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Noémie Villacèque
  • Reims, Champagne-Ardenne, France
Au livre III des Lois, Platon fustige le comportement du public au théâtre, en regrettant que le « domaine des Muses » ne constitue plus le pré carré de l’élite aristocratique. Or, pour le philosophe,... more
Au livre  III  des  Lois,  Platon  fustige  le  comportement  du  public  au  théâtre,  en  regrettant  que  le  «  domaine  des  Muses  »  ne  constitue  plus  le  pré  carré  de  l’élite  aristocratique.  Or,  pour  le  philosophe,  cette intolérable « théâtrocratie » n’est pas la conséquence du régime démocra-tique que connaissait alors Athènes, bien au contraire : elle en est la cause. La démocratie trouverait ainsi ses origines au théâtre, où une populace inculte s’arroge le droit de porter, à grand bruit, des jugements esthétiques. Platon théorise là un lieu commun qui s’est développé dans les dernières décennies du ve siècle et qui a la vie dure. Le préjugé selon lequel la théâtralité est le signe d’une dégradation de la vie publique, réduite ainsi à de la « politique-spectacle », a encore de nos jours la force de l’évidence. Or le spectacle n’est-il pas une nécessité de la pratique du pouvoir ? Plus précisément, le théâtre ne permet-il pas de répondre aux exigences de ritualisation, de communauté et de publicité qui sont celles de la délibération démocratique ? C’est dans une perspective diachronique et pluridisciplinaire que ce volume interroge le statut et les enjeux de la théâtralité dans les pratiques délibératives en démocratie, de l’Athènes du viie siècle avant notre ère à l’Inde du xxie siècle.
Que cherche un auteur qui, tel Stésichore, Callimaque ou Tertullien, choisit d’inclure le destinataire dans son œuvre ? Cette journée d’études, qui a réuni des jeunes chercheurs français et italiens, a été articulée autour de trois axes.... more
Que cherche un auteur qui, tel Stésichore, Callimaque ou Tertullien, choisit d’inclure le destinataire dans son œuvre ? Cette journée d’études, qui a réuni des jeunes chercheurs français et italiens, a été articulée autour de trois axes. Dans un premier temps, nous avons tenté d’identifier les traces de la présence du public dans l’œuvre et nous nous sommes interrogés sur les procédés et stratégies déployés par l’auteur pour la rendre sensible. On s’est ensuite posé la question de la finalité du procédé : inclure le public dans l’œuvre n’est-ce pas, pour l’auteur, une stratégie pour entraîner son adhésion, politique ou esthétique ? D’un autre côté, comment un public interprète-t-il et s’approprie-t-il l’œuvre, comment construit-il, dans un dialogue avec celle-ci, une image de lui-même ? Enfin, on s’est interrogé sur la portée historique, anthropologique et sociologique du phénomène. Chaque destinataire, voulu ou non par l’auteur, chaque public, chaque époque réactualise le sens de l’œuvre, selon ses aspirations et son « horizon d’attente ». Ce constat, qui relève de l’évidence, apparaît doublement pertinent pour l’historien ; non seulement parce qu’il est amené à s’interroger sur la portée des œuvres qui forment son corpus, mais aussi parce que, du moins en partie, l’époque, les opinions ou les engagements de l’historien donnent de la cohérence à sa lecture du passé.
Research Interests:
Avec la loi de Périclès de 451/450 et la soudaine apparition de la matrilinéarité dans le droit athénien, les femmes acquirent une place importante dans la vie civique. À l’assemblée comme dans les tribunaux, un des procédés pour... more
Avec la loi de Périclès de 451/450 et la soudaine apparition de la matrilinéarité dans le droit athénien, les femmes acquirent une place importante dans la vie civique. À l’assemblée comme dans les tribunaux, un des procédés pour combattre un adversaire fut désormais de s’en prendre à sa mère. L’étude du corpus des orateurs permet de distinguer trois types d’injures la concernant : la mère étrangère, la mère prostituée et la mère indigente. Ces injures, qui semblent trouver leur source dans le psogos comique, devinrent pour ceux qui en étaient la cible des éléments à charge qu’ils se devaient de réfuter. En effet, mettre en doute la naissance, les mœurs et/ou le statut social de la mère revenait à contester la citoyenneté de son fils, l’exclure du dèmos et le priver de toute crédibilité, voire de son droit à la parole.


As a consequence of Pericles’ citizenship law of 451/450, and the sudden arrival of matrilineality in Athenian law, women gained an important role in Athenian civic life. Henceforth, in the Assembly or in the law courts, one of the simplest methods for dealing with an adversary was to insult his mother. Study of the rhetorical corpus allows three kinds of insults, targeting the adversary’s mother, to be distinguished: she could be described as a foreigner, a prostitute or a pauper. Seemingly derived from the comic psogos, abusive rhetoric became a major issue for litigants and something which had to be refuted, since casting doubt on the mother’s birth, morality and/or social status amounted to contesting the son’s citizenship, excluding him from the demos, depriving him of any credibility and even of his parrhesia.
Dans la tragédie athénienne, dès lors qu’il appartient au monde divin, le luxe est symbole de félicité. Entre les mains des hommes, en revanche, les objets de valeur semblent se charger d’une puissance maléfique. Non seulement l’objet... more
Dans la tragédie athénienne, dès lors qu’il appartient au monde divin, le luxe est symbole de félicité. Entre les mains des hommes, en revanche, les objets de valeur semblent se charger d’une puissance maléfique. Non seulement l’objet précieux constitue un piège facile, mais en outre il est parfois utilisé pour (se) donner la mort ou, tout au moins (se) mutiler. Une telle stigmatisation du luxe peut s’expliquer par le fait qu’il était associé au monde oriental, barbare, mais également par l’idéologie de la cité démocratique. Ainsi, loin d’apporter une réponse univoque à la question de la richesse, le théâtre en reproduit l’ambivalence au sein de son propre système énonciatif : ce que le logos tragique rejette – l’étalage provocateur du luxe – est nécessaire au théâtre en tant qu’institution, puisque c’est en grande partie de la générosité du chorège que dépendait le sort de la pièce au concours. Les spectateurs attendaient du spectacle qu’il soit conçu comme un objet précieux, tout en se méfiant de tout objet précieux impliqué dans la fiction.
L’image d’un peuple stupide qui se laisse berner par les démagogues et celle d’un peuple tapageur sont deux des multiples facettes de la critique de la démocratie athénienne telle que ses adversaires l’exprimaient à la fin du Ve siècle... more
L’image d’un peuple stupide qui se laisse berner par les démagogues et celle d’un peuple tapageur sont deux des multiples facettes de la critique de la démocratie athénienne telle que ses adversaires l’exprimaient à la fin du Ve siècle avant J.-C. S’il y a, en apparence, contradiction entre ces deux images, toutes deux s’articulent autour de la question de la théâtralisation de la politique. Cette dernière gêne les adversaires du régime athénien, car ils sont bien conscients de ce que le théâtre est une stratégie de partage du savoir.
During the Persian wars, poikilia refers to the gaudy fabrics worn by the Persians ; however, these were not rejected by the Athenian society, since, among the elite’s imported oriental luxury goods, were the heavily embroidered garments... more
During the Persian wars, poikilia refers to the gaudy fabrics worn by the Persians ; however, these were not rejected by the Athenian society, since, among the elite’s imported oriental luxury goods, were the heavily embroidered garments they had adopted. Their democratization at the end of 5th c. BC was more concerned with civic imagination than reality. If poikilia in the next century became progressively conceptualized, referring mainly to the idea of « variety » from then on, however, it remained for the elite a means of social recognition.

La notion de poikilia renvoie, à l’époque des guerres médiques, aux étoffes bariolées des Perses ; elle n’est cependant pas rejetée par la société athénienne, car, entre autres produits de luxe orientaux, l’élite importe ces vêtements chamarrés et s’en approprie l’esthétique. Leur démocratisation, à la fin du Ve siècle avant J.-C., relève davantage de l’imaginaire civique que de la réalité. Et si, au siècle suivant, la poikilia se conceptualise progressivement, renvoyant désormais surtout à la notion de « variété », elle demeure, pour l’élite, un mode de reconnaissance sociale.
Le topos de la démocratie athénienne comme spectacle invite à revenir sur une conception dialogique de la délibération et à envisager, pour les citoyens athéniens, d’autres façons de participer aux débats et à la prise de décision qui... more
Le topos de la démocratie athénienne comme spectacle invite à revenir sur une conception dialogique de la délibération et à envisager, pour les citoyens athéniens, d’autres façons de participer aux débats et à la prise de décision qui s’en suit. En effet, si ce sont en général les membres de l’élite qui prennent la parole à l’Assemblée, si donc ils sont un petit nombre à exercer leur droit de parole, le pouvoir de décision revient, de fait, à la masse des citoyens qui participent nombreux aux assemblées politiques et judiciaires, en dépit de conditions matérielles bien souvent difficiles. Quand les détracteurs du régime athénien qualifient le dèmos de spectateur, lui reprochant de confondre la Pnyx et le théâtre de Dionysos, ce n’est pas pour l’accuser d’apathie, mais bien au contraire pour déplorer qu’il soit toujours en position de délibération – non pas une délibération dialogique, qui serait fondée sur un échange calme et raisonné d’arguments, mais une délibération bruyante et tumultueuse.
This paper deals with Plato’s use of poikilos and cognates to describe democracy. It does not argue that Plato’s Republic contains empirical analyses of some contemporary event, but supposes that an historical reading of the book is... more
This paper deals with Plato’s use of poikilos and cognates to describe democracy. It does not argue that Plato’s Republic contains empirical analyses of some contemporary event, but supposes that an historical reading of the book is possible and legitimate. Post Peloponnesian War Athenian society experienced profound socio-economic changes. Echoing the aristocratic élite’s circumspect anxiety when faced with the nouveaux riches, Plato clearly regards obsessive greediness as one of the root causes of the corruption of any political system. Referring to democracy, the philosopher invents the himation poikilon or ‘embroidered coat of many colours’ metaphor. By materializing the multifaceted concept of poikilia, this metaphor gives a single and palpable form to the principal topoi of anti-democratic rhetoric: the himation poikilon evokes the motley constitution of the Athenian regime, the tyrant’s ostentatious opulence, aped by the demos turannos, the inconstancy of the demos, the deceitful character of democracy and, last but not least, its penchant for spectacles.

Au lendemain de la guerre du Péloponnèse, la société athénienne est marquée par d’importants bouleversements économiques. Se faisant l’écho des craintes suscitées au sein de l’aristocratie athénienne par l’ascension fulgurante de nouveaux riches, Platon place l’obsession de la richesse parmi les causes de la corruption des systèmes politiques considérés au Livre VIII de la République. Évoquant la démocratie, le philosophe y développe notamment la métaphore du « manteau bigarré », le luxueux himation poikilon. La notion de poikilia lui permet de convoquer simultanément les principaux topoi de la rhétorique anti-démocratique et de les cristalliser en une seule image. En effet, la métaphore développée par Platon est polysémique : l’himation poikilon évoque tout à la fois la bigarrure constitutionnelle du régime athénien, le luxe ostentatoire du tyran, l’inconstance du dèmos, le caractère trompeur de la démocratie et, enfin, son aspect spectaculaire.
On admet généralement que, contrairement à la comédie ancienne, la tragédie grecque ignorait son public qui, de son côté, restait calme et silencieux. L’étude des textes montre pourtant que les poètes tragiques intégraient physiquement le... more
On admet généralement que, contrairement à la comédie ancienne, la tragédie grecque ignorait son public qui, de son côté, restait calme et silencieux. L’étude des textes montre pourtant que les poètes tragiques intégraient physiquement le public à l’action, créant ainsi entre l’orchestra et les gradins, mais aussi entre les spectateurs eux-mêmes, une cohésion comparable à celle créée par la comédie. Ces adresses au public – certes, indirectes – sont bien souvent des invitations à regarder ce qui se passe : elles permettent d’attirer l’attention des spectateurs, voire, et cela est particulièrement sensible dans le Prométhée enchaîné d’Eschyle, d’insister sur la souffrance. Le héros tragique a besoin des théatai pour exister.
Le messager tragique est bien plus qu’une simple convention théâtrale. Bien qu’il soit le plus souvent de condition servile et/ou de sexe féminin, ce personnage est, à bien des égards, proche du citoyen-spectateur qui assiste à la... more
Le messager tragique est bien plus qu’une simple convention théâtrale. Bien qu’il soit le plus souvent de condition servile et/ou de sexe féminin, ce personnage est, à bien des égards, proche du citoyen-spectateur qui assiste à la représentation. En effet, le messager est défini et se définit lui-même comme un théatès : il assiste à une scène qu’il va ensuite raconter et donner à voir aux autres personnages et au public, qui n’étaient pas présents sur les lieux de ce drame en marge du drame. Or ce théatès est aussi un politès : le messager, malgré son humble naissance, prend librement la parole ; la parrhèsia dont il fait preuve tend même vers l’isègoria dont jouit idéalement tout citoyen athénien. Et en temps que citoyen, il s’adresse au dèmos massé sur les gradins du théâtre et l’incite à la participation : en donnant à voir les faits et gestes des nobles, il permet au dèmos de porter un regard sur ce pouvoir, de le juger et, par conséquent, de le contrôler. En effet, les spectateurs ne peuvent regarder passivement la tragédie, le messager leur rappelle leur qualité de citoyens : il est l’agent qui permet de transformer le spectacle en délibération.