Récit

Le constat selon lequel la relation entre la littérature et la politique est particulièrement complexe notamment dans le cas des sociétés postcoloniales africaines est d’une grande banalité, au moins depuis un quart de siècle. De nombreux chercheurs se sont penchés à travers le temps sur les imbrications moult variées entre la politique et la littérature, en approchant le sujet d’une manière mono-, multi- ou même transdisciplinaire. Qui plus est, d’aucuns ont remarqué le caractère mutuellement constitutif du champ littéraire et du champ politique en Afrique : les littératures africaines ont vu le jour autour du moment des indépendances et, dans une première phase, ont nourri, accompagné, stimulé et même exalté la constitution des nouveaux Etats-nations. Inversement, préoccupés de donner un contenu identitaire-culturel à leurs entités nationales – qui étaient, dans la plupart des cas, multiethniques et multiconfessionnelles – les « pères-fondateurs » ont encouragé le développement des littératures qu’ils voulaient « nationales », voire même « patriotiques », mais qui ultérieurement ont souvent été plutôt critiques par rapport aux régimes installés dans les pays respectifs. De toute façon, quelque fut leur attitude à l’égard des réalités postcoloniales et des nouvelles élites dirigeantes, les écrivains et les poètes africains ont trouvé dans la sphère du politique non pas seulement leurs sujets d’inspiration, mais aussi leurs objets privilégiés de travail littéraire.
Dans la pléiade des thématiques politiques abordés par les écrivains africains, les conflits – omniprésents sur le continent noir depuis les indépendances des années 1950-1960 – occupent une place importante. D’abord parce que la plupart des pays africains ont été et sont encore déchirés par des conflits parfois particulièrement longs et sanglants, des conflits qui ont eu un profond impact social et auxquels les élites intellectuelles, dont les écrivains, ont difficilement pu échapper par d’autres moyens que l’exile interne ou, plus souvent, extérieur.  Et puis, parce que, certes, par leur nature spectaculaire, les conflits ont toujours été des sujets captivants, susceptibles d’attiser l’imaginaire et le talent littéraire et d’intéresser une vaste plage de lecteurs appartenant à des milieux culturels et sociaux différents.

Si les raisons pour lesquels les conflits africains se prêtent à être racontés ont abondamment été cernées, la nature ontologiquement ambigüe de la relation entre le récit du conflit et le conflit raconté a été moins problématisée. Il convient de se pencher sur celle-ci avant de passer à l’exploration des contributions rassemblées dans le volume collectif présent justement parce que l’une de nos ambitions a été d’apporter une série de clarifications conceptuelles à travers nos études de cas afin d’illustrer la tension inhérente qui marque toute ambition de séparer étanchement conte et action, récit et réalité, imaginaire et réel.

Une « relation » de la peste de 1720-1722 est conservée dans le « Cérémonial » des consuls de Montpellier. Cette insertion peut paraître surprenante au regard de la plupart des textes contenus dans le registre, d’autant que l’épidémie a épargné la ville. La mise par écrit et en archive de ce récit consulaire sert essentiellement à trois choses. D’une part, cette « relation » permet de conserver la mémoire des mesures sanitaires prises durant l’épisode de peste en prévision d’un possible retour de l’épidémie. D’autre part, le récit permet d’enregistrer la distribution des rôles entre la Municipalité et le Gouverneur dans la lutte contre l’épidémie, attribuant à l’autorité seule du second les décisions les plus restrictives et notamment la fermeture de la ville. Enfin, ce texte manuscrit tient lieu de pré-écriture de l’histoire de la lutte contre la survenue de la peste à Montpellier, la plupart de ses éléments étant notamment repris par Charles d’Aigrefeuille dans son l’Histoire de la ville de Montpellier dont elle constitue la principale source. Nous publions intégralement ici le texte extrait du Cérémonial.

Cet ouvrage collectif présente les résultats d’une enquête internationale menée auprès d’environ 7 000 élèves âgés de 11 à 19 ans, à qui il a été demandé de raconter l’histoire nationale. Des élèves français, suisses, catalans, allemands ont répondu à un questionnaire et raconté librement « leur » histoire nationale.

Contre les idées reçues d’un manque de connaissances historiques et de l’absence de tout récit commun, l’enquête dévoile des formes de narration, des organisateurs du récit et des contenus partagés, une véritable trame commune. L’analyse de ces formes et contenus précise leurs points forts, mais aussi les absences ou les spécificités nationales, et montre comment les savoirs scolaires coexistent avec d’autres sources de connaissances.

Sont étudiées en particulier les places respectives et les fonctions du politique, de la religion, de la guerre, dans ces récits qui témoignent d’un imaginaire national. Un effet « territorial » est enfin mis en valeur, à la fois moins important que prévu en France et
significatif à l’échelle des pays.

Sensibles au contexte, ces récits sont la manifestation juvénile d’une conscience historique en formation, qui s’exprime selon des formes inédites.

Françoise Lantheaume est professeur des universités en sciences de l’éducation à l’Université Lumière Lyon 2 et directrice du laboratoire Éducation, cultures, politiques. Elle étudie l’enseignement de questions scientifiquement et politiquement controversées (colonisation, religions) et le processus de traduction des réformes éducatives jusqu’à la classe.

Jocelyn Létourneau est chercheur au CELAT et professeur d’histoire à l’Université Laval, à Québec. Membre de la Société royale du Canada, il a été boursier de l’Institute for Advanced Study (Princeton), boursier Fulbright à UC-Berkeley, boursier du Collegium de Lyon et chercheur invité à l’Institut d’éducation de University College London. Ses travaux portent sur la conscience historique des jeunes et sur les rapports entre histoire, mémoire et identité.

Cette article a pour but l’examen du rôle des récits organisationnels pour la promotion de l’engagement. La perspective herméneutique (Ricoeur, 1983;1986) est mise en place en visant la compréhension des récits organisationnels, sa capacité d’argumentation et de mobilisation à l’action. Cherchant à répondre à la problématique proposée nous avons mobilisé différentes études, notamment la narratologie (Todorov, 1969 ; Brémond, 1973 ; Adam, 1985), la perspective narrative des organisations (D’Almeida, 2001), la théorie du texte (Barthes, 1974), la théorie de l’action (Parsons, 1978) et la théorie des actes de langage (Austin, 1962; Searle, 1969). L’investigation est focalisée sur la fonction argumentative et la capacité mobilisatrice des récits, focalisée sur l’étude des plaquettes produites et diffusées par la Fondation Cité Internationale Universitaire de Paris (CIUP) afin d’observer la promotion de l’engagement entrainé par la construction de récits visant le soutien mécène.

A partir de la perspective féministe du care, cet article propose une analyse mettant en regard la façon dont les approches littéraire et ethnographique parviennent à représenter la position subalterne de la travailleuse du care et la relation de care entre l’employée et l’employeuse domestique. Le travail de la littérature est étudié à partir du roman La Porte de Magda Szabò. Dans cet ouvrage, le déclenchement de l’histoire est la volonté de la part de l’écrivaine de réparer sa trahison envers l’employée domestique Emerenc. Cette réparation consiste pour Szabò dans l’écriture du récit de l’histoire de la vie d’Emerenc, qui devient ainsi visible. On se demande ensuite si cette réparation passe à travers une héroïsation du personnage de la travailleuse. Dans les romans de care les femmes care-givers occupent la scène principale: elles sont des héroïnes, non pas dans le sens de l'héroïsme universel masculin, mais de celui qui émerge des récits de care au prisme du genre. L’approche ethnographique est considérée à partir du livre de Caroline Ibos Qui gardera nos enfants? Cette enquête de terrain sur les relations entre nounous ivoiriennes et employeuses, en région parisienne laisse une large place aux paroles des nounous. Elle montre comment l’invisibilisation de la travailleuse du care répond à la nécessité pour l’employeuse de garder intact l’ordre symbolique de son appartement en dépit du passage quotidien de la femme étrangère.