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La laïcité DES REPÈRES POUR EN PARLER ET L’ENSEIGNER JULES FERRY ÉCOLE RELIGION RÉPUBLIQUE AGIR APPRÉHENDER COMPRENDRE FÊTE ÉDUCATION CROYANCE ENSEIGNEMENT CULTE www.univ-nantes.fr/espe/laicite u’est-ce que la laïcité ? Comment, dans un contexte scolaire, faire observer la laïcité, comme cadre neutre respectueux de tous ? Comment, dans le cadre de cours, aborder la laïcité comme principe structurant de notre société, mais aussi comme sujet qui provoque débats, parce qu’il est le résultat d’évolutions historiques ? Ce volume, fruit d’un travail collectif de personnes engagées sur différents terrains du champ éducatif, cherche à présenter des pistes de réflexion sous une forme dynamique, autour d’une architecture synthétique. Q • Une dynamique structurée selon trois types de repères pour penser et agir avec des élèves. • Une dynamique liant des textes courts, des développements plus conséquents à lire en ligne, des compléments en vidéo, des adresses utiles vers les textes institutionnels. Des pictogrammes signalent ces ressources et ces liens. • Une dynamique à créer en proposant aux étudiants, aux stagiaires et aux formateurs de se saisir de ces textes. • Une dynamique à amplifier en alimentant la page Laïcité (www.univnantes/espe/laicite) avec de nouvelles ressources. Ce numéro de la collection « Repères » pour la laïcité est le produit du partenariat entre l’ESPE de l’académie de Nantes (Université de Nantes) et l’Institut du Pluralisme religieux et de l’Athéisme, réseau pluridisciplinaire (créé par la région Pays de la Loire). Anne Vézier, Maître de conférences en histoire et didactique de l’histoire, Référente Laïcité ESPE Académie de Nantes, Université de Nantes John Tolan, Professeur d’histoire médiévale, Université de Nantes Dominique Avon, Professeur d’histoire contemporaine, Université du Maine Sommaire Pagination Éditorial R E P È R E 1 : APPRÉHENDER LA LAÏCITÉ 1. La laïcité, une interrogation contemporaine dans des sociétés différentes 6 2. Une inscription de la laïcité dans le temps : du régime de catholicité au régime de laïcité 12 R E P È R E 2 : DES TENSIONS CONSTITUTIVES DE LA LAÏCITÉ EN MILIEU SCOLAIRE 1. Blasphème et Laïcité 22 2. L’éducation ne peut être laïque sans être sociale 25 3. Laïcité - neutralité : le cas des signes et des tenues à l’École 28 R E P È R E 3 : METTRE LA LAÏCITÉ AU TRAVAIL ET AGIR 1. Apprendre à distinguer savoirs et croyances, une condition pour faire des sciences 34 2. Les lois de 1882 et de 1905 : textes de loi pour l’EMC ou objets d’étude en classe d’histoire ? 37 3. Apprendre à lire de façon laïque des textes porteurs de faits religieux : le cas de la Bible et du Coran à l’école de la République 39 4. L’enseignement d’un temps laïque, enseignement laïque du temps ? Le problème du calendrier 41 5. Faire vivre la laïcité au lycée : travailler, réfléchir et vivre ensemble 44 Repère n° 1 : APPRÉHENDER LA LAÏCITÉ La laïcité, une interrogation contemporaine dans des sociétés différentes..............................................................................p. 06 La laïcité, c’est quoi ?.....................................................p. 06 La laïcité, une particularité française ?.........................p. 09 Une inscription de la laïcité dans le temps : du régime de catholicité au régime de laïcité ..............................................p.12 Un pluralisme religieux inégalitaire en France jusqu’aux années 1880.....................................................p.12 La laïcité, une construction conflictuelle.........................p.15 Assumer que la laïcité est loin d’être une évidence et que des conceptions différentes existent dans des sociétés différentes nous amène à interroger dans une première partie un juriste, des politologues et des historiens. Des approches philosophiques seront abordées dans le Repère 2. Avec des regards différents, les uns et les autres aideront les lecteurs et lectrices à cerner des enjeux incontournables. La laïcité s’inscrit aussi dans un temps long : l’histoire est une discipline privilégiée pour saisir cette dynamique. Nous donnons ici les grands repères, qui prennent tout leur sens rapportés à la situation historique, développée dans le texte en ligne. Cette seconde partie historique propose trois problématiques, chacune étayée par des idées fortes et de courts développements qui invitent à aller plus loin par la lecture de textes en ligne. Retrouvez sur www.univ-nantes/espe/laicite Référence conseillée en ligne i Article intégral accessible en ligne Vidéo à visionner en ligne Rendez-vous sur l’espace laïcité de l’ESPE pour avoir + d’infos 1.1 La laïcité : une interrogation contemporaine dans des sociétés différentes LA LAÏCITÉ, C’EST QUOI ? a laïcité constitue un cadre institutionnel et juridique de référence dans la France du début du XXIe siècle. Elle est le résultat d’un processus qu’il importe de remettre en perspective : une histoire conflictuelle, parfois violemment, ce qui explique en partie les différences d’accent qui prévalent encore aujourd’hui. Cette règle de fonctionnement, fondée sur des droits accordés à des individus-citoyens et non à des groupes, constitue un socle de la société française : apprendre à chacun/chacune à devenir responsable de sa propre vie… ce qui est tout le contraire de ces formules en usage dans certaines classes : « Je fais mon métier d’élève » ; « Je n’existe qu’à travers un groupe ». Ayant été largement admise en France, sans cesser d’être discutée, la laïcité reste une interrogation, une attraction ou un repoussoir à l’extérieur : autant de voix qui méritent, elles aussi, d’être entendues. L 6 « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA POUR UN JURISTE CHRISTOPHE GUETTIER, UNIVERSITÉ DU MAINE Le principe de laïcité figure au n o m b re Des droits accordés à d e s des individus-citoyens droits et libertés que la Constitution garantit (Article 1er de la Constitution française du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances »). Selon l’Observatoire de la laïcité (qui assiste le Gouvernement dans son action visant au respect du principe de laïcité en France), la laïcité repose sur trois principes : • la liberté de conscience et la liberté de culte, • la séparation des institutions publiques et des organisations religieuses, • l’égalité de tous devant la loi quelles que soient leurs croyances ou leurs convictions. La laïcité garantit aux croyants et aux non-croyants le même droit à la liberté d’expression de leurs convictions. Elle assure aussi bien le droit de changer de religion que le droit d’adhérer à une religion. Elle garantit le libre exercice des cultes et la liberté de religion, mais aussi la liberté vis-à-vis de la religion : personne ne peut être contraint par le droit au respect de dogmes ou prescriptions religieuses. La laïcité suppose la séparation de l’Etat et des organisations religieuses. L’ordre politique est fondé sur la seule souveraineté du peuple des citoyens, et l’Etat - qui ne reconnaît et ne salarie aucun culte - ne se mêle pas du fonctionnement des organisations religieuses. De cette séparation se déduit la neutralité de l’Etat, des collectivités et des services publics, non de ses usagers. La République laïque assure ainsi l’égalité des citoyens face au service public, quelles que soient leurs convictions ou croyances. Référence conseillée en ligne : Observatoire de la laïcité « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 7 POUR UN POLITOLOGUE ARNAULD LECLERC, UNIVERSITÉ DE NANTES La laïcité française est une Une séparation concepdu politique et du tion sinreligieux en France gulière et radicale de la démarcation du politique par rapport au religieux. Dans les sociétés européennes, cette démarcation se traduit par le principe libéral d’autonomie du politique et du religieux ce qui se traduit par un patrimoine commun de règles que sont : • la neutralité confessionnelle de l’Etat, • la reconnaissance de la liberté religieuse, • la reconnaissance de l’autonomie de la conscience individuelle, • le libre examen et le débat contradictoire y compris en matière religieuse. Ici l’autonomie traduit le principe d’une séparation mais aussi d’une reconnaissance entre les deux termes. Sur cette base, les religions sont reconnues en Europe comme pouvant à la fois alimenter l’espace public tout en respectant ses principes et prendre en charge des missions sociales ou culturelles au sein de la société (Willaime 2014). Par delà ce patrimoine commun, la laïcité française véhicule historiquement une démarcation reposant sur une logique de défiance entre les deux termes. Dans ce cadre, l’idéal républicain tend à exclure par principe les religions de l’espace public, à leur dénier tout rôle social ou culturel tout en confinant les religions dans l’espace privé voire dans l’espace de l’intimité. POUR UN POLITOLOGUE ET PHILOSOPHE, HAOUES SENIGUER, IEP, LYON Avant d’être une loi ou un principe juridique, qui a fait son chemin en France depuis le début du siècle dernier, en particulier à compter de 1905 précisément (mais son inspiration remonte au moins aux Lumières), la laïcité a, d’abord et avant tout, à voir avec une certaine conception des rapports entre politique et religion dans la cité, ainsi 8 que l’entretien d’une disposition continument critique à l’égard de la place du religieux ou de la métaphysique dans l’ordre social. Aussi, conçue comme un préalable à la démocratie et à son développement, la laïcité véhicule plusieurs idées essentielles : • L’État et ses représentants n’ont pas à interférer avec les croyances « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA de leurs concitoyens qui sont libres d’épouser telle ou telle philosophie de la vie, qu’elle soit religieuse ou non, dès lors qu’ils ne mettent pas en cause l’ordre public par des agissements contraires à celui-ci, tels que les appels à la haine, entre autres au nom de la religion. • Ceux d’entre les personnes ou groupes qui se réclament de la religion L’héritage d’une n’ont pas disposition critique à impoà l’égard de la place ser leur corpus doctrinal spécifique au législateur. La laïcité est également la neutralité des agents publics et non celle des individus dans l’espace public ou lorsque ceux-ci fréquentent des services publics, sauf exceptions. La laïcité n’est pas par essence antireligieuse, mais octroie la possibilité d’épouser une religion ou pas, voire de la quitter, et d’exercer une critique publique à l’endroit des usages qui en sont opérés. Référence conseillée en ligne : Loi sur les signes religieux à l’école du religieux dans l’espace social LA LAÏCITÉ, UNE PARTICULARITÉ FRANÇAISE ? es sociétés évoquées ci-après sont marquées par la diversité, notamment religieuse. Le cadre étatique qu’elles ont institué, et la déclinaison des principes de liberté et d’égalité, sont plus ou moins différents de ceux qui prévalent en France. Mais, comme cette dernière, elles ont été - et restent pour certaines - confrontées à la problématique suivante : en cas de conflit d’autorité, quelle est celle qui doit trancher en dernier recours : la parole politique ou la parole religieuse ? Des textes écrits par des historiens et un juriste, à lire en ligne, reprennent quelques-unes de ces interrogations venues d’ailleurs. John Tolan et Dominique Avon, co-directeurs de l’IPRA, ont écrit et coordonné ce croisement de regards. L Texte intégral accessible en ligne : La laïcité vue d’ailleurs « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 9 FAUT-IL FINANCER LES CULTES ? LA LAÏCITÉ VUE DES ETATS-UNIS « En France, l’Etat est propriétaire des bâtiments de culte construits avant 1905, finance [en partie] l’éducation privée confessionnelle, finance directement le culte (en Alsace et Moselle), intervient dans la structuration des institutions religieuses (constitution du Conseil français du culte musulman) et dans la formation des imams : toutes ces particularités seraient considérées aux USA comme interdites par la séparation des Églises et de l’État. [...] Paradoxalement, la séparation entre les Églises et l’État est bien plus marquée aux USA qu’en France en même temps que la religion occupe une place importante dans l’espace politique. » QUI DÉTERMINE LE RAPPORT DU RELIGIEUX ET DU POLITIQUE DANS LA CITÉ ? LA LAÏCITÉ VUE DE L’ESPAGNE En Espagne, deux points de vue politiques sont critiques envers la laïcité française. « Une gauche pointe du doigt le financement par l’Etat français d’écoles religieuses, essentiellement catholiques, et l’inégalité de traitement des territoires du fait du statut concordataire maintenu en Alsace-Moselle. Une droite distingue la « laïcité » et le « laïcisme » en mettant l’accent sur le caractère douloureux de l’événement fondateur de 1905 pour les catholiques et les difficultés rencontrées plus récemment par les musulmans afin de s’inscrire dans le cadre français. » LA LAÏCITÉ VUE D’ITALIE Trois traits définissent la laïcité à l’italienne. « La laïcité de l’Etat est étroitement liée à la société civile et religieuse et reçoit de celle-ci son contenu. [...] Laïcité ne signifie pas seulement respecter toutes les opinions et les croyances mais aussi collaborer avec les organisations qui agissent dans la société religieuse et civile. Les religions ne sont pas égales aux yeux de l’Etat : elles sont des réalités différentes et ces différences - si elles sont compatibles avec les principes de la démocratie - doivent être prises en compte par le législateur. » LA LAÏCITÉ VUE DE BELGIQUE La Belgique intègre dans la laïcité les courants de pensée au-delà des religions (« la laïcité organisée »). « Surtout, contrairement à la France, elle a fait de la laïcité la marque de fabrique d’un segment convictionnel de la société, plutôt que le bien commun de l’ensemble de la Nation. » Vidéo à visionner en ligne : Laïcités européennes L’ÉTAT DOIT-IL ÊTRE RELIGIEUX ? LA LAÏCITÉ VUE D’ISRAEL En Israël, « l’influence du système français était assez nette, sans être explicite. Les critiques [à l’égard d’une proposition de Constitution laïque en 2000] furent nombreuses, les uns voyant dans ce projet précipité un coup électoral, les autres une remise en question fondamentale du caractère « juif » de l’Etat. Le projet sombra, dans un contexte marqué par l’échec des négociations israélo-palestiniennes de Camp David. Un projet fut relancé en 2003, porté par une commission spéciale de la Knesset avec l’appui de différents courants politiques se présentant comme non « religieux ». 12 ans plus tard, le statu quo prévaut. » 10 LA LAÏCITÉ VUE DU LIBAN Au Liban, « après la période des guerres qui ont ravagé le pays (19751990), [...] une partie de l’opinion a manifesté son souhait de promouvoir la déconfessionnalisation de l’Etat. Mais ce courant s’est divisé sur le modèle vers lequel tendre (celui porté par les Etats-Unis ou celui porté par la France) et il est resté minoritaire. » « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 11 1.2 Une inscription de la laïcité dans le temps : du régime de catholicité au régime de laïcité UN PLURALISME RELIGIEUX INÉGALITAIRE EN FRANCE JUSQU’AUX ANNÉES 1880 es populations qui ont habité cet espace autour duquel s’est construit la France n’ont jamais représenté un corps homogène. Néanmoins, d’un point de vue religieux, entre la fin du IVe et la fin du XVIIIe siècle, le christianisme a exercé un rôle structurant et prédominant. Les responsables politiques et religieux ont géré la diversité non chrétienne en l’ignorant, ou en la renvoyant à la marge. La diversité intra-chrétienne a, quant à elle, été réprimée au nom du combat contre l’hérésie. Cet état de fait a été modifié au XVIe siècle, au moment de l’éclatement de la Chrétienté médiévale, quand un rameau du christianisme (donnant naissance au protestantisme) s’est trouvé en position de revendiquer une reconnaissance officielle, obtenue au terme de négociations et de guerres. L’Etat se renforça autour de la personne du souverain, qui resta cependant fidèle à l’Eglise catholique. La Révolution française introduisit une seconde rupture : les sujets, devenus citoyens constitutifs d’une nation, affirmèrent être la source du pouvoir ; par la voix de leurs représentants, ils renvoyèrent toute foi dans le champ des convictions ou opinions individuelles. Nous donnons ici quelques repères sur ces problématiques à partir d’extraits des textes de John Tolan et de Dominique Avon. L Texte intégral accessible en ligne : Une inscription de la laïcité dans le temps 12 « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA LA PLACE DES JUIFS DANS LES SOCIÉTÉS EUROPÉENNES PRÉMODERNES : UN STATUT PROTECTEUR MAIS STIGMATISANT « En 392, l’empereur romain Théodose Ier fit du christianisme la religion d’État et interdit les cultes païens traditionnels. Mais les empereurs romains des IVe et Ve siècles promulguèrent en même temps des lois qui accordèrent aux juifs un statut protégé, bien que socialement inférieur à celui des chrétiens. Cette tolérance des juifs dans la société chrétienne, basée dans le droit romain et appuyée sur la théologie d’Augustin, fut néanmoins bien fragile. Elle n’empêcha ni des éruptions de violences contre des communautés juives, ni des expulsions. [...] Si droit canon et théologie augustinienne accordèrent une place, certes restreinte et inférieure, aux juifs au sein de la Chrétienté médiévale, la raison d’Etat en décida autrement dans de nombreux royaumes ou principautés au seuil entre le Moyen Age et la modernité. » Référence conseillée en ligne : 15 siècles de cohabitation Référence conseillée en ligne : Relmin DANS LA FRANCE DE L’ANCIEN RÉGIME, LE POUVOIR ROYAL ENTRETIENT LA TENSION ENTRE MARGINALISATION ET EXCLUSION POUR LES JUIFS ET LES PROTESTANTS « Le royaume de France était un Etat dans lequel la religion officielle était le catholicisme [...] Cependant, à partir du XIVe siècle le pouvoir royal acquit un pouvoir sur l’Eglise en France, [...] Dans ce cadre, la condition légale des communautés juives ne subit pas de grands changements par rapport à la période médiévale, elle différait selon qu’un de leurs membres vivait à Bordeaux, à Paris ou à Strasbourg. Le XVIe siècle porta la rupture de la Christianitas (« Chrétienté »). Entre 1540 et 1560, des églises réformées furent constituées dans le royaume [...] La tentative de concorde religieuse des années 1560-1561 tourna court : huit guerres au nom de la religion se succédèrent entre 1562 et 1598. L’édit de Nantes fut, comme les précédents, un édit de pacification repoussant à plus tard l’espoir d’une unité de la foi des sujets. La liberté de culte était accordée aux protestants, mais sur des territoires délimités et selon des règles précises […]. L’édit de Fontainebleau (1685), révoquant l’édit de Nantes, contraignit les pasteurs à l’exil et obligea les huguenots à la conversion au catholicisme (200 000 parvinrent à fuir). Surmontant la phase de persécutions antiprotestantes, des communautés réformées se reconstituèrent dans la clandestinité, [...] » « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 13 LES RUPTURES RÉVOLUTIONNAIRES : AVEC L’ÉMERGENCE DU CITOYEN ET DE LA NATION, CONSIDÉRER LA FOI RELIGIEUSE COMME UN CHOIX INDIVIDUEL « Le principe de toute souveraineté était d’ordre divin. [...] Représentant ¼ des membres aux Etats-Généraux, le clergé rallia le Tiers-Etat en Assemblée nationale (4 juin 1789) et vota majoritairement l’abolition des ordres, l’égalité civile et la liberté juridique (4 août) puis la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (26 août). [...] Le décret sur la liberté des cultes […] fut applaudi par les protestants et les juifs. Après l’échec de la fuite du roi […] et l’adoption de la Constitution […], le fossé se creusa entre deux France, chaque camp tressant des arguments politiques et religieux. [...] Le soulèvement de Vendéens, au cours du printemps, marqua le début d’une guerre civile à caractère religieux. Le culte catholique cessa d’être public et ses ministres perdirent toute rétribution. Le divorce fut légalisé. Une déchristianisation active fut engagée [...] Les cultes protestants et israélites étaient également très affaiblis. » LES CULTES SOUS LE IIND EMPIRE : UNE TENTATIVE DE RÉGULATION PAR L’INÉGALITÉ « Après le coup d’Etat (décembre 1851) et la restauration de l’Empire (décembre 1852), Napoléon III adopta une politique qui visait à se concilier les fidèles des différents cultes, et d’abord les catholiques. Il encouragea l’application de la loi Falloux (mars 1850) qui autorisait la liberté d’enseignement au niveau secondaire [...]. De l’autre côté de la Méditerranée, LA LAÏCITÉ, UNE CONSTRUCTION CONFLICTUELLE LE RÉGIME CONCORDATAIRE : UNE NOUVELLE TENTATIVE D’INSTITUTIONNALISATION PAR LE POUVOIR POLITIQUE POUR PACIFIER SON RAPPORT AVEC LE RELIGIEUX « Le concordat résulta d’une longue négociation entre le Consulat et la Papauté […]. Les partis reconnurent que la France était un Etat non-confessionnel, le catholicisme y étant défini comme « la religion de la majorité des Français » mais sans rôle spécifique au sein de la puissance publique. […]. Le principe, déjà formulé durant la période révolutionnaire, était le suivant : tous les droits comme citoyens ; aucun droit comme communauté. Si le pape Pie VII fut présent au mo- ment du sacre de 1804, le conflit avec Napoléon conduisit à son arrestation, faisant rejouer la fracture religieuse de la société française. [Par contraste, la] révolution de février 1848 fut saisie comme une possibilité de réconciliation des deux France, dont le symbole fut la bénédiction d’ « arbres de la liberté », ce dont témoignait également le préambule de la Constitution de la IInde République : « En présence de Dieu, et au nom du peuple français, l’Assemblée nationale proclame… » » l’empereur décida, par le Sénatus-consulte du 14 juillet 1865, de donner un statut spécifique aux populations vivant dans les trois départements algériens, deux catégories étant désignées par une appartenance confessionnelle : l’indigène musulman est Français ; néanmoins il continuera à être régi par la loi musulmane. […] » e choix de règle de société trouva une application un siècle plus tard dans la création d’une école publique, laïque, gratuite, puis dans la séparation de l’Etat et des cultes. Le principe clef fut celui de « liberté de conscience » et non de « liberté religieuse » : il est individuel et il reconnaît la possibilité de la non-croyance. La difficulté fut et reste le fait que, par définition, l’Etat laïque ne peut pas dire théoriquement ce qu’est une « religion ». Il l’a fait, dans et hors du cadre colonial, en reconnaissant des statuts spéciaux sur certains territoires. Il continue de le faire, de manière pratique, par exemple en reconnaissant telle ou telle aumônerie dans l’armée ou dans les prisons. Cette tension illustre l’écart entre un horizon et une réalité sociétale, écart dans lequel s’insèrent des enjeux politiques et culturels. Elle existe également dans des Etats non laïques : au Canada, une religion ne peut être officiellement reconnue que si elle dispose d’une certaine durée d’existence et d’un certain nombre de fidèles. C Texte intégral accessible en ligne : Une inscription de la laïcité dans le temps 14 « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 15 LOIS SCOLAIRES (ANNÉES 1880) : LE PRODUIT D’UNE TENSION ENTRE UNE VOLONTÉ POLITIQUE ET LA RÉALITÉ SOCIALE ET RELIGIEUSE « A l’heure où l’Empire s’effondrait et où la République était proclamée (4 septembre 1870), 9 Français sur 10 se déclaraient catholiques. […] Le système éducatif fut l’enjeu prioritaire de la politique de laïcisation. La loi du 9 août 1879 établit des écoles normales primaires afin de former des instituteurs laïcs destinés à remplacer le clergé enseignant. Les décrets de mars 1880 conduisirent à la dissolution de la Compagnie de Jésus en France, à l’expulsion des jésuites et de plus de 5 000 religieux. Deux lois furent adoptées le 16 juin 1881 : l’une fixa le principe de la gratuité de l’enseignement primaire dans les écoles publiques ; l’autre exigea que les instituteurs aient un brevet de capacité pour enseigner dans les écoles élémentaires. La loi du 28 mars 1882 rendit l’instruction obligatoire et l’école publique laïque, pour les garçons comme pour les filles de 6 à 13 ans. Le jeudi fut libéré pour laisser aux parents la possibilité de donner une instruction religieuse à leurs enfants en dehors des locaux scolaires. Pendant une génération, cependant, le contenu de la morale fut lié à la référence à Dieu dans de nombreuses écoles publiques et dans les manuels. [...]. » 16 « [...] l’affaire Dreyfus […] fit rejouer le clivage des deux France. La loi sur les associations du 1er juillet 1901 fut aussi un acte par lequel le gouvernement de Waldeck-Rousseau se dotait de moyens pour lutter contre les congrégations religieuses. Trois ans plus tard, une seconde loi les visa plus directement et fut à l’origine de l’exil de 30 000 congréganistes. […]. Les différents projets de loi envisageant une séparation entre l’Etat et les cultes furent élaborés dans ce climat conflictuel, encore aggravé par l’ « affaire des fiches » : des loges maçonniques four- nissaient au ministère de la Guerre des informations sur les convictions personnelles des officiers. […] Parmi les différents textes en débat dans le camp républicain, c’est une version libérale qui fut déposée en février 1905 [...]. Elle mettait un terme au régime concordataire en vigueur depuis plus d’un siècle. Elle garantissait l’égalité civile et juridique des citoyens et posait comme principe fondateur la « liberté de conscience » -non la liberté de religion- ce qui autorisait le « libre exercice des cultes » et la possibilité de ne pas en avoir. [...]. » SOUBRESAUTS DU CONFLIT LIÉ À LA SÉPARATION ET AU STATU QUO (1925-1945) FACE À LA DIVERSITÉ RELIGIEUSE DANS LES COLONIES, LE DÉCRET CRÉMIEUX ET LE CODE DE L’INDIGÉNAT RÉINTERROGENT LE CADRE LAÏQUE « […] Sous le nouveau régime et du fait de la pression des colons, même les « indigènes » qui renonçaient à la « loi musulmane », en se convertissant au catholicisme ou au protestantisme par exemple, n’obtenaient pas les droits pléniers de la citoyenneté. En 1903, la cour d’appel d’Alger statua que le terme « musulman » n’avait « pas un sens purement confessionnel, mais qu’il désignait au contraire l’ensemble LOI DE SÉPARATION ET LOIS ANTI-CONGRÉGANISTES (ANNÉES 1900) : UN COMPROMIS LIBÉRAL ET UN RAPPORT DE FORCES des individus d’origine musulmane qui, n’ayant point été admis au droit de cité, avaient nécessairement conservé leur statut personnel musulman, sans qu’il y ait lieu de distinguer s’ils appartenaient ou non au culte mahométan. » Ce régime séparant les « citoyens français » et les « sujets français » fut étendu, avec des spécifications, dans d’autres colonies françaises après 1887. » « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « [...] au moment de la victoire proclamée en 1918, il ne paraissait plus envisageable de revenir à un affrontement entre cléricaux et anticléricaux. [...] [Mais] La défaite militaire de mai-juin 1940 face à l’Allemagne nazie et l’effondrement de la IIIe République modifièrent le rapport de « l’Etat français » aux cultes. En octobre, le régime de Vichy adopta un statut discriminatoire pour les juifs : exclusion de la fonction publique et de fonctions électives ; accès limité par numerus clausus à l’université ainsi qu’à plusieurs professions libérales. En mai 1942, un décret institua le port obligatoire de l’étoile jaune pour les Français de confession israélite. Plus de 75 000 Français juifs périrent dans des camps de concentration ou d’extermination, avec l’aide des autorités françaises […]. » « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 17 UNE PÉRIODE DOMINÉE PAR LA « GUERRE SCOLAIRE » (19451984/1993) : L’ÉDUCATION CONCENTRE LES TENSIONS ENTRE LE POLITIQUE ET LE RELIGIEUX « Dans le champ scolaire, du fait de l’absence de consensus, le statu quo prévalut à la Libération. [...] En 1959, le ministre de l’Education nationale par intérim, Michel Debré, fut à l’origine d’une loi autorisant un nouveau type de relation entre établissements de l’enseignement libre et Etat : le principe consistait en une aide publique sous condition de « respect total de la liberté de conscience » et d’un contrôle plus ou moins renforcé de l’Etat en fonction de la nature du contrat : « simple » ou « d’association ». […] Le contentieux entre l’Etat et l’enseignement catholique fut partiellement réglé en juin 1992 et janvier 1993 par les accords entre le ministre de l’Education nationale Jack Lang et le secrétaire général de l’enseignement catholique Max Cloupet, reconnaissant à ce réseau sa contribution « au service public de l’éducation ». […]. » Référence conseillée en ligne : Frise chronologique Référence conseillée en ligne : Charte de la laïcité Référence conseillée en ligne : Texte de loi : principe de laïcité LAÏCITÉ ET « SIGNES RELIGIEUX » (1989-2015) : UN EFFET DE CONTEXTE QUI RENVOIE LA LAÏCITÉ VERS L’INDIVIDU « Au sein de l’Union européenne, la France de la fin du XXe siècle se distinguait par deux particularités : c’est l’Etat qui fixait la séparation la plus stricte entre les services publics et le religieux ; c’est une des sociétés qui, selon les enquêtes d’opinion, restait majoritairement chrétienne tout en comptant à la fois le plus grand nombre d’athées, mais aussi le plus grand nombre de membres de confessions non chrétiennes, tels que le judaïsme, l’islam et le bouddhisme. La question de la laïcité se posa de manière renouvelée lorsque, en 1989, un proviseur interdit l’entrée du lycée à deux filles de confession musulmane ayant décidé de porter un signe vestimentaire religieux sur la tête. Suivirent quinze années de polémiques au cours desquelles nombre d’arguments 18 furent échangés : neutralité vs prosélytisme ; liberté de chacun-e vs égalité entre garçons et filles ; contenu de l’enseignement ; code vestimentaire en sport etc. Les inégalités sociales et les enjeux mémoriels, notamment ceux concernant la période coloniale, accrurent les tensions. [...] une loi fut votée au printemps 2004, « encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics » Près d’une décennie plus tard, en lien avec la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’Ecole de la République, fut fixée une « Charte de la laïcité à l’Ecole ». […] » « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 19 Repère n° 2 : DES TENSIONS CONSTITUTIVES DE LA LAÏCITÉ EN MILIEU SCOLAIRE Blasphème et Laïcité ..........................................................p.22 L’éducation ne peut être laïque sans être sociale ..............p. 25 Laïcité - neutralité : le cas des signes et des tenues à l’École ..................................................................................p.28 Dans le cadre d’une exploration des liens du principe de laïcité et des valeurs, pointés dans la 1ère partie, trois approches philosophiques proposent de les mettre en tension à travers des situations prototypiques qui aident à penser la complexité du principe de laïcité en application : le cas du blasphème ; la question de l’articulation entre laïcité et social, telle qu’elle s’exprime à propos des inégalités ; les signes religieux. Trois valeurs, liberté, égalité, neutralité, sont donc articulées avec le principe de laïcité pour saisir cette complexité. Les références sont à lire en fin du livret. Retrouvez sur www.univ-nantes/espe/laicite Référence conseillée en ligne i Article intégral accessible en ligne Vidéo à visionner en ligne Rendez-vous sur l’espace laïcité de l’ESPE pour avoir + d’infos 2.1 Blasphème et Laïcité MICHEL FABRE, Professeur émérite en philosophie, Université de Nantes DISTINGUER LE DROIT, LA MORALE ET LA PRUDENCE S’AVÈRE FONDAMENTAL POUR COMPRENDRE L’ESPRIT DE LA LAÏCITÉ DANS UNE SOCIÉTÉ PLURIELLE Longtemps synonyme d’injure en général, la notion de blasphème ne concerne aujourd’hui que les moqueries, voire les critiques envers les religions. Partons des caricatures de Mahomet, de la tuerie à Charlie Hebdo en janvier 2015 et du slogan « Je suis Charlie ». COMMENT NE PAS ÊTRE CHARLIE ? Si on exclut les sympathisants djihadistes, il y a plusieurs manières de refuser d’être Charlie. a) Celle du religieux indigné : « je pense qu’il faudrait limiter la liberté d’expression et que le blasphème devrait être interdit ». b) Celle du moraliste : « je reconnais le droit au blasphème, mais je pense qu’il est immoral de se moquer des religions ». c) Celle du prudent : « je reconnais le droit au blasphème, mais il faut être responsable et penser aux conséquences ». 22 d) Celle de l’antiraciste : « je reconnais le droit au blasphème, mais je refuse de mettre sur le piédestal un journal islamophobe ». Notons d’abord que seule la réponse (a) contrevient à la laïcité. En France, depuis la révolution, le blasphème n’est plus un délit. La loi de 1905 réaffirme la liberté de conscience (et donc d’expression) en même temps que celle des cultes et sépare l’État et la religion. Cette liberté d’expression n’est limitée en droit que par l’injure aux personnes et l’appel à la violence ou à la discrimination. C’est pourquoi « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA le tribunal condamne Dieudonné et son « Je suis Charlie Coulibaly » pour éloge du terrorisme, mais non Charlie Hebdo pour ses caricatures de Mahomet. Ceci dit, la laïcité ne m’oblige ni à louer le blasphème, ni bien sûr à blasphémer. Elle m’interdit seulement de l’interdire, même si j’estime qu’il est moralement condamnable (b) ou imprudent (c) ou islamophobe (d). Distinguer le droit, la morale et la prudence s’avère fondamental pour comprendre l’esprit de la laïcité dans une société plurielle. Bien des pays laïques condamnent le blasphème. Pour comprendre la spécificité française, il faut distinguer la sécularisation (l’émancipation de la société de la tutelle religieuse) de la laïcisation (le volontarisme politique qui impose la séparation de l’État et de la religion). Dans beaucoup de pays, en particulier protestants, c’est la sécularisation qui a entraîné la laïcisation. En France, l’hégémonie de l’Église catholique était telle que la séparation a dû être imposée politiquement. C’est pourquoi la laïcité française se donne sur un mode plus républicain que démocratique. La démocratie ne renvoie qu’à la liberté d’opinion dans un régime de tolérance, la République implique la conquête d’une liberté de pensée, d’une émancipation des préjugés, d’où le rôle fondamental de l’École (Kintzler, 2014). LA LAÏCITÉ AU PLURIEL La loi de 1905 a réglé la question sur le plan juridique puisque la laïcité est inscrite dans la constitution, mais elle nous laisse un héritage idéologiquement conflictuel. Si la plupart des Français sont désormais laïques et le proclament haut et fort, la laïcité des uns n’est pas tout à fait celle des Gallicanisme Laïcisation de la société autres. Ceci d’autant plus que c’est à présent l’islam (et non le catholicisme) qui fait problème, dans un contexte géopolitique tourmenté et dans une crise de civilisation marquée par la fin des idéologies et le déclin des institutions. Liberté de conscience Laïcisation Communautarisme (In) égalité de droit Laïcité ouverte Catho-laïcité Le triangle de la laïcité, éclaté (inspiré de Bauberot, 2004) « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 23 L’accentuation de la laïcisation au détriment de la liberté des religions mène au gallicanisme (le contrôle des cultes) et à la laïcisation de la société (la religion réduite à l’espace intime). La liberté de conscience sans laïcisation mène au communautarisme qui rive l’individu à ses appartenances ethniques ou religieuses alors que la République ne reconnaît que des individus supposés autonomes. L’égalité (ou l’inégalité) de droit des cultes pose la question des rapports entre laïcité et culture. On ne peut détacher la laïcité à la française d’une histoire et d’une culture spécifiques, mais la tentation est de les identifier en réduisant d’ailleurs cette histoire et cette culture à l’une de leurs dimensions (par exemple au christianisme) quitte à négliger leurs sources gréco-latines. Ainsi pour la catho-laïcité, l’imprégnation de la société par le catholicisme (calendrier, fêtes, traditions…) n’est pas considérée comme religieuse alors que les modes de vie islamiques (nourriture, habits…) sont vus comme une tentative d’imposer la charia. La laïcité ouverte (venue d’un christianisme plus hospitalier) revendique un droit égal des religions à l’expression publique, tout en se félicitant de la neutralité de l’État en matière religieuse. Dans la prolifération des laïcités, les équilibres de la loi de 1905 se voient compromis. On comprend alors l’enjeu du blasphème dans la tension entre liberté et séparation des pouvoirs. Célébré du point de vue de la laïcisation et de la liberté d’expression, il heurte le communautarisme et la laïcité ouverte qui n’y voient qu’intolérance et discrimination, tout en posant problème du point de vue de la catho-laïcité si elle n’assume pas la culture et l’histoire de France dans sa totalité, y compris dans sa tradition critique et satirique. Dans le monde problématique qui est le nôtre, la laïcité ne saurait donc être enseignée sans être problématisée. À cause des idées reçues qui en masquent le sens (Kahn, 2005), et également à cause des multiples interprétations qu’elle prend désormais (Bauberot, 2015). Texte intégral accessible en ligne : Laïcité et liberté 24 « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 2.2 L’éducation ne peut être laïque sans être sociale LOÏC CLAVIER, Maître de conférences en Sciences de l’Éducation, Directeur de l’ESPE Académie de Nantes LA LAÏCITÉ, UN PILIER DE LA DÉMOCRATIE QUI SE CULTIVE DANS L’ACCÈS DE TOUS AU SAVOIR L’article premier de la Constitution indique que « la France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». La laïcité n’est en conséquence pas un élément qui devrait être mis singulièrement en avant par rapport aux valeurs fondatrices de la République française. Jaurès en 1904 dans La Dépêche affirme que la République ne peut être laïque sans être sociale. La même année à un congrès international à Rome, Ferdinand Buisson évoque la méthode de construction de la démocratie du point de vue de son institution. Il atteste que les dimensions laïque, démocratique et sociale visent à libérer la personne humaine du « pouvoir abusif de l’au- torité en matière religieuse, du privilège en matière politique et du Capital en matière économique ». Cette position est la plus radicale. La loi de 1905 trouvera le chemin d’une séparation entre l’Église et l’État qui garantira, au nom de la liberté, le droit de culte dans la sphère privée. Lorsque la question religieuse ressurgit à notre époque au sein de l’école se pose à nouveau la question de l’articulation entre laïcité et social. Ainsi, Jean Baubérot (Blog Médiapart, 29/02/2012) souligne en reprenant les termes de la commission Stasi que « la laïcité n’a de sens et de légitimité que si l’égalité des chances est assurée en tous points du territoire ». « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 25 LAÏCITÉ, SAVOIR ET JUSTICE SOCIALE À L’ÉCOLE SONT LIÉS Le rapport de l’Inspecteur Général de l’Éducation Nationale Jean Paul Delahaye (2015) « Grande Pauvreté et réussite scolaire » montre combien l’école a un rôle à jouer dans la prise en compte des élèves les plus exposés pour leur permettre de réussir scolairement. Ce dernier dans une publica- tion en ligne sur le site de la ligue de l’enseignement montre que « dans les quartiers ghettoïsés, les valeurs de la République apparaissent trop souvent aux habitants plus comme des incantations que comme des réalités vécues ». INCARNER LES VALEURS DE LA RÉPUBLIQUE PAR LA JUSTICE SOCIALE Il convient de s’interroger sur la cohérence entre la défense des valeurs de la République et la mise en œuvre de ces mêmes valeurs au sein de notre institution éducative. L’équipe ESCOL (Bernard Charlot, Élisabeth Bautier, Jean-Yves Rochex) s’efforce de comprendre comment se construisent les inégalités scolaires, malgré l’engagement des enseignants. À ce propos, reprenant les conclusions de cette équipe, Vincent Peillon, alors ministre de l’Éducation nationale s’adressant aux directeurs d’ESPE en février 2014, indiquait que l’école échouait à réduire l’écart entre les élèves de milieu favorisé et les autres. Pire, elle contribue parfois à l’accroître. Ainsi, les enquêtes PISA montrent que l’école rencontre des difficultés à organiser une mixité sociale porteuse d’une meilleure réussite scolaire. Ascenseur social et carrière scolaire : quand le poids des inégalités ne rend plus audible les valeurs de la République. Jean Paul Delahaye (site de la Ligue de 26 l’enseignement) nous avertit : « Malgré l’engagement des personnels, il y a une fracture scolaire comme il y a une fracture sociale, fracture attestée par la permanence de l’effet des inégalités sociales sur les destins scolaires ». Il pointe de ce fait un élément important, à savoir la confusion entre « le vivre ensemble » et « scolariser ensemble ». Comment faire adhérer aux valeurs de la République si le « scolariser ensemble » ne constitue pas le point d’appui du « vivre ensemble » ? Autrement dit, comment les jeunes des collèges qui éprouvent un profond sentiment d’injustice quant à leur parcours scolaire peuvent-ils adhérer à des valeurs dont ils ne perçoivent que les devoirs et non pas les droits ? François Dubet, dans un ouvrage de 1996 (À l’école. Sociologie de l’expérience scolaire, Seuil) montre que les vaincus du système sont orientés malgré eux vers des filières qu’ils n’ont pas choisies. De surcroît, ils ont le devoir d’y réussir. « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA LE « VIVRE ENSEMBLE » NE PEUT REMPLACER LE « SCOLARISER ENSEMBLE » Le danger est donc que le « vivre ensemble » remplace le « scolariser ensemble », que la civilité remplace l’éducation par les savoirs. Les injustices scolaires seraient alors recouvertes par la laïcité. Dès lors, une morale, qui relève de ce qui est « bien » (ici la morale laïque) viendrait recouvrir la réussite scolaire (ce qui relève du « juste », car objet de la loi de refondation de l’école) en n’interrogeant pas les raisons de la reproduction des inégalités à l’école. En d’autres termes, cette confusion visant à pacifier l’espace scolaire s’établirait au détriment de la construction éthique de l’élève en faisant l’impasse sur l’exercice de la raison et l’apprentissage des savoirs. L’école produirait des sujets et non plus des citoyens libres et égaux, laissant se scléroser le projet humaniste et social de la République. SCOLARISER ENSEMBLE, C’EST BÂTIR UN COLLÈGE ÉGALITAIRE Jean Paul Delahaye met en garde sur les difficultés de l’institution à constituer un collège égalitaire. Reprenant la réflexion de Bourdieu concernant la domination d’une classe sociale par une autre, il regrette que « chaque fois que l’on veut élargir la base sociale de la réussite on soit immédiatement accusé de nivellement par le bas par ceux qui veulent garder les positions acquises par leur classe sociale ». L’école doit en conséquence saisir l’opportunité de la réforme pour, dans le Texte intégral accessible en ligne : Laïcité et égalité Référence conseillée en ligne : La libre pensée laïque, démocratique et sociale cadre des apprentissages des élèves, équilibrer droits et devoirs, éviter l’humiliation des plus faibles et montrer qu’elle est capable de produire la réussite de tous. C’est à ce prix que certains élèves ne se détourneront pas des valeurs de la République, parce qu’elles feront sens au sein de l’école. La laïcité si elle est articulée à la justice sociale au sein de l’école contribuera à éviter que des idéologies religieuses croissent sur le terreau du repli identitaire et social. Référence conseillée en ligne : Comme la République, la laïcité de 1905 est sociale Référence conseillée en ligne : La Charte de la laïcité à l’école, un outil pédagogique « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 27 2.3 Laïcité - neutralité le cas des signes et des tenues à l’École CÉLINE CHAUVIGNÉ, Maître de conférences en Sciences de l’Éducation, ESPE Académie de Nantes UNE INTERPRÉTATION FRANÇAISE DE LA LAÏCITÉ Si l’actualité sociale et politique (attentats, immigration,…) a ravivé les questions identitaires, elles n’ont jamais cessé d’exister et de s’affirmer depuis les années quatre-vingts dans « une France […], vieille terre d’immigration qui s’ignore » (Schnapper). Face à ces évènements et devant l’absence grandissante de repères communs chez les élèves, l’École et les valeurs requièrent aujourd’hui une mobilisation inédite de la part des pouvoirs publics nourrie par la crainte de l’opinion publique mais aussi par des acteurs institutionnels démunis (enseignants, conseillers principaux d’éducation, chefs d’établissement). En effet, comment envisager la discussion autour des appartenances, des cultures et des identités ? Comment distinguer croyances, opinions et connaissances rationnelles qui s’imposent à tous ? Jusqu’où peut-on débattre de ces questions vives ? Ce contexte pose, de fait, la question de la liberté d’expression et le mode de laïcité à promouvoir même si his28 toriquement, des repères nous ont été donnés depuis la IIIème République. Dès 1905, c’est par la voie juridique que la laïcité entendue comme séparation de l’Église et de l’État entre dans l’École et pose les jalons d’une conception en ce sens très française d’une laïcité qui vient se confondre avec celle de neutrali té sans être pour autant affichée en ces termes. Elle demeure à cette époque libérale permettant ainsi la liberté de conscience (liberté de pensée, d’opinion) et de cultes à condition que l’ordre public soit respecté. Cependant, 1989 marque un premier tournant avec une histoire qui déchaine les passions : l’affaire des foulards de Creil actant le refus d’un chef d’établissement d’accepter l’accueil de jeunes filles voilées. Pour autant, l’État à l’époque maintient sa position de distinguer sur le plan juridique d’un côté les usagers de l’École et leurs comportements et de l’autre l’École comme cadre institutionnel neutre. Mais les contextes politiques « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA nationaux et géopolitiques des années 2000 et la multiplication d’un affichage identitaire chez les élèves (port de signes distinctifs, tenues vestimentaires pouvant remettre en cause la sécurité des élèves dans certains enseignements comme le foulard) ont poussé la France à légiférer pour la première fois dans l’histoire des pays occidentaux sur le port de signes ostensibles (2004) étendant ainsi la neutralité à l’espace scolaire public et à ses usagers. « L’École a pour mission de transmettre les valeurs de la République parmi lesquelles l’égale dignité de tous les êtres humains, l’égalité entre les hommes et les femmes et la liberté de chacun y compris dans le choix de son mode de vie […]. L’État est le protecteur de l’exercice individuel et collectif de la liberté de conscience. La neutralité du service public est à cet égard un gage d’égalité et de respect de l’identité de chacun. En préservant les écoles, les collèges et les lycées publics […] la loi garantit la liberté de conscience de chacun. […] Aux termes du premier alinéa de l’article L. 141-5-1 du code de l’éducation, « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est interdit […] » » L’école devient dès lors un espace où la laïcité ignore (la République ne reconnait aucun culte) et à la fois respecte (la République assure la liberté de conscience) le fait religieux. Si ces derniers temps, la loi sur les signes a plutôt touché la société civile avec la loi dite de la Burqa en 2010 dans une tentative de laïcisation de la société ci- vile, l’École, quant à elle, par ses lois d’orientation (2005, 2013) recentrait ses références sur la transmission des valeurs républicaines « rappelées par l’affichage de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et symbolisées par l’apposition du drapeau et de la devise de la République sur les façades de chacune des écoles et de chacun des établissements scolaires publics. » (loi d’orientation, 2013). Neutralité absolue, disparition de signes ostensibles sur un plan privé mais liberté de conscience préservée, résurgence des symboles de la République et renforcement d’une identité républicaine… les lois oscillent ici entre plusieurs paradoxes que les acteurs de terrain, enseignants, chefs d’établissement, conseillers principaux d’éducation et institutions doivent gérer au quotidien. Alors faut-il aborder la laïcité de manière stricte comme un principe de droit politique qui articule liberté de conscience, égalité des citoyens et visée du bien commun comme ciment de la République (Peña-Ruiz, Kintzler, Finkielkraut) ou faut-il la considérer comme une valeur universelle c’est-à-dire ouverte, inclusive (Baubérot), d’accommodement (Liogier, Wieworka) permettant l’expression des libertés fondamentales, la coexistence de la diversité reconnue et un esprit critique ? « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 29 LAÏCITÉ - NEUTRALITÉ : PAS SI SIMPLE… Comment traiter cette question de la neutralité à travers les signes ou les tenues ? Comment apprécier les situations quand la loi interdit les signes ostensibles et déclare ne pas remettre : « en cause le droit des élèves de porter des signes religieux discrets » et n’interdit pas des « accessoires et les tenues qui sont portés communément par des élèves en dehors de toute signification religieuse. » (II.2.1 loi 2004), et dans le même temps, permet une liberté de conscience ? La charte de la laïcité (2013) stipule que la laïcité « protège de tout prosélytisme et de toute pression qui les (les élèves) empêcheraient de faire leurs propres choix » (art.6). Cette question du prosélytisme n’est pas nouvelle. Elle rappelle ici comme en 1937 sous Jean Zay que la neutralité ne concerne pas uniquement le confessionnel mais aussi l’idéologie et toute forme de propagande. faut pouvoir se confronter à l’autre, apprendre, vivre et faire ensemble au moyen d’une pédagogie de la laïcité (Bidar). Texte intégral accessible en ligne : Laïcité et neutralité LA CONSTRUCTION D’UNE POSTURE DE NEUTRALITÉ GARANTE DE LA LAÏCITÉ EST DIFFICILE. ELLE SUPPOSE UNE PÉDAGOGIE SPÉCIFIQUE Néanmoins, l’interprétation de la discrétion des signes ou encore celle des tenues qui permettent de contourner la loi n’est pas si simple. Que dire des vêtements recouvrants un peu longs qui noircissent les pages des journaux ces derniers temps, du port du Keffieh ou celui d’un t-shirt à l’effigie du Che alors qu’aujourd’hui certains élèves n’en mesurent pas le message et la portée ? Comment prendre la mesure et expliquer aux élèves les appréciations possibles, c’est bien là la question ! Comment dissocier un signe ostentatoire d’un signe discret ? Il faut pourvoir distinguer et prendre en considération deux éléments dans l’approche de la laïcité par les signes et les tenues. • Le principe de laïcité c’est-à-dire la règle et la norme qui s’imposent et qui ne sont pas dérogeables. Il sert de ré30 férence et précise ce qui est interdit ou permis dans les relations interindividuelles. Il permet de protéger les parties en présence et facilite la coexistence des groupes dans le but d’un vivre ensemble. Dans cette approche, la laïcité revêt une neutralité stricte, séparant la sphère privée de la sphère publique dans le respect de chacun et la protection de tous. • La valeur laïcité c’est-à-dire comprise comme une valeur positive d’émancipation et non pas comme une contrainte qui viendrait limiter les libertés individuelles. Par son caractère axiologique, elle permettrait de développer un commun partagé par tous, « une valeur qui permet la construction de toutes les autres » (Kintzter). Mais édicter des règles ou proclamer des valeurs ne suffit pas pour émanciper et responsabiliser les élèves, il « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 31 Repère n° 3 : METTRE LA LAÏCITÉ AU TRAVAIL ET AGIR Apprendre à distinguer savoirs et croyances, une condition pour faire des sciences .....................................................................p.34 Les lois de 1882 et de 1905 : textes de loi pour l’EMC ou objets d’étude en classe d’histoire ? ...................................................p.37 Apprendre à lire de façon laïque des textes porteurs de faits religieux : le cas de la Bible et du Coran à l’école de la République ............................................................................p.39 L’enseignement d’un temps laïque, enseignement laïque du temps ? Le problème du calendrier ..........................................p.41 Faire vivre la laïcité au lycée : travailler, réfléchir et vivre ensemble ..................................................................................p.44 Retrouvez sur www.univ-nantes/espe/laicite Référence conseillée en ligne i Article intégral accessible en ligne Vidéo à visionner en ligne Rendez-vous sur l’espace laïcité de l’ESPE pour avoir + d’infos Cette troisième partie montre comment des enseignants et des éducateurs peuvent prendre en charge des enseignements ou des projets relatifs à la laïcité. Leurs contributions apportent des repères autour de trois dimensions de l’intervention en milieu scolaire, didactique, pédagogique et éducative. Loin d’être exhaustifs, les textes courts de cette partie sont complétés par deux écrits en ligne. L’espace laïcité de l’ESPE s’enrichira de ressources à venir. 3.1 Apprendre à distinguer savoirs et croyances, une condition pour faire des sciences es sciences de la vie et de la Terre, comme toutes les sciences, sont laïques, en ce sens qu’elles refusent de faire dépendre leurs explications de causes ad hoc, non soumises à des contraintes rationnelles explicites et ne pouvant pas être mises à l’épreuve. Cependant, les programmes incitent de plus en plus à les penser autour de questions aux résonnances sociétales, ce qui les expose à des risques de « dédisciplinarisation » et de « délaïcisation » que nous allons illustrer ici avec deux exemples. L DENISE ORANGE RAVACHOL, Professeur des universités en didactique des sciences de la vie et de la Terre, Université Lille 3 LES RECONSTITUTIONS SCIENTIFIQUES, DONC LAÏQUES, DE L’HISTOIRE DE LA TERRE ET DES VIVANTS : DÉPASSER LES SOLUTIONS AD HOC, DÉMIURGIQUES OU CATASTROPHIQUES Les SVT cherchent à expliquer le fonctionnement de la Terre et des vivants et à reconstituer leur histoire. Tout un chacun peut s’emparer de tels problèmes et les résoudre par une histoire ad hoc. Ainsi par exemple : • les éruptions volcaniques ou la formation d’une chaîne de montagnes sont aisément rapportées à des histoires de « plaques tectoniques » : elles joueraient comme des clapets laissant sporadiquement remonter du 34 pas dans le miracle mais au moins dans un événement bienvenu. Bruner (1991) écrit que « Lorsque vous rencontrez une exception à l’ordinaire, et que vous demandez à quelqu’un d’expliquer ce qui arrive, la réponse consistera presque toujours en une histoire qui propose une raison ». Les scientifiques n’échappent pas à cela mais, au contraire du sens commun : • d’une part, par la mise en jeu de garde-fous rationnels (le principe d’actualisme par exemple) et par des échanges critiques, ils tentent de s’affranchir de ces petites histoires lourdes d’un catastrophisme immédiat, riches en temps long « magique » (la durée serait totipotente), truffées d’événements ad hoc ; • d’autre part, ils s’obligent à ne pas avoir recours à des explications faisant intervenir un démiurge ou inféodées à un concepteur ou à un dessein organisateur suprême (intelligent design), explications qui, en rendant tout possible, empêchent tout travail critique. Les programmes d’enseignement in- sistent sur la formation de l’esprit critique des élèves et la pratique de raisonnements scientifiques rationnels pour construire une explication cohérente de l’état, du fonctionnement et de l’histoire du monde. Il est pour cela particulièrement important que ceuxci s’approprient des savoirs mais aussi les garde-fous qui distinguent les savoirs scientifiques des mythes de tout poil, en les rendant capables de se représenter l’état des problèmes et des discussions en cours (Popper, 1991) et en leur permettant de décrypter les discours, les méthodes, les arguments des conceptions créationnistes ou de l’Intelligent design qui, dans leur approche des problèmes historiques, mettent en péril la laïcité. L’anthropisation des programmes de SVT, leur centration sur l’espèce et les sociétés humaines ne doivent pas conduire à privilégier les histoires faciles à entendre au détriment des conditions d’existence de savoirs scientifiques exigeants. Texte intégral accessible en ligne : Sciences et catastrophisme magma ; en s’affrontant en certains lieux, elles provoqueraient la surrection de reliefs ; et avec ces explications primaires, voici les risques volcaniques et sismiques qui sont mis en avant (voir quelques films catastrophe à succès) • la chute d’une grosse météorite aurait provoqué la disparition des « Dinosaures », et par voie de conséquence, permis aux Mammifères, dont l’Homme, de se développer. On n’est « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 35 3.2 CAROLE VOISIN, Formatrice et doctorante en sciences de la vie et de la Terre, ESPE Académie de Caen ÉDUQUER À L’ENVIRONNEMENT : OUI MAIS COMMENT ? Comment former sans conformer ? Nous proposerons un court exemple pour illustrer les pièges d’une éducation à l’environnement trop propositionnelle. Dans ce contexte, et par différence avec le passage ci-dessus, nous nous situons dans l’étude de concepts discutés socialement et/ou scientifiquement. A l’issue d’une séquence sur la sensibilisation à l’environnement, une classe fait une sortie dans la campagne. A un moment, un adulte, qui mangeait une pomme, jette le trognon dans un fourré. Vous imaginez la consternation des élèves : - « Madame, on n’a pas le droit de jeter des déchets par terre ! - Ah bon et pourquoi ? - On n’a pas le droit de jeter des choses par terre, c’est pas bien ». Si l’on examine cela d’un point de vue scientifique, il n’y a pas vraiment d’objection à jeter un trognon de pomme dans un fourré. Nous pouvons imaginer que le recours aux savoirs (ici la distinction entre la décomposition de déchets d’origine organique ou non par exemple) aurait permis aux élèves de fournir un autre argumentaire. Le danger disait Astolfi (1992), est que dans ce genre de cas (et nous pourrions donner de nombreux exemples), on fait une sorte de « canada dry ». On ne contribue ni à une véritable éducation citoyenne ni à des apprentissages scientifiques. Quelques perspectives sont donc à prendre en considération si l’on veut éviter certains pièges (relativisme, positivisme, dédisciplinarisation et conformisme) et contribuer à la construction d’une réflexion critique vers une authentique éducation à l’environnement. Dans notre exemple, ce n’est pas la transmission de règles qui pose problème, mais le fait que cet enseignement puisse se faire sans : • examen des raisons (Fabre, 2014) ou élucidation des idéologies (Rumelhard, 2010) ; • mise au travail d’un contexte problématique à l’origine de l’instauration de ces règles (qui nécessite une réflexion sur les savoirs en jeu) ; • travail sur différents points de vues ou regards (pour un contrepoids critique, Fabre & Fleury, 2006). Texte intégral accessible en ligne : Eduquer à l’environnement Texte complémentaire en ligne : Le cas des sciences physiques Philippe BRIAUD 36 « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA Les lois de 1882 et de 1905 textes de loi pour l’EMC ou objets d’étude en classe d’histoire ? SYLVAIN DOUSSOT, Maître de conférences en didactique de l’histoire, ESPE Académie de Nantes EN HISTOIRE, LA LAÏCITÉ PEUT ÊTRE UN OBJET D’ÉTUDE DISCIPLINAIRE QUI ARTICULE LA CONNAISSANCE DU PASSÉ ET LES PROBLÈMES POLITIQUES DU PRÉSENT Parmi les lois fondatrices de la République française et de la laïcité, les lois de 1881-1882 sur l’École et la loi de séparation des Églises et de l’État de 1905 constituent des références présentes dans les débats politiques et dans les programmes d’histoire (dans les programmes de 2016 du primaire et du secondaire, en CM2 (1882) et en 3ème (1882 et 1905), dans les programmes de lycée en classe de Première (1882 et 1905)). Ces deux dimensions, politique et historique, se retrouvent dans les classes, souvent par l’intermédiaire du même enseignant d’histoire-géographie, à travers l’enseignement moral et civique, et l’enseignement de l’histoire. Pourtant, leur articulation scolaire ne va pas de soi. Du point de vue de la formation du citoyen, ces lois sont importantes en termes de droit, d’institutions publiques et de pratiques sociales, et doivent de ce fait être appréhendées dans leur dimension contraignante actuelle. Du point de vue de la formation historique, elles deviennent objet d’analyse et de contextualisation, c’est-à-dire d’historicisation, ce qui tend à mettre à distance, voire à en relativiser la dimension civique. Cette situation peut aussi bien constituer un risque d’incohérence et d’inconfort pour les élèves et les professeurs, qu’une opportunité de travailler à l’articulation des problèmes de connaissance du passé et des problèmes politiques du présent, ce qui constitue sans doute un enjeu central de l’utilité sociale de l’apprentissage historique. Les débats publics sur ces lois manifestent les multiples possibilités d’instrumentalisation du passé qui visent à argumenter des prises de positions qui vont du désir de les radicaliser et « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 37 à leur abandon. Dans ces débats, le passé de ces lois et leurs contextes de construction et de mise en œuvre (concurrence institutionnelle de l’Église catholique, etc.), constituent bien souvent des « faits » qui servent à renforcer une opinion. En ce sens, la compréhension critique de ces débats réclame autant une analyse des faits actuels que des débats passés dont ces lois sont des traces (Baubérot 2004) : par exemple, la place de l’Église catholique vers 1900 dans l’éducation et d’autres secteurs de la société n’a pas beaucoup à voir avec celle des autorités musulmanes aujourd’hui. La formation historique scolaire vise précisément à partir des argumentations de ce type pour en faire la critique. Celle-ci repose sur l’étude des liens entre les faits et les traces du passé utilisées. La démarche critique de l’historien, transposée à la mesure de l’école, doit permettre d’évaluer le bien fondé des explications et des faits. Elle s’intéresse davantage à la relation des récits aux traces du passé qu’à celle des récits et des faits. Questionner les interprétations actuelles signifie pour elle qu’il faut interpréter les traces du passé en fonction des questions posées. Par exemple, si l’on questionne les rôles différenciés de l’Église catholique d’alors et de l’Islam d’aujourd’hui, il deviendra nécessaire de chercher des traces témoignant de ces différences (les écoles, le ca- téchisme… et les sites internet par exemple). Dans une telle configuration institutionnelle (enseignement moral et civique, et enseignement historique) et épistémologique (enjeu critique de l’enseignement de l’histoire), ces deux lois pourraient faire l’objet d’une double mise en jeu scolaire. D’abord selon une compréhension immédiate des élèves, qui mêlerait représentations sur le passé (les débuts de la IIIème République) et représentations sur le présent (la place des religions dans la société et l’espace public). Ces opinions, et les débats qu’elles pourraient soutenir, mêleraient alors classiquement des faits (actuels et passés) et des idées explicatives dans des argumentations. Dans un deuxième temps, ce débat lui-même pourrait constituer l’objet du travail de la classe d’histoire en relation avec la démarche critique. Les faits et les idées explicatives seraient décortiqués et confrontés à des connaissances et des traces du passé susceptibles d’en faire émerger les conditions de possibilité. Dans un tel schéma, l’urgence pratique de l’argumentation politique du débat d’opinion serait mise en perspective par le temps séparé de la classe d’histoire, propre à enseigner les démarches d’analyse critique des argumentations échangées dans le débat. Texte intégral accessible en ligne : Laïcité, objet d’histoire Texte complémentaire en ligne : Laïcité et pluralité des dieux Fatima OUACHOUR 38 « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 3.3 Apprendre à lire de façon laïque des textes porteurs de faits religieux : le cas de la Bible et du Coran à l’école de la République ANNE-RAYMONDE DE BEAUDRAP, Maître de conférences en lettres, ESPE Académie de Nantes L’ÉTUDE LAÏQUE DES TEXTES RELIGIEUX SUPPOSE QUELQUES PRINCIPES DIDACTIQUES ET PÉDAGOGIQUES Depuis le rapport de R. Debray en 2002, la France a fait le choix d’enseigner les faits religieux à l’école dans le cadre des différentes disciplines et non en instituant une discipline nouvelle comme un cours d’histoire des religions par exemple. Deux disci- plines sont particulièrement concernées par cet enseignement : l’histoire (en premier) et le français. Des textes d’inspiration religieuse y sont donc étudiés et c’est le cas en particulier de la Bible et du Coran. LA BIBLE ET LE CORAN DANS LES PROGRAMMES EN VIGUEUR Depuis 1996, les deux œuvres sont mentionnées dans les programmes en histoire et en français pour les classes de sixième en ce qui concerne la Bible, en cinquième pour le Coran (en particulier en histoire). Ces textes doivent être lus dans le cadre d’une collaboration entre le professeur d’histoire et celui de français. L’indication d’un travail conjoint est reprise dans les programmes de 2008, dans le Socle commun des connaissances et des compétences (2005), et tout dernièrement dans les instructions de 2015, applicables en 2016.. En ce qui concerne les autres niveaux d’enseignement, on peut trouver quelques extraits de la Bible ou du Coran plus particulièrement dans le cycle 2 (CE2) dans le cadre des questions relatives à l’Antiquité ou à la naissance du Christianisme. Le programme d’histoire en seconde de lycée général ou certains objets d’étude en français « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 39 peuvent aussi amener les enseignants à faire étudier des textes bibliques ou coraniques par leurs élèves. 3.4 LIRE DES TEXTES D’ORIGINE RELIGIEUSE DANS UNE PERSPECTIVE LAÏQUE Le rapport de Régis Debray définit plusieurs principes à respecter dans un travail de ces textes à l’école. • « Le but n’est pas de remettre « Dieu à l’école » mais de prolonger l’itinéraire humain à voies multiples […] qu’on appelle aussi culture… ». En effet, ces textes doivent être étudiés à l’école, à l’instar de toutes les autres oeuvres car ils font partie du patrimoine culturel indispensable pour les élèves. Ils ne sont pas des objets tabous pour leur origine religieuse dans la mesure où ils sont, pour l’école, des éléments de culture. • Le second élément à respecter est la nécessité de les contextualiser. Comme ils sont sous la forme d’extraits, ces textes nécessitent une présentation circonstanciée pour les mettre en lien avec l’œuvre à laquelle ils appartiennent. Souvent aussi, ils contiennent des éléments culturels inconnus des élèves, éléments qui doivent donc être explicités (par des notes par exemple). • Le troisième principe concerne la double lecture interprétative. Alors qu’ils doivent être accessibles à tous les élèves quelle que soit leur appartenance religieuse ou non, ces textes sont aussi à mettre en relation avec des pratiques religieuses non seulement du passé mais aussi vécues au40 jourd’hui. Ce double ancrage est le seul moyen pour faire respecter les faits religieux dans un contexte laïque. R. Debray résume cette double approche en disant : « Dire le contexte historique sans la spiritualité qui l’anime, c’est courir le risque de dévitaliser. Dire, à l’inverse, la sagesse sans le contexte social qui l’a produite, c’est courir le risque de mystifier ». Voici un exemple de cette double lecture interprétative pris dans un manuel de français (Les couleurs du Français, Hachette, Istra 2009). Il s’agit d’un extrait du livre de l’Exode (Ex 20, 3-17) où Moïse reçoit de Yahvé les 10 commandements. Les questions sont regroupées en 3 rubriques : « un texte injonctif », « un code de lois religieuses », « un code de lois sociales ». Un travail oral suit la lecture de l’extrait : « Classez les commandements selon l’importance que vous leur donnez et discutez-en avec vos camarades. Vous veillerez à respecter les croyances de chacun. » Texte intégral accessible en ligne : Principes de lecture « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA L’enseignement d’un temps laïque, enseignement laïque du temps ? Le problème du calendrier OLIVIER BLOND-RZEWUSKI, Formateur, ESPE Académie de Nantes et JACEK RZEWUSKI, Ancien instituteur, Philosophe TRAVAILLER ET ÉTUDIER LE CALENDRIER POUR ENVISAGER UN ENSEIGNEMENT LAÏQUE DU TEMPS Dès la maternelle l’esprit des enfants baigne dans « l’universalité temporelle » modelée par le calendrier grégorien. Forgé à l’époque d’une société imprégnée de christianisme, et quand bien même serait-il d’origine païenne et romaine, ce calendrier reste jusqu’à aujourd’hui porteur des signes de la dévotion religieuse dominante à l’époque du pape Grégoire XIII (1582) et imprime au temps qui passe l’onction du sacré. On peut parler, pour se limiter à ce niveau, d’une « imprégnation catholique du temps ». Devant cette puissance de la religion qui s’insinue partout dans l’espace-temps social et historique, le professeur peut-il « enseigner un temps laïque » ? Enseigner un temps laïque… Serait-ce alors gommer tous ces vestiges religieux de nos calendriers pour leur substituer des références non religieuses, voire athées ? Cette « ra- dicale laïcisation du temps » a été tentée par la Convention et le Comité d’Instruction Publique quand, en 1793, 1/ ils substituent la fondation de la République à la naissance du Christ ; 2/ remplacent la semaine hebdomaire par la semaine décadaire et rationalisent la distribution des douze mois ; 3/ instaurent de nouvelles références « laïques » inspirées de la nature, de l’agriculture, de « l’économie rurale » pour « chasser cette foule de canonisés » (Fabre d’Eglantine). Tentative analogue reprise par Auguste Comte (1849), puis par la Société des Nations (1927) et par l’ONU (1954). L’échec (historique) de cette voie pose la question du principe de laïcité. La laïcité doit-elle se donner pour mission de gommer l’Histoire – puisqu’elle est « religieuse » -, de la reprendre à zéro et d’éliminer tout ce qui fait obstacle à son projet ? La laïcité se conjugue toujours au « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 41 pluriel et instaurer un dialogue interculturel conditionne la qualité du vivre ensemble, au service d’une citoyenneté d’adhésion. Aussi ne pourrait-on pas plutôt initier un « éveil aux temps » comme existe un « éveil aux langues » ? L’éveil aux temps pourrait prendre la forme d’une prise de distance métho- dologique proposée à ses élèves par l’enseignant : d’où vient le calendrier grégorien ? Comment est-il né ? Pourquoi ce calendrier est-il imprégné de sacré ? Un triptyque soumis à la raison pourrait guider l’enseignant : assumer le passé, intégrer le présent, préparer l’avenir. ASSUMER L’HÉRITAGE Établir des comparaisons avec des calendriers anciens et des calendriers actuels mais exotiques pour nous (maïa, indien, hébraïque, chinois, musulman…) ; en tirer des constantes afin de tenter une hypothèse sur ce qui constitue « l’essence du calendrier », sa fonction à travers les âges et les sociétés. PORTER UN REGARD « DISTANCIÉ » SUR NOTRE CALENDRIER ACTUELLEMENT EN VIGUEUR • en interrogeant les repères temporels qu’il offre : la dimension sacrée rémanente des fêtes religieuses et leur sécularisation ; les jours chômés pour célébrer les fêtes laïques ; • en s’étonnant que certains grands événements de l’année n’y figurent pas : la Fête du Yom Kippour (12 octobre 2016) la plus importante fête juive ; l’Aïd el-Kébir, fête du Sacrifice (12 septembre 2016), et l’Aïd el-Fitr, fin du Ramadan (6 ou 7 juillet 2016), deux jours importants pour les musulmans ; le nouvel an chinois, etc ; • en recherchant l’origine de la présence de certains prénoms sur le calendrier « culturel » et en suggérant qu’il ne reflète donc pas la réalité so42 ciale actuelle (à condition de dépasser la problématique des saints) : Moshe (Moïse), Ibrahim (Abraham), Youssef (Joseph)… figurent dans le calendrier en vigueur ; mais de nombreux prénoms sont absents. Cette mise en cause du caractère absolu de la forme actuelle du calendrier en vigueur doit permettre la mise en éveil des jeunes esprits et favoriser leur émancipation de l’emprise de l’héritage culturel à dominante religieuse chrétienne. Le dialogue entre sphère privée (la famille) et sphère publique (l’école) se révèlera indispensable, en expliquant qu’aux yeux du législateur ce n’est plus comme jours religieux mais comme « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA jours accordés à tous, croyants catholiques, croyants d’autres religions et non croyants, que sont instaurés les jours fériés ; que Noël est un repère parmi d’autres, avec son histoire, ses déclinaisons, ses différentes connotations… PRÉPARER UN CALENDRIER DE L’AVENIR AVEC LES ÉLÈVES Subvertir le calendrier officiel en se l’appropriant pour y intégrer nos repères : ceux de la commune, de l’école, de la classe, de chaque élève… Par exemple, à mi-chemin entre l’agenda particulier et le calendrier national, inventer le nom accolé à chaque jour ; inscrire la fête locale au même niveau que les autres fêtes du calendrier ; fabriquer le calendrier en y intégrant les événements de l’histoire qui nous ont marqués ou qui nous concernent... POUR CONCLURE En découvrant les « autres calendriers », en portant un regard critique sur notre calendrier actuellement en vigueur, en créant un calendrier reflétant les activités et préoccupations locales, les enfants s’émancipent de la tutelle d’un temps sacré où les re- pères leur sont imposés d’en haut par un calendrier normatif et semblant tout aussi absolu qu’universel et éternel. Ainsi, au final, plutôt que de chercher à enseigner un temps laïque, il s’agit d’envisager un enseignement laïque du temps. Texte intégral accessible en ligne : Enseigner le temps « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 43 3.5 Faire vivre la laïcité au lycée : travailler, réfléchir et vivre ensemble CATHERINE GAY-BOISSON, Proviseur du Lycée Jean Moulin, Angers DES PROJETS ET DES RÉALISATIONS COLLECTIVES DANS LES ÉTABLISSEMENTS POUR FAIRE VIVRE L’ÉDUCATION À LA LAÏCITÉ « Par leurs réflexions et leurs activités, les élèves contribuent à faire vivre la laïcité au sein de leur établissement », article 15 de la Charte affichée dans tous les établissements scolaires. Bien avant les attentas de 2015, la nécessité existait de conduire dans les établissements scolaires une réflexion, des échanges, sur les questions qui touchent, au-delà du « vivre ensemble », la capacité des élèves et des adultes des communautés scolaires à « réfléchir, travailler et vivre ensemble » alors même que les histoires, les origines, les vies des un(e)s et des autres sont différentes, alors même que tous ne pensent pas et ne croient pas les mêmes choses. Voici quelques exemples de situations et projets éducatifs et/ou pédagogiques menés durant l’année 2015/2016 dans des lycées de l’académie pour une laïcité vivante et pas seulement « affichée » : 44 • Travail sur le concept de laïcité, en cours d’Education Morale et Civique (EMC), à partir tout d’abord des représentations des élèves, puis en analysant la Charte de la laïcité, et enfin en faisant écrire et présenter un SLAM aux élèves sur les notions qui leur tiennent le plus à cœur (lycée Fernand Renaudeau, Cholet, classes de Seconde). Ce SLAM est présenté à l’ensemble du lycée et visible sur le site e-lyco du lycée. • Les professeurs principaux font travailler les classes de Première, durant une heure de vie de classe, en faisant analyser et expliciter chaque article de la Charte de la laïcité par un binôme ou trinôme d’élèves. Puis l’ensemble de la classe échange sur chaque article. Les élèves eux-mêmes vont ensuite conduire ce travail par équipes, dans les classes de seconde (lycée Emmanuel Mounier, Angers). • Avec l’aide de leurs professeurs « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA d’EMC, les élèves organisent euxmêmes une table ronde (logistique, prises de contact, communication, animation etc) avec des intervenants extérieurs au lycée (préalablement rencontrés et interviewés) et des élèves du lycée sur les notions de laïcité et les conditions qui permettent ou font obstacle au « vivre ensemble » au lycée (lycée Auguste et Jean Renoir, Angers). • Pour que soit affichée la devise républicaine au fronton de leur lycée comme le stipule la loi, un groupe de lycéens du Conseil de la Vie Lycéenne (CVL) propose au Conseil d’Administration puis réalise, un GRAPH géant à l’entrée du lycée (sur le mur du garage à vélos, de plus de vingt mètres) : « Liberté Egalité Fraternité ». A l’occasion de l’inauguration, un débat sur l’engagement des lycéens est organisé par le CVL (lycée Jean Moulin, Angers). • À la suite d’un travail mené par plusieurs professeurs de disciplines différentes avec des classes de terminale sur la liberté de la presse (suite aux attentats contre Charlie Hebdo), les élèves de l’atelier d’arts plastiques réalisent notamment une robe de Marianne (sculpture de trois mètres de hauteur cousue de journaux) pour symboliser la liberté de la presse (lycée Chevrollier, Angers). Ces exemples, plus spécialement centrés sur la laïcité, ne sont que cinq cas parmi de nombreuses actions ou projets éducatifs de plus grande ampleur parfois, qui sont menés dans la plupart des lycées (lutte contre les discriminations, contre le harcèlement, enseignement laïque de faits religieux…). Leur réalisation a été conduite avec des points communs qui ont été jugés facilitateurs par les acteurs, aussi bien élèves qu’enseignants et CPE : • L’aspect multi-disciplinaire des travaux conduits en classe et le travail de préparation commun en amont, de CPE ou de professeurs de plusieurs matières, à partir des contenus propres à chaque discipline et des compétences transversales dans toutes les disciplines. • La production et la valorisation de productions des élèves, au-delà de l’espace de la classe. • La réflexion conduite avec les élèves sur les actions et travaux qui permettent la mise en œuvre concrète des notions de respect, de tolérance ainsi que les valeurs de la République. • La responsabilisation effective des élèves dans l’organisation de certains des temps du projet. Texte intégral accessible en ligne : L’éducation à la laïcité « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 45 Références citées Astolfi, J. P. (1992). L’école pour apprendre. Paris : ESF. Baubérot, J. (2000). Histoire de la laïcité en France. Paris : P.U.F « Que-sais-je ? ». Popper, K. R. (1991). La connaissance objective une approche évolutionniste. Trad. fr. Jean-Jacques Rosat. Paris : Flammarion. Schnapper, D. (1991/1996). La France de l’intégration, sociologie de la nation en 1990. Paris : Gallimard, « Bibliothèque des Sciences Humaines » Willaime, J.-P. (2004). Europe et religions. Les enjeux du XXIe siècle. Paris : Fayard. Baubérot, J. (2004). Laïcité, 1905-2005 entre passion et raison. Paris : Seuil. Baubérot, J. (2015). Les 7 laïcités françaises. Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme. Baubérot, J., Wieviorka, M. (dir.). (2005). De la séparation des Eglises et de l’Etat à l’avenir de la laïcité. La Tour-d’Aigues : Editions de l’Aube. Bidar, A. (2012). Pour une pédagogie de la laïcité à l’école. Paris : La Documentation française. Bruner, J. (1991/2015). Car la culture donne forme à l’esprit : de la révolution cognitive à la psychologie culturelle. Paris : Eshel/Retz. Fabre, M. (2011). Éduquer pour un monde problématique, La carte et la boussole. Paris : Vrin. Fabre, M. (2014). Les « Éducations à » : problématisation et prudence. Éducation et socialisation. Les Cahiers du CERFEE, (36). Consulté à l’adresse http://edso. revues.org/875 Fleury, B., & Fabre, M. (2006). La pédagogie sociale : inculcation ou problématisation? L’exemple du développement durable dans l’enseignement agricole français. Recherches en éducation, 1, 67-78 Kintzler, C. (2007/2014). Qu’est-ce que la laïcité ? Paris : Vrin, coll. Chemins philosophiques. Logier, R. (2006). Une laïcité « légitime », La France et ses religions d’État. Paris : Médicis Entrelacs. 46 Lois et circulaires : Loi de 1886 sur la laïcisation du personnel enseignant http://www.senat.fr/evenement/archives/D42/ Loi de 1905 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000508749 Circulaire N°2004-084 Du 18-5-2004 JO du 22-5-2004 Respect de la laïcité Port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics Loi. n° 2005-380 du 23-4-2005. JO du 24-4-2005 : Loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école Loi n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République La charte de la laïcité http://www.education.gouv.fr/cid95865/la-laicite-a-lecole.html Ressources complémentaires : Eduscol : http://eduscol.education.fr/pid33120/enseignement-moral-civique. htm Peña-Ruiz, H. (2003). Qu’est-ce que la laïcité ? Paris : Gallimard, collection Folio actuel. Des suggestions bibliographiques sont également disponibles sur la page « Laïcité » de l’ESPE Académie de Nantes (via les articles en version intégrale), sur le site de l’IPRA (http://ipra.eu/fr/) et de l’IESR (http://www.iesr.ephe.sorbonne. fr/index4026.html) « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA « La laïcité, des repères pour en parler et l’enseigner » - ESPE Académie de Nantes, IPRA 47 Diplôme inter-Universitaire (D.I.U) RELIGIONS & ATHÉISME EN CONTEXTE DE LAÏCITÉ Nouveau DIPLÔME UNIVERSITAIRE DÉLIVRÉ CONJOINTEMENT PAR : L’UNIVERSITÉ DU MAINE ET L’UNIVERSITÉ DE NANTES EN LIEN AVEC L’IPRA, L’INSTITUT DU PLURALISME RELIGIEUX ET DE L’ATHEISME En contexte de laïcité, aucun culte n’est à priori reconnu ou privilégié En de laïcité, cultede n’est à priori ou privilégié par parcontexte l’Etat, mais tous aucun ont droit cité. Cettereconnu situation particulière, récente du point de vue de l’histoire et associée à un mouvement de sécularisation, a parfois conduit les acteurs politiques, économiques et culturels à ignorer les faits religieux comme faits de société en tant que tel. Le DIU «Religions et athéisme en contexte de laïcité», vise à apporter un solide bagage et des outils informatifs, conceptuels et méthodologiques sur le pluralisme religieux. Il met en réseau un panel de spécialistes : chercheurs, enseignants, professionnels de terrain. Il s’agit d’une formation unique dans le grand ouest qui répond à des impératifs sociaux majeurs. PUBLIC VISÉ Ce diplôme s’adresse principalement à Ce diplôme s’adresse principalement à un issu public un public de formation continue, de formation continue, issu des milieux associatifs, des milieux associatifs, du culte, de la du culte, de la fonction publique (enseignement, (enseignement, milieu milieu carcéral, carcéral, territoriale, territoriale,maisons maisons retraites...) dede retraites...) d’administrations et des entreprises. administations et des entreprises. Autour de cette formation l’IPRA fédère une de cette formation l’IPRA vingtaine d’enseignants-chercheurs (historiens, juristes, etc.) et de professionnels de terrain (milieux carcéral, hospitalier, associatifs) Mentions légales *** Édité par la MAIF en juin 2016 200 avenue Salvador Allende - CS 90000 79038 Niort Cedex 9 www.maif.fr Réalisé par l’ESPE Académie de Nantes 23 rue du Recteur-Schmitt - BP 92235 44322 Nantes Cedex 3 Tel : 02 53 59 23 00 Dépôt légal 2016 *** Directeur de publication : Loïc CLAVIER, Directeur de l’ESPE Académie de Nantes Responsable de l’édition des textes : Anne VÉZIER, Maître de conférences en histoire et didactique de l’histoire - ESPE Académie de Nantes Comité de rédaction : Dominique AVON, Olivier BLOND-RZEWUSKI, Philippe BRIAUD, Céline CHAUVIGNÉ, Loïc CLAVIER, Anne-Raymonde DE BEAUDRAP, Sylvain DOUSSOT, Michel FABRE, Silvio FERRARI, Catherine GAY-BOISSON, Christophe GUETTIER, Fatima HOUACHOUR, Bruno LEBOUVIER, Arnauld LECLERC, Denise ORANGE RAVACHOL, Jacek RZEWUSKI, Jean-Philippe SCHREIBER, Haoues SENIGUER, John TOLAN, Carole VOISIN Maquette et mise en page : Sandra OLIVIER, Fanny THORBECKE Illustration : Fotolia Remerciements : Muriel BLACHERE, Françoise LAGACHE, Fabienne MENARD E E DE L’ACADÉMIE DE NANTES 23 rue du Recteur-Schmitt BP 92235 44322 Nantes Cedex 3 02 53 59 23 00 www.espe.univ-nantes.fr ESPE de l'Académie de Nantes @ESPE_Nantes