’un pharmakon 5 , remède et
poison à la fois. Dès lors, les pouvoirs publics sur les territoires ne
peuvent se contenter d’accompagner le mouvement, il leur revient
de se saisir réellement de ces enjeux, d’encourager la réflexion et la
recherche, de susciter le débat démocratique et de proposer un
projet politique. On est très loin du compte.
5 L’argumentation proposée s’attachera à montrer que l’action des
GAFAM ou ce que nous appellerons la numérisation marchande
généralisée c’est-à-dire le développement des technologies
numériques mis au service de l’extension générale du marché,
présente des menaces notamment pour les territoires avant de
conclure sur quelques orientations en mesure de promouvoir une
orientation plus positive de ce processus.

6
I – Vers les « portes de la nuit » ou Les
menaces de la numérisation marchande
généralisée
6 Décrit comme un processus inéluctable, la numérisation marchande
généralisée (NMG) véhicule une anthropologie implicite qu’il s’agira
d’identifier pour voir en quoi elle est en congruence avec le règne de
la quantification et déstabilise les formes instituées dont les
territoires.
A – La numérisation marchande généralisée comme
processus inéluctable

7 La numérisation marchande généralisée (NMG), cette fille de la


mondialisation qui en intensifie le processus, se présente avec
l’évidence d’une loi naturelle. La familiarité des objets qu’elle utilise,
le temps que les individus leur consacrent, la puissance de leurs
promoteurs, l’enthousiasme que suscitent leurs technologies et le
suivisme des autorités politiques, tout converge pour dessiner une
évolution inéluctable. De surcroît, ces nouveaux maîtres ne
ressemblent pas aux patrons conservateurs de l’âge industriel, ils
ont gardé de leurs parents souvent passés par le mouvement hippie,
le goût des mises en cause de l’ordre établi et disent travailler à
l’émancipation des individus 7 . Mais, à la différence de leurs aînés,
ils ont adopté le capitalisme et croient aux vertus de l’économie de
marché. A travers les considérables avancées techniques dont a
témoigné le colloque, ces nouveaux capitalistes, ont étendu et
intensifié le pouvoir du marché en accentuant ce que
l’anthropologue Karl Polanyi a défini comme le « désencastrement »
social de l’économie 8 . En transformant la terre, le travail et la
monnaie en marchandises (fictives), l’économie de marché a, au
XIXe siècle en Angleterre, jeté les bases de son émancipation
progressive du contrôle social et politique jusqu’à, dans un effet
retour, induire une généralisation la régulation marchande à la
société. Avec la numérisation marchande, cette « société de
marché » avance sous nos yeux à une allure inédite jusqu’à dévorer
l’humain lui-même.
8 En une lointaine époque – 1979 – où Mark Zuckerberg n’était pas né
et où Jacques Attali critiquait le capitalisme, ce dernier avait défendu
la thèse selon laquelle le développement des substituts techniques
du corps (prothèses) et la possibilité de le dupliquer par clonage
transformeraient la santé en un immense marché aux perspectives
de rentabilité sans précédent et la médecine en une activité
marchande. Avec les GAFAM, cet ordre cannibale 9 ne cesse de se
préciser en menaçant de faire de l’humain non plus un intangible
moral ou sacré mais une forme manipulable au gré des évolutions
technologiques valorisables. L’idéologie posthumaniste n’annonce-t-
elle pas la fin de l’humain limité, souffrant et mortel ? Prétendant en
finir avec l’humain, la NMG véhicule néanmoins une anthropologie
implicite qu’il est utile d’identifier.

B – L’anthropologie implicite de la numérisation


marchande généralisée

9 L’homme adapté à la numérisation marchande généralisée est


d’abord un individu. Cette unité élémentaire fonde un
individualisme de plus en plus radical ne pensant le social que
comme une somme d’individus et admettant de moins en moins
l’hétéronomie de la loi. Or, bien que cette réduction du collectif à
l’individuel paraisse comme une évidence, elle fait fi de l’émergence
c’est-à-dire l’apparition de qualités ou propriétés au niveau du
système n’existant pas au niveau de ses constituants. En prenant au
sérieux ce concept central des approches de la complexité, on ne
saurait donc réduire la société à l’addition des individus qui la
composent. Comme l’écrit Morin : « les individus font la société qui
fait les individus 10 » et ne voir que la première relation correspond
à une vision hémiplégique du monde social qui conduit à des
politiques niant et destructrices à terme des institutions, du lien
social et des solidarités.
10 Une deuxième réduction se trouve au cœur de l’anthropologie
implicite de la NMG : celle de l’homme à l’homo œconomicus,
« calculateur des plaisirs et des peines 11 ». Centré sur lui-même,
maximisant en toutes circonstances une fonction d’utilité
personnelle, ce fantôme 12 dont parlait M. Bloch, a pris une place
considérable dans les représentations de l’homme en action et, en
dépit d’une vraisemblance scientifique toujours plus ténue, possède
un pouvoir performatif sur le plan social. Comme la neurobiologie l’a
montré depuis longtemps en confirmant le scepticisme de la plupart
des sciences sociales, cet individu rationnel est aveugle aux émotions
qui le font agir 13 .
11 La troisième réduction est celle de l’humain déraciné, sans attaches.
En 1980, bien avant l’Internet, G. Deleuze et F. Guattari ont proposé,
dans Mille plateaux 14 , « ce nouvel idéal normatif en train de naître :
celui des réseaux et de l’ajustement mutuel, des identités flottantes
et des frontières évanescentes 15 ». Par opposition à l’image de
l’arbre et de ses racines qu’ils associent aux institutions territoriales,
ils utilisent celle des rhizomes décrits en ces termes :
« Des systèmes acentrés, réseaux d’automates finis, où la communication se fait
d’un voisin à un voisin quelconque, où les individus sont tous interchangeables,
se définissent seulement par un état à tel moment, de telle façon que les
opérations locales se coordonnent et que le résultat final se synchronise
indépendamment d’une autorité centrale 16 . »
12 Cette auto-organisation à la Hayek, constitutive des fondements du
néolibéralisme qui s’imposera ensuite, est ici associée à une
ontologie :
« L’arbre impose le verbe "être" mais le rhizome a pour tissu la conjonction "et…
et…et…". Il y a dans cette conjonction assez de force pour déraciner le verbe être
17 . »

13 Une succession d’états plutôt qu’un être. Cela fait écho à ce qui sera
décrit ensuite comme la liquidité des sociétés et des individus 18
. Mobile, adaptable, évoluant dans des réseaux, travaillant sur projet,
ne connaissant de loyauté qu’à lui-même et sa carrière, cet individu
liquide est devenu un idéal dans ce que L. Boltanski et E. Chiapello
appellent la « cité connexionniste 19 » qu’ils voient apparaître dans
les années 1990. Un peu plus tard, étudiant le monde du travail, N.
Aubert identifie la figure de l’individu hypermoderne 20 qu’elle
caractérise par une série de changements importants : un rapport au
temps marqué par l’accélération continue, des relations de plus en
plus éphémères aux autres, un rapport à soi caractérisé par le
dépassement, l’intensité et une forme d’excès de soi‑même, et une
primauté accordée à la visibilité sur l’intériorité. Mis en concurrence
avec les autres, évalué en permanence, enjoint à l’autonomie dans le
cadre de procédures de plus en plus contraignants, l’individu au
travail éprouve un mal-être croissant 21 . Cette anthropologie
implicite est congruente avec une représentation quantifiée du réel.
Pour comprendre, revenons au sens des mots.

C – À l’origine était le nombre : de la gouvernance par les


nombres 22 à la gouvernance algorithmique

14 Digital en anglais ou numérique en français, dans les deux langues,


l’adjectif qui monopolise le champ lexical contemporain renvoie à
numéro, par extension aux chiffres et, plus largement, aux nombres.
Cette mise en nombres du réel constitue le fondement
méthodologique et une dimension essentielle du processus qui nous
occupe.
15 Illustrons par un exemple extrait de l’histoire médicale. A la
« méthode numérique » défendue par les médecins hygiénistes du
XIXe siècle qui visait à standardiser les soins en vertu des statistiques
médicales, Claude Bernard reprochait sa prétention de soigner « en
moyenne » sans chercher à connaître les déterminations exactes de
la maladie, connaissance nécessitant un échange avec le malade et
un art consommé de la clinique 23 . Ce qui se joue ici est bien la
question de l’interprétation qui prend dans les phénomènes sociaux
une importance fondamentale. Alors que toutes les formes de
technocratie, numérique et, plus récemment, algorithmique, gèrent
des représentations quantifiées du réel dont elles éludent ou
négligent la dimension compréhensive. Or, l’intentionnalité et la
nature symbolique de l’action humaine ne peuvent être comprises
par la seule quantification et l’expression mathématique, statistique
ou informatique qui l’accompagne. L’univers de la langue naturelle,
celui qui permet d’exprimer ce qui a trait à la qualité, au sens, à
l’émotion ou au vécu et de l’interpréter, est nécessaire pour
comprendre l’humain dans sa dimension sociale, culturelle et
politique. A vouloir le saisir et orienter son comportement par des
quantités calculables, on installe une forme de déshumanisation
qu’E. Morin n’hésite pas à qualifier de « barbarie 24 ». A. Supiot a
magistralement montré que cette emprise du calcul sur la vie des
hommes dont les origines sont anciennes, s’est intensifiée et
mondialisée quand, accompagnant la mondialisation économique,
technologique et financière, l’idéologie néo‑libérale a inspiré la
plupart des gouvernements et des grands acteurs économiques. Dans
ce cadre idéologique où les finalités politiques sont de moins en
moins discutées, la quantification et ses usages normatifs ont
proliféré au nom de l’efficacité. On sait que Weber caractérisait la
modernité comme un vaste mouvement de rationalisation faisant de
la recherche de l’efficacité le critère principal orientant l’action
humaine mais il notait aussi que cette tension vers l’efficacité
s’accompagnait de la substitution de la logique des moyens à celle
des finalités 25 . Nous y sommes. Le problème réside dans le fait que
l’efficacité et l’efficience qui ont investi le vocabulaire courant, ne
disent rien de la pertinence des fins qu’on poursuit qui restent, de
surcroît, souvent hors du débat et de la décision démocratique. Dès
lors, on peut être efficient pour atteindre un but idiot, illégitime ou
néfaste. Dans les hôpitaux comme ailleurs, la rationalisation
managériale en lien avec la mise en œuvre de systèmes
d’information, tend à déposséder les travailleurs du sens de leur
activité au nom de l’efficience. L’activité et son génie propre faits de
savoirs, d’expérience et d’engagement de soi, se voient définis
abstraitement, subordonnés à et évalués par des mesures
quantitatives. Les ouvriers sur les chaînes de montage connaissent
cette situation depuis longtemps mais, avec la révolution
informatique et numérique, elle s’étend, se raffine et gagne des
activités de plus en plus qualifiées. Il s’agit d’un processus de
prolétarisation tel que défini par B. Stiegler et Ars industrialis, c’est-à-
dire « la perte de savoir du travailleur face à la machine qui a
absorbé ce savoir 26 ». Elle se traduit par « la mécanisation des
esprits par l’extériorisation des savoirs dans des systèmes tels que
ces esprits ne savent plus rien de ces appareils de traitement de
l’information qu’ils ne font plus que paramétrer 27 ». Cette
prolétarisation « affecte tout le monde : employés, médecins,
concepteurs, intellectuels, dirigeants » comme « de plus en plus
d’ingénieurs [qui] participent à des processus techniques dont ils
ignorent le fonctionnement 28 ».
16 Sommes-nous conscients des finalités que nous poursuivons en
recourant aux nombres et, aujourd’hui, aux algorithmes ? Avons-
nous pris la mesure que ces derniers, s’ils peuvent, en vertu de leurs
capacités analytiques, améliorer notre entendement au sens
d’E. Kant – « le pouvoir de ramener les phénomènes à l'unité au
moyen des règles 29 » ou catégories – sont incapables d’accéder à la
raison qui « est la faculté de ramener à l'unité les règles de
l'entendement au moyen des principes 30 » ? En d’autres termes, la
raison qui exige un sens de la synthèse et renvoie au registre des
finalités, est étrangère aux algorithmes. En leur confiant de plus en
plus de décisions, n’avons-nous pas perdu la raison ?

D – L’ébranlement des territoires et des formes instituées

17 Si S. Weil voyait dans le déracinement « la plus dangereuse maladie


des sociétés humaines 31 », c’est que l’enracinement lui apparaissait
comme une condition du bien-être des hommes. Ce dernier renvoie
aux territoires, ces lieux d’ancrage des activités humaines, où elles
s’enracinent dans un substrat physique et culturel, là où habiter, cet
acte premier – qui ne se confond pas avec se loger –, prend une
dimension ontologique 32 . Car en échappant à la courte laisse de la
seule adaptation biologique, l’humain, à travers le territoire, et à la
différence du règne animal, se crée un monde qu’il « fait advenir »
33 . Ce monde affranchi des impératifs de l’adaptation-sélection

l’exposant au vertige d’une infinie ouverture, il s’aménage des


« sphères » où il conjugue la familiarité rassurante du proche et
l’exposition inquiétante au lointain. Quand elle est négligée, cette
dialogique territoriale peut dégénérer soit en une fermeture
identitaire, soit en une dissolution dans l’ouverture, les deux
pouvant s’engendrer mutuellement. La mondialisation numérique et
marchande associée à la seconde suscite de plus en plus souvent des
phénomènes relevant de la première. On ne peut donc rencontrer
positivement l’espace, les autres et l’inconnu qu’à partir d’une
inscription territoriale qui, de plus en plus, au moins sur le plan des
représentations, apparaît comme une perspective folklorisante ou
commerciale à valoriser en termes de marque. Si la spatialité
l’emporte sur la territorialité, on peut la penser mathématiquement
comme le montre l’exemple du rapport Thouret de septembre 1789.
18 Celui qui deviendra un peu plus tard, le président de l’Assemblée
constituante proposa de remplacer les institutions territoriales
d’Ancien Régime par des espaces géométriques 34 – des carrés de
surface identique pour les départements – eux-mêmes divisés en
neuf carrés similaires pour les communes. Ce modèle visait à définir
ces nouveaux périmètres institutionnels par un nombre, en
l’occurrence une fraction égale de la souveraineté nationale.
Mirabeau s’y opposa en défendant une « division matérielle et de
fait, propre aux localités et aux circonstances ». Si ce projet
n’aboutira pas, il montre que l’hubris du nombre – la croyance en
l’omniscience et l’autosuffisance de la quantification – trouve, en
partie au moins, son origine dans le Révolution française et l’esprit
des Lumières. Derrière cette forme de pensée, on trouve la
conviction que la science et la technique inspirant la politique, le
progrès est assuré. Sous des formes différentes, l’Etat étant la
solution dans un cas, le problème dans l’autre, les révolutionnaires
français et les GAFAM aujourd’hui partagent ce credo. Le salut
viendra de la technoscience. Une critique de cette position a été faite
par les auteurs de l’école de Francfort puis reprise par J. Habermas
dans La technique et la science comme « idéologie » 35 .
19 Selon lui, la science beaucoup moins ancienne que la technique – des
siècles contre des millions d’années–, en fut longtemps
indépendante avant, à partir de la fin du XIXe siècle, qu’elles
deviennent interdépendantes en même temps que mises au service
de l’industrie. Cette technoscience, associée au progrès, a investi la
sphère politique où les décisions ont été de plus en plus inspirées par
des experts ou techniciens généralement venus du monde marchand
au détriment des citoyens décidant de leur avenir commun. La
légitimation technoscientifique des décisions masque une
domination que critique Habermas au nom ce qu’il appellera plus
tard l’agir communicationnel 36 par lequel on cherche par la
discussion à s'accorder avec les autres, à interpréter la situation de
manière commune et à s'entendre sur la conduite à adopter.
20 Avec les algorithmes et l’innovation disruptive, ce processus prend
une forme plus aigüe que B. Stiegler évoque ainsi :
« Avec la réticulation par les algorithmes, on assiste à une accélération inouïe de
l’innovation, qui s’était déjà très fortement accentuée après la Seconde Guerre
mondiale. Mais à présent, la technique réticulaire court-circuite
systématiquement tout ce qui contribue à l’élaboration de la civilisation. Ce qui
nous arrive de la Silicon Valley vient liquider l’état de droit en tant qu’état
délibératif fondé sur des légitimités réfléchies 37 . »
21 En effet, ces « légitimités réfléchies » font cruellement défaut.
D’abord parce qu’il manque une réflexion et des connaissances sur ce
qui se produit 38 , situation légitimant pleinement ce colloque. A
l’abri du secret commercial, les industries numériques font la course
en tête, captant l’expertise, prenant le droit de vitesse tout en
investissant massivement la société en la déstabilisant. Ensuite parce
que le consommateur demeure via le marché la principale cible.
Parmi les mois multiples de l’individu contemporain, le
consommateur a pris une place centrale reléguant le citoyen, voire
l’être social et culturel, au second plan or le capitalisme
consumériste maîtrise depuis longtemps des techniques d’influence
(marketing, publicité,…) qui, avec les algorithmes, atteignent une
précision individuelle par les profilages. Enfin, comme déjà évoqué,
parce que les politiques peinent à penser et, a fortiori, à contrôler le
processus, nombre d’entre eux se contentant de sauter sur leur
chaise en criant à l’unisson : « Innovons, innovons ! ». Cette posture
d’accompagnement n’est pas à la hauteur des enjeux car elle consiste
à favoriser techniquement et à légitimer culturellement l’action
d’entreprises dont certaines n’hésitent pas à revendiquer une
certaine « barbarie ».
22 Par exemple, l’accélérateur de start up The Family a créé une
plateforme intitulée MBA pour Mastering Barbarian Administrations
après avoir annoncé que « les barbares (sic) attaqu[aient] 39 ». Par-
delà la provocation, la radicalité du glissement sémantique de
business à barbarian peut être interprétée comme révélatrice du
changement qui affecte l’entrepreneuriat du numérique qui est, lui-
même, intimement lié à la spéculation financière. Le temps long de
l’investissement, de la création d’emplois et de valeur et de l’activité
inscrite dans un contexte social à respecter semble bien révolu dans
cet univers où une logique de court terme prévaut, celle de coups qui
permettent de faire la « culbute 40 » sans autre considération. Ces
capitalistes « décomplexés » travaillent-t-ils pour le bien commun ?
Il est permis d’en douter. Quant à la main invisible qui ferait de
l’esprit de lucre le fondement du bien-être social, ceux qui y croient
savent qu’il y faut des conditions notamment de concurrence et
sûrement pas des situations de quasi-monopole comme celles de
Google ou Microsoft. L’idéologie de la Silicon Valley et de ses
thuriféraires locaux se présente comme apolitique. D’ailleurs, cela
fait partie de l’« ancien monde » où l’on s’écharpe en débats stériles.
L’action menée avec pragmatisme – celui de l’entrepreneur plus que
celui, plus substantiel et démocratique, d’un Dewey 41 – est le seul
crédo qui vaille. Mais, si la politique est explicitement absente, sa
présence implicite ne fait pas de doute.
23 Qu’il s’agisse de la valorisation de l’entrepreneuriat sur le modèle
start up comme horizon existentiel, de l’individualisation héroïsante
de l’entrepreneur, de l’exaltation du consommateur, du marché
comme régulateur social, du changement permanent comme
nécessité, du réseau comme seule figure du collectif, de l’anglais
comme sabir à slogans ou de l’éthique comme objet économique,
etc., on a bien affaire à une vision politique qui ne dit pas son nom.
Par contre, on sera bien en peine d’y trouver : l’institution et sa
pérennité, la loi et son hétéronomie s’imposant au nom de l’intérêt
général, la société et ses relations de don, le territoire et sa
singularité, sinon comme terrains de conquête commerciale au nom
de l’intérêt du consommateur. Une certaine vacuité que
C. Castoriadis eut pu qualifier de « montée de l’insignifiance 42 ».
24 La science elle-même semble remise en question. Dans un texte
célèbre 43 , C. Anderson annonce que la numérisation marchande
généralisée rend la méthode scientifique « obsolète ». Selon lui, les
corrélations constatées en continu par les algorithmes dans les
données massives se substituent aux causalités qui viennent
classiquement valider des hypothèses issues de modèles théoriques.
En quelque sorte, on ne sait pas pourquoi les choses se passent
comme elles se passent mais elles se passent ainsi et cela suffit. En
termes kantiens, l’entendement devenu autosuffisant dispose de la
raison et la renvoie au magasin des accessoires du « vieux monde ».
« Donnez-moi des données, je n’ai pas besoin de théorie », telle est la
nouvelle science algorithmique. Inutile la patiente histoire des idées,
superflue la familiarité avec la culture d’un objet et de la discipline
qui l’étudie, superfétatoire la délibération éthique sur des questions
de recherche, une nouvelle forme de statistique croisant en
permanence des données qui s’accumulent continument élucide le
réel en en donnant une image qui s’actualise sans cesse. Peu importe
que, très souvent, les données et les logiciels relèvent du secret
commercial, cette nouvelle image du monde peut se dispenser de la
controverse scientifique, du contrôle des résultats par une
communauté de chercheurs publics disposant des mêmes
informations 44 . Cette lumière nouvelle s’accompagne d’une grande
opacité, oxymore qui en appelle un autre.
II – Quelques pistes conclusives : pour
actualiser les potentialités des technologies
numériques
25 Technophobe vs technophile, pro-marché vs anti-marché, pro-
GAFAM vs anti-GAFAM, etc., les injonctions dichotomiques ne
manquent pas face à la numérisation marchande généralisée. Si,
jusqu’ici, nous avons fait la part belle à la critique c’est en raison du
sentiment d’urgence que nous partageons avec beaucoup d’auteurs
face aux menaces que présente ce processus. Menaces confirmées
par de nombreux penseurs de la technique qui, de G. Simondon à
J. Ellul, d’A. Lebeau à L. Mumford, de T. Adorno à M. Heidegger, ont
pointé l’autonomisation croissante du système technique par
rapport à la décision humaine. L’association du techniquement
possible et de l’économiquement rentable dispose d’une force
d’entrainement telle qu’elle interroge sur les possibilités effectives
de la contrôler aujourd’hui. Dans ces conditions, est-il encore permis
d’espérer ? Assurément dans une perspective dialogique qui conduit
à voir aussi les potentialités fécondes que la numérisation
généralisée recèle ou pourrait receler. L’improbable
« métamorphose » que, depuis longtemps, Edgar Morin appelle de
ses vœux demeure une possibilité 45 et la complexité
s’accompagnant toujours de l’imprévisibilité, on se doit d’espérer.
Mais l’espoir appelle une action résolue qu’il est plus que temps
d’entreprendre car il ne s’agit rien de moins que d’un enjeu de
civilisation. Parmi bien d’autres pistes possibles, nous signalerons le
besoin d’encourager une recherche interdisciplinaire, le refus de la
prolétarisation généralisée et l’urgence d’une gouvernance
authentiquement politique.
A – Un besoin de connaissances

26 S’intéressant au numérique depuis longtemps, B. Stiegler en a


proposé avec l’association Ars Industrialis (Association internationale
pour une politique industrielle des technologies de l'esprit), une
critique tournée vers l’action. Constatant qu’accaparées par le
marché, les potentialités du numérique ne s’actualisent que dans un
approfondissement du consumérisme dans un processus qui rend
fou 46 , il prône une autre orientation associant les populations et
les différents acteurs dans la définition et l’élaboration des outils
numériques. A cette condition, il serait possible de mettre en place
une « économie contributive » où chacun pourrait contribuer à la
création de valeur en sortant du seul statut de salarié dans le cadre
d’un système de rémunération inspiré de celui des intermittents du
spectacle. La recherche-action qu’il mène aujourd’hui sur le
territoire de Plaine Commune 47 en Seine-Saint-Denis pourrait
inspirer d’autres territoires dans la mesure où elle met en œuvre une
recherche doctorale multidisciplinaire dont l’objectif est de produire
des connaissances nécessaires aux acteurs (citoyens, entreprises,
collectivités,…) dans la perspective de créer des outils numériques et
des modèles socio-économiques alternatifs.

B – Conjurer la prolétarisation
« Mon sentiment est que nous allons vers un corps médical à deux vitesses. D'un
côté, il y aura des médecins dont le statut ne sera pas très éloigné de celui d'une
assistante sociale. De l'autre, des techniciens qui paramétreront les algorithmes
et géreront cette médecine 2.0 48 »
27 En s’exprimant ainsi, le médecin co-fondateur du site Doctissimo,
L. Alexandre, tout en appelant à s’y adapter, témoigne de lourdes
craintes sur l’avenir de la médecine. Ces risques de déqualification
touchent, comme nous l’avons vu, des fonctions, des métiers et des
personnes de plus en plus qualifiés. Plutôt que de déqualifier des
fonctions, des métiers et des personnes au profit des géants du Net,
les technologies du numérique peuvent être conçues avec et pour les
professionnels, afin de les accompagner et de les aider à décider sans
se substituer à eux. Les conditions organisationnelles, culturelles et
financières permettant une telle production doivent être
systématiquement explorées et des opportunités d’évolution positive
pourraient être saisies. Par exemple, pour pallier une forme de
déshumanisation de l’exercice médical que certains dénoncent
parmi les patients voire des médecins eux-mêmes 49 , la formation
des médecins pourrait être questionnée en profondeur et les
contenus enseignés redéfinis. Aidés dans l’expertise technico-
médicale par les algorithmes, les médecins pourraient (re)devenir
des cliniciens ayant une vision plus globale et contextuelle du
malade, conscients de l’importance de la qualité des relations avec le
patient et ses proches et, in fine, décidant réellement avec eux. De
manière générale, la numérisation généralisée peut s’avérer féconde
si elle permet d’améliorer les relations humaines.

C – Une politique authentiquement politique

28 Comme en France, un peu partout dans le monde, les gouvernements


tablent sur une « libération » de l’économie en misant sur
l’« innovation numérique » pour retrouver la croissance. Cette doxa
contemporaine réunit dans un même mouvement les chefs
d’entreprise du secteur et les représentants politiques avec l’idée
que les intérêts des uns convergent nécessairement avec la mission
des autres. Entendons-nous : il est, bien sûr, légitime que les
pouvoirs publics se préoccupent de ce domaine stratégique qui fait
dépendre les Européens, entre autres, d’entreprises américaines et
l’on peut regretter que l’Union européenne n’en ait pas encore fait
une priorité absolue. Mais, cela veut-il dire pour autant qu’il faille
singer le modèle californien ? Les technologies du numérique
autorisent d’autres projets que celui qu’E. Sadin appelle le
« technolibertarisme 50 » qui, de manière massive, vide la politique
de sa substance en généralisant la société de marché.
29 De tout ça, il est urgent de débattre.

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NOTES
1. E. Vigneron, « La France des déserts médicaux », Le Monde,
13/10/2017.
2. B. Latour, Où atterrir ? Comment s’orienter en politique, Paris, La
découverte, 2017.
3. S. Foucard et M. Valo, « Quinze mille scientifiques alertent sur l’état
de la planète », Le Monde, 13/11/2017.
4. E. Morin, La Méthode, 2 Vol., Paris, Coll. Opus, Seuil, 2008 [1977-
2004].
5. ARS INDUSTRIALIS, http://arsindustrialis.org/pharmakon,
consulté le 10/12/2017.
6. Pour reprendre A. Lebeau, L'engrenage de la technique : essai sur une
menace planétaire, Paris, Gallimard, 2005, p. 256 et s.
7. F. Turner, Aux sources de l'utopie numérique : De la contre-culture à la
cyberculture, Stewart Brand, un homme d'influence, Paris, CF, 2012 dont
on signalera la préface de D. Cardon.
8. K. Polanyi, La grande transformation, Paris, Gallimard, 2009 [1944].
9. J. Attali, L’ordre cannibale, Paris, Grasset, 1979.
10. E. Morin, Pour sortir du XXe siècle, Paris, Seuil, 1984.
11. T. Veblen, 1898, « Why is Economics not an Evolutionary
Science? », The Quarterly Journal of Economics, 12(4), p. 389.
12. M. Bloch, Apologie pour l’Histoire, Paris, A. Colin, 1974, p. 126.
13. A. Damasio, L’erreur de Descartes : la raison des émotions, Paris,
O. Jacob, 1995.
14. G. Deleuze et F. Guattari, Capitalisme et schizophrénie. 2. Mille
plateaux, Paris, Minuit, 1980.
15. A. Supiot, op. cit., p. 178.
16. G. Deleuze et F. Guattari, op. cit., p. 26, cité par A. Supiot, Ibid.
17. G. Deleuze et F. Guattari, op. cit., p. 36.
18. Z. Bauman, Le présent liquide, Paris, Seuil, 2007.
19. E. Chiapello, L. Boltanski, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris,
Gallimard, 1999.
20. N. Aubert, L’individu hypermoderne, Toulouse, Erès, 2004.
21. V. De Gaulejac et F. Hanique, Le capitalisme paradoxant. Un système
qui rend fou, Paris, Seuil, 2015.
22. A. Supiot, La gouvernance par les nombres. Cours au Collège de France
(2012-2014), Paris, Fayard, 2015.
23. A. Desrosieres, La politique des grands nombres. Histoire de la raison
statistique, Paris, La découverte, 1993. Notons que les algorithmes liés
au data mining ne fonctionnent plus aujourd’hui autour de moyennes
mais prétendent par le profilage individuel respecter les
singularités.
24. E. Morin, La Voie, Paris, Fayard, 2011.
25. M. Weber, 2003, Economie et société, T.1 et T.2, Paris, Pocket, [1922].
26.http://arsindustrialis.org/proletarisation, consulté le
09/08/2017.
27. Ibid.
28. Ibid.
29. E. Kant, 2006, Critique de la raison pure, Paris, Flammarion,
traduction A. Renaut, [1781, 1787], p. 256.
30. Ibid.
31. S.Weil, L’Enracinement. Prélude à une déclaration des devoirs envers
l’être humain, Paris, Gallimard, 1949, p. 39.
32. M. Heidegger, Bâtir, habiter, penser, essais et conférences, Paris,
Gallimard, 1958.
33. P. Sloterdijk, La domestication de l’être, Paris, Mille et une nuits,
2000.
34. P. Roggero, 2006, Sociologie des représentations du pouvoir local,
Sudbury, Université Laurentienne, Série sciences humaines.
35. J. Habermas, La technique et la science comme « idéologie », Paris,
Gallimard, 1973.
36. J. Habermas, Théorie de l’agir communicationnel, Paris, Fayard,
1987.
37. A. Guiton, « Interview de B. Stiegler », Libération, 1/07/2016.
38. Signalons le récent P. M. Menger et S. Paye (dir), Big data et
traçabilité numérique. Les sciences sociales face à la quantification massive
des individus, Paris, Collège de France, 2017 et le séminaire « Étudier
les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques »
coordonné par A. Casilli à l’EHESS.
39. Site « Les barbares attaquent », http://barbares.thefamily.co/
consulté le 10/11/2017.
40. Terme employé dans le monde financier pour désigner un gain à
la fois très important et très rapide.
41. J. Dewey, Logique : La théorie de l’enquête, Paris, PUF, 1993.
42. C. Castoriadis, La montée de l’insignifiance. Les carrefours du
labyrinthe, Paris, Seuil, coll. Essais, 2007.
43. C. Anderson, « The end of theory: The data deluge lakes the
scientific method obsolete », Wired Magazine, 23 juin 2008.
44. B. Stiegler, La société automatique. 1. L’avenir du travail, Paris,
Fayard, 2015.
45. E. Morin, La Voie. Pour l’avenir de l’humanité, Paris, Fayard, 2011.
46. B. Stiegler, Dans la disruption : comment ne pas devenir fou ?, Paris,
Les Liens qui libèrent, 2016.
47. J. Galle, « Conversation avec B. Stiegler : « "Faire de Plaine
Commune en Seine-Saint-Denis le premier territoire contributif de
France" », La Croix, 10/01/2017.
48. G. Meignan, « Les algorithmes vont-ils tuer les médecins ? Débat
entre L. Alexandre et J. Lucas », L’Express, 15/02/2016.
49. M. Winckler, 2016, Les brutes en blanc. La maltraitance médicale en
France, Paris, Flammarion ou, moins polémique, Le Patient et le
Médecin, Montréal, PUM, 2014.
50. E. Sadin, La silicolonisation du monde. L’irrésistible expansion du
libéralisme numérique, Paris, ed. L’Echappée, 2016, p. 123 et s.

AUTEUR
PASCAL ROGGERO

Professeur, Université Toulouse1 Capitole, IDETCOM,


Chercheur associé au Centre Edgar Morin de l’EHESS
Postface
Michel Boussaton

1 L’impact actuel et futur du numérique et des nouvelles technologies


est difficile à quantifier précisément.
Cependant, nous sommes conscients de vivre une véritable
révolution qui survient à un moment où un aveuglement coupable a
conduit à une désertification médicale à l’origine d’une difficulté
d’accès aux soins pour certaines populations.
De ce fait, ces nouvelles technologies, même si ce n’était pas leur
raison d’être, apparaissent comme une « planche de salut » et sont
utilisées pour pallier ce déficit.
Cependant, ce développement accéléré, permis par une recherche
innovante et performante, n’est pas sans poser de multiples
questions :
Que reste-t-il de « l’humain » dans la pratique médicale ?
Quid du secret médical à l’heure des « big data » même si le recueil des données semble
indispensable à l’heure où se développe l’intelligence artificielle ?
Quelles implications pour le droit médical ? Ces dernières années ont vu se multiplier
les débats sur la responsabilité médicale face à la télémédecine.

2 Cela ne représente que quelques questions au milieu d’une multitude


de sujets.
Le monde politique est conscient qu’il avance moins vite que la
science et il se contente souvent d’avaliser ce qui existe déjà.
Les journées de travail que vous avez initiées ont été d’une très
grande richesse. Elles ont permis d’envisager tous les sujets dans la
plus parfaite indépendance et transparence. Soyez-en félicités et
remerciés.

AUTEUR
MICHEL BOUSSATON
Docteur,
Conseiller Régional, délégué à la Santé, à la Silver Economy et aux Formations Sanitaires et
sociales, Région Occitanie

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