Saint Nicolas Velimirovitch. Homélies Sur Les Evangiles Des Dimanches Et Jours de Fete
Saint Nicolas Velimirovitch. Homélies Sur Les Evangiles Des Dimanches Et Jours de Fete
Saint Nicolas Velimirovitch. Homélies Sur Les Evangiles Des Dimanches Et Jours de Fete
H O M é L ie S
SUR L e s é V X N G IL G S
D e s D IM X N C H 6 S
6 T JOURS D e F ê x e
G R A N D S S P IR IT U G L S O R T H O D O X G S
D U X X e S lè C L G
L’AGE D ’HOMME
IN T R O D U C T IO N
1. Lorsqu’un dimanche est sauté, nous avons indiqué en note où se trouve par ailleurs le
commentaire de la péricope évangélique qui s’y rapporte.
8 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
nous avons replacé ces homélies parmi les autres de manière à respecter
l’ordre chronologique global de l’année liturgique, ce qui facilite aussi une
lecture continue.
La nature de l’exégèse
L’exégèse de M gr Nicolas combine harm onieusem ent le type antio-
chien (privilégiant le sens littéral ou historique) et le type alexandrin
(privilégiant le sens allégorique ou symbolique) que distinguent les
spécialistes.
1) D ’une part, il s’attache beaucoup à la littéralité du texte, à sa forme
(il y a beaucoup de remarques linguistiques), à son contenu historique, au
contexte social et religieux, à la psychologie des acteurs.
M gr Nicolas fait presque toujours une lecture synoptique, c’est-à-
dire que dans son commentaire d ’un évangile, il tient compte de ce que
disent sur le même sujet les évangiles parallèles, souvent pour enrichir
son commentaire, parfois pour justifier les différences qui existent entre
les récits. Par exemple, dans la 3e homélie pour la fête de la Nativité où il
commente M t 2,1-12, M gr Nicolas note : « Luc évoque l’empereur romain
Auguste et les bergers de Bethléem, tandis que M atthieu ne mentionne
ni l’un ni les autres. E n outre M atthieu cite Hérode, le roi de Judée, et des
mages venus d ’O rient, alors que Luc ne les évoque pas. Q u ’est-ce que cela
signifie ? N ’y a-t-il pas une insuffisance, une imperfection ? N on, car il
s’agit de la plénitude de deux sources, qui s’additionnent et se complètent. »
Dans l’homélie pour le 2e dimanche après Pâques, il m ontre comm ent
les évangélistes attribuent à Joseph d ’Arim athie des qualités différentes,
mais com m ent celles-ci se com plètent pour dresser son portrait. Dans
l’homélie pour le dimanche avant la Théophanie, il constate que les quatre
évangiles comm encent différem m ent: «L’é vangéliste Jean commence
par l’é ternité, M atthieu par Abraham, Luc par la naissance terrestre du
Sauveur et M arc par le baptême dans le Jourdain.» Il se demande alors:
10 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
pas signifie : ne vole pas l’âme au profit du corps ; ne t ’épargne aucun souci
ni effort que tu dois consacrer à ton âme, et n’en fais pas don au corps.
Celui qui est riche en surface devient habituellement pauvre à l’intérieur.
E t d’habitude - mais pas toujours - toute la richesse de l’hom m e extérieur
correspond à un vol commis au dépens de l’hom me intérieur : un corps qui
a grossi correspond à une âme amaigrie ; des parures corporelles fastueuses
correspondent à une nudité spirituelle ; l’éclat extérieur à l’obscurité inté
rieure; la force extérieure à l’impuissance intérieure. Tu ne porteras pas de
faux témoignage signifie : ne justifie en rien ton amour pour les richesses
.et la négligence de ton âme, car cela consiste à inverser la vérité divine et
faire un faux témoignage devant D ieu et ta conscience. Honore ton père et
ta mère signifie : ne rends pas seulement hommage à toi-mêm e, car cela
te perdra; honore ton père et ta mère, par qui tu es venu au monde, afin
d’apprendre ainsi à honorer Dieu, grâce à qui tes parents et toi êtes venus
au monde. Tu aimeras ton prochain comme toi-même signifie : dans ce cours
élémentaire d’entraînem ent au bien [où nous sommes présentement], il te
faut apprendre à aimer ton prochain, afin de t ’élever au niveau où l’o n est
en mesure d’aimer Dieu. Aime ton prochain, car cet amour te préservera
de l’amour-propre qui peut te faire périr. Aime les autres hommes comme
toi-même, afin de te soumettre, t ’abaisser et te m ettre au niveau des autres
hommes à tes propres yeux. Faute de quoi l’orgueil qui découle de la
richesse, prédominera en toi et te précipitera en enfer6.»
O n peut encore citer comme exemple caractéristique de l’exégèse
allégorique de M gr Nicolas, son commentaire de la parabole du bon
samaritain : « Le f a it de bander les plaies correspond au contact direct du
Christ avec le genre hum ain malade. Par Sa bouche très pure, Il parlait
aux hommes à l’oreille, par Ses mains très pures II a effleuré des yeux
morts, des oreilles sourdes, des corps envahis par la lèpre, des cadavres.
C ’est avec un onguent qu’on panse les plaies. Le Seigneur Lui-m êm e est
cet onguent pour l’hum anité pécheresse. Il s’est Lui-m êm e proposé pour
panser les plaies de l’hum anité. L ’h uile et le vin symbolisent la miséri
corde et la vérité. [...] D e même que l’huile adoucit la blessure du corps,
de même la miséricorde divine adoucit l’âme tourm entée et aigrie des
hommes ; de même que le vin semble aigre mais réchauffe les entrailles,
de même la vérité et la justice de D ieu paraissent aigres à l’âme pécheresse,
mais une fois plongées en elle, elles la réchauffent et la rendent plus forte.
Remerciements
Au temps que l’on m ettra à lire l’ensemble de ces homélies, on mesurera
tout le temps et le travail que Lioubom ir M ihailovitch a consacrés à les
traduire. Com m e d ’habitude, sa traduction est fidèle, limpide, élégante, et
sait restituer, autant qu’il est possible, la qualité du style original.
Q u ’il soit remercié, ainsi que son épouse qui l’a assisté dans la mise en
forme, pour cette nouvelle et grande contribution à la collection « Grands
spirituels orthodoxes du xxe siècle ».
Jean-C laude Larchet
plus joyeuse pour les cœurs purs et l’événement le plus incroyable pour
les cœurs impurs.
Une colonne de feu dans les ténèbres les plus opaques, telle est la
descente de D ieu parmi les hommes. L’histoire de cette descente de Dieu
parm i les hom mes commence avec un ange et une jeune fille, avec ‘un
dialogue entre la pureté céleste et la pureté terrestre.
Q uand un cœur im pur parle à un cœur impur, c’est la guerre. Q uand
un cœur im pur parle à un cœur pur, c’e st aussi la guerre. Ce n’est que
quand un cœur pur parle à un cœur pur qu’il y a joie, paix et miracle.
L’archange Gabriel fut le prem ier à annoncer le salut du genre humain,
ou le miracle de D ieu ; car le salut de l’hom me n’existerait pas sans miracle
de Dieu. La Très Pure Vierge M arie fut la première à entendre cette
annonce, elle fut le prem ier être hum ain à tressaillir de crainte et de joie.
E n son cœur pur le ciel se refléta, comme le soleil dans l’eau pure ; c’est en
son sein que m it Sa tête et prit corps le Seigneur, Créateur du nouveau
m onde et Rénovateur de l’ancien.
C ’est de cela que parle l’évangile de ce jour.
Quelque temps après, sa fem m e Elisabeth conçut, et elle se tenait cachée
cinq mois durant. « Voilà donc, disait-elle, ce qua f a it pour moi le Seigneur,
au temps où il L ui a plu d ’enlever mon opprobre parm i les hommes/»
(Le 1, 23-25). Q uel était ce tem ps? C ’é tait celui qui précédait le grand
jour de la Nativité du Seigneur Jésus. Q uand s’accompÜrent toutes les
grandes prophéties, quand survint le terme, prophétisé par Daniel, quand
disparurent les princes de la lignée de Juda, quand l’impuissant genre
hum ain soupirait conjointem ent avec l’impuissante nature qui l’e ntourait,
dans l’attente du salut non plus de l’hom me ni de la nature mais du
D ieu unique, que conçut Elisabeth, femme de Zacharie. M ais qu’est-ce
qu’Élisabeth, femme de Zacharie et stérile, a de comm un avec le salut
du genre hum ain ? Ce quelle a de commun est le fait quelle va enfanter
le Précurseur du Sauveur qui, tel un soldat, ira en avant et annoncera la
venue de son général. La vieille femme stérile ne pouvait enfanter que
le messager du salut, non le Sauveur Lui-m êm e. Elle est l’image fidèle
de l’ancien m onde, vieilli et stérile, sans engeance ni fruit, affamé et
assoiffé, image d ’un monde desséché, qui aurait pu, tel un arbre trop vieux
et sec, reverdir à la suite d ’un miracle et annoncer le printem ps, mais
aucunem ent donner des fruits.
E n ce temps-là, comme à toute époque, une femme stérile éprouvait
un sentim ent de honte devant Dieu, les hom mes et elle-même. A quoi
HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE L ’A NNONCIATION 19
bon se marier, si les époux n’o nt pas d ’e nfants ? Si le paradis peut, pour les
couples sans enfants, devenir un lieu de tentation et de déchéance, il en
est a fortiori ainsi avec la terre. Les couples stériles sont surtout rongés
par la honte que chacun éprouve devant l’autre. Ils ont l’impression, l’un
devant l’autre, d ’être des figuiers mûrs sans fruits, et au fond de leur âme,
craintivement et indiciblement, ils ressentent comme une malédiction sur
eux-mêmes. Ce qui est le plus amer - et il en est ainsi de nos jours - , c’e st
qu’ils se soupçonnent m utuellement de luxure et d’impureté, surtout s’ils
ne reconnaissent pas D ieu et ne sentent pas le doigt de D ieu sur eux-
mêmes. C ’est pourquoi les mariages sans enfants ont souvent une durée
brève et un bonheur encore plus bref. E n effet, rien au monde ne déçoit
les gens plus que le souhait infructueux, sinon le souhait exaucé et plus
qu’exaucé : le prem ier com m andem ent de Dieu : Soyez féconds, multipliez
(G n 1, 22.28), pèse comme une m ontagne au-dessus des époux stériles,
même s’ils ne le savent pas. M ais s’ils ne le savent pas de façon rationnelle
par l’e nseignement, ils doivent le savoir par le cœur, par le sentiment, car il
est gravé tel un sceau impossible à effacer dans l’âme de tous les hommes,
comme tous les comm andem ents fondamentaux de Dieu. Le chagrin des
époux sans enfants est suffisamment connu à partir de l’Ecriture Sainte
comme étant l’expérience quotidienne de tous les peuples et de tous les
temps.
O r par miracle, en ces temps prodigieux, Élisabeth fut enceinte
dans ses vieux jours. C om m ent cela fut-il possible? se dem andent ceux
qui évoluent avec leurs sens à la surface des choses comme sur la glace
au-dessus d’un lac, remplis de force et de vie. Ceux qui ressentent avec
leur âme et reconnaissent en paroles que ce m onde ne peut être sauvé
autrem ent que par le miracle de Dieu, ont l’habitude, quand un miracle
de Dieu se produit, de hocher la tête et de nier le miracle en se dem andant
comm ent cela est possible. Si le D ieu vivant et tout-puissant n’existait
pas, rien ne pourrait être ni exister, rien ne pourrait se produire. Aucune
femme fertile ou stérile ne pourrait enfanter. M ais dès lors que le Dieu
vivant et tout-puissant existe, tout est possible, et cela d ’autant plus que
Dieu n’est pas lié par les lois de la nature, qu’il a données non pour se
lier Lui-m êm e mais pour lier les autres, non pour lim iter Sa puissance
mais pour rendre indispensable Sa miséricorde. D e même qu’un outil que
l’hom me a fabriqué de ses mains ne limite pas la liberté de l’hom m e de
faire ceci ou cela, avec cet outil ou sans lui, de même le m onde créé par
Dieu avec Son ordre et Ses lois, ne lim ite pas la liberté de D ieu de faire
20 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
genre hum ain : Prophète, Précurseur et Baptiste. Elle ne connaît pas non
plus les profondes orientations de D ieu, calculées jusqu’à la fin des temps,
ni ne perçoit com m ent D ieu accomplit Ses desseins sans bruit à travers
Ses serviteurs et servantes, sans bruit ni précipitation, mais aussi sans
obstacles ni ralentissement. Elle ne connait qu’une seule raison, modeste
et touchante, des bonnes intentions de D ieu à son égard: le Seigneur
a agi ainsi à mon égard, se dit-elle, pour enlever mon opprobre parmi les
hommes (Le 1, 25). Elle interprète le miracle de D ieu comme un signe
de la miséricorde divine à son égard. Cela est juste, mais n’est pas tout. Si
elle avait interprété ce miracle comme un signe de la miséricorde divine
à l’égard de l’e nsemble du m onde ancien, qui était stérile, elle aurait tout
dit. Avec ce miracle, D ieu préparait un miracle encore plus grand, avec
lequel II voulait enlever devant les anges l’o pprobre de l’e nsemble du
genre hum ain stérile.
Le sixième mois, l ’ange Gabriel f u t envoyé par Dieu dans une ville de
Galilée, du nom de Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de
Joseph, de la maison de David, et le nom de la vierge était M arie (Le 1, 26).
Ici, on songe au sixième mois de grossesse d ’Elisabeth ou au sixième mois
de la conception de Jean le Précurseur. Pourquoi précisém ent au sixième
mois? Pourquoi pas au troisième, au cinquième ou au septième? Parce
que la création de l’hom m e a eu lieu le sixième jour, après que toute la
nature eut été créée. Le C hrist est le Rénovateur de toutes choses. Il vient
comme le nouveau Sauveur et comme l’H om m e nouveau. E n Lui, tout
est nouveau. Au cours de cette nouvelle création, Jean est le précurseur
du C hrist à peu près comme, lors de la première création divine, toute la
nature faisait office de précurseur à l’ancien Adam. Jean représente devant
le C hrist Seigneur toute la création terrestre apparaissant ensemble avec
l’homme ancien, se repentant en lui. A u nom du genre hum ain, il se
présentera devant le Seigneur en repenti et en prêcheur du repentir. En
outre, ce sixième mois où le tout petit Jean tressaille dans le sein de sa
mère, correspond à la sixième période chronologique au cours de laquelle
le Sauveur naquit, ainsi qu’au sixième sceau évoqué dans l’Apocalypse de
Jean (Ap 6,12).
Le sixième mois, donc, l ’ange Gabrielfut envoyé. D ans le grand drame
de la première création, les anges apparaissent à la prem ière place : A u
commencement, Dieu créa le ciel et la terre (G n 1, 1). Com m e ciel, on
entend les anges dans tous les échelons de la hiérarchie céleste. E t voilà
qu’au tout début du grand drame de la nouvelle création apparaissent de
22 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
de ce m onde ni de ses partis pris. Aussi est-ce une jeune fille, pure et
très pure, parfaitem ent dévouée au D ieu seul et détachée en son cœur
de ce monde. Une telle jeune fille a poussé charnellement au sein de ce
monde corrompu comme un lys sur du fumier, sans avoir été touchée par
la corruption du monde.
C ette jeune fille élue était fiancée à Joseph, apparentée à sa famille.
Pourquoi était-elle fiancée ? Le dessein de D ieu était de la préserver des
moqueries des démons et des hommes. Si elle n’avait pas été fiancée, puis
avait enfanté, qui parm i les hommes aurait pu croire que son Fils était né
légitime ? E t quel m agistrat terrestre l’aurait alors protégée de la rigueur
de la loi ? Le dessein de Dieu n’é tait pas de m ettre dans la détresse celle
qu’il avait élue ni de susciter des tentations chez les hom m es ; Il fit donc
en sorte de dissimuler la Vierge et son enfantem ent sous le couvert de ses
fiançailles avec Joseph.
Pourquoi cet hom m e s’appelle-t-il précisément Joseph ? Pour rappeler
la mémoire du merveilleux et très sage Joseph, qui avait préservé sa pureté
charnelle et spirituelle dans l’Égypte terriblem ent débauchée, et pour
faciliter ainsi aux fidèles la prise de conscience que le fruit des entrailles
de la M ère de D ieu est véritablement issu du Saint-E sprit et non de la
passion d ’un hom m e terrestre.
L ’ange entra et lui dit: «Réjouis-toi, comblée de grâce! Le Seigneur est
avec toi, tu es bénie entre toutes lesfemmes» (Le 1,28). La nouvelle création
est une joie pour D ieu et les hom m es ; c’e st pourquoi elle commence
avec l’annonce : réjouis-toi ! C ’est par ce m ot que s’o uvre le drame de la
nouvelle création. C ette première parole se fit entendre dès que le rideau
du grand mystère commença à se lever. Gabriel appelle M arie comblée de
grâce parce que son âme était pleine des dons vivifiants du Saint-Esprit,
de parfum céleste et de pureté céleste. Ne sont pas comblés de grâce
ceux dont les âmes sont fermées à D ieu et ouvertes seulement aux choses
terrestres ; ceux-là respirent la terre, le péché et la m ort. Tu es bénie entre
toutes lesfemmes. Q uand le Seigneur est avec quelqu’un, Sa bénédiction
est avec lui. Q uand le Seigneur est absent, Sa bénédiction est absente
aussi. L’éloignement de l’hom me par rapport à D ieu signifie malédiction,
la proximité avec D ieu signifie bénédiction pour l’homme. Bien entendu,
le sens profond de l’amour de D ieu pour les hommes, signifie que Dieu
ne se serait jamais éloigné de l’hom m e si l’hom me ne s’é tait pas d ’abord
éloigné de Dieu. La venue du Seigneur C hrist dans le monde montre
l’amour infini de D ieu pour les hommes.
24 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Bien que l’hom m e ait été à l’o rigine de la distance établie entre lui-
même et Dieu, néanmoins D ieu est le premier à se rapprocher de l’homme,
afin de surm onter cette distance. La femme a été la première à créer un
abîme entre l’hom m e et Dieu, mais voici qu’une femme établit un pont
au-dessus de cet abîme. Eve a été la première à tom ber dans le péché, et
cela dans le paradis lumineux où tout la retenait du péché ; M arie a été la
première à vaincre toutes les tentations, et cela dans le monde ténébreux
où tout pousse au péché. C ’est pourquoi Eve, qui avait peu de volonté,
enfanta, comme son prem ier fruit sur terre, Caïn le fratricide, alors que
l’héroïque M arie enfanta le Héros des héros, qui a fait sortir des ténèbres
du péché et de la m ort le genre hum ain fratricide issu de la désobéissante
et impure Eve.
A cette parole (de l’Archange), ellef u t toute troublée, et elle se demandait
ce que signifiait cette salutation (Le 1,29).
Com m e une enfant! M arie est en vérité une enfant. Le Seigneur
dit : ... si vous ne retournez pas à l ’é tat des enfants, vous n’entrerez pas dans
le Royaume des Cieux (M t 18, 3; 19, 14). Ce m onde des désirs et des
passions vieillit rapidem ent l’homme. Notre enfance est très courte, et
dans le monde m oderne elle est et sera de plus en plus brève. Q ui peut
redevenir un enfant? M arie fut et demeura tout au long de sa vie une
enfant, chaste et naïve, dans la crainte et l’obéissance de Dieu. N ’est-elle
pas entrée dans le Royaume de son Fils avant même Son sermon sur le
Royaume? Le Royaume de D ieu était en elle! (Le 17, 21). Com m e une
enfant, elle fut effrayée par l’apparition de l’ange; comme une enfant,
elle se demanda ce que signifiait cette salutation. E n elle, il n’y avait nulle
affectation, contorsion ou artifice ; tout était simple, chaste, clair et naïf.
Le grand Gabriel, qui avait assisté à la création de l’hom m e au début
des temps, et qui avait le pouvoir de discerner dans l’âme des hommes,
voyait dans les pensées tumultueuses de la Vierge Très Pure plus clai
rem ent que nous pouvons regarder les corps humains. Il vit donc le
trouble de son âme et se dépêcha de l’apaiser avec ces douces paroles:
Sois sans crainte M arie! car tu as trouvé grâce auprès de Dieu (Le 1, 30).
Sois sans crainte, m on enfant! Sois sans crainte, fille comblée de Dieu!
Sois sans crainte, toi qui es la plus comblée de toutes les mortelles, car la
bénédiction divine descendra à travers toi sur tout le genre hum ain ! Sois
sans crainte, car tu as trouvé grâce auprès de Dieu ! Ces dernières paroles
vont à l’encontre de ’la thèse de « l’immaculée conception » soutenue par
certains théologiens occidentaux,”, selon laquelle la Vierge M arie aurait
HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE L'ANNONCIATION 25
été conçue et enfantée par ses parents sans l’o mbre du péché d ’Adam et
de la responsabilité de ce péché. S’il en était ainsi, pourquoi l’archange
aurait-il dit : tu as trouvé grâce auprès de Dieu. La grâce de Dieu, qui inclut
le concept du pardon, est accordée d ’abord à celui à qui cette grâce est
nécessaire, puis à celui qui la demande. La très sainte Vierge a accompli
un effort héroïque en élevant son âme vers Dieu, et c’est au cours de cette
élévation quelle a rencontré la grâce de Dieu.
Après avoir apaisé l’âme pure de la Vierge M arie, le messager ailé de
Dieu lui délivre alors le message céleste principal : Voici que tu concevras
dans ton sein et enfanteras un fils, et tu L ’appelleras du nom de Jésus. I l sera
grand, et sera appelé Fils du Très-Haut. Le Seigneur Dieu L ui donnera le
trône de David, Son père; I l régnera sur la maison de Jacob pour les siècles
et Son règne n’aura pas de fin . (L c 1, 31-33). Le messager de D ieu parle
en toute clarté, jusqu’au détail. Tu concevras dans ton sein, dit-il, ce qui
signifie dans le corps, une image qui évoque celle utilisée par le Psalmiste :
Dieu restaure en ma poitrine un esprit ferm e (Ps 50, 12). E n insistant sur
cette évocation charnelle, l’archange souhaite par avance m ettre en garde
contre l’e nseignement insensé de certains hérétiques qui affirmaient que
le C hrist n’avait pas de corps véritable, qu’il n’é tait pas véritablement né,
qu’il n’avait pas réellement été un hom m e de chair, mais qu’il n’avait eu
que l’apparence d ’un hom m e charnel.
Le nom de Jésus, ou Josué en hébreu, est également significatif. Ce nom
avait été porté par le fils de Noun, qui avait conduit le peuple d’Israël vers
la Terre promise, préfigurant ainsi le rôle et l’action du Sauveur Jésus qui
conduit le genre hum ain vers une Terre promise véritable et immortelle,
le Royaume céleste.
Tout le reste du message de l’archange est conçu afin de convaincre
la Vierge que son fils sera le Messie espéré, qu’il sera Fils du Très-H aut,
qu’il recevra de D ieu le trône de David et qu’il régnera sur la maison
de Jacob pour les siècles - tout cela était inscrit dans la conscience de
tout Hébreu, a fortiori dans celle de la Vierge M arie, qui avait reçu une
éducation spirituelle, et était rattaché exclusivement au Messie espéré.
L’archange ne dit pas tout ce qui concerne Jésus à la Vierge M arie,
se lim itant à ce qui lui est connu en tant que prophétie et à ce qui est
compréhensible à partir de l’Écriture Sainte. Il ne lui parle pas du rôle
de Jésus dans le m onde et pour l’hum anité, il ne parle pas de Lui comme
du sauveur de tous les peuples et de toutes les tribus, ni du fondateur du
royaume spirituel, ni du Juge de tous les vivants et de tous les morts, et
26 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
encore moins de Lui comme le Verbe de Dieu, comme l’une des trois
hypostases éternelles de la Sainte Trinité. S’il le lui avait dit, il l’aurait
troublée encore davantage. Elle n’était pas omnisciente, en dépit de toute
sa chasteté et pureté. Elle aura beaucoup à apprendre de son Fils au cours
du temps et de l’éternité, à L’écouter et à garder fidèlement en son cœur
toutes Ses paroles (Le 2,51 ; Jn 2,4). L’archange observe scrupuleusement
le cadre des conceptions du peuple d’Israël. Son discours se relie organi
quem ent à tout qui se trouve dispersé chez les prophètes et dont elle est
au courant (Is 9, 6-8; 1 0 ,1 6 ; 11,1 ; Jr 25, 5 ; 30, 9; E z 3 4 ,2 4 ; Os 3, 5;
M i 5, 4; Ps 132, 11; D n 2, 44’...). «Le Seigneur l ’a ju ré à David, vérité
dontjamais il ne s’écarte: C ’est lefru it sorti de tes entrailles queje mettrai sur
le trône f a it pour toi» (Ps 132, 11). «Le Seigneur a jeté une parole en Jacob,
elle est tombée en Israël» (Is 9, 7).
En entendant ce message céleste, la Vierge M arie, dans son innocence
et sa naïveté d ’e nfant, demanda à l’é trange visiteur: Comment cela sera-
t-il, puisque je ne connais pas d ’homme ? (Le 1, 34). Ces mots n’expriment
pas son incrédulité devant la parole de l’archange, mais seulement son
innocence et sa naïveté d ’enfant. Q u ’est-ce que chacun de vous dirait
face à un message similaire transmis par le plus extraordinaire de tous les
hôtes? La Vierge M arie pose une question, que chacun de nous aurait
posée sous le poids de la loi naturelle : pour une naissance, un homme
est nécessaire; où est cet hom m e? Nous aurions tous réagi ainsi, loin de
la liberté qui se réjouit de la toute-puissance de Dieu, soumis que nous
sommes par l’habitude de voir la puissance de la nature. C ’est pourquoi
il était nécessaire, pour nous, que la Vierge pose cette question, afin que
nous entendions la réponse du messager de Dieu.
Q ue répond Gabriel ? L ’E sprit Saint viendra sur toi, et la puissance du
Très-Haut te prendra sous Son ombre; c’est pourquoi l ’être saint qui naîtra
sera appelé Fils de Dieu. E t voici qu’Elisabeth, ta parente, vient elle aussi de
concevoir un fils dans sa vieillesse, et elle en est à son sixième mois, elle qu'on
appelait la stérile; car rien n'est impossible à Dieu. (Le 1,35-37). Une réponse
complète et com plètem ent satisfaisante. La nature et les lois naturelles
n’e xistent pas quand le Dieu vivant m et en oeuvre Sa volonté et Son plan
pour le salut du genre humain. « Le bienfait ne se soumet pas à la loi de la
nature », dit Grégoire de Néocésarée. « C'est l'Esprit qui vivifie» (Jn 6,63),
a témoigné le Rénovateur de toutes choses, le Seigneur Jésus. L’Esprit
vivifie indirectem ent ou directement. C ’est directem ent que l’Esprit de
D ieu a donné la vie au paradis, avant le péché. D ieu dit et il en fut ainsi !
HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE L'ANNONCIATION 27
mais dit quelle est la servante du Seigneur, car elle sait que l’archange ne
fait que transm ettre la volonté de Dieu ; tout en étant très puissant et
éternel, il n’e st que le serviteur du Dieu vivant. E n outre, elle ne dit pas :
«qu’il m’advienne selon la parole du Seigneur», mais selon ta parole, afin
de rendre ainsi hom mage au chef éternel de toute l’armée des éternels.
L’une et l’autre de ces réflexions expriment cependant l’o béissance la plus
absolue et l’hum ilité la plus entière. Une réponse aussi pleine de sagesse
n’a pu être donnée que par un cœur rempli de pureté, car c’est dans un
tel cœur que la sagesse véritable s’établit le plus volontiers. Lors de sa
tentation au paradis, Eve avait m om entaném ent oublié un tel langage.
C ar lorsqu’elle fut tentée et quelle prêta attention aux paroles de Satan,
son cœur fut instantaném ent rempli d ’impureté, et à cause de cette
impureté la sagesse s’éloigna de son cœur. Son orgueil et sa désobéissance
rendirent le cœur d ’Eve im pur et son esprit fut obscurci ; c’e st à cause de
son orgueil et de sa désobéissance à Dieu que le monde ancien a connu la
déchéance, que le genre hum ain s’est déformé, que toute la création s’est
rendue malheureuse. C ’e st sur l’humilité et l’o béissance que doit être bâti
le monde nouveau. Indescriptibles sont l’hum ilité et l’obéissance de la
Très Sainte M ère de D ieu; seul son Fils, Sauveur et Rénovateur de toutes
choses, la dépassera par Son hum ilité et Son obéissance infinies.
Finalem ent, le messager ailé du com m encem ent de notre salut s’envola
vers le monde supérieur, rejoindre ses amis immortels. Son annonce ne fut
pas seulement un message en paroles, mais comme toute parole divine,
cela fut une œuvre. D ieu dit, et cela fut. Jamais un messager n’apporta
de nouvelle plus joyeuse à la terre, qui avait été maudite à cause de son
éloignement de D ieu et de son alliance avec le sombre Satan, que le
lumineux et merveilleux archange Gabriel. Quelle bouche ne le louerait
pas, et quel cœur ne lui serait pas reconnaissant !
Jamais une eau pure ne fut un m iroir aussi pur du soleil que la Très
Pure Vierge M arie fut un m iroir de pureté. M êm e l’aube du m atin, qui
donne naissance au soleil, serait honteuse devant la pureté de la Vierge
M arie, qui enfanta le Soleil Im m ortel, le C hrist notre Sauveur. Quelle
génération ne s’inclinerait pas devant elle, quelle bouche ne s’e xclame
rait-elle pas : réjouis-toi, comblée de grâce ! Réjouis-toi, aube du genre
hum ain ! Réjouis-toi, plus pure que les chérubins et plus glorieuse que
les séraphins! Gloire soit à ton Fils, notre Seigneur Jésus-Christ, avec le
Père et le Saint-Esprit, Trinité une et indivise, à travers tous les temps et
toute l’éternité. Amen.
PREM IÈRE H O M É LIE
PO U R LA FÊTE D E LA N A TIV ITÉ
Évangile du Premier-né
(M t 1,18-25).
telle que la volonté divine avait été annoncée jusque-là au peuple d ’Israël.
Il se comporte avec hum ilité à l’é gard de Dieu. N e soyez pas trop sourcilleux
en matière de justice, m et en garde le très sage Salomon, dans le livre de
la Sagesse, ce qui signifie qu’il ne faut pas se m ontrer trop pointilleux en
matière de justice à l’é gard de ceux qui ont fauté, mais se souvenir de ses
propres faiblesses et péchés et veiller à adoucir dans la miséricorde les
sentences judiciaires prononcées à l’égard des pécheurs. Inspiré par cet état
d’esprit, Joseph ne songea nullem ent à livrer la Vierge M arie à un tribunal
à cause de son péché supposé : il ne voulait pas la dénoncer publiquement et
résolut de la répudier sans bruit. U n tel plan nous m ontre Joseph comme
un hom me exemplaire, exemplaire dans la justice et la miséricorde, tel
qu’il avait pu être éduqué dans l’e sprit de l’Ancien Testam ent. Chez lui,
tout est simple et clair, comme cela pouvait être le cas dans le cœur d ’un
homme vivant dans la crainte de Dieu.
M ais à peine le juste Joseph avait-il conçu cette issue convenable à
la situation délicate où il se trouvait que le ciel intervint soudain dans
son projet, avec un com m andem ent inattendu : Alors qu’il avait form é ce
dessein, voici que l ’A nge du Seigneur lui apparut en songe et lui dit: Joseph,
fils de David, ne crains pas de prendre chez toi Marie, ta femme, car ce qui a
été engendré en elle vient de l ’E sprit Saint (M t 1,20). L’Ange du Seigneur,
qui avait annoncé auparavant à la Très Pure Vierge la venue au monde du
Dieu-hom m e, se m et m aintenant à déblayer la route devant Lui et dégage
les chemins qu’il va fouler. Le soupçon de Joseph est un obstacle sur Sa
route, un obstacle très im portant et dangereux. Il faut donc l’écarter. Pour
montrer com m ent il est facile aux forces célestes d’accomplir ce qui est
difficile à faire pour les hommes, l’ange n’apparait pas à Joseph en public,
mais en songe. E n appelant Joseph, fils de David, l’ange veut à la fois
l’honorer et le m ettre en garde. Com m e descendant du roi David, il doit
se réjouir devant ce mystère divin plus que d ’autres hommes, mais il doit
aussi le comprendre mieux que d’autres. C om m ent se fait-il que l’ange
appelle la Vierge sa fem m e: ne crains pas de prendre chez toi M arie, ta
femme ? De la même façon que le Seigneur sur la Croix a dit à Sa mère :
Femme, voici ton fils ! puis à son disciple: Voici ta mère (Jn 19, 26-27).
En vérité, le ciel est économe en paroles, et aucun m ot superflu n’est
prononcé. S’il n’avait pas dû dire ces paroles, l’ange les aurait-il dites ?
Si cette désignation de M arie comme la fem m e de Joseph constitue une
pierre d ’achoppem ent pour certains infidèles, il forme une barrière de
pureté contre les forces impures, car la parole de D ieu n’est pas entendue
34 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
seulement par les hommes mais aussi par l’ensemble des mondes, les bons
comme les mauvais. Celui qui voudrait pénétrer tous les mystères de Dieu,
devrait posséder la vision de D ieu vis-à-vis de toute la création, visible et
invisible. Ce qui a été engendré en elle vient de l'Esprit Saint. C ’est une
œuvre divine, non humaine. Il ne faut pas observer la nature, ni craindre
la loi. Celui qui agit ici est plus grand que la nature et plus fort que la loi ;
sans Lui, la nature n’aurait pas de vie, ni les lois leur force.
Le message de l’ange à Joseph montre clairem ent que la Vierge M arie
ne lui avait dit m ot de son entrevue avec le grand archange ; de même il
apparaît quelle n’a nullem ent cherché à se justifier quand Joseph eut l’in
tention de la répudier. L’annonce de l’archange, comme tous les mystères
célestes qui lui étaient progressivement révélés, elle les conservait avec soin,
les méditant en son cœur (Le 2,1 9 ; 2,51). Dans sa foi en Dieu et son obéis
sance à Dieu, elle ne craignait nulle hum iliation devant le monde. « Si mes
souffrances sont agréables à Dieu, pourquoi ne les supporterais-je pas?»
disaient plus tard les martyrs chrétiens. Vivant constam m ent en prière et
dans la pensée de Dieu, la Très Pure pouvait se dire : « si mon humiliation
est agréable à Dieu, pourquoi ne le supporterai-je pas?» Pourvu que je
sois droite devant le Seigneur, qui connaît les cœurs, le monde peut faire
de moi ce qui lui plaît. Elle savait cependant que le monde entier ne
pouvait rien lui faire, que D ieu n’aurait pas autorisé. Quelle conciliation
apaisée devant le Seigneur vivant, et quel dévouement merveilleux devant
Sa volonté ! D e plus, quelle âme héroïque chez une tendre jeune fille ! Le
secret du Seigneur est pour ceux qui Le craignent (Ps 25,14). Alors que des
pécheresses, de nos jours comme de tout temps, font même appel à de
faux témoins pour se défendre, la Vierge M arie qui n’a aucun homme
comme tém oin, mais le D ieu Très-H aut, ne se justifie pas, ne se trouble
pas, mais se tait, elle se tait et attend que D ieu Lui-m êm e la justifie à Son
heure. E t D ieu se hâta de justifier celle qu’il avait élue. Le même ange qui
lui avait révélé le grand mystère de sa conception, se hâte m aintenant de
prendre la parole à la place de la jeune fille silencieuse.
Après avoir expliqué à Joseph ce qui avait eu lieu, l’ange de Dieu va
m aintenant plus loin et lui explique ce qui va se produire : Elle enfantera un
fils et tu l'appelleras du nom de Jésus car c’est L ui qui sauvera Son peuple de ses
péchés (M t 1,21). Il ne dit pas : elle t ’enfantera un fils ; il dit sim plem ent :
elle enfantera ; car elle n’e nfantera pas pour lui, mais pour le monde entier.
L’ange recommande à Joseph de se com porter envers le Nouveau-né en
véritable père, et c’e st pourquoi il lui dit : tu l ’appelleras du nom de Jésus, qui
PREMIÈRE HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 35
n’est pas avec nous, non seulement comme une idée ou en songe, mais
avec nous tels que nous sommes, avec une âme comme nous et un corps
comme nous, dans la misère et la souffrance comme nous, et enfin, dans
ce qui nous différencie le plus de Dieu, dans la m ort comme nous. C ’e st
pourquoi chaque religion qui enseigne que Dieu n’est pas venu dans la
chair et qu’il ne peut venir en chair, est mensongère car elle représente
Dieu comme impuissant et impitoyable ; elle Le représente comme une
marâtre, non comme une mère. Elle Le représente impuissant, en prenant
toujours soin de Le tenir à l’écart du com bat le plus im portant, celui avec
• Satan, le péché et la m ort. Il faut enchaîner Satan, il faut arracher tout
germe de péché des racines de l’âme humaine, il faut écraser l’aiguillon
de la mort, il faut accomplir une tâche plus grande et plus lourde que de
tenir le monde sur ses épaules. N otre D ieu a assumé ce combat, et de
façon victorieuse. Les tenants d’autres religions craignent de voir, même
en pensée, leurs dieux soutenir un tel combat, où leurs adversaires pour
raient l’em porter... Seigneur, pardonne à ceux qui s’interrogent ainsi ! Tu
n’aurais pas été le créateur miséricordieux du monde si Ta miséricorde ne
‘T ’avait pas conduit à descendre au milieu de nous, si Tu t ’étais contenté
de contempler notre misère d ’un lointain brumeux et indolore, sans
jamais plonger un doigt froid dans notre brasier ni fouler de tes pas la
grotte où des bêtes sauvages nous étranglent ? E n vérité, Tu es descendu
parmi nous plus bas encore qu’aucun amour hum ain l’exige ; Tu es né
dans un corps afin de vivre avec les créatures charnelles et les sauver ; tu
as communié au calice des souffrances de toutes tes créatures ; Tu n’as
partagé avec personne le calice de cette comm union amère, l’absorbant
toi-même jusqu’à la dernière goutte. C ’est pourquoi Tu es notre Sauveur,
car Tu as été D ieu parmi nous ; Tu as été Dieu parmi nous, c’est pourquoi
Tu as pu être notre Sauveur. Gloire à Toi, Christ Em m anuel !
Joseph s’est rendu compte de plus en plus clairement, avec crainte et
tremblement, qu’un tissu était en train d’être tissé autour de lui, plus vaste
que la lumière solaire et plus étendu que l’air; un tissu dont le Très-H aut
Lui-même était le fondem ent et dont toutes les créatures constituaient
la trame. Le rôle qui lui était attribué, au centre même de la fabrication
de la Nouvelle Création, était de servir d ’instrum ent de Dieu. Tant
que l’homme ne sent pas qu’à travers lui Dieu accomplit Son œuvre, il
demeure faible et chétif, indécis et plein de mépris pour lui-même. Mais
quand l’homme sent que Dieu l’a pris dans Ses mains comme le forgeron
38 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
prend le fer pour le forger, l’hom m e se sent à la fois fort et apaisé, précis
dans ses actes et fier de son Dieu.
Q uand Joseph s’éveilla de son songe, il fit ce que l’ange lui avait
ordonné et prit de nouveau M arie chez lui, et il ne la connut pas jusqu’au
jour où elle enfanta u n fis , et il L ’appela du nom de Jésus (M t 1,25). Q uand
nous lisons le saint Evangile, il nous faut insuffler l’esprit de l’Évangile
en nous, et non notre propre esprit dans l’Évangile. Q uand il décrit le
miracle de la naissance du Sauveur, l’évangéliste a pour but principal de
m ontrer que cette naissance a eu lieu de façon miraculeuse. Il s’agit ici
de la quatrième preuve de cet événement, que l’é vangéliste M atthieu
rapporte dans l’évangile de ce jour. Il a d ’abord dit que la Vierge M arie
était fiancée à Joseph ; puis il a indiqué quelle s’é tait trouvée enceinte par le
fa it de l ’E sprit Saint; en troisième lieu, il a dit qu’un ange lui était apparu
en songe lui annonçant sa grossesse comme miraculeuse et surnaturelle ;
enfin, en quatrième lieu, il répète cette même pensée en disant que Joseph
ne la connut pas jusqu’au jour où elle enfanta un fils, son premier-né. Il est
clair comme le jour que l’évangéliste ne songe même pas à préciser que
Joseph, après cette naissance, n’a pas eu de relation avec M arie. Ce qui
n’avait pas eu lieu jusqu’au jour où elle enfanta un fils, n’a pas eu lieu après
la naissance de son fils. Q uand on dit de quelqu’un qu’il ne fait pas atten
tion aux paroles du prêtre pendant un service liturgique, on ne veut pas
dire que cette personne, à la fin de la Liturgie, fait attention aux paroles
du prêtre. D e même, quand on dit qu’un berger chante en gardant ses
m outons, on ne veut pas dire qu’il ne chante pas quand les m outons ont
cessé de paître. Le m ot prem ier-né se rapporte toutefois exclusivement
au Seigneur Jésus (Ps 89,27 ; 2 S 7 ,1 2 -1 6 ; H e 1, 5-6 ; Rm 8,29), qui est
le prem ier-né parm i les rois et l ’aîné d ’une multitude defrères (Rm 8, 29),
c’est-à-dire parm i les hom mes sauvés et adoptés comme fils. Si le m ot
aîné (prem ier-né) était écrit avec une lettre majuscule, comme un nom
propre, il n’y aurait aucune am biguïté... Il faut précisément lire comme
un nom propre : et elle enfanta un fils, son Premier-né. Le Seigneur Jésus
est le Prem ier-né en tant que créateur du nouveau royaume, le nouvel
Adam.
O n dit que saint A m oun de Nitrie (fêté le 4 octobre) vécut dix-huit
ans avec son épouse légitime sans avoir de relation charnelle avec elle.
D e même la sainte martyre Anastasie fut mariée de longues années à
un sénateur romain nom mé Publius sans avoir de rapport charnel avec
lui. O n ne cite ici que deux exemples parmi des milliers d’autres. Avec sa
PREMIÈRE HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 39
Avant même qu’il ait dit à Son Précurseur et parent Jean : il nous convient
d ’accomplir toute justice (M t 3 ,15), Il le m it déjà en œuvre dans le ventre
de Sa M ère. E t avant même d ’avoir conseillé aux hom m es: «Rendez à
César ce qui est à César» (Le 20,25), Il appliqua ce principe à la lettre alors
qu’il était dans le sein de Sa M ère.
Afin de sefaire recenser avec Marie, safiancée, qui était enceinte (Le 2,5).
Le glorieux évangéliste Luc, instruit en sagesse universelle et par le Saint-
Esprit, prend soin d’insister sur l’é vénement que constitue la conception
surnaturelle de la sainte Vierge. L’é vangéliste Luc vient précisément
au secours de la conscience de tous ceux qui seraient tentés d ’avoir des
doutes à ce sujet. Saint Luc était m édecin; d ’abord médecin des corps,
puis plus tard médecin des âmes. En praticien instruit et médecin des
corps, il devait savoir com m ent les choses se passaient dans le monde
des réalités charnelles. Avec autant de conscience professionnelle que de
courage, il constata puis publia par écrit le récit d ’un événement jamais
expérimenté, où une force spirituelle supérieure était intervenue dans
les lois physiques et où une vie fut conçue de manière exceptionnelle,
incorporelle. U n tel témoignage d ’un médecin revêt en vérité une portée
inappréciable. D e tous les évangélistes, c’est saint Luc qui s’attarde le plus
sur la conception virginale de M arie. Il nous décrit d ’abord longuem ent
l’e ntretien de l’archange Gabriel avec la sainte Vierge (1, 26-28). Il nous
dit m aintenant que Joseph est allé à Bethléem afin de s’y faire recenser
avec M arie, safiancée, qui était déjà enceinte. Évoquant la généalogie du
Seigneur Jésus, il précise que Jésus, lors de Ses débuts (de Son enseigne
m ent), avait environ trente ans, et était, à ce qu'on croyait, fils de Joseph, fils
d ’H éli (Le 3,23). Il veut dire : comme le m onde le croyait, alors qu’e n fait
Il n’é tait pas fils de Joseph, mais le Fils de Dieu. A h, que la Providence
divine est merveilleuse et am ie-des-hom m es. Pour l’é conomie du salut du
genre hum ain, elle convertit le persécuteur de chrétiens, Saül, en le plus
grand défenseur du christianisme, Paul, et le médecin des corps, Luc, en
le plus grand tém oin d ’un événement spirituel de portée mondiale.
E t bien que Joseph fut de la lignée de David, et David originaire
de Bethléem, ni David ni Joseph, son dernier descendant, n’avaient de
parent à Bethléem. Joseph arrive à Bethléem, qui était sa ville du point
de vue historique et spirituel, mais rien de plus. N ul parent n’é tait là pour
le recevoir ; nul ami pour lui donner l’hospitalité. Il n’y avait pas de place
à l'hôtellerie. Les maisons particulières étaient des maisons appartenant
à des tiers, où ces étrangers recevaient leurs parents et amis. E n fin de
DEUXIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 47
compte, il n’y eut pas d’autre solution que d’aller dans une grotte où les
bergers enfermaient leur bétail !
La Judée est pleine de telles grottes. O n y trouve des grottes ayant
abrité des prophètes, la grotte de M anassé, la grotte de saint Sabbas le
Sanctifié, la grotte de saint Chariton le Grand, la grotte des saints frères
Chozébites, les grottes sous la M er M orte où David se cachait de Saül,
les grottes sous le M o n t de la Tentation ; et en dehors de ces grottes et
d’autres, qui ont été illuminées de la gloire de la sainteté à la suite de la
gloire de la grotte de Bethléem, il existe d ’innombrables autres grottes
où, aujourd’hui encore, des bédouins gardent leur bétail, comme tout
voyageur en Terre Sainte peut s’e n rendre compte personnellement.
Elle enfanta son fils premier-né, L ’enveloppa de langes et Le coucha dans
une crèche (Le 2, 7). Ici, comme dans l’Évangile de saint M atthieu, il faut
séparer le m ot premier-né du m ot son. E n effet, on ne considère pas ici
le prem ier-né de la sainte Vierge, mais le Prem ier-né divin, Fils du Dieu
unique, qui est dans la nouvelle création l ’aîné d ’une multitude de frères
(Rm 8,29), c’est-à-dire le prem ier-né mystique dans le Royaume éternel
de la Trinité et le prem ier-né historique dans l’Église de Dieu, dans le
Royaume visible et invisible de Dieu.
Elle L ’enveloppa de langes et Le coucha dans une crèche. La paille im m a
culée vaut plus qu’une soie sale. Com bien cette crèche est plus pure et
dénuée de péché que les palais impériaux et la grotte destinée aux brebis,
plus propre que Rome, capitale de l’empire universel ! Q ue le doux Enfant
repose donc dans cette grotte et dans la crèche ! Les bœufs et les moutons
ignorent le péché, et les bergers le connaissent moins que d’autres hommes.
Pour le Seigneur Jésus, la lumière est là où il n’y a pas de péché et la chaleur
existe là où le péché ne refroidit pas les hommes. Q ui sait combien de
fois le jeune fils de Jessé, David, est venu dans cette grotte ! C ’e st de là
qu’il partit affronter G oliath, et tua son adversaire armé jusqu’aux dents
avec une petite pierre lancée avec sa fronde. Dans cette grotte repose
m aintenant le Prem ier-né selon la loi humaine, issu de la lignée de ce
berger nommé D avid; Lui aussi ira affronter un goliath terrible, Satan,
qui règne à Jérusalem sous l’apparence d ’un goliath nom mé Hérode, à
Rome sous les traits du goliath Auguste et dans le m onde entier sous
l’aspect d ’un goliath nom mé péché et du plus grand des goliaths, la mort.
Toute l’armée de Satan est armée jusqu’aux dents; elle se m ettra à rire en
voyant Jésus prêt à l’affronter avec une arme apparem m ent insignifiante,
comme le premier G oliath avait ri en voyant David et son lance-pierres.
48 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
L’arme victorieuse de Jésus sera encore plus frêle qu’une petite pierre. Elle
sera faite de bois : une croix de bois.
C ’était la nuit, une nuit calme. Les voyageurs fatigués, sujets de
l’empereur, étaient en train de se reposer, plongés dans un sommeil lourd.
Seuls veillaient des bergers, qui gardaient leurs troupeaux durant les veilles
de la nuit (Le 2, 8). A cette époque, la grotte de Bethléem était proba
blem ent située en dehors de la ville, sinon il aurait été inconcevable que
des bergers des environs pussent l’utiliser. M ais plus tard, quand cette
glorieuse grotte devint le m onum ent principal de Bethléem, elle était
déjà entourée par la ville. À une dem i-heure en contrebas de Bethléem, il
existe aujourd’hui un hameau nom mé « Les Bergers ». Selon la tradition,
c’est à cet endroit que les bergers veillaient sur leurs troupeaux. Le fait
que les bergers se trouvaient loin de la grotte et de Bethléem est illustré
par ce qu’ils se dirent entre eux après l’apparition de l’ange : Allons jusqu’à
Bethléem et voyons ce qui est arrivé (Le 2,15).
C ’est donc en ce lieu, selon la tradition authentique, que l’ange du
Seigneur apparut aux bergers saisis de crainte et que la gloire du Seigneur
les enveloppa de Sa clarté (Le 2, 9). Adm irable est la gloire de D ieu qui
illumine les anges et les justes ! Déjà auparavant, certains êtres charnels
avaient été jugés dignes de voir la lumière de la gloire de Dieu. C ’est ainsi
que le prophète Ezéchiel évoque sa propre vision : E t je vis comme l'éclat du
vermeil, quelque chose comme dufeu près de Lui, tout autour... comme l ’aspect
de l ’arc qui apparaît dans les nuages, lesjours de pluie. C ’é tait quelque chose qui
ressemblait à la gloire du Seigneur. Je regardai, etje tombai laface contre terre
(Ez 1,27-28). M ais l’ange surgi du feu céleste, les apaisa en disant : Soyez
sans crainte, car voici queje vous annonce une grandejoie, qui sera celle de tout
le peuple: aujourd’hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans
la ville de David. E t ceci vous servira de signe: vous trouverez un nouveau-né
enveloppé de langes (Le 2,10-12). Lors de la Nouvelle Création, les anges
apparaissent en avant-garde du Sauveur. L’ange était d ’abord apparu à
la sainte Vierge M arie, puis au juste Joseph, et m aintenant aux bergers;
il apparaîtra ensuite aux sages venus d ’O rient, tout cela dans la pureté
et selon les besoins de l’économie prévue. Le puissant ange s’adresse à
la Sainte Vierge en lui disant: Réjouis-toi! Aux bergers, il d it: je vous
annonce une grande joie. Q uand les sages d ’O rient virent l’é toile au-dessus
de la grotte, ils se réjouirent d ’une très grande joie (M t 2,10). Le C hrist est
par essence une joie indicible. Il se rend auprès de ceux qui sont enfermés
dans les ténèbres afin de les libérer - peut-il y avoir de joie plus grande
DEUXIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 49
pour ceux qui L’o nt reconnu ? Q uant à ceux qui annoncent Sa venue, celle
d’un ami et d’un libérateur, que pourraient-ils dire de plus authentique
au sujet de ce rare visiteur des ténèbres, sinon qu’il est la joie, que la joie
arrive, quelle est arrivée ?
E t à peine l’ange de D ieu avait-il parlé qu’autour de lui se rassembla
une troupe nombreuse de l'armée céleste, qui louait Dieu. Seul le Seigneur
Dieu est plus parfait que les anges dans Sa splendeur. Seule Sa voix est
plus douce et vivifiante que celle des anges. Le grand Isaïe a entendu cette
voix très tendre des anges qui chantaient : Saint, saint, saint est le Seigneur
Sabaoth, Sa gloire emplit toute la terre (Is 6, 3). Le plus grand visionnaire
du Nouveau Testam ent, saint Jean l’évangéliste, évoque ainsi sa vision : E t
ma vision se poursuivit. J ’entendis la voix d ’une multitude d ’anges rassemblés
autour du trône. [ ...] Ils se comptaient par milliers de milliers (Ap 5,11).
Une telle gloire céleste et majestueuse fut révélée aux âmes simples
des bergers de Bethléem. Jusque-là, cette gloire n’avait été visible que
de certains élus ; il s’agit ici du premier événement décrit dans l’Écriture
Sainte où tout un groupe d ’hommes mortels voit et entend publiquement
l’armée immortelle des anges. C ’e st le signe qu’avec la venue du Christ
sur terre, le ciel est largem ent ouvert à tous les hommes qui souhaitent y
entrer avec un cœur pur.
M ais cette annonce des anges apporte une autre nouvelle, jusque-là
inconnue des hom mes et non décrite dans l’Écriture Sainte. Il s’agit du
nouveau chant entonné par les anges. Le grand Isaïe a entendu les anges
chanter: Saint, saint, saint est le Seigneur! C ’est un chant entièrem ent
consacré à la louange de Dieu. O r m aintenant, les anges chantent devant
les bergers un nouveau chant, qui pourrait être intitulé: l’hymne du
programme du salut. Ce nouveau chant annonce : Gloire à Dieu au plus
haut des deux ttp a ix sur la terre, bienveillance parm i les hommes!
Q uand les hom mes, le cœur joyeux, comm encent à louer Dieu au
plus haut des deux (et non une quelconque divinité hum aine sur la terre,
dans les profondeurs), alors il en résulte la paix sur la terre et, par voie
de conséquence, la bienveillance parm i les hom m es... T ant que notre
ancêtre Adam n’a cessé de chanter de tout son cœur et de toutes ses
forces la gloire de D ieu au-dessus de lui, la terre qui l’entourait était en
paix et son corps n’était tiraillé ni par des désirs ni par des passions, étant
parfaitem ent en harm onie avec son âme et son esprit ; alors Adam était
plein de bonne volonté, c’e st-à-dire d ’am our envers son Créateur aussi
bien qu’envers toutes les créatures de D ieu autour de lui. M ais quand il
50 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
eut commis le péché, son cœur se figea de peur, sa bouche fut pétrifiée
d ’horreur, l’inquiétude envahit tout son être et la mauvaise volonté se
développa rapidem ent en lui, mauvaise volonté à l’égard de Dieu, de son
épouse, de tous les êtres vivant au paradis et de lui-même. Il se sentit alors
tout nu et commença à se cacher du visage de Dieu.
Depuis le péché d ’Adam et sans interruption jusqu’au C hrist, seuls
quelques justes, tels Abel, H énok, Noé, Isaac, Jacob et d ’autres, ont été
en mesure de louer Dieu au plus haut des deux, de garder la paix au
sein de leur corps et de faire preuve de bienveillance envers les hommes.
Les autres hommes ont été éternellem ent écartelés entre les célébra
tions de diverses divinités dans les abîmes et sur terre, les glorifications
fantaisistes d ’idoles ou d ’eux-mêmes prétendum ent divinisés. C ’est ainsi
que naquirent les luttes et les disputes entre les hommes, au sujet de la
divinité à célébrer. La non-célébration du D ieu véritable et la glorifica
tion de divinités mensongères et imaginaires aboutirent à la m ontée de
l’inquiétude sur la terre, toute la terre ; la malveillance se propagea parmi
les hommes, faisant de la vie hum aine une confusion babylonienne et y
instaurant un feu infernal.
A la Nouvelle C réation, il fallait rétablir ce qui avait rendu Adam
heureux au paradis. C ’est pourquoi, lors de la naissance du Nouvel
Adam , le Seigneur Jésus, l’armée des anges chante l’hymne du salut :
Gloire à Dieu au plus haut des deux, et paix sur la terre, bienveillance parm i
les hommes !
C ’est pourquoi tous les apôtres dans leurs épîtres chantent la gloire
de Dieu et Le louent au plus haut des deu x ; l’apôtre Paul s’e xclame:
C’est L ui qui est notre paix (Ep 2, 14). M ais tous les saints de Dieu nous
enseignent, depuis l’origine, que les bonnes œuvres ne s’apprécient pas à
la quantité des dons mais à la bienveillance. « C ar pour Dieu il n’y a pas de
sacrifice plus grand que la bonne volonté », dit saint Grégoire le Dialogue.
Après cet événement unique dans l’histoire des hom mes et digne du
seul Seigneur et Sauveur, les anges se cachèrent aux yeux des hom mes et
laissèrent les bergers dans un état de joyeuse surprise.
Allons jusqu’à Bethléem, se dirent les bergers, et voyons ce qui est arrivé
et que le Seigneur nous a f a it connaître. Pourquoi ne disent-ils pas l’ange
mais le Seigneur? Parce que l’ange de D ieu est apparu tellem ent grand,
lumineux et splendide que l’esprit hum ain ne pouvait imaginer le
Seigneur tout-puissant Lui-m êm e dans une stature plus majestueuse,
un éclat plus lumineux et une splendeur plus éclatante. E n outre, dans
d e u x iè m e h o m é l ie p o u r l a f ê t e d e l a n a t iv it é SI
l’Écriture Sainte, l’ange de D ieu est souvent appelé «le Seigneur»; cela
s’explique par le fait que les Hébreux orthodoxes professaient une foi
tellement stricte dans le Dieu unique qu’ils considéraient que tout ce
qu’ils apprenaient par l’intermédiaire d ’un ange, provenait en fait de
Dieu Lui-m êm e.
Voyons ce qui est arrivé. Les bergers ne disent pas : voyons si cela s’est
produit. Ils n’éprouvent pas le m oindre doute sur le fait que ce que le
Seigneur leur a révélé avec un tel éclat a dû se produire. Leurs cœurs
simples ne connaissent d ’ailleurs pas le sentim ent de soupçon. Le
soupçon s’implante surtout dans les cœurs impurs, à la suite de péchés
et de passions.
Ils vinrent donc en hâte et trouvèrent Marie, Joseph et le nouveau-né
couché dans la crèche (Le 2, 16). O n peut imaginer avec quelle hâte les
bergers ont dû parcourir la montée vers Bethléem. La joie leur donnait
des ailes. Ils se retrouvèrent ainsi rapidem ent auprès de la sainte famille.
Dans la grotte où ils enfermaient leur bétail, avait trouvé refuge Celui
pour qui l’univers entier est trop étroit; dans la crèche où ils déposaient
la nourriture pour leur bétail, reposait emmailloté le Pain Céleste, qui est
la nourriture vivifiante pour tout ce qui vit (Bethléem, en hébreu, signifie
la maison du pain ; le sens mystique de ce nom a été mis en lumière par la
naissance du Seigneur Jésus, Pain Céleste, en ce lieu). La paille laissée par
les moutons servait de couche à Celui qui, depuis la création du premier
monde était assis sur les chérubins de feu. L’é vangéliste dit que les bergers
trouvèrent Marie et Joseph. O r l’habitude est de citer d ’abord le père, puis
la mère ; il en est encore ainsi aujourd’hui et c’était afortiori le cas à cette
époque, quand la femme était considérée comme secondaire par rapport
à l’homme. C ependant l’évangéliste nom m e d ’abord M arie, en dépit de la
coutume séculaire. L’é vangéliste le fait à dessein, afin de souligner que la
M ère de Dieu est le seul parent du Sauveur sur terre. C ar Joseph n’était
pas le mari de M arie, mais seulement son tuteur et protecteur.
A yant vu, ilsfirent connaître ce qui leur avait été dit de cet enfant; et tous ceux
qui les entendirentfurent étonnés de ce que leur disaient les bergers (Le 2, 17).
Les bergers avaient en vérité de quoi raconter. Leurs yeux avaient vu ce
que peu d ’yeux mortels sur terre avaient vu et leurs oreilles avaient entendu
ce que peu d’oreilles mortelles avaient entendu. E t tous ceux qui avaient
entendu étaient émerveillés, y compris quelques autres personnes dans le
voisinage de la grotte à Bethléem auxquelles, selon la Providence divine,
les bergers révélèrent ce très extraordinaire mystère céleste.
52 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Quant à Marie, dit l’é vangéliste Luc, elle conservait avec soin toutes ces
choses, les méditant en son cœur (Le 2, 19). L’évangéliste est plein d’égards
envers la bienheureuse M arie. Il s’attache toujours à son cœur et veille sur
les réactions de cette âme très tendre, unie seulement à l’Esprit de Dieu.
Elle écoutait tous les mots, que le ciel et la terre disaient sur son Fils et
les m éditait en son cœur. Le temps viendra où elle ouvrira la bouche,
dévoilera les trésors contenus en son cœur et révélera tous les mystères
dont s’imprégneront les évangélistes et les apôtres. Le temps viendra où
elle sera un apôtre pour les apôtres et un évangéliste pour les évangélistes.
Il en sera ainsi après la glorification de son Fils. Q uand le Premier-né
aura brisé le tombeau et ressuscité, alors les apôtres se demanderont de
nouveau : qui est-il ? Q ui faut-il interroger à ce propos ? Elle, seulement
elle sur cette terre. Alors elle dévoilera tous les mots conservés en son
cœur: les mots de l’archange à Nazareth, les mots des bergers à Bethléem
et bien d ’autres, ainsi que de multiples autres paroles et mystères quelle
seule avait pu apprendre, dans ses contacts très proches avec le Maître des
apôtres.
C ’est ainsi que le Seigneur Jésus est né non à Rome et au palais
impérial afin d ’être le m aître du monde par la force et les armes, mais au
milieu de bergers, m arquant de cette manière la caractéristique principale
de Son service pacifique dans le monde. D e même que le berger caresse
et veille sur ses brebis, de même II caresse et veille sur Ses fidèles. De
même que le berger prend davantage soin d ’une brebis malade ou égarée,
de même II prend davantage soin des pécheurs que des justes, plus des
hommes que des anges... D e même que les bergers gardent leur troupeau
pendant la nuit quand tout le monde dort avec insouciance, de même
Lui, le Berger parfait, passe d ’innombrables nuits pleines d’effroi et de
tentations, en veillant sur le troupeau hum ain et priant pour lui, plein
d ’hum ble obéissance à l’égard de Son Père céleste.
Chaque événement dans Sa vie est un véritable Évangile. Il en est
ainsi dès qu’il nait et alors qu’il est incapable de dire un m ot : la manière
dont s’est déroulée Sa nativité, le lieu où elle a eu lieu et l’e nvironnement
où elle s’est produite, ont fourni tout un Évangile à l’humanité.
Il ne pouvait pas naître dans un palais de roi, car Sa mission n’était pas
de devenir un monarque terrestre ni de régner sur la terre. Son Royaume
n’est pas de ce monde, sombre comme le nuage et éphémère com m e le
songe. Il ne pouvait pas naître comme fils d ’un empereur terrestre, car
Sa m éthode ne pouvait pas être lepée et le feu, le décret et la force, mais
DEUXIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 53
trouve ni sérénité ni équilibre pour son corps dans aucun des quatre points
cardinaux, on a l’habitude de dire que le m onde n’e st pas responsable de
cela, mais lui-même. D e même certaines personnes, selon leur structure
spirituelle et leur état d ’esprit, trouvent plus de repos et de remède spiri
tuel chez l’évangéliste M atthieu, d’autres chez M arc, d ’autres chez Luc
et d’autres chez Jean. Q u an t à celui qui ne trouve sérénité et équilibre
chez aucun des quatre évangélistes, on peut dire que la responsabilité n’en
incombe pas aux évangélistes, mais à lui-même. O n peut même affirmer
librem ent qu’il n’y pas de remède à une telle situation. Le Créateur de
l’hum anité est très sage et très miséricordieux. Il connaît la diversité des
hommes et les faiblesses de la nature hum aine; aussi a-t-Il mis quatre
Evangiles à notre disposition, afin de donner la possibilité à chacun de
nous, selon son inclination spirituelle, d ’adopter un Évangile plus rapide
m ent et facilement que les trois autres, de façon que cet Évangile lui serve
de guide et de clé pour les trois autres.
M ais afin que la sagesse divine, telle quelle apparaît dans la struc
ture et l’agencement de l’enseignement évangélique, puisse étinceler
encore plus clairement, nous nous arrêterons aujourd’hui sur le récit
d ’un même événement chez deux évangélistes, Luc et M atthieu, c’est-
à-dire leur description de la naissance du Seigneur Jésus. Il faut d ’abord
noter que les deux évangélistes avaient, en décrivant cet événement, le
même objectif inspiré par D ieu : m ontrer clairem ent aux fidèles que la
personne du Seigneur Jésus possédait deux caractéristiques essentielles
et complémentaires, dont disposait jadis notre ancêtre A dam au paradis
et que ce dernier a perdues en prenant part au péché de Satan. Bien que
ces deux caractéristiques essentielles puissent paraître contradictoires,
elles se com plètent merveilleusement, à l’instar de la lumière du soleil
qui brille d ’e n haut et des fleurs des champs qui poussent en bas. L’une
de ces caractéristiques est une liberté souveraine, l’autre étant l’obéis
sance filiale. L’une conditionne l’autre, l’une rend l’autre infinie, l’une
peut lim iter l’autre, l’une peut détruire l’autre. Elles naissent comme
des jumelles, elles vivent de façon inséparable comme des jumelles, et
comme telles, elles peuvent m ourir en restant inséparables. L’o béissance
infinie va de pair avec la liberté infinie, l’obéissance limitée avec la liberté
limitée, comme la désobéissance s’accompagne de l’absence de liberté.
Ces deux évangélistes s’efforcent de donner aux hom mes une vision claire
de la liberté souveraine du D ieu-hom m e, tout comme de Son humble
obéissance filiale.
TROISIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 57
Auguste, et nul netait plus faible, plus pauvre et plus insignifiant que les
bergers, afortiori des bergers de la lointaine et insignifiante Bethléem. Le
Seigneur Jésus naquit au milieu de ces êtres faibles, pauvres et insignifiants
aux yeux du monde ; Il se révéla d ’abord à eux et ils furent les premiers à
devenir illustres du fait de Sa gloire. Le tout-puissant empereur Auguste,
lui, m ourut au milieu de son impuissance humaine, restant jusqu’à sa
m ort dans les ténèbres de l’ignorance et de l’illusion. D e son côté, aucun
peuple au monde ne se considérait plus sage que le peuple sur lequel
régnait l’e mpereur Auguste. Les Juifs m éprisaient tous les autres peuples,
considérés comme inférieurs et plus bêtes qu’eux-mêmes. Les souverains
et les philosophes juifs estim aient qu’ils étaient les seuls à posséder la
vérité et à détenir les clefs du ciel. M ais quand le ciel s’ouvrit largement
et que le Seigneur Jésus descendit sur la terre, afin d’élever les hommes
vers le ciel, ils dem eurèrent aveugles et ne virent rien, alors que ceux qui
étaient méprisés par eux et qui étaient païens, se précipitèrent vers le
C hrist et les portes ouvertes du ciel. Il en résulta la situation extraordinaire
où H érode, après avoir entendu parler du Roi des rois qui venait de
naître, voulut aussitôt Le tuer, alors que les hiérarques prétentieux et
les sages orgueilleux de Jérusalem ne crurent pas nécessaire de marcher
deux heures jusqu’à Bethléem et voir Celui dont quarante générations
issues d ’Abraham attendaient la venue, tandis que les mages d ’O rient,
originaires de sombres contrées païennes, voyagèrent pendant des mois
pour vénérer le Roi Jésus. Afin que s’accomplisse ainsi la prophétie
limpide d ’Isaïe: Je me suis laissé approcher par qui ne me questionnait pas,
je me suis laissé trouver par qui ne me cherchait pas (les païens). J ’ai dit:
«Me voici! M e voici!» à une nation qui n’invoquait pas mon nom. J ’a i tendu
les mains, chaque jour, vers un peuple rebelle (les Juifs), des gens qui suivent
une voie mauvaise, au gré de leurfantaisie. (Is, 65,1-2).
L’empereur romain d’une part, les bergers de Bethléem d ’autre part,
représentent des contrastes du point de vue de la puissance terrestre, de la
richesse et de la stature. H érode et les écrivains de Jérusalem d ’une part,
les mages d ’O rient d ’autre part, constituent des contrastes dans la posses
sion de la vérité authentique ou dans la connaissance du Dieu véritable. Il
a plu au Seigneur de choisir des pauvres et des païens afin de confondre,
à travers eux, les grands et les orgueilleux. En effet, avant même que le
Seigneur eût honte d ’eux, ces derniers avaient fait honte au Seigneur
par leur orgueil et leur désobéissance. Les plus grands adversaires de
Dieu - et par là d ’eux-mêmes - sont ceux qui sont devenus orgueilleux
TROISIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 59
que les étoiles étaient des êtres vivants et puissants, qui dirigent l’é volution
de toutes choses sur la terre, donc de la vie humaine. Les O rientaux ont
ensuite divinisé de tels êtres, distinguant parm i eux les bons et les mauvais.
Il s’agissait de dieux bons et mauvais, dont les yeux de feu réchauffent ou
brûlent, aident à vivre ou m ettent fin à la vie. Les hom mes apportaient
des offrandes aux divinités aussi bien bonnes que mauvaises, y compris
des sacrifices humains, dans le seul but d ’acquérir l’amitié des bonnes
et de repousser l’hostilité des mauvaises. Les érudits orientaux, pour
échapper à cette croyance populaire brutale, se m irent à étudier les étoiles
et leur influence sur la vie des hommes. Ils furent les premiers à créer
une science des étoiles, appelée astrologie. M ais cette science n’apporta
pas la liberté aux hommes, elle révéla seulement une servitude accrue
et une terreur encore plus grande. Les mages d’O rient découvrirent en
fait que les étoiles n’é taient pas des dieux, comme le peuple le croyait,
mais que leur influence souveraine sur toutes les créatures vivant sur terre
était si puissante et si m athém atiquem ent exacte qu’aucun être vivant ne
pouvait, ni d ’un m ouvement dans l’espace ni d ’une seconde dans le temps,
se libérer de cette tyrannie inexorable et aveugle des étoiles. Com m e si
les étoiles n’avaient pas été créées pour l’hom m e, mais l’hom m e pour les
étoiles ! Des étoiles dépendaient la naissance des hommes, leur vie, leur
bonheur ou leur malheur, leur caractère et leur progrès, tous les événe
ments de l’existence, y compris la m ort elle-même ! L’hom m e est ainsi un
esclave absolu et impuissant des étoiles. Une telle «science» a engendré,
justifié et alimenté toutes les sortes d ’occultisme, de magie, de sorcellerie,
de chiromancie, d ’incantation et autres affabulations, qu’on désigne dans
le christianisme sous un seul nom : superstition. Il s’agissait d ’une nuée
sombre et étouffante qui s’était répandue d’O rient en Occident, écrasant
sous sa masse mortelle l’ensemble du genre hum ain. C ’e st ainsi que les
savants mages n’avaient pas libéré la conscience des hommes ; ils l’avaient
emprisonnée encore davantage, en édifiant un système de fatalisme de fer,
où l’hom m e perd son souffle devant la terreur de la solitude, de l’abandon,
du désarroi.
M ais au fond de l’âme humaine, toute remplie de ces ténèbres astro
logiques, la grâce de D ieu ne perm it pas que s’éteignît une petite étincelle
de pressentim ent sinon de foi, selon laquelle l’hom m e était quand même
un être libre, créé pour la liberté et pour aller à la rencontre de la liberté.
C ’est à partir de ce pressentim ent que s’est embrasée la quête de la liberté en
dépit de la chape d ’étoiles placée au-dessus de l’hum anité ; c’e st dans cette
TROISIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE L A NATIVITÉ 61
d’années? Leur péché les émut, leur âme criminelle les effraya. Dans
le Messie, le juste attendait un ami, le pécheur un juge. Fixés à la terre
par l’e sprit et la chair, H érode et les scribes prirent peur que le nouveau
souverain ne les arrachât à la terre. Hérode et ses seigneurs furent effrayés
que le nouveau roi ne les écartât de leurs positions parce qu’ils en étaient
indignes, et qu’il ne prît d ’autres collaborateurs et assistants ; les scribes
eurent peur qu’il ne m ette à terre tout leur savoir et ne les obligeât à
apprendre, dans leur vieillesse, quelque chose de nouveau. « Q u ’avons-nous
à faire de Lui?», pensaient-ils, «Nous sommes bien sans Lui. Il pourra
apparaître à la génération suivante ; on a le temps. Il va nous perturber, Il
va nous obliger à faire des choses nouvelles, Il va dénoncer nos méfaits,
Il va apprendre nos intrigues, révéler notre nullité ; Il nous chassera de
nos postes et y placera des hommes nouveaux, des gens à Lui. Il nous
laissera affamés, complètem ent affamés, sans nourriture et sans pouvoir ; Il
prendra le peuple sous Son contrôle, et nous repoussera et probablement
nous emprisonnera,jugera et fera condamner.» Tout ce à quoi songeraient
encore aujourd’hui des criminels, en entendant dire: «voici le C hrist qui
vient!», était ce que pensaient les criminels de Jérusalem, sous le couvert
de la sagesse et avec le sceptre du pouvoir à la main.
M ais nul ne fut plus effrayé qu’Hérode. Rempli de terreur, il convoqua
les prêtres et les scribes pour qu’ils lui expliquent clairement ce que les
Ecritures disaient sur le lieu où devait naître le Christ. Lui-m êm e n’était
pas Juif, il était étranger, Idum éen ; il pouvait donc ne pas connaître la
prophétie sur la venue du Messie. Contam inés par la terreur éprouvée
par leur maître, ses serviteurs retournèrent dans tous les sens les livres
des prophéties et lui répondirent: à Bethléem, en Judée! Ils insistèrent
sur le fait que c’était en Judée, et non dans une autre Bethléem, pour deux
raisons : d ’abord parce qu’il existait une autre Bethléem dans le pays de
Zabulon (Jos 19, 15) et que par ailleurs le Messie n’é tait attendu qu’au
sein du clan de Juda auquel appartenait aussi le roi David, comme l’avait
annoncé le prophète: E t toi, Bethléem, petite parm i les clans de Juda, c’est
de toi que sort pour moi celui qui doit gouverner Israël (M i 5, 1 ; Jn 7, 42).
Le fait que c’est du clan de Juda que viendrait Celui qui allait gouverner
Israël, avait été déjà prédit par l’ancêtre Jacob en Égypte, quand il bénit
ses fils avant de m ourir et prophétisa l’avenir de sa descendance ; il posa
ses mains sur la tête de Juda et dit : Le sceptre ne s éloignera pas de Juda, ni
le bâton de chef d ’entre ses pieds, jusqu’à ce que le tribut lui soit apporté et que
les peuples lui obéissent (G n 49,10).
TROISIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 63
essayé de menacer le trône d ’Hérode. Aussi H érode fit-il venir les mages
secrètement (M t 2, 7), et se m it à les interroger soi-disant dans le détail sur
l’apparition de l’é toile mystérieuse. M ais pour lui, cela n’était pas l’essentiel.
Il avait été déjà com plètem ent convaincu que son rival dans le monde
était né ; il en fut persuadé du fait de la clarté des prophéties et, encore
plus, en raison de l’apparition de l’étoile et de l’arrivée des mages. E n effet,
si H érode éprouvait une croyance quelconque, elle était certainem ent de
caractère astrologique et divinatoire, à l’instar des croyances professées
dans tous les milieux dirigeants de l’empire romain de lepoque. L’essentiel
pour H érode se trouvait dans la conclusion de son entretien avec les
mages, quand il leur dit : Allez vous renseigner exactement sur l ’e nfant; et
quand vous l ’aurez trouve', avisez-moi, afin que j'aille moi aussi lui rendre
hommage (M t 2, 8). Il souhaitait que les mages lui servissent d ’espions,
puis de complices dans le crime qu’il avait déjà échafaudé en lui-même.
Ces hôtes éminents, que la soif de vérité et de Überté avait mis en route,
les am enant à quitter leurs foyers et tous les conforts terrestres pour
s’e xposer à un voyage long et périlleux, le souverain sanglant du peuple
élu, Hérode, voulait les faire entrer dans ses intrigues en vue de préparer
un crime effrayant destiné à préserver son bien-être dans sa tanière de
loup ! Q uel gouffre infernal, et quel fruit terrible sur le champ du péché
d ’A dam ! E n prophétisant nombre de siècles auparavant, l’apparition
d ’un tel prince dans le peuple d ’Israël et le crime qu’il allait imaginer, le
prophète Ezéchiel tonne contre H érode : Quant à toi, v il criminel, prince
d ’Israël dont lejour approche avec le dernier des crimes, ainsi parle le Seigneur:
On ôtera la tiare, on enlèvera la couronne, tout sera transformé, ce qui est
bas sera élevé, ce qui est élevé sera abaissé. Ruine, ruine, ruine, voilà ce que
j ’en ferai, comme il n’y en eut pas avant que vienne celui à qui appartient le
jugement et à qui je le remettrai (Ez 21,30-32).
Après avoir quitté H érode et la meute seigneuriale de mendiants
spirituels et moraux qui l’entourait, les mages venus d’O rient, assoiffés de
vérité, sortirent de Jérusalem et poursuivirent leur chemin. Ils em prun
tèrent les mêmes rues où les prophètes inspirés de D ieu avaient jadis
prophétisé la venue de ce Roi qu’eux-mêmes allaient m aintenant vénérer.
Ils m archèrent sur les tombes des voix enflammées qui avaient décrit à
l’avance de nombreuses caractéristiques du Roi des rois. M ais eux-mêmes
ne connaissaient pas les caractéristiques du nouveau Roi ; ils n’avaient pas
lu les prophètes juifs, mais leur cœur leur disait que tout ce qui est bon se
trouvait dans le nouveau Roi. En sortant de la ville, ces mages ne purent
TROISIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 65
Voici que le Seigneur, monté sur un nuage léger, vient en Égypte. Lesfa u x
dieux d ’E gypte chancellent devant L u i (Is 19, 1). C ’e st ainsi que le grand
Isaïe prophétise l’événement décrit dans l’Evangile de ce jour. Il s’agit
de la fuite du Seigneur Jésus devant le glaive d ’Hérode, de la fuite du
Seigneur devant Ses serviteurs, de l’innocence devant la débauche, du fort
devant les faibles.
Q ui désigne-t-on sous l’aspect du nuage léger qui porte le Seigneur en
Égypte ? C ’est la M ère de Dieu. Elle était légère du fait de son absence
de péché, de l’absence de malédiction, de son innocence sublime, de
l’abondance de la grâce de Dieu. Corporelle, mais comme incorporelle ;
un nuage, mais un nuage léger. Jadis, D ieu m archait devant Israël dans
une colonne de nuée (Ex 13, 22), en sortant Son peuple d ’Égypte et voici
m aintenant que D ieu marche sur un nuage léger vers l’Égypte, en fuyant
le glaive de ce même peuple.
Pourquoi Celui-qui-donne-la vie fuit-Il devant un hom me mortel?
Ne pouvait-il pas y avoir une solution plus rapide et plus simple? Dieu,
qui est le maître de la vie et de la m ort, n’aurait-Il pu donner l’o rdre à un
ange de prendre l’âme du roi Hérode au lieu d’ordonner à Joseph de fuir
devant Hérode en Égypte ? Dieu Tout-puissant aurait pu procéder ainsi,
mais qu’aurait-Il accompli alors? Il aurait peut-être alors satisfait notre
esprit hum ain et superficiel, mais II aurait porté atteinte au plan plein
de sagesse de notre salut. C om m ent l’Évangile aurait-il révélé la terrible
dépravation de la nature humaine à la suite du péché, com m ent se serait
manifesté le besoin de salut du genre hum ain par l’action directe de Dieu,
si Dieu avait déjoué le projet maléfique d’Hérode en le faisant mourir?
C om m ent les aveugles les plus aveugles auraient-ils pu prendre clairement
70 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
conscience du gouffre des péchés où l’hum anité est tombée en s’é loignant
du D ieu véritable en tant qu’Eclaireur de la route [de la vie], s’il ne setait
pas produit un événement où Dieu Lui-m êm e fuit devant les hommes ?
Aussitôt après que les mages d ’O rient, qui furent les premiers
voyageurs lointains à venir jusqu’à Bethléem, eurent quitté cette ville, voici
que l'ange du Seigneur apparut en songe à Joseph et lui dit: «Lève-toi, prends
avec toi l'enfant et sa mère, etfu is en Egypte; et restes-yjusqu'à ce queje te dise.
Car Hérode va rechercher l ’e nfant pour lefaire périr (M t 2, 13). Les anges
de D ieu ne cessent de veiller et de garder l’E nfant divin, afin qu’aucun
mal ne L’atteigne. Ceux qui L’ont servi depuis la création du monde au
sein du royaume éternel, Le servent m aintenant dans le royaume mortel.
Ils sont infinim ent émerveillés que le souverain im m ortel de la vie ait
consenti à revêtir un corps m ortel, exposé à des milliers de dangers, que
le Roi se soit fait serviteur, prenant la form e d ’esclave (Ph 2, 7). Voici que
les anges viennent parm i les hommes, vivent près des hom m es; or ils
sont invisibles et incorporels pour nos sens. Q uand ils se m ontrent aux
hom mes sous un aspect charnel, leur apparition dure peu de temps et
leur enveloppe charnelle ne ressemble pas à notre corps terrestre, qui
est susceptible d ’ê tre blessé ou tué. C ependant le C hrist est né dans un
véritable corps terrestre, que l’on peut blesser ou tuer. C ’est pourquoi II
fuit devant le glaive, pour bien m ontrer qu’il est un hom m e véritable et
non un fantôme, comme le pensaient les hérétiques. Ainsi s’e xpliquent les
interventions sans fin des anges, et leur veille vigilante, et la garde qu’ils
assurent autour de l’E nfant sans défense.
Hérode va rechercher l ’e nfant pour le faire périr. L’ange parle au futur.
Cela signifie qu’Hérode n’a encore rien entrepris de concret contre
l’e nfant qui vient de naître. M ais Hérode ne cesse d’avoir en son cœur
la peur de l’E nfant et, en ses pensées, l’intention de Le tuer. Personne
sur terre n’est au courant de l’intention que nourrit Hérode. M ais pour
Dieu, les pensées des hom mes sont un livre ouvert qu’il lit facilement et
clairement. Seul Dieu sait ce qu’Hérode manigance contre Jésus. Il est le
seul à pouvoir découvrir le secret enfermé dans l’esprit criminel d ’Hérode.
Il le révèle à Joseph par l’intermédiaire de Son ange, et Joseph obéit,
prend l’enfant et sa M ère et s’e nfuit en Egypte.
Afin que s’accomplisse ce que le Seigneur avait fait dire au prophète
Osée: et d ’E gypte j ’appelai mon fils (Os 11,1). Bien entendu, cela ne s’est
pas produit parce que le prophète Osée l’avait prédit, mais il l’avait prédit
parce que son esprit visionnaire lui a fait voir que cela allait se produire.
QUATRIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 71
à Israël et au m onde entier. Voilà que Jérusalem jette des pierres sur Lui,
mais II reviendra en Son temps apporter du pain à Jérusalem.
Voici encore un autre enseignement. Jadis, le pharaon donna l’o rdre
de tuer tous les enfants mâles d ’Israël. M ais celui que D ieu avait choisi
pour être le chef du peuple d’Israël, c’est-à-dire M oïse, le pharaon non
seulement ne fut pas en mesure de le tuer, mais il l’accueillit involontaire
ment et sans le savoir à sa cour, où il le nourrit et l’éleva. O r m aintenant,
Hérode avait ordonné que tous les enfants de Bethléem fussent tués, afin
que l’enfant Jésus fût ainsi tué ; mais Dieu avait décidé que Jésus serait
le chef de Son peuple et Roi, et que Son règne n’aurait pas de fin. O r il
advint que non seulement la main d’H érode ne put atteindre celui quelle
visait, mais qu’H érode et toute la Jérusalem païenne devinrent poussière
quand Jésus ressuscité fut célébré sur la terre comme au ciel comme le Roi
des rois. Q ue cela nous enseigne que, quand nous nous réfugions dans la
main de Dieu, aucune main d ’hom m e ne peut nous atteindre.
Il y a encore une autre leçon. D ieu avait jadis envoyé le peuple d ’Israël
en Egypte, afin d ’y trouver de la nourriture. M ais par la suite, Israël se
montra ingrat et désobéissant ; il commença à renoncer à la pureté de la
foi et se m it à adhérer au paganisme égyptien, à s’abandonner aux ténèbres
égyptiennes et à la débauche. Dieu avait fait sortir Son peuple d ’Egypte,
lui donnant un chef dans la personne de M oïse et accomplissant des
miracles innombrables sous les yeux de Son peuple. D ieu l’avait nourri
et abreuvé dans le désert pendant quarante années, et tout au long de ces
quarante années, le peuple avait bougonné contre Dieu, dans l’ingratitude
et la désobéissance. Dieu avait conduit Son peuple vers la Terre Promise,
Il avait dispersé tous ses ennemis, Il l’avait installé, Il lui avait apporté
l’o rdre, Il l’avait enrichi. M ais le peuple d ’Israël n’avait cessé de bougonner
contre Dieu, dans l’ingratitude et la désobéissance. Le Seigneur Jésus, au
contraire, fuit sans aucun murmure à travers le désert vers l’Egypte, vit
misérablement en pays étranger, revient à travers le désert vers Israël,
sans m urm urer la m oindre parole, sans une seule pensée ou protestation à
l’encontre de Son Père céleste. Lui-m êm e, Sa très sainte M ère et le juste
Joseph revivent en peu de temps toute l’histoire des souffrances du peuple
d’Israël, le cœur rempli de gratitude, de fidélité et d ’obéissance envers
le T rès-H aut; cela pour servir de réprimande au peuple désobéissant
d ’Israël, et de modèle et d ’e xemple à nous tous.
Il existe enfin une im portante raison, qui concerne toute l’hum anité,
qui explique pourquoi le Seigneur Jésus est parti en Egypte et non vers
74 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
dénonçons chez autrui, nous le faisons nous-mêmes. Il n’est pas écrit que
les bourreaux avaient mis à m ort ; c’est bien lui, Hérode, qui m it à mort.
L’évangéliste veut ainsi rejeter toute la responsabilité de cet acte sanglant
sur Hérode, le donneur d ’o rdres, et non sur les exécutants de cette action.
Devant Dieu, c’e st H érode qui doit en répondre, non les bourreaux. Car
il est probable que les bourreaux n’auraient pu imaginer un plan aussi
satanique, consistant à tuer autant d ’enfants innocents, afin de tuer
aussi Celui qui les gênait. Toute la culpabilité n’est imputable qu’au seul
Hérode. L’évangéliste veut ainsi nous m ettre en garde de ne pas faire de
mauvaises actions, fût-ce par l’intermédiaire de tiers. E n effet, si nous
persuadons quelqu’un de tuer, c’est nous qui avons tué, non lui ; si nous
persuadons quelqu’un de mentir, c’est nous qui avons m enti, non lui ; si
nous persuadons quelqu’un de voler, c’est nous qui avons volé, non lui ; si
nous persuadons quelqu’un de succomber à la débauche, c’e st nous qui
y avons succombé, non lui ; si nous persuadons quelqu’un de commettre
un péché, c’est nous qui avons péché, non lui. Si l’évangéliste avait eu à
décrire le péché commis par quelqu’un que nous aurions incité à un tel
acte, il aurait m entionné notre nom , non le sien, tout comme dans ce
cas-ci, il m entionne le nom d’H érode en tant que meurtrier, et non les
noms des bourreaux. Il ne les traite même pas de bourreaux, il ne leur
donne aucune dénom ination. Il dit sim plem ent : H érode envoya m ettre
à mort. Il ne précise pas qui fut envoyé, il dit sim plem ent : Il envoya. Car
il importe peu de savoir qui fut envoyé par Hérode, puisque Hérode sera
seul à répondre devant le tribunal de Dieu.
Le fait qu’un grand nombre d ’enfants aient péri dans ce massacre
décidé par Hérode, est attesté par deux expressions : tous les enfants et
tout son territoire. Il aurait pu écrire : il m it à m ort, dans Bethléem et ses
environs, les enfants âgés de moins de deux ans. M ais il insiste à dessein :
tous les enfants et tou t son territoire. Com m e Bethléem était une ville et
que son territoire comprenait plusieurs villages, il est clair qu’un grand
nombre d’enfants furent tué.
C ’est ainsi que des enfants furent les premiers martyrs pour le Christ.
Leur m ort prématurée en martyrs s’explique par le gouffre du péché
des hom m es; elle justifie qu’ils aient acquis la couronne de gloire et
d ’imm ortalité au Royaume du C hrist. Ceux que le C hrist avait le plus
aimés, furent les premiers à périr pour Lui. Ceux qu’il allait plus tard
embrasser et bénir (M c 10, 16) furent les premiers à comm unier par le
martyre au Nouveau Testament. D ans l’Ancien Testam ent, ce furent les
78 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
prophètes qui m oururent pour Dieu ; dans le Nouveau Testam ent, ce sont
les enfants et tous ceux qui sont purs comme des enfants, qui meurent.
C ar le fondem ent du Nouveau Testam ent est: Si vous ne retournez pas à
l'état des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux (M t 18, 3).
M ais tous ceux qui retourneront à letat des enfants, seront confrontés à
leurs Hérodes, des Hérodes plus ou moins sanguinaires, qui par jalousie
les frapperont et persécuteront, jusqu’à les m ettre à mort. Aucun martyr
pour le C hrist ne se retrouvera sans couronne au Royaume du Christ,
et aucun H érode n’échappera à un châtim ent sévère, tout comme le roi
Hérode n’a pu y échapper ni sur terre ni au ciel. E n vérité, tout pécheur
en armes se trompe grandem ent en pensant être plus fort qu’un enfant
innocent. Rien au monde n’e st plus fort que la pureté et l’innocence. Car
derrière les purs et les innocents, se tiennent les anges de Dieu aux épées
de feu. Nous aussi, nous nous trom pons souvent quand, aveuglés par
le péché, nous croyons qu’avec notre force, notre pouvoir et nos armes,
nous sommes plus puissants qu’un seul enfant chétif de deux ans. Il suffit
d’entendre les confessions d ’un infanticide pour être abasourdi! Il faut
savoir com m ent les enfants qui ont été tués poursuivent leurs assassins
jour et nuit, publiquem ent et en songe, ne leur accordant nul repos ni
calme, jusqu’à ce qu’ils soient conduits à se repentir ou à être pendus!
Celui qui a tué un innocent, s’est tué lui-mêm e. Celui qui m eurt innocent,
s’e st sauvé et a vaincu. Ce ne sont pas les rois qui sont forts, ce sont les
enfants qui le sont. Ce ne sont pas les rois qui sont vainqueurs, ce sont
les enfants qui le sont. Cela est une grande nouveauté pour le monde
ancien. C ’e st le fondem ent principal du Nouveau Testam ent du Christ.
Le prem ier exemple de la malédiction des agresseurs et de la bénédiction
des enfants martyrs dans la Nouvelle Création, est offert par Hérode et
les enfants massacrés de Bethléem. Depuis qu’on lit l’Evangile, jour après
jour, les malédictions se déversent sur Hérode, comme les bénédictions
sur ses victimes innocentes. Q u ’a obtenu H érode avec son crime ? Rien
de ce qu’il avait voulu, mais tout ce qu’il a mérité. La Providence divine
fait que le châtim ent frappe le criminel parfois aussitôt après son forfait,
parfois plus tard, mais toujours quand il ne s’y attend pas. Car le Seigneur
sanctifie le sang, en garde mémoire; I l n'oublie pas le cri des malheureux
(Ps 9, 13). Q uand le père criminel de sainte Barbara amena sa fille sur
le lieu d ’exécution parce quelle avait cru dans le Seigneur C hrist et lui
trancha la tête de sa propre main, la foudre s’abattit ce même jour sur
sa maison et le tua. Q uand le roi H érode tua les enfants innocents de
QUATRIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 79
Bethléem, la foudre ne s’abattit pas aussitôt sur lui, mais quelque chose de
plus terrible se produisit. Il fut obligé de s’aliter et de longues et terribles
maladies le submergèrent: une forte fièvre, des trem blements de mains,
la goutte, diverses plaies et hémorragies. M ais la plus terrible de toutes
fut celle qui affecta ses organes génitaux. Com m e l’a écrit son biographe
Flavius Joseph, ces organes se m irent à se décomposer, et d ’innombrables
vers s’y incrustèrent. L’infanticide fut frappé par des douleurs extrêmes
aux organes du corps hum ain qui avaient été conçus par Dieu pour
faire naître les enfants. La puanteur qui se dégageait du corps d ’Hérode,
dispersa tout le personnel de son palais royal. E t c’est dans la solitude, au
milieu de douleurs physiques et enfin dans le délire qu’H érode rendit son
âme noire, afin quelle continue à endurer des souffrances dont le corps’,
quant à lui, avait été libéré par la mort.
C ’e st ainsi que la Nouvelle Création s’ouvre non seulement dans la
joie des anges et des bergers à Bethléem, mais aussi dans les cris des
enfants, les lam entations des mères et la fureur criminelle des possédés du
pouvoir. Une voix dans Rama s’estfa it entendre, pleur et longue plainte : c’est
Rachel pleurant ses enfants; et ne veut pas qu’on la console, car ils ne sont plus
(M t 2, 18). C ar ces enfants étaient les descendants de Rachel, l’ancêtre
de la tribu de Benjamin, qui aux côtés de celle de Juda s’établit en Judée.
L’histoire ancienne des hom mes avait commencé dans le sang et le crime ;
dans le sang et le crime mais sans joie. Le frère avait tué le frère, Caïn
avait tué Abel. Le genre hum ain avait ainsi glissé de plus en plus profon
dément, de péché en péché, de crime en crime, jusqu’à tom ber au fond
même du feu du péché. Pourquoi D ieu a-t-Il autorisé un nouveau crime
dans la Création Nouvelle ? Pourquoi n’a-t-Il pas empêché le massacre
des enfants par H érode ? Pour m ontrer la chute terrible de l’hum anité et
révéler la profondeur de l’abîme dont le Messie devait faire sortir le genre
humain ? Le chemin glissant et large de la déchéance aurait-il moins de
souffrances et de larmes que le chemin épineux et étroit du salut? Jamais
Dieu ne laissera les hommes pécheurs face à aucune souffrance que le
Seigneur Jésus, sans péché, ne prendra sur Lui. Des enfants ont été tués
par Hérode à la suite du péché et de la malédiction d ’A dam ; l’Agneau de
Dieu, le Seigneur Jésus, sera tué, bien qu’il soit sans péché ni malédiction,
mais source de bonté et de bien-être.
A la m ort d ’Hérode, l'ange du Seigneur apparut à Joseph et lui donna
l'ordre de revenir d'Egypte avec l ’e nfant et la Sainte Vierge dans sa patrie, car
ils sont morts ceux qui en voulaient à la vie de l ’e nfant (M t 2, 20). L’ange
80 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
emploie le pluriel, ce qui signifie qu’H érode n’avait pas été le seul à
mourir, mais qu’avaient aussi disparu quelques autres qui avaient voulu
tuer le C hrist enfant. Q ui étaient ces autres? Certainem ent certains
grands prêtres et scribes de Jérusalem qui avaient été troublés et avaient
pris peur à la nouvelle qu’un Nouveau Roi était né (M t 2,2 -3 ).
Com m encèrent alors de nouveaux périples difficiles pour le Seigneur
Jésus, à travers le désert de sable et le désert des hommes. Le premier
périple fut le retour d ’Egypte dans la terre de Judée. M ais en Judée
avait commencé à régner Archélaüs, fils d ’Hérode, fruit maléfique d’une
souche pourrie. C ’est pourquoi avant que la sainte famille n’arrive près
de Jérusalem, l’ange de D ieu la dirigea vers la GaÜlée, plus éloignée. Le
second périple fut donc celui de Judée vers la Galilée, dans la ville de
Nazareth. Afin que s’accomplissent une nouvelle fois les paroles selon
lesquelles les renards avaient des tanières et les oiseaux du ciel des nids,
tandis que le Fils de l’hom m e n’avait nul endroit où reposer Sa tête!
Il vint s’étabÜr dans une ville appelée N azareth, pour que s’accomplît
l’o racle des prophètes : Il sera appelé Nazaréen (M t 2,23). Dans les livres
des prophètes qui ont été conservés, on ne trouve nulle m ention disant
que le Seigneur Jésus sera appelé Nazaréen. O n peut donc penser soit
qu’une telle prophétie se trouvait dans d ’autres livres, détruits lors des
migrations fréquentes du peuple d ’Israël, soit que cette prophétie était
seulement orale, issue d ’un des prophètes, puis transmise de génération
en génération. Il existe d ’autres passages du Nouveau Testam ent que
les apôtres m entionnent comme connus, mais qui ne se trouvent nulle
part dans l’Ancien Testam ent (Jude 1, 9, 14; 2 Tm 3, 8). Au sein de
chaque peuple, on trouve davantage de prophéties non écrites que de
prophéties écrites ; pourquoi les Juifs ne pourraient-ils pas avoir, à côté
de nombreuses prophéties écrites, des prophéties non écrites? C ’est
ainsi que nous retrouvons notre Seigneur Jésus à Nazareth. Après avoir
quitté N azareth dans le sein de Sa mère, Le voici de retour à Nazareth
dans les bras maternels. M ais combien d ’événements, extraordinaires et
révélateurs, ont eu lieu entre Son départ de Nazareth et Son retour à
N azareth! Le départ de Nazareth est survenu à la suite d ’un ordre des
hommes, la fuite en Égypte à cause de la fureur des hommes, le retour
en Judée à cause de la m ort des hommes qui avaient recherché Son âme,
la fuite de Judée à cause d’autres hommes maléfiques, et le voici enfin
de retour à Nazareth. Partout les hommes sont à l’œ uvre, mais partout
le Seigneur Très H aut applique Sa volonté et exécute Son plan de salut.
QUATRIÈME HOMÉLIE POUR LA FÊTE DE LA NATIVITÉ 81
moins profond, mais fut toujours et partout d ’une profondeur égale. Tout
cela pour le salut des hom mes ! C ’e st pourquoi l’Eglise Le célèbre et Le
loue comme le seul am i-des-hom m es, avec le Père et le Saint-Esprit,
Trinité unique et indivise, m aintenant et toujours, à travers tous les temps
et toute l’éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE D IM A N C H E
AVANT L A T H É O P H A N IE
et amis, quand il est plus cher à notre cœ ur que notre vie terrestre.
C ’est là que Jésus-C hrist commence vraim ent pour nous. Ce n’est qu’à
ce m om ent-là qu’on peut com prendre les quatre autres étapes initiales
m entionnées par les quatre évangélistes.
L’évangéliste M arc commence son évangile par le début de la
prédication publique du C hrist et de Son activité publique dans le monde.
Il m et aussitôt en exergue la prophétie du prophète M alachie sur Jean le
Précurseur, comme un ange m archant devant le visage du Seigneur.
Pourquoi le prophète et l’évangéliste appellent-ils Jean un ange, quand
il n’était pas un ange mais un hom m e ? Premièrement, parce que de tous
les hom mes mortels, Jean, par sa vie, s’était le plus rapproché de la vie
angélique. Deuxièmement, afin de nous enseigner que le but de ‘l’activité
du C hrist sur terre est de faire des hom mes des anges, de transform er les
hom mes mortels, pécheurs et prisonniers de la nature, en êtres immortels,
sans péché et libres par rapport à la nature, à l’instar des saints anges dans
les deux. E n quoi saint Jean s’était-il rapproché des anges ? D ’abord par
son obéissance envers D ieu; puis par sa liberté par rapport au m onde;
enfin par son insouciance à l’égard de sa vie charnelle. Le prem ier de ces
facteurs est le fondem ent du monde, le second est issu du prem ier et le
troisième du second.
Les anges sont parfaitem ent obéissants à Dieu. Ils se voient révéler,
quotidiennem ent et directement, les mystères indicibles de la sagesse, de
la puissance et de l’amour de Dieu ; leur obéissance envers leur Créateur
ne résulte pas d ’un devoir, mais de la joie et de l’humilité. Saint Jean a fait
preuve d ’une parfaite obéissance à D ieu dès son enfance. Né de parents
très âgés, il resta orphelin dans sa tendre enfance et Dieu devint son seul
parent, son seul soutien et son amour unique. Son père fut un grand-
prêtre, ce qui ne put que fortifier la connaissance de Dieu par Jean. Sa
conception dans le sein d ’une vieille mère stérile, du fait de la puissance
et de la volonté divine, ne pouvait rester inconnue de lui. Si l’évangéliste
Luc fut capable d ’apprendre l’histoire étrange de la conception de Jean,
afortiori Jean la connaissait-il. Il savait que l’ange de Dieu avait annoncé
sa naissance; il connaissait évidem ment les paroles prophétiques de
l’ange: il sera grand devant le Seigneur; il sera rempli d ’Esprit Saint dès
le sein de sa mère ; il marchera devant Lui (devant Jésus) avec l’e sprit et la
puissance d ’Élie (Le 1 ,1 5 -1 7 ).Tout cela était gravé dans le cœur du petit
Jean, aussi ineffaçable que sur une tablette de pierre. Les grandes lignes
de sa vie lui avaient été révélées par D ieu dès sa petite enfance, ce qui
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE AVANT LA THÉOPHANIE 87
Par ailleurs, Jean s’est rendu proche des anges par son indifférence
pour la vie charnelle. Les anges ne possèdent pas d ’e nveloppe charnelle
comme les hommes, mais ils se caractérisent par la tenue brillante de ce
qu’o n pourrait appeler leur corps céleste (1 Co 15, 40). Les anges sont
totalem ent indifférents à eux-mêmes. Ils ne se soucient nullem ent de ce
qu’ils vont manger, boire ou de la tenue qu’ils vont porter. A u service de
Dieu, ils savent que D ieu va les nourrir, leur donner à boire et de quoi
se vêtir. Q uel maître de maison sur terre laisserait ses fidèles serviteurs
m ourir de faim et m archer nus ? A fortiori Dieu prend-Il soin de Ses
serviteurs.
Qui d ’entre vous d ’ailleurs peut, en s'en inquiétant, ajouter une seule
coudée à la longueur de sa vie (M t 6,27) ? Nous sommes entourés par Dieu
plus que par l’air et la lumière. Il connaît nos êtres et sait quels sont nos
besoins. N uit et jour, Il satisfait nos besoins. Pourquoi tous les hommes
ne peuvent-ils pas en être convaincus ? Parce que régnent ici la stérilité
et la faim ! Pourquoi D ieu le perm et-il ? Parce que Dieu doit nourrir non
seulement notre corps mais aussi notre âme. O r l’e xpérience m ontre que
la faim charnelle est souvent la nourriture de l’âme. La preuve la plus
évidente en est le jeûne. U n corps toujours rassasié reflète habituellement
une âme toujours affamée. Celui qui jeûne, donne l’hospitalité à l’âme.
Plus l’hom m e s’habitue à jeûner, plus il diminue l’attention portée à son
corps et augmente la joie de son âme. Il n’e st pas utile seulement de le
dire et de l’entendre ; cela est évident en soi, dès lors que l’hom m e en fait
la tentative et le m et en pratique dans sa vie.
Saint Jean a vécu comme tous les hom m es qui n’ont pas vécu selon
la sagesse livresque mais sur la base des réalités éprouvées. Il a appris
l’indifférence à l’é gard de sa vie charnelle, non en Usant des livres et en
écoutant des sages qui affirment sans montrer, mais en éprouvant cette
indifférence. Il a essayé de jeûner et s’e st rendu compte que l’hom m e peut
vivre non seulement sans toutes ces nourritures auxquelles il se montre
si attentif, mais aussi sans pain. C ar Jean se nourrissait de sauterelles et
de miel sauvage (M t 3, 4). Il ne prenait jamais de vin, ni aucune boisson
forte. E t il n’e st pas dit qu’il se soit jamais plaint d ’avoir faim ou soif. En
fait, ce ne sont pas des sauterelles et le miel sauvage qui le nourrissaient,
mais la force de D ieu qui parvenait jusqu’au fidèle et obéissant serviteur
à travers les sauterelles et le miel sauvage. D u pain des forts l ’homme se
nourrit (Ps 77, 25). C ’est ce qui se passe d ’habitude avec les fidèles et
les obéissants, alors que les infidèles et les désobéissants doivent, outre
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE AVANT LA THÉOPHANIE 89
leur cuisine somptueuse, avoir une grande pharmacie. C ar les plats et les
boissons trop riches n’apportent pas de la nourriture au corps et à l’âme,
mais du poids, de la colère et la maladie. Jean ne se préoccupait pas non
plus de son logis ni de son vêtement. Son logis, c’était le désert recouvert
par la voûte céleste, et son vêtem ent était fa it de poils de chameau et d'un
pagne de peau autour de ses reins (M t 3, 4). Elie était également revêtu
d’un pagne de peau, qui symbolisait la mise à m ort des passions et le fait
qu’il était prêt à accomplir la volonté divine. Le vêtem ent ? Le couvre-
chef? Q uand on a vécu longtemps sans vêtements, les pieds eux-mêmes
deviennent des vêtements. E t quand on a marché longtemps tête nue
sous la voûte étoilée, la tête se sent mieux sous la couronne spacieuse des
étoiles que sous un bonnet étroit de laine tressée. Il regardait son âme
comme étant revêtue de la robe ensoleillée des anges célestes plutôt que
dans sa carcasse charnelle, ignorant probablement, comme l’apôtre Paul
et de nombreux autres saints, s’il était dans son corps ou hors de son
corps (2 C o 12, 3-4). Il se reposait et dorm ait soit sous le ciel clair, soit
dans l’une des innombrables grottes du désert proche du Jourdain. M ais
que lui im portait cela, quand son âme se reposait sous l’aile royale du
Créateur céleste ? Des serpents venimeux et des lions affamés étaient ses
voisins. M ais il n’en avait pas peur, sachant que veillait au-dessus de lui
TŒ il-qui-voit-tout.
E t pourquoi en aurait-il eu peur, s’ils ne pouvaient nuire à son âme ?
Car son être, il le regardait dans son âme, non dans son corps. Les
hommes qui ne voient leur être que dans leur corps se battent pour leur
corps, cherchent le confort pour lui, prennent soin de leur corps. Saint
Jean était libre de tout souci corporel. Son âme était son seul souci, et la
volonté de Dieu la loi unique et souveraine de son âme. C ’est ainsi qu’il
s’é tait rapproché des anges célestes. C ’e st pourquoi le prophète l’a appelé
ange.
M ais il y a une autre prophétie sur saint Jean. Le grand prophète
Isaïe l’appelle voix de celui qui crie dans le désert: «Préparez le chemin
du Seigneur, rendez droits ses sentiers» (M t 3, 3). Alors que la première
prophétie concerne davantage le caractère personnel de saint Jean, cette
seconde prophétie se rapporte plus au caractère de sa fonction, de sa
mission. Quelle va donc être sa fonction ? Être la voix qui crie dans le
désert, rappelant aux hommes de préparer le chemin pour le Seigneur.
Ce term e de désert désigne d ’abord celui situé près du Jourdain, d’où
le puissant Précurseur du C hrist a fait sonner la trom pette de l’alarme :
90 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
méprisé le cœur ; ils tirent même fierté de leur dureté de cœur. M ais Dieu
est capable de faire du cœur le point de départ du salut hum ain, du cœur
et non de l’esprit, comme le Seigneur l’a dit à travers les prophètes : E t je
vous donnerai un cœur nouveau, je mettrai en vous un esprit nouveau, j ’ôterai
de votre chair le cœur depierre etje vous donnerai un cœur de chair (Ez 36,26).
Le savoir accumulé n’a pu adoucir leurs cœurs. M ais D ieu est capable, par
Ses bienfaits, d ’adoucir le cœur de ceux qui se repentent véritablement,
comme la cire avec le feu ; alors, avec la chaleur et la lumière du cœur, les
croyants auront leur esprit éclairé par tout le savoir nécessaire.
C ’est ainsi que Jean instruit les sages entêtés de Jérusalem, afin qu’ils
montrent dans leurs actions la sincérité de leur repentir. M ais l’acte le
plus im portant que ces derniers, orgueilleux et pleins de mépris envers
les autres hommes, peuvent accomplir, consiste à rejeter leurs pensées
hautaines et leur affirmation intérieure qu’ils sont les enfants d’Abraham.
Des autres hommes, Jean exige d ’autres fruits du repentir: Que celui
qui a deux tuniques partage avec celui qui n’en a pas, et que celui qui a de quoi
mangerfasse de même (Le 3,11).
Jean sait que ces gens qui se repentent, sont empoisonnés par de
mauvaises habitudes : quand ils ont deux tuniques, ils se battent pour en
avoir une troisième et quand ils ont suffisamment de nourriture, ils ne la
partagent pas avec les pauvres, mais ne cessent d ’e n accumuler davantage.
C’e st pourquoi il les incite à une nouvelle habitude pour faire acte de
charité, en aidant les pauvres, en donnant et en partageant, afin d’élargir
ainsi leur cœur étroit et ressentir la fraternité des hom mes et la paternité
de Dieu, où les introduira com plètem ent Celui qui est plus fort que Jean
par le baptêm e dans le Saint-Esprit et le feu.
Aux publicains, Jean recommande d ’autres fruits du repentir, compte
tenu de leur mauvaise habitude de prendre au peuple plus que ce que la
loi exige. Les publicains étaient des percepteurs, des collecteurs d’impôts,
qui s’étaient enrichis par des collectes auprès du peuple, démesurées et
au-delà de la loi. C ette habitude était si enracinée chez eux qu’ils tiraient
fierté de leur richesse injustem ent acquise, comme les sages de Jérusalem
s’e norgueillissaient de leur savoir. C om m ent pourraient-ils témoigner
mieux de leur repentir, sinon en rejetant ces mauvaises habitudes et en
respectant les prescriptions législatives ? Le sage Jean leur fournit ainsi le
remède à leur maladie.
Q ue conseille Jean aux soldats ? N e molestez personne, n’extorquez rien,
et contentez-vous de votre solde (Le 3, 14). D e nouveau, la maladie et le
94 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
remède. U n hom me armé est enclin à être agressif. Son arm em ent l’y
pousse. Afin de comm ettre l’agression, il doit form ellem ent donner une
justification à cet acte, à l’é gard de sa conscience comme à l’égard du
monde ; aussi l’hom m e en armes, qui comm et l’agression, invoque-t-il la
baisse de son niveau de vie et son maigre salaire. Pour que le repentir des
soldats revête une valeur durable, ils doivent renoncer à leurs mauvaises
habitudes, aux agressions, extorsions et récriminations au sujet d’un
maigre salaire.
T out ce que saint Jean recommande comme fruits du repentir ne suffit
pas pour sauver l’âme du péché, mais suffit à rendre les hom m es dignes
de se présenter devant le Christ. La mission du Précurseur consistait
précisément à donner l’alarme, afin que les hommes se purifient un tant
soit peu et se rendent dignes de paraître devant le visage divin du Sauveur.
E n observant le terrible prophète, qui faisait bouillonner toute la terre
de Judée et Jérusalem, et en écoutant ses cris inhabituels et ses menaces
avec la hache et le feu, les gens lui dem andaient : Qui es-tu ? n’e s-tu pas
le C hrist que le monde attend ? - Je ne suis pas le Christ, répondit Jean. -
E s-tu Elie ? - J e ne le suis pas. - Qui es-tu ? ( Jn 1,19-22). - La voix de celui
qui crie dans le désert: rendez droit le chemin du Seigneur! ( Jn 1,23).
E t Jean reconnut hum blem ent et confessa: M ais Celui qui vient
derrière moi est plus fo r t que moi, L ui dont je ne suis pas digne d'enlever les
sandales (M t 3,11).
Le C hrist est venu enseigner aux hommes l’humilité qu’ils avaient
oubliée et l’obéissance qu’ils avaient transgressée. Il leur a donné le parfait
exemple de Son hum ilité et de Son obéissance à l’é gard du Père céleste. Et
Son Précurseur nous enseigne par son exemple d ’humilité et d ’obéissance
- son exemple d ’hum ilité sans péché et d ’obéissance envers le Christ.
Les hommes dénués d ’humilité et d ’o béissance ne possèdent ni
sagesse ni amour. Celui qui en est dém uni n’a pas accès à Dieu. E t qui n’a
pas accès à Dieu, est privé de lui-m êm e ; il est comme s’il n’e xistait pas :
l’obscurité et l’ombre de la mort.
Si certains parmi vous disent: «Le C hrist est un exemple trop élevé
pour moi, je ne puis prendre exemple sur Lui», voici Jean le Précurseur qui
est, comme homme, plus proche des hom mes mortels. Q u ’ils prennent
exemple sur l’humilité et l’obéissance de Jean. M ais hélas, quand on ne
veut pas faire le bien, on trouve toujours prétexte pour le fuir. M ais celui
qui cherche à illuminer sa triste existence sur la terre trouvera avec joie
une telle lumière chez Jean le Baptiste. Heureusem ent pour lui, car cette
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE AVANT LA THÉOPHANIE 95
étoile, comme celle qui a guidé les mages d’O rient vers Bethléem, l’amè
nera vers le soleil le plus éclatant, le Seigneur Jésus-Christ, qui est le seul
chant des anges et le seul salut des hom mes, hier, aujourd’hui et demain.
À Lui donc la gloire et la louange, avec le Père et le Saint-Esprit, Trinité
unique et indivise, m aintenant et pour toujours, à travers tous les temps
et toute l’éternité. Am en.
H O M É L IE PO U R LA T H É O P H A N IE
Alors la gloire du Seigneur se révélera, et toute chair, d ’un coup, la verra, car
la bouche du Seigneur a parlé (Is 40,5).
Dans les temps anciens, le Seigneur avait promis qu’il se manifesterait
en grande gloire. Les hommes l’entendirent, puis l’o ublièrent. M ais le
Seigneur n’o ublia pas Sa parole. C ar les paroles du Seigneur sont pareilles
à des tours de pierre, qu’on ne peut détruire. Le Seigneur avait promis
qu’il viendrait, mais II ne vint pas quand on en avait le moins besoin,
mais quand II fut le plus nécessaire. T ant que le Seigneur pouvait être
remplacé par des prophètes et des anges, le Seigneur envoya des prophètes
et des anges à Sa place. M ais quand le mal s’accrut dans le monde au
point qu’un ange ne pouvait l’éteindre avec sa lumière, ni un prophète
l’amoindrir avec sa parole, alors le Seigneur tint la promesse faite jadis et
apparut sur terre. M ais com m ent le Seigneur apparut-Il en gloire ? Dans
une humilité et une obéissance indicibles. Ainsi Ses anges paraissaient
plus éclatants et Ses prophètes plus grands que Lui-m êm e. Q uand sur le
Jourdain apparurent le Prophète et le Seigneur, le Prophète attira plus le
regard que le Seigneur. Jean le Précurseur paraissait plus extraordinaire
et plus grand que notre Seigneur le C hrist. Avec deux lourds rideaux
le C hrist avait occulté Sa gloire et Sa grandeur: avec le corps hum ain
et avec l’humilité. C ’est pourquoi les gens ne L’avaient ni remarqué ni
reconnu, alors que les yeux de toutes les puissances célestes étaient dirigés
vers Lui plus que vers tout le monde créé. D oté d ’un corps véritable et
d’une humilité véritable, le Seigneur Jésus arrive de la Galilée au Jourdain,
vers Jean, pour être baptisépar lui (M t 3,13).
Q ue Dieu est merveilleux dans Ses œuvres ! Dans tous Ses actes, Il
nous enseigne l’hum ilité et l’obéissance. Il se cache derrière Ses œuvres,
98 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
et les instruits, les pauvres et les riches. Jean attirait beaucoup l’attention,
autant par son aspect extérieur que par sa vie d ’e rmite dans le désert,
comme par ses paroles étranges. Les gens ne se pressaient pas autour
de Jean parce qu’ils avaient conscience de leurs péchés, ni à cause de
leur désir de se repentir, mais poussés par curiosité, par l’envie de voir et
d ’entendre un hom m e extraordinaire. Une simple curiosité ! Q ue de temps
précieux elle nous fait perdre, ne nous donnant rien en échange sinon des
satisfactions humaines doucereuses et passagères, qui deviennent vite de
l’amertum e ! Com m e elle nous entortille dans ses filets et comme elle ne
cesse de retarder notre repentir et donc notre salut !
Le C hrist ne suscite pas la curiosité. Au milieu de la foule, Il marche
lentem ent vers le Jourdain. Il n’attire en rien le regard des gens, et nul
ne fait attention à Lui. Son aspect extérieur n’e st pas aussi extraordinaire
que celui de Jean, Sa tenue n’e st pas aussi étrange, Sa vie n’e st pas aussi
farouchement ascétique.
Il s’était mêlé à la foule et la foule se déplaçait avec Lui, de Galilée
vers le Jourdain, m angeant et buvant avec Lui et parlant avec Lui comme
avec tout autre hom m e dans cette foule. Le grand Isaïe avait prédit qu’on
Le verrait apparaître sans beauté ni éclat pour attirer nos regards (Is 53,2).
D ans toute l’assemblée réunie au bord du Jourdain, il y avait un
hom me, un seul, qui Le connaissait et Le connaissait vraiment. C ’é tait
Jean le Baptiste. Les yeux du farouche ascète brillèrent, sa voix tonitruante
devint tout à coup m uette et Jean oublia tout le reste de la foule qui était
dans l’eau et au bord de l’eau; désignant Jésus du doigt, il dit d ’une tendre
voix: Voici l'Agneau de Dieu ! (Jn 1,29).
L’Agneau de Dieu! Avec ces deux mots, le Précurseur a exprimé
l’hum ilité et l’o béissance du Seigneur Jésus. Il est humble, et II est obéis
sant comme l’agneau. H um ble devant Dieu et obéissant à Dieu. C ’est
pourquoi il dit : l’Agneau de Dieu. Tel un agneau, Il marche doucement
et hum blement. D e même que l’agneau va vers la pâture et vers l’abattoir
avec le même attachem ent pour son berger, de même le C hrist marche
là où le Père céleste Le conduit: Son lieu de naissance dans la grotte, le
baptêm e dans le Jourdain, la crucifixion, toujours avec la même disponi
bilité et le même attachem ent.
M ais après avoir dit Voici l'Agneau de Dieu, Jean ajoute ces mots:
qui enlève le péché du monde. C om m ent le C hrist assum e-t-Il le péché
du m onde? Par Son am our et Son sacrifice, qui sont indissociables,
car il n’y a pas d ’amour véritable sans sacrifice ni de sacrifice véritable
HOMÉLIE POUR LA THÉOPHANIE 101
sans amour. C ’e st par amour que le C hrist est descendu dans ce monde
charnel et qu’il a revêtu le faible corps hum ain. Ce monde n’est pas aussi
pur, beau et doux qu’il était avant le péché d’Adam. À la suite du péché,
le monde a endossé une enveloppe charnelle sombre et épaisse, qu’il
porte m aintenant. Le monde transparent est devenu un m onde grossier
et obscur; le monde pur est devenu im pur; le m onde de la beauté, un
monde m onstrueux et difforme; le m onde de tendresse, un monde de
brutalité. C ’est dans un tel monde qu’e st descendu Celui qui est le plus
transparent, le plus pur, le plus beau et le plus tendre. Il a pris sur Lui le
péché du monde, en venant au m onde dans le corps de ce m onde, qui est
grossier et qui se nourrit de nourriture grossière. Ainsi, en premier lieu, Il
a assumé le péché du monde en devenant Lui-m êm e un corps, tel que le
corps est devenu après le péché du premier-né.
En deuxième lieu, parce que c’est par amour qu’il a accepté de se plier
à toutes les lois qui ont été données aux hommes après le péché. E t cela,
alors qu’il n’avait nul besoin de respecter ces lois. O r II a consenti à les
respecter toutes, aussi bien les lois données à la nature que les lois données
aux hommes. C ’e st pourquoi II s’e st soumis à la faim, la soif, la fatigue
et aux douleurs de toutes sortes, à l’instar des autres hom m es mortels ;
et c’est pourquoi II devait se développer lentem ent, comme tout ce qui
pousse, tout au long de trente années, avant de commencer Sa mission
publique. Enfin, c’e st pour cela qu’il a été circoncis, qu’il a été baptisé,
qu’il est venu au temple pour la prière et qu’il a payé des taxes à l’e m pe
reur. Toutes les lois apparues après le péché du prem ier-né, Il les a prises
sur Lui et satisfaites. C ’e st pour cela qu’il est Celui qui enlève le péché
du monde. E n fait, Il a respecté toutes les lois avec autant d ’obéissance et
d’aisance que les hom mes ont mis de désobéissance et de difficultés à se
plier même à ces lois.
Enfin, en troisième lieu, parce qu’il s’est offert Lui-m êm e en sacrifice
pour les péchés du monde, par Sa crucifixion volontaire sur la Croix,
et aussi parce qu’il a été égorgé comme un agneau et a versé Son sang
innocent pour les péchés de la multitude. E n vérité, toute Sa vie terrestre
a été un sacrifice, comme toute Sa vie en général fut amour. Son sacri
fice a été de revêtir une enveloppe charnelle et de recevoir la loi pour
Lui-même. M ais sur la croix, Il a scellé Son sacrifice avec Son sang et
a effacé com plètem ent toute m ention de nos péchés. Sur la Croix, Il a
montré toute l’horreur du péché hum ain, mais aussi tout l’amour divin
allant jusqu’à se sacrifier Lui-m ême.
102 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
avez qu'un, le Père céleste (M t 23, 9), Il ne voudra rien dire d ’autre que
les hommes ne sont fils de Dieu que par adoption. Seul le très grand
amour de Dieu peut appeler Ses créatures, fils. M ais le C hrist est le seul
et véritable Fils de Dieu par amour et par essence.
C ’est pour cela qu’il est dit : M on Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur.
Ces deux expressions renforcent la m anifestation de l’amour du Père et
de Sa bonne volonté à l’é gard de Son Fils. Le lien éternel entre le Père
et le Fils ne s’e st pas affaibli et leur amour ne s’est pas refroidi quand le
Fils est descendu dans le monde du péché, revêtu de la fragile enveloppe
charnelle des hommes.
Ainsi, le baptêm e du C hrist dans le Jourdain est lié à la révélation de
la Sainte Trinité à l’hum anité. Il n’existe pas de révélation plus grande.
C’est ainsi en effet que nous a été m ontré le mystère de l’essence trinitaire
de Dieu. Le Sauveur a descellé dans le Jourdain ce qui est le plus grand
mystère dans les deux et sur terre. Nous disons «et sur terre», car le
caractère trinitaire de l’Etre divin explique le mystère le plus profond de
l’homme, son propre caractère trinitaire, car dès le début de l’Écriture
Sainte Dieu dit: «Faisons l ’homme à notre image...» (G n 1, 26). C ’est
pourquoi la fête du baptêm e du C hrist s’appelle Théophanie. C ar Dieu
est apparu dans le fleuve Jourdain tel qu’il est, dans la mesure où cette
apparition est accessible à l’hom m e charnel. C ette fête porte aussi le
nom d ’illum ination. C ’e st ainsi en effet que l’esprit hum ain est illuminé
par la connaissance du plus profond mystère divin. Elle porte le nom
d’illumination aussi parce que le baptêm e du Christ, par Son immersion
dans l’eau, illumine notre intelligence, purifie notre cœur et élève notre
âme en nous faisant connaître la façon de nous sauver, qui consiste à
enterrer le vieil hom m e et à faire naître l’hom me nouveau, c’e st-à-dire à
faire trépasser tout ce que nous avons de pécheur et de m ortel et à donner
vie à ce qui est sans péché et immortel.
Tout ce qui s’est produit lors du baptêm e du Christ, se produit aussi
lors du baptême de chacun de nous. E n nous imm ergeant dans l’eau, nous
mourons avec le C hrist, et en nous relevant de l’eau, nous nous unissons au
Christ vivant. Le doux Esprit de Dieu nous survole comme une colombe,
nous insufflant Sa grâce toute-puissante. E t le Père, par l’intermédiaire
de l’amour de Jésus-Christ, nous adopte et proclame cette filiation par Sa
voix. Q ui peut savoir ce qui se produit à l’heure du baptêm e dans l’âme
de chaque enfant? Enténébrés et accablés par le péché commis plus tard,
nous oublions le plus grand mystère céleste, qui nous est révélé lors du
108 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
baptême. Par le baptêm e nous sommes purifiés de tout péché, mais après
notre baptême, surviennent les tentations de Satan auxquelles le Christ
n’a pas succombé, mais auxquelles nous succombons. M ais ceux parmi
nous qui se préoccupent du salut jour et nuit avec une totale humilité
et obéissance envers Dieu, peuvent se rendre dignes de la révélation du
très grand mystère divin, qui s’e st manifesté dans le Jourdain, comme se
sont rendus dignes d ’une telle vision de nombreux saints et martyrs pour
le Christ. Le martyre pour le C hrist est considéré comme un troisième
baptême, puisque le prem ier baptêm e de Jean fut le baptêm e avec de
l’eau et que le deuxième baptême, celui du Christ, fut le baptêm e avec le
Saint-Esprit et le feu. Le troisième baptême, celui du martyre, est appelé
baptêm e dans le sang. Les martyrs pour le C hrist qui furent baptisés en
versant leur sang pour le C hrist, ont eu habituellem ent la vision d’une
grande partie du mystère révélé dans le Jourdain lors du baptême du
Christ. L’exemple le plus connu du caractère visionnaire d ’un tel baptême
dans le sang fut la m ort du premier m artyr pour le Christ, l’archidiacre
Etienne : Tout rempli de l ’E sprit Saint, Etienne fix a son regard vers le ciel;
il v it alors la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite de Dieu. C ’est là que
furent m ontrés et l’Esprit et le Fils et le Père. Etienne s’écria alors :Je vois
les deux ouverts et le Fils de l ’homme debout à la droite de Dieu. Alors les
Juifs se m irent à le lapider (Ac 7,55-60).
Efforçons-nous, par une foi forte, de bonnes actions et une participa
tion fraternelle à la joie et à la souffrance de nos proches, mais toujours
dans l’hum ilité et l’obéissance à l’é gard du D ieu vivant, de retrouver la
pureté sans péché que nous avons revêtue lors de notre baptêm e; nous
aussi, nous nous rendrons dignes de la gloire, de la joie et de la beauté
éternelle des saints et des martyrs de Dieu. Ainsi nous serons, nous aussi,
sanctifiés, les deux s’o uvriront devant nous et Dieu nous apparaîtra - le
Père, le Fils et l’Esprit Saint, Trinité unique et indivise, m aintenant et
pour toujours, à travers tous les temps et toute l’éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE SAM EDI
Q U I SU IT LA T H É O P H A N IE
Il n’existe pas de com m andem ent de Dieu que les hom mes n’ont pas
transgressé, comme il n’y en a pas un seul que les hom mes ont respecté
sans lam entation ni bougonnem ent. M ais il n’existe aucun com m ande
ment de Dieu que le Seigneur Jésus ait transgressé, comme il n’y en a
pas un seul qu’il n’ait respecté sans lam entation ni bougonnem ent. Tout
ce que dans Sa vie terrestre, Il a eu à parcourir, à accomplir et à endurer,
Il l’a parcouru, accompli et enduré dans une humilité et une obéissance
totales à l’é gard de Son Père céleste. D ans le seul but de nous enseigner
l’humilité et l’obéissance ! Dans le seul but de nous encourager à persé
vérer ! Dans le seul but de nous m ontrer que tout ce qui a été commandé
par le ciel peut et doit être accompli sous la surveillance toute-voyante et
la conduite du Dieu vivant. Les hom mes se plaignent de la pauvreté et de
l’insignifiance de leur origine, alors que tous les hommes sont en fin de
compte d ’ascendance royale, de royauté divine. Alors que Lui, Fils unique
et bien-aimé de Dieu, ne s’est jamais plaint d ’ê tre né dans une grotte de
bergers, sans avoir où poser Sa tête.
Les hommes maudissent leurs ennemis, même si très souvent c’est leur
péché qui a fait de leur voisin un ennemi. Alors que Lui, innocent agneau
de Dieu, fut obligé, petit enfant sur le sein de Sa mère, de fuir dans un
pays lointain sous la menace du couteau sanglant d ’Hérode. Cependant,
Il ne m audit jamais Ses ennemis.
Les hommes se révoltent contre les autorités et les lois, même quand
leurs tourm ents viennent d’eux-mêmes. Alors que Lui, législateur de
l’univers, s’e st soumis aux autorités et aux lois en donnant à César ce qui
est à César.
110 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Les hommes trouvent qu’il est dur de jeûner, même s’il leur est permis
de se nourrir, dans les périodes de jeûne les plus strictes, de pain et de
légumes et même si le jeûne est indispensable pour purifier l’esprit et la
conscience. Alors que Lui, le Très Pur, qui n’avait aucune raison de se
purifier, s’est volontairement infligé un jeûne de quarante jours, sans pain,
ni légumes, ni eau.
Pour les hommes, prier est un acte difficile, dans l’église ou dans
la solitude, même si la prière est une échelle qui relève l’hom me de la
poussière et de l’animalité vers Dieu. Alors que Lui, qui se tenait charnel
lem ent, avec d’autres hommes, au pied de l’échelle de vie sans cesser d’être
spirituellement au sommet, se rendait tout joyeux au temple pour y prier
et passait toute une nuit à prier dans la solitude.
Les hommes ne veulent pas obéir à la m oindre parcelle d ’un comman
dem ent de Dieu sans bougonner, m ême si cette loi a été instaurée en vue
de leur propre salut. Alors que Lui, le Sauveur du monde, qui n’avait nul
m otif de chercher Son salut, a rempli dans l’o béissance les commande
ments de Dieu les plus rudes, s’offrant hum blem ent en sacrifice pour les
hommes, uniquem ent parce qu’il savait que telle était la volonté du Père
céleste et qu’il était nécessaire de l’accomplir pour le salut des hommes.
Adam et Eve, qui vivaient dans l’abondance du paradis et la satiété
de tous les trésors et délices divins, furent incapables de résister à la
minuscule tentation du démon et de laisser intact le fruit interdit. Alors
que Lui, dans le désert et la solitude, affamé et assoiffé, sans pain ni eau,
sans ami ni aide, a résisté aux tentations les plus grandes, que seul Satan
l’im pur avait pu imaginer.
Com m e sont majestueux, tragiquem ent majestueux, tous les événe
ments de la vie du C hrist! Com m e des montagnes, dont les fondements
sont battus par la m er impuissante et dont les cimes sont quêtées en
vain par l’œil hum ain. D e nombreux lecteurs de l’Écriture sainte croient
que le principal enseignement du C hrist réside dans Son Sermon sur
la M ontagne. Cependant, il existe beaucoup d ’é vénements dans la vie
du C hrist dont le caractère instructif les place sur le même plan que le
Sermon sur la M ontagne. Il est difficile de dire ce qui est essentiel chez
le C hrist, et ce qui est secondaire. Il est certain que chez Lui, rien n’est
secondaire. E t il est certain qu’o n ne peut affirmer que Son enseigne
m ent exprimé en paroles revêt plus d ’importance que Son enseignement
exprimé dans des actes et des événements. En outre, on pourrait plutôt
dire que les œuvres du C hrist et les événements de Sa vie laissent une
HOMÉLIE POUR LE SAMEDI QUI SUIT LA THÉOPHANIE 111
impression plus forte chez les fidèles et provoquent des sentiments plus
marqués que Son enseignement oral. Tout comme une impression plus
forte sur les hom m es serait laissée par un médecin qui aurait ouvert sans
dire un m ot les yeux d’un aveugle, que par celui qui aurait expliqué avec
des mots com m ent les aveugles retrouvent la vue. M ais d’un autre côté,
les œuvres sublimes et gigantesques du Héros divin et les événements
de Sa vie, seraient restés comme des rochers mystérieux et sans nom s’ils
n’avaient pas été exprimés et expliqués dans l’enseignement dispensé dans
les paroles du M aître divin. E n réfléchissant à l’un et à l’autre, l’homme
doit, avec beaucoup de crainte et d ’humilité, affirmer que l’un ne peut
être dissocié de l’autre, tout comme on ne peut séparer l’e st de l’ouest.
Car à quoi nous serviraient les paroles du C hrist: Priez sans cesse si
Lui-même n’avait donné un exemple évident de prière incessante? O u
encore, com m ent pourrions-nous comprendre et appliquer Son exemple
d’un jeûne de longue durée, si Lui-m êm e ne nous avait pas expliqué
le besoin et le caractère salvateur du jeûne? C ’est également ainsi que
se complètent Son œuvre de miséricorde et Son enseignement sur la
miséricorde, Son com bat avec Satan et Son enseignement sur la veille
spirituelle et la résistance aux tentations, et tout le reste qui fut dit et
accompli. Ses œuvres sont en harm onie avec Ses paroles, comme un corps
sain avec une âme saine. Il est venu sur terre non seulement pour que Son
âme soit incarnée dans un corps, mais pour donner chair à chacune de Ses
paroles, pour que chacune de Ses paroles élevées soit incarnée de façon
sublime dans une œuvre visible ou un événement visible.
Considérons m aintenant com m ent le Seigneur incarne dans un corps
majestueux, les actes et les événements de Son enseignement sur le jeûne,
la veille spirituelle et la résistance aux tentations.
Après le baptêm e dans le Jourdain, Il entreprend la très grande ascèse
du jeûne, de la veille et de la lutte contre Satan. Alors Jésusfut emmené au
désert par l ’E sprit, pour être tenté par le diable (M t 4 ,1). Pourquoi aussitôt
après le baptêm e ? Pour nous m ontrer que nous sommes, nous aussi après
le baptême, exposés aux tentations, et cela jusqu’à notre m ort charnelle.
Par le baptême, nous avons été purifiés et armés de la force divine, puis
envoyés au combat. Com m e le dit le très sage Chrysostom e, « tu n’as pas
reçu des armes pour t ’asseoir, mais pour combattre». Par le baptême,
nous sommes devenus semblables à Adam au paradis. Pourquoi Dieu
nous expose-t-Il à des tentations, nous dem andons-nous de nouveau?
En premier lieu, pour m ontrer notre liberté. Lors du baptêm e, Dieu nous
112 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
a armés de Sa force, puis, ainsi armés, nous a laissés choisir: soit utiliser
cet arm em ent contre le diable, soit contre Dieu. En second lieu, pour que,
si nous chutons, soit révélé le péché d ’Adam et justifiée la décision divine
d ’e xpulser Adam du paradis vers la vallée des larmes, et que si nous triom
phons, soit révélée la puissance divine en nous. C ar la Création Nouvelle
possède une force nouvelle, un paradis nouveau, un hom m e nouveau, une
nouvelle victoire et une gloire nouvelle, mais aussi une nouvelle chute.
Pourquoi l’Esprit Saint a-t-Il emmené le C hrist au désert pour être
tenté ? Pour m ontrer que c’est à dessein et non par hasard que le Christ
a été confronté aux tentations. Adam n’a pas été emmené à dessein par
Dieu devant Satan pour qu’il soit tenté par celui-ci, alors qu’avec le Christ,
Dieu a agi ainsi à dessein : pour m ontrer qu’Adam, placé dans des condi
tions meilleures, a succombé aux tentations, alors que le Christ, dans des
conditions plus dures, a triomphé des tentations. Cela est démontré aussi
par le fait que la chute d ’Adam a eu lieu au paradis, alors que la victoire
du C hrist est survenue sur terre, dans la vallée des larmes et des exils, dans
le désert. Car il est dit que Jésus fut emmené par l’Esprit dans le désert.
Dans le désert, le Christ ajeûné durant quarante jours et quarante nuits.
Quelle scène terrible ! Tandis que les pécheurs, pour lesquels le C hrist est
descendu sur terre, se vautrent dans les excès et l’ivresse incontrôlée des
plaisirs terrestres, Lui-m êm e, l’ami des pécheurs, reste jour et nuit dans le
désert dans une prière solitaire et baignée de larmes, n’absorbant ni pain
ni eau, tout au long de quarante jours et quarante nuits. Le Seigneur agit
ainsi pour m ontrer Son amour infini envers l’humanité, qu’il purifie par
Son jeûne et instruit par Son exemple, pour montrer Son attachement
irrésistible et indéfectible à Son Père céleste et Son obéissance envers Lui.
Voilà que tout ce que les hommes disent ne pas pouvoir faire, Il le peut; et
tout ce que les hommes font à contrecœur et en bougonnant, Il le fait avec
obéissance et ardeur. Il a accompli tout ce que le peuple élu affirmait ne
pas pouvoir faire. C ’est alors qu’il se trouvait dans la riche Egypte et qu’il
était dans l’abondance, que le peuple élu a chuté et s’e st éloigné de Dieu.
Mais quand Lui-m êm e se retrouva en Égypte, Il ne fut pas touché par
l’obscurité égyptienne, à l’instar de Joseph. Le peuple élu est resté quarante
ans dans le désert; il y connut la déchéance et la chute par rapport à Dieu,
alors que Dieu le conduisait de Sa main et le nourrissait de la manne
céleste. O r Lui-m êm e a passé quarante jours et quarante nuits dans le
désert sans manger ni boire, dans l’humilité immuable et l’obéissance
envers Dieu. Enfin, en arrivant dans la Terre promise, le peuple élu n’a
HOMÉLIE POUR LE SAMEDI QUI SUIT LA THÉOPHANIE 113
fait que chuter et se détacher de Dieu, alors que Dieu n’avait cessé de le
mettre en garde à travers la loi et les prophètes. Lui-m êm e, dans la Terre
promise, alors qu’il avait déjà été reconnu par certains comme étant le
Messie, demeura fidèle, humble et obéissant à l’é gard du Père céleste.
Après quarante jours de veille incessante, de jeûne et de prière, le
Seigneur Jésus eutfaim . C ’est alors que s’approchant, le tentateur commença
à L’éprouver.
[1] La première tentation fut charnelle, sur le corps famélique
du Sauveur; le tentateur lui dit: Si tu es Fils de Dieu, dis que ces pierres
. deviennent des pains (M t 4, 3). M ais pourquoi le diable n’a-t-il pas trans
formé la pierre en pain, pour le proposer au C hrist? Cela aurait représenté
une tentation plus forte pour un hom m e affamé : voir et sentir devant soi
le goût du pain chaud. Pourquoi donc, le diable n’a-t-il pas fait cela et
apporté un pain tout frais à Jésus affamé ? Pour une raison très simple :
parce qu’il en était incapable. Dans son impuissance, il souhaite que Jésus
Lui-même crée pour lui un moyen pour Le tenter. Dieu est le créateur des
pierres, Dieu est aussi le créateur du pain. E n fait, Dieu produit le pain
à partir de la pierre, c’e st-à-dire de la terre. Le miracle de transform er la
pierre en pain, D ieu l’accomplit chaque jour, comme II accomplit chaque
jour le miracle de transform er [dans le corps humain] le pain en sang.
Cela, Dieu le peut, et personne d ’autre. Jésus pouvait l’accomplir sans
y être invité par quiconque, s’il l’avait voulu. C ar ne jeûne pas celui qui
ne possède rien et ne peut rien avoir, et il ne se nourrit donc pas. En
revanche, celui qui jeûne, c’est celui qui possède et est capable d’acquérir,
mais qui décide de ne pas se nourrir. Il est évident que, dans les paroles
du diable, se manifeste aussi le désir de se m oquer de D ieu, comme s’il
voulait dire : « Voilà ce qu’est la puissance divine et la miséricorde divine !
Un désert de pierre et de désespoir, de tous côtés. Nulle part il n’y a de
pain pour l’hom m e qui a faim : D ieu a créé l’hom me et l’a mis dans un
désert sans nourriture pour que la faim le fasse souffrir et qu’il y meure de
faim. O ù est donc la puissance, où est l’amour, où est la charité de D ieu ?
C’est pourquoi, si tu es en vérité Fils de D ieu et si tu le peux, transforme
donc ces pierres de D ieu en pain et mange-le. Si Dieu ne t ’a pas accordé
un tel pouvoir, pourquoi restes-tu avec Lui? Viens avec moi t ’o pposer à
Dieu!» Hélas, ce genre de chuchotem ent et de murmure réussit auprès
de nombreuses personnes de peu de foi.
A ces méchancetés blasphématoires le C hrist fait calm em ent une
réponse qui peut servir, jusqu’à la fin du monde, d ’enseignem ent et de
114 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
réprim ande à tous les gros mangeurs de ce m onde ; II est écrit : « Ce n’est
pas de pain seul que vivra l ’homme, mais de toute parole qui sort de la bouche
de Dieu » (M t 4, 4). C réer est plus difficile que nourrir. Avec Son verbe,
D ieu a créé tout ce qui existe et par Son verbe II est capable de nourrir
toutes Ses créatures. D e quoi se nourrissent les puissances célestes si
ce n’est de la parole vivifiante de D ieu? Nous avons été réduits à nous
nourrir de poussière quand nous nous sommes éloignés de la parole
de D ieu ; mais il n’en demeure pas moins que la vie, qui nous arrive à
travers la poussière, ne vient pas de la poussière mais de la parole de
Dieu. Vivifie-moi selon ta parole (Ps 119, 25) dit le psalmiste. Quelle est
douce à mon palais ta promesse,plus que le miel à ma bouche ! (Ps 119,103)
Nulle part il n’esc dit dans l’Ecriture Sainte que la vie et la lumière se
trouvent dans le pain de poussière, mais il est dit que la vie et la lumière
se trouvent dans la parole de Dieu (Jn 1, 4). Toute la vie est en Dieu, et
il n’y a pas de vie en dehors de Dieu. T out le reste : la nourriture, l’eau,
l’air et la lumière ne sont pas la vie, ni la source de la vie, mais seulement
des voies de la vie. Ce sont aussi des paroles de Dieu, présentées sous
des aspects concrets et sensibles destinés aux créatures charnelles que
nous sommes. Les anges sans péché n’o nt besoin d ’aucune voie, ils se
nourrissent directem ent de la parole vivifiante de Dieu. Exténués et
affaiblis par le péché, nous ne pourrions supporter la parole de Dieu
pure et nue, car ce serait une nourriture trop forte pour nous. Vivante,
en effet, est la parole de Dieu, effcace et plus incisive qu’aucun glaive à deux
tranchants, elle pénètre jusqu au point de division de l ’âme et de l'esprit, des
articulations et des moelles, elle peut juger les sentiments et les pensées du cœur
(H e 4, 12). Telle est la puissante et forte parole nue de Dieu. E t si le
C hrist, en tant que Verbe de Dieu, était venu sur terre sans être revêtu de
l’enveloppe dense et charnelle de la matière, qui aurait pu Le supporter?
Pressentant toute la force surpuissante du C hrist comme Verbe de Dieu,
le prophète M alachie dit avec crainte : E t soudain II entrera dans Son
sanctuaire; mais qui soutiendra le jour de Son arrivée? Qui restera droit
quand II apparaîtra ? Car II est comme lefe u du fondeur et comme la lessive
des blanchisseurs (M l 3, 1-2).
Le C hrist Lui-m êm e est cette parole de Dieu et ce pain de vie, dont
chaque pain substantiel reçoit la force de vie et la nourriture. Pourquoi
ferait-Il du pain avec de la pierre ? Il a eu faim non parce qu’il y était
obligé, mais parce qu’il le voulait, car II avait accepté volontairement de
respecter chaque loi. Ce n’était pas la faim éprouvée par hasard par un
HOMÉLIE POUR LE SAMEDI QUI SU IT LA THÉOPHANIE 115
homme m ortel ordinaire, mais la faim de Celui qui est immortel, dont
la victoire sur le diable et l’enseignement allaient rassasier les générations
jusqu’à la fin du monde.
[2] La deuxième tentation fut dirigée contre l’esprit. Alors le diable
Le p rit avec lui dans la ville sainte, et il Le plaça sur le pinacle du Temple et
Lui dit: Si tu es Fils de Dieu,jette-toi en bas; car il est écrit: I l donnera pour
toi des ordres à ses anges, et sur leurs mains ils te porteront, de peur que tu ne
heurtes du pied quelque pierre (M t 4,5-6). Ici aussi, le diable débute par des
paroles mauvaises : si tu es Fils de D ieu... M ais le voilà qui commence à se
servir de l’Écriture Sainte (Ps 90, 11-12), mais en donnant à ces paroles
une interprétation erronée, comme c’est l’habitude de tous les ennemis de
Dieu et de la loi divine.
Si la première tentation avait pour but d ’éclairer les gourmands et
les esprits voluptueux, cette deuxième tentation est destinée à instruire
les esprits hautains, les écrivains fiers de leur savoir qui, ayant amassé
quelques connaissances concernant la nature matérielle et la vie sensuelle,
se considèrent orgueilleusement au-dessus de l’église de Dieu, jusqu’au
moment où, au plus fort de leur griserie, Satan leur ordonne de sauter
tout au fond de la déchéance.
En effet, en amassant des connaissances en dehors de D ieu et de
‘l’Eglise de Dieu, les gens orgueilleux croient qu’ils acquièrent de la
puissance, alors qu’en fait ils acquièrent de l’impuissance. Q ui accroît son
orgueil, augmente son impuissance. Quiconque s’é loigne de Dieu devient
de plus en plus petit en esprit et en force, pour finir par s’évanouir comme
une bulle d ’air dans le vent. Q uand l’hom me orgueilleux accroît son
impuissance jusqu’à l’extrême, et qu’il s’é loigne de Dieu jusqu’à l’extrême,
il considère qu’il se tient debout sur le somm et de ‘l’Église de Dieu, et
qu’il a mis D ieu Lui-m êm e à ses pieds. C ’est alors que Satan vient le
tenter et lui dit : saute et envole-toi ! Tes anges, c’est-à-dire tes idoles, te
retiendront pour que tu ne tombes pas !
Que répond le Seigneur Jésus à celui qui Le tente? Jésus lui dit: «Il
est encore écrit: Tu ne tenteras pas le Seigneur, ton Dieu» (M t 4, 7). Dieu
aime les hommes d ’un amour indicible ; c’e st pourquoi D ieu ne prendra
part à aucun jeu grotesque des hommes, ni n’accomplira de miracles pour
satisfaire la curiosité humaine. Dieu n’a accompli et n’accomplira aucun
miracle pour satisfaire la curiosité des hommes. Tous Ses miracles sont
destinés à répondre aux besoins véritables des nécessiteux: guérir les
malades, convertir les incroyants en quête de la vraie foi, légitimer les
116 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
actions des croyants exposés au m artyr pour la vraie foi. Nous tentons
Dieu par chacune de nos actions, chacune de nos pensées et chacun de
nos souhaits, quand ils ne sont pas fondés sur l’humilité et l’obéissance
à l’égard de Dieu. Ceux qui, s’enorgueillissant de leur intelligence et de
leur savoir, insultent la loi divine, tentent D ieu pour leur plus grand péril.
Car D ieu est capable de rester tolérant longtemps ; Il peut tolérer ainsi
leur harcèlement, leur orgueil, leur impiété, dans l’attente que toute trace
s’évanouisse de leur esprit et que, devenus honteux, ils se repentent. Mais
à la fin des fins, quand ils se figent dans la rigidité de leur cœur - ce qui
découle aussi de leur orgueil - , Dieu les rem et com plètem ent au pouvoir
du dém on tentateur. « D ieu a promis le pouvoir à celui qui est en danger,
non à celui qui Le tente ; à celui qui est dans la détresse, non à celui qui
fait tout pour paraître, à la recherche d ’une vaine gloire10.» Le démon
tentateur les amène au point le plus élevé de l’o rgueil et leur propose alors
de se jeter en bas. Obéissants, ils sautent et s’enfoncent dans la déchéance.
E t leur nom est rayé pour toujours de la liste des vivants.
[3] La troisième tentation fut dirigée contre le cœur. De nouveau
diable prend Jésus avec lui sur une très haute montagne, L ui montre tous les
royaumes du monde avec leur gloire et L ui dit: « Tout cela, je te le donnerai,
si, te prosternant, tu me rends hommage» (M t 4, 8). C ’est la tentation de la
richesse, du pouvoir et de la gloire. Innom brables sont ceux qui tom bent
dans ce piège de Satan. C om m ent le diable pourrait-il offrir ce qui n’est
pas à lui? C ar le prophète a dit: A u Seigneur, la terre et la plénitude, le
monde et tout son peuplement (Ps 24,1). M ais le diable m ent, parce qu’il est,
selon les paroles du Sauveur Lui-m êm e, menteur et père du mensonge ( Jn 8,
44). A ses mensonges ne succombent que les faibles d ’esprit, qui oublient
que le Dieu vivant et véritable est le seul maître tout-puissant du monde.
Ce que D ieu donne aux hommes, est utile aux hommes ; mais ce que le
diable leur prom et et leur donne en apparence n’est que déchéance pour
les hommes. C ar il ne donne pas ce qui est à lui, mais ce qui a été volé à
autrui, sous le regard de D ieu qui-voit-tout. C ’est pourquoi ce que Dieu
donne est durable et béni, alors que ce que le diable donne est passager
comme le vent et maudit.
À cette dernière tentation où le diable a utilisé le plus grand mensonge
du monde, et où il a exigé du Seigneur quelque chose qui dépasse
toute insolence autre que satanique, le Seigneur Jésus s’e st exclamé
sur Son ordre, com m e il est indubitable qu’il pouvait les appeler à l’aide
quand et comm e II le voulait. Lui-m êm e a tém oigné de cela, quand II
fut arrêté à G ethsém ani et conduit au tribunal. L’un des disciples avait
porté la m ain à son glaive pour défendre son M aître, mais le C hrist le lui
interdit en disant: Penses-tu donc que je ne puisse faire appel à mon Père,
qui me fournirait sur-le-champ plus de douze légions d'anges (M t 26, 53) ?
M ais L ui-m êm e ne le voulait pas. Il voulait, comme homme, être éprouvé
par Satan. T out hom m e possède au moins un ange gardien, qui l’aide
dans la lutte contre les tentations. Le C hrist voulait rester seul, sans
un seul ange à Ses côtés. Tout hom m e est tenté, avec la permission de
Dieu, habituellem ent par de mauvais esprits inférieurs. M ais Lui a voulu
être tenté par Satan lui-m êm e, le patron de tous les mauvais esprits. E n
un mot, Il a voulu, dans les conditions les plus difficiles, affronter les
tentations les plus grandes, et cela face au plus grand tentateur du genre
hum ain, auquel A dam et Eve avaient succombé au paradis. Il a lutté, Il a
vaincu et nous a laissé un exemple unique de victoire, plein de réconfort
et d ’inspiration. Le grand Isaïe, prédisant cette lutte et cette victoire, a fait
cette prophétie : Le Seigneur comme un héros s’avance, et comme un guerrier
I l éveille son ardeur (Is 42,13).
Q uand le H éros des héros a rem porté la victoire, Il a permis que les
anges s’approchent de Lui. E t voici que des anges s’approchèrent, et ils Le
servaient (M t 4 ,11).
D evant un tel exemple du plus grand ami-des-homm es apparu sur
cette terre de pécheurs, qui d ’entre nous pourrait se plaindre de quelque
souffrance que ce soit dans son existence? Aucun de ceux qui sont
capables d’éprouver de la honte et qui ont une conscience. Aussi devons-
nous nous hâter, ta n t que se prolonge encore la journée tumultueuse de
notre existence, qui raccourcit rapidement, de nous repentir pour toute
notre paresse et notre insouciance dans le respect de la loi divine. H âtons-
nous dorénavant, par obéissance envers Dieu, d’effacer le péché commis
en bougonnant contre la volonté de Dieu. Avec humilité et obéissance,
accomplissons tout ce que D ieu réclame de nous : le jeûne, la prière, la
veille spirituelle, la surveillance vigilante des intrigues du tentateur malé
fique et de tous ses serviteurs impuissants. Dieu nous demande de vaincre,
car II sait que nous ne sommes pas en mesure de le faire. Il ne nous
demande que d ’ê tre attachés à Sa volonté, d’être humbles et obéissants.
C ’est Lui qui dispose des armes et la victoire est la Sienne. Il sera toujours
à nos côtés et Ses anges seront à notre service. Majestueux est le Seigneur
HOMÉLIE POUR LE SAMEDI QUI SU IT LA THÉOPHANIE 119
c’e st parce que Dieu l’a préservé par Sa force et Sa miséricorde pour qu’il
ne le soit pas. La seule chose qu’il admet, c’est qu’il est, soi-disant, un
hom me d ’un rang et d’une valeur si exceptionnels qu’il n’a pas d’équiva
lent dans le monde ; mais même doté d ’une telle stature, il fait des efforts
et des sacrifices pour se m aintenir à cet échelon si élevé, au-dessus de
tous les autres hommes. Ainsi il jeûne deux fois par semaine et donne
la dîme de tout ce qu’il acquiert. A h, comme est facile la voie du salut
que s’est choisi le pharisien, plus facile que le chemin le plus facile vers la
déchéance ! D e tous les com m andem ents donnés par D ieu à son peuple
par l’intermédiaire de Moïse, il a choisi les deux plus faciles. M ais en
fait, même ces deux-là, il ne les respecte pas vraiment. E n effet, Dieu
n’a pas donné ces deux com m andem ents parce qu’il avait besoin que les
hommes jeûnent deux fois par semaine et qu’ils donnent la dîme. Dieu
n’en a absolument pas besoin. De même, Il n’a pas donné ces com m ande
ments aux hom mes afin qu’ils constituent un but en soi, mais - comme
tous les autres com m andem ents - afin de donner naissance à l’humilité
à l’égard de Dieu, à l’obéissance envers Dieu et à l’amour envers Dieu et
les hommes ; en un mot, afin de réchauffer, attendrir et illuminer le cœur
humain. C ependant, le pharisien respecte ces deux com m andem ents sans
but véritable. Il jeûne et donne la dîme, tout en haïssant et en méprisant
les hommes et en s’enorgueillissant devant Dieu. Il demeure ainsi comme
un arbre stérile. Le fruit n’est pas dans le jeûne, le fruit est dans le cœur; le
fruit n’est pas dans un com m andem ent, le fruit est dans le cœur. Tous les
commandements et toutes les lois servent le cœ ur; ils le réchauffent, ils
le purifient, ils l’illum inent, ils l’irriguent, ils l’entourent, ils le désherbent,
ils le font semer, et cela dans le seul but que le fruit contenu au fond du
cœur germe, croisse et mûrisse. Toutes les bonnes actions sont un moyen
et non un but, une m éthode et non un fruit. Le but est dans le cœur et le
fruit est dans le cœur.
C ’est ainsi que le pharisien n’a pas atteint avec sa prière ce qu’il recher
chait; il n’a pas m ontré la beauté de son âme mais sa monstruosité, il n’a
pas révélé sa bonne santé mais sa maladie. C ’est ce que le C hrist a voulu
dévoiler avec cette parabole, non seulement dans le cas de ce pharisien,
mais plus généralem ent en ce qui concerne la corporation des pharisiens
qui gouvernait alors le peuple d ’Israël. M ais avec cette parabole, le
Seigneur a voulu dévoiler et dénoncer la fausse piété et le pharisaïsme au
sein de toutes les générations de chrétiens, y compris la nôtre. N ’y a-t-il
pas aujourd’hui encore parmi nous des hommes qui prient Dieu comme
126 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
le pécheur ne baisserait-il pas les yeux devant le Dieu T rès-H aut? Tout
péché commis envers les hommes est commis envers D ieu ; il n’y a pas
de péché sur terre qui n’atteigne pas Dieu. Le véritable hom m e de prière
en est conscient, de sorte qu’e n plus de son humilité il est plein de honte
devant Dieu. C ’e st pourquoi il est dit: il n’osait même pas lever les yeux au
ciel.
M ais il se frappait la poitrine. Pourquoi ? Afin de m ontrer ainsi que
le corps est le prétexte du péché commis par l’homme. Le désir charnel
pousse l’hom m e aux péchés les plus graves. L’appétit insatiable pousse
à la volupté; la volupté conduit à la frénésie et la frénésie au crime.
L’attention portée au corps éloigne l’hom m e de Dieu, appauvrit l’âme
et tue l’héroïsme divin dans l’homme. C ’e st pourquoi le publicain, quand
il prie, se frappe le corps, frappant ainsi le coupable qui à l’origine de
son péché, de son hum iliation et de la honte éprouvée devant Dieu.
Mais pourquoi se frappa-t-il précisément la poitrine et non la tête ou les
mains ? Parce que c’est dans la poitrine que se trouve le cœ ur ; or le cœur
est la source du péché comme de la vertu. Le Seigneur Lui-m êm e a dit:
Ce qui sort de l ’homme, voilà ce qui souille l'homme. Car c’est du dedans, du
cœur des hommes, que sortent les desseins pervers : débauches, vols, meurtres,
adultères, cupidités, méchancetés, ruse, impudicité, envie, diffamation, orgueil,
déraison (M c 7,20-22).
Le publicain dit encore: M on Dieu, aie p itié du pécheur que je suis!
(Le 18, 13). Il n’énumère pas ses actions, ni les bonnes ni les mauvaises.
Dieu sait tout. D ieu ne recherche pas une énumération, mais un repentir
humble pour tout. M on Dieu, aie p itié du pécheur que je suis! Avec ces
mots, tout est dit. M on Dieu, Tu es médecin, je suis le malade. Tu es le
seul à pouvoir guérir et c’e st à Toi seul que j ’appartiens. Tu es médecin et
Ta miséricorde est le remède. En disant M on Dieu, aie p itié du pécheur que
je suis! celui qui se repent a quasim ent dit : docteur, donnez un remède au
malade que je suis ! N ul au monde ne peut me guérir sinon Toi, mon Dieu.
Contre Toi, Toi seul, j ’a i péché, ce qui est mal à Tes yeux, je l ’a ifa it (Ps 50, 6).
Les hom mes ne peuvent rien pour moi, aussi justes fussent-ils, si Toi Tu
ne m’aides pas. Rien ne peut m’aider: ni le jeûne que je fais, ni la dîme
que je donne, ni toutes mes bonnes actions, si Ta miséricorde ne vient pas
mettre du baume sur mes plaies. La flatterie des hommes ne guérit pas
mes plaies; elle les avive. Tu es le seul à connaître ma maladie; et Tu es le
seul à avoir le remède. Il ne sert à rien que j ’aille voir quelqu’un d’autre, ni
que j ’adresse des prières à quiconque. Si Tu me rejettes, le monde entier
128 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
serait incapable de m’e mpêcher de tom ber dans la déchéance. Toi seul,
Seigneur, tu peux, si telle est Ta volonté, ô Dieu, me pardonner et me
sauver ! M on Dieu, aie p itié du pécheur queje suis!
Q ue répond le Seigneur à cette prière ?Je vous le dis: ce dernier descendit
chez lui justifié, l ’autre non (Le 18,14). A qui s’adresse ainsi le Seigneur?
À vous tous, qui pensez que vous êtes vous-mêmes des justes. Le publi-
cain rentra chez lui justifié, le pharisien non. Celui qui avait hum blement
confessé ses péchés, rentra chez lui justifié, l’o rgueilleux pharisien non.
Celui qui s’était repenti tim idem ent, s’est retrouvé justifié, l’orgueilleux
prétentieux et im pudent, non. Le médecin a eu pitié et a guéri le malade
qui avait reconnu sa maladie et demandé de l’aide, mais a laissé repartir
les mains vides, celui qui était venu chez le médecin afin de se vanter de
sa bonne santé.
Le Seigneur achève cet étrange récit avec l’enseignement suivant:
Car tout homme qui s’élève sera abaissé, mais celui qui s'abaisse sera élevé
(Le 18, 14). Q uel est celui qui s’élève par lui-m êm e, et celui qui s’abaisse
par lui-m êm e ? N ul n’est capable de s’élever lui-m êm e d ’un iota en hauteur,
si Dieu ne vient pas à son aide. M ais ici, on vise celui qui cherche à s’élever
en se précipitant aux premières places, aussi bien devant les hom mes que
devant D ieu ; qui se vante de ses actions ; qui s’enorgueillit devant Dieu et
qui par l’injure et le m épris, humilie d’autres hom mes afin de paraître ainsi
plus im portant. M ais tous ces procédés, qu’il imagine propres à l’élever
lui-mêm e, ne font en fait que l’abaisser. C ar plus il paraît im portant à ses
propres yeux, voire aux yeux des hommes, plus il paraît plus petit aux yeux
de Dieu. D ieu finira par l’abaisser et lui donnera un jour l’o ccasion de
ressentir un tel abaissement. «Tant que l’hom m e n’acquiert pas l’hum i
lité, il n’acquiert pas de récompense pour ses actions. La récompense est
accordée, non pour les œuvres, mais pour l’hum ilité13. » M ais qui s’abaisse
de lui-mêm e ? N on celui qui se fait passer pour plus petit qu’il n’e st, mais
celui qui se rend réellement compte de son abaissement à la suite du
péché. E n vérité, l’hom m e ne peut pas, même s’il le voulait, s’abaisser
au-dessous de son abaissement à la suite du péché. L’hom m e qui ressent
et reconnaît le néant où le péché l’a précipité est dans l’impossibifité de
descendre plus bas. Toujours le péché peut nous entraîner plus bas que
ce que nous pouvons voir de la profondeur de la déchéance où nous nous
trouvons. Saint M acaire le G rand dit: «L’hum ble ne chute jamais. Où
chuterait d’ailleurs celui qui est plus bas que tous ? La haute opinion de
soi est un grand abaissement, alors que l’hum ilité est une élévation de soi,
un honneur et une dignité14.»
E n résumé, s’élève celui qui se comporte comme le publicain. Le
premier est un malade inguérissable, qui ne se rend pas compte de sa
maladie ; le second est un malade, qui est sur la voie de la guérison, car
il s’est rendu compte de sa maladie, est allé voir le médecin et a utilisé le
remède. Le prem ier ressemble à l’arbre haut et lisse, pourri de l’intérieur,
qui n’est d ’aucune utilité au maître de maison ; le second est pareil à un
arbre rugueux et d ’aspect banal, que le maître de maison choisit d’utiliser
pour faire son portail et le ram ener chez lui.
Q ue le Seigneur ait pitié de tous les pécheurs repentis et guérisse des
maladies spirituelles tous ceux qui Le prient avec crainte et trem blem ent
en Le glorifiant comme le Père miséricordieux, Fils U nique et Saint-
Esprit, Trinité unique et indivise, m aintenant et pour toujours, à travers
tous les tem ps et toute l’é ternité. Amen.
L’amour infini de D ieu pour les hom mes se manifeste dans Son
immense patience, Son immense pardon et Son immense joie. U n tel
amour ne peut se comparer sur terre qu’à l’amour maternel. Q ui possède
plus de patience envers une créature vivante sur terre qu’une mère envers
son enfant ? Q uel pardon dépasse le pardon accordé par une mère ? Quels
yeux pleurent autant de joie devant un pécheur repenti que ceux d’une
mère devant son enfant qui a demandé pardon? L’amour m aternel sur
la terre, depuis que celle-ci existe, n’a été surpassé que par le Seigneur
Jésus-Christ dans Son amour à l’égard du genre hum ain. Sa patience
s’est étendue jusqu’aux terribles souffrances endurées sur la Croix; Son
pardon s’est déversé de Son cœur et de Ses lèvres, même sur la Croix;
Sa joie envers ceux qui se sont repentis a été l’unique joie qui a illuminé
Son âme souffrante tout au long de Sa vie terrestre. Seul l’amour divin
dépasse l’amour maternel. Seul Dieu nous aime plus que notre mère;
Lui seul possède plus de patience envers nous que notre mère ; Lui seul
pardonne plus que notre mère, et Lui seul se réjouit davantage devant
notre redressement que notre mère.
Celui qui n’a pas de patience avec nous quand nous avons péché, ne
nous aime pas. Ne nous aime pas non plus celui qui ne nous pardonne
pas, alors que nous nous repentons de nos péchés. M ais celui qui nous
aime le moins, est celui qui ne se réjouit pas devant notre redressement.
La patience, le pardon et la joie sont les trois caractéristiques fonda
mentales de l’amour divin. Ce sont aussi les caractéristiques de tout amour
véritable - s’il existe d ’ailleurs un autre am our en dehors de l’amour divin !
Sans ces trois caractéristiques, l’amour n’est pas amour. E t si on devait
appeler toute autre chose du nom d ’amour, ce serait comme si une chèvre
ou une truie était appelée brebis.
132 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Ce qui s’est passé avec Adam , s’est répété et se répète avec des millions
de fils d ’A dam qui par le péché se sont éloignés de Dieu pour partir avec
leurs biens vers un pays lointain. Dieu ne retient personne de force et
n’o blige pas à rester avec Lui, car Dieu a créé l’hom me libre et, fidèle à
Lui-m êm e, Il ne souhaite jamais vaincre cette liberté humaine.
Or, que fit le pécheur insensé quand il s’est éloigné de Dieu ? I l partit
pour un pays lointain et y dissipa son bien en viva n t dans l ’inconduite. Cela
ne fut pas le fait d ’un seul pécheur; cela ne fut pas seulement le fait du
plus jeune fils de ce père ; cela est le fait de tout homme, sans une seule
exception, quand il s’éloigne de Dieu. I l consuma en un souffle leurs jours
(Ps 77,33).
En viva n t dans l ’inconduite. Q u ’e st-ce que cela signifie ? Cela signifie
passer ses journées dans toutes sortes de péchés, dans l’ivrognerie, les
querelles, le gaspillage, et surtout la débauche, ce qui très rapidement
détruit la force vitale et éteint l’étincelle divine. Q uand l’hom me n’a pas
d’amour, il s’adonne aux passions. Q uand l’hom m e abandonne la voie de
Dieu, il se retrouve dans un entrelacs de chemins innombrables, faisant
des allées et venues de l’un à l’autre. Le débauché tient une hache près de
la racine de sa vie ; chaque jour, il frappe avec la hache sur la racine, jusqu’à
ce que l’arbre commence à s’assécher dans la douleur.
E n vivant à la dérive, le fils prodigue finit par dilapider tout le patri
moine qu’il avait reçu de son père. Quand il eut tout dépense\ une famine
sévère survint en cette contrée et il commença à sentir la privation (Le 15,14).
Dans cette contrée lointaine, éloignée de Dieu, la famine règne toujours,
car la terre ne peut rassasier un hom m e affamé et sa nourriture ne fait
qu’accroître sa faim. La terre peut à peine satisfaire la faim des animaux
sans conscience, mais nullem ent celle des hommes. Dans cette contrée
lointaine où règne toujours la faim - pour le pécheur qui a complètement
oublié D ieu et dilapidé toute la force vitale que la miséricorde divine lui
avait accordée avant la séparation, s’installe une grande faim, une faim
telle que la terre avec toutes ses possibilités ne peut satisfaire, même
furtivement. Il en est ainsi, de nos jours aussi, avec tout pécheur, qui se
livre avidement et entièrem ent à la terre, au corps et aux plaisirs charnels.
Il arrive un m om ent où le pécheur se trouve dégoûté par la terre, le corps
et tous les plaisirs terrestres et charnels. Tout cela devient répugnant et
abject pour lui. Il se m et alors à se plaindre du monde entier et à maudire
l’existence. Avec une force desséchée dans le corps et dans l’âme, il se
sent comme un roseau creux et sec, à travers lequel souffle un vent froid.
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DU FILS PRODIGUE 135
Tout lui semble sombre, dégoûtant, répugnant. D ans une telle situation,
il ne sait que faire de lui-même. Il a cessé de croire dans cette vie, et a
fortiori dans l’autre vie, qu’il a oubliée, tout en m éprisant cette vie-ci.
Que faire m aintenant? O ù aller? L’univers lui semble étroit. E t il n’y a
pas d ’issue pour en sortir. Le tombeau ne signifie pas sortie, mais entrée.
C ’est dans cette situation désespérée que se manifeste le diable, qui n’a
cessé jusque-là d ’ê tre avec lui, le guidant d’un mal à un autre, en cachette
et sans prévenir. M aintenant, il s’annonce à lui, le prend à son service et
l’envoie garder les cochons dans ses champs. Il est en effet écrit: I l alla
se mettre au service d ’un des habitants de cette contrée, qui l ’envoya dans ses
champs garder les cochons (Le 15, 15). C ’est ce qui se passe avec tout fils
désobéissant, qui s’est éloigné de son père; après avoir quitté son père
avec de grands et fiers plans sur sa fortune future, il finit par devenir
serviteur d ’un hom m e pire que lui-m êm e, porcher au milieu des cochons
d’un autre. M ais sous l’identité d ’un des habitants de cette contrée, il est
indubitable qu’on sous-entend le diable. Bien qu’on le désigne ici comme
un hom me habitant cette contrée, tout comme le père est désigné aussi
comme un hom me, il constitue une image tout à fait contraire à celle de
l’hom me-père, dont le fils insensé s’e st éloigné. Il est un homme, mais
non un hom me du royaume céleste, mais un hom m e d ’un royaume tiers,
le royaume des ténèbres et de l’horreur, de la puanteur et des flammes, le
royaume du démon. C hez le premier hom m e-père, le pécheur était appelé
fils, mais chez ce troisième hom m e-dém on, l’hom me est appelé serviteur;
chez l’hom me-père, il était riche à profusion, mais chez l’hom m e-dém on,
il est affamé, tellem ent affamé qu’il veut manger des caroubes qui
poussent dans le sol et dont se nourrissent les cochons ; mais cela aussi
lui est impossible. I l aurait bien voulu se remplir le ventre des caroubes que
mangeaient les cochons, mais personne ne lui en donnait (Le 15,16). Le terme
de caroubes désigne en fait les mauvais esprits qui habitent le royaume
du démon. C ar les mauvais esprits symbolisent toutes les impuretés et le
symbole de l’impureté est visible par tous. Q uand le Seigneur a expulsé
les mauvais esprits des insensés à Gadara, Il les a chassés dans le corps
de cochons. D e même que les cochons fouinent dans la terre, de même
les mauvais esprits fouinent dans l’hom m e jusqu’à ce qu’ils y trouvent
une impureté spirituelle susceptible de leur servir de nourriture. Sous le
mot de caroubes, on doit comprendre toutes les impuretés de l’hom me
intime : les mauvaises pensées, les souhaits pervers, les intentions égoïstes,
les péchés, les vices, les passions, surtout les passions.Tout ce qui affame et
136 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
dessèche l’âme hum aine nourrit et fait grossir les mauvais esprits. T out ce
qui pousse dans les ténèbres de l’âme humaine, non éclairée directement
par la lumière divine, comme poussent les caroubes dans l’obscurité du sol,
tout cela constitue la nourriture impure des mauvais esprits. M ais même
cette nourriture, les mauvais esprits ne l’ont pas donnée au mercenaire du
démon. Ils l’ont en effet nourri avec cette nourriture tant qu’il n’est pas
tom bé com plètem ent dans leur pouvoir ; quand il se retrouva totalem ent
entre leurs mains, il leur fut inutile de le nourrir avec quoi que ce soit.
Leur nourriture était du poison, et il fut ainsi com plètem ent empoisonné.
E t voilà que son poison leur servait de nourriture. Ils rongeaient son
âme, n’attendant que le m om ent où l’âme se séparerait du corps pour
pouvoir alors se délecter de ses très grandes souffrances dans les ténèbres
extrêmes. Com m e le dit le prophète couronné: L'ennemi pourchasse mon
âme, contre terre il écrase ma vie; il m é fa it habiter dans les ténèbres comme
ceux qui sont morts àjamais (Ps 142,3). Le fils prodigue était comme mort,
même avant sa m ort charnelle !
M ais à cet instant de désespoir extrême du fils prodigue, de faim
extrême et d ’horreur extrême, apparut en lui une étincelle. Une étincelle
inattendue et oubliée ! D ’o ù vient cette étincelle dans un charbon de bois
éteint? D ’o ù vient cette étincelle de vie dans un cadavre? Cela vient du
fait que, comme on l’a dit au début, lors du partage avec le fils, le père
avait donné à ce dernier un peu plus que ce qui lui appartenait. Il lui
avait donné, outre la poussière, une étincelle de conscience et d ’intelli
gence. Com m e si le sage et miséricordieux père s’était dit à lui-même,
au m om ent de donner sa part d ’héritage au fils cadet: ajoutons-lui ceci:
un peu de conscience et d’intelligence ; précisément quelque chose de ce
dont il veut se séparer. Cela ne fait rien, il en aura besoin. Il part vers un
pays froid et exposé à la famine ; ce n’est qu’au m om ent des plus grandes
souffrances que cette petite étincelle pourra lui m ontrer la voie de retour
m enant à moi. Cela ne fait rien, qu’il emporte cela; en vérité, il en aura
besoin. C ette étincelle le sauvera.
E t voilà que cette étincelle a jailli dans le brouillard le plus dense, à
la douzième heure, quand le fils prodigue était descendu dans le troi
sième royaume, et qu’il s’était livré au diable pour être son serviteur. Telle
une lampe magique, s’alluma en lui la lumière longtemps oubliée de la
conscience et de l’intelligence. E t devant cette lumière, il rentra alors en
lui-même (Le 15, 17). Devant cette lumière, il vit enfin le gouffre dans
lequel il était tombé, toute la puanteur qu’il avait respirée et où il avait
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DU FILS PRODIGUE 137
vécu, toute la laideur de la société à laquelle il avait été mêlé. Devant cette
lampe mystérieuse, soutenue dans son âme par la main de son père, il se
réveilla de son terrible rêve et se m it à comparer la vie menée jadis auprès
de son père et la vie qu’il venait de vivre.
Rentrant alors en lui-même, il se dit: Combien de mercenaires de mon père
ont du pain en surabondance, et moi je suis ici à périr defa im ! Je veux partir,
aller vers mon père et lui dire: «Père, j ’ai péché contre le Ciel et envers toi, je
ne mérite plus d'être appelé tonfils, traite-moi comme l'un de tes mercenaires. »
Il partit donc et s’en alla vers son père (Le 15, 17-20). Dès que l’étincelle a
flambé dans l’âme du fils prodigue, et dès qu’il a comparé la vie menée
auprès de son père et celle vécue dans un pays étranger, il fut rapide à se
décider: Je veux partir, aller vers mon père ! Je veux partir, se dit-il, car il
avait vu sa terrible déchéance. Il n’existe pas de troisième voie : ou bien
sombrer de plus en plus bas dans le gouffre du dém on ou s’élever vers son
père. Or, son père est riche, très riche ; chez lui on ne souffre jamais de
la faim, ses mercenaires ont du pain en surabondance, alors que moi, son
fils, je meurs de faim. Le pain représente la vie, tandis que les mercenaires
sont des êtres inférieurs à l’homme, créés par D ieu comme des animaux
et autres créatures. Le fils prodigue était tombé au-dessous du niveau des
animaux et voulait mener une vie au moins semblable à celle des animaux.
Les animaux sont des êtres dépourvus de liberté, et D ieu les dirige exclu
sivement selon Sa puissance et Sa volonté. A eux aussi, D ieu donne la vie,
prend soin d’eux et satisfait leurs besoins. M ais le fils prodigue a dilapidé
dans la débauche même la force vitale que D ieu donne aux animaux, et
dont les animaux n’abusent pas.
J ’ai péché contre le Ciel et contre toi. Ici, le Ciel désigne tout d ’abord
les saints anges de D ieu en général, en particulier l’ange gardien; puis
en second lieu, les dons de D ieu que D ieu accorde à tout hom m e et qui
représentent le ciel, même chez les pécheurs carje me complais dans la loi
de Dieu du point de vue de l ’homme intérieur (Rm 7,22). Le fait que le ciel
représente les anges de D ieu est confirmé par les paroles du Seigneur:
C'est ainsi, je vous le dis, qu’il naît de la joie devant les anges de Dieu pour
un seul pécheur qui se repent (Le 15, 10). Q uand il naît de la joie pour
ceux qui se sont repentis, il y a aussi de la tristesse pour les pécheurs
non repentis. Tout emplis d ’amour et de fidélité envers Dieu, les saints
anges considèrent tout péché contre leur Créateur comme commis contre
eux-mêmes. Le fait que le ciel désigne aussi les dons spirituels, qui sont
dans l’hom m e grâce à Dieu, est illustré par les paroles de l’apôtre Paul :
138 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Ou bien ne savez-vous pas que votre corps est un temple du Saint-Esprit qui
est en vous et que vous tenez de Dieu ? E t que vous ne vous appartenez pas ?
(1 Co 6, 19). Cela est encore plus évident dans ces paroles du Sauveur:
Le Royaume de Dieu est au milieu de vous (Le 17, 21). Ainsi, quiconque
comm et un péché contre Dieu, commet aussi un péché contre les anges
de Dieu et contre le juste qui est en lui et qui vient de Dieu, donc du ciel.
C ’est pourquoi le pécheur dit : J ’ai péché contre le Ciel et contre toi.
Tandis qu’il était encore loin, son père l'aperçut etf u t pris de pitié; il courut
sejeter à son cou et l ’embrassa tendrement (Le 15,20). Tel est l’amour infini
et très doux de D ieu ! Son pardon et Sa joie sont m aintenant aussi grands
que Sa patience envers le pécheur. A peine le pécheur s’est-il repenti et
mis en route vers Dieu, que Dieu vient vite à sa rencontre, l’accueille, le
serre dans les bras et l’embrasse. G rande est la joie d ’une mère quand elle
voit son fils se redresser; grande est la joie du berger quand il retrouve
la brebis perdue ; grande est la joie d ’une femme quand elle retrouve
l’argent perdu ; mais rien de tout cela ne peut se mesurer à la joie de Dieu,
devant le repentir du pécheur et son retour vers Dieu. À peine le repentir
a-t-il surgi dans notre cœur, et alors que nous sommes encore loin, loin
de Dieu, que D ieu nous a déjà aperçu et, plus rapide que la lumière du
soleil qui s’élance vers une contrée ténébreuse, Il vient à notre rencontre.
À la rencontre de l’hom m e nouveau qui, par le repentir, naît en nous!
Seigneur, s’exclame le prophète devant l’Om niscient, tu perces de loin mes
pensées (Ps 138,2) ! Le Père céleste se précipite à notre secours, nous ouvre
les bras et nous soutient, afin que nous ne retombions pas en arrière,
dans le gouffre du démon, dans le champ des cochons, dans le pays de la
faim. Approchez-vous de Dieu et 11 s'approchera de vous, dit l’apôtre Jacques
(Je 4, 8). O h, secours le plus rapide! O h, mains les plus bénies! Si nous
n’avons pas encore éteint la dernière étincelle de conscience et d ’intelli
gence en nous, il faut avoir honte devant un tel amour de Dieu, il faut
nous repentir le plus vite possible et nous hâter les yeux baissés, mais le
cœur relevé, d ’embrasser notre Père offensé.
Q uand le fils repenti arrive chez son père, il lui dit ce qu’il avait pensé
lui dire: Père, j ’ai péché contre le Ciel et envers toi, je ne mérite plus d ’ètre
appelé ton fils. M ais avec ces mots, il n’a pas dit tout ce qu’il voulait dire.
Il voulait dire aussi : Traite-moi comme l ’un de tes mercenaires. M ais son
père ne le laissa pas terminer. Son père ne voulait pas que celui qui s’é tait
repenti soit humilié, en cherchant à devenir un mercenaire auprès de lui.
C ’e st pourquoi le père lui coupa la parole et commença à le serrer dans ses
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DU FILS PRODIGUE 139
en prem ier lieu est évident dans la mesure où le fils prodigue n’était pas
encore m ort physiquem ent et que tant que l’hom m e ne s’est pas séparé de
son corps, il appartient au Royaume de D ieu du point de vue de l’Eglise
de D ieu sur terre. D e même, le fait que les serviteurs correspondent non
seulement aux prêtres mais aussi aux anges, est évident d ’abord parce que
les anges assistent au Saint M ystère dans l’église et aussi parce que, par
l’intermédiaire de l’ange gardien, D ieu mène les hom mes sur le chemin
du salut.
Car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie; il était perdu et
il est retrouvé. Corporellem ent, il vivotait encore un peu, mais spirituelle
m ent il était m ort. Une étincelle qui se trouvait encore là, se m it à flamber
en lui et ranim a toute son âme. Il avait été condamné dès le m om ent où il
avait demandé sa part du patrim oine paternel. M ais il revint à lui. Ce qui
signifie qu’il revint à lui avant l’illumination de l’étincelle de Dieu, car il
s’é tait perdu lui-mêm e. Dieu le connaissait et ne l’avait pas perdu de vue
jusqu’à l’heure ultime, l’heure du repentir.
E t ils se mirent à festoyer. Son fils aîné était aux champs. Quand, à son
retour, il f u t près de la maison, il entendit de la musique et des danses... I l se
m it alors en colère et dit à son père: « Voilà tant d ’années que je te sers, sans
avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jam ais tu ne m’as donné un
chevreau, à moi, pourfestoyer avec mes amis; et puis tonfils que voici revient-
il, après avoir dévoré ton bien avec des prostituées, tufais tuer pour lui le veau
gras» (Le 15, 24-30). C ’e st ainsi que le fils juste parla à son père. C ’est
avec autant de colère que s’exprim ent de nombreux justes à l’égard de
l’Église, quand l’Église accueille avec joie et douceur les pécheurs repentis
et les conduit vers le saint mystère de la Com m union. C ’est aussi ce que
peuvent dire à D ieu les justes de l’Ancien Testam ent, quand ils voient que
D ieu a offert Son Fils Unique en sacrifice à une génération plus jeune
et pécheresse de l’hum anité. «À nous, pourraient-ils dire, Il n’a jamais
offert un chevreau ! À côté de l’é norm e sacrifice que tu accomplis pour
nos descendants pécheurs et débauchés, tu n’as fait le m oindre sacrifice
pour nous.» Ces mêmes justes pourraient aussi dire : «Tu nous as défendu
de comm ettre le plus petit des péchés, aussi m enu qu’un chevreau, et te
voilà m aintenant en train de récompenser cette génération de pécheurs
avec le plus grand trésor que Tu possèdes, en sacrifiant Ton propre Fils ! »
Si on va plus loin, on voit que ce récit, simple en apparence, recouvre
l’essence même de toute l’histoire du genre hum ain, de l’A dam déchu
jusqu’au plus grand des Justes, le Seigneur Jésus, qui apparaît par rapport
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DU FILS PRODIGUE 141
Ceux qui ont aligné des chiffres et fait des calculs affirment qu’il y a sur
terre un milliard et demi d’êtres vivants15. Dans ce milliard et demi d ’ê tres
vivants, il n’y en a pas un seul capable de dire ce qui se passera avec le
monde à la fin des temps, ni ce que nous allons devenir après la mort. De
même, les milliards d ’êtres vivants qui ont vécu avant nous sur la terre ne
savaient rien dire de façon précise et définitive sur la fin du monde ni sur
ce qui nous attend après la m ort, en tout cas rien à quoi nous pourrions,
avec notre esprit, notre cœur et notre âme, adhérer comme étant la vérité.
Notre vie est courte et se mesure en jours, alors que le tem ps est long et
se mesure en centaines et en milliers d ’années. Q ui parm i nous serait
capable de s’extraire de son cadre étroit et de se projeter jusqu’aux extré
mités du temps, de voir ainsi les événements ultimes et nous en informer
en disant : «voici ce qui va se passer à la dernière extrémité du temps, telle
chose avec le monde et telle chose avec vous, les hum ains » ? Personne. En
vérité, aucun être vivant, sinon celui qui serait capable de nous convaincre
qu’il est entré dans l’esprit du Créateur du monde et des hom m es et qu’il
a vu tout le plan du salut, qu’il était vivant et conscient avant la création
du m onde et qu’il est en mesure de voir avec netteté la fin des temps et
tous les événements qui vont m arquer cette fin. Existe-t-il un hom me
pareil au milieu du milliard et demi d ’hommes vivants ? E t y en a-t-il
eu depuis le com m encem ent du monde jusqu’à nos jours ? N on, il n’y en
a pas et il n’y en a pas eu. Il y a eu des visionnaires et des prophètes qui,
non de leur fait mais à la suite d ’une révélation divine, ont émis quelques
prophéties, brèves et discontinues, sur ce qui arrivera à la fin; ils l’o nt fait
15. À l’époque où ce texte a été écrit. La population mondiale s’élève aujourd’hui à près
de sept milliards quatre cents millions de personnes (NdE).
144 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
de bruit et dans l’hum iliation, comme quand II est venu la première fois,
mais publiquem ent et en grande gloire. C ette gloire correspond d’abord
à celle que le C hrist avait dans l’é ternité avant quefût le monde ( Jn 17,5),
puis à celle de Celui qui a vaincu Satan, le monde ancien et la mort. Mais
Il ne viendra pas seul, mais en compagnie de tous les saints anges dont
le nombre est infini ; Il viendra avec eux car ils ont eux aussi, comme Ses
serviteurs et soldats, pris part à la lutte contre le mal et à la victoire seu
le mal. Sa joie est de partager Sa gloire avec eux. Le caractère éminent
d’un tel événement est souligné par le fait que le Seigneur viendra en
compagnie de tous les anges. Il n’existe nul autre événement auquel parti
cipent tous les anges de Dieu. Ils sont toujours apparus en plus ou moins
grand nombre, mais c’est au Jugem ent dernier qu’ils apparaîtront tous,
rassemblés autour du Roi de gloire.
Le trône de gloire avait été aperçu par de nombreux visionnaires, anté
rieurs et postérieurs (Is 6 ,1 ; D n 7, 9 ; Ap 20, 4). Les puissances célestes
sont rassemblées autour de ce trône, sur lequel est assis le Seigneur.
C ’est le trône de gloire et de victoire, sur lequel est assis le Père céleste
et sur lequel s’est assis le C hrist Seigneur après Sa victoire (Ap 3, 21).
A h, comme l’arrivée du Seigneur sera majestueuse et de quelles étranges
et terribles apparitions elle sera concomitante ! Le prophète visionnaire
Isaïe prédit : Car voici que le Seigneur arrive dam le feu, et Ses chars sont
comme l'ouragan (Is 66,15) ; Le prophète Daniel décrit sa vision : unfleuve
de fe u coulait, issu de devant Lui. M ille myriades Le servaient, myriade de
myriades, debout devant Lui. Le tribunal était assis, les livres étaient ouverts
(D n 7,10).
E t quand le Seigneur viendra dans Sa gloire s’asseoir sur le trône,
devant L u i seront rassemblées toutes les nations, et 11 séparera les gens les uns
des autres, tout comme le berger sépare les brebis des boucs. I l placera les brebis
à Sa droite, et les boucs à Sa gauche (M t 25, 32-33). De nombreux Saints
Pères se sont interrogés sur le lieu où le C hrist jugera les nations. Faisant
allusion au prophète Joël, ils ont affirmé que le Jugem ent aura lieu dans
la vallée de Josaphat, là où jadis le roi Josaphat, sans combat ni armes,
a vaincu les M oabites et les Am m onites, d ’une manière telle que pas
un seul adversaire n’a pu s’é chapper vivant. Le prophète Joël dit: Que
les nations s’ébranlent et quelles montent à la vallée de Josaphat! Car là je
siégerai pour juger toutes les nations à la ronde (J1 4, 12). C ’est peut-être
dans cette vallée que se dressera le trône du Roi de gloire ; mais il n’existe
pas de vallée sur terre, où peuvent se rassembler toutes les nations et tous
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DE CARNAVAL 147
les hommes, vivants et morts, du com m encem ent à la fin du monde, des
milliards et des milliards et des milliards. Toute la surface de la terre,
ainsi que toutes les mers, ne seraient pas suffisantes pour accueillir, les
uns à côté des autres, tous les êtres hum ains ayant vécu sur terre. S’il
ne s’agissait que d ’un rassemblement des âmes, il serait concevable que
toutes soient rassemblées dans la vallée de Josaphat, mais comme il s’agit
d’hommes de chair - car les morts se dresseront dans leurs corps - les
paroles du prophète doivent être interprétées dans un sens figuré. La
vallée de Josaphat est la terre entière, d’est en ouest ; de même que Dieu
a montré jadis Sa force et Son jugem ent dans la vallée de Josaphat, de
même le dernier jour, Il montrera cette même force et ce même jugem ent
sur l’ensemble du genre humain.
Il séparera les gens les uns des autres. E n un instant, tous les hommes
rassemblés seront séparés des deux côtés, à gauche et à droite, comme
par une force magnétique irrésistible. Ainsi, aucun de ceux se trouvant
à gauche ne pourra se déplacer à droite et aucun de ceux se trouvant à
droite ne pourra se déplacer à gauche. Com m e quand le berger s’écrie et
que les brebis partent d ’un côté et les boucs de l’autre.
Alors le Roi dira à ceux de droite: Venez, les bénis de mon Père, recevez
en héritage le Royaume qui vous a été préparé depuis lafondation du monde
(M t 25, 34). Au début, le C hrist porte le nom de Fils de l’hom me,
c’e st-à-dire Fils de D ieu ; ici, Il porte le titre de Roi. C ar c’est à Lui
qu’appartiennent le royaume, la puissance et la gloire. Venez, les bénis de
mon Père. Heureux sont ceux que le C hrist appelle bénis ! C ar la béné
diction divine contient en elle-m ême tous les trésors, toutes les joies et
douceurs célestes. Pourquoi le Seigneur ne dit-il pas : mes bénis, mais les
bénis de mon Père} C ar II est le Fils U nique de D ieu, U nique engendré
et incréé, d ’éternité en éternité, alors que les justes ont été adoptés grâce
à la bénédiction divine, devenant ainsi les frères du C hrist. Le Seigneur
appelle les justes à recevoir le Royaume qui leur a été préparé depuis la
fondation du monde. Cela signifie que Dieu, avant m êm e la création
de l’hom me, avait préparé le royaume pour l’hom me. Avant même la
conception d ’Adam , tout avait été préparé pour sa vie au paradis. U n
royaume étincelait de tout son éclat et n’attendait que son roi. C ’est
alors que D ieu a introduit Adam dans ce royaume et le royaume était
plein. C ’est ainsi que pour tous les justes, D ieu a dès l’origine préparé un
royaume qui n’attend que l’arrivée de rois, à la tête desquels se tiendra le
Christ-Roi Lui-m êm e.
148 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Leur esprit empâté les rendait incapables de deviner que, à travers les
malheureux et les misérables de ce m onde, c’est le C hrist Lui-m êm e qui
leur dem andait de faire preuve de miséricorde. Les larmes d ’autrui ne
pouvaient ramollir leur cœur dur. L’e xemple du C hrist et de Ses saints
ne pouvait faire que leur âme maléfique aspire à faire le bien. De même
qu’ils étaient impitoyables envers le C hrist dans leur com portem ent
vis-à-vis de Ses frères, de même ils étaient impitoyables envers le Christ
dans leur com portem ent vis-à-vis d ’e ux-mêmes. Ils étouffaient à dessein
toute pensée lumineuse jaillie en eux et la remplaçaient par des pensées
lubriques et blasphématoires ; tout sentim ent généreux né en leur cœur
était aussitôt arraché à la racine et remplacé par l’absence de pitié, la cupi
dité et l’égoïsme ; toute aspiration de l’âme à faire le bien, conform ém ent
à la loi divine, était réprimée rapidem ent et brutalem ent et, à sa place,
était incitée et soutenue toute impulsion à faire le mal aux hommes, à
pécher et à offenser D ieu. C ’est ainsi que le plus petit des frères du Christ
contenu en eux-mêmes, c’est-à-dire le juste qui s’y trouvait, était crucifié,
tué et enterré, alors que le sombre G oliath, c’e st-à-dire l’injuste qui était
en eux-mêmes, y était cultivé ; le diable se retrouvait ainsi vainqueur sur
le champ de bataille. Q ue peut faire Dieu avec ces gens ? Peut-il recevoir
en Son royaume ceux qui ont tout à fait expulsé le Royaume de Dieu
d’eux-mêmes ? Peut-il faire venir à Lui des gens qui ont déraciné en eux-
mêmes tout lien avec Dieu, et qui se sont proclamés ouvertement devant
le monde et secrètement dans leur cœur comme des adversaires du Christ
et des serviteurs du diable? N on; de leur propre chef, ils sont devenus
des serviteurs du diable, et le Juge, au Jugem ent dernier, les envoie vers le
lieu où ils se sont, de leur vivant, ouvertem ent inscrits - vers le feu éternel
préparé pour le diable et ses serviteurs. Aussitôt après s’achève le plus
grand et le plus court procès de toute l’histoire du monde créé.
E t ils s’en iront, ceux-ci (les pécheurs) à une peine éternelle, et lesjustes à
une vie éternelle (M t 25, 46). La vie et la souffrance sont confrontées ici,
l’une à l’autre. Là où est la vie, il n’y a pas de souffrance ; mais là où la
souffrance existe, il n’y a pas de vie. E n vérité, la plénitude de la vie exclut
la souffrance. Le Royaume céleste représente la plénitude de la vie, alors
que la demeure du diable représente la souffrance, et seulement la souf
france, sans vie qui vient de Dieu. Nous voyons dans cette vie terrestre
que l’âme du pécheur, qui possède en lui un peu de vie, c’e st-à-dire un
peu de Dieu, est remplie de beaucoup plus de souffrance que celle d ’un
juste, qui possède en lui plus de vie, c’est-à-dire plus de Dieu. Com m e le
152 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
dit une vieille sagesse : La vie du méchant est un tourment continuel [ . .],
le cri d'alarme résonne à ses oreilles [ ..] , il ne croit plus échapper aux ténèbres
car on le guette pour l'épée [...], la détresse et l'angoisse l'envahissent, comme
lorsqu’un roi s’apprête à l'assaut. I l levait la main contre Dieu ( Jb 15,20-25).
C ’est donc ainsi que le temps passé sur terre est une souffrance terrible
pour le pécheur; la plus petite souffrance dans l’e xistence, le pécheur
l’e ndure plus difficilement que le juste. C ar seul celui qui possède la vie
en lui-m êm e est en mesure de supporter la souffrance et de la mépriser,
de vaincre toute la méchanceté du monde et de se réjouir. La vie et la
joie sont indissociables. C ’est pourquoi le C hrist dit aux justes, que le
monde cherche à déshonorer, persécuter et calomnier : Soyez dans la joie
et l ’allégresse! (M t 5,12).
M ais toute notre vie terrestre est une ombre lointaine de la vie véri
table et pleine au Royaume de Dieu, tout comme toute la souffrance
terrestre n’est qu’une ombre lointaine de la souffrance atroce des pécheurs
en enfer. La vie sur terre, aussi élevée soit-elle, est néanmoins mêlée à
de la souffrance, car la plénitude de la vie n’existe pas ici, de même que
la souffrance sur terre, aussi grande soit-elle, est néanmoins mêlée à la
vie ! M ais au Jugem ent dernier, la vie se séparera de la souffrance, et la
vie sera la vie et la souffrance sera la souffrance. L’une et l’autre seront
pour l’éternité, chacune de son côté. Ce qu’est cette éternité, notre esprit
hum ain ne peut le concevoir. Celui qui se réjouira en regardant pendant
une m inute le visage de D ieu, aura l’impression d ’avoir une joie de mille
ans ; mais celui qui aura une m inute de souffrance avec le diable en enfer,
aura l’impression d ’une souffrance de mille ans. C ar le tem ps n’existera
plus, tel que nous le connaissons, ni de jour ni de n uit; et il y aura un jour
unique - le Seigneur le connaît (Za 14, 7 ; Ap 22, 5). Il n’y aura pas d ’autre
soleil que Dieu. Il n’y aura ni lever ni coucher du soleil, et l’éternité ne
pourra se calculer ainsi, comme on le fait avec le temps aujourd’hui. Mais
les justes bienheureux calculeront l’éternité à l’aune de leur joie, tandis
que les pécheurs le feront à l’aune de leur souffrance.
Voilà, c’e st ainsi que le Seigneur Jésus-C hrist a décrit l’événement
ultime et le plus im portant, qui se produira dans le temps, à la frontière du
temps et de l’é ternité. Nous aussi, nous croyons que tout cela se produira
exactement ainsi, parce que d ’innombrables prédictions du C hrist se sont
accomplies exactement et parce qu’il est notre plus grand ami et le seul
véritable am i-des-hom m es, tout empli de Son amour pour les hommes.
E t dans l’amour parfait, il n’y a ni mensonge ni égarement. L’amour parfait
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DE CARNAVAL 153
Pour toi, quand tu jeûnes, dit le Seigneur, parfume ta tête et lave ton
visage, pour que ton jeûne soit connu, non des hommes, mais de ton Père qui est
là, dans le secret ; et ton Père, qui voit dans le secret, te le rendra (M t 6,17-18).
Telle est la règle principale du jeûne. Son sens apparent est clair. Q uand
tu jeûnes, tu jeûnes à cause de Dieu et à cause du salut de ton âme, et non
à cause des hommes. Il n’est absolument pas im portant que les hommes
voient et sachent que tu jeûnes, il est même préférable pour toi qu’ils ne
le voient pas et ne le sachent pas. Tu n’attends d ’ailleurs aucune récom
pense des hommes. C ar que pourraient te donner ceux qui, eux-mêmes,
attendent tout de Dieu, comme toi? Il est im portant que Dieu voie et
sache. Or, D ieu le verra en tout cas, car rien ne peut être caché de Lui.
Aussi ne faut-il pas m ontrer qu’o n jeûne, par quelque signe extérieur. Dieu
ne lit pas dans ton cœur sur des signes extérieurs ; Il le lit de l’intérieur,
du cœur lui-même. D e même qu’on s’est parfumé la tête avant le carême,
de même on peut la parfum er ainsi pendant le carême ; de même qu’on
s’est lavé le visage avant le carême, de même on peut le laver pendant le
carême. Le fait de se parfum er ou non la tête n’augmentera pas ton mérite
devant Dieu ; le fait de se laver ou non le visage ne contribuera ni à sauver
ton âme ni à la perdre.
Ces paroles du C hrist : parfume ta tête et lave ton visage, prononcées
avec tant de résolution, possèdent une signification intérieure profonde.
Car si le Seigneur n’avait pensé qu’à la tête et au visage au sens charnel,
Il n’aurait certainem ent pas donné le com m andem ent de parfumer la tête
et laver le visage pendant le carême, mais aurait sim plem ent dit qu’il était
accessoire et insignifiant pour la fécondité du carême de se parfumer ou
non la tête et de se laver ou non le visage. À l’évidence, ces paroles du
Christ revêtent un sens caché. A utrem ent, celui qui aurait compris ce
com m andem ent explicite du C hrist d ’après sa signification apparente,
puis entrepris pendant le carême de parfum er sa tête et de se laver le
visage, serait tombé dans une autre sorte d’hypocrisie. U n tel homme
aurait lui aussi exhibé.sa manière de jeûner devant les autres, mais de façon
différente. Or, le Seigneur a précisément voulu déshabituer les hommes
d ’agir ainsi. Il est hors de doute, par conséquent, que ce com m andem ent
possède un sens intérieur. Lequel? Semblable à celui que l’apôtre Paul
donne à la circoncision, en soulignant que la circoncision dans le cœur
est salvatrice et en considérant que la circoncision au-dehors équivalait à
l’absence de circoncision (Ga - , 15 ; Rm 2, 29). Parfum er sa tête signifie
donc se parfum er l’esprit avec le Saint-Esprit. Car la tête désigne l’e sprit et
160 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l’âme entière, tandis que l’huile parfumée, dont on enduit la tête, le Saint-
Esprit. Cela signifie qu’il faut s’abstenir de toutes mauvaises pensées et
se priver de prononcer des paroles laides et inutiles et qu’il importe, au
contraire, de remplir son esprit de pensées liées à Dieu, la religion, la
pureté, la foi et l’amour et tout ce qui est digne du Saint-Esprit. Il faut
agir de même avec sa langue ; si l’on dit des mots, il ne faut prononcer que
ceux destinés à proclamer la gloire de Dieu et au salut de l’âme. Il faut
également se com porter ainsi avec son cœur : s’abstenir de tout sentiment
de haine et de méchanceté, de jalousie et de lubricité ; il faut s’abstenir
de tout cela et laisser l’Esprit Saint semer sur le champ de ton cœur,
toutes sortes de semences divines et agréables à D ieu ainsi que des fleurs
célestes. Il faut agir de même avec la volonté de ton âme : s’abstenir de
toutes intentions pécheresses et actions pécheresses, s’abstenir de tout
mal et laisser l’Esprit Saint parfumer, telle une huile parfumée, ton âme
obstinée, guérir ses blessures, la redresser vers Dieu, lui rendre chères les
bonnes actions, la remplir de la soif de tout bien qui est en Dieu.
C ’est ce que signifient les paroles -.parfume ta tête. E n un m ot : contenir
et retenir l’hom m e intérieur en nous, qui tient le rôle fondamental, de
tout mal et le diriger uniquem ent vers le bien.
Q ue signifient les paroles: et lave ton visage? Le visage désigne
l’hom me extérieur, charnel, sensuel, en un m ot : le corps humain. C ’est par
le corps que l’âme se manifeste aux yeux du m onde. Pour Dieu, l’âme est le
visage de l’hom me, mais pour le monde, le corps est le visage de l’homme.
C ’e st par nos sens et nos organes que nous annonçons au m onde ce que
nous pensons, ce que nous ressentons et ce que nous voulons. La langue
exprime ce que l’e sprit pense, les yeux m ontrent ce que le cœur ressent et
les pieds accomplissent ce que la volonté de l’âme souhaite.
Lave ton visage signifie: purifie ton corps de tout acte de péché,
toute impureté et toute méchanceté. Tiens tes sens éloignés de tout ce
qui est superflu et ruineux. Em pêche tes yeux d ’errer sans cesse devant
le chatoiem ent de ce m onde; empêche tes oreilles de prêter attention
à ce qui ne contribue pas au salut de l’âme ; empêche ton nez d ’enivrer
l’âme avec les parfums de ce monde, qui se changent rapidem ent en
puanteur; empêche ta langue et ton ventre de se jeter sur une abondance
de nourriture et de boissons ; de façon générale, empêche ton corps de
s’amollir et d ’e xiger plus de toi que ce qui est nécessaire pour subsister.
E n outre, empêche tes mains de frapper et de torturer des hom mes ou
du bétail ; empêche tes pieds de marcher vers le péché, les réjouissances
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DE LA TYROPHAGIE 161
mes genoux fléchissent (Ps 108, 24). Q uand l’hom m e voit les bienfaits du
jeûne, il se m et à aimer le jeûne de plus en plus. Or, les bienfaits du jeûne
sont innombrables.
Par le jeûne, l’hom m e soulage le corps et l’esprit des ténèbres et de
l’obésité. Le corps devient léger et alerte, alors que l’esprit devient lumi
neux et clair.
Par le jeûne, l’hom me élève son âme au-dessus de la prison terrestre
et progresse à travers les ténèbres de la vie animale vers la lumière du
Royaume de Dieu, c’est-à-dire vers sa demeure.
Le jeûne rend l’hom me fort, résolu et courageux, aussi bien devant les
hommes que devant les démons.
Le jeûne rend l’hom me généreux, doux, charitable et obéissant.
Le jeûne rend M oïse digne de recevoir la Loi des mains de Dieu.
Par le jeûne, Eiie ferma le ciel et il n’y eut pas de pluie pendant trois
ans ; par le jeûne, il fit descendre le feu sur les idolâtres et par le jeûne, il se
rendit si pur qu’il put s’entretenir avec D ieu sur le m ont Horeb.
Par le jeûne, Daniel se sauva des lions dans la fosse et trois jeunes gens
furent délivrés de la fournaise de feu ardent.
Par le jeûne, le roi David éleva son cœur vers Dieu et la grâce divine
descendit sur lui et il entonna les prières les plus douces et les plus déli
cates qu’aucun mortel ait jamais, avant le C hrist, adressées à Dieu.
Par le jeûne, le roi Josaphat écrasa sans combat ses adversaires, les
M oabites et les Am m onites (2 Ch, 20,23).
Par le jeûne, les Juifs furent sauvés des persécutions menées par le
ministre du roi, Am an (Est 4, 3).
Par le jeûne, la cité de Ninive fut sauvée de la destruction prédite par
le prophète Jonas.
Par le jeûne, Jean le Baptiste devint le plus grand hom m e parmi tous
ceux nés d ’une femme.
C ’est avec l’arme du jeûne que saint Antoine triom pha de toutes les
hordes du démon et les chassa loin de lui. Saint A ntoine est-il le seul à
l’avoir fait? N on, car d’innombrables armées de saints du C hrist se sont
purifiés par le jeûne, se sont fortifiés par le jeûne et sont devenus les plus
grands héros de l’histoire humaine. Car ils ont vaincu ce qui est le plus
difficile à vaincre : eux-mêmes. E t en triom phant d ’eux-mêmes, ils ont
vaincu le monde et Satan.
Enfin, le Seigneur Jésus n’a-t-Il pas commencé Son œuvre divine
de salut des hommes par un jeûne long de quarante jours ? E t n’a-t-Il
HOMÉLIE POUR LE DIMANCHE DE LA TYROPHAGIE 163
pas montré ainsi clairement que nous aussi, nous devons commencer la
vie chrétienne véritable par le jeûne ? D ’abord le jeûne ; tout le reste se
produit avec le jeûne et à travers le jeûne. Par Son exemple, le Seigneur
nous a montré quelle arme puissante est le jeûne. Avec cette arme, Il a
vaincu Satan dans le désert et triom phé ainsi de trois principales passions
sataniques, qui perm ettent à Satan d ’accéder librem ent à nous : l’amour
des voluptés, l’amour des honneurs et l’amour de l’argent, trois passions
destructrices et trois pièges énormes dans lesquels l’ennemi maléfique du
genre hum ain cherche à attirer les soldats du Christ.
M ais c’est l’amour de l’argent qui facilite et rend possibles toutes les
autres passions ; c’e st lui qui est, selon l’apôtre Paul, la racine de tous les
maux (lT m 6, 10). C ’est pourquoi le Seigneur Jésus term ine Son ensei
gnem ent sur le jeûne en nous m ettant en garde de ne pas succomber à
l’amour de l’argent, à nous abstenir de l’accumulation fatale pour l’âme
de richesses terrestres, qui éloigne notre cœur de D ieu et l’ensevelit dans
la terre.
Ne vous amassez point de trésors sur la terre, où la mite et le ver consument,
où les voleurs percent et cambriolent. M ais amassez-vous des trésors dans le
ciel; là, point de mite ni de ver qui consument, point de voleurs qui perforent et
cambriolent. Car où est ton trésor, là sera aussi ton cœur (M t 6,19-21). Q ui
amasse des trésors terrestres, amasse de la souffrance et de la peur pour
lui -même. C et hom m e se perd lui-m êm e dans ses richesses, et son cœur
est enseveli sous la poussière. Nous sommes toujours en contact avec nos
richesses, fussent-elles sur terre ou dans le ciel. Nos pensées sont avec nos
richesses ; notre cœur est avec nos richesses ; notre volonté est avec nos
richesses, que celles-ci soient sur terre ou dans le ciel. Nous sommes liés
à nos richesses comme la rivière l’est à son lit, que nos richesses soient
sur terre ou dans le ciel. E n nous enrichissant de trésors terrestres, nous
serons provisoirement riches et éternellem ent pauvres; mais en nous
enrichissant de trésors célestes, nous serons provisoirement pauvres et
éternellem ent riches. Nous avons la faculté de choisir l’un ou l’autre.
C ’e st dans cette liberté de choisir que réside notre gloire mais aussi notre
souffrance. En choisissant des richesses éternelles, auxquelles n’accèdent
ni la mite ni le ver ni le voleur, notre gloire sera éternelle. M ais si nous
faisons le choix des autres richesses, que nous devons préserver de la mite,
du ver et du voleur, notre souffrance sera éternelle.
D ans leur acception intérieure, les richesses terrestres recouvrent aussi
bien le marasme terrestre que la culture et la m agnanimité terrestres
164 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l'aspect de l'éclair; et sa robe était blanche comme neige. A sa vue, les gardes
tressaillirent d'effroi et devinrent comme morts (M t 28,2-4). Ainsi apparaît
le serviteur du Roi. Q ue dire alors du Roi ?
Ah, si les hommes savaient ! S’ils savaient constam ment, sans oublier
un seul instant un tel savoir, que les anges porteurs d ’éclair et blancs
comme neige se trouvent près d ’eux, tout près d ’eux! Ce savoir, qui
correspondait à une vision chez les prophètes et tous les hommes doués
de discernement, rendait ceux-ci extrêmem ent doux et sereins devant le
monde céleste, mais déterminés et en colère à l'égard des pécheurs non
repentis et aveuglés. U n jour le prophète Elisée pria Dieu d ’ouvrir les yeux
de son serviteur et de lui perm ettre de voir ce que le prophète pouvait voir
lui-même. E t Dieu exhaussa la prière du grand prophète et le Seigneur
ouvrit les yeux du serviteur et il v it: voilà que la montagne était couverte de
chevaux et de chars defeu autour d'Elisée (2 R 6,17).
E t com m ent se présente alors la vision du Roi au-dessus des armées
célestes, comme est majestueuse et terrible la vision du Roi lui-m êm e sur
les armées célestes ! Q uand le prophète Isaïe fut jugé digne d ’une telle
vision, il s’écria plein de crainte et de terreur : Malheur à moi, je suis perdu!
car je suis un homme aux l'evres impures, j'habite au milieu d'un peuple aux
lèvres impures et mes yeux ont vu le roi, le Seigneur, le tout-puissant (Is 6,5).
A h, si les hommes savaient que le Roi, le Seigneur, les regarde
constam m ent - ce même Roi et Seigneur majestueux et immuable
qu’Isaïe regarda une fois et il fut aussitôt rempli de crainte et de frayeur - ,
alors aucun péché ni aucune impureté ne leur viendraient à l’esprit. Que
l’hom me voie Dieu ou non, Dieu le regarde, lui. Cela ne donne-t-il pas
la chair de poule au blasphém ateur? N ’est-ce pas un réconfort pour le
chrétien m artyr?
N on seulement le Dieu trinitaire nous regarde et nous voit à tout instant
de notre vie, mais il en est de même de toute l’armée des anges célestes et
des saints que nous célébrons. Des millions d ’yeux nous regardent comme
d ’un seul œil. Des millions de bons vœux nous suivent sur le chemin
plein d ’épines et de ténèbres de la vie ; et des millions de mains s’offrent
comme une seule main pour nous aider. Sous la conduite du Saint-Esprit,
l’Église de D ieu sur la terre s’e st efforcée de présenter aux fidèles cette
réalité majestueuse, redoutable et douce, à l’aide d ’innombrables icônes
placées sur l’iconostase qui symbolisent le m onde invisible des puissances
célestes et rappellent leur présence continue dans ce monde. En vénérant
les icônes, nous ne vénérons pas du bois ni les couleurs posées sur lui, mais
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE DU GRAND CARÊME 167
eux. La région habitée par les Juifs autour de Jérusalem, à cause de leur
attachem ent aux choses terrestres, était tombée plus bas que les contrées
peuplées de païens. La Galilée était païenne, peuplée principalem ent de
Grecs, Romains et Araméens, avec seulement quelques localités juives.
Les Juifs de Judée m éprisaient la Galilée comme terre païenne, terre de
ténèbres et d’ignorance. C ’e st précisément dans cette contrée m éprisée
qu’il fallait que brillât une grande lumière, conform ém ent aux paroles du
prophète : Le peuple qui marchait dans les ténèbres a vu une grande lumière,
sur les habitants du sombre pays, une lumière a resplendi (Is 9,1). E n o u v ran t
d ’abord Sa bouche divine dans cette Galilée, qui représentait un m élange
de peuples, le Seigneur a déjà ainsi souligné que Son Evangile s’adresse
à toute l’hum anité. E n apparaissant d ’abord dans ce recoin so m b re et
peu im portant de Palestine, Il a montré aussi bien Son hu m ilité que
Sa condam nation de l’o rgueil insensé de la Jérusalem e n tén éb rée et
débauchée.
André partit d ’abord seul avec le Seigneur et sans y avoir été in v ité ; il
trouva ensuite son frère Sim on-Pierre (Jn 1, 35), tandis que P h ilip p e fut
appelé par le Seigneur : «Suis-moi !» Le fait que Philippe a aussitôt rép o n d u
sans hésitation à cet appel est évident dans la mesure où,brûlant de ferveur
pour le C hrist, il commença im m édiatem ent à en enrôler d ’autres e t à les
conduire auprès du Seigneur. La décision rapide de Philippe de p a rtir
aussitôt avec le Seigneur, peut s’expliquer par le fait qu’il a p e u t-ê tre déjà
entendu parler du C hrist par ses voisins André et Pierre, puisqu’ils é ta ien t
tous originaires de la même localité de Bethsaïde, et peut-être aussi par
d ’autres ; mais le plus vraisemblable est que la personnalité lum ineuse du
Seigneur l’a poussé à tout quitter, à tout oublier et à Le suivre. M a is la
personnalité puissante du C hrist a tellem ent conquis Philippe, c o m m e on
l’a dit, que non seulement il L’a suivi, mais il a commencé aussitôt à faire
de l’apostolat, c’est-à-dire à rallier d’autres hom mes au C h rist : Philippe
trouve Nathanaël et lui dit: « Celui dont Moïse a écrit dans la Loi, ainsi que
les prophètes, nous l ’avons trouvé! C'est Jésus, lefils de Joseph, de N a z a r e th »
(Jn 1,45).
Com m e Philippe parle sim plem ent ! Ces deux âmes hum aines en q u ête,
Philippe et Nathanaël, sont en train de s’entretenir! Philippe ne d it p a s:
nous avons trouvé le Messie promis, ni le Fils de David, ni le roi d ’Israël,
ni le Seigneur C hrist; il annonce sim plem ent à N athanaël que C e lu i à
propos duquel M oïse et les prophètes ont écrit, nous L ’avons trouvé. A in s i
s’exprime une âme imprégnée par le prodige et la joie. Les sen tim en ts les
HOMÉLIE pour l e prem ier d im anc he du grand carêm e 169
pas être interprétée comme une remarque méchante d’un cœur obtus et
négationniste, mais comme la crainte d’un cœur sincère de voir son ami se
tromper lourdement. Sara rit en elle-même quand le Seigneur lui annonce
quelle va enfanter un fils dans sa vieillesse (G n 18,12). Telle est la joie qui
souhaite avoir confirmation dans le doute. E t Nathanaël n’aurait jamais
pu entendre dans sa vie, une nouvelle plus joyeuse que celle apportée par
Philippe. M ais de même que toute joie est annonciatrice de difficultés
et d ’o mbres, de même la joie de Nathanaël se heurta aussitôt au nom de
Nazareth. C om m ent le Messie pouvait-Il venir de Nazareth? Est-ce que
Bethléem n’avait pas été m entionné par les prophètes comme lieu de Sa
naissance? Est-ce que des générations et des générations n’avaient pas
regardé la ville de David, dans l’attente d’y voir le petit roi promis ? Philippe
a dû certainement se trom per ! M ais Philippe ne souhaite pas se perdre dans
des explications et des démonstrations ; il ne peut d’ailleurs rien répondre
lui-même à la remarque faite par Nathanaël. Il lui dit simplement: «Viens
et vois!». Com m e ces paroles résonnent victorieusement: « Viens et vois!»
Viens seulement, Nathanaël, et tu verras, je ne peux pas démontrer, mais Sa
présence te démontrera tout. Je ne peux pas non plus répondre à tes autres
questions, mais Sa seule présence est une réponse à laquelle tu ne pourras
pas t ’o pposer. Viens seulement avec moi pour être en Sa présence - viens et
vois. Nathanaël fut d’accord et suivit Phifippe.
Jésus v it Nathanaël venir vers L ui et II dit de lui: «Voici vraiment un
Israélite sans détour» (Jn 1,47). Q uel merveilleux complim ent! E t venant
de quelle bouche ! M ais que signifie l’expression un Israélite sans détour ?
Cela signifie : un hom m e rempli de ce qui est l’inverse de la ruse, c’est-à-
dire de Dieu : un hom m e pensant à D ieu, en quête de Dieu, à la recherche
de Dieu, dans l’attente de Dieu, dans l’espérance de Dieu. C ’est un homme
qui s’est livré à un seul maître, Dieu, et ne souhaite pas en connaître d ’autre ;
un hom me dans lequel le principe du mal n’a pas pu prendre racine. Mais
cette mise en exergue par le C hrist de N athanaël comme j;n Israélite
véritable constitue en même tem ps la mise en avant du triste constat qu’il
ne subsistait qu’un petit nombre de véritables Israélites. C ’é st pourquoi le
Seigneur Lui-m êm e, comme réjoui, s’écrie : Voici vraiment un Israélite sans
détour! E n voici un véritable, au milieu d’un grand nombre d ’imposteurs !
En voici un qui n’e st pas seulement Israélite par le nom, mais aussi par
l’esprit! Bien que le Seigneur ait pu de loin être au courant du doute
que Nathanaël avait exprimé à Philippe, Il félicite néanmoins Nathanaël
comme un Israélite véritable et sans détour. Le com plim ente-t-Il afin
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE DU GRAND CARÊME 171
de le séduire ? N on, Celui qui lit dans les cœurs ne tient pas compte des
mots, mais regarde dans le cœur de l’hom me. Rien dans l’Evangile ne
nous perm et de voir que Nathanaël était un hom me sans détour; mais le
Seigneur regardait dans les cœurs et il l’avait lu dans son cœur. Peut-être
que les autres apôtres qui étaient autour du C hrist, sont restés étonnés par
ces compliments prononcés par le Christ, mais le C hrist a laissé le temps
de découvrir l’authenticité de son compliment.
Nathanaël lui-m êm e fut surpris par ce com plim ent inattendu:
Nathanaël L u i dit: «D ’où me connais-tu? » Jésus lui répondit: «A v a n t que
Philippe t'appelât, quand tu étais sous lefiguier, je t ’a i v u » ( Jn 19,48).
O n voit ainsi que Nathanaël se m ontre tout de suite comme un homme
sans artifice. U n hom m e rusé se préoccupe de lui-m êm e et nullement
d’autrui. U n hom m e rusé est flatté par les compliments et les flagorneries.
Si Nathanaël avait été un hom me rusé, il se serait senti enivré par ce
complim ent du C hrist et se serait mis à Le remercier ou, dans une fausse
humilité, à refuser une telle louange. M ais Nathanaël est plus attaché
à la vérité qu’aux flatteries, il attache plus d’importance au C hrist qu’à
lui-même. Aussi, sans recevoir ni refuser ce compliment, Nathanaël se
hâte de poser une question ouverte, dans le but de découvrir la vérité
sur le Christ. «D'où me connais-tu?» (Jn 1, 48). C ’est la première fois que
nous nous rencontrons ! Si tu m’avais appelé par m on nom, tu m’aurais
moins surpris, car un nom peut être connu ou deviné assez rapidement,
mais me voilà très surpris que tu connaisses si vite m on cœur et ma
conscience, c’est-à-dire quelque chose qui est le plus secret dans l’homme,
qu’un hom me révèle très difficilement même à ses amis proches. «D'où
me connais-tu ?» À cette question le Seigneur répond en révélant un autre
secret, apparent : «Avant que Philippe t ’appelât, quand tu étais sous lefiguier,
je t'ai vu» (Jn 1, 48). Celui qui connait les secrets de l’esprit, connait
facilement les secrets du corps. E t Celui qui voit le mouvement des
idées et entend le mystérieux m urm ure des pensées dans l’homme, peut
encore plus facilement voir le m ouvement du corps hum ain et entendre
les paroles dites par l’homme. Avant que Philippe eût rejoint Nathanaël,
le Seigneur l’avait vu assis sous le figuier; et avant que Philippe eût songé
à se rendre auprès de Nathanaël, le Seigneur avait vu et connu le cœur
de Nathanaël. Selon Sa providence, Philippe avait rejoint Nathanaël et
l’avait appelé à venir et à voir. C om m ent l’homme pourrait-il se cacher
au regard de Dieu ? C om m ent se m ettre à l’écart de Sa grande et terrible
présence ? E n réfléchissant à cette grande et terrible présence, le psalmiste
172 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Pour le Seigneur, tout aussi évidente était l’incrédulité des scribes qui
étaient présents à cet événement et pensaient dans leur cœur: « Comment
celui-là parle-t-il ainsi ?11blasphème ! Quipeut remettre lespéchés, sinon Dieu
seul?» (M c 2, 6-7). E t aussitôt, percevant par Son esprit qu’ils pensaient
ainsi en eux-mêmes, le Seigneur commence par les réprim ander douce
m ent à ce propos: «Pourquoi de telles pensées dans vos cœurs?» (M c 2, 8).
Le Seigneur clairvoyant lit facilement dans les cœurs, impurs et purs. De
même qu’il a vu aussitôt le cœur pur de Nathanaël où il n’y avait nulle
malice, de même II voit m aintenant clairement les cœurs impurs des
scribes remplis de ruse. Afin de leur m ontrer qu’il possède le pouvoir sur
les corps comme sur les âmes des hommes, celui de rem ettre les péchés
et de guérir les corps affaiblis, le Seigneur dit à l’hom m e affaibli : «Je te
l'ordonne, lève-toi, prends ton grabat et va t'en chez toi. » I l se leva et aussitôt,
prenant son grabat, il sortit devant tout le monde, de sorte que tous étaient
stupéfaits et glorifiaient Dieu en disant: «Jamais nous n’a vons rien vu de
pareil» (M c 2,11-12).
Regardez combien de pouvoirs miraculeux le Seigneur montre en une
fois : 1) Il discerne dans les cœurs des hommes et découvre la foi chez les
uns et la malice chez les autres ; 2) Il pardonne les péchés de l’âme et rend
l’âme saine et pure des germes de la maladie et de l’impuissance; 3) Il
restitue la santé au corps affaibli, paralysé, grâce à la puissance de Sa parole.
Com m e la présence du D ieu vivant est grande, redoutable et
prodigieuse !
M ais il faut se retrouver en présence du Seigneur vivant. C ’e st la
chose essentielle sur la route du salut: aller avec foi à la rencontre du
Seigneur et ressentir cette présence. Parfois, le Seigneur Lui-m êm e vient
et nous révèle Sa présence bienfaisante, comme II l’a fait à M arthe et
M arie à Béthanie, comme II s’e st m ontré soudainem ent à l’apôtre Paul
sur une route, ou à d ’autres apôtres sur la m er de Galilée, ou sur le chemin
d ’Em maüs, ou dans une pièce close, ou à M adeleine dans uft jardin, ou à
de nombreux saints en songe ou en public. Parfois encore, des hommes
se retrouvent en présence du Seigneur après avoir été conduits par des
apôtres, comme André a em m ené Simon Pierre, et Philippe, Nathanaël,
ou comme les successeurs des apôtres et des missionnaires ont conduit
d ’autres fidèles. Enfin, il arrive que des hom mes consacrent d ’énormes
efforts pour être en présence du Seigneur, comme cela fut le cas avec le
groupe de quatre hommes qui sont montés sur le toit d ’une demeure
afin de faire descendre un malade devant le Seigneur. Telles sont trois
HOMÉLIE POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 179
d ’efforts. Aucune autre foi ne propose aux fidèles autant d ’efforts, afin
d ’être dignes de se tenir devant le Fils de Dieu. Tous ces efforts ont été
proposés au m onde entier par notre Seigneur et Sauveur Lui-m êm e qui
en a fait com m andem ent aux fidèles ; l’Église ne cesse de les rafraîchir en
les répétant de siècle en siècle, de génération en génération, en m ettant
en exergue devant les fidèles le nom bre de plus en plus im portant de
chevaliers spirituels qui ont accompli la loi du C hrist et acquis une gloire
et une puissance indicibles au ciel et sur la terre.
D ’un autre côté, il ne faut pas se bercer d ’illusion et penser que toutes
ces actions et tous ces efforts déployés par un homme, apportent le salut
en eux-mêmes. Il ne faut pas s’imaginer que l’hom me est en mesure
seulement par son travail et ses efforts de se retrouver en présence du
Seigneur vivant. Si le Seigneur ne le veut pas, nul m ortel ne peut parvenir
à se tenir devant Sa face. C ar le Seigneur, qui a ordonné tous ces efforts,
a dit par ailleurs: «Lorsque vous aurez f a it tout ce qui vous a été prescrit,
dites: Nous sommes de simples serviteurs; nous avons fa it ce que nous devions
faire» (Le 17,10). Il a également dit : N u l ne peut venir à moi si le Père qui
m a envoyé ne l ’a ttire (Jn 6, 44). Il a dit aussi : Hors de moi vous ne pouvez
rien faire (Jn 15,5). Dans son épître aux Ephésiens, l’apôtre Paul se situe
dans cette perspective : C ’est par grâce que vous êtes sauvés! (Ep 2, 5). Que
dire après cela ? Dire que tous nos efforts pour nous sauver sont vains ?
Baisser les bras et attendre que le Seigneur Lui-m êm e nous appelle
et nous m ette, grâce à Sa force, en Sa présence? Le prophète Isaïe ne
s’exclame-t-il pas : Tous, nous étions comme des êtres impurs, et nos bonnes
actions comme du linge souillé (Is 64, 5) ? Faut-il donc nous consacrer à
toutes ces actions et à ces efforts? M ais ne ressemblons-nous pas alors
à ce serviteur qui avait enfoui dans le sol son talent et à qui son maître
avait crié: Serviteur mauvais et paresseux (M t 25, 26)? Nous devons être
sobres et nous efforcer d’accomplir les comm andem ents du Seigneur,
qui sont clairs comme le soleil. Nous devons déployer tous nos efforts
et c’est à Dieu qu’il appartient de bénir notre effort et nous admettre en
Sa présence. L’apôtre Paul l’a merveilleusement expliqué en ces termes :
Moi, j ’ai planté, Apollos a arrosé; mais c’est Dieu qui donnait la croissance.
Ainsi donc, ni celui qui plante n’est quelque chose, ni celui qui arrose, mais celui
qui donne la croissance: Dieu (1 Co 3, 6-7). C ’est donc de Dieu que tout
dépend - de la puissance, de la sagesse et de la miséricorde de Dieu. Il
nous appartient néanmoins de planter et d ’arroser, et ce devoir, nous ne
pouvons le négliger, au risque de notre ruine éternelle.
HOMÉLIE POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 181
médicaments pour l’e sprit ne seraient-ils pas plus amers que les médica
ments pour le corps ?
Les hom mes prennent soin, un très grand soin de leur corps ; quand
leur corps tombe malade, ils n’épargnent ni efforts, ni temps, ni richesses,
dans le seul but de rendre la santé à leur corps. Alors aucun médecin
n’e st trop coûteux pour eux, aucune station therm ale trop éloignée, aucun
m édicam ent trop amer, en particulier quand on leur annonce en plus, la
proximité de la m ort physique. A h, si les hom mes prenaient autant soin,
avec autant de moyens, de leur âme ! S’ils cherchaient avec autant de zèle
un médecin et un m édicam ent pour leur âme !
Il est difficile de marcher pieds nus sur l’herbe. M ais si un homme
aux pieds nus m eurt de soif et qu’une source se trouve de l’autre côté
des broussailles, cet hom m e ne se décidera-t-il pas à s’avancer sur ces
broussailles, quitte à saigner et à se blesser, afin de parvenir jusqu’au point
d ’eau, plutôt que de rester sur l’herbe tendre de ce côté des broussailles et
d ’y m ourir de soif?
«Il nous est impossible de prendre un m édicam ent aussi amer»,
disent de nombreuses personnes affaiblies par le péché. C ’est pourquoi
le M édecin am i-des-hom m es a d ’abord pris Lui-m êm e un m édicament
amer, le plus amer de tous, bien qu’il fut en bonne santé, dans le seul
but de m ontrer aux malades que cela n’est pas impossible. A h, comme il
est plus difficile à un hom m e en bonne santé de prendre et d ’avaler un
m édicam ent pour malades qu’à un malade lui-m êm e ! Or, Lui l’a pris afin
que le prennent aussi ceux qui sont m ortellem ent malades.
«Il nous est impossible d’aller pieds nus dans les broussailles, aussi
assoiffés que nous soyons et aussi torrentielle et fraîche que soit la source
d’eau de l’autre côté !», disent aussi ceux qui ont été affaiblis par le péché.
Aussi le Seigneur ami-des-hommes a-t-Il Lui-m ême traversé pieds nus le
champ de broussailles et Le voilà maintenant de l’autre côté qui crie et nous
invite à la source d ’eau vive. « C ’e st possible ! crie-t-Il, Je Suis passé par-dessus
les épines les plus blessantes et les ai émoussées avec mes pas ; venez donc !»
« Si la Croix est le m édicam ent, il nous est impossible de prendre ce
m édicam ent ! E t si la Croix est le chemin, il nous est impossible de prendre
cette voie ! » Ainsi s’expriment ceux qui sont malades de leur péché. Aussi
le Seigneur am i-des-hom m es a-t-Il pris la croix la plus lourde sur Lui,
afin de m ontrer que c’est possible.
D ans l’é vangile d ’aujourd’hui, le Seigneur recommande la croix, cette
médecine amère, à quiconque souhaite se sauver de la mort.
HOMÉLIE POUR LE TROISIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 185
Avant tout, notre grande consolation est dans le fait que le Seigneur
nous appelle à venir à Sa suite. Qu'il me suive! dit le Seigneur. Pourquoi le
Seigneur appelle-t-Il ainsi ceux qui se chargent de leur croix ? La première
raison tient à Sa volonté qu’ils ne tom bent pas et ne soient écrasés sous
la croix. Telle est hélas la faiblesse de l’être hum ain : même pour l’homme
le plus robuste, la croix la plus légère est trop lourde s’il la porte sans aide
céleste. Regardez com m ent les gens désespérés deviennent incrédules à
la suite de la plus petite secousse ! Com m e ils se révoltent contre le ciel et
la terre après la m oindre piqûre d’une aiguille ! Com m e ils se balancent,
désemparés, à gauche et à droite en quête d ’un appui et d ’une protec
tion dans le néant de ce monde, tout en pensant que le m onde ne peut
leur fournir ni appui ni protection et que le monde entier est un néant
désespéré ! C ’est pourquoi le Seigneur nous appelle à venir à Sa suite. Car
ce n’est qu’en Le suivant que nous pourrons nous tenir au pied de notre
croix. C ’est en Lui que nous trouverons force, courage et réconfort. Pour
nous, Il sera la lumière sur une route sombre, la santé dans la maladie,
un ami dans la solitude, une joie dans la souffrance et une richesse dans
la misère. Dans le cas d ’un malade souffrant de douleurs physiques, on
laisse une veilleuse brûler toute la nuit. Dans la nuit de notre existence,
nous avons besoin de la lumière inextinguible du Christ, qui allégera nos
souffrances et nous perm ettra de garder l’espoir de voir l’aube poindre.
La deuxième raison pour laquelle le Seigneur nous demande de Le
suivre, aussi im portante que la première, concerne le but du renoncement
volontaire à soi et de l’acceptation de se charger de la croix. Nombreux
furent ceux qui avaient en apparence renoncé à eux-mêmes, afin de se
m ettre en avant encore plus dans ce monde. Nom breux furent ceux qui
se sont infligés des efforts et des labeurs innombrables dans le seul but
detre admirés et glorifiés par les gens. Nombreux furent ceux qui ont
agi et continuent d ’agir ainsi, en général au milieu de peuples païens,
afin d ’acquérir une réputation de mages ou de sorciers, par ambition
personnelle et volonté de tirer un profit matériel. Il ne s’agit nullement
d ’un renoncem ent à soi, mais de prom otion personnelle ; une telle croix
ne conduit pas à la résurrection et au salut, mais à la déchéance totale et
à la soumission au diable. Cependant, celui qui marche avec sa croix à la
suite du C hrist, est affranchi de tout orgueil, de toute volonté de dom iner
les autres et de tout désir de gloire mondiale et de profit. D e même qu’un
malade absorbe un m édicam ent amer, non pour m ontrer qu’il est capable
d ’avaler un m édicam ent aussi amer, mais dans le but de guérir, de même
188 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
soit en se suicidant, soit en se sacrifiant pour une cause injuste, dans une
querelle ou dans une dispute. U n tel hom m e ne pourra pas conserver son
âme, car l’Évangile dit : à cause de moi et de l'Evangile. Seuls le C hrist et
l’Évangile sont incom parablem ent meilleurs que notre âme. C ’e st la plus
grande richesse dans le temps et dans l’éternité, et nul hom m e ne doit
hésiter à sacrifier tout à cause de ce trésor incorruptible. M ais pourquoi
le Seigneur ajoute-t-Il: et de l'Evangile? N ’est-il pas suffisant de dire: à
cause de moi ? Non, ce n’e st pas suffisant. Le Seigneur dit à cause de moi et
de l ’E vangile, afin d ’élargir ainsi les raisons de m ourir personnellement
et de vivre en D ieu et d ’augmenter de nouveau le nombre de ceux qui
sont sauvés. E st donc sauvé celui qui perd sa vie pour le C hrist vivant et
immortel. Est également sauvé celui qui perd sa vie à cause des œuvres du
C hrist dans le m onde et de Son saint enseignement. Enfin, est sauvé celui
qui perd la vie à cause d ’un seul com m andem ent du C hrist ou d’une seule
de Ses paroles. Le Seigneur est Celui qui a constitué la vie; celui qui se
sacrifie pour l’auteur de la constitution de la vie s’est sacrifié aussi pour Sa
constitution, et à l’inverse, celui qui se sacrifie pour Sa constitution, s’est
sacrifié pour Lui. E n s’identifiant à Son œuvre et à Son enseignement, le
Seigneur élargit ainsi la possibilité de salut d ’un grand nombre.
Que sert donc à l ’homme de gagner le monde entier, s'il ruine sa propre
vie ? E t que peut donner l ’homme en échange de sa propre vie (M c 8,36-37) ?
Ces mots éclairent beaucoup les paroles précédentes. Ils m ontrent que
le Seigneur apprécie l’âme hum aine plus que le m onde entier. O n voit
ainsi quelle âme l’hom m e doit perdre afin de conserver l’âme : une âme
dégradée, plongée dans le monde, encombrée par le m onde et prisonnière
de lui. Si l’hom m e perd une telle âme, il sauvera son âme véritable ; s’il
rejette la vie mensongère, il gagnera sa vie véritable.
A quoi sert de gagner le monde entier, quand le monde est destiné à la
déchéance et à abîmer l’âme, qui est destinée à l’im m ortalité ? Le monde
approche de sa fin, et sera finalement rejeté comme un vêtem ent usé qui a
fait son temps. Les âmes véritables, les âmes amies du C hrist, s’envoleront
alors vers le royaume de la jeunesse éternelle. La fin du m onde est le
début de la nouvelle vie de l’âme. Quelle est l’utilité du m onde entier
pour l’homme, alors qu’il doit bientôt quitter ce monde et que le monde
entier doit, dans un temps qui n’e st pas lointain, se séparer de l’être et
s’évanouir comme un rêve qui s’e st achevé? Q uel secours attendre d ’un
m ortel désemparé? E t quelle rançon donner pour son âme? M êm e si
le monde entier était à lui, D ieu ne recevrait pas le m onde à la place de
190 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
ont vu dans cette vie, bien que d ’une autre façon, le Royaume de Dieu
dans sa puissance et sa gloire.
Si nous le voulons, nous aussi pouvons voir le Royaume de Dieu venir
dans sa puissance, avant de goûter à la m ort. L’évangile de ce jour dit
clairement à quelles conditions cela peut être révélé. Prenons de notre
plein gré notre croix et partons à la suite du Seigneur.
Prenons soin de perdre notre âme ancienne, notre vie pécheresse,
et apprenons qu’il est plus im portant pour l’hom m e de sauver son âme
que de conquérir le m onde entier. Ainsi nous aussi, nous nous rendrons
dignes, avec la miséricorde de Dieu, de voir le Royaume de Dieu, grand
en force et incomparable en gloire, où les anges avec les saints, glorifient
nuit et jour le D ieu vivant, Père et Fils et Saint-Esprit, Trinité unique et
indissociable, m aintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité.
Amen.
H O M É L IE PO U R LE C IN Q U IÈ M E D IM A N C H E
D U G R A N D C A R ÊM E 17
L'humilité de notre Seigneur Jésus-Christ est tout aussi admirable que Ses
miracles, y compris Sa résurrection, le miracle des miracles. A yant endossé un
corps d'homme humble et servile, I l est devenu le serviteur de Ses serviteurs.
Pourquoi les hom mes se font-ils plus grands et meilleurs qu’ils ne
sont? L’herbe dans les champs ne se fait pas plus grande quelle n’est,
les poissons dans l’eau et les oiseaux dans l’air ne se font pas meilleurs
qu’ils ne sont. Pourquoi les hom mes se font plus grands et meilleurs qu’ils
ne sont? Parce qu’ils ont été vraim ent, jadis, plus grands et meilleurs
qu’aujourd’hui, de sorte que le sombre souvenir de cela les pousse à se
grandir et à s’élever, sur une corde que le démon lui-m êm e leur tend puis
relâche.
D e tout ce qui peut s’enseigner et s’apprendre, l’hum ilité correspond à
l’e nseignement le plus difficile pour l’homme. C ’est pourquoi le Seigneur
Jésus a exprimé un enseignement aussi clair et limpide que le soleil, tant
par la parole que par l’exemple, afin que nul ne puisse douter de l’im por
tance infinie et inévitable de l’hum ilité dans l’œuvre du salut humain.
C ’est pourquoi II s’est manifesté dans le corps d ’un hom me, ce qui est
apparu à Adam comme un châtim ent survenu après sa chute de pécheur.
Le Seigneur sans péché et Créateur des chérubins diaphanes et lumineux
a revêtu une tenue épaisse et grossière —n’est-ce pas là une leçon claire et
suffisante sur l’hum ilité des hom mes pécheurs ? C ette leçon, le Seigneur
l’a renouvelée lors de Sa naissance, non dans un palais de roi mais dans
une grotte de bergers, par le fait qu’il a fréquenté des pécheurs et des
pauvres méprisés, parce qu’il a lavé les pieds de Ses disciples et parce qu’il
a volontairement pris toutes les souffrances sur Lui, buvant jusqu’à la lie
le calice le plus amer au milieu de Son martyre sur la Croix. E t pourtant
les hommes ont eu beaucoup de mal à comprendre cette leçon évidente
d ’humilité et l’o nt appliquée très à contrecœur. M êm e les disciples du
Christ, qui regardaient tous les jours le Seigneur doux et humble, n’ont
pas pu comprendre Sa douceur ni adopter Son humilité. Leur exaltation
personnelle et leurs préoccupations au sujet de leur dignité propre, gloire
et récompenses, s’exprimaient même dans des m om ents terribles où elles
auraient dû se manifester le moins. M ais la Providence a permis quelles
puissent s’exprimer dans de telles circonstances, afin que les siècles et les
générations à venir voient clairement toute la faiblesse, toute la déchéance
du pécheur, tout le néant de la nature humaine. Ainsi par exemple quand
le Seigneur a prononcé cette phrase terrible sur les riches : il est plusfacile
à un chameau de passer par un trou d ’aiguille qu’à un riche d ’entrer dans le
Royaume des d e u x (M t 19, 24), Pierre a demandé au Seigneur quelle
serait la récompense personnelle de Ses disciples : quelle sera donc notre
part (M t 19,27) ? En une autre circonstance, quand le Seigneur prédisait
devant Ses disciples la trahison, le martyre et le m eurtre du Fils de Dieu,
ceux-ci continuèrent à cheminer à Ses côtés en se disputant pour savoir
qui était le plus grand (Mc 9, 34). Connaissant leurs pensées et entendant
leurs débats intimes, le C hrist prit un petit enfant, le plaça au milieu
deux et, l’ayant embrassé, réprimanda, par l’exemple de cet enfant, ceux
qui se querellaient sur la prim auté (M c 9,31-37). Par ailleurs, lors de Son
dernier voyage à Jérusalem, quand le Seigneur évoquait plus précisément
Sa Passion en prédisant que le Fils de l’hom me serait livré aux païens et
qu’zALe bafoueront, cracheront sur Lui, Le flagelleront et Le tueront, et après
trois jours, Il ressuscitera (Mc 10, 34) —en cet instant solennel et terrible
donc, quand le Seigneur prédit Son hum iliation ultime, le serpent de
l’orgueil redresse la tête et incite deux de Ses premiers disciples à faire une
demande qui ressemble beaucoup à une raillerie de la Passion vénérable
et terrible du Seigneur. C ’e st à cet épisode que l’é vangile de ce jour est
consacré.
Prenant de nouveau les Douze avec Lui, I l se m it à leur dire ce qui allait
L ui arriver (Mc 10, 32). Ce fut la dernière prédiction que le Sauveur fit
au sujet de Sa prochaine Passion. Se rendant de Galilée à Jérusalem, une
route qu’il n’allait plus em prunter dans Son corps impuissant d ’homme,
le Seigneur répète à Ses disciples ce dont II leur a déjà parlé à plusieurs
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 197
invoquant le Seigneur Jésus de venir à son secours. Ces deux apôtres ont
marché aux côtés du Seigneur en chair et en os, contemplé Son visage,
écouté l’e nseignement dispensé par Sa bouche, observé Ses miracles, bu et
mangé à Ses côtés, tout en m ontrant à la fin qu’ils avaient encore en eux-
mêmes des blessures toujours non guéries de vanité et d’amour-propre,
de cogitation terrestre et d ’incompréhension spirituelle. Ils continuaient
à penser non en chrétiens mais en juifs, c’est-à-dire qu’ils continuaient
à avoir foi dans le royaume terrestre du Messie, en Sa victoire terrestre
sur Ses ennemis et en Sa gloire et puissance mondiales, semblables à
celles de David et Salomon. A h, chrétien, réfléchis et soucie-toi de savoir
com m ent tu vas te guérir de telles blessures, com m ent tu vas atteindre la
perfection de l’humilité et de la soumission à la volonté de Dieu, si ces
deux merveilleux frères n’ont pas su y arriver, même au bout de trois ans
de contacts personnels ininterrom pus avec le Seigneur vivant... Ils y sont
parvenus plus tard, quand l’Esprit enflammé de Dieu est descendu dans
leurs cœurs et y a allumé l’amour du Christ. Alors ils ne convoitaient pas
la gloire en dehors des souffrances mais, pleins de honte en raison de leur
vanité passée, ils se sont joints de tout leur être aux souffrances de leur
Seigneur, en clouant de leur plein gré leurs cœurs à la croix de leur Ami.
M ais écoutons ce que le Seigneur répond à ces disciples, à la suite
de leur dem ande : Jésus leur dit: « Vous ne savez pas ce que vous demandez.
Pouvez-vous boire la coupe que je vais boire et être baptisés du baptême dont
je vais être baptisé?». Ils L u i dirent: «Nous le pouvons». Jésus leur dit:
«La coupe que je vais boire, vous la boirez, et le baptême dont je vais être
baptisé, vous en serez baptisés-, quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il
ne m appartient pas de l ’accorder, mais c’est pour ceux à qui cela a été destiné»
(Mc 10, 38-40). Com m e le Seigneur est clém ent et doux! Tout maître
m ortel ordinaire serait plein de colère à l’égard de tels disciples et se
m ettrait à crier : éloignez-vous de moi, vous êtes inaptes à suivre un ensei
gnem ent spirituel ! Depuis trois ans que je vous parle et vous explique,
vous continuez à vous exprimer comme des insensés ! O r le Seigneur leur
répond clairement, mais toujours avec m odération et douceur: Vous ne
savez pas ce que vous demandez. Cela signifie: vous ne réfléchissez pas
spirituellement mais charnellement ; vous ne recherchez pas la gloire de
Dieu, mais la vôtre. Vous ne savez toujours pas qui je suis, ni quel est
mon Royaume. Vous me considérez toujours comme le Messie du seul
peuple juif, et croyez que m on Royaume consiste à régner sur ce peuple.
C ’e st pourquoi vous vous risquez à demander la prééminence dans un tel
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 201
choisi les plus sages des sages de ce monde pour être Ses disciples mais
au contraire, pratiquement les plus simples parmi les simples. Il l’a fait
à dessein, afin que cela aussi démontre la puissance et la grandeur du
Héros céleste. Il a choisi les plus petits, pour faire deux les plus grands;
Il a choisi les plus simples, pour faire deux les plus sages, Il a choisi les
plus faibles pour faire d eux les plus puissants ; Il a choisi les plus méprisés
pour faire deux les plus glorieux. Et dans cette tâche difficile, le Seigneur
a réussi aussi brillamment que dans toutes les autres. Cela a permis de
montrer Sa puissance et Sa capacité de thaum aturge tout autant que lors
de l’apaisement de la tempête en mer et de la multiplication des pains.
En nous révélant la faiblesse des disciples, les évangélistes inspirés par
l’e sprit divin du Christ, atteignent un double objectif : en premier lieu, à
travers cet incident ils nous révèlent nos propres faiblesses ; et en second
lieu, ils montrent la grandeur de la puissance du C hrist et la sagesse de Sa
méthode pour guérir et sauver les hommes.
M aintenant que les dix autres disciples ont révélé également leur
incompréhension de la gloire du Christ et, en même temps, qu’ils n’étaient
pas guéris de la jalousie terrestre ordinaire, le Seigneur profite de cette
circonstance pour leur apprendre encore une fois à tous, l’humilité.
Les ayant appelés près de Lui, Jésus leur dit: « Vous savez que ceux qu'on
regarde comme les chefs des nations dominent sur elles en maîtres et que les
grands leur fo n t sentir leur pouvoir. I l ne doit pas en être ainsi parmi vous:
au contraire, celui qui voudra devenir grand parm i vous, sera votre serviteur,
et celui qui voudra être le premier parmi vous, sera l'esclave de tous (Mc 10,
42-44).Voilà le nouvel ordre des choses! Voilà une nouvelle constitution
sociale, inconnue et inconcevable dans le monde païen d ’avant le Christ !
Parmi les païens, les seigneurs régnaient par la force et les puissants
dirigeaient grâce à l’autorité de leur pouvoir, leur origine ou leur richesse.
Ils régnaient et dirigeaient, et tous les autres leur étaient soumis par
crainte, les servant avec terreur. Ils se considéraient comme les premiers,
les plus anciens, les plus nobles et les meilleurs, seulement parce qu’ils
s’é taient élevés au-dessus des autres par leur position, leur pouvoir et
leurs honneurs. La position, la force et la richesse servaient de critères
pour la prééminence parmi les hommes. Ces critères, le Seigneur Jésus
les rejette et instaure le service comme critère de prééminence parmi Ses
fidèles. N ’est pas premier celui que la majorité des hommes voient tout en
haut, mais celui dont la plupart des cœurs hum ains ressentent les bonnes
œuvres. La couronne ne confère pas la prééminence par elle-même;
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 20 5
irréalisable, est illustré par les derniers mots du C hrist dans l’Évangile de
ce jour : Aussi bien, le Fils de l'homme lui-même nestpas venu pour être servi,
mais pour servir et donner Sa vie en rançon pour une multitude (M c 10,45).
Notre Seigneur n’a pas donné aux hommes un seul com m andem ent qu’il
n’ait Lui-m êm e mis en œuvre à la perfection, laissant ainsi un exemple à
considérer par tous. Son com m andem ent sur le service aux hommes, le
Seigneur l’a mis en pratique tout au long de Sa vie sur terre : par la manière
dont II est apparu sur terre, par Sa m ort, par Son activité philanthropique
inlassable pour le genre hum ain, à travers le Saint-Esprit après Sa mort
et Sa résurrection très glorieuse. Par Sa m ort, Il a donné la vie en rançon
pour une multitude. Il ne dit pas pour tous, mais pour une multitude, ce qui
signifie que certains n’accepteront pas Son amour, ni n’apprécieront Son
sacrifice. Son service par am our va jusqu’au martyre et jusqu’à la mort.
C ar celui qui sert par amour et non par nécessité ne craint pas la mort.
C ’est parce que le service du C hrist pour les hom mes n’est limité ni par
le temps, ni par la souffrance, ni par la m ort, qu’il revêt le caractère d’un
sacrifice parfait en guise de rançon. Ainsi avec un tel service, le Seigneur a
racheté les hom mes du pouvoir du diable, du péché et de la m ort. M ais ce
service, le Seigneur n’aurait pu ni le commencer, ni l’achever, sans Sa très
grande et insurpassable humilité. É tant le prem ier dans l’é ternité, Il a fait
de Lui-m êm e le dernier, apparaissant dans le monde comme serviteur et
esclave, avant de retrouver, à travers le service aux hommes, Sa primauté
suprême, m ontrant ainsi aux hommes la voie m enant à la prim auté véri
table, la hiérarchie désintéressée et durable. Certains hommes ont accueilli
dans leur cœur cet exemple du Fils de D ieu et, suivant Son exemple et
en Son nom, se sont consacrés entièrem ent au service des hom mes par
amour, alors que d’autres ont méprisé Son exemple et Son enseignement.
Q u ’est-il arrivé aux premiers, et aux seconds ? C ’e st ce que nous apprend
l’histoire des apôtres du Christ.
Judas a rejeté l’enseignement et l’exemple du C hrist et a term iné sa
vie dans la honte et l’infamie en se pendant, alors que les onze autres
qui avaient reçu dans leur cœur les paroles de l’évangile de ce jour sur
l’humilité, se m irent à soutenir l’exemple du M aître de service par amour,
furent glorifiés sur la terre et au ciel, dans le temps et l’é ternité. Le destin de
Judas fut celui de tous ceux qui avaient rejeté l’enseignement et l’exemple
du C hrist, alors que le destin des onze autres apôtres fut celui de tous ceux
qui adoptèrent l’e nseignement salvateur et aidèrent à la propagation de
Son exemple indépassable. Des milliers de Judas ont vécu dans l’histoire
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 207
Q ui apporte une joie encore plus grande dans une maison ? U n ami
de cette maison.
Q ui apporte la plus grande joie dans une maison ? Le maître de maison
quand il revient après une longue absence.
Bénies soient les mains qui accueillirent le C hrist Seigneur comme un
bon invité et L’hébergèrent !
Bénie soit la bouche qui Le salua comme un ami !
Bénies soient les âmes qui Le vénérèrent avec un chant de louange
comme pour le maître de maison !
M ais certains ne Le reconnurent pas et ne L’accueillirent ni comme un
invité, ni comme un ami, ni comme le maître de maison, mais avec leurs
mains levèrent la pierre sur Lui et avec leurs âmes mortelles, préparèrent
la m ort pour Son corps.
Le caractère divin du Seigneur Jésus était tel que, partout où II allait,
D ieu dans un corps d ’homme, les hom mes se divisaient à droite et à
gauche de Lui, comme ils se diviseront lors de Sa dernière apparition
au dernier jour de ‘l’Histoire terrestre. D e nos jours encore, dans une
discussion menée dans le monde au sujet du Seigneur Jésus, les hommes
se divisent, les uns à droite et les autres à gauche. Com m e cette division
devait être tranchante à l’é poque de Sa vie physique sur la terre !
L’évangile de ce jour décrit deux cas de discorde sévère entre les
hom mes à ‘propos de notre Seigneur. D ans le prem ier cas, lors d ’un repas
dans le village de Béthanie, les assistants étaient si divisés, que d ’un côté se
retrouvèrent les apôtres, Lazare le ressuscité et ses sœurs M arthe et M arie
qui avaient accueilli le Seigneur, et de l’autre Judas le traître, qui protesta
parce que M arie avait versé de l’huile parfumée sur la tête du Seigneur.
210 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Dans le deuxième cas, on trouvait d’un côté le peuple qui avait accueilli
solennellement le Seigneur lors de Son entrée à Jérusalem, et de l’autre
côté les pharisiens, les scribes et les grands prêtres, qui se concertaient en
vue de tuer non seulement le C hrist mais aussi Son ami Lazare.
Six jours avant la Pâque, Jésus v in t à Béthanie, où était Lazare, que Jésus
avait ressuscité d ’entre les morts (Jn 12, 1). O ù était le Seigneur aupara
vant? L’évangile précédent m ontre qu’aussitôt après la résurrection de
Lazare II s’était retiré dans une région voisine du désert, dans une ville
appelée Ephraïm (Jn 11, 53). Il s’était éloigné afin que les chefs hébreux
ne L’arrêtent pas et ne Le tuent pas, car la résurrection de Lazare avait
impressionné ces hommes insensés plus que tous Ses autres miracles. O n
voit que Lazare était un hom m e connu et ém inent, comme en tém oignent
les très nombreuses visites faites à son domicile, aussi bien lors de sa m ort
qu’après sa résurrection.
Beaucoup d ’entre les Juifs étaient venus auprès de Marthe et Marie pour
les consoler au sujet de leurfrère (Jn 11,19) et Beaucoup de Juifs, à cause de
lui, s’en allaient et croyaient en Jésus (Jn 12, 11). M ais comme Son temps
n’é tait pas encore venu, le Seigneur s’é loigna de Jérusalem et se m it à l’abri
de Ses ennemis malveillants. Cela aussi, Il le fit pour nous. Tout d’abord,
pour que Sa m ort n’eût pas lieu dans le secret mais devant des centaines
de milliers de témoins, réunis pour la Pâque à Jérusalem, afin que le
monde entier sût qu’il était m ort sans aucun doute, et que par la suite le
miracle de Sa résurrection fut évident et indubitable. E t en second lieu,
pour nous enseigner la soumission parfaite à la volonté de Dieu, afin que
nous ne nous précipitions pas à tout prix dans la m ort, selon nos propres
conceptions, mais que nous nous interrogions sur la volonté de Dieu et
soyons prêts à souffrir à l’heure où cela nous sera révélé. C ar si nous nous
abandonnons com plètem ent à la volonté de Dieu, pas un cheveu de notre
tête ne seperdra (Le 21,18) et tout se produira pour nous à l’heure où cela
doit se produire, ni avant, ni après. Si nous sommes dignes de m ourir en
m artyr pour le C hrist Seigneur, et si nous sommes totalem ent soumis à
la volonté de Dieu, en quête de la gloire de D ieu et non de la nôtre, alors
notre m ort en m artyr se produira au m om ent voulu et de la manière la
plus utile pour nous et nos proches. Il ne faut donc pas s’imaginer que
le Seigneur Jésus cherchait à échapper à la m ort et se m ettre à l’abri de
Ses bourreaux : Il ne cherchait pas à y échapper, mais voulait la retarder
jusqu’à l’heure déterminée par Son Père, où Sa m ort serait la plus utile
pour le monde. Le fait que le Seigneur n’avait pas de crainte du martyre
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 211
il dérobait ce qu’on y mettait (Jn 12, 4-6). Selon les évangélistes M atthieu
et Marc, Judas n’avait pas été le seul à exprimer son m écontentem ent; les
autres disciples l’auraient fait (M atthieu), voire certains autres assistants
(Marc). Le fait que d ’autres aient marqué leur mécontentement, soit en
secret dans leur âme, soit à mi-voix, apparaît clairement dans la réponse du
Christ, dans l’é vangile de ce jour : «Laissez-la [ . . ] ; lespauvres, en effet, vous
les aurez toujours avec vous; mais moi, vous ne n i aurez pas toujours (Jn 12,7-8).
Le Seigneur répond ainsi au pluriel, à plusieurs personnes. M ais quel qu’ait
été leur mécontentement et aussi notables qu’ils fussent, le fait principal est
que Judas a exprimé son mécontentement avec beaucoup de véhémence, de
bruit et de vivacité. Pourquoi est-il le seul que l’évangéliste Jean mentionne,
et cela à dessein avec son nom complet et en le désignant comme traître ?
Afin que les lecteurs ne le confondent pas avec un autre apôtre nommé
Judas. Judas proteste donc parce que ce parfum précieux est versé pour
rien, qu’il n’a pas été mis en vente et le produit de la vente distribué aux
pauvres. Il précise même la valeur élevée de cette huile parfumée : trois cents
deniers. C ’est effectivement un prix élevé, l’é quivalent de plusieurs ducats en
or. M ais cela montre précisément le très grand respect plein de crainte que
M arie avait à l’é gard du Seigneur Jésus. Q ui sait combien de temps il lui a
fallu pour épargner tout l’argent nécessaire pour acheter ce flacon, qui allait
immortaliser cet instant ? Judas, lui, avait été profondément perturbé parce
que quelques ducats en or n’avaient pas tinté dans sa poche. L’évangéliste
Jean dit ouvertement qu’il était voleur. Bien entendu, Jésus le savait, Il savait
que Judas avait volé dans la cassette où étaient rassemblés les dons destinés
aux pauvres. Mais tout en le sachant, Il n’avait jamais réprimandé Judas pour
ce vol, peut-être parce que Lui-m ême méprisait profondément l’argent et
qu’il ne voulait pas en parler, peut-être parce qu’il attendait le moment
où en une phrase, Il dirait tout ce qu’o n pouvait dire sur Judas. Voici ces
paroles terribles que le Seigneur a prononcées devant Ses disciples : N ’est-ce
pas moi qui vous ai choisis, vous, les Douze ? E t l ’un d'entre vous est un diable
(Jn 6, 70-71). Pourquoi donc n’appeler Judas que voleur, quand il mérite
d’être appelé diable ?
Devant le m écontentem ent exprimé par Judas, voici ce que Jésus
répond: Laisse-la: c’est pour le jour de ma sépulture quelle devait garder ce
parfum. Les pauvres, en effet, vous les aurez toujours avec vous ; mais moi,
vous ne m’aurez pas toujours (Jn 12, 7-8). Quelle réponse admirable et
touchante ! C ette même bouche qui a d it: C ’est la miséricorde que je veux,
et non le sacrifice (M t 12, 7) et qui a dit au jeune hom m e riche : Vends
214 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
tout ce que tu possèdes et donne-le aux pauvres (M t 19, 21) —cette bouche
justifie m aintenant M arie pour avoir versé un parfum précieux. N ’y
a-t-il pas là une contradiction? N on, nullem ent car ce n’est pas de pain
seul que vivra l ’homme (M t 4, 4) ; ce geste de M arie représente autant un
sacrifice qu’un geste de miséricorde, un acte de miséricorde envers le plus
grand Pauvre qui ait jamais foulé cette terre. E n effet, un pauvre qui a
toujours été pauvre et dont les grands-pères et les aïeux ont été pauvres,
nest pas si pauvre ; en revanche, un roi qui se m et au niveau des pauvres
est un véritable pauvre, et que dire du Roi des rois qui a régné depuis
l’o rigine sur les armées immortelles des anges, avant de devenir hom me
par philanthropie, en naissant dans une grotte et devenir le serviteur de
tous? Les bœufs et les m outons ont offert une étable à ce nouveau-né;
et à Sa m ort, qui allait oindre Son corps, au moins autant qu’o n avait
l’habitude de le faire même pour les pauvres venant de m ourir? C ’é tait
M arie. Com m e instruite par l’Esprit, elle accomplit d ’avance son action
d ’onction du corps du C hrist, Le préparant ainsi pour la sépulture. Pour
elle, ce repas est le dernier repas, où elle accomplit un mystère non
sur un vivant, mais sur le Seigneur m ort. Com m e si elle savait que le
thaum aturge puissant qui avait fait revenir son frère parm i les vivants et
ramené le maître de maison lépreux parm i les gens en bonne santé, se
retrouverait dans deux-trois jours aux mains de criminels qui Le feraient
ensuite m ourir en criminel. C ’est pourquoi - ne la touchez pas ; laissez-
la accomplir son rite funéraire sur moi. Alors que les pauvres, vous les
aurez toujours avec vous, et prenez donc soin de respecter avec eux mon
com m andem ent de miséricorde. Ce que vous avez fait aux pauvres, vous
l’avez fait à moi ; de même, ce que vous avez fait à moi, vous l’avez fait
aux pauvres. Ce que vous avez fait à moi, je vous le rendrai au centuple,
à vous et à vos pauvres. Le Seigneur a dit encore : E n vérité, je vous le dis,
partout où sera proclamé l ’E vangile, au monde entier, on redira aussi, à sa
mémoire, ce quelle (M arie) vient defaire (M c 14, 9). Voyez comme notre
Seigneur et roi, récompense royalement l’attention qui vient de Lui être
faite ! Il récompense l’amour par un amour au centuple ; quant aux trois
cents deniers dépensés, que Judas regrettait tellement, Il les rembourse
à M arie par une gloire immortelle. Pour trois cents deniers, que Judas
le voleur aurait cachés dans l’o mbre avec le nom de M arie, M arie avait
acheté un joyau impossible à payer, en fait une leçon utile à des millions
et des milliards de chrétiens, m ontrant com m ent le Seigneur récompense
royalement ceux qui Le servent.
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE DU GRAND CARÊME 215
La grande foule des Juifs apprit qu'il était là et ils vinrent, pas seulement
pour Jésus, mais aussi pour voir Lazare, qu’il avait ressuscité d'entre les morts.
Les grands prêtres décidèrent de tuer aussi Lazare, parce que beaucoup de
Juifs, à cause de lui, s’en allaient et croyaient en Jésus (Jn 12, 9-10). Voilà de
nouveau les hommes divisés devant la puissance du C hrist ! Les uns vont
voir le thaum aturge et Lazare, le miracle des miracles ; d ’autres complotent
pour les tuer tous deux, c’e st-à-dire le C hrist mais aussi Lazare. Pourquoi
Lazare ? Afin de détruire ainsi un tém oin vivant du miracle accompli par le
Christ. M ais pourquoi ne se décidèrent-ils pas alors à tuer tous les autres,
hommes, femmes et enfants, devant lesquels le Seigneur avait montré Sa
puissance divine, tous les aveugles qui avaient recouvré la vue, les sourds
qui s’é taient mis à entendre, les muets qui s’é taient remis à parler, les
possédés qui avaient recouvré la raison, les morts qui avaient ressuscité les
lépreux qui avaient été purifiés, les paralysés qui avaient été guéris, ainsi
que les handicapés, les boiteux, les insensés et tous les autres qui avaient
été guéris par miracle ? Des témoins de la puissance thaum aturgique du
C hrist existaient dans les villes et les villages de toutes les terres d ’Israël.
Pourquoi les grands prêtres n’avaient pas décidé de les tuer tous, mais
seulement Lazare? Ce n’é tait pas parce que tous ces êtres maléfiques
avaient peur du sang et qu’ils éprouvaient de la compassion pour les autres,
mais sim plem ent parce que cela était irréalisable et même dangereux pour
eux-mêmes. Ils voulaient tout particulièrement tuer Lazare parce que sa
résurrection avait suscité semble-t-il, en Judée, une ém otion plus forte
que tout autre miracle du Sauveur; mais aussi parce que tout le monde
brûlait d ’envie de voir Lazare et, après l’avoir vu, se m ettait à croire dans
le Seigneur Jésus ; et peut-être aussi parce que la Pâque était toute proche,
ce qui leur faisait craindre que tout le peuple rassemblé à Jérusalem pour
la Pâque se mette en route vers Béthanie afin d ’y voir le m ort ressuscité
et croie en Christ. Ainsi, tandis que le peuple cherchait le salut, ses chefs
spirituels s’e fforçaient de lui barrer la route vers le salut. M ais toutes ces
tentatives de ces chefs maléfiques contre les actions de Dieu, restèrent
vaines. Plus ils tentaient de contenir l’œ uvre de Dieu, plus elle apparaissait
au grand jour. Cela sera confirmé clairement plus tard en ce qui concerne
l’Eglise du Christ, jusqu’à nos jours ; des armées entières d ’e nnemis du
C hrist l’o nt attaquée, de l’extérieur comme de l’intérieur, mais toutes ces
attaques non seulement n’o nt pas réussi à la détruire, mais au contraire ont
contribué à propager l’Église et à la consolider dans le monde. Les faibles
mains d ’hommes ne peuvent pas lutter contre le Créateur Tout-puissant
216 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
ce signe (Jn 12, 17-18). Ici, il est question de deux sortes de gens: les
premiers qui avaient été témoins directs de la résurrection de Lazare à
Béthanie, et les seconds, rassemblés à Jérusalem, qui avaient entendu les
premiers leur parler du miracle concernant Lazare. Les premiers avaient
porté témoignage, les seconds étaient sortis à cause de ce témoignage pour
Le rencontrer. E t tandis que la fumée des sacrifices s’élevait au-dessus du
temple de Salomon, que les scribes débattaient de façon ennuyeuse de
la lettre m orte de la loi de M oïse, que les prêtres obtus déterm inaient
orgueilleusement l’o rdonnancem ent des cérémonies, que les chefs popu
laires se glorifiaient en m ontrant au peuple, pleins de suffisance, que toute
cette foule s’était rassemblée pour eux, et que les lévites m ettaient à part,
avec précision et arrogance, les parties des offrandes qui leur revenaient,
le peuple attendait le miracle et le thaumaturge. C ’e st pourquoi des
vagues immenses d ’ê tres humains, le dos tourné au temple de Salomon
à Jérusalem, c’est-à-dire aux lieux de sacrifices et aux prêtres et à toute la
machinerie impuissante de cette société citadine artificielle, dirigeaient
leurs regards vers le M ont des Oliviers, dont le thaum aturge descendait
les pentes. C ar quelle est l’utilité des tours mortes de Jérusalem, avec des
morts-vivants dedans, pour l’âme d ’un peuple affamée et assoiffée, qui
cherche une fenêtre dans le ciel fermé et la vision du Dieu vivant? Les
deux orgueils dont Jérusalem était pleine et même saturée, étaient celui
des romains et celui des pharisiens, qui n’étaient pas en mesure de faire le
m oindre petit prodige. O r voilà que du M ont des Oliviers descend Celui
qui, par Sa voix a fait sortir du tombeau un hom m e m ort depuis quatre
jours, le ressuscitant d ’entre les morts et le faisant revenir de la pourriture
sépulcrale !
A h, si nous détournions notre esprit de la machinerie orgueilleuse
mais impuissante de ce monde, pour le diriger vers les hauteurs célestes,
à la suite du C hrist Roi! A h, si nous mettions toute notre espérance
seulement en Lui ! Notre âme est en quête du vainqueur de la m ort, que
tout l’univers ne peut vaincre. Le C hrist est ce Vainqueur. Notre âme a
faim et soif du Roi humble et puissant, humble à cause de Sa puissance
et puissant à cause de Son humilité, d ’un Roi ami de chacun de nous
individuellement, d ’un Roi dont le pouvoir n’a pas de limites et dont la
philanthropie n’a pas de mesure. Le Seigneur C hrist est un tel Roi. Pour
Lui, exclamons-nous tous: Hosanna, Hosanna! Gloire et louange à Lui,
avec le Père et le Saint-E sprit,T rinité unique et indissociable, m aintenant
et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE G R A N D V E N D R E D I
(V E N D R E D I SA IN T )
le tumulte démentiel fait tout autour, ni même par les souffrances sur
la Croix. Le Seigneur Jésus a rem porté la principale victoire sur Satan
dans le jardin de Gethsém ani, et II l’a rem portée dans l'obéissance à Dieu
le Père. C ’est à la suite de sa désobéissance à D ieu qu’A dam fut vaincu
par Satan ; c’est par Son obéissance à Dieu que le C hrist a vaincu Satan
et sauvé Adam et le genre humain. D ans le jardin du paradis, Satan a
vaincu l’homme, dans le jardin de G ethsém ani, l’hom m e a vaincu Satan.
C ’e st cette angoisse qu’évoque l’évangéÜste M arc. Il fallait précisément que
l’hom m e triom phât, l’hom me et non Dieu, afin que tous les hommes
eussent ainsi devant eux un exemple de lutte et de victoire, un exemple
hum ain qui pût les soutenir. C ’e st pourquoi Dieu a laissé l’hom m e Jésus
lutter avec Satan et toute sa force, d ’o ù la douleur épouvantable endurée
par l’hom m e; d ’où aussi le cri: éloigne de moi cette coupe! D ’où aussi la
sueur - comme de grosses gouttes de sang - tom bant du visage de l’hom me :
si la chair est faible, l ’esprit est ardent (M t 26,41). E t l’esprit a rem porté la
victoire d ’abord sur le corps, puis aussi sur Satan. Peut-être Satan n’a-t-il
pas pu comprendre qu’il avait été totalem ent vaincu dans le jardin de
G ethsém ani; il a continué à jubiler en voyant le Seigneur raillé, crucifié
et mis à mort. M ais quand le Seigneur, à travers la m ort et le tombeau, est
descendu comme la foudre au royaume de Satan, Satan a appris que sa
prétendue victoire sur le Golgotha n’é tait que la conclusion de sa défaite
dans le jardin de Gethsém ani.
Le Seigneur Jésus a eu faim et soif comme un hom m e; Il a éprouvé
de la fatigue comme un homme ; Il a mangé et bu comme un homme,
Il a marché et parlé, Il a pleuré et s’e st réjoui comme un homme, et c’est
ainsi qu’il a souffert. N ul n’a donc le droit de dire que cela fut facile
pour Lui de souffrir parce qu’il était D ieu; «mais moi, disent ces gens,
comm ent puis-je supporter de telles souffrances?» U n tel discours n’est
qu’un prétexte, qui découle de l’ignorance et de la paresse spirituelle. En
fait, il n’é tait pas facile pour le C hrist de souffrir, car II n’a pas souffert
comme Dieu, mais comme homme. E t il Lui était d ’autant plus difficile
de souffrir qu’il était innocent et sans péché, alors que nous, nous sommes
coupables et pécheurs. N ’o ublions jamais que, quand nous souffrons, nous
souffrons pour nos péchés. Le Seigneur Jésus n’a pas souffert à cause de
Lui et pour Lui-m ême, mais à cause des hommes et pour les hommes, à
cause de multitudes d ’hommes et pour tous les péchés des hommes. Si un
péché a conduit Adam à la mort, si un péché a posé sur le front de Caïn la
marque éternelle de la honte, si deux ou trois péchés ont entraîné tant de
226 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Ceux qui ont pris froid s’assemblent autour du feu ; les affamés s’as
semblent autour de la table de la salle à manger ; ceux qui ont souffert trop
longtemps dans les ténèbres se réjouissent de l’apparition du soleil"; ceux
qui ont été épuisés par un combat trop dur jubilent devant une victoire-
surprise. Seigneur ressuscité, avec Ta résurrection Tu es devenu tout pour
tous ! Roi très fastueux, avec un seul de Tes dons, Tu as rempli toutes les
mains vides tendues vers le ciel! Le ciel en est réjoui et la terre en est
réjouie. Le ciel se réjouit comme la mère se réjouit quand elle nourrit ses
enfants affamés ; la terre se réjouit comme les enfants se réjouissent quand
ils reçoivent de la nourriture des mains de leur mère.
La victoire du C hrist est l’unique victoire dont peuvent se réjouir tous
les êtres humains, du premier qui fut créé jusqu’au dernier. Toute autre
victoire terrestre a divisé et divise les hommes. Q uand un roi terrestre
rem porte une victoire sur un autre roi, l’un d ’eux se réjouit et l’autre en
est attristé. Q uand un hom me triom phe de son voisin, alors on entend
des chants sous le toit de l’un et des pleurs sous le toit de l’autre. M ais il
n’existe pas de joie victorieuse sur terre qui ne soit pas empoisonnée par la
méchanceté ; un vainqueur ordinaire se réjouit autant de ses rires que des
larmes de son adversaire malheureux. Lui-m êm e ne remarque même pas
comme la méchanceté lui réduit sa joie de moitié.
Q uand Tamerlan eut triom phé du sultan Bajazet18, il l’enferma d’abord
dans une cage en fer, devant laquelle il organisa ensuite un festin et des
réjouissances. Sa joie maligne faisait tout son bonheur; sa méchanceté
nourrissait ses réjouissances. Frères, comme la joie maligne est une joie
brève ! E t comme la méchanceté est une nourriture empoisonnée pour les
19.1321-1331.
HOMÉLIE POUR PÂQUES 231
c’est-à-dire plus grands, plus vivants et plus riches que ce que nous
sommes.
Les victoires terrestres sont plus belles quand on les regarde de loin,
plus laides et plus horribles quand on les examine de près, alors que pour
la victoire du C hrist, il est difficile de dire quand elle est plus belle : quand
on la regarde de loin ou de près. E n regardant cette victoire de loin, nous
nous émerveillons de son éclat, de sa beauté, de sa pureté et de son carac
tère salutaire. E n la regardant de près, nous nous émerveillons devant
la m ultitude d ’esclaves libérés grâce à elle. C ette journée, plus que toute
autre dans l’année, est consacrée à la célébration de la fête de cette victoire
du C hrist; il convient donc de regarder cette victoire de près, aussi bien
pour mieux la connaître que pour éprouver plus de joie.
A pprochons-nous par conséquent de notre Seigneur ressuscité et
vainqueur, et demandons-nous prem ièrem ent qui II a vaincu par Sa
résurrection, et deuxièmement qui II a libéré par Sa victoire.
1. Par Sa Résurrection, le Seigneur a vaincu les deux adversaires les
plus féroces de la vie humaine et de la dignité hum aine : la m ort et le
péché. Ces deux adversaires du genre hum ain sont nés alors même que
le prem ier hom m e est devdnu étranger à Dieu en foulant aux pieds le
com m andem ent d’obéissance envers son Créateur. A u paradis, l’hom me
ne connaissait ni la m ort ni le péché, ni la peur ni la honte. Accolé au
D ieu vivant, l’hom m e ne pouvait pas connaître la m ort, et vivant en
parfaite obéissance à Dieu, il ne pouvait pas connaître le péché. Là où on
ne connaît pas la m ort, on ne connaît pas non plus la peur; et là où on ne
connaît pas le péché, on ne connaît pas non plus la honte du péché. M ais
dès que l’hom me eut manqué à l’obéissance toute salvatrice envers Dieu,
la peur et la honte sont entrées en lui; il s’e st senti infinim ent éloigné
de D ieu et a pressenti la faux de la m ort sur lui. C ’est pourquoi quand
D ieu cria à Adam : Où es-tu ?, l’hom me répondit :J ’a i entendu ton pas dans
le jardin; j ’a i eu peur parce que je suis nu et je me suis caché (G n 3, 9-10).
Jusque-là, la voix de Dieu fortifiait, réjouissait et vivifiait Adam , mais
après que le péché eut été commis, cette même voix de Dieu ne faisait
que l’affaiblir, l’effrayer et le paralyser. Jusque-là, Adam se voyait vêtu de
l’habit angélique de l’immortalité, mais ensuite il se vit dévêtu, dépouillé,
humilié et réduit au niveau d ’un nain. Frères, c’est ainsi qu’apparaît dans
toute sa laideur le moindre péché de désobéissance envers Dieu. Effrayé
par Dieu, Adam s’était caché dans les arbres du jardin. Com m e quand
une chatte très douce devient sauvage et s’enfuit dans la montagne et
232 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
péché et Sa naissance ; puis II l’a vaincu par Sa vie pure et sans péché sur
la terre; puis II l’a vaincu par Son martyre de juste sur la Croix; enfin
Il a couronné toutes ces victoires par Sa résurrection très glorieuse. Il
est devenu le remède, le remède sûr et infaillible contre le péché. Celui
qui est infecté par le péché, ne peut être guéri qu’avec le Christ. Celui
qui ne veut pas pécher, ne peut réaliser un tel souhait qu’avec l’aide du
Christ. Q uand les hom mes ont trouvé un remède contre la variole, ils
ont déclaré : nous avons vaincu cette maladie ! Ils s’étaient aussi exprimés
de cette façon, après avoir découvert le remède contre le mal de gorge,
la rage de dents, la goutte et d ’autres maladies. Nous avons maîtrisé ces
maladies! Nous avons vaincu ces maladies! Découvrir un m édicam ent
contre telle maladie signifie donc vaincre cette maladie. Le C hrist est
incom parablem ent le plus grand M édecin de l’histoire humaine, car II
a apporté aux hom mes le remède contre la maladie des maladies, c’est-
à-dire le péché, dont sont issues toutes les autres maladies et toutes les
autres souffrances humaines, spirituelles comme physiques. Ce remède
- c’est Lui-m êm e, le Seigneur ressuscité et vivant. Il est le seul remède
sûr contre le péché. Si les hom m es continuent à pécher de nos jours et à
s’enfoncer dans le péché, cela ne signifie pas que le C hrist n’a pas vaincu
le péché; cela signifie seulement que ces hom mes n’ont pas recours au
seul remède contre leur maladie mortelle, soit parce qu’ils ne connaissent
pas suffisamment le C hrist comme remède, soit, s’ils Le connaissent,
parce qu’ils n’y ont pas recours pour telle ou telle raison. M ais l’histoire
témoigne, avec des milliers et des milliers d’exemples, que ceux qui ont
appliqué ce remède à leur âme et l’ont intégré à leur corps ont été guéris.
Connaissant la faiblesse de notre personnalité, le Seigneur C hrist a pres
crit aux fidèles de Le prendre comme nourriture et boisson sous la forme
visible du pain et du vin. L’A m i-des-hom m es l’a fait par amour infini des
hom mes, dans le seul but de leur faciliter l’accès au remède vivifiant contre
le péché et la pourriture du péché. Celui qui mange ma chair et boit mon
sang demeure en moi et moi en lui —lui aussi vivra par moi (Jn 6, 56-57).
Ceux qui com m ettent des péchés se nourrissent du péché et la vie en
eux disparaît progressivement à cause du péché. Ceux en revanche qui se
nourrissent du Seigneur vivant se nourrissent précisém ent de la vie ; la
vie ne cesse de s’élargir en eux, alors que la m ort se réduit. E t plus la vie
s’é largit, plus le péché semble répugnant. Le plaisir insipide et affligeant
du péché est remplacé chez eux par la saveur vivifiante et joyeuse du
C hrist Vainqueur.
HOMÉLIE POUR PÂQUES 235
Heureux soient ceux qui ont eu accès à ce mystère et y ont goûté dans
cette vie. Ils peuvent être appelés fils de lumière et enfants bénis. Q uand
ils quitteront cette vie, ils en partiront comme d ’un hôpital, mais ce ne
sera plus comme des malades.
2. D em andons-nous m aintenant: qui le Seigneur ressuscité a-t-Il
libéré par Sa victoire sur le péché et la m ort? S’agit-il seulement des
hom mes d ’un seul peuple? O u d ’une seule race? D ’une seule classe?
O u occupant une seule position sociale? N on, nullement. Une telle
libération est la caractéristique des victoires méchantes et malveillantes
de vainqueurs terrestres. Le Seigneur n’est pas appelé ami des Juifs, ni
ami des Grecs, ni ami des pauvres, ni ami des aristocrates, Il est appelé
am i-des-hom m es. Sa victoire, par conséquent, Il l’a destinée à l’hom me,
sans tenir compte des différences que les hommes font entre eux. Il a
rem porté Sa victoire pour le bien et le profit de tous les hom mes créés,
et l’a offerte à eux tous. A ceux qui reçoivent et adoptent cette victoire,
Il a promis la vie éternelle et la participation à l’héritage au sein du
Royaume céleste. Il n’impose Sa victoire à personne, bien quelle ait été
très coûteuse’, mais laisse la liberté aux hommes de l’adopter ou ne pas
l’adopter. D e même que l’hom m e a fait librem ent le choix au paradis
de recevoir la ruine, la m ort et le péché des mains de Satan, de même il
dispose m aintenant en toute liberté du choix de recevoir la vie et le salut
des mains du D ieu Vainqueur. La victoire du C hrist est un baume, un
baum e vivifiant, pour tous les hom mes, car tous ont été infectés par le
péché et la mort.
Ce baume fait de malade des êtres sains, et rend les êtres sains encore
plus sains.
Ce baume revivifie les morts et régénère la vie des vivants.
Ce baume assagit, purifie, divinise l’homme, accroît ses forces au
centuple et élève la dignité de l’hom m e loin au-dessus de toute la nature
créée, jusqu’à la hauteur et la beauté des anges et des archanges de Dieu.
Baume admirable et vivifiant! Quelle main ne t ’accueillerait-elle
pas ? Quelle gorge ne te chanterait pas ? Quelle plume ne décrirait pas
ton caractère miraculeux? Quelle calculatrice ne dénom brerait pas tes
guérisons de malades et tes résurrections de morts accomplies jusqu’à nos
jours ? Quelles larmes ne te béniraient pas ?
Frères, venez donc tous, vous qui craignez la mort. Approchez-vous
du C hrist ressuscité qui ressuscite, et II vous libérera de la m ort et de la
peur mortelle.
236 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Venez aussi, vous tous qui vivez avec la honte de vos péchés publics et
secrets, et approchez-vous de la source d ’e au vive qui nettoie et purifie, et
qui peut rendre le vase le plus noir plus blanc que la neige.
Venez tous, vous qui cherchez la santé, la force, la beauté et la joie.
Voici le C hrist ressuscité qui est la source très abondante de tout cela. Il
vous attend tous avec tout Son cœur, en souhaitant que pas un seul ne
manque à l’appel.
Vénérez-Le avec tout votre corps et votre âme. Unissez-vous à Lui par
votre esprit et par vos pensées. Em brassez-Le de tout votre cœur. Ne vods
inclinez pas devant celui qui emprisonne, mais devant Celui qui libère ;
ne vous unissez pas à celui qui mène à la ruine, mais à Celui qui sauve ;
n’e mbrassez pas un étranger, mais votre parent le plus proche et votre ami
le plus affectueux.
Le Seigneur ressuscité est le miracle des miracles, mais c’est précisé
m ent comme miracle des miracles qu’il correspond à votre nature véri
table, la nature hum aine véritable, la nature d ’Adam au paradis. La nature
véritable de l’hom m e n’e st pas d ’ê tre l’esclave de la nature inconsciente
qui l’e ntoure, mais de régner sur elle de façon puissante, très puissante.
D e même que la nature de l’hom m e n’est pas dans le néant, la maladie, la
mortalité et l’état de péché, mais dans la gloire et la santé, l’imm ortalité
et l’absence de péché.
Le Seigneur ressuscité a retiré le voile recouvrant le D ieu véritable
et l’hom me véritable ; par Lui-m êm e, Il nous a m ontré la grandeur et la
beauté de l’un et de l’autre. N ul ne peut connaître le Dieu véritable autre
m ent qu’à travers le Seigneur Jésus, de même que nul ne peut connaître
l’hom me véritable autrem ent qu’à travers Lui seul.
C hrist est ressuscité, frères !
Par Sa Résurrection, le C hrist a vaincu le péché et la m ort, Il a détruit
le royaume ténébreux de Satan, Il a libéré le genre hum ain asservi, et a
brisé le sceau des plus grands mystères de Dieu et de l’homme. Gloire et
louange à Lui avec le Père et le Saint-Esprit, Trinité unique et indisso
ciable, m aintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE PR EM IER D IM A N C H E
APRÈS PÂQUES
Com m e est admirable le rapport entre une mère et son enfant ! D ’un
côté, l’amour et le sacrifice, et de l’autre, la foi et l’o béissance.
Y a-t-il d ’autre chemin vers le bonheur pour un enfant que d ’avoir
confiance en sa mère et de lui obéir ? Y a-t-il pire m onstre qu’un enfant
qui n’a pas confiance en sa mère et ne lui obéit pas ?
La foi est le chem in le plus chaste vers la prise de conscience.
Quiconque dévie de ce chemin, devient m alhonnête, impur.
La foi est le chem in le plus rapide de la prise de conscience. Quiconque
dévie de ce chemin, se retrouve sur une voie secondaire.
Là où il y a la foi, il y a aussi un conseil ; là où il n’y a pas de foi, le
conseil n’aide pas.
Là où il y a la foi, il y a aussi le dialogue; là où la foi manque, le
dialogue manque également; alors le doute et la tentation prennent la
place du dialogue.
U n étranger n’a pas confiance dans un autre étranger; un proche a
confiance dans l’un de ses proches. Q uand la foi s’installe au milieu de
gens étrangers les uns aux autres, ces derniers deviennent des proches ;
quand la foi s’évanouit au milieu de gens proches les uns des autres, ces
derniers deviennent des étrangers les uns pour les autres.
Est-ce qu’un fermier pourrait dorm ir tranquille après avoir enfermé
dans un même enclos, un loup et des m outons? C om m ent un hom me
pourrait-il être détendu et serein, si le doute s’e st introduit dans son âme
et a porté atteinte à sa confiance ?
Q uand la confiance n’a pas le doute pour voisin, l’âme de l’hom m e est
paisible et forte, et son visage est radieux.
238 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
ciel et sur la terre» (M t 28, 18). C om m ent le Seigneur aurait-Il pu, sans
un miracle aussi puissant, ranim er la foi chancelante de Ses disciples en
Lui-m êm e ? C om m ent le vaincu aurait-Il pu apparaître comme le vain
queur ? C om m ent Celui qui avait été humilié, couvert de crachats, mis à
mort, tué et mis au tombeau, aurait-Il pu apparaître autrement, en gloire ?
C om m ent aurait-Il pu convaincre Ses amis que les souffrances et la m ort
n’avaient rien enlevé de Sa puissance, mais quelles avaient au contraire
beaucoup apporté à Sa puissance comme hom m e? Enfin quelle matière
pourrait s’opposer à la volonté du Très Saint et Très Pur ? Toute la nature
est soumise à la sainteté et à la pureté. T ant qu’il était dans un corps
mortel, les mers et les vents étaient soumis à Sa volonté. M aintenant qu’il
était dans Son corps glorieux, com m ent une porte en bois et des murs de
pierre pourraient-ils s’o pposer à Sa volonté ? Q uand II le souhaite - et II
le souhaite au m om ent opportun, comme dans ce cas - toutes les choses
sont comme si elles n’e xistaient pas: l’espace et le temps, le caractère
solide ou liquide des choses, la hauteur et la profondeur, l’intérieur et
l’extérieur - tout devient indistinct, faible, ouvert, soumis et vide de toute
force de résistance.
Paix à vous! (Jn 20, 19). C ’est avec ces mots que le Vainqueur de la
m ort salue Sa petite armée. Le Seigneur bénit Son peuple dans la paix -
c’est ainsi que le prophète David a vu à travers l’o bscurité séculaire ce
m om ent lumineux (Ps 29, 11). Paix à vous - c’est en fait une salutation
habituelle en O rient, mais dans la bouche du C hrist cette salutation revêt
un contenu particulier et un sens particulier. A ntérieurem ent, au m om ent
de se séparer de Ses disciples, le Seigneur avait dit: C ’est ma paix que je
vous donne;je ne vous la donne pas comme le monde la donne; que votre cœur
ne se trouble ni ne s’effraie ( Jn 14, 27). D ans le tribunal vide de ce monde,
Il a versé Son vin ; à une salutation habituelle dans le m onde, Il a donné
une saveur et un goût paradisiaques. Q uand des hommes dépourvus de
paix intérieure, perturbés par des préoccupations terrestres, disent « Paix
à vous ! », ils proposent quelque chose qu’eux-mêmes ne possèdent pas.
Leur salutation n’a donc pas pour effet d ’accroître leur paix ni celle de
ceux qu’ils saluent en paix. Q uand ils prononcent ces paroles, ils s’expri
m ent par habitude et par politesse, sans réfléchir, à vide: ils disent la
même chose quand ils se rencontrent pour faire la fête ou quand ils se
rendent au tribunal pour trom per l’autre. Le C hrist donne autre chose
et autrement. Il donne ce que Lui-m êm e possède. Sa paix est celle du
vainqueur, qui a vaincu partout. C ’e st pourquoi Sa paix est joie, courage,
242 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
santé, silence et force. Il ne donne pas tout cela comme le monde le fait,
c’est-à-dire seulement par la parole, mais de toute Son âme, de tout Son
cœur et de tout Son esprit, comme l’amour se donne à l’amour. E n leur
donnant Sa paix, Il transm et miraculeusement pour ainsi dire Son être en
eux. C'est la paix de Dieu, qui surpasse toute intelligence (Ph 4, 7). Une telle
paix marque le règne de Dieu dans l’âme humaine. Une telle paix est le
sommet, le fruit et la couronne de la vie spirituelle d ’un chrétien véritable.
En saluant Ses disciples le Seigneur commence par les convaincre
qu’il n’est pas un esprit comme certains d ’entre eux pouvaient le penser
en cet instant (Le 24,37), mais leur maître et Seigneur véritable et vivant.
A yant dit cela, I l leur montra Ses mains et Son côté. Les disciples fu ren t
remplis dejoie à la vue du Seigneur ( Jn 20,20). Pourquoi le Seigneur a-t-Il
montré Ses mains et Son côté? A l’évidence, à cause des blessures qui
Lui avaient été infligées sur la Croix, avec les clous et les chaînes. En
leur m ontrant Ses blessures, le Seigneur veut aussi les convaincre et les
avertir ; les convaincre que c’e st bien Lui, car qui d ’autre aurait pu avoir de
telles blessures aux mains et sur le côté, sinon Lui ? M ais les avertir qu’il
porterait aussi ces cicatrices dans Sa gloire immortelle en tant que tém oi
gnage éternel de Son amour et de Son martyre pour le genre humain.
Alors les disciples se réjouirent, en voyant et en reconnaissant leur
Seigneur. Le Sauveur clairvoyant avait auparavant prédit aussi le m om ent
joyeux de Sa nouvelle rencontre avec les disciples. Cela s’était passé à
la veille même de Sa passion, quand Ses disciples étaient extrêmement
tristes. Lui-m êm e, qui avait, comme homme, tellem ent besoin de récon
fort à la veille de subir de telles souffrances sur la Croix, s’était oublié
personnellement et s’efforçait de consoler Ses disciples plongés dans le
chagrin: M aintenant vous voilà tristes-, mais je vous verrai de nouveau et
votre cœur sera dans lajoie (Jn 16,22). Voilà le m om ent où cette admirable
prédiction s’e st réalisée! Voilà la transfiguration inattendue de cœurs
attristés en cœurs joyeux !
I l leur dit alors, de nouveau: «Paix à vous!» Comme le Père m a envoyé,
moi aussi je vous envoie (Jn 20, 21). Pourquoi le Seigneur leur d it-Il de
nouveau: Paix à vous} C ’e st parce qu’il souhaite les armer avec une
double paix pour le combat qui les attend et auquel II les destine: la
paix intérieure et la paix extérieure. E n d ’autres term es: la paix avec
soi-m êm e et la paix avec le m onde. En leur disant pour la première
fois Paix à vous!, Il leur avait m ontré qu’il était parm i eux, comme leur
M aître véritable, par le corps et par l’esprit. Il avait voulu ainsi leur dire :
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS PÂQUES 243
si vous avez un com bat intérieur contre les passions, les pensées et les
aspirations de ce m onde, et que je sois dans votre voisinage, c’est-à-dire
dans votre cœur, vous n’avez pas à avoir peur de quoi que ce soit. Je suis
la paix et le créateur de paix dans vos cœurs. M aintenant qu’il les envoie
dans le monde, c’est-à-dire dans un com bat extérieur avec le monde, Il
les salue de nouveau et les raccompagne dans la paix, afin qu’ils n’aient
pas peur du m onde, qu’ils persévèrent dans le combat et deviennent des
semeurs de paix dans les cœurs des hommes. Il leur donne un surplus
de paix, car ils doivent non seulement avoir la paix en eux-mêmes et
pour eux-mêmes, mais aussi la donner à d ’autres, comme II le leur avait
recommandé auparavant: E n entrant dans la maison, saluez-la : si cette
maison en est digne, que votre paix soit sur elle (M t 10,12) ! Ce double don
de paix peut être interprété comme un don de paix à l’âme et au corps,
comme le com prennent d ’ailleurs certains saints Pères. E n fait, la paix
dans le corps et la paix dans le m onde représentent en fin de compte
une même paix, car qu’est-ce que le m onde sinon convoitise de la chair et
convoitise des yeux (2 Jn 1,16) ?
Après les avoir ainsi armés de paix à un double niveau, de paix
surabondante, le Seigneur les envoie dans le monde. C om m ent les y
envoie-t-Il ? Comme le Père m a envoyé, moi aussije vous envoie (Jn 20, 21).
O r le Père avait envoyé Son Fils par am our pour ceux à qui II L’avait
envoyé. C'est L ui qui nous a aimés et qui a envoyé Son Fils (1 Jn 4,1 0 : Jn 3,
16). Par amour envers le genre hum ain, voilà que le Seigneur Jésus envoie
aussi Ses disciples. Le Père avait envoyé Son Fils dans le monde avec la
force et l’autorité : tout m a été remis par mon Père (M t 11,27) ; tout ce qu’a
le Père est à moi (Jn 16, 15). E t voilà que le Seigneur ressuscité donne à
Ses disciples la force et le pouvoir de remettre ou de retenir les péchés,
comme on le verra un peu plus tard. Le Seigneur a dit Lui-m êm e qu’il
avait été envoyé par le Père non pour accomplir Sa propre volonté, mais
celle du Père (Jn 6, 38). De même, Il envoie m aintenant Ses disciples
non pour accomplir leur volonté, mais Sa volonté. E n outre, même si
Lui-m êm e a été envoyé par le Père, Il ne s’est pas un instant éloigné du
Père : parce que je ne suis pas seul; mais il y a moi et Celui qui m a envoyé
(Jn 8, 16). D e même, Lui aussi envoie Ses disciples dans le monde en
leur prom ettant qu’il sera à leurs côtés pour toujours jusqu’à lafin de l'âge
(M t 28,20). Pour enseigner l’humilité au genre hum ain à l’o rgueil insensé,
le Seigneur a attribué à Son Père l’intégralité de Ses œuvres (Jn 5,19) et
tout Son enseignement (Jn 7,19). Il avertit les disciples de la nécessité de
244 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l’humilité en leur disant: hors de moi vous ne pouvez rien faire (Jn 15, 5).
Enfin, Il les envoie comme des brebis au milieu des loups (M t 10, 16), car
c’est ainsi que Lui-m êm e fut envoyé. Eux-mêm es ont été les témoins de
la façon dont des pécheurs ont hurlé comme des loups autour de Lui au
cours des derniers jours, et avec la férocité de loups sanguinaires, ils L’ont
tué au milieu des souffrances. Or, Il est m aintenant un tém oin vivant de
la façon dont les pécheurs, en se tuant eux-mêmes et en tuant les autres,
ne tuent toujours qu’eux-mêmes et non les autres. Sa victoire à Lui est la
garantie de leur victoire à l’avenir.
A yant dit cela, I l souffla et leur dit: «Recevez l'Esprit Saint. Ceux à qui
vous remettrez les péchés, ils leur seront remis; ceux à qui vous les retiendrez,
ils leur seront retenus (Jn 20,22-23). Nous avons vu com m ent le Seigneur
a d’abord armé Ses disciples d ’une abondance de paix, puis com m ent II
a élevé leur dignité en m ettant leur apostolat au niveau du Sien en les
envoyant comme Lui-m êm e avait été envoyé par le Père ; et nous voyons
m aintenant com m ent II leur confère force et pouvoir. Il leur donne la
force en leur soufflant au visage, et le pouvoir par les paroles qu’il venait
de leur dire. Le régénérateur du monde procède comme le Créateur du
monde. En donnant forme à l’hom m e à partir de la poussière terrestre, le
C réateur avait insufflé dans ses narines une haleine de vie et l ’homme devint
un être viva n t (G n 2, 7). Le régénérateur du m onde agit m aintenant de
manière identique. Il insuffle l’e sprit de vie dans les hommes, épuisés par
le péché. Avec Son esprit de vie, Il ranime, restaure, ressuscite en fait
les âmes humaines trop absorbées par des préoccupations terrestres. E n
soufflant au visage des disciples, le Seigneur leur dit: Recevez l ’E sprit
Saint! C ’est le prem ier don du Saint-Esprit. Le second don interviendra
au cinquantième jour suivant cette soirée mémorable. Le premier don a
pour but de ranim er et fortifier les disciples eux-mêmes, tandis que le
second concerne leur activité apostolique dans le m onde - afin de ranim er
le monde. E n leur donnant une telle force, le Seigneur leur donne aussi le
pouvoir de remettre les péchés, comme de retenir les péchés. A h, comme
le m onde souffre de gens qui s’em parent du pouvoir sans avoir en eux
la force de Dieu, sans avoir l’Esprit Saint! L’hom m e qui s’est emparé
du pouvoir de juger et de conduire le peuple, est un bourreau pour ses
citoyens. C ’e st un cadavre attaché à la selle d ’un cheval non tenu en bride.
Cela se passe ainsi chez les païens où on s’arrache le pouvoir ; mais il ne
doit pas en être ainsi parmi les chrétiens, où le pouvoir venu de D ieu est
attribué à ceux à qui on donne d’abord la force du Saint-Esprit. Regardez
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS PÂQUES 245
comme tout est ordonné, prémédité et conçu avec sagesse dans le royaume
construit par le C hrist !
Le pouvoir de pardonner les péchés et de les retenir, le pouvoir de lier
et de délier, le Seigneur l’avait déjà auparavant promis d ’abord à l’apôtre
Pierre (M t 16,19), puis aux autres apôtres (M t 18, 18). C ette promesse,
le Seigneur l’accomplit le jour même de Sa très glorieuse résurrection.
Il ne distingue plus Pierre des autres, mais accorde également à tous la
force et le pouvoir. Il n’a jamais accordé à Pierre en particulier la force et
le pouvoir ; Il lui a seulement fait une promesse en particulier, et cela dans
un m om ent lumineux d’exaltation de Pierre, quand ce dernier a confessé le
C hrist comme le Fils du Dieu vivant (M t 16,16). E n guise d ’approbation
de cette confession et afin de conforter tous les disciples dans cette foi, le
Seigneur a donné cette promesse à Pierre qu’il allait peu après donner à
tous Ses disciples et qu’il a accomplie à l’égard de tous de façon égale, le
jour de Sa résurrection. C ette force et ce pouvoir, les apôtres l’o nt ensuite
transmise à leurs successeurs, les évêques, et à travers eux aux prêtres, de
façon telle que cette force et ce pouvoir sont encore de nos jours à l’œ uvre
au sein de l’Église de Dieu.
Or Thomas, l'un des Douze, appelé Didyme, n'était pas avec eux, lorsque
v in t Jésus. Les autres disciples lui dirent donc: «Nous avons vu le Seigneur!»
M ais il leur dit: « Si je ne vois pas dans Ses mains la marque des clous, sije ne
mets pas mon doigt dans la marque des clous, et sije ne mets pas ma main dans
Son côté, je ne croirai pas» (Jn 20,24-25). Didym e (le jum eau) n’était pas
le surnom de Thom as, c’était sim plem ent le sens de son nom en hébreu.
Peut-être ce nom lui avait-il été donné selon un dessein mystérieux et
im pénétrable, pour m arquer la dualité de son âme, la dualité du doute
et de la foi. T out au long de son chem inem ent au côté du Seigneur,
on ne m et nulle p art l’accent ni sur sa foi ni sur son doute. E n une
circonstance, il a m anifesté son courage personnel et son attachem ent
au Seigneur, à la suite d ’un m anque de compréhension. Ce fut au
m om ent où parvint la nouvelle de la m ort de Lazare et que le Seigneur
dit à Ses disciples : Allons auprès de l u i! Thomas crut que le Seigneur les
invitait à mourir, car il n’avait pas encore compris que pour le Seigneur
vivant, il n’y a pas de m orts ; il n’avait pas non plus pu deviner en esprit
l’intention du C hrist de ressusciter Lazare. L’évangéliste l’e xprime ainsi :
Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux condisciples : «Allons, nous aussi, pour
mourir avec Lui» (Jn 11, 16) ! Bien que ces mots aient été prononcés à
la suite d ’un m anque de compréhension, ils caractérisent néanm oins un
246 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
ceux qui ont cru en C hrist et en Son Évangile, sans avoir vu le Christ
avec leurs yeux charnels et sans L’avoir touché de leurs mains. Heureux
soit l’enfant qui croit tout ce que sa mère lui dit, sans vouloir tout vérifier
avec ses yeux et ses mains. Que votre langage soit: «Oui? Oui», «Non?
Non» (M t 5, 37). Le Seigneur avait dit tant de fois qu’il ressusciterait,
et il fallait Le croire. M ais afin de convaincre les incrédules et conforter
les chancelants, le Seigneur ne s’e st pas tenu à la seule prophétie de Sa
résurrection, mais II est apparu à de nombreuses reprises après la résur
rection. Ce à quoi II tenait le plus, était que les apôtres, et à travers eux
tous les croyants, crussent de façon inébranlable à Sa résurrection d’entre
les morts. C ’e st le fondem ent de la foi et la couronne de la joie pour un
chrétien. C ’est pourquoi le Seigneur très sage a fait tout pour satisfaire à
la fois l’e sprit et les sens de Ses apôtres, afin que nul ne fut jamais ébranlé
dans la foi que Lui-m êm e, le Seigneur, est vivant et glorifié. E n dépit du
fait que c’est l ’esprit qui vivifie, la chair ne sert de rien (Jn 6, 63), et que les
sens peuvent trom per l’hom m e plus vite que l’esprit, le Seigneur est venu
dans Sa condescendance au secours de l’impuissance des hom mes et a
tout fait pour contenter à la fois le raisonnem ent sensoriel des hommes
et leur logique sensorielle. C ’e st pour cela que la résurrection du Seigneur
est restée en vérité et demeure encore le fait le plus probant de l’histoire
humaine. C ar quel autre fait issu du passé lointain, a été dém ontré aussi
universellement et soigneusement que celui-là ?
Jésus a fa it sous les yeux de Ses disciples encore beaucoup d ’autres signes, qui
ne sont pas écrits dans ce livre. Ceux-là ont été mis par écrit, pour que vous
croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu, et pour qu’en croyant vous ayez
la vie en Son nom (Jn 20, 30-31). Très probablement, l’évangélisté Jean
pense ici aux miracles accomplis par le Seigneur après Sa résurrection.
Cela se voit d’abord à cause du rapport avec la description précédente
de l’apparition du Seigneur ressuscité. Cela se voit aussi dans les Actes
des Apôtres, où il est dit que c’est encore à eux qu’avec de nombreuses
preuves II s’é tait présenté vivant après Sa passion; pendant quarante jours,
I l leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu (Ac 1, 3).
O ù sont décrites ces nombreuses preuves (miracles) apportées au cours de
ces quarante jours? Nulle part. Jean lui-m êm e reconnaît que ces signes
ne sont pas écrits dans ce livre, c’e st-à-dire l’Évangile. Enfin, le fait que
l’évangéliste n’évoque ici que les miracles survenus après la résurrection
du Seigneur et non tous les miracles accomplis tout au long de Sa vie, est
confirmé par les mots avec lesquels cet évangéliste achève son évangile :
250 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
I l y a encore bien d ’autres choses qu’a faites Jésus. Si on les mettait par écrit
une à une, je pense que le monde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres
qu’on en écrirait (Jn 21, 25). Ces mots se réfèrent à tous les miracles que
le Seigneur a accomplis au cours de toute Son existence sur la terre, avant
Sa résurrection et après. Or, les mots utilisés dans l’évangile de ce jour ne
peuvent avoir la même signification que ces mots avec lesquels saint Jean
term ine son Evangile. Sinon, pourquoi les répéterait-il?
En fait, ce qui a été écrit dans l’Évangile l’a été dans un but spécifique :
pour que vous croyiez que Jésus est le Christ, le Fils de Dieu (Jn 20, 31). Celâ
signifie qu’il ne faut pas attendre un autre Messie et Sauveur du monde,
car Celui qui devait venir est venu. Celui qui avait été prophétisé par les
prophètes en Israël et les sibylles parmi les païens, est apparu en vérité.
Tout cela a été écrit également pour qu'en croyant vous ayez la vie en Son
nom (Jn 20,31) ; pour que, grâce à cette foi qui a été confirmée également
à Thomas de manière sensorielle, vous ayez la vie éternelle. O n voit ainsi
com m ent ces derniers mots de l’évangile de ce jour, ont un lien avec
l’épisode précédent concernant Thomas et son incrédulité. Le Seigneur
n’e st donc pas apparu à Thomas seulement à cause de Thomas, mais à
cause de nous tous, qui sommes en quête de la vérité et de la vie. Par
Son apparition à Thomas, le Seigneur très doux est venu nous aider tous,
pour que nous croyions plus facilement en Lui, ressuscité et vivant, et que
grâce à cette foi, nous ayons part à la vérité éternelle et à la vie éternelle.
E n son nom, précise l’évangéliste. Pourquoi en Son nom ? Car il n’y a pas
sous le ciel d ’autre nom donné aux hommes, par lequel nous devions être sauvés
(Ac 4,12). E n effet, quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé (Rm
10,13). La seule vraie vie est celle qui est demandée et accordée au nom
du Seigneur Jésus. Tout le reste est m ort et pourriture. Dans le désert
brûlant de l’histoire humaine, le C hrist ressuscité est la seule source
ouverte et intarissable, qui abreuve, rafraîchit et vivifie. Tout le reste, qui
pourrait ressembler à une source au voyageur épuisé et assoiffé, n’est pas
une source mais l’é clat du sable brûlant, semblable à l’éclat de l’eau ou à
une apparition diabolique.
Le sens intim e de l’é vangile de ce jour concerne le drame intérieur
de l’âme humaine. Quiconque souhaite que le Seigneur ressuscité et
vivant se manifeste grâce à l’Esprit de D ieu dans son âme, doit fermer à
clef la demeure de son âme afin de la préserver de l’agression du monde
extérieur, physique ; comme l’avaient fait les apôtres pour se protéger des
Juifs sanguinaires et matérialistes. Les Juifs représentent, du point de
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS PÂQUES 251
Admirable est l’am our des vivants pour les vivants. Jamais la lumière
solaire n’est aussi admirable.
Admirable est aussi l’amour des vivants pour les morts. Jamais le clair
de lune sur le lac n’e st aussi admirable.
L’hom m e est sublime quand il prend soin des vivants. L’hom m e est
plus que sublime quand il prend soin des morts.
L’hom me prend souvent soin des vivants par égoïsme. M ais où est
l’égoïsme dans le soin apporté par l’hom m e à des morts ? Les m orts vont-
ils le récompenser ou lui seront-ils reconnaissants ?
Certains animaux enterrent leurs m orts ; en les confiant au tombeau,
ils les abandonnent à l’oubli. M ais quand un hom me enterre un mort,
il enterre une partie de lui-mêm e avec le m ort ; et il revient chez lui en
portant dans son âme une partie du m ort qu’o n vient d’inhumer. Cela est
particulièrement évident, terriblem ent évident, quand un parent enterre
un proche, ou quand un ami enterre un ami.
Fossoyeurs, dans combien de tombes êtes-vous déjà enterrés et com
bien de morts vivent en vous !
La m ort possède une des propriétés de l’amour : comme l’amour, elle
transform e beaucoup ceux qui l’o nt vue et sont restés vivants. Une femme
courbée marche vers les tombes de ses enfants. Q ui marche ainsi? Ce
sont ces enfants qui sont dans l’âme de la mère et la mère elle-même,
qui m archent vers ces tombes. D ans l’âme maternelle, la mère occupe un
espace très restreint; tout le reste de son âme est occupé par ses enfants.
Tel est le Christ, et dans une mesure incom parablem ent plus grande. Il
s’était tout entier replié dans la tombe, afin que les hommes, Ses enfants,
pussent se déployer dans le palais infini du paradis.
254 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Une femme voûtée se dirige vers les tombes de ses enfants pour les
faire ressusciter dans son âme, les baigner de ses larmes, les caresser de ses
pensées. L’amour m aternel empêche les enfants morts de s’é vanouir et de
disparaître de ce monde, du moins pour quelque temps.
Courbé et couvert de crachats, le Seigneur est m onté vers Sa Croix
et Son tombeau, afin que Son A m our perm ît à tout le genre hum ain de
ressusciter en vérité, le sauvant ainsi pour toujours de la disparition et de
la destruction. C ependant l’œ uvre du C hrist est incommensurablement
plus grande que celle de n’im porte quelle mère esseulée dans le monde,
car Son amour envers le genre hum ain est aussi incom mensurablement
plus grand que celui d’une mère dans le monde pour ses enfants.
Aussi grands soient l’amour et le chagrin d ’une mère, il lui reste toujours
des larmes ; quand elle entre elle-même dans la tombe, elle em porte avec
elle ce qui lui reste de larmes. Le Seigneur Jésus, Lui, a versé pour Ses
enfants, pour tous les enfants de ce monde, toutes les larmes jusqu’à la
dernière, et tout Son sang jusqu’à la dernière goutte. Jamais, ô pécheur,
des larmes plus précieuses ne seront versées pour toi ! Jamais ta mère,
ni tes enfants, ni ta patrie, ne te donneront ce que le C hrist Sauveur t ’a
donné !
H om m e esseulé et pauvre ! ne te demande pas : qui va me pleurer au
m om ent de ma m ort? Q ui va me pleurer après ma m ort? Le Seigneur
Jésus est attristé et te pleure vivant et mort, avec plus de cœur que ne
l’aurait fait une mère.
Il ne convient pas d ’appeler m orts, ceux pour qui le Christ a souffert
et est m ort par amour. Ils sont vivants dans le Seigneur vivant. Tous,
nous l’apprendrons de façon évidente quand le Seigneur visitera pour la
dernière fois le cimetière terrestre et quand les trom pettes sonneront.
L’amour m aternel ne sépare pas les enfants morts des vivants. L’amour
du C hrist est encore moins capable de le faire. Le Seigneur est plus
visionnaire que le soleil : Il voit la fin prochaine de ceux qui vivent encore
sur terre, comme II voit le début de la vie de ceux qui se sont endormis.
Pour Celui qui a créé la terre à partir du néant et le corps hum ain à partir
de la terre, il n’y a pas de différence entre les tombes de terre et les tombes
de chair. Est-ce que le blé restera dans le champ ou dans le hangar?
Quelle différence cela fait pour le propriétaire qui dans les deux cas songe
au grain de blé, pas à la paille ou au hangar ? Les hom mes sont-ils dans
le corps ou dans la terre - quelle différence cela fait-il pour le M aître des
âmes humaines ?
HOMÉLIE POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 255
bénis, soient ces hom mes admirables qui, avec autant de courage, de soin
et d’amour ont pris le corps du Seigneur et l’ont déposé dans la tombe !
Q uel exemple merveilleux pour tous ceux qui aim ent le Seigneur! E t
quelle rem ontrance terrible pour les prêtres et laïcs, qui sans vergogne,
négligemm ent et sans amour, s’approchent du saint calice afin de recevoir
le corps très pur et vivifiant et le sang très pur et vivifiant du Seigneur, du
Seigneur ressuscité et vivant!
C ependant, Joseph et Nicodème n’ont pas été les seuls amis du C hrist
à pouvoir tém oigner personnellement qu’il était m ort et qu’il avait été
inhumé. L eur préoccupation autour du Seigneur m ort reflétait autant
leur am our envers le M aître et l’ami adoré que, peut-être, le devoir que
leur dictait leur hum anité envers un m artyr pour la justice. M ais voici que
non loin du tombeau, deux autres âmes amies étaient en train d’observer
ce que faisaient Joseph et Nicodème, tout en se préparant de leur côté
à accomplir un acte d ’amour très pur envers le Seigneur: c’étaient les
femmes myrrhophores, Marie de Magdala et Marie, mère de Jacques et de
Joseph (M t 27,56).
Or, M arie de M agdala et M arie, mère de Joseph, regardaient
où on l’avait mis. Quand le sabbat f u t passé, Marie de Magdala, Marie,
mère de Jacques et Salomé achetèrent des aromates pour aller oindre le corps
(M c 15, 47 ; 16,1). O n m entionne d ’abord deux femmes, puis trois. Les
deux premières étaient parties comme en reconnaissance de tout ce qui
s’était passé avec le Seigneur sur le Golgotha. Elles avaient vu comm ent
des disciples secrets du C hrist avaient descendu Son corps m ort de la
Croix ; elles avaient aussi vu tout ce qui s’était ensuite passé avec le corps
et, ce qui était essentiel pour elles, elles avaient vu le tombeau où le corps
avait été déposé. Com m e elles auraient été heureuses d’accourir pour
aider Joseph et Nicodèm e : laver le corps des traces de sang, nettoyer
les blessures, rem ettre les cheveux en ordre, replier et placer les mains,
disposer avec précaution une serviette autour de la tête et envelopper
le corps dans un tissu ! M ais ni la coutume ni la règle n’étaient que des
femmes accomplissent ce travail avec les hommes. Elles viendront plus
tard, pour faire tout cela elles-mêmes et, de surcroît, oindre le corps du
Seigneur avec des aromates. Avec elles viendra une troisième femme
m yrrhophore, qui était leur amie. L’e sprit du C hrist les avaient conduites
à se lier d ’amitié.
Q ui sont ces femmes ? M arie de M agdala est déjà connue. C ’était cette
M arie que le Seigneur avait guérie de la démence en expulsant sept démons
HOMÉLIE POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 259
d’elle. M arie, mère de Joset et M arie, mère de Jacques, sont une même
personne, selon l’interprétation des Pères. Salomé était la femme de
Zébédée et mère des apôtres Jacques et Jean. Quelle différence entre ces
femmes et Eve ! Elles se hâtent par amour d ’ê tre obéissantes au Seigneur
même m ort, tandis qu’Éve ne voulait pas obéir au Seigneur vivant. Elles
se m ontraient obéissantes sur le Golgotha, sur le lieu du crime, du sang et
de la méchanceté, tandis qu’Éve était désobéissante au paradis.
E l de grand matin, le premier jour de la semaine, elles vont au tombeau,
le soleil s'étant levé (M c 16, 2 ).T ous les évangélistes sont d ’accord pour
dire que ce prem ier jour de la semaine est le jour de la résurrection du
Seigneur, soit le jour suivant le samedi, comme le dit explicitement
l’é vangéliste M arc: Quand le sabbatfut passé. Ils sont également d ’accord
sur le fait que ces femmes se sont rendues au tombeau du Seigneur de
grand matin. A cet égard, l’évangéliste M arc semble un peu en retrait
en disant : le soleil s’é tant levé. Il est très probable que ces femmes ont
visité le tombeau à plusieurs reprises, autant par amour envers le défunt
que par crainte que les ennemis insolents du C hrist ne profanent de
quelque façon le tombeau et le corps. Pourquoi M arc aurait-il utilisé ces
expressions apparem m ent contradictoires E t de grand matin et Le soleil
s’é tant levé, s’il n’avait pas considéré sous le term e de soleil, non le soleil
physique mais le Seigneur Lui-m êm e, conform ém ent à la formule du
prophète qui avait écrit : Le soleil dejustice brillera (M l 3,20) en songeant
au Messie ? Le soleil de justice était déjà sorti des ténèbres souterraines
en cette heure très matinale où les femmes myrrhophores étaient arrivées
près du tombeau. D e même que le Soleil brillait avant m ême le soleil créé
lors de la première création du monde, de même que m aintenant, lors
de la seconde création, lors de la régénération du monde, le soleil avait
brillé sur l’histoire des hommes avant que le soleil physique ne brille sur
la nature terrestre.
Elles se disaient entre elles: «Qui nous roulera la pierre hors de la porte
du tombeau (M c 16, 3)? C ’e st ainsi que parlaient les femmes m yrrho
phores en m ontant vers le Golgotha, sans se douter de la surprise qui
les y attendait. Les faibles mains féminines n’étaient pas suffisamment
fortes pour ébranler la lourde pierre du tombeau, qui était très grande.
Pauvres femmes ! Elles ne se souvenaient pas que la tâche pour laquelle
elles se hâtaient avec tant de ferveur, avait déjà été accomplie à l’époque
du Seigneur vivant sur terre. À Béthanie, dans la demeure de Simon le
lépreux, une femme avait versé un précieux flacon d ’albâtre contenant un
260 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
nard pur sur la tête du C hrist Alors le Seigneur qui-voit-tout avait dit de
cette femme : Si elle a répandu ceparfum sur mon corps, c'est pour m'ensevelir
quelle l'a fa it (M t 26,12). Il avait prédit clairement que Son corps m ort,
n’aurait pas d ’autre onction. O n se demandera : pourquoi la Providence
a-t-elle permis que ces femmes pieuses soient si amèrem ent déçues?
Avoir acheté des aromates précieux, se rendre avec crainte dans la nuit
sombre et sans sommeil au tombeau et ne pas achever cet acte d ’amour
pour lequel elles avaient tant sacrifié... M ais la Providence n’a-t-elle
pas récompensé leur peine de façon infinim ent plus riche, par le don du
Seigneur vivant à la place d’un corps m ort?
E t ayant levé les yeux, elles virent que la pierre avait été roulée de côté:
or elle était fo rt grande. E tant entrées dans le tombeau, elles virent un jeune
homme assis à droite, vêtu d ’une robe blanche, et ellesfu ren t saisies de stupeur
(M c 16, 4-5). Parvenu avec son peuple jusqu’à la M er Rouge, M oïse se
trouva très gêné, car il ne savait pas com m ent poursuivre son chemin, là où
il n’y avait pas de route. E t après qu’il eût imploré Dieu, la M er Rouge se
divisa en deux parties et le chemin fut soudain ouvert. Il en fut de même
pour les femmes myrrhophores. Très préoccupées à chercher com m ent
détacher la pierre du tombeau, elles regardèrent et virent que la pierre
avait été roulée de côté, puis entrèrent sans difficulté dans le tombeau. M ais
où se trouvait la garde de soldats? N e constituait-elle pas un obstacle
plus im portant pour entrer dans le tombeau qu’une lourde pierre placée
à l’entrée ? À cet instant, soit les sentinelles s’étaient étendues tétanisées
de peur, soit elles s’étaient déjà enfuies à travers la ville, pour annoncer
en bredouillant aux hom mes ce que les oreilles humaines n’avaient
plus entendu depuis l’ancêtre Abraham . Il n’y avait personne autour du
tombeau qui pût les gêner, de même qu’il n’y avait rien ni personne à
l’entrée du tombeau. M ais dans le tombeau, il y avait quelqu’un dont le
visage blanc avait l ’aspect de l ’éclair et sa robe était blanche comme neige
(M t 28, 3). Ce jeune hom m e était en fait un ange de Dieu. Les femmes
étaient prises de stupeur et tenaient leur visage incliné vers le sol (Le 24,5),
car il était terrible de regarder l’apparition extra-terrestre du messager de
Dieu, messager de la nouvelle la plus prodigieuse et la plus joyeuse sur
terre depuis l’instant où l’hom me déchu avait commencé à se nourrir de
la terre. Le fait que M atthieu raconte que l’ange de D ieu était assis sur la
pierre détachée du tombeau, alors que M arc dit que l’ange était à l’inté
rieur du tombeau ne constitue nullem ent une contradiction. Les femmes
ont pu d ’abord voir l’ange assis sur la pierre, puis entendre ensuite sa voix
HOMÉLIE POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS PAQUES 261
d ’un nouveau printem ps. Celles qui se lam entaient devant Ta tombe sont
devenues des saintes dans Ton paradis céleste. Par leurs prières, Seigneur
ressuscité, sauve-nous et aie pitié de nous ! Pour que nous te célébrions
avec le Père et le Saint-E sprit,T rinité unique et indissociable, m aintenant
et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE T R O ISIÈ M E D IM A N C H E
APRÈS PÂQUES
autour deux? M ais même sans eux, est-ce que le nombre de ceux qui s’y
livrent n’est pas déjà suffisant? O u est-ce pour servir D ieu? M ais celui
qui souffre avec patience et espérance en Dieu, ne sert-il pas déjà très bien
D ieu? O u souhaitez-vous être guéris sim plem ent pour être guéris, la vie
pour elle-même ? M ais ce qui est un moyen ne peut être un but. Q uand
Dieu vous a envoyé dans cette vie, Il l’a fait avec un but ; quand II vous
accorde la santé, Il le fait aussi dans un but. N'est-ce pas un temps de service
qu'accomplit l'homme sur terre, n’y m'ene-t-ilpas la vie d'un mercenaire ? dit
le juste Job (Jb 7,1). Si l’hom m e est dans l’armée, il s’y trouve en vue de
s’entraîner, de combattre et de vaincre ; s’il mène une vie de mercenaire,
il y reçoit un salaire en vue de faire face à ses besoins. M ais vivre pour
vivre - et une vie terrestre de surcroît - et avoir la santé pour la santé -
cela correspond à une vie sans b ut et à une santé sans but. Vivre et être en
bonne santé à cause de la comédie du péché, n’est-ce pas avoir un couteau
tranchant sous la gorge? C inq portiques archi-pleins d ’invalides de
naissance - quel entraînem ent bizarre dans la patience et l’espérance de
Dieu ! Quelle image étrange et animée, quel présage étrange et palpable
de l’état dans lequel pourront se trouver tous ceux qui dans la ville et
autour de la piscine, gaspillent leur vie et leur santé - et dans quel but ?
Pour accumuler des péchés !
M ais si les cinq portiques de la piscine de Bethesda ont été depuis
longtemps détruits, on ne doit pas s’im aginer que l’histoire de la misère
et de la détresse hum aine, qui y avait été accumulée, soit achevée pour
toujours. Vous ne devez pas vous im aginer que cette histoire se trouve
loin de vous et quelle n’a rien de com m un avec votre vie. Est-ce que dans
vos cinq sens, comme dans les cinq portiques, il n’y a pas eu accumula
tion de douleurs et de misères, de larmes et de puanteur, de péchés et
d ’actes insensés, de pensées malades, de désirs aveugles et de passions,
de tentatives bancales et d’espérances vaines ? A h, Bethesda, Bethesda,
comme tu es universelle ! Jadis, l’ange de Dieu y a fait office de berger
en sauvant, une par une, des brebis perdues, jusqu’au jour où apparut
le Berger de tous les anges et de tous les hommes. L’ange silencieux,
serviteur de son Créateur, se servait de l’eau de Bethesda pour purifier
les brebis malades de l’infection pécheresse, mais quand le Bon Pasteur
- le Verbe créateur de D ieu dans le corps et dans l’action - descendit à
Bethesda, Sa parole créatrice éloigna l’infection du péché, vidant ainsi
Bethesda. Le Bon Pasteur ! C ’est pourquoi Bethesda a été appelée par
les prophètes, la piscine des brebis ! E t les brebis écoutent sa voix [ . . ]
270 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
et les brebis le suivent parce quelles connaissent sa voix (Jn 10, 3-4), la voix
du Bon Pasteur.
I l y avait là un homme qui était infirme depuis trente-huit ans. Jésus, le
voyant étendu et apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui
dit: « Veux-tu recouvrer la santé ?» L ’infirme L u i répondit: « Seigneur, je n’ai
personne pour me jeter dans la piscine, quand l ’eau vient à être agitée; et le
temps que j'y aille, un autre descend avant moi. » (Jn 5, 5-7). Le Seigneur
visionnaire avait discerné par avance et de loin ce qu’il convenait de lui
faire. Ainsi ce n’est pas par hasard qu’il s’est retrouvé près de la m er de
Galilée, dans la région de G adara - même si Ses compagnons ont pu
avoir cette impression, car II avait vu dans Son esprit que dans cette
contrée se trouvaient deux démoniaques qu’il devait guérir. Ce n’e st pas
non plus par hasard qu’il s’est retrouvé à la porte de la ville de N ain au
m om ent même où on transportait le fils défunt d ’une veuve, car II avait
de nouveau vu qu’à cet endroit et à ce m om ent, l’attendait une grande
œuvre. Ce n’est pas non plus par hasard qu’il s’est retrouvé à Jérusalem à
l’occasion de cette fête, et ce n’e st pas par hasard et par curiosité qu’il est
entré dans ce lieu de douleur, la piscine des brebis ; tout cela s’est produit
parce qu’il l’avait pressenti et discerné et de loin, dans l’espace et le temps.
Il est évident qu’il n’e st pas venu à Jérusalem à cause de la fête, comme
Ses compagnons ont pu le penser, mais précisément à cause de ce malade
et de l’acte qu’il lui restait à accomplir sur lui.
U n malade exceptionnel, un malade terrifiant! Pour les hommes, une
maladie de trente-huit jours semble durer infinim ent; que dire alors
d ’une maladie qui dure trente-huit ans ? La durée chronologique dépend
de notre état et de notre humeur. Les m om ents de bonheur sont ailés,
alors que les m om ents de souffrances n’o nt pas d ’ailes et souvent pas de
jambes. À l’hom m e paralysé, le temps paraît paralysé ; il lui semble que
le temps est aussi immobile que lui-mêm e. E n m ultipliant au m inimum
par trois la durée de trente-huit années passées avec cette maladie, on
obtient approximativement la durée véritable du tem ps équivalent pour
un homme en bonne santé, capable de bouger, de travailler, d ’être joyeux.
C ’est donc l’équivalent d’un siècle vécu par des hommes en bonne santé,
que cet hom me paralysé a vécu sur son grabat, en repoussant le temps
devant lui, plutôt que d’ê tre lui-m êm e repoussé par le temps. Quelle
patience héroïque chez cet hom m e! Quels efforts surhumains pour se
rapprocher de la piscine au m om ent où l’eau vient à être agitée par l’ange
de Dieu! Quelle espérance indomptable dans la guérison, jour après
HOMÉLIE POUR LE TROISIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 271
Ah, les âmes mesquines ! Ali, les cœurs endurcis ! Au lieu de se réjouir
qu’un ver de terre ram pant par terre se soit redressé et soit redevenu un
hom me, au lieu de le féliciter pour sa guérison, au lieu d ’alerter toute la
ville et de l’inviter à célébrer le Dieu vivant et am i-des-hom m es - au lieu
de tout cela, ils s’insurgent contre cet hom m e pour avoir ramassé son
misérable grabat et avoir voulu rentrer chez lui ! Si un hom m e m ort s’était
relevé de sa tombe un jour de sabbat sous leurs yeux, ils ne se seraient pas
émerveillés de sa résurrection mais lui auraient reproché qu’un tel acte fut
accompli un jour de sabbat !
I l leur répondit: « Celui qui m'a rendu la santé m a dit: Prends ton grabat
et marche». Ils lui demandèrent: «Quel est l'homme qui t ’a dit: «Prends
ton grabat et marche»? (Jn 5, 11-12). Regardez encore une preuve de
l’é troitesse d ’e sprit des Juifs et de leur idolâtrie du sabbat ! L’hom me guéri
m entionne d ’abord sa guérison comme le fait essentiel, puis le fait de
prendre son grabat comme un élém ent accessoire, tandis que les Juifs
ne font pratiquem ent pas attention à sa guérison, à sa vie. Il aurait été
naturel qu’après sa réponse, ils lui demandassent : Q ui est cet hom m e qui
t ’a guéri ? M ais non ; ils ne l’interrogent que sur le fait secondaire, comme
accessoire : « Quel est l ’homme qui t ’a dit: «Prends ton grabat et marche» ?
Voyez comme le peuple élu s’e st abâtardi ! Voyez quelle mauvaise herbe
a poussé sur le champ qui a jadis produit M oïse, Isaïe et David ! Voyez
comme la piété sublime du peuple hébreu a dégénéré en espionnage
sabbatique ! E t comme le service des prêtres au D ieu vivant a été travesti
en une surveillance policière autour de la statue de la déesse Sabbat!
M ais celui qui avait été guéri ne savait pas qui c’é tait; Jésus en effet avait
disparu, car il y avait foule en ce lieu (Jn 5, 13). Sur son grabat, le malade
guéri avait regardé le Seigneur dans les yeux; il avait senti Son souffle
vivifiant; il avait reconnu Son pouvoir de thaum aturge; il L’avait appelé
Seigneur, mais à côté de cela, il ne connaissait pas le nom de Celui qui
l’avait guéri ni la localité d’où II était venu. Le Seigneur, après avoir
accompli Son œuvre, s’était aussitôt éloigné de la foule, laissant les événe
ments se dérouler ensuite par eux-mêmes. Il est le Semeur, qui plante
la bonne graine, mais laisse la graine pousser seule et apporter avec le
temps un fruit conforme au sol où elle a été semée. Ayant accompli Sa
bonne œuvre, une œuvre de Dieu à la fois par Sa puissance et par Sa
miséricorde, Il s’est éloigné des hommes, afin de ne pas être glorifié par
eux, comme II l’a dit un peu plus tard : de la gloire, je rien reçois pas qui
vienne des hommes ( Jn 5,41). Il s’est éloigné des hommes afin que d ’autres
274 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
hommes ne L’e nvient pas, comme c’é tait souvent le cas. Enfin, Il s’e st
éloigné des hom mes pour servir d ’exemple à nous tous, qui nous appelons
chrétiens. Une bonne action est parfaite dans la mesure où elle est faite
par pure philanthropie, pour la gloire de Dieu. Q uiconque veut faire de
bonnes actions, ne doit pas les faire dans un esprit de vanité ou en vue
de louanges des hommes. C ar celui qui fait volontairement étalage de ses
bonnes actions, ressemble à un hom m e qui placerait ses brebis au milieu
des loups. Il faut donc veiller précieusement sur ses bonnes actions, afin
quelles ne donnent pas lieu à des éloges de la part des hommes et ne
suscitent pas la jalousie d’autrui. Celui qui provoquerait sciemment les
éloges et la jalousie des hommes, com m ettrait, avec sa bonne action, deux
mauvaises actions : les éloges lui nuiraient personnellement et la jalousie
nuirait aux autres.
Après cela, Jésus le rencontre dans le Temple et lui dit: « Voilà, tu as recouvré
la santé; ne pèche plus, de peur qu’il ne t ’a rrive pire encore» (Jn 5,14). Ayant
guéri le corps de ce malade, le Seigneur parachève m aintenant Son œuvre
d ’un point de vue spirituel, en lui déclarant que le péché a été la cause
de sa terrible maladie et le m ettant en garde de ne plus pécher de peur
qu’il ne t ’arrive pire encore. O n ignore le péché que cet hom me a commis ;
mais cela im porte peu, car ce qui est incontestable est que tout péché
correspond à une offense faite à Dieu, à une déviation par rapport à
Lui ; de même, tout péché, s’il n’entraîne pas le repentir, doit tôt ou tard
entraîner des souffrances et des tourm ents. Ne pèche plus, de peur qu’il ne
t ’a rrive pire encore; cela signifie que m aintenant que tu as été gracié par
D ieu et que ton péché t ’a été pardonné, tu ne dois plus m ettre D ieu à
l’épreuve, car au lieu de Sa miséricorde, tu pourrais être confronté à l’épée
de la justice divine. Si tu as pu chercher des excuses à ton ancien péché
dans ta connaissance insuffisante de Dieu et de Sa puissance, ce que tu
viens de vivre ne te perm et plus de chercher la m oindre excuse. Voilà une
mise en garde admirable et terrible pour nous tous : si nous avons ressenti
sur nous-mêmes la miséricorde divine, nous ne devons plus pécher, afin
de ne pas être exposés à des souffrances pires que celles pour lesquelles
nous avons été graciés.
L ’homme s’en f u t révéler aux Juifs que c’é tait Jésus qui lui avait rendu la
santé (Jn 5, 15). Il l’avait dit en toute bonne conscience et de bonne foi.
O n l’avait interrogé sur Jésus et il pensait qu’il devait le dire. E n même
temps, il se sentait redevable à l’égard de son bienfaiteur et considérait
qu’il devait annoncer Son nom à tous et à chacun, en particulier à ceux
HOMÉLIE POUR LE TROISIÈME DIMANCHE APRÈS PAQUES 275
Comme languit une biche après les eaux vives, ainsi languit mon âme
vers toi, mon D ieu! M on âme a soif de Dieu, du Dieu v iv a n t (Ps 41, 1-2) !
Cela n’est pas un cri poussé par un pauvre ou un rustre, qui n’a pas
eu la possibilité de nourrir son âme de sagesse hum aine, de culture
et de connaissance du m onde, de philosophie et de savoir artistique,
de connaissance de toutes ces petites choses qui form ent le tissu
de l’e xistence hum aine et de la vie de la nature. N on, il s’agit du cri
passionné et douloureux d ’un roi, couvert de richesses terrestres, doté
d ’un esprit génial, plein de sentim ents nobles et disposant d ’un pouvoir
fort. Ayant abreuvé son âme de tout ce qu’une âme non libre recherche
en ce m onde, le roi David a senti soudain que sa soif spirituelle non
seulem ent n’était pas rassasiée mais quelle s’était accrue au point que
tout cet univers m atériel n’était nullem ent en mesure de la satisfaire. Il
se sentit alors dans ce m onde comme au milieu d ’une terre aride, altérée,
sans eau (Ps 62, 2) et se m it à im plorer Dieu, comme seule source d ’un
breuvage éternel auquel toute âme raisonnable et éveillée aspire. M on
âme a soif de Dieu, du Dieu v iv a n t!
Il n’est pas nécessaire de prouver qu’une nourriture terrestre ne peut
rassasier l’âme humaine, de même qu’une boisson terrestre ne peut
l’abreuver. M êm e l’esprit vivifiant, qui étincelle à travers toutes les créa
tures, leur donnant vie et harmonie, n’e st pas en mesure de rassasier et
d ’abreuver l’âme.
Le corps absorbe im m édiatem ent la nourriture qui est en substance
identique au corps. Le corps vient de la terre, et la nourriture vient de la
terre. C ’est pourquoi le corps se sent chez lui dans ce m onde, au milieu
des siens. M ais l’âme souffre, elle est tiraillée, elle est dégoûtée et proteste
278 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Jésus arrive donc à une ville de Samarie appelée Sychar, près de la terre que
Jacob avait donnée à son fils Joseph (Jn 4, 5). Toute la région située entre
la Judée et la Galilée porte le nom de Samarie, d ’après la montagne du
même nom. La route qui mène de Jérusalem en Galilée, traverse encore
de nos jours la ville de Sychar, qui s’appelle aujourd’hui Askar, non loin
de Sychem, qui porte le nom de Naplouse. Il y avait là un terrain que
Jacob avait acheté aux fils de H am or et où il érigea un autel qu’il nomma
«El, Dieu d ’Israël» (G n 33, 19-20). Jacques légua ensuite cette terre à
son fils Joseph, qui y fut ensuite enseveli (Jos 24, 32). Généralement,
c’e st une ville qui donne de l’importance à un village voisin, mais ici c’est
l’inverse ; le village de Joseph était plus connu que la ville de Sychar, ce
qui a conduit l’é vangéliste à préciser l’e mplacement de la ville d ’après le
village - près de la terre.
L à se trouvait la source de Jacob. Jésus, fatigué par la marche, se tenait
donc assis tout contre la source. C’é tait environ la sixième heure (Jn 4, 6). Il
en était ainsi parce que l’aïeul Abraham avait vécu avec son troupeau
près de cette source, peut-être parce qu’il l’avait lui-m êm e aménagée et
construite, ce qui lui avait donné son nom. Fatigué par le chemin escarpé
et aride em prunté depuis Jérusalem, le Seigneur s’était assis près de ce
puits pour se reposer. La sixième heure, selon le calcul oriental, correspond
à l’heure de midi. C ’est donc au m om ent de la plus grande chaleur que
le Seigneur fatigué était arrivé à cet endroit. Il était fatigué par la marche
faite pour notre salut, de même que plus tard sur la croix, Il était couvert
de plaies ensanglantées et courbé de douleurs, de nouveau pour notre
salut. M ais pourquoi n’avait-il pas cheminé de nuit, quand il faisait plus
frais ? La nuit lui servait pour la prière. Par ailleurs, toutes les nuits ne
sont pas faites pour voyager. S’il s’était en cette circonstance déplacé de
nuit, l’Evangile aurait été privé d’un événement unique et d ’une révélation
extrêmem ent instructive et salutaire. Il avait voyagé de jour, m archant sur
un chemin escarpé et brûlant, fatigué et assoiffé, car II se dépêchait pour
que chaque instant de Son temps terrestre, jour et nuit, soit utilisé pour
notre bien et notre salut.
Unefemme de Samarie vient pour puiser de l ’eau. Jésus lui dit: «Donne-moi
à boire» (Jn 4, 7). O n insiste tout particulièrement sur le fait que cette
femme était de Samarie, car les Juifs considéraient les Samaritains comme
des païens. «Donne-moi à boire «ï lui dit le Seigneur. Il était fatigué et
avait soif, ce qui m ontre clairement que Son corps était un véritable corps
hum ain, et non en apparence comme certains hérétiques l’ont enseigné.
280 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
D e même que Son corps a versé des larmes en signe de tristesse pour
les hommes et qu’il a enduré des souffrances sur la Croix, de même II a
éprouvé le besoin de se nourrir et de boire. Il aurait pu, quand II l’aurait
voulu, triom pher et conjurer de tels besoins grâce à Sa puissance divine
pour une longue période, voire pour tout Son temps passé sur terre,
mais alors com m ent aurait-Il été reconnu comme un hom m e véritable,
com m ent aurait-Il pu devenir en tout semblable à Sesfrères, et com m ent
aurait-Il pu nommer les hommes,frères (H e 2, 11-17) ? C om m ent aurait-
il pu nous enseigner à endurer et à supporter avec patience, si Lui-m êm e
n’avait pas souffert et enduré ? Enfin, est-ce que Sa victoire finale aurait
cet éclat qui nous fortifie et nous illumine dans les souffrances de la
vie, si Lui-m êm e n’avait pas connu toutes ces souffrances, et à un degré
extrême? Q uelqu’un se dem andera pourquoi Lui, qui a pu procéder à
la multiplication des pains, m archer sur l’eau comme si c’é tait le sol, n’a
pas pu durant ce long voyage, d ’une parole forte et même d’une simple
pensée, ouvrir une source d ’eau dans la pierre ou le sable et apaiser Sa
soif? E n vérité, Il le pouvait. M oïse a fait ainsi dans le désert; c’e st ce
qu’o nt fait en Son nom, de nombreux saints à travers l’histoire de Son
église ; com m ent n’a-t-Il pas pu faire ainsi ? E n fait, Il ne l’a pas voulu. Il
n’a accompli aucun miracle pour Lui-m êm e - pour se nourrir, s’abreuver
ou se vêtir. Tous Ses miracles ont été accomplis pour les hommes. Dans
Sa vie, il n’y a pas une once d’égoïsme. M êm e tout petit, Il a échappé
à l’épée d ’Hérode, non pour Lui-m êm e mais pour les hommes. C ar le
temps n’était pas encore venu; mais quand il eût achevé Sa tâche parmi
les hommes, Il ne s’est pas enfui devant la m ort mais elle est allée à sa
rencontre. U n am our infini des hommes, indissociable d’une sagesse
infinie, a animé et inspiré toutes les paroles du Seigneur Jésus, tous Ses
agissements et tous les événements de Sa vie sur terre. Donne-moi à boire!
C ’e st ce que le C réateur demande à Sa créature. Ces paroles bourdonnent
tout au long de vingt siècles ; car ces paroles ne sont pas adressées seule
m ent à cette femme de Samarie mais à toutes les générations humaines
jusqu’à la fin des temps. Donne-moi à boire! d it-Il aujourd’hui encore à
chacun de nous. Il ne parle pas ainsi parce qu’il a soif d ’eau - Lui qui est
le Créateur des eaux et l’ordonnateur des mers et des océans, des rivières
et des sources - mais parce qu’il a soif de notre bonne volonté et de notre
amour. E n donnant à Lui, nous ne donnons pas ce qui est à nous, mais ce
qui est à Lui. Chaque verre d ’eau sur terre est à Lui, parce que c’est Lui
qui l’a créé; et chaque verre d’eau fraîche que nous donnons à l'un de ces
HOMÉLIE POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 281
plus petits de Sesfrères (M t 25, 40), Il l’a payé de Son sang très précieux.
M ais dans Son hum ilité incomparable, Il ne demande pas de l’e au à cette
femme comme le C réateur à Sa créature, mais comme un hom m e le ferait
à un autre homme. Afin de m ontrer ainsi Son humilité, afin de témoigner
ainsi de Sa véritable nature humaine, limitée et dans le besoin, et enfin,
afin de nous enseigner aussi la prévenance et la miséricorde, car l’hom me
a le devoir d’être prévenant et miséricordieux envers l’homme.
Ses disciples en effet s'en étaient allés à la ville pour acheter de quoi manger
(Jn 4, 8). Le Seigneur était donc non seulement fatigué et assoiffé mais
aussi affamé, comme Ses disciples, ce qui était encore une preuve de Sa
véritable nature hum aine et de Sa sage retenue devant les miracles, là
où le miracle ne revêt pas d ’utilité pour l’œuvre du salut. L’évangéliste
m entionne l’absence des disciples afin d ’expliquer pourquoi le Seigneur
a demandé de l’eau à cette femme. C ar si les disciples avaient été là, ils
auraient pris de l’eau et cette femme n’aurait pas été m entionnée. M ais la
Providence a voulu que cette circonstance eût lieu, pour nous enseigner
que quand nous voyons un adversaire dans le malheur, nous devons l’aider.
D e même que quand notre peuple est en conflit avec un peuple voisin,
nous ne devons pas comme hommes transférer cette hostilité sur chaque
hom m e issu de ce peuple et notre devoir en pareil cas est d ’aider tout
hom m e dans le besoin sans nous préoccuper de savoir s’il appartient à
notre peuple ou non.
Lafem m e samaritaine L ui dit: « Comment! toi qui esJ u if tu me demandes
à boire à moi qui suis unefem m e samaritaine ?» Les Juifs en effet riont pas de
relations avec les Samaritains ( Jn 4, 9). C ette Samaritaine pensait, comme
la plupart des gens de cette époque, qu’un hom m e devait haïr non
seulement un peuple ennemi mais aussi tout individu faisant partie de
ce peuple. D ans l’épisode du bon Samaritain, le Seigneur avait souligné
la haine des Juifs envers les Samaritains, tandis que ce récit fait état de la
haine des Samaritains pour les Juifs. Pour briser les murs de la haine entre
les peuples, il est d ’abord nécessaire de briser les murs de haine entre les
hommes. C ’e st la seule m éthode raisonnable pour guérir le genre hum ain
de la maladie terrible de la haine réciproque.
Jésus lui répondit: «Si tu savais le don de Dieu et qui est Celui qui te dit:
Donne-moi à boire, c’est toi qui L ’aurais prié et 11 t ’a urait donné de l'eau vive
(Jn 4, 10). Le don de D ieu peut être compris dans un sens matériel et
un sens spirituel. Sous l’angle matériel, le don de D ieu peut être cornpris
comme tout ce que D ieu a créé dans Sa bonté et donné à l’hom me pour
282 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
son profit et son usage. Femme, si tu avais su que cette eau n’e st ni aux
Samaritains ni aux Juifs mais à Dieu, et que lors de sa création cette
eau n’était destinée ni aux Samaritains ni aux Juifs mais aux hommes, tu
aurais puisé cette eau avec crainte, comme un don de Dieu, et en aurais
donné à boire à l’hom me assoiffé - avec encore plus de crainte - en tant
que créature de Dieu. Sous l’angle spirituel, le don de D ieu correspond
au Seigneur Jésus-C hrist Lui-m êm e. E n faisant à l’hom me le don de
tout le m onde visible, le Seigneur am i-des-hom m es se donne Lui-même.
Femme, si tu avais su quel don précieux Dieu avait fait aux Juifs, aux
Samaritains et à tous les autres peuples, sans exception, ton âme aurait
tressailli, tu aurais pleuré de joie, tu serais restée sans voix et n’aurais pas
osé songer à la haine mutuelle entre Juifs et Samaritains. E t si on t ’avait
révélé tous les mystères intimes de Celui qui parle avec toi et que tu
considères d ’après son aspect comme un hom m e ordinaire et d ’après sa
tenue et son langage comme un Juif, c’est toi qui L'aurais prié et II t ’a urait
donné de l ’eau vive. Sous cette expression d 'eau vive, le Seigneur consi
dère la force bienfaisante et vivifiante du Saint-E sprit qu’il a promise
aux croyants. Celui qui croit en moi, de son sein couleront des fleuves d ’eau
vive. I l parlait de l'Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en L ui
(Jn 7, 38-39).
Sans se douter de tout cela, la femme lui répondit : Seigneur, tu nas rien
pour puiser et le puits estprofond. D ’où l 'a s-tu donc, l ’eau vive ? Serais-tu plus
grand que notre père Jacob, qui nous a donné cepuits et y a bu lui-même, ainsi
que sesfils et ses bêtes (Jn 4,11-12) ?T u n’as pas de serviteurs, tu n’as pas de
seau et le puits est profond, com m ent puiseras-tu l’eau ? Le Seigneur dissi
mulé donnait à cette femme l’impression d ’ê tre un hom me impuissant.
L’eau vive désignait, à cette époque comme aujourd’hui, l’eau de source,
à l’inverse de l’eau de pluie recueillie dans les puits et les citernes. Le
term e d’eau vive se référait aussi à l’e au dans les puits, issue d ’une source
et située uniquem ent au fond du puits, là où bouillonne l’eau dont le puits
se remplit. C ette femme songe d ’abord au fond du puits, là où l’eau bouil
lonne. M ais lui vient alors une seconde pensée, qui l’amène à dem ander :
Serais-tu plus grand que notre père Jacob ?, ce qui signifie : serais-tu capable
de créer une autre source d ’eau, à côté de celle-ci? L’ancêtre Jacob n’avait
pas créé ce puits, il l’avait seulement aménagé et construit. Si toi, tu étais
capable de créer une autre source d ’e au, entièrem ent vive, alors tu serais
plus grand que l’ancêtre Jacob. Serais-tu plus grand que lui ? Ce puits de
Jacob était tellem ent im portant que non seulement lui-même, mais sesfils
HOMÉLIE POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 283
et ses bêtes y buvaient, de même que nous tous qui sommes issus de cette
vallée ainsi que tous les voyageurs et passants, à travers tant de siècles. E t
l’eau dans le puits ne s’e st jamais tarie. E s-tu capable d ’accomplir quelque
chose d ’encore plus grand?
D ans ces paroles de la Samaritaine s’exprime d ’une part la fierté
devant l’ancêtre Jacob, et d ’autre part plus que du doute, quasim ent de
la moquerie devant le Seigneur Jésus. N on pas la moquerie grossière
et publique comme lors de la résurrection de la fille de Jaïre - et ils se
moquaient de lui (M t 9,24) - mais une moquerie détournée et habilement
cachée. M ais le Seigneur, qui était décidé à extirper les hommes de la
fange du péché, était aussi résolu à endurer toutes les moqueries des
démons et des hommes. Il ne réprim anda donc pas cette femme pour
cette moquerie m ordante, mais persévéra à sauver son âme.
Jésus lui répondit: « Quiconque boit de cette eau aura soif à nouveau;
mais qui boira de l ’eau que je lui donnerai n’aura plus jamais soif; l ’eau que
je lui donnerai deviendra en lui source d ’eau jaillissant en vie éternelle»
(Jn 4, 13-14). Le Seigneur ne répondit pas à la femme comme elle s’y
attendait. Il ne voulut pas lui parler de sa prééminence par rapport à
Jacob. Il s’é tait rendu compte de l’origine du m alentendu entre lui et
cette femme, ce quelle n’avait pas compris. Ce m alentendu provenait
du fait qu’il se référait à une boisson spirituelle et vivifiante, alors
que cette femme, habituée à réfléchir selon son entendem ent sensible
terrestre, garde en mémoire une eau visible, donnée par D ieu pour apaiser
m om entaném ent la soif physique. L’eau vive évoquée par le Seigneur est
un bienfait vivifiant de Dieu qui nourrit et abreuve l’âme, l’introduisant
ainsi dans la vie éternelle dès à présent, sur la terre. Ce bienfait vivifiant,
une fois entré dans l’homme qui en est digne, ouvre en lui une source
intarissable de vie, de joie et de force.
Lafem m e lui dit: « Seigneur, donne-moi cette eau, afin queje n aie plus soif
et ne vienne plus ici pour puiser» (Jn 4 ,15). La femme reste toujours rivée
à sa conception, pensant toujours à une eau de source, terrestre. Dans le
meilleur des cas, elle pouvait concevoir le C hrist comme un magicien,
dont les tours de magie pouvaient aboutir à une sorte de miracle. Mais
afin de détruire complètem ent ces pensées folles, le Seigneur change
brusquem ent de thèm e de conversation.
Jésus lui dit: « Va, appelle ton mari et reviens ici. » La fem m e L u i répondit:
«Je n’a i pas de mari ». Jésus lui dit: « Tu as bienfait de dire fie n'ai pas de mari,
car tu as eu cinq maris et celui que tu as maintenant n’est pas ton mari: en cela
284 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
notam m ent les prophètes. Ils ont été les semeurs, mais n’ont pas vu la
récolte en train de croître et de mûrir. Ils vécurent tous dans la foi et c’est
dans lafo i qu’ils moururent, sans voir le fruit promis de leur vivant, mais ils
L ’o nt vu et salué de loin (H e 11,13) avec leurs yeux spirituels. Le Seigneur
Jésus Lui-m êm e a dit un jour à Ses disciples : Beaucoup de prophètes et
de justes ont souhaité voir ce que vous voyez et ne L ’o nt pas vu (M t 13, 17).
Les semeurs n’ont pas vu ce que les moissonneurs ont vu, c’est-à-dire
des fruits et la moisson. M ais les uns et les autres recevront un salaire
pour leurs efforts, car les uns et les autres ont été des ouvriers de Dieu
sur le champ de Dieu, en sorte que le semeur se réjouit avec le moissonneur.
Ainsi le Seigneur récompense les efforts des prophètes et des justes de
l’Ancien Testam ent et encourage en m êm e temps les apôtres dans leur
œuvre de moisson. Com m e s’il voulait dire : ils ont enduré plus d ’e fforts
que vous, tant il est vrai qu’il est plus difficile d’être semeur et ne pas voir
de produits dans le champ que d’être m oissonneur de blé mûr. Vous êtes
entrés dans leur labeur. Eux, comme mercenaires et serviteurs, se sont
donnés du mal et sont morts sans voir le M aître de maison vivant au
milieu d’eux, tandis que vous, qui avez le M aître avec vous, vous travaillez
non comme mercenaires ou serviteurs, mais comme des fils - en fait, le
M aître travaille seul et vous collaborez seulement. Réjouissez-vous donc
et hâtez-vous, tout joyeux, de m oissonner le blé mûr.
De cette ville, nombre de Samaritains crurent en L ui à cause de la parole
de lafemme, qui attestait: «Il m’a dit tout ce que j ’ai fa it» ( Jn 4, 39). Voyez
comme la moisson est mûre ! Voyez comme la moisson est abondante !
La terre assoiffée a rapidem ent absorbé l’eau. De nombreux Samaritains
crurent en C hrist avant même de Le voir, sur la simple parole de cette
femme. Elle ne faisait pas de miracles, elle n’é tait pas un apôtre ; c’é tait,
au contraire, une femme pécheresse, pourtant sa parole suscita une
moisson abondante parm i ces païens. Quelle infamie, quelle honte pour
les Juifs élus par D ieu qui, malgré tant de grands miracles du Christ
parm i eux et tant de fortes paroles dites par Sa bouche dans leurs oreilles,
restèrent sourds et aveugles, non repentis et fossilisés ! E n revanche, cette
Samaritaine est digne de tous les éloges, parce quelle n’a pas passé sous
silence la bonne nouvelle quelle avait entendue du Seigneur et quelle
s’est hâtée de l’annoncer aux autres. Elle est semblable à la femme qui,
après avoir retrouvé une pièce de monnaie perdue, alla trouver ses amies
et voisines et leur dit: Réjouissez-vous avec moi, car je l'ai retrouvée, la
drachme quej ’a vais perdue (Le 15, 9) !
292 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Quand donc ilsfu ren t arrivés près de Lui, les Samaritains Le prièrent de
demeurer chez eux. I l y demeura deux jours et ilsfu re n t bien plus nombreux à
croire, à cause de Sa parole (Jn 4,40).Tandis que les Nazaréens avaient voulu
pousser le Seigneur du haut d ’une montagne à cause de Son discours et
que les Gadaréniens L’avaient supplié de les laisser seuls et de s’éloigner,
ces Samaritains Le prièrent de demeurer chez eux. Le Seigneur accéda à
leur demande et demeura chez eux durant deux jours. E t la moisson fut
très abondante, car en dehors ‘de ceux qui avaient cru en Lui à cause du
discours de cette femme, ils fu ren t bien plus nombreux à croire en Lui à
cause du discours prononcé par Sa bouche très pure.
Ils disaient à la fem m e: «Ce n’est plus sur tes dires que nous croyons; nous
L ’avons nous-mêmes entendu et nous savons que c’est vraiment L u i le sauveur
du monde» (Jn 4, 42). D urant ces deux jours, ce que le Seigneur dit à
ces hommes spirituellement assoiffés et affamés, n’e st pas connu, car
tout cela n’a pas été transcrit. M ais que Son discours fut une eau vive
perm ettant de ne plus avoir soif et un pain viva n t perm ettant de ne plus
avoir faim, cela est indiscutable. Cela se voit d ’abord au grand nombre
de ceux qui crurent dans le Seigneur, puis à la confession correcte de
leur foi en Lui : C ’est vraiment L u i le sauveur du monde. Aux côtés des
nombreuses divinités auxquelles les Samaritains croyaient, ils croyaient
aussi dans une certaine mesure dans le Dieu d ’Israël. Ils croyaient dans
le Dieu d ’Israël non parce qu’ils Le connaissaient mais par respect envers
Israël, c’est-à-dire Jacob, qui avait vécu quelque part dans leur entourage.
M ais voilà que la Samaritaine parle de notre père Jacob (Jn 4, 12)! Il est
indubitable que les Samaritains avaient entendu la prophétie, liée au nom
de Jacob, c’est-à-dire à un astre issu de Jacob (Nb 24, 17). Q uand Balaq,
roi de M oab, était en guerre avec le peuple d ’Israël, il appela Balaam, un
devin, lui dem andant de prédire sa victoire sur Israël afin d ’e ncourager
ainsi son armée. Balaq prom it de nombreux dons à Balaam pour ce
service, et Balaam vint effectivement au camp de Balaq. M ais quand il
voulut se livrer à ses tours et prédire à Balaq ce que le cœur de celui-ci
souhaitait, soudain l'esprit de Dieu v in t sur lui (Nb 24, 2) et il se m it à
prédire non ce qu’il voulait, mais ce que Dieu voulait, disant: Que tes
tentes sont belles, Jacob! et tes demeures, Israël! (Nb 24, 5). Q uand Balaq
entendit ces mots, il se m it à réprim ander Balaam mais ce dernier ne fut
pas effrayé et continua : Oracle de Balaam, fils de Béor [.. J. I l obtient la
réponse divine et ses yeux s'ouvrent. Je le vois —mais non pour maintenant; je
l ’aperçois —mais non de près. Un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se
HOMÉLIE POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 293
lève, issu d ’Israël (Nb 24,15-17). E t voilà quest apparu Celui que Balaam
apercevait de loin. L’astre issu de Jacob brillait, plus éclatant que le soleil
et plus beau que le songe le plus beau. E t les Samaritains Le virent et se
réjouirent. Ils virent et ils crurent. Ils s’enivrèrent de la boisson immortelle
et furent ranimés par la vie éternelle.
M ais le C hrist Sauveur n’a pas donné l’eau vive seulement aux
Samaritains et aux Juifs. Il l’a donnée et continue à la donner à tous
et à quiconque ressent une soif spirituelle dans le désert de cette vie.
U n jour où II se trouvait à Jérusalem, le Seigneur Jésus, debout, s’écria:
«Si quelqu'un a soif, qu’il vienne à moi (Jn 7, 37). Avez-vous entendu:
Il s’écria? Le Bon Pasteur ne chuchote pas, Il crie en direction de son
troupeau pour le faire venir à l’abreuvoir. Le chef am i-des-hom m es se
tient dans le désert brûlant de ce monde et crie en direction de tous les
voyageurs épuisés par la soif. Heureux soit celui qui entend Sa voix et
s’approche de Lui avec foi ! Le Seigneur né l’interrogera pas sur la langue
dans laquelle il s’exprime ni sur le peuple dont il est issu, ni sur son âge
ni sur sa richesse, mais II lui donnera l ’eau vive qui fortifie et rajeunit,
renouvelle et régénère, fait sortir du four incandescent de ce monde et
conduit au jardin du Paradis. Boisson divine, comme tu es miraculeuse !
Doux Sauveur, puits de fraîcheur, comme Tu es transparent, abondant et
vivifiant! Saint consolateur de l’âme, amène au Seigneur Jésus tous ceux
dont l’âme aspire à la vie éternelle et qui supplient, assoiffés : mon âme est
assoiffée de Dieu, du Dieu viva n t! Gloire et louange au Seigneur Jésus avec
le Père et le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, m aintenant et
toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE C IN Q U IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS PÂQUES
G rand est notre Dieu et Ses miracles ; il n’y a pas de fin au récit de Ses
miracles. Il n’existe pas d ’yeux qui ont vu tous Ses miracles ; il n’existe pas
de langue hum aine qui en a compté le nombre, de même qu’il n’y a pas
d ’esprit qui les a compris.
Des yeux ont regardé, regardé, puis se sont endormis dans la mort.
La langue des hom mes les a comptés, comptés, puis est devenue muette.
L’esprit a réfléchi, réfléchi, puis s’est défraîchi. Q ui reconnaîtra les miracles,
s’il ne reconnaît pas le thaum aturge ? M ais qui regardera le thaum aturge
et restera vivant ?
Tout le feu sur la terre est issu et continue d’être issu du soleil, disent
ceux qui s’o ccupent d ’analyser ces problèmes. Pourquoi le soleil n’e st-il pas
descendu de lui-m êm e sur la terre, pourquoi s’e st-il matérialisé en partie
sur terre, en partie dans l’e au, en partie dans l’air, en partie dans l’arbre et
le charbon, en partie dans les animaux ? Pourquoi lors de chacune de ces
incarnations partielles, le soleil s’e st-il couvert d ’un voile dense et froid ?
Pourquoi n’est-il pas descendu entièrem ent sur la terre, pour accomplir
la même chose que son feu et sa lumière ? Parce que s’il s’approchait très
près de la terre, toute la terre se m ettrait à fondre ; elle s’évaporerait et
n’e xisterait plus.
Q ui parmi les mortels pourrait se tenir près du soleil et rester vivant ?
E t le soleil n’e st qu’une des créations divines ; il est ténèbres par rapport
à la lumière de Dieu. Q ui donc pourrait regarder le Dieu thaum aturge et
rester vivant ?
Ne voyez-vous pas clairement pourquoi le C hrist Seigneur a dû dissi
muler Son éclat divin dans le fourreau épais et sombre du corps hum ain ?
Car, qui parmi les hommes aurait pu rester vivant en Sa présence?
296 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Allons plus loin. S’il n’avait agi avec économie lors de l’apparition
de Sa divinité, qui parm i les hom m es aurait pu être sauvé de sa propre
volonté et non par la puissance de Sa divinité ? En vérité, si une chose a
été difficile pour le Seigneur Jésus, il est incontestable que cela a été de
contenir et de m odérer la m anifestation de Sa divinité, plutôt que cette
m anifestation elle-même.
C ’est précisément parce qu’il a très sagement agi avec économie lors
des manifestations de Sa puissance divine, que Sa vie sur terre a été une
harm onie complète entre Dieu et l’homme.
Frères, le C hrist comme hom m e n’est pas un miracle moindre que le
C hrist comme Dieu. L’un est un miracle, l’autre est un miracle, mais l’un
et l’autre ensemble - c’est le miracle des miracles. M ais ce miracle n’e st
pas le fruit de la magie, de la chiromancie ou d ’un tour de prestidigita
tion ; c’est le miracle de la sagesse de Dieu, de la puissance de D ieu et de
la philanthropie de Dieu.
Le Seigneur n’a pas fait de miracles pour être loué par les hommes.
Est-ce que l’un de nous va à l’hôpital parm i les aliénés, les sourds-muets
et les victimes de maladies infectieuses, pour m ériter des louanges au
milieu deux? Le berger soigne-t-il ses brebis pour que celles-ci le
célèbrent avec leurs bêlem ents? Le Seigneur n’a accompli des miracles
que pour venir charitablem ent au secours de malheureux impuissants et
m ontrer en même temps aux hom mes que Dieu est apparu parmi eux par
miséricorde et amour.
L’é vangile de ce jour décrit l’un des innombrables miracles de Dieu où
se révèle l’amour du C hrist pour les hom mes souffrants et où se manifeste
une fois de plus Sa divinité.
E n ce tem ps-là, Jésus v it un homme aveugle de naissance (Jn 9, 1).
Juste auparavant, l’Évangile m entionne que des Juifs avaient jeté des
pierres sur le Seigneur au sein m êm e du temple, parce qu’il leur disait
la vérité. M ais pendant que ces Juifs maléfiques ne songeaient qu’à
faire mal au Seigneur, Lui ne pensait qu’à la façon de faire du bien aux
hom mes. D evant le tem ple était assis un hom m e aveugle de naissance,
qui m endiait. A ucun des persécuteurs maléfiques du C hrist, tristes
chefs et leaders populaires, ne faisait attention à ce malheureux. E t si
l’un deux lui donnait une petite pièce de m onnaie, c’était plus pour
en faire étalage vis-à-vis d ’autrui que par philanthropie et miséricorde.
Déjà du tem ps de M oïse, D ieu avait dit pour de tels hom m es: C ’est
une génération pervertie, des fils sans fidélité (D t 32, 20). Le Seigneur
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 297
Ainsi les hom mes doivent, selon Son exemple, œuvrer tant que dure
leur journée, c’est-à-dire de la naissance à la m ort. C ar la nuit viendra
pour les hommes, c’est-à-dire la m ort, quand aucun hom m e ne pourra
plus œuvrer selon sa volonté. Il est vrai que les saints œuvrent même
après la m ort, en servant et aidant l’Eglise de D ieu sur terre de diverses
façons ; mais leurs actions ne correspondent plus à leur volonté humaine
mais à celle de D ieu - qui accomplit ainsi Ses œuvres à travers eux, par
am our pour eux car eux-mêmes ont aimé D ieu dans leur vie terrestre.
Après la mort, personne ne peut accomplir quoi que ce soit qui pourrait
lui être utile dans l’autre m onde et améliorer quelque peu sa situation
là-bas. Après la m ort, personne ne peut se rendre plus m éritant devant
D ieu - ni même un saint devenir plus m éritant. C ar le mérite ne s’obtient
que dans ce m onde-ci. Le capital spirituel ou la banqueroute spirituelle
s’acquierent sur terre. C ’est pourquoi les paroles du Sauveur : la nuit vient,
où nul ne peut travailler ne doivent pas être considérées comme expliquant
Sa position dans la m ort ou après la m ort, mais être compris comme une
sérieuse mise en garde faite aux hom mes en temps utile.
Tant que je suis dans le monde, je suis la lumière du monde (Jn 9, 5), dit
le Seigneur pour Lui-m êm e. A travers Lui, comme à travers le Verbe
intemporel de Dieu, a été créé tout ce qui a été créé. C ’est à travers Lui
qu’a été donnée la vue aux chérubins aux yeux nombreux comme elle a
été donnée à la poussière aveugle et m orte à partir de laquelle ont été
formées toutes les créatures terrestres. Il a donné la lumière au soleil.
Il a donné la vue à tout ce qui regarde. M ais outre la vue physique, Il
a pourvu l’hom m e de la vue spirituelle. C ’est grâce à Sa lumière que le
soleil luit, à Sa vue que les yeux voient, à Sa vue que l’esprit hum ain voit.
Il est en vérité la lumière de l’ensemble du monde, et cela depuis que
le monde est, et aussi longtemps qu’il est. Com m e Sauveur du monde,
comme Dieu dans un corps d ’hom me, Il est apparu comme la nouvelle
lumière du monde afin de briser les ténèbres accumulées dans le monde,
illuminer l’esprit obscurci des hom mes et rendre la vue à ceux qui étaient
devenus aveugles à la suite de leurs péchés, en un m ot: être une lumière
pour les hommes dans la vie et dans la tombe, sur terre et au ciel, dans le
corps et dans l’esprit. Tant queje suis dans le monde - c’est ce qu’il dit à Ses
contemporains sur terre afin qu’ils Le reconnaissent comme la lumière
désirée et qu’ils ne dem eurent pas dans les ténèbres. Marchez tant que
vous avez la lumière, de peur que les ténèbres ne vous saisissent ( Jn 12, 35) !
M alheur à ceux qui L’ont vu, les yeux dans les yeux, ne L’ont pas reconnu
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 301
c’est avec foi et obéissance qu’il se rendit aussitôt à Siloé, se lava et revint
en voyant clair ! « Si quelqu’un s’interroge pour savoir com m ent il a pu voir
après avoir eu les yeux enduits avec de la boue, il n’aura pas de réponse
autre que: nous ne savons pas com m ent cela s’e st produit. E t en quoi
est-ce étonnant si nous ne le savons pas ? L’é vangéliste ne le savait pas,
ni celui qui a été guéri», remarque saint Jean Chrysostome. D ’ailleurs,
pourquoi faut-il poser une telle question dans ce cas-là seulement? Si
quelqu’un s’interroge à ce sujet, il peut le faire à propos de centaines, de
milliers d ’autres cas de guérisons du C hrist. Q u ’il interroge le monde
entier, qu’il interroge tous les siècles de l’histoire humaine, pour savoir
com m ent tout cela s’e st passé - il n’obtiendra aucune réponse. C ’est le
mystère du Créateur. L’apôtre Paul lui-m êm e, qui était infinim ent plus
érudit et plus sage que cet aveugle, fut incapable de trouver les mots pour
expliquer com m ent il fut frappé de cécité lorsqu’il était Saül, ni comm ent
il recouvrit la vue quand Ananie lui imposa les mains au nom du Christ
(Ac 9, 9-12) et fit de lui Paul.
Le fait que cet aveugle-né ne sache pas lui-mêm e com m ent il a ouvert
les yeux, se voit dans ses propres paroles. Q uand il revint de Siloé en
voyant clair, nombreux furent ceux qui se dem andèrent si c’é tait vraiment
lui ou un autre qui lui ressemblait] ? M ais quand il leur dit : C ’est moi, ils se
dem andèrent com m ent ses yeux s’é taient ouverts. Il leur fit alors un bref
récit de ce qui était arrivé, mais ne trouva pas de mots pour dire comment
il avait ouvert les yeux.Je suis parti, je me suis lavé e t j ’a i recouvré la vue (Jn
9, 11). O n le conduisit alors auprès des pharisiens qui lui dem andèrent
com m ent il avait recouvré la vue. Il leur répondit : I l (Jésus) m’a appliqué
de la boue sur les yeux, je me suis lavé etje vois (Jn 9,15). C ’est tout ce qu’il
sut exprimer, décrivant précisément et sans crainte cet événement tel qu’il
s’é tait déroulé.
La lumière du C hrist avec laquelle II éclaire le monde et illumine les
hommes, ne se m ontre à nos yeux dans son véritable éclat que quand
nous la considérons par rapport aux ténèbres des hommes. M ais ce qui
a suivi la guérison miraculeuse de cet aveugle représente en vérité la
nuit la plus épaisse et la plus glacée du cœur et de l’e sprit humains, une
nuit qui gît dans l’évangile de ce jour comme une grande ombre sous la
lumière chaude du Soleil - du C hrist. C ’est l’o bscurité sinistre du cœur
et de l’esprit aveugle des pharisiens. N on seulement les pharisiens ne se
réjouirent pas que l’aveugle qui m endiait à côté de leur tem ple ait recouvré
la vue, mais ils se sentirent même insultés et pleins d ’amertume. Toute
304 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
ou bien qui lui a ouvert les yeux, nous, nous ne le savons pas. Interrogez-le, il
a l'âge: lui-même s’expliquera sur son propre compte (Jn 9, 21). C ’était une
nouvelle déception pour ces chefs juifs blasphémateurs ! Q u ’allaient-ils
faire m aintenant ? Celui qui marche dans des ténèbres souterraines et ne
veut pas sortir au soleil, que peut-il faire sinon sauter d ’un couloir sombre
à un autre ?
Après avoir reçu des parents cette réponse inattendue et non souhaitée,
ces pharisiens maléfiques eurent alors recours à un moyen extrême et très
bas, consistant à détruire la conscience d ’un homme. Ils convoquèrent de
nouveau celui qui avait été aveugle et lui firent une proposition perfide
et infâm e: Rends gloire à D ieu! Nous savons, nous, que cet homme est un
pécheur ( Jn 9,24). Ils voulaient dire qu’ils avaient soi-disant examiné toute
l’affaire et avaient trouvé qu’ils avaient tous raison, eux-mêmes comme
lui. Tu as vraim ent dit la vérité en affirmant que tu avais été aveugle et que
tu avais recouvré la vue. M ais nous aussi, nous avions raison en ém ettant
des doutes sur le fait que ce pécheur t ’e ût ouvert les yeux. Nous savons
que c’est un pécheur et qu’il n’a pas pu accomplir cela. M ais comme cela
a été fait, nous sommes arrivés à la conclusion que seul D ieu a pu le
faire. C ’est pourquoi: Rends gloire à Dieu!, renie ce pécheur et cesse tout
contact avec lui.
Juifs insensés! D ans leur aveuglement, ils furent incapables de
comprendre qu’en reniant le Christ, ils L’avaient en fait reconnu comme
Dieu. Rends gloire à D ieu! Seul Dieu a pu accomplir cela. O r le Seigneur
Jésus l’avait accompli, ce qui signifie que le Seigneur Jésus est Dieu.
L’aveugle répond avec beaucoup de sagesse aux pharisiens hypocrites:
Si c’est un pécheur, je ne sais pas; je ne sais qu'une chose :j'étais aveugle et à
présentje vois (Jn 9,25). Il veut dire que lui-m êm e est un hom m e simple
et ignorant, tandis qu’eux sont érudits et expert en discussion sur le péché
et l’absence de péché. Vous évaluez Celui qui m’a guéri à l’aune du sabbat,
moi au miracle qu’il a accompli. A -t-Il péché et dans quelle mesure, par
rapport à votre conception du sabbat, je ne le sais pas. Ce que je sais
seulement, c’est le miracle qu’il a accompli sur moi et qui est pour moi
aussi im portant que la création du monde. Car tant qu’il ne m’avait pas
ouvert les yeux, ce m onde n’existait pour ainsi dire pas pour moi.
Après avoir parcouru tous leurs méandres sombres et souterrains,
les pharisiens n’eurent plus d ’autre issue que de dem ander à l’aveugle:
Que t'a -t-il f a i t ? Comment t ’a -t-il ouvert les yeux? (Jn 9, 26). M ais ces
questions, ils les lui posèrent avec ruse et perfidie, dans l’e spoir qu’ils
306 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
saura d ’où II est (Jn 7,27). Par conséquent, soit les pharisiens savaient d ’où
venait le Seigneur, soit ils ne le savaient pas. S’ils le savaient - comme
d’autres habitants de Jérusalem le savaient - ils ont m enti à l’aveugle-né
en lui disant : mais Celui-là, nous ne savons pas d'où il est. A l’inverse, s’ils ne
le savaient pas, et si après tant d ’espionnage, tant de polémiques, tant de
persécutions, tant de tintam arre autour de Lui, Son origine, Ses paroles
et Ses actes, ils étaient quand même incapables d’apprendre d’où II venait,
cela signifie qu’il était le Christ. C ar une croyance existait quelque part :
Lorsque viendra le Christ, nul ne saura d ’où II est (Jn 7,27) ; voyez comme la
parole du prophète se vérifie de nouveau : qu’ils tombent, les impies, chacun
dans sonfilet (Ps 140,10).
M ais tout cela devait révéler au m endiant la terrible faiblesse morale
et le néant de ces tristes chefs populaires. C ’est pourquoi il devient de
plus en plus détaché par rapport à eux et de plus en plus libre dans sa
confession du Seigneur. À leurs derniers mots, il répond ainsi : C ’est bien
là l ’é tonnant: que vous ne sachiez pas d ’où II est, et qu’i l m’a it ouvert les yeux
(Jn 9,30). Quels chefs populaires êtes-vous donc, si vous connaissez tous
les détails rituels mais ne connaissez pas l’hom me qui a accompli sur
moi un miracle aussi fort ? Q ui doit le savoir, sinon vous qui êtes assis
sur la chaire de M oïse ? Q ui peut expliquer au peuple l’apparition de cet
homme, sinon vous qui chaque samedi interprétez M oïse et les prophètes
devant le peuple ?
Puis cet hom m e simple continue à instruire ces maîtres mensongers
du peuple en disant: Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs, mais si
quelqu’un est religieux et fa it sa volonté, celui-là II l ’écoute (Jn 9, 31). C ’est
par ces mots que cet hom me simple répond aux paroles des pharisiens :
Nous savons, nous, que cet homme est un pécheur. C et hom m e leur dit
m aintenant : Nous savons que Dieu n’écoute pas les pécheurs. Dans l’Ecriture
Sainte, il n’existe pas d ’exemple où D ieu ait écouté un pécheur, puis fait à
sa demande un infime miracle. Quand vous étendez les mains, dit Dieu à
travers le prophète,je détourne les yeux; vous avez beau multiplier lesprières,
moije n’écoutepas. Vos mains sont pleines de sang (Is 1,15). C ’e st en vain que
Saül priait Dieu à l’époque de ses péchés ; Dieu ne voulait pas l’entendre.
D ieu n’écoute pas les pécheurs, et fait encore moins de miracles en ce
qui les concerne, sauf si ces pécheurs se repentent en vérité, lavent leurs
péchés dans les larmes, prennent en horreur leurs iniquités et se décident
à accomplir la volonté de D ieu et, ainsi repentis, se m ettent à prier Dieu
avec ferveur. Dieu leur accorde alors Son pardon - comme II a pardonné
308 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Imaginez que vous rencontriez les élèves d ’un maître dont vous n’avez
jamais entendu parler; vous les voyez pleins d ’humilité et de sobriété,
studieux, obéissants et possédant toutes les vertus sous le soleil. Que
penseriez-vous de leur m aître? Incontestablem ent, vous en auriez la
meilleure opinion possible.
O u imaginez que vous rencontriez les soldats d’un général dont le
nom est à peine parvenu jusqu’à vos oreilles ; vous les voyez très mobiles,
courageux, disciplinés, très solidaires et pleins d ’abnégation. Com m ent
jugerez-vous leur général ? À l’évidence, vous le jugeriez avec beaucoup
de louanges et d ’admiration.
O u imaginez qu’on apporte devant vous un fruit, tel que vous n’en avez
jamais vu ni goûté au cours de votre vie ; un fruit très beau à voir, au goût
exquis et à l’arôme très prenant. Vous vous demanderiez de quel arbre
des fruits aussi merveilleux sont issus. E t même si cet arbre vous était
parfaitem ent inconnu jusque là, vous le considéreriez comme le plus bel
arbre au m onde et lui rendriez hom mage et louange.
En voyant donc de bons élèves, vous considéreriez leur maître comme
bon. E n voyant de bons soldats, vous considéreriez aussi leur général comme
bon. E t voyant de bons fruits, vous considéreriez aussi cet arbre comme bon.
Chaque arbre en effet se reconnaît à son propre fr u it (Le 6, 44). U n bon
arbre ne donne pas de mauvais produits, et un arbre gâté ne donne pas
de bons produits. Cueille-t-on des raisins sur des épines ? Ou desfigues sur
des chardons? (M t 7, 16) N on, de même qu’on ne cueille pas des épines
sur des vignes, ni des chardons sur un figuier. Un bon arbre donne de
312 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
bons fruits, un arbre gâté des fruits gâtés. C ’est si évident pour tout le
monde qu’il n’e st point besoin de le démontrer. Le Seigneur Jésus a eu
recours à des exemples aussi évidents trouvés dans la nature afin de rendre
les vérités spirituelles et morales évidentes aux hommes. C ar la nature
constitue la meilleure image de la vie spirituelle des hommes.
Supposez un instant que vous ne connaissiez pas le Seigneur Jésus-
Christ, que vous n’ayez jamais entendu parler de Lui, que vous n’ayez
jamais lu Son Evangile. M ais supposez en même temps que vous vous
trouviez dans un pays où ne vivent que Ses apôtres, saints, martyrs, des
hommes et des femmes qui Lui sont agréables, bref tous ceux qui L’ont
suivi et ont vécu selon Sa loi et Son exemple. Vous seriez donc au milieu
de disciples d’un maître inconnu de vous et parmi les soldats d ’un général
que vous ne connaissez pas; vous verriez les fruits d ’un arbre qui vous
est inconnu. Sans rien savoir du Christ, vous Le reconnaîtriez d ’après
les Siens. A Ses disciples, vous reconnaîtriez le meilleur M aître sous le
soleil; à Ses soldats et Ses compagnons, vous reconnaîtriez le général le
plus puissant et le plus victorieux qui ait jamais foulé le sol terrestre; à
Ses fruits, vous reconnaîtriez l’arbre fruitier le plus savoureux et le plus
utile, l’Arbre de vie, dont le goût surpasse le goût de tous les autres arbres
fruitiers du monde créé.
A ujourd’hui l’Église célèbre la mémoire d ’un petit groupe de Ses
disciples et compagnons. Aujourd’hui on évoque les figures de trois cents
dix-huit de Ses fruits savoureux, aromatiques et impérissables. Seulement
trois cent dix-huit ! E n vérité, une cohorte petite mais choisie ! Il s’agit
des trois cent dix-huit saints Pères du Premier concile œcuménique qui
se sont réunis à Nicée en 325, à l’é poque de l’empereur C onstantin le
G rand, pour défendre la foi orthodoxe, l’expliciter et l’établir. Car à cette
époque étaient apparus des loups redoutables (Ac 20,29) ayant l’apparence
de pasteurs du C hrist, que leur vie dissolue empêchait d’installer en eux la
vérité du C hrist, tout en les am enant à séduire les fidèles et à leur enseigner
l’immoralité dans laquelle eux-mêmes vivaient. C ’e st pourquoi le Saint-
Esprit avait réuni les saints de D ieu en Concile, afin qu’ils se montrassent
en véritables disciples du C hrist à l’inverse des faux disciples; et de
m ontrer la force de ceux qui m enaient le combat pour le C hrist contre
ceux qui Le com battaient; et pour que se vissent les fruits véritables et
savoureux du bon Arbre, le C hrist, à l’inverse des fruits pourris et amers
de l’arbre maléfique. D e même que les étoiles brillent dans le ciel en
recevant la lumière du soleil, de même brillaient les saints Pères réunis à
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 313
Ses yeux au ciel, car II est sans péché. Son heure était sur le point d’arriver,
l’heure du martyre suprême. C ette heure, la plus terrible de tout l’espace
du temps du début à la fin, Il avait été seul à la voir ; Il l’avait vue dès le
début et c’est depuis le début qu’il l’avait prédite et qu’il en avait parlé à
Ses disciples. M ais les disciples ne le comprirent pas et n’y adhérèrent pas
avec leur cœur, jusqu’au m om ent où la distance les séparant de cette heure
ne se mesura plus en jours mais en minutes.
Glorifie ton Fils! C ’est-à-dire: glorifie-Le dans cette heure terrible
comme tu L’as glorifié jusqu’à présent. Glorifie-Le dans la m ort comme
tu L’as glorifié dans la vie ! Glorifie-Le dans l’hum iliation et les souf
frances, comme tu L’as glorifié dans Ses actions et Ses paroles puissantes.
Glorifie-Le parm i les hommes comme II a été dès le début glorifié parmi
les anges. Glorifie ton Fils, afin que ton Fils te glorifie. Si le début de la
phrase pouvait laisser penser que le Fils est inférieur au Père, la suite du
texte montre leur égalité et la puissance de leur action m utuellem ent équi
librée. Le Père glorifie le Fils et le Fils glorifie le Père, dans une puissance
et un amour indivisibles. Com m e le devin l’a vu et proclamé : Quiconque
nie le Fils ne possède pas non plus le Père; qui confesse le Fils, possède aussi le
Père (1 Jn 2, 23). Le Père a envoyé Son Fils dans le monde et le Fils a
annoncé le Père au monde. De même qu’on n’aurait pas connu le Fils sans
le Père, de même on n’aurait pas connu le Père sans le Fils. Tout comme
on n’aurait pas connu la lumière si elle n’était pas issue du soleil, ni le soleil
si la lumière ne l’annonçait pas. L’apôtre Paul utilise cette comparaison en
appelant le C hrist le resplendissement de Sa gloire (H e 1, 3), Celle de Son
Père. M ais cette glorification, le Seigneur Jésus ne la demande pas au Père
pour Lui-m êm e, mais pour les hommes, comme le montre le passage
suivant: et que, selon le pouvoir que tu L ui as donné sur toute chair, il donne
la vie éternelle à tous ceux que tu L u i as donnés! (Jn 17,2). Voilà com m ent
le Seigneur am i-des-hom m es considère Sa gloire : dans la possibilité de
donner aux hom mes la vie éternelle. C ’est pour cela qu’il adresse Sa prière
à Son Père. C ’est cette glorification qu’il demande à Son Père. Tandis
que les hommes Lui préparent l’heure amère du martyre, de sueur et de
sang, Lui prie afin de pouvoir donner aux hom mes la vie éternelle. A la
pierre la plus lourde II répond par le pain le plus savoureux. Le fait que
le Père Lui a donné le pouvoir sur toute chair, le Seigneur l’a exprimé à
plusieurs reprises. Tout nia été remis par mon Père, a -t-Il dit (M t 27, 11),
ainsi que : Tout ce qua le Père est à moi (Jn 16,15). Après Sa Résurrection,
Il a déclaré à Ses disciples : Tout pouvoir m a été donné au ciel et sur la terre
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 315
toutefois pas considérer que l’hom m e qui connaît Dieu est seulement
celui qui par sa réflexion spirituelle est arrivé à la conclusion que Dieu
existe en quelque sorte et quelque part. Celui qui connait Dieu, c’est
celui qui ressent le souffle divin de vie en lui-m êm e et partout autour de
lui ; celui qui, dans son esprit, son cœur et son âme, ressent la présence
majestueuse et terrible du seul véritable Dieu, aussi bien dans la nature,
dans la vie hum aine que dans sa vie personnelle.
Pourquoi le Seigneur m et-Il l’accent sur le seul véritable D ieu} Parce
qu’il rejette tout polythéisme et toute idolâtrie de Ses fidèles, et qu’il
veut confirmer les paroles déjà dites par l’intermédiaire de M oïse : Je suis
le Seigneur, ton Dieu, et tu n auras pas d ’autres dieux que moi (Ex 20, 2-3).
M ais pourquoi souligne-t-Il que la vie éternelle, c’est aussi dans la
connaissance de celui que tu as envoyé, Jésus-Christ ? C ’est parce que c’est à
travers Lui que Dieu s’e st révélé dans la plus grande mesure où II pouvait
se révéler à des hom mes mortels, et que ce n’est qu’à travers Lui que les
hommes accèdent à la connaissance la plus élevée de Dieu à laquelle ils
peuvent parvenir dans cette vie. Com m e d ’ailleurs le Seigneur l’a dit aux
Juifs : Si vous me connaissiez, vous connaîtriez aussi mon Père (Jn 8,19), d ’où
il ressort clairem ent que le Père ne peut être connu qu’à travers Son Lils,
le Seigneur Jésus-Christ.
Je t'ai glorifié sur la terre, en menant à bonnefin l ’œ uvre que tu m’as donné
defaire [.. J les paroles que tu m’as données, je les leur ai données (Jn 17,4 ; 8).
Q ue signifient ces paroles: sur la terre? Elles signifient: dans la chair et
parm i les hommes. L’œ uvre que le Seigneur a accomplie dans la chair
parm i les hommes, c’est l’œ uvre du salut humain. Jusqu’à Sa m ort sur
la Croix, cette œuvre a consisté en paroles vivifiantes et sans équivalent
jusque là, et en miracles innombrables jamais vus auparavant parmi les
hommes. Ces paroles et ces miracles, le Seigneur les a rapportés à Son
Père céleste - afin d’enseigner aux hommes, outre l’o béissance, l’humilité.
E t maintenant, Père, glorifie-moi auprès de toi de la gloire que j ’a vais
auprès de toi, avant quef û t le monde (Jn 17,5). Q ue peuvent dire face à cela,
ceux qui prétendent que le C hrist est un hom me ordinaire et une créature
de D ieu comme toutes les autres créatures ? M ais le Seigneur évoque la
gloire qu’il avait auprès de Son Père avant la création du m onde! U n
jour, le Seigneur avait dit aux Juifs à propos de Lui-m êm e : En vérité,
je vous le dis, avant qu’A braham existât, Je suis (Jn 8, 58); en une autre
circonstance, à la question : Qui es-tu ? Il avait évoqué le commencement
(Jn 8, 25). Avoir été avant Abraham et évoquer le commencement pour
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS PÂQUES 317
Lui-m êm e, c’est tout ce qu’il avait bien voulu dire aux Juifs insensés, mais
le fait qu’il avait existé et était dans la gloire même avant la création du
monde, Il ne voulut pas le leur annoncer. M aintenant, par cette prière, Il
l’annonce au m onde entier. Pourquoi seulement m aintenant ? Parce qu’il
sait par avance que cette prière ne se fera entendre des hom mes qu’après
Sa glorieuse Résurrection, après quoi il sera plus facile aux hom mes de
croire aussi à Sa gloire pré - éternelle. Sa gloire est égale à celle du Père,
car c’est la gloire qu’i l tient du Père comme Unique-Engendré (Jn 1,14). Le
Seigneur Lui-m êm e n’a-t-Il pas tém oigné que tout ce qu’a le Père est à moi
(Jn 16,15) ? La gloire du Père est donc aussi la Sienne. D ans la gloire et
dans la puissance, Il est égal au Père. Pourquoi alors p rie-t-Il le Père de
Le glorifier ?
Il ne prie pas pour la glorification de Sa nature divine, mais pour celle
de Sa nature humaine. Sa nature hum aine est une nouveauté pour le
monde créé, non Sa nature divine ; elle doit être déifiée et introduite dans
la gloire divine, afin que nous les hom mes puissions nous rapprocher de
cette gloire. C ’est le couronnem ent de toute l’œuvre du Sauveur du monde.
C ’e st le grand mystère de la réconciliation des hom mes avec D ieu et de
leur adoption bénie dans la gloire du D ieu-hom m e. Vous remarquerez
un autre fait très im portant: le Seigneur prie le Père pour que le Père Le
glorifie, après qu’il a dit qu’il a mené à bonnefin l ’œuvre qui Lui avait été
donnée à accomplir. Cela est un enseignement limpide pour nous tous : ce
n’est qu’après avoir accompli la volonté de Dieu que nous pouvons espérer
une récompense divine. Rappelez-vous la prophétie du C hrist disant qu’à
la fin des temps le Fils de l'homme doit venir dans la gloire de Son Père, avec
Ses anges, et alors II rendra à chacun selon sa conduite (M t 16, 27). Heureux
seront alors les justes, car ils seront récompensés au centuple pour leurs
bonnes œuvres et ils brilleront comme le soleil dans la lumière de la gloire
du C hrist devant le trône du Très-H aut.
J ’a i manifesté ton nom aux hommes, que tu as tirés du monde pour me
les donner. Ils étaient à toi et tu me les as donnés et ils ont gardé ta parole
(Jn 17, 6). Q uel est ce nom divin que le Seigneur Jésus a annoncé aux
hom mes? Le nom du Père. Ce nom était aussi inconnu aux païens et
aux Juifs. Les prophètes et les justes de l’Ancien Testam ent connaissaient
Dieu sous le nom de Dieu, du Créateur, du Seigneur, du Roi, du Juge, mais
nullement sous le nom de Père. Ce nom de Dieu a été un secret séculaire
pour les hommes. Aucun mortel ne pouvait annoncer ce nom intime de
Dieu, car sous le joug des ténèbres du péché et de la peur, aucun mortel ne
318 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
la personne, qu’il en soit aussi ainsi parm i les croyants : des visages divers
et nombreux, dans une unité essentielle d ’amour, de volonté et d’esprit.
Le Seigneur poursuit: Quand j ’étais avec eux, je les gardais dans ton
nom que tu m’as donné. J ’ai veillé et aucun d ’eux ne s’est perdu, sauf lefils de
perdition, afin que l'Ecriture f û t accomplie (Jn 17, 12). Aucun des élus du
Seigneur ne périt sauf Judas le traître, comme il était écrit dans l’Ecriture
sainte. M êm e Judas n’a pas péri du fait que c’était écrit, mais parce qu’il
avait été infidèle à D ieu et idolâtre de l’argent. Dans l’Écriture, il avait
été prédit pour Judas : Celui qui mange mon pain a levé contre moi son talon
(Ps 41,10 ; Jn 13,18). Il était également écrit : Qu’un autre reçoive sa charge
(Ps 108, 8; Ac 1, 20). Ces deux prophéties se sont accomplies en ce qui
concerne Judas. Il avait mangé le pain avec le Seigneur Jésus et avait
levé son talon contre Lui. Après sa trahison, Judas se pendit et sa charge
d ’apôtre échut à M atthias.
M ais maintenant je viens vers toi, conclut le Seigneur, et je parle ainsi
dans le monde, afin qu'ils aient en eux-mêmes ma joie complète (Jn 17, 13).
Au m om ent de se séparer de Ses disciples et du monde, le Seigneur
adresse cette prière au Père céleste. Le Seigneur sait que la m ort et le
tombeau se présentent devant Lui, mais II ne les évoque pas devant le
Père éternel car la m ort et le tombeau ne sont rien aux yeux de Dieu. Il
parle de Son retour vers le Père : M ais maintenant je viens vers toi... afin
qu’ils contemplent ma gloire, que tu m’as donnée parce que tu m’as aimé avant
la fondation du monde (Jn 17, 13; 17, 24). Il prie encore pour que Ses
disciples aient Sa joie. Quelle est cette joie? C ’e st la joie du fils obéissant
qui a accompli la volonté du père. C ’est la joie du pacificateur dont toute
la furie de ce monde ne peut ébranler la paix divine intérieure. C ’e st la joie
du propriétaire terrien qui a déboisé, labouré et ensemencé son champ,
qui voit la récolte croître et se développer et qui s’e n réjouit. C ’est la joie du
vainqueur qui a abattu tous ses adversaires et donné une force victorieuse
à Ses amis afin qu’ils triom phent jusqu’à la fin des temps. C ’est enfin la
joie d ’un cœur pur et candide - une joie synonyme de vie, d ’amour et de
puissance. C ’est une telle joie et dans sa plénitude que le Seigneur Jésus a
souhaitée à Ses disciples au m om ent de se séparer du monde.
C ette prière d’avant la m ort du Seigneur Jésus-C hrist a été entière
m ent exaucée par le Père, et ses résultats se sont manifestés rapidement.
Le prem ier m artyr pour la foi dans le C hrist, le saint archidiacre Étienne,
a vu lors de son martyre la gloire de Dieu et Jésus debout à la droite ' de
Dieu (Ac 7, 55). L’apôtre Paul visionnaire, évoque la vigueur de la force
322 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
être couvert de crachats et livrant Son corps pour être cloué sur la Croix
et mis au tombeau comme s’il était m ort, puis descendant aux enfers
pour détruire une prison pire que cette vie-ci qui t ’était destinée après
la séparation avec le corps - tout cela, pour te purifier de la boue du
péché et te redresser; puis II est ressuscité du tombeau afin de t ’installer
ainsi des ailes pour ton envol vers le ciel et s’e st élevé enfin vers le ciel
afin de t ’o uvrir la voie et t ’attirer dans la demeure céleste. Tu n’as pas
besoin de soupirer de crainte, frémissement et trem blem ent comme le roi
David, tu n’as pas besoin d ’avoir des ailes comme la colombe, car un aigle
est apparu qui a m ontré et ouvert la voie. Il te suffit de prendre soin de
tes ailes spirituelles, qui t ’ont été données en Son nom lors du baptême,
et de vouloir de toutes tes forces t ’élever là où II s’est élevé. Il a accompli
pour ton salut, quatre-vingt-dix-neuf pour cent de ce qu’il fallait faire ;
ne vas-tu pas t ’efforcer de faire un pour cent qui reste pour assurer ton
salut, car c’est ainsi que vous sera largement accordée par surcroît l ’entrée dans
le Royaume éternel de notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ (2 P 1,11) ?
L’Ascension du Seigneur de la terre au ciel est, pour les hommes, une
surprise aussi grande que Sa descente du ciel sur la terre et Sa naissance
dans un corps l’o nt été pour les anges. D ’ailleurs, quel événement de Sa
vie ne représente pas une nouveauté et une surprise incomparables pour
le monde ? De même que les anges ont dû observer avec émerveillement
com m ent Dieu lors de la création originelle, sépare la lumière des ténèbres,
l’eau du continent, aménage les étoiles sous la voûte céleste, com m ent II
relève de la poussière les plantes et les bêtes et com m ent enfin II donne
sa forme à l’hom m e et lui donne une âme vivante, de même chacun de
nous doit, qu’il le veuille ou non, considérer avec émerveillement les
événements de la vie du Sauveur, à partir de l’annonce extraordinaire par
l’archange Gabriel à la Très Sainte Vierge à Nazareth puis dans l’o rdre
jusqu’à Sa puissante Ascension au m ont des Oliviers. Tout est surprenant
à première vue, mais quand on connaît le plan de l’é conomie de notre
salut, tout pousse l’hom m e raisonnable à acclamer joyeusement et à
célébrer la puissance, la sagesse et la philanthropie de Dieu. Tu ne peux
effacer un seul événem ent de la vie du C hrist sans les dénaturer tous, de
même qu’o n ne peut couper une main ou une jam be à un hom m e sans le
défigurer ou qu’on ne peut retirer la lune de la voûte céleste ou éteindre
une partie des étoiles sans déform er l’alignement et la beauté du ciel.
Aussi ne dois-tu pas songer à dire que l’Ascension du Seigneur n’a pas
été utile ! Q uand, même des Juifs, malgré toute leur méchanceté, furent
326 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
écrits et ne se serait pas hâté de les accomplir. M ais l’écriture des prophètes,
c’e st l’écriture de l’Esprit de Dieu, et Dieu, logique avec Lui-m êm e et
Ses promesses, a envoyé Son Fils Unique-engendré afin d ’accomplir ces
promesses écrites. I l fa u t que s'accomplisse tout ce qui est écrit (Le 24,44), dit
Celui qui voit tout le m onde créé d’un bout à l’autre comme un homme
qui regarde une feuille d ’é criture placée devant lui. Si le Visionnaire a
dit qu’il a fallu que cela fut accompli ainsi, com m ent les aveugles qui ont
affirmé qu’il ne fallait pas qu’il en fut ainsi ne seraient pas ridicules ? Il
a fallu que le Seigneur Jésus souffrît en Son temps pour que nous nous
réjouissions dans l’éternité. E t il a fallu qu’il ressuscitât pour qu’à travers
Lui, nous ressuscitions dans la vie éternelle.
E t qu’en Son nom le repentir en vue de la rémission des péchés serait
proclamé à toutes les nations, à commencer par Jérusalem (Le 24, 47). Si
le Seigneur Jésus n’avait pas souffert et été mis à m ort à cause de nos
péchés, qui d ’entre nous saurait que le péché est un poison infinim ent
terrible? E t s’il n’était pas ressuscité, qui d ’entre nous, connaissant
l’horreur du péché, conserverait l’espérance ? Alors le repentir ne serait
pas utile, ni le pardon possible. C ar au repentir correspond la souffrance
pour le péché, tandis qu’au pardon correspond la résurrection par la
puissance divine. E n se repentant, le vieil hom m e contam iné par le péché
se couche dans le tom beau, alors que par le pardon l’hom m e nouveau
naît à la vie nouvelle. Telle est l’annonce merveilleuse à tous les peuples
de la terre, à com m encer par Jérusalem ! Ce que le serviteur du Très-
H aut, l’archange G abriel, a dit à la Très Sainte Vierge avec ces paroles
prophétiques: C ’est L u i qui sauvera Son peuple de ses péchés (M t 1, 21),
le Seigneur L ui-m êm e le confirme m aintenant, avec l’expérience de
Celui qui a souffert et le droit du vainqueur. M ais pourquoi dit-on : à
commencer par Jérusalem? Parce que c’est à Jérusalem qu’a eu lieu le plus
grand sacrifice accompli pour tout le genre hum ain et que c’est là que
la lumière de la résurrection a brillé du tombeau. D ans un sens caché
cependant - si Jérusalem représente l’esprit dans l’hom m e - il est clair
que c’e st à partir de l’esprit que doit com m encer le repentir, l’hum ilité
et la contrition, avant de se diffuser ensuite dans l’ensemble de l’hom m e
intérieur. L’orgueil spirituel a précipité Satan en enfer ; l’orgueil spirituel
a séparé Adam et Eve de D ieu ; l’orgueil spirituel a poussé les pharisiens
et les scribes à tuer le Seigneur. L’orgueil spirituel est la cause principale
du péché encore de nos jours. Celui dont l’esprit ne s’agenouille pas
devant le C hrist ne verra pas ses genoux faire la génuflexion. Celui qui
328 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
M ais à cette époque, les apôtres n’étaient pas encore tout à fait aguerris
spirituellement. C ’est pourquoi le Seigneur les instruit et les conduit
comme des enfants, les encourageant lors de la séparation: Je ne vous
laisserai pas orphelins (Jn 14, 18). C ’est encore à eux qu’avec de nombreuses
preuves, I l s’é tait présenté viva n t après Sapassion :pendant quarante jours, I l
leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu (Ac 1, 3), leur
prom ettant enfin de recevoir uneforce, celle de l ’E sprit Saint, qui descendra
sur vous (Ac 1, 8).
Puis II les emmena jusque vers Béthanie et, levant les mains, I l les bénit.
E t il advint, comme II les bénissait, qu’i l se sépara d ’e ux et f u t emporté au
ciel (Le 24, 50-51). Q ue cette séparation avec la terre fut majestueuse et
émouvante ! Là, à proximité du m ont des Oliviers, non loin de la butte
où Lazare m ort était revenu à la vie temporelle, le Seigneur ressuscité
s’est élevé vers les hauteurs infinies de la vie éternelle. Il s’est élevé, non
jusqu’aux étoiles, mais au-dessus des étoiles ; Il s’est élevé non jusqu’aux
anges mais au-dessus des anges, non jusqu’aux plus hautes puissances
célestes mais au-dessus d ’elles, au-dessus des immortelles armées célestes,
au-dessus des demeures paradisiaques des anges et des justes, loin, loin
même pour les yeux des chérubins, jusqu’au trône même du Père céleste,
dans l’autel mystérieux de la Sainte et vivifiante Trinité. La mesure d ’une
telle hauteur n’existe pas dans le monde créé; peut-être ne peut-elle se
comparer, dans le sens opposé, qu’à la profondeur où l’o rgueil a précipité
Lucifer, déchu de D ieu ; cette profondeur où Lucifer a voulu précipiter le
genre humain. Le Seigneur Jésus nous a sauvés de cette déchéance infinie
et au lieu de cet abîme profond, nous a élevés vers les hauteurs divines du
Ciel. Il nous a élevés, nous l’affirmons, pour deux raisons : prem ièrement
parce qu’il s’est élevé comme un hom m e de chair, comme nous-mêmes,
et deuxièmement parce qu’il s’e st élevé, non pour Lui-m êm e, mais pour
nous, afin de nous ouvrir la voie de l’apaisement avec Dieu.
E n s’é levant avec Son corps ressuscité, corps que des hommes avaient
mis à m ort et déposé dans la terre, Il bénissait avec Ses mains que des
hom mes avaient blessées avec des clous. A h, Seigneur béni, que Ta misé
ricorde est immense ! C ’e st avec une bénédiction qu’a commencé l’histoire
de Ton arrivée dans le monde et c’est par une bénédiction quelle s’achève.
E n annonçant Ta venue dans le monde, l’archange Gabriel a salué la Très
Sainte M ère de Dieu en disant : Réjouis-toi, comblée de grâce, le Seigneur est
avec toi [...] bénie es-tu entre lesfemmes (Le 1 ,2 8 ; 1, 42) ! E t m aintenant,
au m om ent de Te séparer de ceux qui T ’o nt accueilli, Tu étends Tes mains
330 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
très pures et les combles de bénédictions. Ah, le plus béni des hommes !
A h, bienfaisante source de bénédictions ! Bénis-nous aussi, comme Tu as
béni Tes apôtres !
E t comme ils étaient là, les yeuxfixés au ciel pendant q u ll s'en allait, voici
que deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés; ils leur dirent:
«Hommes de Galilée, pourquoi restez-vous ainsi à regarderie ciel ? CeJésus qui,
d ’auprès de vous, a été enlevé au ciel viendra comme cela, de la même manière
que vous L'avez vu s'en aller vers le ciel» (Ac 1,10-11). Ces deux hommes
vêtus de blanc étaient des anges de Dieu. D ’invisibles armées d ’anges
ont accompagné leur M aître de la terre au ciel, comme elles l’avaient
accompagné jadis du ciel à la terre lors de Sa conception à Nazareth et de
Sa naissance à Bethléem. Lors de l’Ascension du Seigneur, deux d’entre
eux se sont rendus visibles aux yeux des hommes, selon le dessein de
Dieu, en vue d ’un message aux disciples. Ce message était indispensable
pour ceux qui pouvaient se sentir abandonnés et isolés après le départ du
Sauveur. Ce Jésus qui, d ’auprès de vous, a été enlevé au ciel viendra comme
cela. Tel est le message du C hrist par l’intermédiaire de ces deux anges.
Voyez-vous l’imm ensité de l’amour des hommes de la part du Seigneur ?
M êm e au m om ent de Son Ascension au ciel, vers le trône de gloire du
D ieu Trine, Il ne pense pas à Lui, ni à Sa gloire après l’hum iliation, ni
à Son repos après tout Son labeur sur terre, mais II pense aux Siens,
restés derrière Lui sur la terre. M êm e s’il les a Lui-m êm e suffisamment
conseillé et fortifié, Il leur envoie néanmoins Ses anges, bien qu’il leur eût
dit personnellem ent: Je ne vous laisserai pas orphelins. Je viendrai vers vous
(Jn 14,18) - Il fait quelque chose de plus, qu’il ne leur avait pas promis :
Il leur m ontre des anges célestes, comme Ses messagers et serviteurs, afin
de les convaincre ainsi de Sa puissance et de réitérer, par la bouche des
anges, la promesse qu’il allait revenir auprès d’eux. Il fait tout, tout, dans
le seul but de les affranchir de la peur et de la tristesse, et les enrichir du
courage et de la joie.
S ’é tant prosternés devant Lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie
(Le 24, 52). Ils se prosternèrent spirituellement et physiquement devant
le Seigneur tout-puissant, en signe de respect et d ’obéissance. C ette pros
ternation signifiait : qu’il en soit selon Ta volonté, Seigneur tout-puissant !
E t ils retournèrent du m ont des Oliviers vers Jérusalem, comme cela leur
avait été ordonné. M ais ils ne revinrent pas avec tristesse, mais en grande
joie. Ils auraient été tristes si le Seigneur s’était séparé d ’eux d ’une autre
manière. O r leur séparation avait été une nouvelle révélation majestueuse
HOMÉLIE POUR L'ASCENSION DU SEIGNEUR 331
pour eux. Il n’avait pas disparu devant eux, n’im porte com m ent et de
façon anonyme, mais ‘s’é tait élevé en gloire et dans Sa puissance vers le
ciel. Ainsi se sont accomplies de façon évidente Ses paroles prophétiques
sur cet événement, de même que s’étaient vérifiées auparavant celles
concernant Sa passion et Sa résurrection. L’esprit des disciples s’était
ainsi ouvert, afin de leur perm ettre de comprendre ce qu’il leur avait
dit : N u l n'est monté au ciel, hormis Celui qui est descendu du ciel, le Fils de
l'homme (Jn 3, 13), comme ce qu’il avait dit en forme de question à Ses
disciples (quand ils avaient été scandalisés par Ses paroles à propos du
pain descendu du ciel) : E t quand vous verrez le Fils de l'homme monter là
où II était auparavant? (Jn 6, 62) ou encore : Je suis sorti d'auprès du Père
et venu dans le monde. A présentje quitte le monde etje vais vers le Père (Jn
16,28). Les ténèbres de l’ignorance introduisent la crainte et l’indécision
dans l’âme humaine, tandis que la lumière de la connaissance de la vérité
insuffle la joie et crée la force et la confiance en soi. Les disciples étaient
dans la crainte et l’indécision quand le Seigneur leur parlait de Sa m ort
et de Sa résurrection. M ais en Le voyant ressuscité et vivant, ils furent
remplis de joie (Jn 20, 20). La crainte avait été détruite, le doute avait
disparu, l’indécision setait envolée, et à la place de tout cela, il y avait la
certitude, une belle certitude ensoleillée d ’où émanaient la force et la joie.
Ils savaient m aintenant avec certitude que leur Seigneur et M aître était
descendu du ciel, car c’était vers le ciel qu’il s’était élevé ; qu’il avait été
envoyé par le Père, car II était retourné vers le Père ; et qu’il était tout-
puissant au ciel comme II l’avait été sur terre, car les anges L’accompagnent
et accomplissent Sa volonté. C ’est à cette connaissance infaillible que se
rattachait la foi infaillible qu’il viendra de nouveau, et cela en gloire et en
force, comme II le leur avait dit à plusieurs reprises, et comme les anges
l’avaient répété. Il ne leur restait m aintenant rien d ’autre à faire que de
suivre avec ferveur Ses comm andem ents. Il leur avait ordonné de rester
à Jérusalem et d ’y attendre la force d'en-haut (Le 24, 49). C ’est dans une
grande joie pleinem ent justifiée, et avec la foi tout aussi grande que cette
force d ’e n-haut descendrait sur eux, qu’ils retournèrent à Jérusalem.
E t ils étaient constamment dans le Temple à bénir Dieu (Le 24, 53).
Ils ne cessaient de se rendre au Temple de Jérusalem où ils louaient et
bénissaient Dieu. U n autre passage de l’Evangile m entionne que tous,
d ’un même cœur, étaient assidus à la prière (Ac 1,14). Après tout ce qu’ils
avaient vu et appris, ils ne pouvaient plus détacher leur esprit et leur cœur
du Seigneur, qui s’était éloigné sous leurs yeux mais qui était resté encore
332 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
plus profondém ent ancré dans leurs âmes. Il dem eurait en force et en
gloire dans leurs âmes et eux, pleins de jubilation, louaient et bénissaient
Dieu. C ’e st ainsi qu’il était revenu vers eux plus rapidem ent que ce qu’ils
avaient espéré. Il n’é tait pas revenu pour que les yeux Le voient ; Il était
revenu en s’im plantant dans leurs âmes. Il n’était pas seul à être ancré
dans leurs âmes, Il l’était avec Son Père. Car le Seigneur avait dit que
celui qui éprouve de l’amour pour Lui, mon Père l ’aimera et nous viendrons
vers lui et nous nousferons une demeure chez lui (Jn 14,23). Il fallait encore
que le Saint-E sprit descende et s’implante en eux pour qu’ils fussent
des hommes accomplis dans lesquels avaient été restaurées l'image et la
ressemblance du D ieu trine (G n 1, 26). C ’est cela qu’ils devaient attendre
à Jérusalem. Ils l’o nt attendu et l’ont reçu. Dix jours plus tard, le Saint-
Esprit, cette force d ’en-haut, est descendu sur cette première église du
Christ, pour ne plus se séparer de l’Eglise du C hrist jusqu’à nos jours et
jusqu’à la fin des temps.
Nous aussi, louons et bénissons le Seigneur dont l’Ascension nous a
ouvert l’e sprit, afin que nous puissions voir la voie et le but de notre vie.
Louons et bénissons le Père qui répond par Son am our à notre amour
pour le Fils et s’installe avec le Fils dans chacun de ceux qui observent
et confessent les com m andem ents du Seigneur. G ardons sans cesse
dans notre esprit le Père et le Fils, les louant et les bénissant - comme
les apôtres quelque part dans la ville de Jérusalem - dans l’attente que
descende sur nous aussi, laforce d ’e n-haut, l’Esprit consolateur qui descend
sur chacun de nous dès notre baptêm e mais qui s’éloigne de nous à cause
de nos péchés. Afin que soit restauré en nous aussi l’ensemble de l’homme
céleste originel. Afin que nous aussi, comme les apôtres, devenions dignes
d ’être bénis par notre Seigneur Jésus-C hrist très glorieux et élevé dans les
deux, à qui vont gloire et louange, avec le Père et le Saint-Esprit, Trinité
unique et indissociable, m aintenant et toujours, de tout temps et de toute
éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LA P E N T E C Ô T E
Q uand une graine est semée, il est nécessaire que la force de la chaleur
et de la lumière vienne sur elle afin de lui perm ettre de grandir.
Q uand un arbre est planté, il est nécessaire que la force du vent
survienne afin de le consolider.
Q uand un maître de maison construit sa demeure, il fait appel à la
force de la prière afin que sa maison soit bénie20.
Le Seigneur Jésus-C hrist a semé la graine la plus généreuse sur le
champ de ce monde. Il a fallu que la force du Saint-Esprit descende pour
que la graine soit réchauffée et illuminée et puisse grandir avec succès.
Le Seigneur Fils a semé sur le cham p sauvage de la m ort, l’arbre de
vie. Il a fallu que le puissant ouragan du Seigneur Esprit souffle pour que
l’arbre de vie soit consolidé.
La prééternelle Sagesse infinie de D ieu s’est aménagé des demeures
dans des âmes humaines élues. E t il a fallu que l’Esprit fort et lumineux
de Dieu descende dans ces demeures et les bénisse.
L’époux divin a choisi Son épouse, l’Église des âmes pures, et il a fallu
que l’Esprit de joie éternelle descende, pour lier par l’anneau le ciel et la
terre et fasse revêtir la robe nuptiale à l’épouse.
Tout ce qui avait été prédit, s’est accompli ainsi. Le Saint-E sprit avait
été promis, et le Saint-Esprit est descendu. Q ui aurait pu prom ettre la
descente sur terre de l’Esprit Tout-puissant sinon Celui qui savait que cet
Esprit Lui obéirait et descendrait ? E t envers qui l’Esprit Tout-puissant
aurait pu m ontrer une obéissance aussi prom pte sinon Celui envers qui II
avait un amour parfait ?
20. Il est d’usage que les fidèles orthodoxes, quand ils intègrent une nouvelle demeure,
fassent appel au prêtre pour la bénir (NdE).
334 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
A h, comme l’am our parfait est toujours prêt à faire preuve d ’une
obéissance parfaite ! C et amour parfait ne peut s’exprimer complètem ent
autrem ent que par une obéissance parfaite. D e cette obéissance parfaite
jaillit, tel un torrent de miel et de lait, une joie parfaite qui constitue la
grâce de l’amour.
Le Père éprouve un amour parfait envers le Fils et l’Esprit. Le Fils
éprouve un amour parfait envers le Père et l’Esprit. E t l’Esprit éprouve
un amour parfait envers le Père et le Fils. C ’est à cause de cet amour
parfait que le Père éprouve l’obéissance la plus docile envers le Fils et
l’Esprit tandis que le Fils éprouve l’obéissance la plus docile envers le
Père et l’Esprit et que l’Esprit éprouve l’obéissance la plus docile envers
le Père et le Fils. L’amour parfait fait du Père le serviteur parfait du Fils
et de l’Esprit, du Fils le serviteur parfait du Père et de l’Esprit, et de
l’Esprit le serviteur parfait du Père et du Fils. D e même que dans le
m onde créé aucun amour ne peut être équivalent à l’am our m utuel des
hypostases divines, de même aucune obéissance ne peut être équivalente
à leur obéissance mutuelle. Je t ’ai glorifié sur la terre, en menant à bonne
fin l ’œ uvre que tu m’as donné defaire (Jn 17, 4)... que ta volonté soitfa ite !
(M t 6,10). Ces paroles ne m ontrent-elles pas l’obéissance parfaite du Fils
à l’égard du Père ?
«Père, je savais que tu m’écoutes toujours», dit le Seigneur Jésus lors de
la résurrection de Lazare (Jn 11, 42). Plus tard, Il s’écria: «Père, glorifie
ton nom!» D u ciel v in t alors une voix: «Je l ’ai glorifié et de nouveau je le
glorifierai» (Jn 12, 28). Cela ne m ontre-t-il pas l’o béissance parfaite du
Père envers le Fils ? - Cependantje vous dis la vérité: c'est votre intérêt que
je parte; car si je ne pars pas, le Paraclet ne viendra pas vers vous; mais si je
pars, je vous l'enverrai (Jn 16, 7), et je prierai le Père et II vous donnera un
autre Paraclet pour qu’i l soit avec vous à jamais (Jn 14,16) Lorsque viendra
le Paraclet, que je vous enverrai d ’auprès du Père, l ’E sprit de vérité qui vient
du Père, Urne rendra témoignage (Jn 15,26). E t en vérité, le cinquantième
jour après la Résurrection, le Paraclet, l’Esprit de vérité est descendu sur
ceux auxquels II avait été promis. Cela ne m ontre-t-il pas l’obéissance
parfaite du Saint-Esprit envers le Fils ?
C ette règle salvatrice, que l’apôtre Paul recommande à tous les fidèles :
Que l'amour fraternel vous lie d ’affection entre vous, chacun regardant les
autres comme plus méritants (Rm 12, 10), a été réalisée à la perfection
entre les hypostases de la Sainte Trinité. Chaque hypostase s’efforce
de rendre d’avantage honneur aux deux autres hypostases plus grandes
HOMÉLIE POUR LA PENTECÔTE 335
avec chaque m ot, chaque action et chaque promesse de Jésus, est attesté
dans l’évangile de ce jour.
Le dernierjour de lafête, le grandjour, Jésus, debout, s’écria : « Si quelqu’un
a soif, qu’il vienne à moi, et il boira (Jn 7, 37). Il s’agit ici de la fête des
Tentes qui était célébrée en autom ne à la mémoire de l’édification des
tentes dans le désert à l’époque de la traversée du désert par les Juifs.
C ette fête était célébrée le septième mois selon la num érotation juive,
ce qui correspond à notre mois de septem bre; c’était une occasion de
grande réjouissance (Lv 23, 34; D t 16, 13-14). C ette fête était célébrée
durant sept jours, et la dernière journée, particulièrement solennelle, était
appelée grande. Si quelqu’un a soif, dit le Seigneur, qu’il vienne à moi, et il
boira. D ans la Jérusalem aride, il était très difficile de donner à boire à la
masse innombrable des habitants, même avec de l’eau ordinaire, naturelle.
Des porteurs d ’e au transportaient de l’eau de la source de Siloé jusqu’aux
vasques situées dans le temple. Q u ’est-ce qui a poussé le Seigneur à parler
de soif et d’eau ?
Peut-être la vue de la population se plaignant de soif; peut-être
l’o bservation du labeur des porteurs d ’eau transportant péniblem ent l’eau
de Siloé jusqu’aux hauteurs de M orée où se trouvait le temple ; peut-être
aussi le fait que c’était le dernier jour et que le Seigneur voulait utiliser ce
m om ent pour évoquer la soif spirituelle devant les coeurs endurcis de ces
hom mes et leur proposer une boisson spirituelle. Naguère, le Seigneur
avait dit à une femme de Samarie : Qui boira de l ’eau que je lui donnerai,
n’aura plus jamais soif{ Jn 4, 14). M aintenant II songe à cette même eau
spirituelle et vivifiante, en s’adressant à tous ceux qui ont soif : Qu’il vienne
à moi, et il boira.
Celui qui croit en moi, selon le mot de l'Ecriture, de son sein couleront des
fleuves d ’eau vive (Jn 7,3 8). Ilparlait de l ’E sprit que devaient recevoir ceux qui
avaient cru en L u i; car il n’y avait pas encore d ’E sprit, parce que Jésus n’a vait
pas encore été glorifié (Jn 7,39). Avant tout, le Seigneur engage à croire en
Lui. Il n’accorde de récompense qu’à ceux qui croient correctement en
Lui, c’est-à-dire selon le mot de l ’Ecriture. Il ne veut pas qu’on croie en Lui
comme en un prophète. En fait, tous les prophètes ont prédit Sa venue.
Il ne veut pas non plus qu’o n Le considère comme un deuxième Élie ou
Jean Baptiste. Élie et Jean n’étaient que des serviteurs de Dieu et Ses
prédécesseurs. Lui-m êm e ne se donne pas le nom de serviteur de Dieu,
et ne se considère pas comme le prédécesseur de quiconque. L’Écriture
Sainte parle de Lui comme du Fils de Dieu, né de Dieu le Père dans
HOMÉLIE POUR LA PENTECÔTE 337
Seigneur Jésus n’avait pas encore été glorifié, Il ne s’était pas encore
sacrifié totalem ent pour le genre hum ain, Il n’avait pas encore achevé Son
œuvre comme Sauveur des hom mes. D ans l’économie du salut hum ain,
le Père possède la plénitude de l’action dans le m onde, quand II envoie
Son Fils œuvrer au salut des hom mes. Le Fils possède la plénitude de
l’action en accomplissant cette œuvre comme D ieu-hom m e, tandis que
le S aint-E sprit possède la plénitude de l’action en consolidant, illum i
nant et prolongeant l’œuvre du Fils. M ais il ne faut pas comprendre
cela comme si, quand le Père est à l’œuvre, le Fils et l’Esprit ne le sont
pas ; ou quand le Fils est à l’œuvre, le Père et le Fils ne le sont pas ;
ou quand l’Esprit est à l’œuvre, le Père et le Fils ne le sont pas. Des
conceptions aussi mauvaises et folles doivent vous être étrangères. En
effet, alors que le Fils était dans la plénitude de Son action sur terre, le
Père et le Fils agissaient avec Lui, comme cela a été dém ontré lors du
baptêm e dans le Jourdain et comme le Seigneur Jésus l’a dit L ui-m êm e:
M on Père est à l ’œ uvre jusqu'à présent et j ’œ uvre moi aussi (Jn 5, 17). Le
Père et le Fils agissent donc ensemble et sim ultaném ent. D e même,
le Saint-E sprit agit aux côtés et sim ultaném ent avec le Fils, comme le
m ontre la promesse du Seigneur Jésus qu’il enverra l’Esprit consolateur
aux disciples et qu’il restera avec eux pour toujours jusqu'à la fin de l ’âge
(M t 28, 20). La Divinité Trinitaire est une par essence et indivise, mais
dans Son rapport avec le monde créé, Elle exprime Son action tantôt
plus nettem ent à travers une hypostase divine, tantôt plus nettem ent à
travers une autre. Ainsi, lorsque le Seigneur Jésus a promis la descente
du S aint-E sprit sur les apôtres, le Saint-E sprit était en Lui, de sorte
qu’on peut dire que cette promesse est venue autant du Seigneur Fils
que du Seigneur S aint-E sprit Lui-m êm e.
Voyons m aintenant com m ent cette promesse s’e st réalisée, ou
com m ent s’est produite la descente du Seigneur Saint-E sprit à laquelle
nous consacrons cette célébration solennelle.
Le jour de la Pentecôte étant arrivé, ils (les apôtres) se trouvaient tous
ensemble dans un même lieu (Ac 2, 1). Selon le com m andem ent de leur
M aître, les apôtres se trouvaient à Jérusalem et attendaient d ’être revêtus
de la force d ’e n-haut (Le 24, 49) qui leur indiquerait ce qu’il fallait qu’ils
fassent par la suite. Ils se trouvaient tous ensemble, en prière, comme un
seul hom me, une seule âme. Le contenu de l’âme rend les âmes humaines
différentes ou semblables : mais le contenu de l’âme de tous les apôtres
en cet instant était unique et identique : leurs âmes étaient toutes entières
HOMÉLIE POUR IM PENTECÔTE 339
« D e même qu’une lampe, bien que pleine d ’huile et dotée d ’une mèche,
devient toute sombre si on ne la ranime pas avec du feu, de même l’âme
s’éteint et s’assombrit ‘si elle n’est pas touchée par la lumière et la grâce
du Saint-Esprit. » Avec le don des langues II a accordé aux apôtres le don
qui leur était le plus précieux à cette époque. Plus tard II allait, pour les
besoins du service apostolique, répandre en eux d ’autres dons : le don de
faire des miracles, le don de prophétie, le don de sagesse, le don d’élo
quence, le don d ’e ndurer les souffrances, le don de la paix intérieure, le
don de la certitude de la foi et de l’e spérance, le don de l’amour de Dieu et
celui d ’aimer les hommes. A bondam m ent et joyeusement, le Saint-Esprit
a attribué de tels dons non seulement aux apôtres mais aussi à tous les
saints de l’Eglise du C hrist jusqu’à nos jours, toujours selon les besoins et
la pureté de l’homme. Par Sa grande œuvre sur terre, le Seigneur Jésus a
apporté une grande joie au Père et au Saint-Esprit. Depuis les premiers
jours d ’Adam , le Saint-Esprit n’avait pas eu de joie comparable à celle
qu’il a eue le jour de la Pentecôte, quand le Seigneur Fils a rendu possible
que la plénitude de Sa puissance fut à l’œuvre parmi les hommes. En
vérité, Son action s’est poursuivie sans interruption dans le genre humain,
même enchaîné par le péché, depuis la chute d ’A dam jusqu’au C hrist
ressuscité, mais cette action était alors comprimée, empêchée par le
péché des hommes. C ’est un chemin étroit, très étroit, qu’il a suivi parmi
les hommes, versant de l’huile dans la veilleuse de la vie pour quelle ne
s’éteignît pas tout à fait. Il a agi aussi à travers les lois de la nature et les
lois des hommes, à travers les prophètes et les rois, les artistes et les sages,
dans la mesure où ces derniers pouvaient et voulaient tenir compte de
Son action. Chaque fois que dans la poussière terrestre une larme a été
versée dans l’attente de la justice divine, cela était le fait de la chaleur avec
laquelle II a réchauffé le cœur hum ain. Chaque fois qu’a jailli une pensée
lumineuse d ’un sage sur le Dieu unique et imm ortel, c’é tait une étincelle
déposée dans l’âme humaine. Chaque fois qu’un artiste a chanté, sculpté
ou peint une belle œuvre, contribuant ainsi quelque peu à ouvrir les yeux
de l’hum anité aveuglée sur la vérité divine, Il a ajouté Son souffle vivifiant
au souffle hum ain. Chaque fois qu’un preux chevalier s’est dressé, avec la
foi en Dieu et l’esprit de sacrifice, pour la défense de la justice et de la vérité
bafouées, Il a insufflé Sa force dans le cœur humain. M ais cela était sans
grande portée et sans grande joie. Ce n’étaient que des miettes jetées aux
prisonniers affamés dans les cachots. Q uand le Seigneur Jésus a détruit
la prison du péché et de la m ort et conduit devant le Saint-E sprit Ses
342 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Ses fils ; la nouvelle du Fils de Dieu qui est venu au monde comme un
hom me, a vécu avec les hommes, qui a souffert pour les hommes, qui est
ressuscité dans Sa puissance et s’est élevé dans la gloire ; la nouvelle du
Saint-Esprit qui est descendu sur eux et les a gratifiés de dons célestes ;
de notre demeure lumineuse et immortelle dans les deux, dont seul le
péché nous a éloignés ; de la pureté de la vie, qui nous est demandée afin
de pouvoir revenir dans notre demeure céleste et devenir des amis et des
frères des anges dans la vie éternelle. Certains ont cru à cette nouvelle
joyeuse, d ’autres n’y ont pas cru. Des apôtres de Dieu, se sont écoulés des
fleuves d ’eau vive à travers le monde entier. Certains s’en sont approchés
et ont bu cette eau vive, d’autres ne l’ont pas fait. Les apôtres ont cheminé
parm i les hommes comme des dieux, faisant des miracles, guérissant
toute maladie et toute infirmité et prêchant le repentir et le pardon des
péchés. Certains les ont accueillis avec joie, d ’autres les ont repoussés avec
fureur et dénigrement. Ceux qui les ont accueillis ont ressenti eux-mêmes
leur union avec le Saint-E sprit et l’action du Saint-Esprit en eux. C ’est
ainsi que s’est développé le peuple des saints et que l’Église de Dieu s’est
répandue et consolidée dans le monde. C ’est ainsi que la graine a poussé
et que le fruit a mûri. C ’e st ainsi que la demeure de la vérité, dont le
Seigneur Jésus est la pierre angulaire, a été sanctifiée par le Saint-Esprit,
se répandant aux quatre coins du monde et s’é levant en ses sommets
jusqu’aux hauteurs célestes suprêmes.
En célébrant aujourd’hui la fête du Saint-Esprit qui, par amour infini
envers le Seigneur Fils et avec une joie et une obéissance infinies, a bien
voulu descendre sur terre et prendre entre Ses mains toutes puissantes
l’œuvre du salut hum ain, souvenons-nous aussi dans nos chants de recon
naissance, de la Très Sainte Vierge M arie sur laquelle le Seigneur Saint-
Esprit est descendu avant de descendre sur les apôtres. Sur les apôtres, le
Seigneur Saint-Esprit est descendu en tant qu’Église, une assemblée de
saints spirituellement à l’unisson, alors qu’il est descendu sur la M ère de
Dieu en tant que personne tout particulièrement choisie. L ’E sprit Saint
viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te prendra sous Son ombre a dit
l’archange Gabriel à la Très Sainte Vierge (Le 1, 35), et par la force du
Saint-Esprit elle fit naître le fruit le plus beau, qui a parfumé le ciel et la
terre et dont se nourrissent tous les croyants, du début à la fin. Très Sainte
et Très Pure M ère de Dieu, aube et berceau de notre salut, qui es notre
modèle dans l’hum ilité et l’obéissance, notre protectrice en prière devant
le trône de Dieu, prie sans cesse pour nous, aux côtés des saints apôtres !
344 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
infligés par des hommes et affronter les intempéries ; être enchaînés ; être
poursuivis par les railleries et les jets de pierres; connaître la faim dans
les prisons ; endurer les transports sur les mers déchaînées, d ’un bout à
l’autre du m onde; être livrés aux bêtes sauvages pour être déchiquetés
et écartelés; voir le monde entier armé jusqu’aux dents contre eux, les
douze pêcheurs ; en vérité, oui en vérité, ils ont dû avoir quelque assis
tance invincible et mystérieuse, quelque nourriture qu’on ne porte pas à
la bouche pour se nourrir, mais une arme qu’on ne porte pas à la main
et qui est invisible aux forces armées de l’ennem i (2 C o 10, 4). Après
avoir bouleversé le monde entier par la prédication inouïe sur le Christ
ressuscité - sur Dieu, qui est apparu aux hom mes en chair, pour s’élever
ensuite à nouveau dans Son Royaume céleste - , et planté les semences
de la foi nouvelle, de la vie nouvelle, de la création nouvelle, ils ont quitté
ce monde. M ais ce n’est qu’alors que la terre commence à s’embraser à
leur suite : de leurs semences, de leurs paroles, de leurs traces de pas. Les
peuples qui les ont persécutés se sont dispersés à travers le m onde; les
monarchies qui se sont dressées contre eux sont tombées impuissantes
dans la poussière ; les foyers qui ne les ont pas accueillis se sont effondrés
en ruines ; les grands personnages et les esprits sages qui les ont suppliciés
ont vécu la honte et le désespoir et connu une m ort particulièrement
horrible. M ais leurs semences se sont développées et ont donné des fleurs.
L’Eglise s’édifie sur leur sang et les ruines des créations oppressives et
mensongères des hom m es; ceux qui les ont accueillis chez eux se sont
rendus célèbres ; ceux qui ont cru en eux et sont partis à leur suite ont été
sauvés. A h, que le Seigneur nourrit abondam m ent Ses ouvriers ! Com m e
Il ravitaille magnifiquement Ses fils fidèles ! Tel un grand chef militaire,
Il donne des armes à tous Ses soldats !
Le Seigneur ravitaille d’abord et arme Ses fidèles, puis les envoie au
combat. Le fait qu’il en soit ainsi, a été démontré par le C hrist pendant
Sa vie terrestre, ainsi que par l’histoire de l’Église après la descente de
l’Esprit Saint. Il est écrit dans l’Évangile que le C hrist appela à lui Ses
disciples et leur donna pouvoir sur les esprits impurs, defaçon à les expulser
et à guérir toute maladie et toute langueur (M t 10, 1). Puis II leur dit de
proclamer que le Royaume des d e u x est tout proche. Guérissez les malades,
ressuscitez les morts, purifiez les lépreux, expulsez les démons. Vous avez
reçu gratuitement, donnez gratuitement (M t 10, 7-8). Il leur donna donc
d ’abord le pouvoir, la puissance et la force, puis les envoya accomplir leur
tâche. Pour réaliser une œuvre aussi grande, les apôtres devaient posséder
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 347
une force très grande. Le fait qu’ils aient reçu effectivement cette force, se
voit dans les paroles du Sauveur L ui-m êm e: Vous avez reçu gratuitement.
Pour dém ontrer aux apôtres combien cette force divine est immense et
irrésistible et quelle sera toujours avec eux, le Seigneur leur commande
de partir en toute insouciance accomplir leur œuvre, n’em portant avec
eux ni or, ni argent, ni nourriture, ni deux tuniques, ni besace, ni sandales ;
de ne pas se m ettre en colère si on ne les reçoit pas ; de ne pas réfléchir
à l’avance à ce qu’ils diront devant les tribunaux. Après leur avoir donné
la force nécessaire, puis expliqué que cette force suffisait pour répondre
à tous les besoins et tous les tourm ents de la vie, il finit par leur décrire
ouvertement toutes les souffrances et les épreuves qui les attendaient.
Voici que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Puis II les
encourage de nouveau: Ne craignez rien! Vos cheveux même sont tous
comptés (M t 10, 28-30). La force divine aide même les passereaux. Elle
vous aidera encore plus.
Enfin, le Seigneur conclut l’évangile de ce jour par des paroles
énergiques qui exprim ent clairement ce qui attend ceux qui utilisent la
force donnée par D ieu pour faire le bien, et ce qui attend ceux qui n’en
font aucun usage ou essaient de l’utiliser pour faire le mal: Quiconque
se déclarera pour moi devant les hommes, moi aussi je me déclarerai pour lui
devant mon Père qui est dans les deux; mais celui qui m ’aura renié devant
les hommes, à mon tour je le renierai devant mon Père qui est dans les deux
(M t 10, 32-33). La première déclaration est une récompense au soldat
bon et fidèle qui a tenu et enduré ; la seconde est un châtim ent infligé
au mauvais soldat infidèle qui s’est laissé fléchir, s’est mis à douter et s’est
rendu à l’e nnemi. C ar peut-il y avoir de récompense plus grande pour un
hom m e que d’être reconnu comme Sien par le Seigneur C hrist dans le
Royaume des Cieux, devant le Père céleste et l’armée innombrable des
anges? D ’ê tre inscrit dans le livre éternel des vivants; d ’être couronné
d ’une gloire indicible et d ’être placé à Sa droite, dans l’assemblée céleste
et immortelle ? E t peut-il y avoir pire châtim ent pour un homme que
de se voir renié par le Seigneur C hrist et de L’entendre dire devant
l’assemblée de tous les anges et de tous les peuples, et en présence du Père
céleste: «Je ne te connais pas; tu n’es pas à m oi; tu ne figures pas dans
le livre des vivants ; éloigne-toi de moi ! » Le fait qu’il soit indispensable
de reconnaître et de confesser publiquem ent le nom du Seigneur Jésus,
comme il est indispensable de croire de tout cœur en Lui, est mentionné
par l’apôtre Paul: Si tes lèvres confessent que Jésus est Seigneur et si ton
348 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
cœur croit que Dieu L'a ressuscité des morts, tu seras sauvé (Rm 10, 9). Cela
signifie que nous sommes tenus, de toute notre âme et de tout notre cœur,
de confesser le Seigneur Jésus. Com m e l’hom m e se compose de l’âme et
du cœur, il est nécessaire que l’hom m e tout entier confesse Celui qui est
venu sauver l’hom m e tout entier.
Qui aime son père ou sa mère plus que moi nestpas digne de moi. Qui aime
sonfils ou safille plus que moi nestpas digne de moi (M t 10,37). Ces paroles
étranges ne peuvent être dites que par Celui qui a plus de mérites pour
ta vie que ton père ou ta mère. Seul peut parler ainsi Celui qui t ’aime
davantage que ton père ou ta mère ; Celui qui aime ton fils et ta fille plus
que toi-m êm e tu peux les aimer. Ton père et ta mère ne t ’ont fait naître
que pour vivre cette vie passagère, tandis que Lui te fait naître pour avoir
la vie éternelle; ton père et ta mère t ’ont fait naître pour endurer des
souffrances et des humiliations, tandis que Lui te fait naître pour la joie
éternelle et la gloire éternelle. E n outre, ton père et ta mère prennent
auprès de Lui pour te donner. Ton père et ta mère te préparent de la
nourriture, tandis que Lui te perm et de respirer. Q u ’est-ce qui est plus
im portant : se nourrir ou respirer ? Ton père et ta mère t ’o nt permis d’être
vêtu, tandis que Lui t ’a revêtu d ’un cœur. Q u ’est-ce qui est plus indispen
sable ? le vêtem ent ou le cœur ? C ’est Lui qui t ’a amené dans ce monde ;
ton père et ta mère sont la porte par laquelle II t ’a introduit. Q u ’est-ce qui
a plus de m érite : celui qui t ’amène dans une ville, ou la porte par laquelle
tu pénètres dans cette ville ?
Bien entendu, le Seigneur n’e xclut pas l’am our pour les parents et la
famille, que nous devons avoir pour l’ensemble de nos proches, et qui
nous a été prescrit dans l’un des deux principaux com m andem ents du
C hrist. Le Seigneur Lui-m êm e a exprimé Son amour envers Sa Très
Sainte M ère, même sur la Croix, lui désignant son apôtre bien-aim é
Jean, comme étant Son fils à la place de Lui-m êm e. M ais il prononce
les phrases citées ci-dessus à propos des persécutions et des supplices qui
attendent Ses apôtres. Leur père et leur mère prendront peur; leurs fils et
leurs filles prendront peur et diront aux apôtres du C hrist : renie le C hrist
et vis paisiblement avec nous et ne sors pas de chez toi. Vis comme les
autres hommes ; ne t ’occupe pas de la foi nouvelle ! Elle peut te séparer de
nous et te conduire au supplice. Q ue ferons-nous alors ? O n pourra nous
faire souffrir de faim et nous rouer de coups ; on pourra même nous tuer.
Est-ce que nous t ’avons fait naître, diront leur père et leur mère, pour
souffrir d ’am ertum e au m om ent de notre vieillesse ? Est-ce que tu nous a
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 349
fait naître, diront leurs fils et leurs filles, pour subir des railleries de la part
de nos camarades, être persécutés et pourchassés, et peut-être finalement
tués? Si tu nous aimes, abandonne le C hrist et vis avec nous dans la
paix et la sérénité. Voilà, c’e st dans de tels m om ents décisifs, que l’apôtre
doit choisir: qui lui est plus proche et qui aim e-t-il davantage, le Christ
ou ses parents? le C hrist ou ses propres enfants? D e ce choix dépend
toute son éternité, mais aussi l’é ternité de sa famille. Jamais dans la vie,
l’hom m e ne sera placé devant un dilemme plus terrible ; il ne peut mettre
un pied dans un chemin et l’autre dans l’autre. D ans cet instant, l’homme
ne peut diviser son cœ ur; il doit le donner à l’un ou à l’autre. S’il offre
son cœur au Christ, il pourra être sauvé ainsi que sa famille ; s’il offre son
cœur à son père et à sa mère, à son fils et à sa fille, il se perdra sûrement
lui-m êm e ainsi que sa famille. S’il a renié le C hrist devant le monde, il
sera lui aussi renié par le C hrist lors du Jugem ent dernier, devant le Père
céleste et toutes les armées des anges et des saints. La difficulté de ce
m om ent décisif, le Seigneur l’a prédit aux apôtres en disant : On aura pour
ennemis les gens de sa fam ille (M t 10, 36) ; leur famille les retiendra, plus
que quiconque, pour ne pas suivre le C hrist et les jugera très sévèrement
s’ils le font. En vérité, ce ne sont pas nos ennemis qui nous lient à ce
monde, mais nos amis, non des étrangers mais des parents. Afin de rendre
la séparation avec leur famille plus facile et afin d ’apaiser la conscience
de ceux qui veulent quitter tous les leurs pour Le suivre, le Seigneur leur
dit par avance de ne se soucier de rien, à l’instar des passereaux qui ne se
soucient de rien. Q ue Ses disciples ne se soucient pas de savoir qui va,
en leur absence, nourrir et vêtir les membres de leur famille. Ils seront
nourris et vêtus par Celui qui nourrit et habille les passereaux. Sans que
le Père céleste le veuille et le sache, pas un seul passereau ne peut tomber
par terre. Com m e si le Seigneur voulait dire : rien ne peut arriver à votre
famille et à vous-même sans que le Père céleste le veuille et le sache. Pour
les membres de votre famille, comme pour vous-même, les cheveux même
sont tous comptés. Vous pouvez donc les laisser et partir à ma suite. En fait,
même quand vous êtes avec eux, ce n’est pas vous qui prenez soin d ’eux,
mais Dieu. D e même, c’est D ieu qui prendra soin d ’eux, en votre absence.
Ici, le père et la mère, lesfils et lesfilles, ont une signification intérieure.
Les mots de père et de mère désignent nos maîtres et guides spirituels,
dont l’enseignement mensonger forge en nous un état d ’esprit contraire
au C hrist et à l’Evangile. Il s’agit de nos parents spirituels. Ils nous
enseignent la sagesse terrestre, qui sert plus au corps qu’à l’âme, et nous
350 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
les saints de Dieu : leur postérité spirituelle est devenue aussi nombreuse
que les étoiles du ciel et que le sable qui est sur le bord de la mer (G n 22,17).
Des saintes, des martyres et des jeunes vierges ne sont-elles pas devenues
des mères et des filles spirituelles pour d ’innombrables fidèles qui, grâce
à leur exemple, ont suivi le C hrist ? Les apôtres et les saints n’o nt-ils pas
aujourd’hui sur terre, comme tout au long de l’histoire de l’Église du
Christ, d ’innombrables enfants spirituels et d ’innombrables épouses
spirituelles ? Après qu’eux-mêmes aient quitté leurs foyers et leurs pays,
est-ce que tous les foyers des fidèles ne sont pas devenus leurs foyers,
et tous les pays leurs propres pays ? E n quittant peu de choses - même
au début de leur mission apostolique - ils ont tous reçu beaucoup; ils
n’étaient pas pauvres et nul n’é tait dans le besoin (Ac 4, 34). La filiation
spirituelle est plus riche que la filiation charnelle. Le gain spirituel est
plus grand que le gain physique. C ’est pourquoi le Seigneur ajoute que
tous ceux qui Le suivent, auront en héritage la vie éternelle.
Au sens profond, le foyer désigne l’âme ancienne, pécheresse; les
frères et sœurs, le père, la mère et l’é pouse symbolisent nos attachem ents
terrestres ; les enfants désignent nos activités pécheresses alors que la terre
symbolise tout le m onde sensible, avec notre propre corps. Quiconque
laisse tout cela pour le Christ, recevra cent fois plus et mieux que ce qu’il
avait. E t par-dessus tout, la vie éternelle.
Le Seigneur utilise le nombre cent parce qu’il symbolise la plénitude
de tous les nombres, m arquant ainsi toute la plénitude des dons que les
fidèles vont recevoir. Ce ne sont pas des centaines, mais des centaines
de milliers d’hom mes et de femmes qui ont laissé tout ce qu’ils avaient
et reçu tout ce qu’o n vient d’évoquer. C ’e st à eux qu’est consacrée cette
journée de dim anche: le dimanche de tous les saints. Certains saints
disposent de jours de célébration spécifiques dans l’année ; ce sont les
saints les plus célèbres. M ais il existe à leurs côtés, un nombre immense
de saints, qui sont restés cachés aux yeux des hommes, mais qui ne sont
pas moins connus du Dieu vivant et omniscient. Ils constituent l’Église
du C hrist qui a triom phé et s’est distinguée ; ils sont en contact très étroit
avec nous, qui formons sur la terre l’Église combattante, militante. À
travers ces saints, le Seigneur brille comme le soleil à travers les étoiles.
C ar ils sont les membres vivants du Corps du Christ (Ep 5, 30). Ils sont
vivants, puissants et proches de Dieu. M ais ils sont tout aussi proches
de nous. Ils ne cessent d ’observer la vie de l’Église sur terre; ils nous
suivent attentivement, de la naissance à la m ort ; ils entendent nos prières,
354 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
connaissent nos tourm ents, nous assistent avec leur force et leurs prières,
qui s’élèvent comme l’e ncens vers les hauteurs des anges jusqu’au trône
de D ieu (Ap 8,3-4). Ce sont les grands martyrs pour le Christ, les saints
et les pères théophores, les pasteurs et les docteurs de l’Eglise, les pieux
rois et reines qui ont défendu l’Église de D ieu contre les persécuteurs, les
confesseurs et les ermites, les ascètes et les anachorètes, les stratilates et
les fols-en-Christ, en un mot, tous ceux pour qui l’am our pour le C hrist
a laissé dans l’ombre tout autre am our sur terre et qui au nom du Christ,
ont tout laissé et tout enduré jusqu’à la fin, ce qui leur a permis d’être
sauvés et d’en sauver d ’autres avec eux. A ujourd’hui encore, ils nous aident
afin que nous soyons sauvés ; car en eux, il n’y a ni égoïsme, ni jalousie : ils
se réjouissent que le plus grand nombre d ’hom mes et de femmes soient
sauvés et accèdent à la gloire où ils se trouvent. Eux tous ont triomphé
par la foi. Eux tous ont éteint la force enflammée qui, sous la forme de
passions, consume les êtres hum ains impuissants. N om bre d ’e ntre eux
subirent l'épreuve des dérisions et des fouets, et même celle des chaînes et de
la prison. Ils ont été lapidés, sciés, ils ont péri par le glaive [...] eux dont le
monde était indigne, errant dans les déserts, les montagnes, les cavernes, les
antres de la terre (H e 11, 36-38). M ais cette vie est un examen dans les
actes, et les récompenses se donnent dans l’autre monde. Eux ont passé
l’examen brillam m ent et viennent m aintenant nous aider afin que nous
ne soyons pas déshonorés, mais passions l’examen comme eux, afin d ’être
au Royaume de D ieu semblables à eux. En vérité, D ieu est merveilleux et
extraordinaire dans Ses saints !
Ce dimanche, dédié par l’Église à la comm émoration de tous les saints,
a été placé intentionnellem ent au premier dimanche après la célébration
de la Descente de l’Esprit Saint, afin de nous instruire, afin que nous
apprenions que tous les saints, comme les apôtres, se sont m ontrés de
très grands héros dans l’histoire du genre hum ain, non pas tant par leur
force que grâce à l’aide de la force bienfaisante du Saint-Esprit. Ils ont été
nourris par le pain de Dieu, ravitaillés par la Providence divine, armés par
les armes de Dieu. C ’est pourquoi ils ont pu persévérer dans le combat,
tout endurer et triom pher de tout. L’exemple des apôtres comme celui de
tous les saints nous révèle clairement une grande et douce vérité, qui est
que Dieu n’e nvoie pas Ses serviteurs sur le terrain sans nourriture, ni Ses
ouvriers dans les champs sans outils, ni Ses soldats au combat sans armes.
Gloire et merci au Seigneur Très-H aut, qui a célébré Ses saints dans la
victoire et qui a été célébré à travers eux !
HOMÉLIE POUR LE PREMIER DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 355
bienfaisante. Je puis tout en Celui qui me rend fo r t (Ph 4, 13), dit l’apôtre
Paul. Disons, nous aussi, la même chose : nous pouvons tout, Seigneur
Tout-puissant, par Toi et par Ta force toujours présente en nous. Nous
ne pouvons rien par nous-mêmes, sinon comm ettre le péché. Nous avons
faim sans Toi, qui es notre maître de maison. Nous sommes nus sans Toi,
notre Père. Nous sommes désarmés et sans forces sans Toi, qui es notre
général-en-chef. M ais avec Toi, nous avons tout et nous pouvons tout,
ô notre Sauveur victorieux. Reconnaissants pour tout, nous Te prions :
ne T ’é loigne pas de nous et ne nous prive pas de Ton aide jusqu’à la fin
de notre vie. Gloire à toi, Seigneur Jésus, avec le Père, Trinité unique et
indivise, m aintenant et pour toujours, à travers tous les tem ps et toute
l’éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE D E U X IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA P E N T E C Ô T E
avec des rois, mais avec des pêcheurs ! Com m e il est bon et salvateur pour
nous, qui vivons deux mille ans après Son œuvre sur la terre, qu’il n’ait
pas vu le succès final de Son labeur, ni récolté les fruits de Son labeur
pendant Sa propre vie! Il n’a pas voulu, comme le géant, transplanter
tout à coup un arbre majestueux, mais II a souhaité planter la semence
de l’arbre profondém ent dans les ténèbres souterraines, puis s’é loigner
vers Sa maison. C ’est ce qu’il fit. Ce n’est pas seulement dans la nuit des
simples pêcheurs de la mer de Galilée que le Seigneur a planté la semence
de l’Arbre de vie, mais II l’a fait jusque dans la nuit de l’Hadès, avant de
s’éloigner. L’arbre a poussé lentem ent, très lentem ent. Des vents fréné
tiques l’ont fait tanguer, afin de le casser, mais en vain. Des adversaires
ont eu beau couper l’arbre jusqu’au sol, les racines n’ont cessé de générer
de plus en plus de pousses; au fur et à mesure qu’on le coupait, l’arbre
s’est développé de plus en plus obstiném ent et rapidement. Les forces
démoniaques creusaient profondém ent sous terre, plus profondém ent
que les catacombes, pour arracher les racines; mais plus on secouait
l’arbre, plus ses racines devenaient résistantes et ses bourgeons de plus
en plus nombreux et ses pousses luxuriantes. C ’e st pourquoi l’arbre du
C hrist, qui a été planté d’une manière divine et non humaine, fleurit et
donne des feuilles aujourd’hui encore, après deux mille ans, et apporte de
doux fruits pour les hommes et les anges, et étincelle de fraîcheur et de
beauté comme s’il avait été planté il y a un siècle.
Si le Seigneur C hrist avait agi à la manière des hom mes, Il se serait, en
vérité, illustré beaucoup plus rapidem ent parmi les hommes, mais nous
n’aurions pas été sauvés. Il ne recherchait pas la gloire des hommes, autour
de laquelle on fait du bruit aujourd’hui et qu’on jette au feu demain ; Il
ne recherchait pas la gloire des hommes, mais leur salut. Il n’e st pas venu
parm i les hommes comme un géant de foire, pour faire étalage de Sa
force et de Son adresse afin que les hommes l’applaudissent; mais II est
venu comme un ami et un médecin à l’hôpital, afin de nous rendre visite,
parler avec nous et nous proposer un conseil et un remède. C ’est pourquoi
il est bon pour l’hum anité que, depuis le com m encem ent jusqu’à la fin
des temps, le Seigneur ait agi à la manière de Dieu et choisi pour être Ses
apôtres, non douze grands monarques, mais douze humbles pêcheurs. La
manière dont II les a choisis, c’e st ce dont parle l’é vangile de ce jour.
Comme II cheminait sur le bord de la mer de Galilée, I l v it deux frères,
Simon, appelé Pierre, et André son frère, qui jetaient l'épervier dans la mer;
car c'étaient des pêcheurs (M t 4,18).
360 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
mal, alors D ieu nous quitte com plètem ent et Satan devient notre maître.
Il en a été ainsi avec le traître Judas : quand son cœur s’est totalem ent
tourné vers le mal et a choisi de suivre la voie sombre de la déchéance, le
C hrist n’a plus essayé de le faire revenir de cette voie ; au contraire, voyant
que Satan s’était déjà glissé dans Judas, le Seigneur lui dit: Ce que tu fais,
fais-le vite! (Jn 13,27). Ainsi, ni en ce qui concerne Pierre et André, ni en
ce qui concerne Judas, le Seigneur ne porte atteinte à la liberté de choix
individuel, n’intervenant qu’après que les hom m es ont clairement choisi
le bien ou le mal ; 11 dit résolument à Pierre et A ndré : Venez à ma suite, et
à Judas : Ce que tu fais, fais-le vite!
E tje vousferai pêcheurs d'hommes. Cela signifie : de même que vous avez
jusqu’à présent pêché avec vos filets des poissons dans les profondeurs
et les ténèbres des eaux de la mer, de même vous allez dorénavant avec
m on Evangile devenir des pêcheurs d’hommes dans les profondeurs et
les ténèbres de ce monde. Tout ce qui est bon restera dans ces filets ;
mais tout ce qui est mauvais, soit ne pourra entrer dans ces filets, soit en
tombera.
Ayant entendu l’appel du Christ, Pierre et André, aussitôt, laissant les
filets, Le suivirent. Vous rendez-vous compte que les cœurs de ces deux
frères avaient déjà fait le choix du bien ? Ils ne dem andent pas : O ù nous
am ènes-tu? C om m ent allons-nous nous nourrir? E t qui va nourrir nos
familles ? C ’est comme si toute leur vie durant, ils n’avaient attendu que
cet appel. Tels des enfants, ils confient naïvement tous leurs soucis à
D ieu ; ils quittent tout et répondent à l’appel du Christ.
E t avançant plus loin, I l v it deux autresfrères, Jacques, fils de Zébédée, et
Jean son frère, dans leur barque, avec Zébédée leur père, en train d ’arranger
leurs filets; et II les appela. Eux, aussitôt, laissant la barque et leur père, Le
suivirent (Jn 4, 21-22). D e nouveau, il ne s’agit pas de deux rois, mais
de deux pêcheurs ! Ils ne portent pas de couronne royale sur la tête, mais
possèdent un cœur de roi en eux-mêmes. C ’e st ainsi que le Seigneur
rassemble des perles au milieu des ténèbres. C ’e st ainsi qu’il choisit des
petits et des incultes, afin qu’avec eux II fasse honte aux puissants et aux
sages; le Seigneur choisit les pauvres, afin qu’avec eux II fasse honte
aux riches. Com m e Jacques et Jean sont pauvres ! Les voilà en train de
recoudre leurs filets avec leur père ! M ais leur âme est riche de la faim
et de la soif de D ieu; leur cœur est tourné vers le bien et attend. C ’est
pourquoi, dès que le C hrist les appelle, ils abandonnent à l’instant même
leur occupation, leur barque, leur père et les filets, et partent à Sa suite.
HOMÉLIE POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 363
D e tous les hom mes vivant sur terre, l’hom me qui se dit chrétien
assume la plus grande responsabilité devant Dieu. C ar c’est à cet hom me
que D ieu a donné le plus et c’est avec lui qu’il sera le plus exigeant. Aux
peuples qui se sont éloignés de la révélation divine originelle, D ieu a laissé
la nature et l’intelligence ; la nature comme livre et l’intelligence comme
fil conducteur de ce livre. Aux chrétiens, outre la nature et l’intelligence,
on a rendu la révélation originelle de D ieu et on a donné une nouvelle
révélation de la vérité à travers le Seigneur Jésus-C hrist. E n outre, les
chrétiens disposent de l’Église qui est le gardien, l’interprète et le guide
dans l’une et l’autre révélation ; enfin les chrétiens disposent de la force
du Saint-E sprit qui, dès l’origine, vivifie l’Église, instruit et guide. Ainsi,
alors que les non-chrétiens ne disposent que d ’un talent, l’intelligence, qui
les mène et les instruit dans le livre de la nature, les chrétiens disposent
de cinq talents : l’intelligence, l’ancienne révélation, la nouvelle révéla
tion, l’Église et la force du Saint-Esprit. Q uand le non-chrétien scrute
la nature pour la lire et l’interpréter, une seule bougie brille devant lui,
l’intelligence ; quand un Ju if scrute la nature pour la lire et l’interpréter,
deux bougies brillent devant lui, l’intelligence et l’ancienne révélation;
mais quand le chrétien scrute la nature pour la lire et l’interpréter, cinq
bougies brillent devant lui : l’intelligence, l’ancienne révélation, la nouvelle
révélation, l’Église et la force du Saint-Esprit. Q ui est donc en mesure de
mieux voir et de mieux lire : un hom m e avec une bougie, un hom m e avec
deux bougies ou un hom m e avec cinq bougies ? Il est indiscutable que
chacun d ’eux saura lire jusqu’à un certain point, mais il est encore plus
indiscutable que l’hom m e disposant de cinq bougies sera capable de voir
plus loin et de lire plus aisément que les deux premiers. Q uand l’homme
366 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
placé dans une lumière cinq fois plus puissante voit ses cinq bougies
s’éteindre, il se trouve dans une obscurité plus grande que celui qui, ne
disposant que d ’une bougie, voit celle-ci s’éteindre. En effet quand la
même obscurité entoure deux hommes, elle paraît plus sombre à celui qui
s’e st retrouvé dans l’obscurité en venant d’un espace plus lumineux. Mais
même ceux qui ne disposent que d ’une seule bougie, c’est-à-dire avec leur
seule intelligence pure et non enténébrée, sont en mesure de se faufiler à
travers le sombre défilé de cette vie vers la grande lumière de Dieu ; mais
c’est plus facile pour ceux qui disposent d ’un chandelier orné de cinq
bougies. Q uand ceux qui, chem inant avec une bougie, n’ont pas d ’excuse
s’ils se détournent de la route et se perdent dans l’obscurité (Rm 1, 20),
quelle excuse devant Dieu auront ceux à qui Dieu a donné cinq bougies
et qui se détournent néanmoins de la route et se perdent dans l’obscurité ?
E n vérité, de tous les hom mes sur terre, la plus grande responsabilité
devant Dieu est celle de l’hom m e qui se dit chrétien.
D ans l’évangile de ce jour, le Seigneur Jésus révèle des vérités simples
et claires, que nombre d’entre nous, pour ainsi dire, foulent chaque jour
aux pieds sans les voir; des vérités si simples et claires que l’hom m e est
en mesure, avec une seule bougie, la pure intelligence donnée par Dieu,
de voir et de reconnaître.
Le Seigneur s’e xprime en ces term es: La lampe du corps, c'est l'œil. Si
donc ton œil est sain, ton corps tout entier sera lumineux. Mais si ton œil est
malade, ton corps tout entier sera ténébreux (M t 6, 22-23). Les yeux sont
les fenêtres du corps, à travers lesquels le corps connaît la lumière, reçoit
la lumière et reconnaît tout dans la lumière. M ais si cette fenêtre est
obstruée, le corps devient une prison terrible. Les yeux sont le guide du
corps ; tant que ce guide chemine en avant vers la lumière, le corps se
déplace correctement et ne s’égare pas en dehors de la route; les pieds
avancent comme il faut, les mains agissent comme il faut, et chaque
organe du corps accomplit sa fonction comme il faut. M ais si le guide
se retrouve dans l’obscurité, dans quelles ténèbres se retrouve celui qui
était guidé ! Si les yeux s’éteignent et cessent d'éclairer le corps, que dire
de la masse insensée d’obscurité que représente le corps ! Alors tous les
chemins se ferm ent pour le corps : les pieds, soit ne m archent pas comme
il faut, soit vont là où il ne faut pas ; les mains, soit ne font rien, soit
agissent comme il ne faut pas; chaque organe du corps accomplit son
rôle de façon erronée. Le pied piétine, en essayant ainsi de remplacer
la vision assombrie; la main tâtonne, en essayant ainsi de remplacer
HOMÉLIE POUR LE TROISIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 367
qu’il a la pensée du C hrist! Heureux celui qui a rejeté son esprit mortel,
ondoyant et terrestre, pour le remplacer par l’esprit robuste du Christ !
C et hom m e sera rempli d’une lumière indicible ; il verra tout l’univers
qui nous entoure plongé dans une lumière immense, comme Moïse a vu
le Buisson ardent. C et homme traversera aisément les méandres de cette
vie, car son parcours sera éclairé par le plus grand luminaire, le regard le
plus perspicace, l’esprit le plus pur. Le Seigneur a dit en effet: Moi, je suis
la lumière du monde. Qui me suit ne marchera pas dans les ténèbres (Jn 8,12).
Le C hrist est notre lumière ; le C hrist est l’œil de notre vie. Celui qui veut
connaître la vie et voir la route de la vraie vie doit regarder à travers cet
œil. Tout autre œil est plus ou moins défectueux, obscurci et sali ; comme
une lunette, il agrandit ou rétrécit, rapproche ou éloigne les objets. Ce
n’est qu’à travers l’œil du C hrist que tout se voit en vérité, au ciel et sur
terre, dans l’hom m e et dans les choses. C ’e st pourquoi ceux qui auront le
plus de difficultés à répondre devant Dieu seront ceux à qui il a été donné
de tout voir à travers l’œ il du Christ et qui ne l’o nt pas fait.
N u l ne peut servir deux maîtres: ou il haïra l ’un et aimera l ’autre, ou il
s'attachera à l ’un et méprisera l ’autre. Vous ne pouvez servir Dieu et l ’argent
(M t 6, 24). E st-il possible que deux roues d’un véhicule roulent vers
l’avant et que les deux autres roulent vers l’arrière ? Est-il possible qu’un
hom m e regarde d ’un œil vers l’e st et de l’autre vers l’ouest ? Est-il possible
de marcher d ’un pied vers la droite et de l’autre vers la gauche ? Ce n’est
pas possible. De même n’est-il pas possible d’aller à la rencontre de Dieu
tout en restant dans l’étreinte de ce monde. L’homme ne peut servir
Dieu et le péché ; soit il haïra Dieu et aimera le péché, soit l’inverse : il
aimera Dieu et haïra le péché. Afin de souligner cette vérité encore plus
fortem ent, le Seigneur la répète avec d ’autres mots : ou il s'attachera à l'un
et méprisera l'autre. Si on s’attache à Dieu, on ne peut s’attacher aussi à
l’e nnem i de Dieu. O r aimer ce monde, c’est être adversaire de Dieu. Dieu
nous demande tout notre cœur et c’e st pourquoi II nous propose toute Sa
puissance et tous Ses dons. Puisque le Seigneurparcourt desyeux toute la terre
pour affermir ceux dont le cœur est tout entier tourné vers L ui (2 Ch 16, 9) ;
tout entier, c’e st-à-dire pur et vide de toute foi dans ce monde, tout espoir
en ce monde, tout amour envers ce monde, mais rempli de foi, d’e spoir
et d ’amour uniquem ent dans le Seigneur vivant et immortel. Celui qui
s’attache au Seigneur peut en vérité éprouver du mépris envers les attraits
et plaisirs mortels, trompeurs et périssables de ce monde. À l’inverse, celui
qui s’abandonne complètem ent aux espoirs fallacieux et aux promesses de
370 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
d ’un seul instant le tem ps passé sur cette terre? Seigneur, dit le roi David,
Fais-moi savoir quelle est la mesure de mes jours (Ps 39, 5). Ne meurent-
ils pas aussi, ceux qui m angent et boivent beaucoup comme ceux qui
m angent et boivent peu ? E t les gloutons ne meurent-ils pas plus vite que
les ascètes ? E t ceux qui m angent et boivent beaucoup, s’élèvent-ils d’une
coudée au-dessus des autres ? M ais comme on ne peut, en dépit de toute
l’attention portée à la nourriture et à la boisson, ajouter un seul centimètre
à sa taille, ni prolonger d ’un instant la longueur de sa vie terrestre, on peut
délaisser toute préoccupation superflue au sujet de son corps et ne se
soucier que de l’âme avec laquelle, lors de la décomposition charnelle, on
se présentera devant Dieu.
E t du vêtement, pourquoi vous inquiéter ? Observez les lis des champs,
comme ils poussent: ils ne peinent ni nefilent. Orje vous dis que Salomon lui-
même, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l'un d ’eux (Mt 6,28-29).
T out d ’abord, le Seigneur a pris l’exemple des oiseaux, afin de faire honte
à ceux qui prennent trop soin de leur corps. E t maintenant II se réfère à
des créatures de D ieu encore plus petites, aux fleurs des champs, afin que
leur exemple fasse honte à ceux qui prennent trop soin de leur tenue. Mais
pourquoi le Seigneur désigne-t-Il les lis et non d’autres fleurs que Dieu
a dotées d ’une splendeur non moins grande que celle des lis? D ’abord
parce que la blancheur des lis, qui symbolise la pureté, se distingue de
toutes les autres fleurs des champs. Jean le devin a vu le Fils de Dieu dans
le ciel comme un Agneau au milieu d ’une foule immense, peuple de justes
vêtus de robes blanches (Ap 7, 9-15). Puis parce que le Seigneur a voulu
confronter la beauté de ces fleurs avec celle du roi Salomon dont on dit
qu’il portait volontiers des tenues blanches. Enfin, le Seigneur compare
les lis avec Salomon parce que ce dernier était le souverain le plus riche et
le plus glorieux de son temps. E t voici que le sage et riche roi Salomon,
en dépit de toute sa volonté et de ses efforts pour s’habiller le mieux
possible, fut incapable de s’habiller comme Dieu peut vêtir l’herbe la plus
insouciante des champs. Toute la sollicitude des hommes ne peut donc
accomplir ce que D ieu accomplit avec Sa force. Que si Dieu habille de la
sorte l ’herbe des champs, qui est aujourd’h ui et demain sera jetée au jour, ne
fe ra -t-il pas bien plus pour vous, gens de peu defo i ? (M t 6, 30) Et si le lis
est une fleur aussi belle, il n’est en fait rien d’autre qu’une herbe ordinaire,
qui fleurit aujourd’hui et se consume demain dans le feu. Gens de peu
de foi, Dieu va-t-Il m ettre autant de soin à vêtir une herbe des champs,
immobile et anonyme, et vous laisser marcher tout nus ? Gens de peu de
374 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
foi, souvenez-vous en, plus vous prenez soin de vous-même, moins Dieu
prendra soin de vous !
D e nouveau le Seigneur nous commande de ne pas nous préoccuper de
ce que nous mangeons, de ce que nous buvons et de ce que nous portons
sur nous. Il nous le répète afin de nous déshabituer de nos préoccupations
superflues, qui assombrissent notre regard spirituel, aveuglent notre esprit
et nous laissent dans les ténèbres de ce monde, entre les mains d ’un maître
malfaisant, M am m on, éloignés et étrangers à Dieu.
Lors donc que nous avons nourriture et vêtement, sachons être satisfait,
dit l’apôtre Paul (1 Tm 6, 8). Cela signifie que, quand on dispose de ce
dont on a besoin - et dont D ieu prend soin - il ne faut pas rechercher
davantage, car l’attention accordée au superflu comme au lendem ain
finira par nous m ettre au service du diable. Le Seigneur Lui-m êm e nous
enseigne à ne dem ander dans notre prière à D ieu que notre pain quoti
dien (M t 6, 11), ce qui inclut le pain spirituel avec lequel les hommes
vivent précisément. A Dieu, nous ne devons dem ander aucun luxe ni
aucun superflu pour notre corps. C ar c’e st ce que les athées dem andent,
c’est-à-dire ceux qui ne connaissent pas le D ieu véritable, Sa puissance
infinie et Son amour, ni la valeur de l’âme imm ortelle de l’hom me,
ni la beauté et les douceurs du Royaume de D ieu et de Sa justice ; ils
recherchent en fait plus que ce dont ils on t besoin. D ieu leur accorde
selon leurs souhaits et ne leur reste redevable ni dans ce m onde, ni dans
l’autre ; ils reçoivent toute leur récompense ici sur cette terre, comme les
oiseaux du ciel et les fleurs des champs. C ar toute la gloire des oiseaux
du ciel est contenue dans leur vie terrestre ; comme toute la beauté des
fleurs des champs correspond à leur beauté instantanée. M ais pour Ses
fils, D ieu a préparé le Royaume céleste depuis la création du monde
ainsi qu’une gloire indicible au sein de ce Royaume. Pour l’hom me, par
conséquent, la gloire ne consiste pas dans la nourriture, la boisson et la
tenue. C ar si telle était la gloire de l’hom me, il serait mille fois mieux
nourri, abreuvé et vêtu dans cette vie-ci que toutes les autres créatures
existant sur terre, dans l’air et dans l’e au. C ’est pourquoi le roi Salomon
lui-m êm e, dans toute sa gloire, était plus mal vêtu que les lis des champs,
afin que les gens voient que leur gloire ne réside pas dans le luxe de leurs
tenues mais dans quelque chose de plus élevé et de plus durable et afin
qu’ils détournent leurs regards et leurs coeurs de la gloire éphémère de
ce m onde et recherchent pour eux-mêmes cette gloire qui leur a été
destinée et promise par Dieu.
HOMÉLIE POUR LE TROISIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 375
Cherchez d'abord. Son Royaume et Sa justice, et tout cela vous sera donné
par surcroît (M t 6, 33). Ce qui signifie qu’il ne faut pas dem ander un fil à
Celui qui peut vous accorder l’habit royal ; et ne mendiez pas des miettes
tombées de la table de Celui qui souhaite vous installer à Sa table royale.
Il est le Roi et vous êtes Ses enfants. D em andez ce qui convient aux
enfants de roi, c’e st-à-dire ce que vous avez possédé jadis puis perdu à
cause de vos péchés. D em andez un trésor que les mites ne peuvent ronger,
que la rouille ne peut abîmer et que les voleurs ne peuvent dérober. Si
vous vous rendez digne de recevoir ce qui est le plus grand, à coup sûr
vous obtiendrez aussi le plus infime. D em andez le Royaume de Dieu, où
Dieu Lui-m êm e est assis sur son trône et règne (Ps 102,19); demandez
le Royaume où les justes resplendissent comme le soleil (M t 13, 43) et où il
n’y ni maladie, ni lam entation, ni soupirs, ni mort. Ne soyez pas comme
le fils prodigue qui, après s’être éloigné de son père, aurait bien voulu se
remplir le ventre des caroubes que mangeaient les cochons (Le 15, 16), mais
dem andez seulement à revenir dans la demeure de votre père céleste où
régnent justice, paix et joie dans l'Esprit Saint (Rm 14, 17). Ne soyez pas
comme Esaü, qui a vendu sa dignité pour un plat de lentilles (G n 25,34).
Allez-vous, vous aussi, donner le Royaume éternel et la béatitude pour
un plat de lentilles, comme ce monde vous le propose ? Q ue le Seigneur
Dieu par Sa miséricorde vous préserve d ’une telle honte et d ’une telle
hum iliation. Q u ’Il perm ette à votre regard spirituel de ne pas s’o bscurcir
et de ne pas se laisser séduire par le M am m on malfaisant de la corruption
et des illusions terrestres. Q u ’Il vous ramène à la raison afin de vous
com porter en fils de roi, qui ont perdu leur royaume mais qui ne pensent à
rien et ne se soucient de rien d ’autre que de leur retour dans leur royaume.
Sur une église en Syrie, fondation pieuse de l’empereur Justinien, se
trouvent gravés ces mots que ce souverain lui-m êm e a fait écrire: Ton
règne, Christ Dieu, un règnepour tous les siècles (P's 144,13). Q ue le Seigneur
nous aide pour que notre quête du C hrist fasse graver ces mots dans
nos cœurs. Tout le reste est superflu et peu im portant. Tous les royaumes
terrestres disparaîtront un jour, et les tombeaux et les vers leur survivront.
E t quand il n’y aura plus de terre ni de royaumes terrestres, les justes
chanteront joyeusement avec les anges dans les deux : Ton règne, Christ
Dieu, un règne pour tous les siècles. Gloire donc et louanges au maître le plus
doux sous le soleil, C hrist Dieu, avec D ieu le Père et D ieu le Saint-Esprit,
Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de tout temps et
de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE QUATRIÈM E D IM A N C H E
APRÈS LA PE N T E C Ô T E
sens, ceux-là parlent de hasard et disent que tout ce qui nous arrive et
survient autour de nous, se produit par hasard. Ils veulent dire que tout
cet énorm e amas de lettres bouge et se mélange de lui-m êm e et qu’il
en découle tantôt tel événement, tantôt tel autre. Si D ieu n’e st pas un
Dieu de miséricorde et de compassion, Il sourirait devant une telle folie
des exégètes terrestres du monde et de la vie. M ais il y a quelqu’un qui
prend un malin plaisir à sourire devant cette folie : c’est l’e sprit malin,
l’e nnem i du genre hum ain, qui n’éprouve ni miséricorde ni compassion
pour les hommes. Q uand l’oie piétine le tapis bariolé étendu sur l’herbe,
elle peut penser que tous les dessins et les couleurs du tapis ont été
disposés par hasard et que le tapis a peut-être jailli par hasard du sol; de
même que l’herbe, dans l’esprit de l’oie, pousse par hasard sur le sol. M ais
la femme qui a tissé le tapis et l’a décoré de dessins sait, elle, que le tapis
n’est pas apparu par hasard de quelque p art; elle connait aussi le sens
de chaque dessin et de chaque couleur et pourquoi tous les dessins et
les couleurs sont disposés selon un certain ordre. Seule cette femme est
en mesure de lire et de comprendre le sens du tapis, de même que ceux
à qui elle en a fait part. Ainsi c’est en vain que les incroyants piétinent
le tapis extraordinaire de ce monde et parlent de hasard. Seul Dieu, qui
a tissé ce m onde, sait ce que signifie chaque fil contenu dans le tissu
de ce m onde; Il sait aussi qui s’est rendu digne que D ieu le lui dise.
Isaïe le visionnaire a écrit: Ainsi parle Celui qui est haut et élevé, dont la
demeure est éternelle et dont le nom est saint: «Je suis haut et saint dans ma
demeure, mais je suis avec l'homme humilié et désemparé, pour ranimer les
esprits désemparés, pour ranimer les cœurs humiliés» (Is 57, 15). D ieu est
donc sur terre seulem ent aux côtés des cœurs humiliés et des esprits
désemparés. À ceux avec lesquels II se tient, D ieu révèle les mystères du
m onde et de la vie ainsi que le sens spirituel profond de Son écriture
à travers les choses et les événements. Abraham , Isaac, Jacob, Joseph,
M oïse et David étaient des cœurs humiliés et des esprits désemparés ;
c’est pourquoi D ieu était à leurs côtés et leur avait promis de l’être aussi
avec leurs descendants tant que ces derniers seraient des cœurs humiliés
et des esprits désemparés. M ais quand les hom m es s’enorgueillissent de
leurs contacts fréquents avec Dieu, alors ils tom bent dans une déchéance
pire que ceux qui n’ont aucune connaissance ni aucun rapport avec le
D ieu véritable. L’exemple le plus évident nous est fourni par le peuple
d ’Israël, c’est-à-dire la descendance des grands ancêtres agréables à D ieu
que nous venons d ’évoquer. Rendu orgueilleux par sa fréquentation du
HOMÉLIE POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 379
à leur récit; Dieu nous a donné à deux reprises deux témoins, avec les
quatre évangélistes, afin que ceux qui cherchent le salut puissent croire le
plus facilement et le plus rapidem ent et que ceux qui sont tombés dans
la déchéance n’aient pas d ’excuse. E n outre, Dieu nous a donné quatre
évangélistes - alors qu’il aurait pu exprimer toute Sa sagesse à travers un
seul - afin que nous prenions exemple sur leur complémentarité mutuelle
et que cela nous apprenne à nous compléter entre nous dans cette vie,
en tenant compte des dons spirituels divers reçus de Dieu (1 Co 12, 1)
comme les parties d ’un corps qui se portent assistance m utuellement,
chacune selon ses moyens, opérant ainsi la croissance du corps (Ep 4,16).
Ayant ainsi deux descriptions de cet événement, nous sommes en
mesure de nous représenter clairement ce qui s’est passé. Ayant entendu
parler de la gloire et de la puissance du Seigneur Jésus et conscient de
sa propre situation d ’hom m e pécheur et indigne, le centurion demanda
d ’abord aux anciens d ’aller voir le Seigneur et de L’inviter. Lui-m êm e
n’était pas du tout sûr que le Seigneur serait prêt à venir. Il pouvait se
dire : moi, idolâtre et pécheur, me voici devant Jésus, qui est visionnaire
et en mesure de discerner mes péchés ; dès qu’il saura m on nom, qui sait,
acceptera-t-Il de venir chez m oi? Il vaut mieux que j ’e nvoie des anciens
juifs auprès de Lui et s’il refuse, c’e st à eux qu’il le dira, mais s’il accepte
de venir... je verrai bien. Q uand il apprit que le Seigneur était d’accord
pour venir, il fut tout ému et troublé ; il envoya alors des amis demander
au C hrist de ne pas entrer chez lui, pécheur et indigne, mais de prononcer
seulement quelques mots et le jeune hom m e serait guéri. O r dès que ses
amis se présentèrent devant le Seigneur pour lui faire part de cette requête
du centurion, ce dernier apparut en personne. Son ém otion était telle qu’il
ne pouvait rester chez lui. E n effet, I l allait venir sous son toit! Ses amis
ne savaient pas encore qui était cet II et ils seraient incapables de lui dire
ce qu’il fallait. O r le centurion savait que les anciens juifs n’aimaient pas
le C hrist et n’avaient pas foi en Lui. Aussi fallait-il qu’il aille lui-m êm e à
Sa rencontre, et cela d ’autant plus qu’il savait m aintenant qu’il ne refusait
pas de venir et donc de l’hum ilier devant le peuple, lui qui était un officier.
E n fait, les Juifs avaient dit du bien au C hrist au sujet du centurion :
I l est digne que tu lui accordes cela ; il aime en effet notre nation, et c'est lui qui
nous a bâti notre synagogue (Le 7, 4-5). M ais tout ce qu’ils avaient dit ne
touchait pas à l’essentiel. Ils appréciaient la bonté du centurion à cause
de l’intérêt qu’ils en tiraient : il aime en effet notre nation. Les autres offi
ciers et fonctionnaires romains m éprisaient les Juifs. M ais lui les aimait :
382 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
c’est lui qui nous a bâti notre synagogue. Ils voulaient dire par là qu’il avait
dépensé son argent, ce qui leur avait permis d ’é conomiser le leur. Il avait
en effet construit le lieu de culte dont ils avaient besoin, qu’ils auraient
dû autrem ent bâtir et financer eux-mêmes. Ils s’exprim ent comme s’ils
s’adressaient au Caïphe et non au C hrist. D evant tout cela le C hrist ne
prononça pas un mot, se contentant de faire route avec eux (Le 7, 6).
Survinrent alors les amis du centurion, puis le centurion lui-même.
Voyant le C hrist en face de lui, le centurion fut obligé de Lui refaire
tout le récit, qui était déjà connu du Seigneur. M ais Je'sus lui dit: «Je vais
aller le guérir» (M t 8, 7). Voyez comme s’exprime Celui qui dispose du
pouvoir et de la force! Il ne dit pas: nous verrons! Il ne lui demande
pas non plus : crois-tu que je sois capable de faire cela ? C ar II voit déjà
dans le cœur du centurion et connaît sa foi. M ais II lui dit avec autorité,
comme jamais aucun médecin n’avait osé le faire : Je vais aller le guérir.
Si le Seigneur s’exprime de façon aussi déterminée et claire, c’est pour
susciter la réponse à venir du centurion devant les Juifs. C ar quand Dieu
accomplit une action, Il fait en sorte que celle-ci n’ait pas seulement une
utilité mais s’avère utile à plusieurs égards. Le C hrist voulait ainsi que cet
événement ait une utilité multiple : guérir le malade mais aussi révéler la
grande foi du centurion, réprim ander les Juifs pour leur manque de foi
et faire état d’une im portante prophétie au sujet du Royaume : ceux qui
se croient sûrs d ’y accéder n’y entreront pas et ceux qui ne pensent pas y
pénétrer, y entreront.
Alors le centurion dit : Seigneur; je ne suis pas digne que tu entres sous
mon toit: dis seulement un mot et mon serviteur sera guéri (M t 8, 8). Quelle
énorme différence entre cette foi ardente du cœur et les croyances légales
froides des pharisiens! Cette différence n’est pas plus grande que celle
existant entre le feu qui brûle et celui dessiné sur un papier. Q uand un
pharisien invita le C hrist à venir prendre un repas chez lui, il crut dans
son orgueil de légiste que cela représentait un honneur pour le C hrist de
venir chez lui, et non que c’était un honneur pour lui de recevoir le Christ.
D ans son orgueil et son arrogance, ce pharisien avait même négligé les
manifestations habituelles de l’hospitalité : il n’avait pas versé d’eau sur
les pieds de son H ôte, il ne lui avait pas donné de baiser ni répandu
d ’huile sur la tête (Le 7, 44-46). Com m e il était apparu humble et
modeste devant le Seigneur, cet « incroyant » à qui il n’avait pas été donné
de connaître M oïse et les prophètes et qui ne disposait que de son esprit
naturel pour lui perm ettre de discerner la vérité du mensonge, le bien
HOMÉLIE POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 383
Car à travers la foi, l’esclave devient libre, un serviteur devient fils de Dieu
et un m ortel devient immortel. Q uand le juste Job gisait dans sa puanteur
et ses blessures sur les cendres de toute sa richesse et de ses enfants, sa
foi en Dieu était restée inébranlable. D ans sa puanteur et couvert de
blessures, il criait: Unefois qu’ils m’a uront arraché cette peau qui est mienne,
hors de ma chair, je verrai Dieu; Celui que je verrai sera pour moi, celui que
mesyeux regarderont ne sera pas un étranger (Jb 19,26-27).
A qui le Seigneur Jésus exprime Son adm iration? A ceux qui Le
suivaient. Ce sont Ses saints apôtres. C ’e st pour les instruire qu’il exprime
Son admiration. Bien entendu, les autres Juifs qui étaient partis avec Lui
en direction de la maison du centurion avaient entendu les mots par
lesquels le Seigneur avait montré Son admiration : E n vérité, je vous le dis,
chez personne en Israëlje n’ai trouvé une tellefoi. Il parlait ainsi du peuple
ju if qui aurait dû avoir une foi plus forte que n’importe quel autre peuple
sur terre, car c’e st à ce peuple que dès le com m encem ent le Seigneur Dieu
avait révélé Sa force et Sa puissance, Sa sollicitude et Son amour, à travers
des miracles et des signes innombrables et à travers les paroles de feu de
Ses prophètes. M ais en Israël la foi s’était quasiment asséchée et les fils
élus s’étaient dressés contre le Père dont ils s’étaient éloignés par l’esprit et
par le cœur au point que leur esprit avait été m aintenant aveuglé et que
leur cœur était devenu de pierre. Une foi aussi forte en C hrist que celle
de cet officier romain n’avait pas été exprimée, au début, même par Ses
apôtres - même Pierre, sans parler de Judas - ni par les sœurs de Lazare
dont le C hrist visitait souvent la demeure, ni par Ses parents et amis de
Nazareth parmi lesquels II avait grandi.
Le Seigneur Jésus, regardant par Son esprit jusqu’à la fin des temps,
exprime une prophétie, triste pour les Juifs mais joyeuse pour les peuples
incroyants :
Aussi, je vous le dis, beaucoup viendront du levant et du couchant prendre
place aufestin avec Abraham, Isaac et Jacob dans le Royaume des deux, tandis
que lesfils du Royaume seront jetés dans les ténèbres extérieures: là seront les
pleurs et les grincements de dents (M t 8,11-12). Cette prophétie s’e st large
m ent réalisée jusqu’à nos jours et continue à se réaliser. À l’est et à l’o uest du
peuple ju if vivaient des peuples incroyants. U n grand nombre d ’entre eux
ont com plètem ent adopté la foi chrétienne, comme les Arm éniens et les
Abyssins,les Grecs et les Romains et tous les peuples européens; nombre
d ’autres peuples sont en partie devenus chrétiens, comme les Arabes et
les Egyptiens, les Indiens et les Perses, les Chinois et les Japonais, les
386 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Noirs et les M alais, alors que lesfils du Royaume, les Juifs, à qui le royaume
fut proposé en premier, ont persévéré dans leur absence de foi en C hrist
jusqu’à nos jours ; mais c’e st pourquoi, à côté de tous les autres peuples,
ils se trouvent dispersés dans le monde entier, chassés de leurs foyers,
méprisés et haïs par les peuples au milieu desquels ils sont venus s’établir.
Ainsi, leur vie sur cette terre est envahie de ténèbres où sont les pleurs et
les grincements de dents. M ais dans l’autre monde, aux côtés de nombre de
leurs propres ancêtres, Abraham , Isaac et Jacob, qui seront assis autour
des agapes éternelles, il y aura davantage d ’hom mes venus de toutes les
contrées de la terre, de toutes races et de toutes langues. Dans cet autre
m onde, pour les incroyants fils du Royaume, il y aura des ténèbres, des
pleurs et des grincements de dents. Le maître arrache la vigne asséchée
et la jette dans le feu et à sa place II plante et greffe une vigne sauvage.
Le Père céleste éloigne Ses fils rebelles de Lui pour l’éternité et installe
à leur place Ses serviteurs qu’il a adoptés. Ainsi ceux qui avaient été
élus deviennent des non-élus, alors que ceux qui n’avaient pas été élus
deviennent élus. Les premiers deviennent les derniers et les derniers, les
premiers.
Jésus dit au centurion : « Va ! Qu’il t ’a dvienne selon tafoi!» E t le serviteur
f u t guéri sur l ’heure (M t 8,13). Après avoir fait une prophétie, Il accomplit
un miracle. Com m e s’il voulait par ce miracle, non seulement récom
penser la foi du centurion mais aussi confirmer Sa grande prophétie. Il
dit un m ot et le serviteur fut guéri. D e même que lors de la création Dieu
dit [...] et la lumièrefut (G n 1, 3), de même lors de la Nouvelle Création,
le Seigneur dit seulement un m ot, et il fut ainsi. U n hom m e paralysé, que
tout l’empire romain n’aurait pu sauver, se redresse après que le Sauveur
eut dit un seul m ot, et se retrouve guéri. La maladie est une servante de
Dieu, et quand le maître dit : « va t ’en », elle s’e n va ; et quand II lui dit :
«viens», elle vient. Sans remède ni onguent, le malade est guéri, car la
servante a reconnu le com m andem ent de son maître, et elle s’e st enfuie.
Les remèdes et les onguents ne guérissent pas, mais Dieu guérit. Dieu
guérit, soit directem ent par Sa parole, soit indirectem ent par des remèdes
et des onguents, selon la foi plus ou moins grande du malade. Il n’y a
pas de remède, dans tout le vaste m onde, qui en mesure de repousser la
maladie et de faire recouvrer la santé sans la force divine, sans la présence
de Dieu, sans la parole de Dieu.
Gloire soit au Dieu vivant, pour Ses innombrables guérisons de
Ses fidèles par la puissance de Sa parole, dans le passé et aujourd’hui.
HOMÉLIE POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 387
Les hom mes com m irent une injustice envers Dieu, puis se m irent en
colère contre Dieu. O hom mes, qui a le droit de se m ettre en colère contre
qui?
Des incroyants ferm èrent leur bouche et songèrent que s’ils ne
faisaient pas m ention du Nom de Dieu, celui-ci disparaîtrait de ce
m onde ! M ais, hommes pitoyables, vos bouches sont en m inorité dans
le vaste monde. N ’avez-vous pas vu et entendu comme un barrage rend
la rivière bruyante ? Sans barrage, la rivière est inaudible et m uette ; et
voici que le barrage lui a ouvert la bouche ! Chaque goutte d ’eau s’e st vu
attribuer une langue.
D e même, votre barrage obtiendra le même résultat: il ouvrira la
bouche des sans-voix et perm ettra aux muets de parler. Si vos bouches
cessent de confesser le nom de Dieu, vous vous m ettrez à avoir peur en
entendant que Son nom est confessé même par des aveugles et des muets.
E n vérité je vous le dis : les pierres crieront (Le 19, 40). M êm e si tous les
hom mes sur terre se taisent, l’herbe se m ettra à parler. M êm e si tous
les hom mes effacent le nom de D ieu entre eux, ce nom sera inscrit par les
arcs-en-ciel dans le ciel et par le feu sur chaque grain de sable. Alors le
sable deviendra des hommes, et les hom m es du sable.
Les deux racontent la gloire de Dieu, lefirmament proclame l ’œ uvre de ses
mains. Le jour en prodigue au jour le récit, la nuit en donne connaissance à la
nuit (Ps 19, 2-3). Ainsi s’exprime le visionnaire de Dieu et le chantre de
Dieu. E t vous, com m ent vous exprimez-vous? Vous vous taisez dédai
gneusem ent au sujet de D ieu; c’e st pourquoi les pierres se m ettront à
parler. E t quand les pierres parleront, vous voudrez parler aussi, mais ne
390 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
pourrez pas le faire. La parole vous sera arrachée pour être donnée aux
pierres. E t les pierres seront des hommes, et vous serez des pierres.
Il est arrivé dans des tem ps anciens que des hommes entêtés soient
en train de contempler le visage du Fils de Dieu et qu’ils ne Le recon
naissent pas ; leur bouche ne s’é tait pas ouverte pour Le célébrer. Alors
le Dieu vivant fit ouvrir la bouche des démons pour qu’ils fissent honte
aux hommes en reconnaissant le Fils de Dieu. Des démons, pires que
des pierres et moins chers que le sable, se m irent à crier en présence du
Fils de Dieu, alors que des hommes se tenaient muets autour de Lui.
M ais quand ceux qui s’étaient complètem ent détachés de D ieu furent
forcés de confesser le nom de Dieu, com m ent des pierres immaculées,
qui obéissent aveuglément à la volonté de Dieu, ne le feraient-elles pas ?
Dieu fait la leçon aux hom mes non seulement dans les deux pleins
d ’anges et ornés d ’é toiles, non seulement sur la terre toute couverte de
messages d ’e ssence divine, mais même à travers les démons. Il le fait
dans le seul but de donner la possibilité aux incroyants, qui descendent
rapidem ent aux enfers, d ’avoir honte de quelque chose, de se relever vers
les hauteurs et et sauver leur âme des vices, du feu et de la puanteur.
Q uand, même les hommes élus qui suivaient le Seigneur Jésus dans
le monde se furent montrés comme des gens de peu de foi, le Seigneur
les conduisit dans une contrée où régnait l’athéisme le plus éhonté, afin
de leur faire honte et de dénoncer leur peu de foi, lors d ’un épisode que
relate l’évangile de ce jour.
Quand Jésus f u t arrivé sur l'autre rive (de la mer), au pays des
Gadaréniens, deux démoniaques, sortant des tombeaux, vinrent à Sa
rencontre, des êtres si sauvages que nul ne se sentait de force à passer par ce
chemin (M t 8, 28). Gergesa et Gadara étaient des villes situées dans une
région d ’incroyants, sur l’autre rive de la mer de Galilée. C ’é taient deux
cités, entre des dizaines d’autres, qui existaient jadis sur les rives de la
m er de Galilée. D ans les récits des évangélistes M arc et Luc, la localité
de Gergesa est m entionnée comme Gadara, ce qui signifie simplement
que ces deux villes étaient proches l’une de l’autre, et que l’événement
décrit ici s’e st passé à proximité de ces deux cités. Les évangélistes M arc
et Luc évoquent un seul démoniaque, tandis que M atthieu en m entionne
deux. Les deux premiers ne parlent que de l’un des deux, dont l’aspect
plus terrifiant terrorisait tous les environs, alors que M atthieu évoque les
deux, car tous deux furent guéris par le Seigneur. Le fait que l’un des deux
était plus connu que l’autre se voit dans le récit de saint Luc qui écrit que
HOMÉLIE POUR LE CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 391
les partage avec eux. Le diable est malveillant avec le corps, une écharde en
la chair, comme l’appelle l’Apôtre qui a senti sa présence (2 C o 12, 7). Il
s’insinue progressivement dans le corps hum ain et rampe jusqu’à l’âme,
s’e mpare du cœur et de l’esprit de l’hom m e ; puis il se m et à tout ronger, à
tout déformer, à enlever la beauté et la pureté divines, et à ôter toute intel
ligence et droiture, tout amour et toute foi, tout espoir et toute aspiration
au bien. Alors il s’installe en l’hom m e comme sur son trône et prend tout
le tissage du corps et de l’âme hum aine entre ses mains ; pour lui, l’homme
devient alors un cheval de trait qu’il chevauche, un instrum ent avec lequel
il joue, une bête sauvage dont il se sert pour mordre. Tels étaient ces
hommes possédés par le diable dont parle l’Evangile. Il n’est pas dit qu’ils
ont vu le C hrist, ni qu’ils L’o nt connu, ni qu’ils se sont adressé à Lui, ni
qu’ils ont eu une conversation avec Lui. T out cela, ce sont les démons qui
étaient en eux, qui l’o nt fait. C ’e st comme si ces possédés n’existaient pas,
tels deux tombeaux que les démons poussaient devant eux à coups de
fouets. G uérir de tels hommes équivaut à ressusciter des m orts; et encore
davantage. E n effet, quand un hom m e est mort, son âme est séparée du
corps ; si l’âme est entre les mains de Dieu, D ieu peut la faire revenir dans
le corps et celui-ci reviendra à la vie. M ais ces hom mes possédés par le
dém on se trouvaient dans une situation pire que la m ort. C ar leur âme
avait été volée et emprisonnée par les démons, qui la tenaient entre leurs
mains. Il fallait donc reprendre leur âme aux démons, expulser les démons
de ces hommes et faire revenir l’âme humaine dans leurs corps. C ’est
pourquoi le miracle de la guérison de ces possédés constitue un miracle
aussi im portant que celui de la résurrection des morts, sinon davantage.
«Tu es venu ici avant le temps pour nous faire souffrir!», disent les
démons au Christ. Cela signifie qu’ils savent déjà qu’à la fin des fins,
la souffrance les attend. A h ! si les hom mes pécheurs savaient au moins
cela : que les souffrances les attendent, qui ne seront pas moindres que
celles qui attendent le diable. Les démons savent qu’à la fin des fins le
genre hum ain leur échappera des mains, et qu’ils seront précipités dans
un abîme de ténèbres où ils se rongeront et s’égorgeront mutuellement.
Le grand prophète Isaïe dit que le diable sera expulsé de son sépulcre (c’est-
à-dire du corps des hommes possédés) comme un rameau dégoûtant, comme
une charogne foulée aux pieds (Is 14, 19). Le Seigneur Lui-m êm e dit: Je
voyais Satan tomber du ciel comme l'éclair (Le 10,18). À la fin des fins, c’est
ce que verront aussi les pécheurs qui comme l’éclair, seront précipités dans
le feu éternel qui a étépréparé pour le diable et ses anges (M t 25,41).
394 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
i
398 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
celui qui Le reçoit reçoit la vie ; celui qui Le rejette reste dans le camp des
porcs, avec la furie éternelle et la m ort éternelle.
Seigneur Jésus, Fils de Dieu, aie pitié de nous pécheurs, guéris-nous
et sauve-nous ! Gloire et louanges à Toi, avec le Père et le Saint-Esprit,
Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de tout temps et
de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE SIXIÈM E D IM A N C H E
A PR ÈS LA PE N T E C Ô T E
Ne pas se réjouir pour les autres est l’une des caractéristiques les plus
indignes de l’âme hum aine durcie par le péché.
Q u ’e st-ce que le soleil enseigne aux hommes de l’aube au crépuscule ?
« H om m es, réjouissez-vous devant le bien et cette joie fera de vous des
dieux ! »
Le rossignol affamé chante à l’aube parfois pendant deux heures, avant
de trouver deux miettes de nourriture pour son petit-déjeuner. Q u ’est-ce
qu’enseigne ainsi le rossignol aux hommes, aux riches dans leur lit qui
comm encent leur journée en ouvrant la bouche non pour chanter mais
pour m anger? «H om m es, réjouissez-vous devant le bien et chantez le
bien ! Ne vous dem andez pas : à qui est-ce ? Le bien n’a pas de maître sur
cette terre. C ’est un hôte venu de loin : nous qui avons été créés et sommes
mortels, nous ne possédons pas le bien, mais nous le chantons.»
Se lam enter de la tristesse d ’autrui, c’e st ce que peuvent faire des vieil
lards pécheurs. M ais se réjouir de la joie d’autrui, seulement des enfants
le peuvent, ainsi que ceux qui sont aussi innocents que des enfants. En
vérité je vous le dis: quiconque n accueille pas le Royaume de Dieu en petit
enfant n y entrera pas (M c 10,15 ; M t 18,3). E t qu’est-ce que le Royaume
de Dieu sinon l’ensemble de tout ce qui est bien et l’absence de tout ce
qui est mal? L’enfant innocent se réjouit plus devant le bien d ’autrui que
le vieillard malveillant de son propre bien. Car un enfant n’envie pas la
joie d’autrui ; il partage le sourire de tous les visages, il prend même la
moquerie pour un sourire. Nul sur terre n’e st aussi semblable à Dieu qu’un
enfant innocent. L ajoie de Dieu devant notre bonheur, même infime, est
indicible et parfaite.
t
400 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
autre côté qu’ils tendent leur main, ils la tendront vers le feu ou dans
la gueule du loup. M ais soyez cent fois bénis, vous les fidèles, qui vous
réjouissez à la seule m ention du N om du Christ, comme quand l’e nfant
mentionne sa mère. Arm ez-vous de force et de ténacité afin de persévérer
jusqu’au bout dans la foi et la joie. C ar celui qui a suivi le C hrist, puis se
ravise, sera dans un état pire que celui qui ne s’est jamais mis en route.
E t si le Seigneur l’a libéré d ’un seul esprit maléfique et que lui-même
renie ensuite le Seigneur, il sera assailli et capturé par sept autres esprits
mauvais, pires que le prem ier (Le 11,24-26).
Le C hrist est comme une ligne de partage des eaux. Là où II apparaît,
les hommes se divisent aussitôt en deux camps : ceux qui se réjouissent
devant le bien et ceux qui ne se réjouissent pas devant le bien. Il en est
encore ainsi aujourd’hui; il en était de même à l’é poque où le Seigneur
foulait cette terre, incarné dans le corps d’un homme. L’évangile de ce jour
décrit cette terrible division entre les hommes en présence du Révélateur
du bien, notre Seigneur et Sauveur Jésus-Christ.
Jésus monta donc dans la barque, retraversa la mer et v in t dans Sa ville
(M t 9, 1). Cela se produisait après Sa visite remarquable aux païens sur
la rive est du lac de Génésareth (Tibériade), après sa puissante guérison
de deux possédés et après la riposte terrible pour les païens lancée par
les démons eux-mêmes, proclam ant que le C hrist était le Fils de Dieu.
Il monta donc dans la barque ; c’était celle dans laquelle il avait auparavant
traversé le lac avec les apôtres, la même où II avait accompli un miracle
aussi grand que l’expulsion des démons des hommes, quand 11 menaça
les vents et la mer, et il sef i t un grand calme (M t 8, 26). L’évangile de ce
jour nous apprend que le Seigneur, au retour de ce voyage, a guéri un
paralytique, après lui avoir pardonné ses péchés. Ainsi dans le délai le plus
bref, le C hrist a accompli trois actions fortes, trois miracles prodigieux
qui tém oignaient clairement de la venue de Dieu parmi les hommes.
E n très peu de temps, le Seigneur a révélé trois bienfaits inestimables
aux hommes : Son pouvoir sur la nature, Son pouvoir sur les démons et
Son pouvoir sur les péchés et les maladies. Trois grandes raisons pour les
hommes d ’être joyeux ! Com m e sont terribles les entraves avec lesquelles
la nature nous tient enfermés ! Q ui ne se réjouirait pas de la libération de
telles chaînes? Encore plus effrayantes sont les chaînes avec lesquelles
les démons nous tiennent prisonniers et nous fouettent après nous avoir
fait perdre la raison. Q ui ne se réjouirait pas de la victoire sur les pires
ennemis du genre hum ain ? Q uant aux chaînes avec lesquelles nos péchés
nous enferment dans la soumission à la nature, aux démons et aux mala
dies, il s’agit des chaînes originelles où l’homme s’est laissé emprisonner
volontairement, au tout début, en renonçant à l’obéissance et à l’humilité
à l’égard de son Créateur; ô mortels, qui parmi vous ne se réjouirait pas
de la rupture de ces premières chaînes, qui ont servi de fondements à la
trame et à la fabrication de vos autres chaînes d’esclaves ?
Ce dernier bienfait fut annoncé par le Seigneur aux hommes, quand
venant des territoires romains, Il vint dans Sa ville. Capharnaüm était
la localité où II s’était établi après avoir été rejeté et presque tué par les
habitants de Nazareth, qui avait été Sa patrie de longues années durant
(Le 5,17-20; Mc 2,1-12).
E t voici qu’on Lui apportait un paralytique étendu sur un lit (Mt 9,2). Cet
événement est décrit par les évangélistes Marc et Luc. Ils le décrivent en
apportant des précisions que l’évangéliste Matthieu ne mentionne pas.
Ce paralytique était si malade que non seulement il avait été incapable
de venir seul jusqu’au Christ, mais qu’il était impossible de le toucher
et de le faire descendre de son lit; c’est pourquoi ses parents et amis
avaient été contraints de le transporter dans son lit jusqu’au Seigneur.
La faiblesse extrême de ce malade se remarque aussi dans le fait que
quatre hommes avaient été obligés de porter le lit, dans le seul but de le
transporter en toute sécurité et de le secouer le moins possible pendant
la marche. A leur arrivée devant la maison où le Christ se trouvait, ils
virent que la multitude de gens qui se pressait aux portes rendait tout à
fait impossible de faire entrer le malade. Ils se résolurent alors à ouvrir le
toit de cette maison, puis firent descendre le lit avec le malade devant le
Christ. À cet instant, le Christ dispensait Son enseignement au peuple.
Puis II dit un mot. Il ne traînait pas : après avoir accompli une action,
Il parlait et après avoir parlé, Il agissait. Il ne cessait de parler et d’agir,
dans le seul but d’aider les gens à se réjouir des bonnes actions, d’avoir
foi dans les bonnes actions et en Lui comme détenteur suprême et
révélateur du bien.
Jésus, voyant leur foi, dit au paralytique: «Aie confiance, mon enfant,
tes péchés sont remis » (Mt 9, 2). Le Seigneur Jésus avait vu la foi de ces
gens, non quand ils avaient descendu le malade devant Lui, mais dès le
moment où, chez lui, ils avaient levé le lit où il reposait et s’étaient mis
en route pour venir Le voir. Car Celui qui était capable de discerner les
pensées dans le cœur humain, était encore plus en mesure de voir les
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 403
figuier avant que celui-ci fût conduit près de Lui (Jn 1,48). Nous voulons
dire qu’il voyait non seulement les événements qui se produisaient mais
aussi ceux qui se produiront jusqu’à la fin des temps. On ne dit pas ici :
«en les voyant, Jésus...», mais: en voyant leur f o i . . . , ce qui signifie que le
Christ voit aussi ce qui est encore plus difficile à voir, ce qui est le plus
profondément caché dans l’homme. Cela a été ainsi conçu pour nous,
afin que nous sachions que le Seigneur regarde, aujourd’hui comme hier,
et que nous sachions aussi que nous ne pouvons attendre l’aide de Dieu
dans les souffrances que si nous avons la foi. Quand Dieu voit notre foi,
Il ne tarde pas avec Son aide.
Voyant leur fo i... M ais la foi de qui? S’agit-il seulem ent de la foi
de ceux qui avaient transporté le m alade, ou s’agit-il aussi de celle du
m alade ? D ’abord, la foi de ceux qui o n t transporté le m alade est évidente.
Le Seigneur aurait pu guérir le paralytique en s’en te n a n t à leur seule foi.
E n plusieurs circonstances, le C h rist a accom pli des m iracles sans m êm e
connaître la foi du m alade. Les m orts qu’il a ressuscités ne pouvaient
avoir la foi et donc le m iracle ne se produisait pas conform ém ent à leur
foi. L’entourage m êm e des personnes décédées ne m o n trait pas toujours
une foi particulière. P our la veuve de N ain, on ne d it pas quelle avait
la foi, m ais seulem ent quelle pleurait son fils m ort. M ais au m om ent
m êm e où le Seigneur s’approcha d ’e lle et, plein de pitié, d it: N e pleure
pas (Le 7 ,1 3 ), peut-être la foi de cette fem m e en Sa puissance s’é tait-elle
éveillée. N i M a rth e ni M arie, sœurs de Lazare, ne croyaient vraim ent que
le C h rist ressusciterait leur frère défunt, et cela au bout de quatre jours.
Seul le notable Jaïre avait une grande foi en C hrist, en L ui disant : M a fille
est morte à l'instant; mais viens lui imposer ta main et elle vivra (M t 9, 18).
C ’est ainsi que le C h rist guérissait de nom breux malades graves non selon
leur foi, mais surtout selon la foi de leurs parents ou amis. C ’e st ainsi qu’il
a guéri le serviteur d ’un centurion à C apharnaüm (M t 8), non selon la foi
de cet hom m e gravem ent malade, mais selon la foi du centurion ; de m êm e
a -t-Il guéri la fille d ’une C ananéenne selon la foi de sa mère (M t 15, 22),
com m e II a guéri de nom breux épileptiques, possédés, sourds-m uets,
selon la foi de leurs parents ou amis qui les avaient transportés ju sq u ’à
Lui (M t 9, 32; 15, 30; 17, 14; etc.) Les possédés de G adara avaient été
affranchis des dém ons et guéris sans tenir compte de leur propre absence
de foi ni de celle de leur entourage, mais selon l’économie du salut des
hom mes, afin d ’éveiller la foi dans les âmes engourdies et encourager ceux
qui avaient peu de foi (M t 8,26).
404 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Dans le cas de ce paralytique, on voit la grande foi qui anim ait ceux
qui l’o nt conduit jusqu’au C hrist. Le Seigneur n’avait pas besoin d ’évaluer
leur foi selon des signes extérieurs; Il regardait directem ent dans leurs
cœurs et voyait leur foi. M ais nous, qui ne voyons pas dans les cœurs,
nous sommes en mesure à partir de signes extérieurs de voir que leur foi
était réellem ent grande. Q ue quatre hom mes décident de transporter un
malade dans un état désespéré jusqu’au C hrist, n’e st-ce pas là une grande
marque de foi ? M onter sur le toit, l’o uvrir et descendre le malade à travers
le toit jusqu’au Christ, n’e st-ce pas là le signe évident d ’une grande foi?
Songez seulement au risque auquel ces quatre hommes s’étaient exposés
et aux moqueries dont ils auraient été l’objet de la part de leurs voisins, s’ils
avaient dû, après tant d’efforts et après avoir ouvert le toit de cette maison,
ram ener le malade chez lui sans qu’il ait été guéri ! A cette époque comme
aujourd’hui, les gens ont peur des moqueries et craignent l’é chec. Seuls
ceux qui ont une grande foi n’o nt pas peur de la moquerie et ne craignent
pas l’é chec, ils ne songent même pas à la moquerie et ne doutent pas du
succès.
Le Seigneur aurait donc pu guérir ce malade, à la seule vue de ceux qui
l’avaient transporté. Mais il y a des signes qui m ontrent que le malade lui-
même avait la foi. Tout d ’abord, un hom m e tant soit peu conscient, s’il
n’avait pas eu la foi, aurait-il permis que des hom mes le traînent dans son
lit dans les rues, et, chose plus im portante, aurait-il permis qu’on le hisse
sur un toit puis qu’o n le fasse descendre à travers le toit dans une maison ?
M ais il y a un autre signe intérieur de la foi de ce malade. Le Seigneur
s’adresse à lui en disant : mon enfant, tes péchés sont remis. Le Seigneur
aurait-il dit mon enfant à un païen ? A urait-on pu dire à quelqu’un qui ne
se repent pas : tes péchés sont remis? Q uand le C hrist a voulu ressusciter le
fils de la veuve de Naïn, Il ne lui pas dit mon enfant, mais: Jeune homme
(Le 7,14). C ar un m ort ne peut avoir la foi, ni se repentir. Ici, cependant,
Il dit au malade : mon enfant. D ’ailleurs le Seigneur n’a-t-Il pas dit: si un
homme se repent, remets-lui (Le 17, 3) ? Le repentir est donc la condition
du pardon. O r il n’y a pas de repentir sans honte et sans crainte de Dieu
ni sans foi en Dieu.
E t voici que quelques scribes se direntpar-devers eux : « Celui-là blasphème»
(M t 9, 3). Ainsi songèrent ceux qui ne se réjouissent pas devant le bien,
étant les alliés et les esclaves du mal, ou bien ceux qui disaient : « Q ui peut
pardonner les péchés sinon Dieu ? » Ces pauvres âmes qui se considèrent
comme de très grands sages et cherchent à faire descendre le C hrist à
HOMÉLIE POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 405
leur niveau — sinon encore plus bas —, ne peuvent concevoir dans leur
esprit étroit et obscurci que D ieu pouvait apparaître en hom me et que
cela s’était produit sous les traits du Seigneur Jésus-C hrist Lui-m ême.
Ils ne tiennent pas compte des souffrances du malade et encore moins de
sa guérison ; ils guettent seulement une parole du Christ, afin de pouvoir
L’hum ilier et L’éloigner de leur route et de leur conscience. C ar II les
dom inait trop.
E t Jésus, connaissant leurs sentiments, dit: «Pourquoi ces mauvais senti
ments dans vos cœurs?» (M t 9, 4). O r les scribes qui étaient là n’avaient
pas ouvert la bouche; ils n’avaient exprimé ces pensées que «dans leur
cœur» ; on ne dit pas dans leur esprit mais dans leur cœur, ce qui signifie
que ces pensées étaient pleines d’amertum e et de haine. Ils ne venaient
pas entendre le C hrist comme des croyants ni comme des observateurs
objectifs, mais comme des espions et des persécuteurs. S’ils avaient été des
croyants, ils se seraient réjoui des paroles et des actes du C hrist comme
les autres hommes qui voyaient et louaient le C hrist. S’ils avaient été
des observateurs objectifs, ils auraient cru en C hrist, comme le centurion
placé sous la Croix au Golgotha. Celui-ci observait de façon objective et
désintéressée ce qui était en train de se produire, et quand il vit la crainte,
le choc et la terreur avec lesquels la nature avait accompagné la m ort du
Christ, il s’écria : Vraiment celui-ci était Fils de D ieu! (M t 27,54).
Le Seigneur Jésus avait vu leurs pensées. Q ui peut voir des pensées
sinon Dieu ? Toi qui sondes les cœurs et les reins, ô Dieu leju ste! s’écrie David
(Ps 7, 10). Moi, Seigneur, je scrute le cœur, je sonde les reins, pour rendre à
chacun d'après sa conduite, dit le Seigneur Lui-m êm e à travers le prophète
Jérémie (Jr 17, 10). Salomon dans sa prière, dit à D ieu: Tu es le seul à
connaître le cœur des hommes (2 C h 6, 30). E t voilà que le Seigneur Jésus
voit dans les cœurs les pensées qui s’y trouvent. D e même que la terre
ne peut voir un œil, alors qu’un œil peut voir la terre, de même toutes
les créatures terrestres, recouvertes par le temps, ne peuvent percer les
mystères de l’éternité, tandis que l’œ il de l’éternité peut discerner et voir
tout ce qui est sur terre et dans le temps. Avec le regard de l’é ternité, le
Seigneur Jésus a été capable de discerner et de voir tout ce qui se dissimule
dans les profondeurs des mers, dans les profondeurs du cœur hum ain,
comme dans toutes les profondeurs du temps et de l’espace.
Pourquoi ces mauvais sentiments dans vos cœurs ? demande le bienveil
lant Seigneur à ceux qui l’e spionnent et le persécutent. A h, quelle pureté
infinie dans les pensées de Jésus ! Quelle beauté indescriptible dans Son
406 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
le louent. De la gloire, je n’en reçois pas qui vienne des hommes, a-t-Il dit en
une autre circonstance (Jn 5, 41), comme II a voulu le m ontrer dans cet
épisode-ci.
A cette vue, lesfoules fu re n t saisies de crainte et glorifièrent Dieu d ’a voir
donné un tel pouvoir aux hommes (M t 9, 8). Tandis que les scribes blas
phém aient le C hrist dans leurs cœurs, le reste du peuple dont la vanité
sociale n’avait pas tout à fait obscurci l’e sprit et empoisonné le cœur,
s’émerveillait et glorifiait D ieu à la suite d ’un acte encore jamais vu, que le
Seigneur avait accompli sous les yeux de tous. Ce peuple qui s’émerveille
ainsi et célèbre Dieu, est nettem ent meilleur que ses scribes obtus ; il est
beaucoup plus proche du bien et de la vérité que les païens de Gadara qui
avaient vu un miracle et n’avaient pas glorifié Dieu, s’affligeant du sort
de leurs porcs, et qui avaient chassé le C hrist am i-des-hom m es de leur
territoire. C ependant, même ce peuple-ci n’avait pas compris la puissance
divine, issue de la source originelle, du C hrist Sauveur. Ce peuple-ci
glorifie D ieu d ’avoir donné un tel pouvoir aux hommes, mais il ne voit pas
et ne reconnaît pas le Seigneur Jésus comme Fils Unique de Dieu.
M ais ce que les hommes de cette époque ne furent pas tous capables
de voir et de reconnaître, nous le voyons et le reconnaissons, nous, à qui
à travers l’Eglise la grâce a été donnée de voir et de reconnaître la vérité.
Apprenons donc à nous réjouir devant le bien, car tout bien vient de Dieu ;
nous apprendrons ainsi à nous réjouir devant Dieu, source vivifiante de
la joie éternelle. Com m e le dit le prophète inspiré : J ’exulte et me réjouis
en Toi, je chante Ton nom, Très-Haut (Ps 9, 3). C ette joie nous ouvrira les
yeux afin que nous voyions toute la plénitude de la vérité dans le Seigneur
Jésus; et elle nous ouvrira la bouche afin que nous Le reconnaissions
et Le célébrions comme Fils de Dieu, Sauveur unique des hommes et
seul am i-des-hom m es. Gloire et louanges à Lui, avec le Père et le Saint-
Esprit, Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de tout
temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE SE PT IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA P E N T E C Ô T E
Le premier hom m e qui fut créé vivait comme les anges en regardant
Dieu ; ses descendants, après avoir connu le péché, ont vécu dans la foi en
Dieu. Ceux dont la vision est obturée et qui ne sont pas ouverts à la foi,
ne peuvent être comptés parmi les vivants, car ils n’o nt pas de lien avec la
vie ; de quoi pourraient-ils vivre ?
U n lac ouvert sur le ciel, reçoit de l’eau d ’en haut, se remplit et ne
s’assèche pas. U n autre lac, sans ouverture sur le ciel, reçoit de l’eau par le
sol, en provenance de sources de m ontagne ; il se rem plit et ne s’assèche
pas. M ais un troisième lac, sans ouverture sur le ciel et sans approvision
nem ent souterrain en eau, ne peut que se vider et s’assécher.
U n lac privé d ’e au peut-il encore être appelé lac? N on, il s’agit plutôt
d ’une fosse asséchée.
U n hom m e sans D ieu en lui peut-il encore être appelé hom me ? Non,
il s’agit plutôt d ’une tombe asséchée.
D e même que l’eau est la substance principale d ’un lac, de même Dieu
est la substance principale de l’hom me. Pas plus qu’un lac sans eau est un
lac, un hom me sans Dieu n’e st pas un homme.
M ais com m ent l’hom me peut-il avoir Dieu en lui, s’il est fermé de
tous côtés à Dieu, comme un lac asséché l’e st par rapport à l’eau ou une
tombe sombre l’est par rapport à la lumière ?
Dieu n’e st pas semblable à une pierre qui, une fois jetée dans l’homme,
y demeure en dépit de la volonté de l’homme. M ais Dieu est une force,
plus légère et plus forte que la lumière ou l’air ; cette force emplit l’homme
ou le quitte, selon la bonne volonté de l’hom m e et la bonté infinie de
Dieu. Ainsi, en deux jours, l’hom m e ne s’imprègne pas de Dieu de façon
homogène. Cela dépend essentiellement de l’ouverture de l’homme
410 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
à Dieu. Si l’âme hum aine netait entièrem ent ouverte qu’à D ieu (donc
sim ultaném ent fermée au monde), l’hom m e retournerait à la jouissancce
originelle consistant à regarder Dieu. M ais comme cela est difficile à
accomplir dans l’environnement mortel où l’âme humaine se trouve, il
reste une seule ouverture perm ettant à l’hom m e d ’entrer en contact avec
Dieu, source de vie: la foi. O r la foi implique d’abord de se souvenir
de la vision perdue de Dieu, un souvenir resté gravé dans la conscience
et l’intelligence. Puis, cela suppose d’accepter comme vérité tout ce que
Dieu a révélé aux prophètes et aux saints, qui ont été jugés dignes de
voir la Vérité ; enfin, et c’est le plus im portant, il s’agit de reconnaître le
Seigneur Jésus-C hrist comme Fils de Dieu, comme vision palpable du
Dieu invisible (2 C o 4,4). Ce troisième facteur est suffisant en lui-mêm e ;
il recouvre et réalise à la perfection les deux premiers. C ’e st la foi qui
vivifie et sauve. C ’est l’ouverture la plus grande, par laquelle Dieu pénètre
en l’homme, selon l’intensité de l’aspiration et de la bonne volonté de
l’homme.
C ’est pourquoi le Seigneur Jésus dem andait souvent aux malades et à
ceux qui souffraient : Est-ce que tu crois ? O u : Est-ce que tu crois queje puisse
accomplir cela ? Ce qui signifiait : est-ce que tu m’o uvres la porte pour que
j ’e ntre ? La foi de l’hom me n’est pas autre chose que l’ouverture de la porte
de l’âme et la possibilité donnée à Dieu d’entrer. M on Dieu, fais le vide
en moi et installe-Toi en moi! Avec ces mots s’e xprime pratiquem ent
l’essence de la foi.
L’évangile d’aujourd’hui décrit l’un des nombreux cas où le Seigneur
frappe à la porte de l’âme hum aine et où les hommes ouvrent la porte
et Le laissent entrer. C et extrait de l’évangile décrit l’un des nombreux
miracles qui se produisent quand l’hom me s’ouvre grâce à la foi et laisse
D ieu venir en lui. Dieu est thaum aturge dans toutes Ses activités. Là
où II se trouve, le miracle se produit. Devant Lui disparaissent toutes
les lois, naturelles et humaines, comme des ombres devant le soleil, et
ne subsistent plus que Sa puissance, Sa sagesse et Son amour - le tout,
merveilleusement, délicieusement et dans la gloire.
Après les ténèbres de Gadara, où vivaient des païens et où le Seigneur
n’avait pas rencontré la foi chez ces gens-là, même à la suite d ’un miracle
aussi im portant que la guérison de deux hom mes possédés, tout à coup
se succèdent plusieurs cas où l’amour du C hrist rencontre une foi intense
chez les hommes, dans des circonstances où les gens ouvrent volontiers
la porte de leur âme ; et II accomplit alors des miracles. Chaque fois que
HOMÉLIE POUR LE SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 411
de jugem ent et sans but élevé. Il aurait réduit l’hom m e au niveau du soleil,
de la lune et des étoiles qui doivent briller sur ordre; au niveau de la
pierre, qui doit demeurer et tom ber sur ordre; au niveau des torrents
et des rivières qui doivent couler sur ordre. M ais l’hom me est doté de
conscience et de raison, et il a le devoir de faire ce qu’une substance sans
conscience est obligée de faire, c’est-à-dire s’e n remettre entièrem ent à
Dieu et accomplir les comm andem ents de Dieu. « Le Seigneur ordonne,
je suis obligée de L’écouter», dit toute la nature. «Le Seigneur ordonne,
je dois L’é couter», dit l’hom me véritable. L’hom m e doit choisir, non entre
deux biens, mais entre le bien et le mal. S’il choisit le bien, il sera ami
et fils de Dieu dans le Royaume éternel, et il lui sera plus agréable qu’à
l’ensemble de la nature ; s’il choisit le mal, il sera rejeté par Dieu et il sera
dans une situation pire que les substances sans conscience. Telle est donc
la volonté du Créateur: l’hom m e doit choisir librem ent dans la vie, entre
le bien et le mal. C ’est pourquoi le Seigneur Jésus interroge les hommes
au sujet de la foi, c’est pourquoi II les invite à contribuer à leur propre
salut. Le Seigneur exige très peu des hommes. Il ne demande que de la
bonne volonté : reconnaître qu’il est le Seigneur Tout-puissant et qu’eux
ne sont rien. Telle est la foi que le Seigneur demande aux hom mes pour
le bien et le salut des hommes eux-mêmes.
Jésus alors les rudoya: «Prenez garde! dit-il. Que personne ne le sache!»
M ais eux, étant sortis, répandirent Sa renommée dans toute cette contrée
(M t 9, 30-31). Pourquoi Jésus les m ettait-il en garde de ne pas ébruiter
ce miracle ? Tout d’abord, parce qu’il n’aspire à aucune gloire ou louange
humaine. La gloire et les remerciements ne peuvent ajouter le moindre
iota à Sa gloire. Deuxièmement, afin de m ontrer que ce qu’il fait, Il
l’accomplit par compassion et amour des hommes, telle une mère pour
ses fils, et non comme des magiciens esclaves de forces démoniaques,
qui n’o nt dans leur cœur que haine et mépris pour les hom mes et dont
les activités ne visent qu’à obtenir la gloire et les louanges des hommes.
Troisièmement, pour m ontrer par l’exemple aux hommes que toute
bonne action doit être faite à cause de Dieu et non par vanité ; que ta main
gauche ignore ce quefait ta main droite (M t 6, 3). E t quatrièm em ent, parce
qu’il sait - et II souhaiterait que les hommes le sachent aussi - qu’une
bonne action ne peut être cachée, ce qui s’est d’ailleurs vérifié aussitôt.
Car, qu’ils l’aient voulu ou non, les aveugles furent amenés à divulguer
la nouvelle dans leur contrée. M êm e si leur bouche restait fermée, leurs
yeux parlaient par eux-mêmes. M êm e s’ils avaient voulu garder le silence,
HOMÉLIE POUR LE SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 415
la puissance divine, qui fait tout connaître, les poussait à parler et parler
encore. C ’est ce que le Seigneur Jésus souhaitait leur m ontrer: en dehors
même de votre propre volonté, cette action sera annoncée, malgré tous
vos efforts pour que cela ne se propage pas : tâchez seulement de ne pas
l’annoncer par vanité, ou afin d ’obtenir des louanges pour vous ou pour
moi. Glorifiez Dieu, c’e st là l’essentiel.
Comme ils sortaient, voilà quon L ui présenta un démoniaque muet. Le
démon f u t expulsé et le démoniaque parla (M t 9,32-33). Tels des voyageurs
assoiffés dans le désert qui se ruent vers la seule source d ’e au décou
verte, les hommes en quête de guérison, sagesse, force, bonté, paix, se
précipitent vers le Seigneur Jésus, seule source jamais vue jusque-là de
tous ces bienfaits. O r cette source est surabondante, de sorte qu’aucun
de ceux venus s’y abreuver n’en est reparti en ayant soif. A peine les
aveugles étaient-ils partis, leurs yeux grand-ouverts et sans personne
pour les guider, qu’arrivèrent des gens conduisant un hom me m uet et
démoniaque jusqu’au Seigneur. M uet et démoniaque ! Il n’avait pas la
capacité de form uler un mot, ni celle de le prononcer. Le Seigneur ne
l’interroge pas sur sa foi, car com m ent un hom me possédé pourrait-il
avoir la foi? C om m ent un m uet pourrait-il professer sa foi? M ais le
Seigneur voyait la foi de ceux qui l’avaient conduit auprès de Lui. Il est
probable que le Seigneur s’était entretenu avec eux comme II l’avait fait
auparavant avec les aveugles, mais l’évangéliste, du fait de la similitude des
entretiens, des questions et des réponses, ne le m entionne pas. Pour ceux
qui aspirent au salut, il y a suffisamment d’enseignements et de jalons
dans lepisode relatif aux aveugles. À l’inverse, pour ce qui concerne ceux
qui courent à la déchéance en se m oquant du Sauveur et de Ses paroles
salvatrices, il ne suffirait pas de citer tous les discours ni toutes les oeuvres
accomplies par le Seigneur Jésus-C hrist tout au long de Sa vie sur la
terre. Si tout cela avait été m entionné sténographiquem ent et décrit, je
pense que le inonde lui-même ne suffirait pas à contenir les livres quon en
écrirait, dit l’évangéliste Jean (Jn 21, 25). M ais ce qui a été mis par écrit,
l’a été pour que nous croyions dans le Fils de Dieu et que nous ayons
ainsi la vie éternelle (Jn 20, 31). Pour l’é vénement cité dans l’é vangile de
ce jour, l’évangéliste ne consacre que deux phrases. Songeons cependant à
ce que recouvre cet événement: expulser le diable d ’un hom me possédé,
desserrer le mal qui l’é touffe et faire en sorte qu’il puisse parler de façon
paisible et sensée ! Il s’agit d ’un événement plus im portant qu’une guerre
à laquelle de nombreux livres ont été consacrés. Faire la guerre, chacun
416 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
peut le faire, mais expulser les démons et rem plir de mots une bouche
jusque-là m uette, nul ne peut l’accomplir sauf Dieu. O n pourrait écrire
des livres à propos d ’un tel miracle, mais l’évangéliste n’y consacre que
deux phrases ; il agit notam m ent ainsi afin de m ontrer la m ultitude de
miracles semblables accomplis par le plus grand thaum aturge de l’histoire
et m ettre en évidence la facilité avec laquelle le Seigneur a réalisé ces
miracles.
Il est dit que le Seigneur a d ’abord chassé le diable, à la suite de quoi le
m uet a parlé. C et acte montre que le Seigneur agit toujours en descendant
profondém ent jusqu’à la racine du mal. L’esprit maléfique était en l’homme
et avait ligoté sa langue. Il fallait donc chasser cet esprit mauvais, afin que
tous les liens et les chaînes qui lui avaient permis d ’enchaîner le malade,
se dénouent d ’eux-mêmes. C ’est pourquoi le Seigneur expulsa d ’abord
le diable, puis insuffla dans l’hom m e la force de l’intelligence et de la
conscience. C et événement rappelle beaucoup l’é pisode du paralytique où
le Seigneur dit d ’abord : Tes péchés sont remis, puis seulement après -.prends
ton lit et v a -t’en chez toi. Pour le C hrist, la m éthode la plus fréquente
est de guérir d ’abord la souffrance spirituelle, puis seulement après de
s’occuper de la tare physique. Il aurait pu délier la langue du muet, mais
laisser le diable en lui. M ais qu’en aurait-il résulté ? Pourquoi lui délier
la langue, si par son intermédiaire le diable continue à blasphémer Dieu
et les hommes ? Pourquoi libérer l’hom m e d ’une tare moindre, tout en
le laissant entre les chaînes d ’un mal plus im portant? E t avec le temps,
le diable n’aurait-il pas ligoté de nouveau la langue du malade, le rendant
m uet une nouvelle fois ? Seigneur, comme tout ce que Tu fais est sage
et pertinent! Nous ne pouvons que nous émerveiller devant Ta sagesse
inépuisable et nous en inspirer pour que tout ce que nous faisons, nous le
fassions en profondeur et à la perfection.
Lesfoules émerveillées disaient: «Jamais pareille chose n'a paru en Israël! »
M ais les pharisiens disaient: «C ’est par le prince des démons qu’il expulse les
démons» (M t 9, 33-34). Pendant que les uns s’é merveillent, les autres
dénigrent. Pendant que les uns se réjouissent devant le bien, les autres
bouillonnent de colère devant le bien. Pendant que le peuple glorifie
Dieu, ses dirigeants évoquent le diable. Pendant que les gens bienveillants
appellent le C hrist, fils de David et Seigneur, les scribes soi-disant sages
L’appellent, émissaire de Béelzéboul, le prince des démons! E t pendant
que les aveugles recouvraient la vue, les sourds retrouvaient l’ouïe, les
possédés récupéraient la raison, les muets se rem ettaient à parler et à
HOMÉLIE POUR LE SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 417
confesser leur foi, les sages de ce m onde, à l’esprit empâté par la sagesse
terrestre et au cœur endurci par la vanité et la jalousie, étaient incapables
de voir le Fils de Dieu, L’entendre, Le reconnaître, Le confesser. Car la
sagesse de ce monde estfolie auprès de Dieu (1 Co 3,19).
Jamais pareille chose n a paru en Israël! disaient les foules émerveillées.
Il est vrai que M oïse, Elie et Elisée ont accompli des miracles, mais
com m ent? A l’aide de leur foi, du jeûne et de la prière d’une part, et de la
grâce accordée par D ieu d’autre part. C ’est le Dieu vivant qui a accompli
ces œuvres puissantes par leur intermédiaire. Le C hrist accomplit tout
par Son propre pouvoir et Sa propre puissance. La différence entre Lui et
les thaum aturges anciens est la même que celle existant entre le soleil et la
lune : la lune brille par la lumière reçue du soleil, mais le soleil brille par sa
propre lumière. Sans préjugé, l’âme simple du peuple a senti cette énorme
différence, ce qui l’a conduit à confesser que :jamais pareille chose n a paru
en Israël! Les pharisiens, il est vrai, ne nient pas la puissance des miracles,
mais, s’ils le pouvaient, ils seraient prêts à soudoyer de faux témoins
comme lors de la Résurrection du C hrist ; mais ils ne peuvent nier ce qui
s’e st produit sous le regard de foules nombreuses ; ils ne nient donc pas ces
miracles mais, poussés par la méchanceté et la perfidie, les interprètent
à leur façon. C'est par le prince des démons qu’il expulse les démons. Ils ont
dit cela à plusieurs reprises au Seigneur, et à plusieurs reprises II leur a
cloué la bouche par une réponse d ’une netteté redoutable, leur disant:
si Satan expulse Satan, il s'est divisé contre lui-même; dès lors, comment son
royaume se m aintiendra-t-il? (M t 12, 26; M c 3, 23-26; Le 11, 18). E n
vérité, il est difficile à un hom me tant soit peu équilibré, de concevoir
une interprétation plus ridicule, inconséquente et stupide des œuvres du
C hrist que celle imaginée par les esprits enténébrés des chefs du peuple
et des scribes d ’Israël. Expulser le diable avec l’aide de Satan ! N ’e st-ce pas
la même chose que de dire : tuer les enfants d ’un père avec l’aide du père ?
O u : faire battre et détruire l’armée d ’un chef militaire avec l’aide de ce
chef militaire ? M ais on ne dit pas en vain que l’envie rend aveugle. O n
peut aussi dire que l’envie est ridicule ou que l’envie est stupide. Car l’envie
non seulement endurcit le cœur et aveugle l’e sprit, mais elle embrouille le
langage et on ne sait plus ce qu’on dit ; c’est pourquoi tout ce qui sort de
la bouche des gens envieux, paraît insensé, ridicule et niais.
Le Seigneur Jésus ne s’attardait pas sur cette impuissance furieuse
des chefs du peuple pleins d ’envie; Il se dépêchait de poursuivre Son
œuvre afin de sauver et de préserver tous ceux que le Père Céleste Lui
418 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
avait confiés, afin qu'aucun d'eux ne soit perdu (Jn 17,12). L’évangile de ce
jour se term ine par ces mots : Jésus parcourait toutes les villes et les villages,
enseignant dans leurs synagogues, proclamant la Bonne Nouvelle du Royaume
et guérissant toute maladie et toute langueur (M t 9, 35). Ville ou village,
peu Lui importait. Il ne cherche pas une ville ou un village, Il cherche
des hommes. I l parcourait toutes les villes et les villages, écrit l'évangéliste,
afin de m ontrer le zèle du C hrist à l’œ uvre. Le zèle pour ta maison me
dévore (Ps 69, 10). Pour Lui, en vérité, un jour était comme mille ans.
L’œ uvre du C hrist s’est exercée à trois niveaux, comme le m ontrent les
mots de l’é vangéliste. Il enseignait, Il proclamait la Bonne Nouvelle du
Royaume et II guérissait toute maladie et langueur humaine. I l enseignait:
cela signifiait qu’il analysait l’esprit de la création de l’Ancien Testament.
I l proclamait la Bonne Nouvelle: cela signifiait qu’il posait les fondations
de la Nouvelle création, du Royaume de Dieu, de l’Église des saints. Il
guérissait - cela signifiait qu’il prouvait en actes la véracité de ce qu’il
enseignait et de ce qu’il proclamait.
E t tout cela, le Seigneur le faisait par amour à l’égard non seulement
des hom m es de cette époque, Ses contemporains - Il est le contem porain
de tout ce qui a été, est et sera - mais aussi de nous-mêmes. Afin que Sa
lumière allume un cierge dans notre âme ; afin que Son am our rencontre
notre foi ; afin que de cette rencontre de l’amour divin et de notre foi,
naisse le miracle de notre salut; afin de guérir notre aveuglement spirituel,
notre stupidité et notre déraison ainsi que tous nos maux et infirmités.
O C hrist Seigneur, Fils du Dieu vivant, aie pitié de nous ! Afin que
nous sachions glorifier Ton N om dans tout notre corps, dans tout notre
peuple et dans toute l’hum anité, avec Ton Père prééternel et avec Ton
Esprit doux et vivifiant, Trinité unique et indissociable, m aintenant et
toujours, de tout temps et de toute éternité. Am en.
H O M É L IE PUR LE H U IT IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA P E N T E C Ô T E
Tout ce que Dieu crée, Il le crée avec pertinence. Rien dans Ses œuvres
n’est sans but, inutile et superflu.
Pourquoi certains hommes se lancent-ils sans but dans tant d’occu
pations sans objet? Parce qu’ils ne connaissent pas le but de cette vie, ni
l’o bjectif de leur itinéraire.
Pourquoi certains hom mes s’e ncombrent-ils de soucis inutiles et
chem inent difficilement au milieu d ’un amoncellement de choses super
flues? Parce qu’ils ne sont pas conscients de ce qui est la seule chose
nécessaire.
Afin de réunifier l’esprit hum ain dispersé, de rassembler le cœur
hum ain divisé et d ’unifier la force désorganisée de l’homme, le Seigneur
Jésus n’a insisté, du début à la fin, que sur un seul but : le Royaume de
Dieu. M ais l’hom m e qui louche en regardant des deux côtés n’en voit
pas un seul. A h, comme la vie d’un esprit aux buts innombrables, est
dépourvue de but! Com m e un cœur divisé est insensible! Com m e la
force éparpillée de la volonté est sans force !
Une chose seule est indispensable : le Royaume de Dieu ! C ’est vers
cette seule direction que le C hrist Thaumaturge s’efforçait de ramener
les regards de toute l’humanité. Celui qui regarde dans cette direction,
ne possède qu’une pensée (car Dieu, n’éprouve qu’un seul sentiment):
l’amour, et il n’obéit qu’à une aspiration : s’approcher de Dieu. Heureux
soit celui qui s’e st concentré dans ce sens : il est devenu semblable à une
lentille de verre, qui attire une multitude de rayons de soleil, de nature à
générer le feu.
Les mots que le Seigneur a dit à M arthe : Marthe, Marthe, tu te soucies
et t ’agites pour beaucoup de choses; pourtant il en fa u t peu, une seule même
420 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
(Le 10, 41-42), sonnent comme une rem ontrance et une mise en garde
destinée à toute l’hum anité. Cherchez d'abord. Son Royaume\ (M t 6, 33).
Tout ce que le Seigneur a dit et tout ce qu’il a accompli, est dirigé dans
cette seule direction, vers un seul but. E n ce point unique se trouve
concentrée toute la flamme qui éclaire les voyageurs égarés dans les
gorges et les tourbillons de la vie temporelle.
Tout est pertinent chez le Seigneur - tout est dirigé vers ce seul but
élevé et unique - tout est pertinent et tout est absolument nécessaire,
les mots prononcés comme les actions commises. Jamais un m ot n’est
inutile ; jamais une action n’e st incohérente ! E t quelle fécondité dans les
mots et les œuvres ! Pour la millionième fois, chacune de Ses paroles et
chacune de Ses actions apportent encore aujourd’hui, des fruits multiples.
E t que ces fruits sont savoureux, aromatiques et vivifiants !
Pourquoi le Seigneur Jésus n’a-t-Il pas transformé les pierres en pain
au m om ent où Satan le lui demandait, mais plus tard, à deux reprises,
quand le peuple assemblé autour de Lui était affamé. A partir de peu de
pain, Il a créé de grandes quantités, de sorte qu’il y en avait plus qu’au
début du repas. Pourquoi le prem ier miracle serait-il dénué de pertinence,
inutile et superflu, alors que le second serait pertinent, utile et opportun ?
Pourquoi le Seigneur Jésus n’a-t-Il pas voulu envoyer du ciel un signe
aux pharisiens quand ceux-ci le lui dem andaient, alors qu’il a envoyé
à maintes reprises de tels signes venus du ciel, des prodiges inconnus
jusque-là, en direction de gens malades, fous, vivant dans la crainte ou
m orts? Parce que tout signe venu du ciel sous les yeux des pharisiens
envieux et vaniteux aurait été dépourvu de pertinence, inutile et superflu,
alors qu’il était pertinent, utile et opportun dans les autres cas.
Pourquoi le Seigneur Jésus n’a-t-Il pas déplacé des m ontagnes d ’un
endroit à l’autre, et pourquoi ne les a-t-U pas précipitées dans la m er? Il
le pouvait, sans aucun doute ; mais pourquoi ne l’a-t-Il pas fait ? Lui qui
pouvait ordonner à la m er déchaînée de se calmer et aux vents de ne plus
souffler, Il était indubitablem ent capable de déplacer des montagnes et
de les jeter dans la mer. M ais quel besoin y avait-il à cela? Aucun. C ’est
pourquoi le Seigneur ne l’a pas fait. En revanche, il était très nécessaire
que la m er se calme et que les vents s’arrêtent, car les gens étaient en train
de se noyer et ils imploraient de l’aide.
Pourquoi le Seigneur Jésus n’a-t-Il pas changé la terre en or et les
corbeaux en pigeons ? S’il a pu changer l’eau en vin, Il est hors de doute
qu’il aurait pu le faire. M ais pourquoi ne l’a-t-Il pas fait? Le besoin n’a
HOMÉLIE PUR LE HUITIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 421
m ontrer qu’un hom m e bon et utile ne peut se cacher nulle part - une
ville ne se peut cacher; qui est sise au sommet d'un mont (M t 5,14) - afin de
justifier ainsi la vie dans le désert et le monachisme. L’histoire de l’Eglise
a montré mille fois que jamais aucun grand ermite, hom me de prière
ou thaum aturge, n’a pu se cacher du peuple. Nom breux sont ceux qui
dem anderont, sans réfléchir: que va faire un moine dans le désert? Ne
vaudrait-il pas mieux qu’il vive au milieu du peuple et qu’il le serve?
M ais com m ent un cierge non allumé peut-il brûler? Le moine apporte
au désert son âme comme un cierge non allumé, afin que le jeûne, la
réflexion dans la prière et son labeur perm ettent de l’allumer. S’il réussit à
l’allumer, cette lumière sera visible par le monde entier; le monde ira à sa
rencontre et le découvrira, même s’il se cache dans des déserts sablonneux,
des montagnes jamais foulées ou des grottes inaccessibles. Le moine n’est
pas sans utilité, mais il peut devenir l’hom me le plus utile pour le peuple.
C ’est ce que m ontre cet épisode avec le Seigneur Jésus. E n vain s’é tait-U
caché dans le désert : une foule considérable grouillait autour de Lui.
Il regarda et eut pitié, parce qu’ils étaient comme des brebis qui n’o nt
pas de berger (M c 6, 34). E n bas, dans les villes, les synagogues étaient
pleines de pasteurs auto-proclamés, qui étaient en fait des loups vêtus de
peaux de brebis. Le peuple le savait et le ressentait, tout comme il savait
et ressentait la miséricorde infinie et l’amour du C hrist pour ce peuple.
Le peuple avait vu et compris que le C hrist était le seul bon pasteur,
qui se souciait sincèrement de lui. C ’est pourquoi il s’était précipité à Sa
rencontre, même dans le désert. E t le Seigneur guérit leurs malades. Le
peuple sentait qu’il avait besoin du C hrist ; il n’attendait pas de Lui qu’il
fît des miracles pour satisfaire sa curiosité, mais à cause de leur caractère
urgent et des souffrances endurées. E t II se m it à les enseigner longuement,
écrit saint M arc (M c 6, 34).
Le soir venu, les disciples s’approchèrent et L ui dirent: «L ’e ndroit est désert
et l ’heure est déjà passée; renvoie donc les foules afin quelles aillent dans les
villages s’acheter de la nourriture» (M t 14, 15). L’évangéliste M atthieu ne
précise pas ce que le Seigneur a fait au milieu du peuple ; il dit seulement
qu’il a guéri des infirmes. C ’e st pourquoi l’évangéliste M arc complète le
récit en disant : E t II se m it à les enseigner longuement. Voyez comme les
évangélistes se com plètent admirablement! Le Seigneur enseignait ainsi
jusque tard dans la nuit. Cela pouvait durer plusieurs heures. Ce même
temps, vous pouvez le consacrer à lire tout l’Evangile. En ces occasions,
le Seigneur dispensait Son enseignement divin de façon à ce qu’il soit
HOMÉLIE PUR LE HUITIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 423
transcrit dans l’Évangile. L’é vangéliste Jean a donc raison d ’affirmer que
si on m ettait par écrit tout ce que le Seigneur a dit et accompli, le monde
lui-mëme ne suffirait pas à contenir les livres qu’on en écrirait (Jn 21,25).
Com m e Ses disciples sont miséricordieux! L'endroit est désert et l ’heure
est déjà passée, disent-ils. Les gens sont affamés et il est plus que temps de
se disperser. M ais leurs maisons sont éloignées et ils ont très faim. Parmi
eux, il y a d ’ailleurs beaucoup de femmes et d ’enfants. Ils doivent très vite
trouver de la nourriture : qu’ils aillent donc dans les villages des environs
afin de se procurer de la nourriture.
M ais le Seigneur serait-Il moins miséricordieux et compatissant que
Ses disciples? N ’aurait-Il pas remarqué avant Ses disciples que le peuple
était affamé et que la nuit était tombée ? Bien entendu, le C hrist est plus
miséricordieux et compatissant que Ses disciples et II avait remarqué
avant eux ce dont le peuple avait besoin. Au tout début, comme l’écrit
l’é vangéliste Jean, levant les yeux et voyant qu’une grandefoule venait à Lui,
Jésus dit à Philippe: D ’où nous procurerons-nous des pains pour que mangent
ces gens (Jn 6, 5)? M ais après cette remarque faite à Philippe, le peuple
s’était assemblé autour du Seigneur, avec ses malades. Le Seigneur guérit
d ’abord tous les malades, puis II se m it à enseigner aux gens. Cela se
prolongea ainsi jusqu’à la nuit. E t ce n’est qu’à ce m om ent que les apôtres
prennent conscience que les gens ont faim et qu’il faut leur donner de la
nourriture. Le Seigneur l’avait remarqué dès le début, mais II ne voulut
plus en parler à dessein, dans l’attente que cette question fut soulevée par
les apôtres eux-mêmes, et cela pour deux raisons : d ’abord pour que leur
miséricorde et leur compassion soient plus fortes, ensuite pour montrer
qu’eux-mêmes étaient impuissants sans Lui. Le C hrist leur dit: I l n'est
pas besoin quelles (les foules) y aillent; donnez-leur vous-mêmes à manger
(M t 14, 16). Lui-m êm e sait qu’ils ne peuvent pas le faire, mais II le dit
afin qu’ils en prennent pleinem ent conscience et confessent leur impuis
sance. Mais, lui disent-ils, nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons
(M t 14,17). L’évangéliste Jean rapporte même que ce peu de nourriture
n’était pas à eux, mais à un petit garçon qui se trouvait là. I l y a ici un
enfant, qui a cinq pains d ’orge et deux poissons ; mais qu’est-ce que cela pour
tant de monde? (Jn 6, 9). C ’e st ce que dit au Seigneur André, l’apôtre
premier-appelé qui, bien qu’il ait été depuis longtemps avec le Christ,
n’était pas encore parfait dans sa foi, puisqu’il se dem andait: mais qu’est-ce
que cela pour tant de monde ? Les pains étaient des pains d'orge, ce qui n’est
pas non plus un hasard. Nous devons en tirer comme enseignement que,
424 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
comme le dit le très sage Chrysostome, nous devons nous satisfaire d ’une
nourriture simple et non faire des tris, car dit-il «l’amour des saveurs est
mère de tous les maux et de toutes les souffrances ». «Apportez-les moi ici »
(M t 14, 18), ordonna le Seigneur aux disciples. Ce n’e st que m aintenant
qu’il intervient. Le peuple est impuissant à se procurer de la nourriture ;
les apôtres ont également reconnu leur impuissance à aider le peuple. Ce
n’e st que m aintenant que vient Son heure ; la situation est mûre pour un
miracle.
E t ayant donné l ’ordre defaire étendre lesfoules sur l ’herbe, I l p r it les cinq
pains et les deux poissons, leva les yeux au ciel, bénit, puis rompant les pains, I l
les donna aux disciples qui les donnèrent auxfoules (M t 14,19). Pourquoi le
Seigneur Jésus a-t-Il d ’abord levé les yeux au ciel ? Il ne l’a pas fait lors des
grands miracles qui ont consisté à ouvrir les yeux des aveugles, purifier les
possédés, expulser les esprits maléfiques des hommes, dom pter la m er et
les vents, changer l’eau en vin, et même ressusciter des morts. Pourquoi
donc, exceptionnellement dans cette circonstance-ci, a-t-Il levé les yeux
au ciel, vers Son Père céleste ?
D ’abord afin de montrer, en présence de cette foule immense, l’unité
de Sa volonté et de celle de Son Père, et de réfuter ainsi les affirma
tions maléfiques des pharisiens selon lesquelles II accomplirait tous Ses
miracles avec l’aide des forces démoniaques. Puis, afin de donner, en tant
qu’homme, un exemple d ’humilité devant D ieu et de gratitude pour
toutes les bontés venues de Dieu. Il nous en a fourni un autre exemple
lors de la Dernière Cène - I l p r it du pain et, après avoir rendu grâce, I l
le rompit (Le 22, 17). Il rendit grâce à Son Père céleste et bénit le pain
comme un don de Dieu. Nous devons, nous aussi, avant chaque repas,
aussi modeste soit-il, rendre grâce à Dieu et Le remercier pour le don
qu’il nous fait. Enfin, Il a levé les yeux au ciel afin de montrer, en tant que
Dieu, lors de la multiplication des pains qui s’apparente à une nouvelle
création, l’unité de la puissance de la Trinité unitaire du Père, du Fils et
du Saint-Esprit, Trinité unique et indivise, qui est seule capable d ’être le
Créateur de tout ce qui existe.
Le Seigneur Jésus Lui-m êm e a rompu le pain avec Ses mains.
Pourquoi ? Pourquoi n’a-t-Il pas ordonné aux disciples de le faire ? Il l’a
fait Lui-m êm e afin de m ontrer la bonne volonté qu’il avait pour donner
l’hospitalité au peuple et Son très grand amour envers les hommes. E t de
nous enseigner ainsi, quand nous faisons acte de charité, de le faire avec
soin et amour, comme Lui-m êm e l’a fait.
HOMÉLIE PUR LE HUITIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 425
de même que chaque panier contenait plus de pains que ce que les gens
affamés avaient mangé et dont ils s’é taient rassasiés.
M ais tous ces mystères sont très profonds et inépuisables. Q ui
oserait se pencher là-dessus ? Q ui oserait, en ce siècle m ortel, descendre
au tréfonds de ces mystères ? Puisse ce que l’o n vient d ’ébaucher suffire
à ceux pour qui il est doux de lire et d ’e ntendre l’Évangile. Les anges
eux-mêmes s’enivrent des délices de l’Évangile. Plus on lit l’Évangile, plus
on y réfléchit dans la prière, plus on se dirige dans la vie conform ém ent
à Lui, plus ses profondeurs s’o uvrent davantage et plus ses délices sont
enivrants. Gloire et louange donc au Seigneur Jésus-Christ, avec Son
Père prééternel et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable,
m aintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE N E U V IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA PE N T E C Ô T E
Jour après jour, victoire après victoire, l’histoire de ce monde est une
série de victoires de D ieu correspondant à la révélation de la puissance
divine et de son caractère irrésistible. Le Seigneur est doux comme
l’agneau, mais les deux et la terre trem blent devant Lui. Q uand II se laisse
humilier, cela m et en évidence Son élévation ; quand II laisse cracher sur
Lui, cela m et en évidence le caractère im pur de tout ce qui n’est pas Lui ;
et quand II se laisse égorger, cela révèle Sa vie.
Telle une image pâle, Dieu a mis en évidence Sa lumière à travers le
soleil, Sa puissance à travers d ’innombrables corps de feu dans le cosmos,
Sa sagesse à travers l’ordre des choses et des êtres d ’un bout à l’autre de
l’univers, Sa beauté à travers la beauté des choses, Sa miséricorde à travers
un soin vigilant pour tout ce qu’il a créé, Sa vie à travers tout ce qui vit.
M ais tout cela n’est qu’une image passagère et pâle de Ses qualités; ce
ne sont que des lettres de feu inscrites dans une fumée épaisse. Toutes
les qualités du Dieu vivant sont apparues dans leur plus grand éclat où
elles pouvaient se manifester dans ce m onde, dans un homme. N on dans
un hom m e créé, mais dans un hom me incréé, le Seigneur Jésus-Christ.
Toutes ces qualités réunies ont brillé en Lui et sont apparues charnelle
m ent : la lumière et la puissance, la sagesse et la beauté, la miséricorde et
la vie.
Q ue signifie la lumière sinon la victoire sur les ténèbres? E t que
signifie la puissance sinon la victoire sur la faiblesse? E t qu’est-ce que
la sagesse sinon la victoire sur la folie et la déraison ? E t qu’e st-ce que la
beauté sinon la victoire sur la laideur et la difformité ? E t la miséricorde
ne m arque-t-elle pas la victoire sur la méchanceté, la perfidie et l’envie ?
E t la vie n’est-elle pas la victoire de Dieu sur la m ort ?
Q ue pensez-vous, vous qui suivez le C hrist et êtes baptisés en Son
nom ? Le C hrist n’a -t-Il pas mis en évidence toutes ces victoires, comme
nul autre depuis la création du monde ? Ne ressentez-vous pas chaque jour
que vous suivez le plus grand vainqueur depuis que le monde et le temps
existent ? E t que vous faites le signe de croix au nom de Celui qui peut
tout et sait tout, dont la beauté rend belles toutes les créatures, dont la
miséricorde les entoure avec tendresse et dont la vie les vivifie ? Si vous ne
sentez pas cela, il est inutile que vous Le suiviez et que vous soyez baptisés
en Son nom. Ce n’e st qu’à travers le Seigneur Jésus que vous pouvez sans
défiance ni hésitation avoir foi dans la puissance totalem ent victorieuse de
Dieu sur toutes choses, toutes les forces de la nature et tous les maux dans
le monde. Seul le Seigneur Jésus peut vous donner le courage de vivre et
HOMÉLIE POUR LE NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS IM PENTECÔTE 431
celui de passer par la mort. Lui seul peut justifier l’e spoir d’une vie meil
leure que cette vie corruptible. Lui seul peut réchauffer en vous l’amour
à l’égard de tout bien. C ar II représente la victoire vivante et incarnée de
Dieu sur le monde. Prenez courage, j'a i vaincu le monde (Jn 16, 33) a dit
le C hrist à Ses disciples, et à travers eux à nous tous. N ’ayons pas peur,
notre Seigneur et Sauveur Jésus-C hrist a vaincu le monde. L’Evangile est
le livre de Ses victoires, le témoignage de Sa toute-puissance. L’histoire
de l’Église jusqu’à aujourd’hui - et jusqu’à la fin du monde - est un livre
encore plus étendu de Ses victoires. Quiconque se m et à en douter perdra
le fruit de Ses victoires. C ’e st donc sans la moindre défiance que nous
allons m aintenant nous pencher sur l’interprétation de l’Évangile de ce
jour, qui décrit une victoire colossale du C hrist sur la nature physique.
E t aussitôt II obligea les disciples à monter dans la barque et à Le devancer
sur l'autre rive, pendant qu'il renverrait lesfoules (M t 14,22). Cela eut lieu
après le très glorieux miracle de la multiplication des pains, où avec cinq
pains et deux poissons le Seigneur nourrit cinq mille hom mes - ‘sans
com pter les femmes et les enfants - et où, après le repas, il subsista douze
couffins pleins de pains. M aintenant le Seigneur prévoit et prépare un
nouveau miracle très glorieux, auquel Ses disciples ne peuvent songer. La
deuxième étape consiste dans l’ordre donné aux disciples de m onter dans
la barque sans Lui et de partir sur l’autre rive. La seconde étape implique
la dispersion de la foule. La troisième étape conduit le Seigneur à m onter
plus haut dans la m ontagne et y rester à l’écart, en prière. Le soir venu, I l
était là, seul (M t 14, 23). Le m ot seul est souligné, afin d ’insister sur la
solitude à laquelle le Seigneur aspirait et dans laquelle II était resté, une
fois la foule dispersée. La montagne, la solitude, la nuit. D ans de telles
circonstances, l’hom m e ressent très aisément la présence de l’esprit de
D ieu ; c’e st alors que la prière est la plus douce. T out ce que le Seigneur
Jésus a fait, Il l’a fait pour notre enseignement et notre salut. Il n’est pas
venu sur terre pour nous instruire seulement par des mots, mais aussi par
des actes et des événements et à travers chacun de Ses gestes. Il a gravi
une montagne, car c’e st là que se trouve le plus grand silence. Il demeure
dans la solitude, car la solitude correspond à un éloignement du monde.
Il prie dans la nuit sombre, car l’o bscurité nocturne est un rideau posé
sur les yeux qui perturbent le fonctionnem ent de l’intelligence et de la
réflexion, le regard ne cessant de se déplacer d’un objet à l’autre. Cette
prière du C hrist sur la montagne possède aussi une signification inté
rieure profonde. Laisser partir la foule, gravir une montagne, la solitude et
432 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l’obscurité, qu’e st-ce que tout cela signifie ? Laisser partir la foule signifie
laisser de côté toutes les images de ce monde et tous les souvenirs qui
nous rattachent au monde et nous perturbent ; puis, débarrassé du monde,
s’é lever vers D ieu dans la prière. Q ue signifie gravir une montagne ? Cela
signifie s’élever par l’esprit, le cœur et l’âme vers les hauteurs divines, le
voisinage de Dieu, la compagnie de Dieu. Celui qui veut attirer le monde
à lui au moyen d ’intérêts innombrables et de contacts avec un très grand
nombre de gens, ne peut en même temps grim per vers les hauteurs, où
l’hom me se sent seul avec son Créateur. Q ue signifie la solitude? Elle
signifie l’âme nue, telle quelle est. Séparé du m onde, l’hom m e ressent
une solitude effroyable. Ceux que leur désillusion en ce monde conduit à
cette solitude effroyable, se suicident généralem ent s’ils ne réussissent pas
à s’é lever en hauteur, là où l’hom m e trouve Dieu. Q ue signifie l’obscurité ?
Cela signifie l’absence totale de quelque lumière de ce monde. Pour un
erm ite en prière, ce monde gît plongé dans des ténèbres profondes où
se lève progressivement l’aube de la lumière céleste, qui vient de Dieu
et illumine un nouveau monde, infinim ent plus éclatant et meilleur que
celui-ci. Telles sont les quatre phases de la prière et leur sens intérieur.
Dans cet épisode avec le C hrist, cela est représenté de façon imagée : le
départ de la foule, la marche dans la montagne, la solitude et l’obscurité.
M ais cette prière solitaire du Seigneur Jésus est aussi instructive pour
nous à cause de ce qui s’e st passé juste avant et de ce qui allait se passer par
la suite. Avant cette prière, le Seigneur a accompli le miracle prodigieux
de la m ultiplication des pains, et après cela II a marché sur la m er agitée
comme s’il s’agissait de la terre ferme. Bien qu’il ait accompli l’un et
l’autre de ces miracles grâce à Sa propre puissance divine, qui est avec Lui
depuis l’éternité et qui ne L’a pas abandonné pendant Son séjour terrestre,
Il a continué à prier, dans l’église avec le peuple, dans le désert et dans
la solitude. Il est difficile pour nous de connaître le m otif secret de ces
prières du Seigneur Jésus. Il est certain que, par ces prières, le Fils unique-
engendré du Père pré-éternel a continué à porter témoignage sur cette
terre de Son unité très pure avec Son Père et le Saint-Esprit. En outre, avec
l’exemple de Sa prière, le Seigneur nous laisse un enseignement limpide.
La prière doit être précédée par une bonne action, car c’e st alors que la
prière aide. Il nous faut d ’abord tém oigner de notre foi par une bonne
œuvre, puis confesser cette foi par des mots. La prière ne vaut que quand
nous nous préparons à faire une bonne action et que nous prions D ieu de
nous aider. E n revanche, prier D ieu afin qu’il nous aide à accomplir une
HOMÉLIE POUR LE NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 433
mauvaise action, est non seulement sans objet mais aussi blasphématoire.
Faire le mal et prier, c’est comme semer de l’ivraie et exiger de Dieu de
produire du blé. Après toute bonne action, il faut revenir à la prière et
remercier Dieu de nous avoir rendus dignes et capables d ’accomplir cette
bonne action ; avant toute bonne action, il nous faut prier et demander
à D ieu de nous accorder Sa grâce, Son aide et Son concours, afin que
l’action à venir soit réalisée de façon valable et honnête. E n un mot, toute
bonne action accomplie, vécue ou observée, entendue ou regardée, doit
être - sans aucune exception - attribuée entièrem ent à Dieu et non à
nous-mêmes, à notre pouvoir, intelligence ou sens de l’équité. C ar nous
ne sommes rien devant Dieu. Si le Seigneur Jésus, après avoir accompli de
tels miracles, fait preuve d ’humilité, de modestie et d ’o béissance devant
Son Père et l’Esprit, dont II est l’égal en éternité et en essence, comm ent
ne nous m ontrerions-nous pas humbles, modestes et obéissants envers
notre Créateur, qui nous a créés à partir de rien et sans l’aide duquel il
nous serait impossible d ’e xister pendant une m inute, et afortiori faire une
bonne action ?
La barque, se trouvait déjà à plusieurs centaines de mètres de la terre;
elle était battue par les vagues, le vent étant contraire. A la quatrième veille
de la nuit, Jésus v in t vers eux en marchant sur la mer (M t 14, 24-25). Le
soir, quand les disciples s’étaient embarqués, la m er était calme ; puis un
vent contraire se m it à souffler, des vagues énormes se m irent à déferler,
comme souvent sur cette mer ; la barque fut ballottée en tous sens et les
disciples furent saisis d ’une grande frayeur.
Le Seigneur Jésus avait prévu tout cela, mais II avait voulu tout
particulièrement que Ses disciples soient exposés au danger, afin de sentir
combien ils étaient totalem ent impuissants en Son absence et consolider
ainsi leur foi en Lui, afin qu’ils puissent se souvenir d ’une tem pête connue
précédem m ent en mer, quand Lui-m êm e était dans la barque et que, tout
effrayés, ils L’avaient réveillé en criant : A u secours, Seigneur, nous périssons !
(M t 8,24-25), et qu’ils éprouvent m aintenant le souhait qu’il soit parmi
eux. Afin qu’ils ressentent et reconnaissent la véracité des saintes paroles
qu’il ne prononcera qu’au m om ent de Sa séparation avec eux : en dehors de
moi, vous ne pouvez rien faire (Jn 15,5).
Lors de cette tem pête précédente, les disciples avaient été exposés
à une tentation moins grande et leur foi à une épreuve plus légère. Il
était avec eux dans la barque, mais II dormait. Lors de cette deuxième
tempête, ils furent soumis à une tentation beaucoup plus grande et leur
434 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
foi à une épreuve plus difficile. C ar Lui-m êm e était absent, loin deux, sur
une montagne dans le désert. C om m ent faire appel à Lui? C om m ent
Lui faire part de leur détresse ? Q ui pourrait lui dire : A u secours, Seigneur,
nous périssons ! Personne. Les disciples se voyaient m aintenant condamnés
à périr. Com m e si celui qui obéit aux comm andem ents de Dieu pouvait
périr ! A h, quelle merveilleuse leçon pour l’hom m e juste : ne pas déses
pérer sur le chemin où Dieu l’a envoyé ; croire que Celui qui l’a envoyé,
prend soin de lui et connaît ses malheurs, mais qu’il n’accourt pas aussitôt
à son secours, afin que la foi de ce juste soit éprouvée, comme l’or dans
le feu.
Q uand les disciples furent désespérés, à l’extrême limite du désespoir,
soudain le C hrist apparut m archant sur les flots : c’était à la quatrième
veille de nuit, c’est-à-dire juste avant l’aube. E n effet, les Juifs comme les
Romains leurs maîtres, divisaient la nuit en quatre veilles. Chaque veille
durait trois heures. Le Seigneur apparut aux disciples à la quatrième veille
de la nuit, c’e st-à-dire à la dernière, juste avant l’aube.
Les disciples, Le voyant marcher sur la mer, fu ren t troublés: «C ’est un
fantôme-», disaient-ils, et pris de peur ils se mirent à crier (M t 14, 26). Le
jour était déjà apparu, ou c’était le clair de lune, ou le Seigneur brillait
dans l’obscurité avec la lumière du Thabor - nous ne pouvons le savoir
précisément. L’essentiel est qu’il était devenu visible des disciples. Le
voyant sur les vagues de la mer, Ses disciples furent remplis d’une frayeur
indicible. C ette nouvelle peur était plus terrible que celle éprouvée devant
la tem pête et le danger qui menaçait. Ils ne connaissaient pas un tel
pouvoir de leur M aître, un tel pouvoir sur la nature. Il ne le leur avait pas
m ontré jusque-là. Ils L’avaient seulement vu com m ander à la m er et aux
vents, mais ils ne savaient pas qu’il pouvait m archer sur la mer comme
sur la terre ferme. Bien entendu, ils auraient pu le supposer à partir du
miracle accompli précédemment. C ar Celui qui peut ordonner à la mer
de se calmer et au vent de cesser de souffler, peut sans doute marcher
sur l’e au comme sur la terre. M ais les disciples n’étaient pas encore mûrs
spirituellem ent; leur foi était encore faible. Le C hrist a accompli ce
nouveau miracle dans le seul but de fortifier leur foi.
C ’est un fantôme!, pensaient et criaient les disciples, pétrifiés’; c’e st
une apparition, ou peut-être s’agit-il de Satan, sous l’aspect du M aître.
Ils savaient que leur M aître avait lutté contre Satan et son armée dans
ce monde. Ils pouvaient s’imaginer que Satan avait saisi cette occasion,
où eux-mêmes se trouvaient en grand danger, pour les tuer. Q ue ne
HOMÉLIE POUR LE NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 435
M ais aussitôt Jésus leur parla en disant: «Ayez conjïance, c'est moi, soyez
sans crainte!» (M t 14, 27). Vous voyez que le Seigneur ne garde pas Ses
fidèles longtemps au milieu des grandes épreuves. Il connaissait la peur,
une peur effrayante, qu’ils éprouvaient face à l’apparition d ’un fantôme,
aussi se h âte-t-Il de venir à leur secours : Il leur dit aussitôt :Ayez confiance!
Aussitôt! Vous voyez comme II les encourage en leur redonnant pour
ainsi dire l’esprit de vie qu’ils avaient quasim ent perdu du fait de la peur:
ayez confiance, n’ayez pas peur ! Il répète les mêmes paroles d ’encoura
gem ent: Ayez confiance, c’est moi, soyez sans crainte! A h, la douce voix!
A h, les paroles vivifiantes ! Devant cette voix, les démons s’e nfuyaient, les
maladies s’esquivaient, les morts ressuscitaient. Q ue dis-je ? D e cette voix
sont nés le ciel et la terre, le soleil et les étoiles, les anges et les hommes.
C ette voix est la source de tout bien, de toute vie, santé, sagesse et joie.
Ayez confiance, c’est moi! Ces mots ne peuvent être entendus par tous, mais
les justes les entendent, ceux qui sont martyrisés pour le Seigneur. Tous
ceux qui souffrent n’entendent pas le C hrist. C ar com m ent pourrait-
il L’e ntendre, celui qui souffre à cause de ses péchés et de ses actions
injustes ? L’e ntendra seulement celui qui souffre à cause de sa foi en Lui
(1 P, 13-16). Les disciples ont été martyrisés à cause de leur foi en Christ,
afin que se fortifie en eux la foi en Christ.
Sur quoi, Pierre lui répondit: « Seigneur; si c'est bien toi, donne-moi l'ordre
de venir à toi sur les eaux» (M t 14, 28). Ces paroles de Pierre expriment
à la fois sa joie et son doute. Seigneur, s’écrie un cœur joyeux: si c’est bien
toi reflète son doute. Plus tard, quand sa foi fut affermie, il ne parlait
plus ainsi. Q uand le Seigneur ressuscité apparut sur la rive de cette mer
de Galilée et que Pierre entendit Jean dire : C'est le Seigneur! il m it son
vêtement et il sejeta à l'eau (Jn 21, 7). Alors il ne douta pas qu’il s’agissait
bien du Seigneur et n’e ut pas peur de se jeter à l’eau. M ais auparavant, il
n’en était qu’au début de son envol spirituel, avec une foi faible et c’est
pourquoi il dit : Seigneur, si c’est bien toi, donne-moi l ’ordre de venir à toi!
« Viens» dit Jésus. E t Pierre, descendant de la barque, se m it à marcher sur
les eaux et v in t vers Jésus (M t 14, 29). T ant qu’il eut la foi, Pierre marcha
sur les eaux, mais dès que le doute l’eut envahi, il se m it à couler. C ar le
doute provoque la peur. D u point de vue intérieur, descendre de la barque
et m archer sur les eaux vers le Seigneur Jésus signifie se séparer avec son
âme de son corps et des soucis terrestres et se m ettre à arpenter un chemin
difficile m enant vers le m onde spirituel, vers le Sauveur. D e tels moments
se produisent aussi chez les fidèles ordinaires ayant peu de foi, chez qui
HOMÉLIE POUR LE NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 437
Seigneur, et ma prière est alléejusqu'à toi ( Jon 2, 8). E t les trois jeunes gens
de Babylone qui ne doutèrent point dans la fournaise et furent sauvés par
leur foi. E t Daniel le visionnaire dans la fosse aux lions. E t le bienheureux
Job au milieu de ses blessures purulentes. E t des milliers et des milliers
d ’autres, à qui leurs bourreaux infligèrent les pires tortures pour leur foi
en C hrist, com m ent ne doutèrent-ils pas ? E t toi, pourquoi as-tu douté ?
Le Seigneur t ’a sauvé à de nombreuses reprises à l’improviste, avec Sa
main invisible, même si tu avais mis en doute Son aide. Souviens-toi au
moins des bontés faites par le Seigneur et repens-toi pour la faiblesse de
ta foi, rafraîchis donc ta foi, et à l’avenir, face au danger, glorifie et invoque
le nom du Seigneur et tu seras sauvé. Au milieu du danger, glorifie Dieu,
et non seulement quand le danger est passé. M ais ne désespère pas si tu
as fait preuve de peu de foi. Au début, Pierre lui aussi eut peu de foi, mais
avec le temps, il s’e ndurcit dans la foi et devint ainsi dur comme la pierre.
Thomas, lui aussi, fut faiblement croyant, mais le Seigneur le fortifia dans
la foi. U n grand nombre de saints parm i les plus saints eurent aussi peu de
foi au début, puis ils devinrent constants et fermes dans la foi en Christ.
Entends ce que dit le bienheureux David: Sur Dieu je compte, je n ai pas
peur; que feraient pour moi les hommes? Dieu, je suis tenu par mes vœux;
j'accomplis pour toi les sacrifices de louange, car tu mas délivré de la mort.
N ’a s-tu pas préservé mespieds de la chute, pour queje marche devant Dieu à la
lumière de la vie ? (Ps 55,12-14). Ainsi s’exprime celui qui croit en vérité
et qui sait que dans la vie tous les cheveux sur la tête ont été comptés par
D ieu et qu’aucun moineau - et afortiori aucun hom m e - ne peut tom ber
sans la volonté de Dieu.
E t quand ils fu ren t montés dans la barque, le vent tomba (M t 14, 32).
Dès que le C hrist est entré dans la barque, le vent s’e st arrêté. M ais le
vent ne s’e st pas arrêté de lui-mêm e, il l’a fait sur ordre du Seigneur Jésus.
C ar même si on ne dit pas explicitement ici, comme lors de la première
tem pête mémorable, que le C hrist menaça les vents et la mer (M t 8, 26),
cela transparaît de soi-même. Sans nul doute l’évangéliste M atthieu pense
que le vent s’est arrêté à la suite d ’un ordre secret, non public, du Christ.
L’évangéliste M arc l’exprime plus nettem ent en disant : Il monta auprès
d'eux dans la barque et le vent tomba (M c 6, 51). M ais même cet extrait
n’indique pas explicitement que le C hrist a ordonné au vent de s’arrêter.
C ’est sous l’effet de Sa force et de Sa pensée que le vent s’est apaisé. Le
sens profond de l’arrivée du C hrist sur le bateau et de l’apaisement du vent
est suffisamment clair. Q uand le Seigneur Jésus entre vivant, m onte dans
HOMÉLIE POUR LE NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 439
notre embarcation charnelle, soit lors de la sainte comm union, soit lors
d ’une prière, soit par un autre chemin bienfaisant, les vents des passions
s’apaisent en nous, et notre barque vogue paisiblement vers le rivage.
Ceux qui étaient dans la barque se prosternèrent devant L ui, en disant:
« Vraiment, tu esfils de Dieu !» (M t 14,33). Q uand le Seigneur apaisa pour
la première fois la tempête sur les flots et arrêta les vents, les disciples
disaient, comme d’autres hommes ordinaires ayant peu de foi : Quel est
celui-ci, que même les vents et la mer L u i obéissent ? (M t 8,27) M ais depuis
lors, ils virent de nombreux signes de leur M aître et entendirent nombre
de Ses enseignements, de sorte que leur foi s’était fortifiée. M aintenant,
face à ce nouveau miracle impressionnant, ils ne se dem andent plus : Quel
est celui-ci? M ais se prosternant devant Lui, ils confessent: « Vraiment,
tu esfils de Dieu!» C ’est la première fois que tous les disciples confessent
Jésus comme Fils de Dieu. Bien entendu,Judas se trouvait parm i eux. Sans
doute l’a-t-il confessé lui aussi. M ais plus tard, son am our de l’argent lui a
fait complètem ent renier son Seigneur et M aître. Il est vrai que Pierre lui
aussi L’a renié, et à trois reprises, mais ce reniem ent de Pierre fut passager,
sous l’effet de la peur; Pierre s’était aussitôt repenti et repenti amèrement,
pleurant à cause de son reniement. Le sens profond de ces paroles : Ceux
qui étaient dans la barque se prosternèrent devant Lui, en disant: « Vraiment,
tu es fils de D ieu! est très instructif pour tout chrétien. Une fois que le
Seigneur s’e st installé en nous, tout ce qui est en nous doit s’incliner
devant Lui et confesser Son nom : notre esprit et toutes nos pensées,
notre cœur avec ses sentiments et notre âme avec tous ses souhaits et
ses aspirations. Ainsi tout notre corps sera illuminé et il n’y aura plus
d ’o bscurité en lui. M ais malheur à nous si, après avoir accueilli le Christ
en nous, nous L’e n chassons à la suite d ’un péché, ou si nous Le renions,
comme Judas l’a fait. Ce qui nous arrivera sera pire que ce que nous avons
connu auparavant. C ar quand le C hrist quitta Judas, alors Satan entra en
lui ( Jn 13,27). N ’o ublions pas un seul instant qu’on ne doit pas plaisanter
avec Dieu, qui <?rt un fe u consumant (H e 12,29).
A yant achevé la traversée, ils touchèrent terre à Génésareth (M t 14, 34).
Ils arrivèrent donc à la ville de Capharnaüm où ils s’étaient déjà dirigés
(Jn 6,17). Quiconque a été en Galilée peut se rendre compte de l’endroit où
la tempête avait déporté les apôtres du Christ. Bethsaïde et Capharnaüm
se trouvent sur la rive nord de la mer de Galilée. E n m ontant dans la
barque près de Bethsaïde, les disciples n’avaient qu’à naviguer le long
de la côte. Or, leur barque fut déportée par la tem pête jusqu’au milieu
440 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
de la mer. C ’e st là, en pleine mer, que le Seigneur Jésus est apparu sur
les flots. Q uand la tempête fut calmée, il restait à la barque à se rendre
jusqu’à la rive, à Capharnaüm . Selon les évangélistes M atthieu et M arc,
il semble que la barque a parcouru cette distance naturellement, poussée
par les rames et les voiles ; mais le récit de l’évangéliste Jean peut donner
l’impression que le Seigneur a accompli avec Sa puissance irrésistible,
un nouveau miracle qui a permis à la barque d ’arriver im m édiatem ent
au port, car il est écrit : aussitôt le bateau toucha terre là où ils se rendaient
(Jn 6,21). Il n’y a toutefois pas de contradiction réelle entre les récits des
évangélistes. C ar Celui qui pouvait marcher sur l’e au et calmer d ’un mot
la m er et les vents, pouvait sans nul doute, en cas de besoin urgent, faire
en sorte que le bateau se retrouve instantaném ent dans son port. Le sens
profond de ce récit de Jean est que, quand le Seigneur Jésus s’est installé
en nous, nous avons dès cet instant le sentim ent que nous nous trouvons
au Royaume de Dieu, comme dans un havre de paix, où ni les tempêtes
ni les vents ne pourront venir troubler notre embarcation terrestre. E t si
par la suite, nous avons à m archer sur terre, nous ne le sentons pas car en
esprit, par le cœur et dans l’âme, nous vivons déjà dans un autre monde,
meilleur, où règne le C hrist Vainqueur. Dans Ses victoires, nous voyons
avec joie les nôtres, et dans les nôtres, les Siennes.
Lui seul est vainqueur de tous les maux et II est le seul à ne pouvoir
être vaincu par aucun mal. Aussi devons-nous nous blottir sous Son aile
puissante, là où il n’y a ni tempête, ni vents, ni illusions ; de mort, il riy en
aura plus; de pleur, de cri et de peine, il n’y en aura plus (Ap 21, 4) ; là, nous
trouverons en abondance toutes les richesses non éphémères, que les vers
et la rouille ne peuvent entamer, et là nous glorifierons, avec les anges
et les saints, les œuvres victorieuses du C hrist, dont la grandeur nous
est inconcevable dans ce monde m ortel, dans cet horizon étroit. Là-bas,
tout nous sera révélé et nous nous réjouirons, et notre joie n’aura pas de
fin. Gloire et louange au Seigneur Jésus-Christ, avec Son Père prééternel
et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, m aintenant et
toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE D IX IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA PE N T E C Ô T E
Depuis que le monde a été créé, les peuples vivant sur la terre ont
toujours cru qu’un monde spirituel existe et que des esprits invisibles
existent. M ais de nombreux peuples ont fait l’erreur d’attribuer aux
esprits maléfiques plus de pouvoir qu’aux bons esprits ; avec le temps, ils
ont affirmé que les esprits mauvais ont été élevés au rang de divinités,
des temples leur o nt été construits, des sacrifices leur ont été offerts et on
attendait tout deux. Avec le temps, de nombreux peuples ont complè
tem ent abandonné la foi dans les bons esprits, n’ayant foi que dans les
esprits mauvais. O n avait même l’impression que ce monde n’était qu’un
champ de courses laissé aux hommes et aux esprits maléfiques. Les esprits
mauvais faisaient de plus en plus souffrir les hommes et les aveuglaient,
dans le seul but que les hom mes effacent de leur conscience toute trace
d ’un Dieu bon et toute idée d ’une puissance trop grande des esprits de
bonté, donnée par Dieu.
D e nos jours aussi, tous les peuples sur la terre croient dans les esprits.
E t cette foi populaire est fondam entalem ent juste. Ceux qui nient
le monde spirituel, le font parce qu’ils ne regardent qu’avec leurs yeux
charnels, sans le voir. M ais le m onde spirituel ne serait pas ce qu’il est si
on pouvait le voir avec des yeux charnels. Tout hom m e dont l’esprit n’a
pas été aveuglé ni le cœur endurci, est en mesure de sentir de tout son
être, tous les jours et à toute heure, que les hommes ne se trouvent pas
seulement dans ce monde entourés de pierres, de plantes, d’animaux et
de forces naturelles, mais que notre âme ne cesse d ’être en contact avec
un monde invisible et des êtres invisibles. Sont dans l’erreur les peuples et
les gens qui s’opposent aux esprits bienveillants, tout en considérant que
les esprits maléfiques sont des divinités devant lesquelles ils s’inclinent.
442 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Q uand le Seigneur Jésus est apparu sur terre, les peuples croyaient en
général à la puissance du mal et à la faiblesse du bien. Les forces malé
fiques dom inaient en fait dans le m onde, et le C hrist Lui-m êm e appelait
le chef des forces maléfiques le prince de ce monde. Les responsables juifs
attribuaient aux démons et à leur force toutes les actions divines du Christ.
Le Seigneur Jésus est venu dans le m onde afin de déraciner la foi
que les hommes éprouvaient par faiblesse à l’égard du mal et d’implanter
dans leur âme la foi dans le bien, sa toute-puissance, son invincibilité
et son éternité. La très ancienne et très répandue croyance dans les
esprits ne fut pas combattue, mais confirmée par le Christ. M ais II a
révélé tout le monde spirituel tel qu’il est, et non tel qu’il paraissait aux
hom mes du fait des chuchotements du démon. Le Dieu unique, bon,
sage et tout-puissant, est le maître du monde spirituel et du monde
physique, de l’invisible et du visible. Les bons esprits sont les anges,
dont il est difficile de préciser la multitude. Ces bons esprits, les anges,
sont incom mensurablement plus puissants que les esprits mauvais. Les
mauvais esprits n’ont d’ailleurs aucun pouvoir pour faire quoi que ce soit
si le Dieu Tout-puissant ne le tolère pas. M ais le nombre des mauvais
esprits est très im portant. D ans un seul hom me possédé par le démon
à Gadara, qui fut guéri par le Seigneur, vivait toute une légion, c’est-à-
dire plusieurs milliers d ’e sprits mauvais (Mc 5, 9). Ces mauvais esprits
ont abusé les hommes, des peuples entiers à cette époque, comme ils
abusent aujourd’hui de nombreux pécheurs, en leur faisant croire qu’ils
sont tout-puissants, qu’ils sont précisément les seuls dieux, qu’il n’y en a
pas d ’autres qu’eux et que d’ailleurs les bons esprits n’existent pas. Mais
dès que le Seigneur Jésus apparaissait quelque part, ils s’enfuyaient loin de
Lui avec frayeur. Ils reconnaissaient en Lui le souverain et le juge, qui est
en mesure de les expulser de ce m onde et de les précipiter dans le gouffre
infernal. Ils s’étaient répandus dans ce m onde par indulgence divine et
setaient rués sur le genre hum ain comme des mouches sur un cadavre,
croyant que ce m onde leur était assuré pour toujours comme un nid et un
festin. M ais soudain apparut devant eux le détenteur du bien, le Seigneur
Jésus-C hrist et c’est alors que saisis de frayeur, ils s’écrièrent: Es-tu venu
ici pour nous tourmenter? (M t 8, 29) N ul n’a plus peur des tourm ents que
celui qui tourm ente autrui. Les mauvais esprits ont tourm enté l’hum anité
pendant plusieurs milliers d ’années, prenant plaisir dans les souffrances
des hommes. M ais en voyant le Christ, ils furent effrayés comme devant
leur plus grand persécuteur et furent même prêts à quitter les hommes
HOMÉLIE POUR LE DIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 443
et devenir des porcs ou n’importe quelle autre créature, dans le seul but
de ne pas être chassés tout à fait de ce monde. M ais le C hrist n’avait
pas songé à les expulser complètem ent de ce monde. Ce monde en effet
est composé de forces diverses. Ce m onde est un terrain où les hommes
doivent choisir consciemment et volontairem ent: soit suivre le C hrist
Vainqueur, soit suivre les démons impurs et vaincus. Le C hrist est venu,
en am i-des-hom m es, m ontrer la puissance du bien sur le mal et conso
lider la foi des hom mes dans le bien - uniquem ent dans le bien.
L’évangile de ce jour décrit un cas, parmi une infinité d ’autres, où le
Seigneur am i-des-hom m es a m ontré une nouvelle fois la puissance du
bien sur le mal et où 11 a pris soin de fortifier la foi des hommes dans le
bien, la toute-puissance du bien et la victoire du bien.
Un homme s’approcha de Jésus et, s’agenouillant, lui dit: «Seigneur, aie
p itié de mon fils, qui est lunatique et va très mal: souvent il tombe dans lefeu,
et souvent dans l ’e au» (M t 17, 14-15). C et épisode est également décrit
par deux autres évangélistes: M arc (M c 9, 14-29) et Luc (Le 9, 37-43).
Ils apportent quelques précisions sur l’é tat du jeune homme, qui était
l'unique enfant de son père (Le 9, 38) et son esprit était muet (M c 9, 17).
Q uand l’esprit mauvais s’empare du jeune homme, il le jette à terre, et il
écume, grince des dents et devient raide (M c 9, 18). Les flèches de l’esprit
maléfique sont dirigées sim ultaném ent contre le jeune hom me, toute la
création divine et Dieu Lui-m êm e. E n quoi la lune serait-elle coupable
de la maladie de ce garçon ? Si elle était à l’origine de la démence et de
la disgrâce d’un hom me, pourquoi n’agit-elle pas de même pour tous les
hom mes ? M ais le mal ne réside pas dans la lune, mais dans l’esprit malé
fique et rusé qui trom pe l’hom me tout en se cachant lui-m êm e : il accuse
la lune afin que l’hom me ne l’accuse pas, lui. Il voudrait ainsi parvenir à
faire croire à l’hom m e que toute la création divine est mauvaise et que le
mal pour l’hom me provient de la nature et non des esprits mauvais qui se
sont détachés de Dieu. C ’e st pourquoi il agresse ses victimes en essayant
de leur faire croire que le mal vient de la lune ; et comme la lune vient
de Dieu, le mal viendrait donc de D ieu ! C ’est ainsi que les hommes sont
trompés par ces fauves très rusés et très féroces.
En fait, tout ce qui a été créé par Dieu est bon ; toute création divine
est destinée à être utile à l’homme, non à lui faire mal. Si quelque chose
gêne le confort physique de l’homme, cela contribue à encourager et à
enrichir son activité spirituelle. A toi les d e u x !A toi aussi la terre!Le monde
et ses richesses, c’est toi qui lesfondas (Ps 88,12). Tout cela, c’est ma main qui
444 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l ’a fa it (Is 66,2). Si tout vient de Dieu, tout doit être bon. D ’une source ne
peut s’é couler que ce qui se trouve dans cette source, non ce qui n’y est pas.
E n Dieu, il n’y a pas de mal ; dès lors, com m ent le mal pourrait-il venir de
Dieu, source de ce qui n’est que bon et pur? Beaucoup d’hommes inex
périm entés appellent toute souffrance, mal. E n réalité, toute souffrance
n’est pas un mal ; il y a des souffrances provoquées par le mal et d ’autres
qui sont un remède contre le mal. La folie et la fureur représentent des
manifestations du mal ; mais le mal, c’est l’esprit mauvais qui est à l’œ uvre
dans l’hom me possédé ou furieux.
Les souffrances et les malheurs qui ont frappé de nombreux souve
rains d’Israël qui faisaient ce qui est mal devant le Seigneur, ces souffrances
et ces malheurs étaient les conséquences des péchés de ces souverains.
M ais les souffrances et les malheurs que le Seigneur tolère en ce qui
concerne les justes, ne sont pas la m anifestation du mal mais un remède,
non seulement pour ces justes mais aussi pour tous ceux qui les entourent
et qui com prennent que leurs souffrances ont été envoyées par Dieu pour
leur bien.
Les souffrances issues des attaques des mauvais esprits contre l’homme
ou consécutives aux péchés commis par les hom mes, sont des manifesta
tions du mal.
M ais les souffrances que D ieu laisse se produire sur les hommes afin de
les purifier com plètem ent du péché, de les arracher au pouvoir du démon
et les rapprocher de Lui, ces souffrances purificatrices ne correspondent
pas au mal, mais viennent de D ieu pour le bien des hommes. I l mef u t bon
d'être humilié,pour étudier tes décrets, dit le roi David plein de discernement
(Ps 118, 71). Le diable, c’est le mal, et le chemin vers le diable, c’est le
péché. En dehors du diable et du péché, il n’existe absolument aucun mal.
Ainsi, c’est l’esprit mauvais seul qui est responsable des tourm ents et
des souffrances du jeune hom m e cité ci-dessus, non la lune. Si Dieu, dans
Son amour des hommes, ne retenait pas les mauvais esprits et ne gardait
pas les hom mes sous Sa protection, les mauvais esprits étoufferaient tout
le genre hum ain spirituellement et physiquement, comme des criquets
détruisant la moisson dans les champs.
Je l ’ai présenté à tes disciples et ils n’o ntpaspu le guérir (M t 17,16). Ainsi
parle au Seigneur le père du malade. Parmi ces disciples, trois étaient
absents : Pierre, Jacques et Jean. Ces trois-là se trouvaient au M ontThabor,
où avait eu lieu la Transfiguration du Seigneur, puis étaient descendus
avec Lui au pied de la montagne, où une foule nombreuse (Le 9, 37) était
HOMÉLIE POUR LE DIXIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 445
du monde, soit par orgueil, le pouvoir qui leur avait été donné faiblissait
aussi. Adam lui aussi avait eu le pouvoir sur toutes choses, mais sa déso
béissance, son avidité et son orgueil le lui avaient fait perdre. Les Apôtres
eux aussi, par leurs erreurs, avaient aussi perdu le pouvoir qui leur avait
été donné. C ette puissance perdue ne peut être retrouvée que par la foi,
la foi et la foi. C ’est pourquoi le Seigneur insiste tout particulièrement
dans cette circonstance sur la puissance de la foi. L a foi peut déplacer les
montagnes ; rien n’est impossible à la foi. Le grain de sénevé est petit, mais
il peut donner du goût à tout un plat. Si on a autant de foi qu’un grain
de sénevé, les m ontagnes pourront être déplacées d ’un lieu à un autre.
Pourquoi le Seigneur n’a-t-Il pas déplacé des montagnes Lui-m êm e?
Parce que ce n’était pas nécessaire. Il n’a accompli de miracles que dans
la mesure où ils étaient nécessaires et utiles aux hom mes pour leur salut.
Déplacer des montagnes est-il un miracle plus im portant que changer
l’eau en vin, faire qu’une petite quantité de pain se transforme en une
quantité énorme, expulser des démons des hom mes, guérir toute maladie,
marcher sur l’eau ou apaiser d ’un m ot ou d ’une pensée les tempêtes et
les vents sur la m er ? Il n’est pas du tout exclu que les disciples du Christ,
en cas de nécessité et grâce à une grande foi, aient accompli le miracle
de déplacer des montagnes. M ais y a-t-il des montagnes plus grandes et
plus lourdes à porter pour l’âme hum aine que les angoisses et les craintes
liées à ce monde et que les liens et les chaînes qui nous y enferm ent?
Celui qui a pu déplacer un tel poids de l’âme hum aine et le précipiter à
la mer, Celui-là a été en vérité capable de déplacer la montagne la plus
imposante au monde.
Le jeûne et la prière sont les deux piliers de la foi, deux feux ardents
qui consum ent les mauvais esprits. Le jeûne perm et d’apaiser et anéantir
toutes les passions charnelles, notam m ent la débauche ; la prière perm et
d ’apaiser et d’anéantir les passions de l’esprit, du cœur et de l’âme : les
mauvaises intentions et les mauvaises actions, la vengeance, l’envie, la
haine, la méchanceté, l’orgueil, l’amour de l’argent et les autres. Le jeûne
perm et de nettoyer le réservoir physique et spirituel des souillures liées aux
passions séculières et à la luxure ; la prière perm et d ’installer la grâce du
Saint-Esprit dans un espace vide et purifié, alors que l’accomplissement
de la foi consiste à faire entrer l’Esprit de Dieu dans l’homme. L’Eglise
orthodoxe proclame depuis toujours que le jeûne est un remède éprouvé
contre toutes les passions charnelles et constitue aussi une arme contre les
mauvais esprits. Tous ceux qui ne tiennent pas compte ou renoncent au
HOMÉLIE POUR LE DIXIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 451
par notre intermédiaire l’a été par Dieu. C ’e st pourquoi Dieu est tout à
fait dans son droit de nous envoyer des souffrances à la suite de la gloire
terrestre; l’hum iliation après les louanges, la misère après la richesse,
le mépris après la reconnaissance, la maladie après la santé, la solitude
et l’abandon après de nombreuses amitiés. Dieu sait pourquoi II nous
adresse cela. Il sait que tout cela se fait pour notre bien. D ’abord, pour que
nous apprenions à rechercher les valeurs éternelles et immuables, et non
à nous étourdir jusqu’à la m ort avec l’éclat mensonger et éphémère de ce
tem ps ; ensuite, pour que nous ne recevions pas dans ce m onde-ci toutes
les récompenses relatives aux bonnes œuvres et aux efforts que nous avons
réalisés ici-bas et qu’ainsi nous n’ayons rien à réclamer ni à recevoir dans
l’autre monde. E n un mot, qu’o n ne nous dise pas à la porte du Royaume
céleste: partez d’ici, vous avez déjà reçu votre salaire! Afin que cela ne
nous arrive pas et que nous ne tombions pas dans la déchéance inévitable
de ce monde dans lequel nous aurions reçu gloire, louanges et honneurs,
notre seul ami, le Seigneur Jésus-C hrist nous enseigne qu’après la plus
grande gloire, louanges et honneurs terrestres, nous devons être prêts à
recevoir la croix. Gloire et louange donc au Seigneur Jésus-Christ, avec
Son Père prééternel et avec le Saint-Esprit, Trinité unique et indisso
ciable, m aintenant et toujours, de tout temps et de toute éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE O N Z IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA PE N T E C Ô T E
O n voit ainsi qu’e n parlant d ’un hom m e qui fut roi, Il souhaite dire que
c’était un bon roi.
U n bon roi voulait donc régler ses comptes avec ses serviteurs, qui
étaient ses débiteurs. L'opération commencée, on lui en amena un qui devait
dix mille talents (M t 18, 24). U n talent représentait environ 500 ducats;
dix mille talents correspondaient donc à cinq millions de ducats environ.
Une telle dette était un m ontant énorme pour un Etat, et afortiori pour
un seul homme. M ais qu’e st-ce que cela représente en fait? Le nombre
de nos péchés envers Dieu, et de nos dettes à Son égard est encore plus
im portant. E n parlant de la dette du serviteur à l’é gard du roi, le Seigneur
songe à notre dette envers Dieu. C ’est pourquoi II utilise des m ontants
aussi énormes, à première vue incroyables, qui ne sont en fait nullement
incroyables si l’on prend en compte les péchés de chacun des hommes
mortels.
Cet homme n’ayant pas de quoi rendre, le maître donna l ’ordre de le vendre,
avec safemme, ses enfants et tous ses biens, et d'éteindre ainsi la dette (M t 18,
25). A cette époque, les lois romaines aussi bien que juives perm ettaient
que le débiteur défaillant puisse être vendu comme esclave, avec sa famille
(2 R 4,1 ; Ex 2 1,2). Une veuve avait ainsi imploré le prophète Elisée : ton
serviteur, mon mari, est mort —or, le prêteur sur gages est venu pour prendre
mes deux enfants et en faire ses esclaves (2 R 4, 1). Le roi était donc dans
son droit en agissant ainsi avec son serviteur débiteur. Le sens profond
de l’ordre donné par ce roi est que, quand nos péchés dépassent toute
mesure, Dieu nous prive de tous les dons du Saint-Esprit, qui font que
l’hom m e est un homme. Le fait de vendre son débiteur signifie que le
pécheur se voit privé de sa personne donnée par Dieu ; la mise en vente
de sa femme signifie qu’il se voit privé du don d ’am our et de miséricorde ;
et la vente de ses enfants signifie qu’il est privé de la possibilité de créer
quelque bien que ce soit. Le fait d’exiger le rem boursem ent signifie que
tous les dons donnés par Dieu à l’hom m e mauvais, reviennent à Dieu en
tant que propriétaire et initiateur de tout bien. Si cette maison en est digne,
que votre paix vienne sur elle; si elle ne l ’est pas, que votre paix vous soit
retournée, dit le Seigneur à Ses disciples (M t 10,13).
Le serviteur alors se jeta à ses pieds et il s’y tenait prosterné en disant:
« Consens-moi un délai, etje te rendrai tout». Apitoyé, le maître de ce serviteur
le relâcha et lui f i t remise de sa dette (M t 18, 26-27). Q uel changem ent
instantané, et quel rachat bon marché et quelle miséricorde infinie ! Le
mauvais serviteur qui avait accumulé une telle dette, n’avait personne
HOMÉLIE POUR LE ONZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 457
qui l’avait poussé à faire remise à son débiteur d ’une telle dette : parce que
tu m'as supplié. Là non plus, le maître n’entre pas dans les détails, passant
sous silence ce qui avait précédé la prière de son débiteur qui s’était jeté à
ses pieds et s’y tenait prosterné. Ces deux derniers gestes exprimaient le
repentir, et le repentir précède la prière. La prière sans le repentir ne sert
à rien. M ais dès que la prière est liée au repentir, elle est exaucée par Dieu.
Le serviteur surendetté avait, il est vrai, m ontré d ’abord son repentir, puis
il avait demandé à son maître de lui accorder un délai. C ’e st pourquoi sa
requête avait été aussitôt acceptée, et le maître lui avait accordé plus que
ce qu’il dem andait - il lui avait fait remise de toute sa dette. Le maître lui
m ontre son crime envers son compagnon sous une forme interrogative.
Pourquoi sous une forme interrogative ? Pourquoi ne lui dit-il pas : j ’ai eu
pitié de toi, mais toi tu n’as pas eu pitié de ton compagnon - mais il lui
dit: ne devais-tu pas, toi aussi, avoir p itié de ton compagnon comme moi j ’ai
eu p itié de toi ? Il agit ainsi afin que le coupable se rende compte par lui-
même qu’il n’y a rien à répondre. Le maître le place ainsi dans l’horreur
du silence, tout en lui donnant l’o ccasion de dire, s’il le peut, quelque
chose pour sa défense. C ’est également sous une forme interrogative que
le Seigneur Jésus a répondu au serviteur du grand prêtre qui fut le premier
à Lui donner une gifle et Lui dem anda : c'est ainsi que tu réponds au grand
prêtre?. Le Seigneur lui dit: si j ’a i mal parlé, témoigne de ce qui est mal;
mais si j ’ai bien parlé, pourquoi me frappes-tu? (Jn 18, 22-23). Une telle
réponse du C hrist a dû placer ce serviteur dans l’horreur du silence. Une
telle réponse est comme de la braise incandescente déversée sur la tête et
sur les pieds. C ette même façon d ’exposer la culpabilité de quelqu’un est
utilisée par le roi dans le récit de l’évangile de ce jour : ne devais-tu pas, toi
aussi, avoir p itié ?
S’instaure alors l’horreur du silence, après quoi vient l’horreur de la
condamnation. E t dans son courroux son maître le livra aux tortionnaires,
jusqu’à ce qu’il eût remboursé tout son dû (M t 18,34). Q uand la miséricorde
de D ieu se transforme en justice divine, alors D ieu devient terrible. Le
bienheureux David s’adresse ainsi à D ieu: Toi, le terrible! Qui tiendra
devant ta face, sous le coup de ta fureur? (Ps 75, 8). D e son côté le vision
naire Isaïe dit: Voici venir de loin le nom du Seigneur, sa colère est ardente!
(Is 30, 27). C ’est avec cette colère ardente que le roi se déchaîna contre
le serviteur impitoyable et le livra aux tortionnaires, c’e st-à-dire aux
mauvais esprits. C ar les mauvais esprits sont les véritables tortionnaires
des hommes. A qui serait donc livré celui que son absence de miséricorde
HOMÉLIE POUR LE ONZIÈME DIMANCHE APRÈS L A PENTECÔTE 461
charitable avec nous comme nous le sommes nous-m êmes avec nos
débiteurs. Com m e nous nous engageons facilement envers Dieu et quelle
responsabilité terrible nous prenons sur nous ! Il est facile à Dieu de nous
pardonner autant que nous pardonnons aux autres; il Lui est facile de
pardonner à chacun de nous, même une dette de dix mille talents. A b, si
nous étions prêts, avec cette même facilité divine, à faire remise à notre
frère d’une dette de cent deniers ! Croyez bien que, quelle que soit la
dette d ’un hom m e envers un autre, le péché d ’un frère envers un autre
et d ’un ami envers un autre, cela ne représente pas plus de cent deniers
par rapport à la dette immense de chacun de nous à l’égard de Dieu.
Tous sans exception, nous sommes débiteurs envers Dieu. E t chaque fois
que nous songeons à poursuivre un ami devant un tribunal à cause d ’une
dette, il faut que nous nous souvenions que nous sommes infinim ent plus
débiteurs à l’égard de Dieu, qui est prêt à être patient avec nous, à nous
accorder des délais et à pardonner. Il faut nous rappeler que la mesure
dont nous nous servirons, servira de mesure pour nous. E t par-dessus
tout, il faut nous souvenir des dernières paroles du C hrist, prononcées
en rendant Son dernier soupir sur la Croix: Père, pardonne-leur ! (Le 23,
34). Q ui possède un reste de conscience intacte aura honte devant de tels
rappels, et il se gardera de poursuivre en justice ses petits débiteurs.
H âtons-nous, mes frères, de pardonner à tous leurs péchés et leurs
offenses, afin que Dieu nous pardonne nos péchés et offenses innom
brables. H âtons-nous de le faire, avant que la m ort ne vienne frapper à la
porte en disant : trop tard ! Derrière la porte de la m ort, nous ne serons
plus en mesure de pardonner, et on ne pourra plus nous pardonner. Gloire
donc au Dieu de miséricorde et au Dieu de justice. Gloire et louange au
M aître divin et notre Seigneur Jésus-Christ, avec Son Père et avec le
Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de
tout temps et de toute éternité. Am en.
H O M É LIE PO U R LE D O U Z IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA P E N T E C Ô T E
changent, mais lui reste dissimulé tout en dirigeant le navire. Lui sait d ’où
le navire est parti et où il se dirige ; lui connait le chemin et ne craint pas
la mer.
Ce capitaine, c’est notre Seigneur Jésus-Christ. D oucem ent mais
ferm em ent, Il descend sur les flots et tend Sa main à ceux qui se noient.
E t ceux qui n’ont rien dans les mains et nagent ainsi sans rien, sont les
premiers à Lui répondre et à saisir Sa m ain salvatrice. M ais ceux qui ont
surchargé leur embarcation à ras bord Lui répondent avec difficulté, car
ils craignent, s’ils quittaient leur embarcation et se m ettaient à nager dans
les vagues sans rien em porter avec eux, de s’enfoncer dans les eaux, eux
comme Lui. Ces gens n’ont pas foi en Lui ; ils ont plus confiance dans leur
embarcation. E n voyant ces gens-là et en lisant dans leur âme pitoyable
et leur foi encore plus pitoyable dans les choses mortes, le Seigneur Jésus
se tourne vers ceux qui ont été sauvés et dit : E n vérité je vous le dis, il sera
plus difficile à un riche d'entrer dans le Royaume de d e u x (M t 19, 23). Le
Seigneur a observé de tels cas à de nombreuses reprises et en a tiré des
enseignements pour Ses disciples. L’évangile de ce jour décrit un tel cas.
E t voici qu’un hom m e s’approcha de Jésus et lui d it: «Bon maître, que
me fa u t- il faire pour avoir en héritage la vie éternelle?» (Le 18, 18). Les
évangélistes M atthieu et M arc parlent d ’un jeune hom m e qui avait de
grands biens, alors que l’é vangéliste Luc le présente comme un notable. Ce
récit se place sur une route de Judée, après le célèbre événement avec les
petits enfants, quand le Seigneur avait dit aux disciples: Laissez les petits
enfants venir à moi; car c’est à leurs pareils qu’appartient le Royaume de Dieu
(Le 18,16) ; c’est à cette occasion qu’il avait dit que quiconque n’accueille
pas le Royaume avec la foi et la joie d ’un enfant, n’y entrera pas ; c’est
alors qu’il avait embrassé les enfants et les avait bénis. Après avoir mis
en évidence des enfants innocents comme des habitants du Royaume de
Dieu, le Seigneur sortit sur la route, et c’est là qu’un jeune et riche notable
accourut et s’agenouillant devant lui (M c 10, 17) Lui posa la question
citée ci-dessus. Sa façon d’aborder le C hrist est digne de tous les éloges,
comme est à plaindre son com portem ent, sa façon de se séparer du Christ.
Il accourt au-devant du C hrist; il s’agenouille devant L ui; il demande
conseil auprès de Lui sur la question la plus im portante au m onde - la vie
éternelle et les conditions nécessaires pour l’obtenir. Il s’est présenté avec
une intention sincère, à l’inverse des scribes qui n’étaient venus que pour
tenter le Seigneur. Il ressentait une sorte de soif et pauvreté spirituelles à
l’é gard de toutes ses richesses apparentes.
466 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
prochain - tels sont les comm andem ents positifs, qui correspondent à la
création du bien. T ant que les premiers ne sont pas observés, les autres
ne peuvent pas letre. Celui qui est capable de tuer son prochain, n’est pas
capable d’aimer son prochain. E t celui qui com m et l’adultère ne sait pas
ce qu’est l’amour. E n m entionnant ces six comm andem ents, le Seigneur
ne songeait pas à énumérer tous les comm andem ents, mais seulement
certains parm i les plus im portants. O n le voit dans le fait que le Seigneur
a omis le plus im portant de tous les com m andem ents: aimer Dieu.
Nous l’expliquerons un peu plus tard. C ’e st à dessein qu’il ne m entionne
pas ce comm andem ent. O n le voit aussi dans les récits des deux autres
évangélistes M arc et Luc, qui ne font même pas m ention de l’ensemble
des six comm andem ents indiqués par M atthieu. M arc et Luc, par
exemple, ne m entionnent pas le com m andem ent d ’aimer son prochain.
Aux comm andem ents négatifs M arc en ajoute un, de portée générale : ne
fa is pas de tort (M c 10,19). Les évangélistes se com plètent donc en tous
points, ne se contredisant nullem ent entre eux. U n fait apparaît évident
dans tout ce que les évangélistes m entionnent, qui est que le Seigneur
n’avait nullem ent l’intention de m ettre exclusivement l’accent sur les cinq
ou six com m andem ents mentionnés, mais seulement de rappeler ainsi
au jeune hom me tout l’Ancien Testam ent. Le fait qu’il recommande
d ’observer les comm andem ents de l’Ancien Testam ent, confirme Ses
paroles précédentes selon lesquelles II n’est pas venu abolir la Loi et les
Prophètes, mais les accomplir. Je ne suis pas venu abolir; mais accomplir (M t
5, 17). Si le Seigneur parfait, sans y avoir d ’intérêt propre, a accompli
toute la Loi, tous ceux qui gravissent lentem ent les hautes marches vers
la perfection sont tenus de le faire. Tous les comm andem ents m entionnés
ont un sens profond particulier pour les gens riches. Ainsi, Tu ne tueras
pas signifie : en prenant trop soin de ton corps dans la richesse et le luxe,
tu es en train de tuer l’âme. Tu ne commettras pas d ’adultère signifie : l’âme
est destinée à D ieu comme la fiancée à son fiancé; si l’âme s’attache
excessivement à la richesse et à l’éclat terrestres, au faste et aux plaisirs
éphémères, elle com m et ainsi un adultère envers son fiancé éternel,
Dieu. Tu ne voleras pas signifie : ne vole pas l’âme au profit du corps ; ne
t ’é pargne aucun souci ni effort que tu dois consacrer à ton âme, et n’en
fais pas don au corps. Celui qui est riche en surface devient habituelle
m ent pauvre à l’intérieur. E t d’habitude - mais pas toujours - toute la
richesse de l’hom me extérieur correspond à un vol commis au dépens de
l’hom m e intérieur : un corps qui a grossi correspond à une âme amaigrie ;
HOMÉLIE POUR LE DOUZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 469
ce que le Seigneur lui donnerait un autre com m andem ent similaire, qu’il
soit en mesure d’observer facilement. Alors Jésus fix a sur lui son regard et
l ’a ima (Mc 10, 21). Pourquoi le Seigneur aim a-t-il ce jeune hom m e qui
n’é tait pas parfait? Parce que son attachem ent superficiel à la loi n’é tait
pas malveillant comme chez les pharisiens et les scribes, mais naïf et
bienveillant. M ais en dépit de cela, le Seigneur devait lui dire la vérité
amère et briser toutes ses illusions sur un salut rapide et facile.
Jésus lui déclara: «Si tu veux être parfait, va, vends ce que tu possèdes et
donne-le aux pauvres, et tu auras un trésor dans les deux; puis viens, suis-moi. »
Entendant cette parole, leJeune homme s’en alla contristé, car il avait de grands
biens» (M t 19,21-22). Le Seigneur lui dit cette nouvelle parole, inattendue
et lourde. N e cessant de regarder au centre du cœur du jeune homme, le
Seigneur lui transm it ce message, tout en sachant d ’avance que cette parole
ne pourrait pas dénouer les liens attachant ce jeune homme à sa richesse
terrestre, et l’unir à Dieu. Il lui dit néanmoins ces mots, non seulement
pour répondre à sa demande, mais aussi - et encore davantage - à cause
des disciples qui écoutaient. Si tu veux être parfait! Il ne s’agit pas seule
m ent de l’e ntrée dans le Royaume, mais aussi du pouvoir dans le Royaume.
Va, vends ce que tu possèdes! Cela signifie que tu dois te montrer maître des
biens qui se trouvent entre tes mains, et non l’inverse. Ton patrimoine s’est
emparé peu à peu de ton âme et l’a remise au diable; va m aintenant le
vendre et distribue-le à ceux qui en ont besoin, non comme un maître mais
comme un serviteur de la vie. Va et détache le lien dangereux et illégitime
de ton âme avec ton patrimoine. Va et mets fin à cette union. Va et libère-
toi. Va et libère ton âme du poids terrestre, de la poussière des choses, du
pus des plaisirs de riche, puis dirige ton âme vers moi. Sans rien d ’autre,
dirige-la vers moi. L’âme est la plus riche, quand elle est sans rien. L’âme se
trouve en meilleure compagnie quand elle n’est avec personne sinon moi.
Vends tout et distribue aux pauvres. Les pauvres sont ceux qui ont besoin
de ta fortune, non comme une parure, non comme un fardeau, non comme
un maître, mais comme un pain substantiel, comme une amélioration des
conditions de vie, comme un service et une aide. Tout ce que tu donneras
comme richesse matérielle te sera rendu comme richesse spirituelle. Ton
âme est remplie de pauvres, de même que ton cœur, de même que ton
esprit. Ils recevront ta fortune, qui leur est nécessaire, quand tu te seras
débarrassé d ’elle, dont tu n’as pas besoin.
M ais pourquoi le Seigneur conseille-t-Il au jeune hom m e riche de
vendre ses biens et distribuer sa fortune aux pauvres, plutôt que de lui
HOMÉLIE POUR LE DOUZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 471
dire simplement : ne rentre pas chez toi, mais suis-moi ? N ’avait-Il pas dit
cela à celui qui voulait rentrer chez lui pour enterrer son père ? Laisse les
morts enterrer leurs morts ; mais toi, va annoncer le Règne de Dieu (Le 9, 60).
Le Seigneur n’a pas dit cela au jeune hom me riche pour deux raisons :
d ’abord, s’il ne vendait pas ses biens pour les donner aux pauvres, ses
voisins pourraient se ruer sur les biens abandonnés et les dérober, ou
des parents proches en hériter, et se retrouver dans la même situation de
dépendance, la même soumission par rapport à la richesse que celle où se
trouvait le jeune homme. Ainsi des voleurs ou des parents pourraient-ils
perdre leur âme par cette même propriété. Par ailleurs, en lui disant de
vendre ce qu’il possède et de donner aux pauvres, le Seigneur souhaite
éveiller la philanthropie dans le cœur du jeune homme, susciter sa
compassion envers les proches et l’amener à ressentir la joie spirituelle et
le plaisir de donner, d ’accomplir une bonne action. Afin d ’inciter le jeune
hom m e à faire tout cela, le Seigneur lui annonce aussitôt la récompense
éternelle, le trésor éternel au ciel, là où les mites ne rongent pas, la rouille
n’attaque pas et où les voleurs ne volent pas. « Le trésor que tu vas recevoir
est incom parablem ent plus riche que celui que tu vas abandonner. Car à
quoi te servirait tout ton trésor terrestre, demain au m om ent de ta m ort ?
Il sera perdu pour toi dans ce m onde-ci, tout en te perdant dans l’autre.
E n revanche, le trésor que tu auras au ciel t ’attendra jusqu’au m om ent
où tu quitteras ce m onde-ci - et cela se produira bientôt - et il ne te sera
pas pris ni enlevé pour les siècles des siècles.» T out en le consolant pour
le dommage apparent connu dans ce monde et en lui annonçant le trésor
dans les deux, le Seigneur invite finalement le jeune hom m e : viens, suis-
moi. « Q uand tu te seras séparé de tout, viens sur tes deux pieds et avec tes
deux yeux à ma suite. Tu ne peux pas marcher d’un pied avec moi et d ’un
autre avec ta richesse, de même que tu ne peux pas me regarder d ’un œil
et regarder ta fortune de l’autre. N on, il n’est pas possible de servir deux
maîtres.»
M ais tout cela fut vain. Le jeune hom m e écouta tout, polim ent; il
com prit ce qu’on attendait de lui, mais il en fut très attristé, car il avait
de grands biens ; il partit donc sur ses deux pieds et avec ses deux yeux
vers sa richesse funeste. I l avait de grands biens. Cela signifiait qu’il était
très attaché à la richesse, fortem ent enchaîné, très captif et trop faible
pour s’opposer aux mauvaises herbes qui avaient proliféré autour de lui.
En vérité, il était semblable à une graine tombée dans les épines qui
avaient beaucoup poussé, étouffant ainsi la graine qui n’avait rien produit.
472 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
aux richesses terrestres mais au Christ, considérant que tous leurs trésors
terrestres n’étaient que poussière et cendre. Ce n’est pas la richesse en
soi qui est mauvaise, de même qu’aucune création divine n’est mauvaise,
c’est l’attachem ent des hom mes à la richesse, aux biens, aux choses, qui
l’est. Tout comme sont mauvaises les passions et les vices que la richesse
rend possibles et encourage, comme la débauche, l’avidité, l’alcoolisme,
l’avarice, l’exhibitionnisme, la vantardise, la vanité, l’orgueil, le mépris et
l’exploitation des pauvres, l’oubli de Dieu, et tant d ’autres choses. Il existe
peu d’hom mes suffisamment forts pour s’o pposer aux tentations de la
richesse et dom iner leur richesse et non être esclaves de la richesse. Avant
tout, un hom m e riche peut difficilement pratiquer le jeûne, or sans jeûne
il n’y a ni maîtrise du corps, ni sérénité, ni prière véritable. C ’est pour
cela que le Seigneur indique qu’il est difficile à un riche d ’entrer dans le
Royaume de Dieu. M ais II ne dit pas qu’il est facile à un pauvre d ’entrer
dans le Royaume des Cieux. La pauvreté possède ses tentations propres,
tout comme la richesse. U n hom me riche doit assurer son salut par sa
grande miséricorde et son hum ilité devant Dieu, tandis que le pauvre se
sauve par sa grande patience, son abnégation et une confiance incessante
en Dieu. Le riche impitoyable et orgueilleux ne sera pas sauvé, ni le
pauvre qui bougonne contre son sort et désespère de l’aide de Dieu. Dans
ce m onde, les riches et les pauvres ne sont pas le fruit du hasard ou d ’un
m alentendu, mais sont conformes à la très sage Providence divine. En
un instant, D ieu peut rendre tous les hom mes égaux en richesses, mais
cela serait une vraie absurdité. Dans ce cas, les hommes deviendraient
totalem ent indépendants l’un par rapport à l’autre. Q ui serait alors sauvé ?
E t com m ent quiconque pourrait-il parvenir au salut? C ar les hommes
obtiennent le salut grâce à la dépendance des uns par rapport aux autres.
L’hom m e riche dépend du pauvre, le pauvre dépend du riche ; l’homme
instruit dépend de l’ignorant, l’ignorant de l’hom m e instruit; l’homme
en bonne santé dépend du malade, le malade de celui qui est en bonne
santé. Le sacrifice matériel est payé par un salaire spirituel. Le sacrifice
spirituel de l’hom m e instruit est payé par le salaire matériel de l’ignorant.
Le service physique de l’hom me en bonne santé se paie par le salaire
spirituel du malade et réciproquement : le service spirituel du malade (qui
rappelle D ieu et le Jugem ent) se paie par le service physique de l’homme
en bonne santé. T out est tissé comme un tapis multicolore. U n monde
unicolore aveuglerait tous les yeux. C om m ent l’hom m e riche sauverait-
il son âme par la miséricorde et l’humilité, ou com m ent la perdrait-il
474 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
par son avarice et son orgueil, s’il n’y avait pas de pauvre? C om m ent le
pauvre sauverait-il son âme par la patience et l’endurance, ou com m ent la
perdrait-il par le vol et le rapt s’il n’y avait pas d ’hom m e riche ? C om m ent
l’hom me instruit pourrait-il sauver son âme en ayant pitié de l’ignorant
et en venant à son secours, ou com m ent perdrait-il son âme en méprisant
orgueilleusement celui qui est ignorant, s’il n’y avait pas d ’ignorant dans
le m onde? C om m ent l’ignorant pourrait-il sauver son âme en étant
obéissant et modeste devant l’hom m e instruit, ou com m ent pourrait-il
la perdre par son indiscipline, sa jalousie et sa sauvagerie devant l’hom me
instruit, s’il n’y avait pas d ’hom m e instruit ? C om m ent l’hom me en bonne
santé pourrait sauver son âme en prenant soin avec gentillesse de celui qui
est malade, en faisant preuve de compassion et en priant pour le malade,
ou com m ent pourrait-il perdre son âme en faisant preuve de répugnance
devant le malade et en se m ontrant négligent à son égard, s’il n’y avait
pas de malade? E t com m ent le malade pourrait-il sauver son âme par
son obéissance et sa reconnaissance à l’égard de l’hom m e en bonne santé,
ou com m ent pourrait-il la perdre en haïssant et en jalousant l’hom m e en
bonne santé, s’il n’y avait pas d ’hom me en bonne santé ? Dieu a donné la
liberté de choix à l’homme, à tout homme. Il n’y a pas d ’hom me au monde
devant lequel deux portes ne sont pas ouvertes : la voie du salut et la voie
de la déchéance. C ’e st en cela que consiste la liberté humaine. La richesse
peut sauver l’hom me, mais elle peut le perdre ; la pauvreté peut sauver le
pauvre, mais elle peut aussi le perdre ; l’instruction peut soit sauver, soit
perdre l’hom me instruit. L’ignorance peut soit sauver, soit perdre l’hom me
ignorant. La santé peut soit sauver, soit perdre l’hom m e en bonne santé ;
et la maladie peut soit sauver, soit perdre l’hom m e malade. Tout dépend
du choix fait par l’homme. Le C hrist est venu pour ramener les hommes
à la raison, non pour les contraindre. C ’e st pourquoi le C hrist n’o rdonne
pas au jeune hom m e : entre dans la vie ! M ais : Si tu veux entrer dans la vie!
Il ne lui ordonne pas d ’ê tre parfait, mais lui dit : Si tu veux être parfait. Si
tu souhaites, si tu veux —c’est ainsi que Dieu s’adresse aux êtres libres et
raisonnables. D ieu veut que tous les hommes suivent le droit chemin et
que tous les hom mes soient sauvés, mais le chemin de la perdition reste
ouvert aux hommes.
Oui, je vous le répète, dit le Seigneur Jésus aux disciples, insistant à deux
reprises qu’il sera difficile à un riche d'entrer dans le Royaume des d e u x ; il est
plus facile à un chameau de passer par un trou d ’aiguille qu’à un riche d'entrer
dans le Royaume des deux. Le terme de chameau s’appliquait aussi bien à
HOMÉLIE POUR LE DOUZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 475
l’animal qu’à une grosse amarre à laquelle on attachait les bateaux au quai
du port, afin d ’e mpêcher que le vent les fasse bouger. C ’e st à cette corde
épaisse que le Seigneur songeait en cette circonstance. Il est donc plus
facile à cette grosse corde de passer à travers un trou d ’aiguille qu’à un riche
d’entrer dans le Royaume des Cieux; ce n’est pas une chose impossible,
mais très difficile. Ainsi s’exprime Celui qui connaît la faiblesse de la nature
humaine et sait comme l’âme humaine se laisse facilement enchaîner par
la richesse et se colle à la terre de façon impossible à la décoller.
Entendant cela, les disciples restèrent tout interdits: ‘■
‘■Qui donc peut être
sauvé?» (M t 19, 25). Pourquoi les disciples se m ontraient-ils interdits,
puisqu’ils avaient déjà accompli ce que le jeune hom m e riche n’avait pu
accomplir? Ils avaient en effet tout abandonné pour suivre le Christ.
Le très sage Chrysostom e l’explique merveilleusement: les disciples
n’avaient pas peur pour eux-mêmes mais pour les autres hommes, parmi
lesquels il y avait beaucoup de riches. C ’est par pure philanthropie qu’ils
restent interdits devant ces paroles terribles du Christ. Lui les envoie
dans le monde pour sauver les hommes. C om m ent pourront-ils sauver
tant d ’hommes riches à travers le m onde s’il est quasim ent impossible à
un riche d’entrer dans le Royaume des Cieux. Ce sentim ent de tristesse
envers les hommes comprimait leur âme, et c’e st sous la pression d ’un tel
sentim ent qu’ils posèrent la question pleine d ’am ertum e : Qui donc peut
être sauvé ? Com m e s’ils étaient plus miséricordieux que le C hrist ! Com m e
s’ils étaient plus philanthropes que le Seigneur am i-des-hom m es !
Fixant son regard, Jésus leur dit: «Pour les hommes, c'est impossible, mais
pour Dieu, tout est possible» (M t 19,26). Le Seigneur Jésus ne regarde pas
leurs visages ou leurs yeux, mais au fond de leurs cœurs, où II lit l’igno
rance et la crainte. Com m e ils ne connaissent pas encore la puissance
de Dieu, ils ont peur pour la Création divine. O r ce qui est impossible
aux hommes, est possible à Dieu. M ais qu’est-ce qui est impossible aux
hom m es? O u en d ’autres term es: quelles bonnes œuvres les hommes
peuvent-ils accomplir sans l’aide de Dieu ? E n fait, aucune. Sans l’aide de
Dieu, ni le pauvre ni le riche ne peuvent être sauvés. Hors de moi, vous ne
pouvez rienfaire, a dit le Seigneur (Jn 15,5). L’apôtre Paul, qui était m ort
en lui-mêm e mais vivant en C hrist, a confirmé ces paroles du Seigneur
dans un sens positif, en disant: Je puis tout en Celui qui me rendJ'ort (Ph
4, 13). La grâce du Saint-Esprit peut réchauffer le cœur du riche le plus
riche et le détacher de la richesse, le décoller de la terre et l’élever vers le
chemin du salut. Pour Dieu, tout est possible.
476 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
de cet univers étoilé ; sa reconnaissance envers les hom mes fait de lui le
meilleur habitant de la société des hommes ; et sa reconnaissance envers
le Créateur du cosmos et envers les hommes fait de lui un digne habitant
du Royaume de Dieu. M ais que représentent tous les dons de l’univers
et de tous les hom mes sur terre qu’un hom m e m ortel peut recevoir, par
rapport aux dons incomparables et innombrables qu’il reçoit jour et nuit
de la part de Dieu ? E t qu’est-ce que toute reconnaissance à l’égard des
choses et des hommes, par rapport à la reconnaissance indicible que nous
devons à D ieu ? Tous les dons bienfaisants que nous recevons du monde
et des hommes, nous les recevons en fait de Dieu à travers le monde et les
hommes. E t combien d ’autres dons Dieu ne donne-t-Il pas directem ent
à chacun de nous, nous en inform ant directem ent dans notre âme, cela
depuis notre naissance - voire avant - et jusqu’à la m ort même ! Com bien
de dons le Seigneur C hrist ne d onne-t-Il pas à toutes les âmes baptisées,
combien de trésors spirituels, combien de force bienfaisante! Ne pas
en être reconnaissant, cela signifierait non seulement perdre sa dignité
d ’homme, mais s’abaisser à un niveau inférieur à celui des animaux et
à celui de toutes choses existant dans l’espace très étendu de l’univers.
Pour sauver le genre hum ain d ’une telle humiliation, le Seigneur Jésus
- sans aucun besoin personnel - a souvent publiquem ent manifesté Sa
reconnaissance et Sa gratitude à l’é gard de Dieu (M t 11, 25; 14, 19; 26,
26-27). Les saints apôtres agissaient de même et louaient Dieu sans cesse
(Ac 2,47), exprimant leur reconnaissance non seulement pour les faveurs
dont ils avaient été personnellement les bénéficiaires, mais aussi pour
celles accordées aux autres hommes. Je ne cesse de rendre grâces à votre
sujet, écrit l’apôtre Paul aux fidèles d’Ephèse (Ep 1, 16), leur enseignant
sim ultanément de rendre grâces en tout temps et à tout propos à Dieu le Père,
au nom de notre Seigneur Jésus-Christ (Ep 5, 20). D e même, à l’exemple
des apôtres, l’Église de Dieu n’a cessé jusqu’à nos jours de remercier et
de rendre grâce au Seigneur vivant, rappelant incessamment à ses fidèles
de ne jamais oublier de rendre grâce à D ieu pour tout ce que D ieu leur
envoie. Il n’y a pas de service divin qui ne débute avec les mots : Béni soit
notre Dieu ! de même qu’il n’y en a pas qui ne s’achève par les mots : Gloire
à Toi, Christ-Dieu, notre espérance, gloire à Toi! L’Eglise fait cela pour que
dans l’âme des fidèles soient gravés la pensée, le chant et la prière de la
reconnaissance ininterrompue à Dieu, de façon que chacun puisse dire
pour lui-mêm e comme le psalmiste : Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa
louange sera sans cesse en ma bouche (Ps 34,1).
HOMÉLIE POUR LE TREIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 479
Lui-m êm e qui a dit ce que le propriétaire allait faire avec les mauvais
vignerons ainsi qu’avec son vignoble, puis qu’il leur a demandé ce qu’ils
en pensaient. Ils commencèrent par confirmer ce que le Seigneur avait
dit et furent d ’accord avec Lui, mais aussitôt, s’étant aperçus que cela
s’appliquait à eux, ils s’é crièrent, selon saint Luc: A Dieu ne plaise! (Le
20, 16). O n voit ainsi leur trouble et leurs contradictions ! Q ui sont ces
autres vignerons à qui le propriétaire va rem ettre la vigne ? Il faut d ’abord
savoir que la vigne sera nouvelle, de même que les vignerons. A partir du
C hrist, le vignoble de Dieu va se diffuser à l’e nsemble du genre hum ain et
ne se composera plus du seul peuple d ’Israël, mais de tous les peuples de
la terre. C ette vigne nouvelle s’appellera l’Eglise de Dieu, et ses ouvriers
- ou vignerons - seront les apôtres, les saints, les pères et les docteurs de
l’Eglise, les martyrs et les confesseurs, les évêques et les prêtres, les pieux
et christophores rois et reines, ainsi que tous les autres serviteurs dans
cette vigne du Seigneur. Ils en livreront lesfru its en leur temps, devenant
ainsi, après le Christ, une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte (IP
2,9). C ar avec le C hrist, cesse l’élection du peuple juif, et cette élection se
transm et à tous ceux qui croient en C hrist, à tous les peuples de la terre.
A Dieu ne plaise! C ’e st ce que dirent les mauvais vignerons au Fils de
Dieu, en s’apercevant que ce terrible récit se rapportait à eux. Sans ces
mots, que rapporte l’évangéliste Luc, il y aurait un vide dans l’évangile
de M atthieu ; on ne com prendrait pas en effet pourquoi le Seigneur a dit
ce qui suit. C ependant après ces paroles des responsables juifs, les mots
du C hrist deviennent compréhensibles; Il leur dit: N ’a vez-vous jamais
lu dans les Ecritures: «Lapierre qu'avaient rejetée les bâtisseurs, c’est elle qui
est devenue pierre defaite; c’est là l ’œ uvre du Seigneur et elle est admirable à
nos yeux (M t 21,42). La pierre, c’est évidem ment le C hrist; les bâtisseurs,
ce sont les responsables, prêtres et scribes juifs ; la pierre de faîte, c’e st le
lien entre Israël et le paganisme, entre l’ancien choix et le nouveau, entre
l’ancienne Église et la nouvelle. Le C hrist se trouve sur cette pierre de faîte,
à la fin de l’ancien et au début du nouveau ; Il appelle dans Son Royaume
aussi bien les Juifs que les païens, avec le même amour, puisque les uns et
les autres se sont montrés stériles lors de Son arrivée. E n particulier les
Israélites, en Le rejetant comme les bâtisseurs rejettent toute pierre inutile.
Com m e ces bâtisseurs se sont lourdem ent trompés ! Ils ont rejeté la pierre
angulaire de la vie humaine, de l’histoire humaine, de l’histoire de tout le
m onde créé ! En fait, ils ne L’ont pas rejeté, mais ont pris leur élan pour le
faire et se sont retrouvés eux-mêmes rejetés: Lui s’é tablit sur la pierre de
HOMÉLIE POUR LE TREIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 485
pas la préparation des fruits dans le vignoble de notre âme ; mais tenons-
nous prêts, quand les serviteurs du M aître viendront, à leur donner aussitôt
des fruits cueillis et rassemblés. Chaque jour, les anges de D ieu collectent
des âmes humaines et les transportent en dehors de ce m onde, comme
les vendangeurs le font avec le raisin de la vigne. Notre tour ne pourra pas
être oublié. Ah, que nos fruits ne se m ontrent pas « pourris » ! Q ue nos
âmes ne se m ontrent pas desséchées ! Anges nourriciers, réveillez notre
conscience, soutenez-nous et aidez-nous avant que sonne la dernière
heure ! Seigneur Jésus, aie pitié de nous ! Gloire et louange à Toi, avec le
Père et le Saint-Esprit, m aintenant et toujours, de tout temps et de toute
éternité. Amen.
H O M É L IE PO U R LE Q U A TO R ZIÈM E D IM A N C H E
A PR ÈS LA P E N T E C Ô T E
la joie nuptiale n’atteint son apogée que dans la deuxième vie. L’arrivée du
C hrist dans ce m onde est l’événement le plus joyeux pour l’hum anité en
général et pour chaque âme hum aine en particulier, comme l’arrivée de
son fiancé pour la fiancée. D e tous les peuples de la terre, c’est le peuple
ju if qui aurait du accueillir le plus joyeusement l’arrivée du C hrist le
Fiancé, puisque c’est ce peuple qui avait été le plus préparé par Dieu pour
L’accueillir. Ce peuple avait pour devoir de rencontrer le prem ier le C hrist,
d ’être le premier à Le connaître et à L’accueillir, puis d ’annoncer à tous
les peuples et tribus de la terre la joie et le salut. C ’est pourquoi le texte
original de l’Evangile évoque au pluriel desfestins de noces pour sonfils. En
effet, c’e st l’époux attendu qui est arrivé pour l’église vétérotestamentaire
juive, mais aussi l’époux de toute âme humaine en quête du salut, de la
vie et de la joie ainsi que l’époux de tout le genre hum ain créé, de tous
les peuples et tribus. M ais face à l’immensité de l’amour de D ieu pour
les hommes, il y a l’immensité de l’aveuglement et de la malveillance des
pécheurs sur cette terre. Com m e le dit l’évangéliste Jean : I l est venu chez
lui et les siens ne Vont pas accueilli (Jn 1,11). Il vint donc parmi ceux qu’il
avait préparés le plus longuem ent pour Ses noces - le peuple juif. M ais
ce peuple ne Le reconnut pas, Le méprisa et Le rejeta, comme l’indique
ce récit : I l envoya ses serviteurs convier les invités aux noces, mais eux ne
voulaient pas venir (M t 22,3).
E n préparant la cérémonie nuptiale de Son Fils, D ieu envoya d ’abord
Ses prophètes au cours des siècles, qui annonçaient l’approche de cette
cérémonie et conviaient le peuple ju if à se tenir prêt pour l’arrivée du
Christ, l’Époux. Ce furent les premiers serviteurs que Dieu envoya
pour convier les invités. Q uand le C hrist apparut dans le monde, Jean
le Précurseur fut envoyé en messager pour annoncer, crier et appeler.
M ais de même qu’un petit nombre d ’élus écouta les anciens prophètes,
de même un petit nombre écouta le clairon du désert, Jean le Précurseur.
Ils ne voulaient pas venir.
De nouveau il envoya d ’autres serviteurs avec ces mots: Dites aux invités:
Voici, j ’a i apprêté mon banquet, mes taureaux et mes bêtes grasses ont été
égorgés, tout est prêt, venez aux noces (M t 22, 4). Ces autres serviteurs, ce
sont les apôtres et les aides des apôtres. Q uant aux invités, ce sont encore
pour quelque temps les mêmes - les Juifs. Car le Seigneur Lui-m êm e
a dit d ’abord: Je n a i été envoyé qu'aux brebis perdues de la maison d ’Israël
(M t 15, 24), com m ençant aussi par donner un tel ordre à Ses apôtres:
allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d ’Israël (M t 10, 6). Il en fut
HOMÉLIE POUR LE QUATORZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 493
ainsi avant Sa passion et Sa glorification. M ais quand II fut rejeté par les
Juifs, chassé par les mauvais vignerons en dehors de la clôture du peuple
ju if et tué, alors et seulement alors, après Sa résurrection, Il donna un
autre ordre : Allez donc, de toutes les nations faites des disciples (M t 28,19).
D ieu est resté fidèle à Son vœu, mais les Juifs Font transgressé. Dieu
est resté fidèle à Sa fiancée, Son élue, l’église vétérotestamentaire, fidèle
jusqu’au bout, mais celle-ci a trompé son Fiancé, nouant d ’innombrables
unions illégitimes avec des idoles et de faux dieux dont elle ne voulut pas
se séparer pour revenir à son fiancé légitime.
Voici, f a i apprêté mon banquet. Tout ce qui est nécessaire pour le repas
et la réjouissance de l’âme a été préparé. La vérité nourrit l’âme - la vérité
était entièrem ent découverte, comme la table somptueuse d ’un festin
royal. La victoire sur les esprits maléfiques, la victoire sur les maladies et
les soucis, la victoire sur la nature - toutes ces victoires, qui nourrissent et
réjouissent l’âme hum aine désespérée - ont été remportées. Venez donc !
Le ciel ressemblait auparavant à du plomb fermé aux hommes, et les
âmes humaines étaient comme des tristes fiancées emprisonnées dans un
cachot froid; m aintenant le ciel est largem ent ouvert: D ieu Lui-m êm e
est venu sur la terre, les anges sont descendus sur terre, les morts sont
apparus comme des vivants, la dignité de l’hom me a été élevée jusqu’à
Dieu. A h, que ces nourritures sont douces ! Q ue la table est luxueuse !
Venez ! M ais au lieu de répondre à cette invitation aux noces, les âmes
aveuglées dans les ténèbres de la prison com m irent le crime terrifiant
de tuer leur Sauveur, leur époux. M ais même alors, la patience de Dieu
ne fut pas épuisée. Le plus grand crime, D ieu en fit la source la plus
profonde de douceur et de joie. Le corps et le sang du Seigneur crucifié
fut apporté sur la table royale, infinim ent plus doux que les taureaux et les
bêtes grasses. Venez et communiez à cette douceur, que même les anges
pourraient envier! Les ondes bienfaisantes du Saint-Esprit, Esprit Tout-
puissant et vivifiant, sont com plètem ent disponibles. Tout est prêt - tout !
T out ce qui est nécessaire pour que la fiancée souillée soit purifiée, que
l’affamée soit nourrie, que la malade soit guérie, que la dénudée soit vêtue,
que l’e nsorcelée soit désensorcelée, que l’enivrée soit dégrisée et que la
paralysée soit libre de ses mouvements. Là, il y a le baptêm e dans l’eau,
et il y a aussi le baptêm e dans le feu et dans l’eau. Là est le soulagement
dans le jeûne ; là est l’élévation dans la prière ; là se trouve l’huile sainte ; là
se trouvent le pain et le vin ; là se trouve le clergé royal pour la direction
spirituelle ; là est l’Église de la sainteté et de l’amour. Tous ces dons ont
494 HOMELIES SUR LES EVANGILES
été apportés par le Fiancé à son élue et ils ont tous été déposés sur la table
royale. Venez donc i Venez aux noces !
M ais eux, tien ayant cure, s’en allèrent, qui à son champ, qui à son
commerce; et les autres, s'emparant des serviteurs, les maltraitèrent et les
tuèrent (M t 22, 5-6). 11 est vain d ’inviter une prostituée im pénitente à
une union légitime ! Elle ne se soucie pas de son fiancé légitime. Elle s’e st
trop habituée à ses idoles pour être capable de s’en détacher. Certaines
âmes impures idolâtrent le champ, d’autres le commerce, d ’autres quelque
chose d’autre. Le champ correspond au corps avec ses passions charnelles ;
le commerce désigne l’amour de l’argent, l’acquisition et l’enrichissement
de biens corruptibles dans ce monde. Chacun partit donc vers son idole
et nul ne voulut entendre parler du fiancé. D ’autres s’insurgèrent contre
l’invitation elle-même, se saisirent des serviteurs du roi, les m altraitèrent
et les tuèrent. C ’e st ainsi que, peu après le Golgotha, on maltraita et on
tortura les apôtres Pierre et Jean (Ac 4, 2-3), puis on tua l’archidiacre
Etienne et l’apôtre Jacques, puis beaucoup d ’autres.
Le roifut pris de colère et envoya ses troupes quifirent périr ces meurtriers
et incendièrent leur ville. (M t 22,7). Ce roi, c’est D ieu ; Sa colère correspond
à Sa patience finalement épuisée et la transform ation de Sa miséricorde
en justice ; les troupes, ce sont les troupes romaines ; les meurtriers, ce sont
les Juifs, et leur ville, c’e st Jérusalem. La patience de Dieu est infinie. Dieu
n’avait pas voulu châtier les Juifs aussitôt après le meurtre du Seigneur
Jésus; Il a encore attendu quarante ans. De même que jadis le Seigneur
s’imposa un jeûne de quarante jours, de même le Créateur de l’hum anité
s’inflige après le Golgotha un jeûne correspondant à quarante ans de
patience. Il ne setait pas dépêché de punir un crime contre Sa propre
personne, de façon que les gens ne disent pas : Dieu est rancunier, soyons-
le nous aussi ! N on, ce n’est qu’au bout de quarante ans que D ieu a fait
tom ber Son châtim ent sur le peuple juif, cela à cause du crime commis
par les chefs de ce peuple contre Ses serviteurs. Afin que nous aussi, nous
en retirions une leçon, ne cherchions pas à nous venger pour des injustices
commises contre nous-mêmes et soyons pleins de zèle dans le redresse
m ent de ceux qui ont été injustes. Pourquoi Dieu appelle-t-Il les troupes
romaines Ses troupes ? Parce que ce sont ces troupes que Dieu utilise pour
punir Son élue tombée dans la débauche. De même que jadis, Dieu avait
utilisé des forces païennes, assyriennes, égyptiennes et babyloniennes,
pour punir et ram ener à la raison le peuple d’Israël, de même II finit par
utiliser l’armée païenne romaine pour exécuter le châtim ent ultime sur
HOMÉLIE POUR LE QUATORZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 495
par le roi à ses serviteurs : et amène ici les pauvres, les estropiés, les aveugles et
les boiteux (Ac 14, 21). C ’est ainsi que tous les peuples de la terre étaient
considérés par les Juifs, à l’exception d ’eux-mêmes. E n fait, tels étaient
tous les hommes et peuples de la terre avant de connaître le C hrist et de
s’asseoir à la table très abondam m ent fournie en dons qu’il avait offerts et
qu’il offre au monde. Nous aussi, nous sommes tous des pauvres sans le
C hrist, des estropiés, des aveugles et des boiteux. Seul le C hrist Seigneur
peut nous offrir la richesse véritable et secrète ; Lui seul peut nous guérir
de tous nos méfaits, diriger nos mains vers les bonnes actions et orienter
nos pas sur la voie de la vérité et de la justice. Lui seul peut nous ouvrir
les yeux de l’e sprit et nous donner la vue nous perm ettant de voir notre
patrie éternelle, remplie de tous les dons et de toutes les joies des noces.
Le roi entra alors pour examiner les convives, et il aperçut là un homme
qui ne portait pas la tenue de noces. M on ami, lui dit-il, comment es-tu entré
ici sans avoir la tenue de noces ? L ’autre resta muet (M t 22, 11-12). Quelle
est cette tenue de noces? La tenue nuptiale de l’âme est tout d ’abord
la pureté. L’apôtre Paul a écrit aux fidèles : je vous ai fiancés à un époux
unique, comme une vierge pure à présenter au Christ (2 C o 11, 2). La chas
teté d ’une jeune fille et la pureté de son âme - tel est son premier et
principal vêtement. Puis le même apôtre s’adresse ainsi à d’autres fidèles
sur la manière de se vêtir : revêtez des sentiments de tendre compassion, de
bienveillance, d'humilité, de douceur, de patience, - et puis, par-dessus tout,
la charité en laquelle se noue la perfection (Col 3,12-14). Telle est la tenue
nuptiale de l’âme qui épouse le C hrist immortel. D e tous les natifs de
la terre, la plus grande perfection de pureté spirituelle fut montrée par
la Très pure et Très sainte Vierge M ère de Dieu, dont le corps a donné
naissance à notre Seigneur et Sauveur. N ul d ’entre nous ne peut porter le
C hrist dans son cœur sans une très grande pureté du corps, sans un cœur
entièrem ent consacré au Christ. C ar de même qu’une jeune fille pure
n’éprouve de l’amour que pour son fiancé, de même l’âme humaine, qui
comprend le chem in du salut, ne connaît qu’un seul amour - l’amour pour
le Seigneur. C ’est une tenue nuptiale tissée d’or. M ais la pureté et l’amour
sont fertiles dans toutes les autres vertus, que l’apôtre m entionne ou non.
C ’est en particulier le cas pour les bonnes actions. Les bonnes actions
correspondent aux parures et bijoux, aux tenues blanches de pureté et aux
tenues tissées d ’o r de l’amour.
M ais quand le roi vint pour voir les invités, il aperçut un hom me qui
ne portait pas la tenue de noces. M on ami, lui dit le roi. Pourquoi le roi
498 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l’appelle -1-il, mon ami? D ’abord pour m ontrer la haute estime qu’il a
pour la dignité humaine, puis parce que Lui-m êm e, Dieu, est en vérité
l’ami de tout hom m e sans distinction tant que l’hom m e lui-mêm e, par
son inconduite, ne L’éloigne pas complètem ent de lui. Vous êtes mes amis,
si vous faites ce que je vous commande (Jn 15, 14) a dit le Seigneur à Ses
apôtres. A h, que la condescendance et la miséricorde de Dieu pour les
hommes sont indicibles ! Lui, le Créateur tout-puissant et M aître de tous
les univers, appelle les faibles hom mes Ses amis ! M ais à la condition qu’ils
fassent ce que D ieu commande. Or, l’hom me qui ne portait pas la tenue
de noces n’avait pas agi selon la volonté de D ieu ; autrement, il ne serait
pas venu sans porter la tenue de noces. Pourquoi, alors, Dieu l’appelle-t-il
aussi, son ami ? Parce qu’il a été baptisé et comme tel, inclus au nombre
des fidèles et intégré parmi Ses amis ; c’est lui qui a trahi cette amitié, ce
n’e st pas D ieu qui l’a trahie. L ’autre resta muet. E n effet, que pouvait-il
répondre? Q u ’il ne pouvait pas acheter cette tenue, peut-être? O u qu’il
ne savait pas coudre une tenue pareille ? Tout cela aurait été en vain car
Dieu, par Jésus-Christ, avait donné à chacun des invités une tenue toute
prête. Il lui aurait suffi de faire preuve de bonne volonté, d o ter sa vieille
et sale tenue de pécheur et de revêtir la tenue du salut, la tenue nuptiale
tissée d ’or. M ais il ne le fit pas et fut donc contraint de se taire.
Alors le roi dit aux valets: Jetez-le, pieds et poings liés, dehors, dans les
ténèbres: là seront les pleurs et les grincements de dents (M t 22,13). Il s’é tait
lui -même lié les mains par le péché en faisant de mauvaises actions, comme
il s’était attaché les pieds en m archant sur les chemins de l’anarchie ; de
lui -mêm e, il avait choisi de vivre cette vie dans les ténèbres plutôt que
dans la lumière, dans les pleurs et les grincements de dents plutôt que
dans la joie éternelle. Il s’é tait pour ainsi dire lui-m êm e condamné à la
déchéance, et Dieu n’avait fait que prononcer la juste sentence. Le méchant
est pris à ses propres méfaits, dans les liens de son péché il est capturé (Pr 5,
22). Pris dans ses propres méfaits, le pécheur sera encore plus captif dans
l’autre monde. Là-bas, il n’y a pas de repentir; le fait d ’avoir les poings et
les pieds liés m ontre que là-bas il n’y a plus de repentir ni de possibilité
pour l’hom me de faire de bonnes actions en vue de son salut et de l’entrée
dans le Royaume.
Ce magnifique et prophétique récit est conclu par le Seigneur en ces
termes : Car beaucoup sont appelés, mais peu sont élus (M t 22, 14). Cela
concerne les Juifs comme les chrétiens. Il y a eu peu d ’élus parmi les Juifs
et il y a peu d ’élus parm i les chrétiens. Nous tous qui avons été baptisés
HOMÉLIE POUR LE QUATORZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 499
sommes appelés au festin royal, mais Dieu seul sait qui sont Ses élus.
M alheur à celui d’entre nous à qui le Roi Très-haut dira devant tous les
anges et les saints : M on ami, comment es-tu entré ici sans avoir la tenue
de noces ? Quelle honte, mais inutile ! Quelle horreur, mais impossible
à corriger! Quelle déchéance, sans retour! E n fait, ces paroles divines
s’adressent aussi à nous, au m om ent de nous approcher du sanctuaire
pour prendre la comm union et de nous unir spirituellement au Christ
‘l’Epoux : M on ami, comment es-tu entré ici sans avoir la tenue de noces ?
Ecoutons notre cœur et notre conscience quand nous nous approchons
du calice vénérable et nous entendrons cette question et cette réprimande.
M ais ces mots de D ieu n’entraînent pas avec eux des pleurs et des grin
cements de dents dans des ténèbres extrêmes, ce qui sera le cas quand
Dieu nous les dira pour la dernière fois. Q ui parmi vous peut garantir
que ces paroles, D ieu ne les lui dit pas aujourd’hui pour la dernière fois
dans cette vie terrestre ? Q ui peut être sûr que, dès cette nuit, son âme
ne se retrouvera pas vêtue de la tenue sale du péché, devant l’éclatante
assemblée céleste réunie autour du festin royal ? Q ui parm i les mortels,
peut savoir si le jour d ’aujourd’hui n’est pas fatal pour toute son éternité ?
Quelques m inutes ont suffi pour décider du sort de deux larrons sur la
croix. Ces quelques m inutes, l’un d ’eux n’a pas su les utiliser et il est tombé
dans les ténèbres extrêmes. M ais l’autre a utilisé ces quelques minutes
avec discernem ent; il s’est repenti, a reconnu le Fils de D ieu et L’a prié de
le sauver :Jésus, souviens-toi de moi, lorsque tu viendras avec ton royaume (Le
23, 42). E t à ce m om ent même, sa vieille tenue de pécheur tom ba de son
âme et celle-ci fut revêtue de l’éclatante robe nuptiale. E t le larron repenti
se présenta, avec la dignité de l’élu, dans le paradis, au festin royal.
Ne retardons donc pas notre repentir d’une heure. C ar dans toute heure
à venir, il se pourrait que nous ne fassions plus partie des habitants de ce
monde. Nettoyons et lavons rapidem ent notre âme, au moins autant que
nous nettoyons et lavons notre corps qui deviendra bientôt la nourriture
des vers. Nettoyons notre âme dans le repentir et les larmes, nettoyons-la
dans le jeûne et la prière, et revêtons-la d ’une tenue tissée dans la pureté
et l’amour, et ornée de toutes les bonnes œuvres, en particulier d’actes de
repentir et de charité. Faisons le peu de chose que D ieu nous demande, Il
fera le reste. Q uand l’enfant se plaint à sa mère en lui disant que son corps
est sale, sa mère le nettoie rapidement, le lave et le rhabille. A h, que le
Père céleste est plus miséricordieux qu’une mère avec ses enfants ! E n fait,
l’âme humaine est tellem ent impure quelle ne peut se laver d ’e lle-même
500 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Tout ce qui, dans cette vie, vient de Dieu, paraît impuissant, tout en
étant plus puissant que les étoiles et les océans en furie.
Réfléchis et instruis-toi à partir des exemples opposés que Dieu
nous a laissés pour notre enseignem ent: M oïse et le Pharaon, David
et G oliath, Job et Satan, Jérusalem et Babylone, les trois jeunes gens
et le roi Nabuchodonosor, Daniel et Darius, les Apôtres et Rome. E t
si tu comprends l’enseignement que Dieu t ’a laissé dans ces exemples
aussi éclatants que le soleil, tu t ’é crieras joyeusement avec le merveilleux
David : A ux uns les chars, aux autres les chevaux, à nous d ’invoquer le Nom du
Seigneur notre Dieu (Ps 20, 8). E t alors tu comprendras merveilleusement
avec ta raison et adopteras avec ton cœur les paroles de l’apôtre Paul : ce
qui estfolie dans le monde, Dieu l ’a choisi pour confondre les sages: ce qui est
faible dans le monde, Dieu l ’a choisi pour confondre ce qui estfort{\ C o 1,27).
Q uant au sort réservé au bien dans ce monde, son évolution, son
apparente faiblesse et sa force irrésistible, nul dans l’histoire du monde ne
l’illustre mieux que le Seigneur Jésus. Lui qui est le plus connu, est apparu
inconnu. Lui qui est le plus juste, fut condamné comme un injuste;
Lui qui est le plus puissant, s’e st laissé tuer comme un impuissant. E t
qu’arriva-t-il à la fin? La victoire et la gloire. Sa victoire et Sa gloire, et
la défaite et l’infamie pour ceux qui ne L’ont pas accueilli, ni reconnu et
qui L’ont torturé. M ais la fin véritable ne s’e st pas encore produite ; quand
elle viendra, alors seulement on verra toute la grandeur de Sa victoire et
tout l’éclat de Sa gloire ; et alors seulement on verra toute l’horreur de la
défaite et de la honte de Ses persécuteurs et de Ses bourreaux.
Chaque fois que les ennemis du bien, les ennemis de Dieu, ont tissé
un filet destiné au C hrist, ils sont eux-mêmes tombés dedans; chaque
fois qu’ils ont voulu l’humilier, ce sont eux-mêmes qui ont été humiliés,
et chaque fois qu’ils ont voulu Le faire taire, ce sont eux-mêmes qui ont
dû se taire. E n fait, tout ce qu’ils ont fait pour Lui faire honte a tourné à
Sa gloire et à leur honte. Il en a été ainsi alors, il en est ainsi aujourd’hui.
Quiconque s’o ppose aujourd’hui au C hrist sombrera dans la déchéance,
donnant ainsi au C hrist l’occasion de briller encore plus dans Sa puissance
et Sa gloire. Il en est ainsi aujourd’hui, il en sera ainsi demain, jusqu’à la
fin des temps. L’é vangile de ce jour montre merveilleusement ce qu’il
advient des hommes qui essaient d ’e mbarrasser Dieu, en préparant des
honneurs pour eux-mêmes et le déshonneur pour Dieu.
Un légiste demanda à Jésus pour L u i tendre un piège: Maître, quel est
le plus grand commandement dans la Loi ? (M t 22, 35-36). C ctait la
HOMÉLIE POUR LE QUINZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 503
imaginer que le C hrist allait énoncer quelque chose dont ils étaient
particulièrement démunis, et qu’avec une vieille sentence II dirait quelque
chose de nouveau.
Jésus lui dit :Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme
et de tout ton esprit. Voilà leplus grand et le premier commandement. Le second
lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même (M t 22, 37-39).
Ces deux commandements se trouvent dans l’Ancien Testament, non l’un
à côté de l’autre, mais dans deux livres de Moïse (D t 6,5 ; Lv 19,18). Ils ne
figurent pas dans les dix commandements de Dieu, qui constituent la base
de toute la loi transmise par Moïse et n’o nt été mentionnés qu’incidemment,
ce qui fait que peu de gens y ont fait attention. Ce n’est pas par hasard que
ces commandements ont été placés parmi les commandements annexes,
mais à la suite d’une intention particulière de Dieu, car le genre humain
n’é tait pas prêt à cette époque pour recevoir ces deux commandements.
Avant d’e ntrer dans une grande école, il faut être passé par une petite école.
Le Décalogue de M oïse constitue une petite école d ’e ntraînem ent et de
préparation à la grande école de l’amour.
Tu aimeras le Seigneur ton Dieu. C ’est le premier et le plus im portant
des commandements. Le second en dépend et en découle. M ais l’amour
obéit-il à un com m andem ent ? N on. M ais malheureusement, le com m an
dem ent sur l’amour devait exister, puisque le cœur obscurci de l’hom me
avait oublié l’amour naturel de l’hom m e envers Celui qui aime le plus
l’homme. Une mère ne rappelle pas à l’o rdre son enfant pour ce qui est de
son amour envers elle, à moins que l’enfant ne vienne à l’oublier au point
de la mépriser et de lui vouloir du mal, en suivant le chem in glissant de
l’amour des choses terrestres. Alors l’amour envers la mère devient un
com m andem ent, non pas tant à cause de la mère que de l’e nfant. Dieu
ne donne aucun ordre sur l’amour aux anges, puisque ceux-ci ne sont
pas éloignés de Lui et qu’ils aim ent naturellem ent Dieu. D ’ailleurs le
genre hum ain devrait avoir honte d ’avoir suscité ce com m andem ent sur
l’amour. Car le com m andem ent sur l’amour envers D ieu est autant un
com m andem ent qu’une réprimande du genre humain. E t quiconque est
un peu au courant de tout ce que D ieu fait pour lui et tout ce qu’il doit à
Dieu, doit en vérité éprouver un sentim ent de très grande honte devant
le fait que l’hom me intoxiqué par le péché a fourni le prétexte pour un tel
comm andem ent. L’amour de l’hom m e envers D ieu est plus naturel que
l’amour de l’e nfant pour sa mère. C ’e st pourquoi l’amour de l’hom me pour
Dieu doit, sans aucun com m andem ent, être plus évident que l’amour de
506 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
l’enfant pour sa mère. Pourquoi l’enfant aim e-t-il sa mère? Parce qu’il
ressent l’amour de sa mère pour lui. E t pourquoi l’hom me ne ressent pas
l’amour de Dieu pour lui ? Parce que son cœur s’e st empâté et que sa vue
spirituelle a été assombrie par le péché. Le C hrist est venu au monde
pour que le cœur hum ain éprouve un sentim ent d ’amour envers Dieu et
que la vue spirituelle de l’hum anité assombrie lui perm ette de voir. Le
C hrist Seigneur est venu, comme l’expression de l’amour inchangé de
Dieu envers l’hom me, afin de rallumer le feu éteint de l’amour dans le
cœur des enfants de D ieu et pour que ce qui avait paru tellem ent naturel
dans le cœur des hommes, comme parmi les anges, mais était devenu
factice au fil du temps, puisse devenir de nouveau naturel. Si une mère
n’embrassait pas son enfant, l’e nfant pourrait-il embrasser sa mère? Si
Dieu n’aimait pas l’homme, l’hom m e pourrait-il aimer Dieu ? M ais Dieu
depuis le comm encem ent - et même avant le com m encem ent - aime
l’hom m e ; de là découle le caractère naturel de l’am our de l’hom m e envers
Dieu. Dans Sa prière divine dite au seuil de Son supplice, le Seigneur
Jésus demande au Père céleste que le monde reconnaisse que tu m'as envoyé
et que tu les as aimés comme tu m’as aimé (Jn 17, 23). Quelle déclaration
sublime et consolatrice ! Dieu éprouve de l’amour paternel envers nous,
pécheurs et hom mes impurs, de même que pour Son Fils Unique ! Ceux
qui sont incapables de reconnaître et ressentir la profondeur et la flamme
inextinguible de cet amour divin, n’ont besoin d’aucun com m andem ent
sur l’amour. Au contraire, ils éprouveraient de la honte si on leur donnait
l’o rdre d ’aimer Dieu, c’est-à-dire de répondre à l’am our par l’amour.
L’apôtre Jean qui avait posé sa tête sur la poitrine du Seigneur son Dieu,
et qui a le mieux ressenti la profondeur et la douceur de l’amour divin à
sa source intarissable, a dit : Quant à nous, aimons, puisque lui nous a aimés
le premier (1 Jn 4, 19). Voyez comme il écrit! Il ne s’agit pas de mots
choisis et rassemblés par des sages de ce monde, mais de battem ents de
cœur de celui qui s’e st abreuvé pleinem ent d’amour à sa source même
et qui, dans son enthousiasme joyeux, utilise les mots les plus simples
pour exprimer l’am our indescriptible de Dieu. Ecoutez com m ent un
autre apôtre, qui avait d ’abord méprisé et persécuté le C hrist, parle de
l’amour : Qui nous séparera de l'amour du Christ ? La tribulation, l'angoisse,
la persécution, la faim , la nudité, les périls, le glaive? E t il ajoute: Oui, j'en
ai l ’assurance, ni mort, ni vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir,
ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra
nous séparer de l'amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur
HOMÉLIE POUR LE QUINZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 507
(Rm 8, 35-39). Je pense que, depuis que le monde existe, aucun homme
n’a manifesté par des mots une expression plus forte de son amour. E t
il ne s’agit pas d’un amour selon un com m andem ent ou à cause d ’un
comm andem ent, mais d ’un amour provoqué naturellement par amour,
une flamme allumée par une flamme plus grande. Ce com m andem ent
a été donné à ceux qui dans les temps anciens ont mérité un châtim ent
à cause de leur engourdissement devant l’amour, de leur m anquem ent
à l’amour et de leur ingratitude criante envers Dieu. Ni le C hrist ni les
Apôtres ni toutes les armées des amoureux de Dieu au ciel et sur terre,
n’ont pu expliciter le com m andem ent de l’amour envers Dieu, ni donner
une incitation plus forte pour accomplir ce com m andem ent mieux que
le simple rappel que Dieu nous a aimés le premier et que c’est L u i qui a le
premier montré Son amour envers nous. O n pourrait écrire - et on a déjà
écrit - des livres entiers sur les preuves de l’amour de Dieu pour nous et
sur les raisons de notre amour pour Dieu. Tout le monde créé, visible et
invisible, est une preuve de l’amour de D ieu pour nous ; toute la nature et
son organisation, le soleil et les étoiles, les saisons dans l’année, le déroule
m ent de la vie hum aine sous le regard de la Providence, la longue patience
de D ieu à l’égard des pécheurs, le soutien silencieux mais puissant apporté
aux justes, et le reste, tout le reste, impossible à dénom brer et à nommer,
prouvent l’amour de Dieu envers nous. M ais à quoi bon tout énumérer
et nommer, quand il suffit de dire que Dieu nous aime, qu’/ / nous a aimés
le premier} La descente du Fils de D ieu parmi les hommes, Son oeuvre
et Son martyre pour le genre hum ain dépassent par leur grandeur et leur
éclat toutes les autres preuves de l’amour de Dieu. Sa bouche nous a dit
que Dieu nous aime comme Lui-m êm e ; Son enseignement l’a démontré ;
Son œuvre en a porté témoignage ; Sa passion en constitue le sceau final.
C ’e st pourquoi Son com m andem ent sur l’amour doit le plus tôt possible
devenir dans nos cœurs un sentim ent naturel irrésistible, à l’image du
sentim ent d ’amour d ’un enfant pour sa mère, mais encore plus fort.
Pourquoi le Seigneur nous com m ande-t-Il d ’aimer Dieu de tout
notre cœur; de toute notre âme et de tout notre esprit} D ’abord pour donner
encore plus de force à ce com m andem ent et le graver encore plus dans la
conscience humaine. Puis pour m ontrer que l’amour de Dieu exclut tout
autre amour, tout partage de l’amour, tout service de deux maîtres - Dieu
et M am m on. M ais il existe encore une autre raison, cachée. Dieu est la
Trinité indivisible du Père, du Fils et du Saint-Esprit. D e même, l’hom me
est la trinité du cœur, de l’âme et de l’esprit. Le Père aime l’homme, le Fils
508 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
aime l’hom m e et le Saint-E sprit aime l’hom me. Le Dieu entier aime
l’homme. C ’est pourquoi existe le com m andem ent selon lequel c’e st
l’hom me entier qui aime le D ieu entier. Q uand l’hom me aime de tout
son cœur, de toute son âme et de tout son esprit, alors l’hom m e entier
aime. Q uand l’hom me aime le Père, comme il aime le Fils et comme
il aime le Saint-Esprit, alors l’hom m e aime le Dieu entier. Q uand une
partie de l’hom m e aime une partie de Dieu, l’amour n’e st pas absolu ; non,
dans ce cas, l’amour n’e st absolument pas l’am our ; car un hom m e divisé
n’est pas un hom me, et le D ieu divisé n’est pas Dieu. Si quelqu’un dit qu’il
aime le Père, sans connaître le Fils et le Saint-Esprit, il n’éprouve pas
d ’amour envers Dieu. Si quelqu’un dit qu’il aime le Fils, sans connaître
le Père et le Saint-Esprit, il n’éprouve pas d ’amour envers Dieu. E t si
quelqu’un dit qu’il aime le Saint-Esprit, sans connaître le Père et le Fils, il
n’éprouve pas d ’amour envers Dieu. Car cet hom m e ne connaît pas Dieu
dans sa totalité. D e même, celui qui dit qu’il n’aime D ieu qu’avec son
cœur, ou avec son âme ou avec son esprit, n’éprouve pas d ’am our envers
Dieu. C ar cet hom m e ne se connaît pas lui-m êm e en totalité, ni ne sait
d ’ailleurs ce qu’est l’amour. L’amour, l’amour véritable - non ce que le
monde désigne sous ce term e - va d’un tout vers un tout. Voyez-vous avec
quel sens profond et inépuisable ces simples com m andem ents réfutent
toutes les hérésies proférées contre le caractère trinitaire de D ieu dans
l’unité ? E t aussi com m ent se disperse en poussière toute la psychologie
bon marché et mesquine de certains savants contemporains qui m et en
pièces l’hom m e intérieur et le rend infinim ent futile et malheureux ?
Le second lui est semblable: Tu aimeras ton prochain comme toi-même.
Ce second com m andem ent concerne aussi l’amour, non l’amour envers
le Créateur mais envers Ses créatures. En aim ant sa mère, l’enfant
aime toutes les œuvres, les travaux et les faits et gestes de sa mère ; en
particulier, en aim ant sa mère, l’e nfant aime ses frères et sœurs. L’amour
envers la mère fortifie l’amour envers les frères et sœurs. Celui qui aime
ses parents aimera tout naturellem ent ses frères et sœurs; mais celui
qui n’a pas d ’amour envers ses parents est rarem ent en mesure d ’aimer
ses frères et sœurs. D e même, celui qui aime Dieu aimera facilement
les hommes en tant que frères en D ieu; mais celui qui n’a pas d ’amour
envers Dieu ne peut que se trom per lui-m êm e en prétendant aimer
les hommes. U n tel hom me ne peut avoir, au mieux, qu’une certaine
compassion nébuleuse envers les autres, qui trouve de nouveau sa source
dans l’auto-compassion. Bien que ce com m andem ent ait été prononcé
HOMÉLIE POUR LE QUINZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 509
aussi dans l’Ancien Testam ent, il est tout à fait neuf dans la bouche du
Christ. C ar le Seigneur a déclaré dans une autre circonstance: Je vous
donne un commandement nouveau: vous aimer les uns les autres, comme je
vous ai aimés (Jn 13, 34). Ce com m andem ent est nouveau, d ’abord parce
qu’il est prononcé par Celui qui a m ontré le plus grand amour pour les
hommes dans l’histoire ; puis parce que le concept de proches a été élargi
bien au-delà des murailles du peuple ju if et répandu sur tous les hommes
de Dieu. Aim ez vos ennemis, dit le Christ. Car si vous aimez ceux qui vous
aiment, quelle récompense aurez-vous? (M t 5, 44-47) D ieu n’éclaire-t-Il
pas vos ennemis aussi par le soleil? E t n’accorde-t-Il pas la pluie aussi
à ceux qui ne vous aim ent pas ? Il t ’appartient d’aimer tous les hommes
par amour de D ieu et c’est à Lui de séparer ensuite les justes des injustes.
Nos proches constituent le champ visible où nous m ontrons notre
amour envers le D ieu invisible. O ù pourrait-on lire notre amour de
Dieu sinon sur les hommes vivant avec nous sur cette terre? Dieu est
attendri par notre amour envers nos voisins comme une mère peut l’être
par l’amour d ’un étranger envers son enfant. Il est tellem ent nécessaire
de m ontrer son amour envers D ieu sur les gens qui nous entourent, que
l’apôtre de l’am our traite de m enteur celui qui dit qu’il aime Dieu mais
hait son frère : si quelqu’un dit: «J ’aime Dieu» et qu’il déteste son frère, c’est
un menteur (1 Jn 4,20).
Nos proches sont pour nous une école où nous nous formons à l’amour
le plus accompli - l’amour de Dieu. T out acte d ’amour que nous faisons
à l’égard de quelqu’un, enflamme davantage notre amour de Dieu. Le
contenu de notre amour envers nos proches nous est clairement indiqué
et montré par l’exemple, aussi bien par le Seigneur Lui-m êm e et Ses saints
apôtres que par des cohortes entières d’hommes agréables à Dieu, de
Pères théophores et de martyrs. M ais les principaux actes d ’amour sont:
la charité, le pardon des offenses, la prière pour autrui, le soutien apporté
aux faibles, l’apaisement des orgueilleux, la réprimande des injustes,
l’instruction des ignorants, la dissimulation des imperfections des autres,
l’éloge des vertus des autres, la défense des vaincus, le sacrifice de sa vie
pour autrui. N u l n’a plus grand amour que celui-ci: déposer sa vie pour ses
amis (Jn 15,13). M ais si quelqu’un fait même le plus grand sacrifice pour
d ’autres motifs, son sacrifice ne vaut rien (1 Co 13,3). Celui qui a l’amour
possède tout ; il a accompli toute la loi.
Enfin, rappelons la conception profonde de l’Église du Christ proclamée
par l’apôtre Paul, dont découle irrésistiblement et naturellement l’amour
510 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
pour notre prochain. Nous tous fidèles, sommes des membres du Christ,
parties vivantes du corps du C hrist (Ep 4 et 5 ; 1 Co 6, 15). Nous nous
développons tous au sein d ’un grand organisme vivant, d’un corps céleste
dont le C hrist est la tête. Com m e il en est ainsi, nous devons nous aider
m utuellement à croître et à nous développer. Q uand une partie du corps
progresse, c’e st pour le bien et le profit de tout le corps ; quand une partie
du corps est malade, cette souffrance est nuisible pour tout le corps. C ’est
pourquoi l’amour pour nos proches contribue à la santé de nos proches
comme de nous-mêmes. E n vérité, l’amour est un signe de santé ; la haine,
une maladie. L’am our c’est le salut, la haine c’est la déchéance.
Ainsi les deux comm andem ents sur l’amour sont les plus im portants
dans la loi divine ; il n’y en a pas eu de plus grand et il n’y en aura pas.
C ’est la Loi royale (Je 2, 8) à laquelle le ciel se tient et par laquelle la
terre est sauvée. A ces deux commandements se rattache toute la Loi, ainsi
que les prophètes (M t 22, 40). Dieu a donné toute la loi de M oïse par
amour et a réchauffé les prophètes par amour. O n peut dire que les quatre
premiers comm andem ents de l’ancienne Loi concernent l’amour envers
Dieu, alors que les six autres portent sur l’amour envers les proches ; mais
ces dix comm andem ents ne sont que l’esquisse de la loi du C hrist sur
l’amour. O n peut dire encore que tout le bien que l’hom m e est capable
de faire découle de l’amour envers D ieu et de l’am our envers les proches.
O n peut dire enfin que tous les péchés, passés et présents, sont des péchés
commis contre l’amour envers D ieu ou contre l’amour envers les proches.
Si on poursuit la réflexion sur la profondeur et l’étendue de ces deux
comm andem ents de Dieu, on peut affirmer librem ent que le ciel et la
terre y sont suspendus, c’e st-à-dire l’e nsemble du m onde créé : l’angélique
et le matériel.
Voilà à quoi ont abouti, par leur mise à l’épreuve, les adversaires réunis
du C hrist! Voilà l’é tincelle de feu qu’ils ont fait jaillir de la pierre par leur
attaque maléfique ! Ils avaient eu l’intention d ’hum ilier et de troubler le
C hrist, mais ils se sont humiliés eux-mêmes au point de devenir une
poussière sale, alors que le C hrist a été élevé jusqu’au trône du Législateur
éternel. C ’est ainsi que cette ultime mise à l’épreuve a donné l’occasion
au C hrist d ’être glorifié éternellement, tout en nous apportant l’avantage
immense de nous annoncer le com m andem ent sur l’amour.
Après une telle réponse du Christ, Ses adversaires se turent. E t à
partir de cejour,personne nosaplus L ’interroger (M t 22,46). En outre, selon
le récit de l’é vangéliste M arc, le scribe qui avait interrogé le Seigneur
HOMÉLIE POUR LE QUINZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 511
fut quasim ent converti en disciple du Christ, qui lui dit : « Tu n'es pas
loin du Royaume de Dieu» (Mc 12, 34). E n effet, après avoir entendu la
réponse inattendue du Sauveur, ce scribe ne put se retenir de dire: «Fort
bien, Maître, tu as eu raison!» (M c 12, 32), ajoutant même que l’amour
envers Dieu et ses proches vaut mieux que tous les holocaustes et tous les
sacrifices (M c 12, 33). Celui qui pensait l’e m porter s’avéra battu; et ceux
qui pensaient L’hum ilier restèrent humiliés. E t à partir de cejour, personne
n'osa plus L ’interroger.
Ce fut alors au tour du C hrist de les interroger. Il leur dem anda:
«Quelle est votre opinion au sujet du Christ? De qui est-il f i s ?» Ils lui
disent: «De David». «Comment donc, dit-il, D avid parlant sous l ’inspira
tion l'appelle-t-il Seigneur quand il dit: "Le Seigneur a dit à mon Seigneur:
Siège à ma droite, jusqu’à ce que j'aie mis tes ennemis dessous tes pieds." Si
donc D avid l ’appelle Seigneur, comment est-il son fils ?» (M t 22, 42-45).
En posant cette question, le Seigneur a d ’abord voulu dire qu’il était
le C hrist; puis, m ontrer que se trom pent ceux qui attendent le Messie
comme un roi terrestre issu de la lignée de David, destiné à chasser les
Romains et à faire d ’Israël un royaume terrestre puissant; ensuite, que
ceux qui Le m ettaient à l’épreuve étaient Ses ennemis et, enfin, qu’ils
allaient, comme ennemis du C hrist unique qui devait venir et qui est
venu, être battus et châtiés. Ceux-ci lui répondirent: De David. C ’était
tout ce qu’ils savaient. Le Seigneur Jésus était aussi de la lignée de David,
donc selon leur loi, fils de David. M ais le prophète David lui-mêm e
n’avait pas imaginé le Messie comme son fils uniquem ent par le sang,
sinon il ne L’aurait pas appelé mon Seigneur. C om m ent se peut-il qu’un
aïeul appelle son descendant « D ieu » ? M ais David avait dans son esprit
vu et reconnu la double nature du Christ, humaine et divine, et L’a appelé
mon Seigneur sous l’inspiration de l’Esprit. Le mystère de l’incarnation
du Fils de Dieu, David l’avait depuis des temps immémoriaux beaucoup
mieux compris grâce à son esprit prophétique que les Pharisiens et les
Sadducéens qui regardaient le C hrist dans les yeux. Le C hrist devait
naître au sein de sa lignée et II naquit charnellement de la Très Sainte
Vierge M arie, qui appartenait à la lignée de David; mais II devait venir
comme le Fils prééternel de Dieu conform ém ent à Sa nature divine. E t
c’e st ainsi qu’il est venu. Le Seigneur m entionne les paroles de David,
non pour les corriger mais pour les confirmer. Tout est exact dans ce que
David a vu en esprit et qu’il a prédit. T out a eu lieu comme il a été écrit.
Promis par Dieu et attendu par les hom mes, le Sauveur est venu sur terre,
512 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
donné des biens extérieurs et intérieurs. M ais II considère que les biens
extérieurs sont plus insignifiants que les biens intérieurs. Il a accordé des
biens extérieurs délectables aussi bien aux hommes qu’aux animaux. M ais
le riche trésor des biens intérieurs, spirituels, n’a été répandu par Lui que
dans les âmes des hommes. D ieu a donné à l’hom m e quelque chose de
plus qu’aux animaux, aussi dem ande-t-Il à l’hom m e plus qu’aux animaux.
Ce supplém ent se compose de dons spirituels.
D ieu a accordé aux hommes les biens visibles afin qu’ils servent aux
biens intérieurs. C ar tout ce qui est extérieur sert de moyen à l’hom me
intérieur. Tout ce qui est donné dans le temps est au service de l’éternel ; et
tout ce qui est m ortel est donné pour servir l’éternel. L’hom me qui suit un
chemin contraire, et qui dilapide tous ses dons spirituels exclusivement
en vue de l’acquisition de biens terrestres éphémères - de la richesse, des
fonctions, de la célébrité dans le monde - , fait penser au fils qui hérite
beaucoup d ’o r de son père, puis dépense tout son or ‘en achetant des
cendres.
Pour les hom mes qui ont senti dans leur âme qu’on y avait déposé des
dons de Dieu, tout ce qui est apparent devient peu significatif; de même
que l’école primaire le devient pour celui qui entre dans une grande école.
Les ignorants ne se battent que pour les biens apparents, non les sages.
Ces derniers m ènent un combat plus difficile et utile : le combat pour la
multiplication des biens intérieurs.
Pour l’égalité extérieure luttent ceux qui ne savent pas ou n’osent pas
regarder en eux-mêmes, ni se consacrer au champ intérieur, principal, de
leur condition d ’homme.
Dieu ne regarde pas ce qu’est un hom m e dans ce m onde et ce qu’il
possède, ni com m ent il est vêtu, nourri, instruit et respecté par les autres ;
D ieu regarde le cœur de l’homme. E n d ’autres termes, Dieu ne regarde
pas l’état apparent et la position de l’homme, mais son développement
intérieur, son développement et son enrichissement en esprit et en vérité.
Ce thèm e est évoqué dans l’Évangile de ce jour, qui est consacré aux
talents ou dons spirituels que Dieu a déposés dans l’âme de tout hom m e ;
on y voit la grande inégalité intérieure entre les hommes, conform ém ent
à leur nature même. M ais ce texte m ontre aussi autre chose. Dans un élan
d ’aigle, ce récit survole toute l’histoire de l’âme humaine, du comm ence
m ent à la fin. Quiconque comprendrait au moins ce récit du Sauveur et
imprégnerait sa vie de Son enseignement, serait en mesure d’acquérir le
salut éternel dans le Royaume de Dieu.
HOMÉLIE POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 517
C ’est comme un homme qui, partant en voyage, appela ses serviteurs et leur
remit sa fortune. A l ’un il donna cinq talents, deux à un autre, un seul à un
troisième, à chacun selon ses capacités, et puis il partit. (M t 25, 14-15). C et
hom m e désigne le D ieu Très-H aut, donateur de tous les biens octroyés.
Ses serviteurs correspondent aux anges et aux hommes. Le départ en
voyage représente la longue patience de Dieu. Les talents sont des dons
spirituels dont D ieu pourvoit toute créature sensée. La grandeur de ces
dons est attestée par le terme de talents qui leur a été attribué à dessein.
C ar un talent représentait beaucoup d ’argent, la valeur de 500 ducats d ’or.
Nous disons que le Seigneur a volontairement donné le nom de talents
à ces dons de Dieu, afin de m ontrer la grandeur de ces dons, et que le
C réateur très doux a richem ent pourvu Ses créatures. Ces dons sont si
im portants que même celui qui a reçu un talent a reçu un m ontant tout
à fait suffisant. L’hom m e de ce récit désigne aussi le C hrist Seigneur, ce
qu’o n voit dans l’expression utilisée par l’évangéliste Luc : un homme de
haute naissance. C et hom m e de haute naissance, c’e st le C hrist Seigneur
Lui-m êm e, le Fils unique de Dieu, le Fils du Très-H aut. O n le voit encore
plus dans la suite de cette phrase : Un homme de haute naissance se rendit dans
un pays lointain pour recevoir la dignité royale et revenir ensuite (Le 19, 12).
Après Son ascension, le Seigneur Jésus se rendit au ciel pour recevoir Sa
dignité royale, en prom ettant au monde qu’il reviendrait sur terre comme
Juge. Si le nom d 'homme désigne ici le Seigneur Jésus, alors Ses serviteurs
désignent les apôtres, les évêques, les prêtres et tous les fidèles. Sur chacun
deux le Saint-Esprit a répandu de nombreux dons, différents et inégaux,
afin que chacun puisse compléter l’autre et que tous, ainsi, puissent se
perfectionner et se développer spirituellement. I l y a, certes, diversité de
dons spirituels, mais c'est le même E sprit; diversité de ministères, mais c’est
le même Seigneur; diversité d ’opérations, mais c’est le même Dieu qui opère
tout en tous. A chacun la manifestation de l'Esprit est donnée en vue du bien
commun. M ais tout cela, c’est l ’unique et même Esprit qui l ’opère, distribuant
Ses dons à chacun en particulier comme II l ’e ntend (1 Co 12,4-11). À travers
le mystère du baptême, tous les fidèles reçoivent ces dons en abondance,
et à travers les autres mystères de l’Église, ces dons sont confortés et
multipliés par Dieu. D ans les cinq talents, certains exégètes voient les
cinq sens de l’homme, tandis que deux talents correspondraient à l’âme et
au corps et qu’un talent désignerait l’unité de la nature humaine. Les cinq
sens ont été donnés à l’hom me pour être au service de son esprit et de
son salut. Par l’âme et le corps, l’hom m e doit servir attentivem ent Dieu
518 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
et s’e nrichir par sa connaissance de Dieu et par les bonnes actions. C ’est
tout l’homme, de façon unitaire, qui doit être au service de Dieu. Dans
son enfance, l’hom m e vit avec ses cinq sens et mène une vie pleinem ent
sensorielle. Devenu plus mûr, l’hom m e sent une dualité en lui et l’affron
tem ent entre le chair et l’e sprit. Dans sa m aturité, l’hom me devient un
esprit unique, après avoir vaincu sa division en cinq et en deux. M ais c’est
précisément à ce m om ent-là, quand l’hom me croit qu’il est vainqueur,
que le plus grand danger le guette, du fait de sa désobéissance envers
Dieu. Après avoir atteint le sommet, il tombe alors dans la déchéance la
plus profonde et enfouit son talent.
Dieu accorde des dons à chacun, selon sa force, c’est-à-dire compte
tenu de ce que chacun peut supporter et utiliser. Bien entendu, Dieu
répartit les dons entre les hom mes en tenant également compte de Sa
propre économ ie...
E t puis il partit. Ces mots traduisent la rapidité de la création divine.
Q uand le Créateur créa le m onde, Il le fit rapidement. Q uand le Seigneur
Jésus vint sur terre pour la Nouvelle Création, pour régénérer le monde,
Il accomplit rapidem ent Sa tâche : Il l’annonça et accorda les dons, puis
partit aussitôt.
Q ue firent les serviteurs avec les talents qu’ils avaient reçus? Celui
qui avait reçu les cinq talents alla lesfaire produire et en gagna cinq autres.
De même celui qui en avait reçu deux en gagna deux autres. M ais celui qui
n'en avait reçu qu'un s'en alla faire un trou en terre et enfouit l'argent de son
maître (M t 2 5 ,16-18).Toutes les activités artisanales et commerciales des
hom mes sont à l’image de ce qui se produit, ou devrait se produire, dans
le royaume des âmes humaines. Si quelqu’un hérite d’un bien, les gens
s’attendent à ce qu’il l’agrandisse; si quelqu’un a acquis un champ, on
s’attend à ce qu’il exploite ce champ ; si quelqu’un a appris un métier, on
s’attend à ce qu’il fasse ce m étier aussi bien à son profit qu’à celui de ses
voisins ; si quelqu’un a investi de l’argent dans le commerce, on s’attend
à ce qu’il fasse fructifier cet argent. Les gens se déplacent, travaillent,
arrangent des affaires, additionnent, transform ent, vendent et achètent.
Chacun s’efforce d ’acquérir ce qui lui est nécessaire pour son existence,
d’améliorer sa santé, de subvenir à ses besoins quotidiens et de s’assurer
un bon état physique à long terme. T out cela n’est qu’un reflet de ce
que l’hom m e doit faire pour son âme. C ar l’âme est la chose principale.
Tous nos besoins apparents sont le reflet de nos besoins spirituels, un
avertissement et une leçon pour que nous fassions aussi des efforts pour
HOMÉLIE POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 519
de ce qu’ils ont fait de l’argent qui leur a été confié. Nous aussi, nous
devrons, les uns après les autres, nous présenter devant le maître du ciel et
de la terre et devant des millions de témoins, annoncer ce que nous avons
fait de l’argent qui nous a été confié. A ce m om ent-là, rien ne pourra
être caché ni corrigé. C ar le Seigneur illuminera de Sa lumière tous les
présents, de sorte que chacun connaîtra la vérité sur chacun. Si nous
avons réussi dans cette vie à doubler nos talents, nous nous présenterons,
le visage radieux et le cœur libre, devant le Seigneur, comme les deux
premiers serviteurs bons et fidèles. E t nous serons illuminés par le visage
du Seigneur et ranimés pour toujours par Ses paroles : Serviteur bon et
fidèle ! M ais malheur à nous si nous nous présentons sans rien devant le
Seigneur et Ses saints anges, comme le troisième serviteur, mauvais et
paresseux !
Q ue signifient ces mots : en peu de choses tu as étéfidèle, sur beaucoup je
t'établirai? Ils signifient que tous les dons reçus de Dieu dans ce monde,
de quelque ampleur fussent-ils, sont infimes par rapport au trésor qui
attend les fidèles dans l’autre monde. Mais, selon qu’il est écrit, nous annon
çons ce que l ’œ il n’a pas vu, ce que l ’oreille n’a pas entendu, ce qui n'est pas
monté au cœur de l ’homme, tout ce que Dieu a préparé pour ceux qui l'aiment
(1 C o 2, 9). Le plus petit effort fait par amour de Dieu, Dieu le récom
pense par de riches dons royaux. Pour le peu que les fidèles auront enduré
dans cette vie par obéissance envers D ieu et par le peu d ’efforts qu’ils
auront fait pour leur âme, D ieu leur accordera une gloire telle que les rois
de ce monde ne l’ont ni connue ni possédée.
E t voici m aintenant ce qui est arrivé au serviteur mauvais et infidèle :
S ’a vançant à son tour, celui qui avait reçu un seul talent dit: « Seigneur, je savais
que tu étais un homme dur: tu moissonnes où tu n’as pas semé, tu ramasses où tu
n’as pas répandu. Par peur, je suis allé cacher ton talent dans la terre: le voici, tu
as ton bien » (M t 25, 24-25). Voilà comment ce troisième serviteur justifie
sa méchanceté et sa paresse devant son maître ! M ais il n’est pas seul dans
ce cas. Com bien y en a-t-il parmi nous qui rejettent la responsabilité sur
Dieu pour leur malveillance, leur laisser-aller, leur oisiveté et leur égoïsme !
Ne reconnaissant pas leurs péchés et ne connaissant pas les voies de
l’amour de Dieu pour les hommes, ils m urm urent contre Dieu pour leur
impuissance, leur maladie, leur pauvreté, leurs échecs.Tout d ’abord, chaque
m ot prononcé par ce serviteur paresseux devant Dieu est un mensonge
élémentaire. O ù Dieu m oissonne-t-Il où II n’a pas semé ? O ù ramasse-t-Il
où II n’a pas répandu ? Y a-t-il une bonne semence en ce monde, qui n’ait
HOMÉLIE POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 521
pas été semée par Dieu ? E t y a-t-il de bons fruits dans tout l’univers, qui
ne résultent pas du labeur de D ieu? Les malveillants et les infidèles se
plaignent par exemple quand Dieu leur enlève des enfants. « Voilà comment
Il nous enlève sans pitié nos enfants avant l’âge ! » Mais en quoi ces enfants
sont-ils les vôtres? N ’é taient-ils pas les Siens avant que vous les appeliez
vôtres ? E t en quoi est-ce avant l’âge ? Est-ce que Celui qui a créé le temps
ne sait pas quand le temps est venu ? Aucun propriétaire terrien n’attend
que toute la forêt soit décrépite pour couper les arbres ; il coupe les vieux et
les jeunes arbres en fonction de ses besoins. Au lieu de bougonner contre
Dieu et de maudire Celui dont dépend leur moindre souffle, il vaudrait
mieux qu’ils disent comme le juste Job : Le Seigneur avait donné, le Seigneur
a repris; que le Nom du Seigneur soit béni! (Jb 1,21). Les malveillants et les
infidèles m urm urent contre Dieu quand la grêle a détruit leur récolte ; ou
quand leur navire coule dans la mer avec sa cargaison ; ou quand ils sont
frappés par la maladie ou l’impotence, ils crient que Dieu est violent ! Ils ne
s’e xpriment ainsi que parce qu’ils ne se souviennent pas de leurs péchés ou
qu’ils ne peuvent pas en tirer de leçon pour le salut de leur âme.
D evant la justification mensongère de Son serviteur, le Seigneur
répond : Serviteur mauvais et paresseux, tu savais que je moissonne où je
nai pas semé, et que je ramasse où je nai rien répandu ? Eh bien, tu aurais
dû placer mon argent chez les banquiers et à mon retour j ’aurais recouvré
mon bien avec un profit (M t 25, 26-27). T out cela possède un sens figuré.
Les commerçants correspondent ici aux hom mes s’o ccupant d ’activités
de bienfaisance, l’argent aux dons de Dieu et le profit au salut de l’âme
humaine. Vous voyez ainsi com m ent tout ce qui se produit de façon
visible entre les hommes, n’est que le reflet de ce qui se produit, ou devrait
se produire, dans le royaume spirituel au cours de cette vie ! M êm e des
commerçants sont utilisés pour refléter la réalité spirituelle existant
au plus profond des hom mes ! Le Seigneur veut ainsi dire au serviteur
paresseux: tu as reçu un don de Dieu, mais tu n’as pas voulu l’utiliser
pour ton salut; pourquoi ne l’as-tu pas au moins confié à un bienfaiteur,
à un hom me spirituel, qui aurait voulu et su transm ettre ce don à d ’autres
hommes qui se confient à lui afin de gagner leur salut? E t à mon arrivée
parmi les hommes, j ’aurais ainsi trouvé davantage d ’âmes sauvées sur la
terre : plus de fidèles, plus d ’êtres purifiés, plus d ’êtres charitables et doux.
Au lieu de cela, tu as enfoui le talent au fond de ton corps qui a pourri
dans la tombe (le Seigneur s’exprimera ainsi au Jugem ent dernier) et qui
ne t ’est m aintenant d ’aucun secours !
522 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Quelle leçon terrible et claire pour tous ceux qui possèdent beaucoup
de richesses et n’en distribuent pas aux pauvres ; ou pour ceux qui possèdent
beaucoup de sagesse, mais la tiennent enfermée en eux-mêmes, comme
dans une tom be; ou qui possèdent de nombreuses capacités bonnes et
utiles, mais ne les m ontrent à personne ; ou ceux qui détiennent un grand
pouvoir, mais ne protègent pas les malheureux et les faibles ; ou ceux qui
ont un grand nom et la gloire, mais ne souhaitent pas illuminer de la
m oindre lueur ceux qui sont dans les ténèbres ! Pour le dire en termes
policés, tous ces gens sont des voleurs. Car ils considèrent que le don de
D ieu est à eux ; ils se sont attribué ce qui n’est pas à eux et ont dissimulé
ce qui leur a été donné. M ais ce ne sont pas seulement des voleurs, mais
aussi des assassins. C ar ils n’ont pas aidé à sauver ceux qui auraient pu être
sauvés. Leur péché n’est pas moindre que celui de l’hom m e se tenant avec
une corde au bord d ’une rivière et qui, voyant quelqu’un en train de se
noyer, ne lui aurait pas jeté la corde pour le sauver.
E n vérité, c’est aussi à ceux-là que le Seigneur dira ce qu’il a dit dans
ce récit au mauvais serviteur : Retirez-lui donc son talent et donnez-le à
celui qui a les dix talents. Car à tout homme qui a, l ’on donnera et il sera
dans la surabondance ; mais à celui qui napas, même ce qu’il a lui sera retiré.
Quant à ce serviteur bon à rien,jetez-le dans les ténèbres du dehors: là seront
les pleurs et les grincements de dents (M t 25, 28-30). D ans cette vie aussi,
il arrive habituellem ent que l’o n retire à celui qui possède peu pour le
donner à celui qui a beaucoup; ce riest que le reflet de ce qui arrive
dans le Royaume céleste. Le père ne prend-il pas l’argent de son fils
dissipé pour le donner au fils raisonnable qui sait s’e n servir utilem ent?
Le chef militaire ne retire-t-il pas les m unitions au soldat infidèle pour
les donner au soldat bon et fidèle ? Le Seigneur Dieu retire Ses dons aux
serviteurs infidèles, dès cette vie : les hommes riches mais impitoyables
connaissent d ’habitude la banqueroute et m eurent dans la misère; les
hom m es sages mais égoïstes term inent leur existence dans une étroitesse
d ’esprit extrême ou dans la folie ; des saints saisis par l’orgueil tom bent
dans le péché et term inent comme grands pécheurs; ceux qui ont
conquis le pouvoir de manière agressive, connaissent la raillerie, l’infamie
et l’impuissance ; les prêtres qui n’ont instruit les autres ni par la parole
ni par l’e xemple, tom bent de plus en plus profondém ent dans le péché
avant de quitter cette vie dans des souffrances atroces ; les mains qui riont
pas voulu faire ce quelles étaient capables de créer, se m ettent à trem bler
ou se retrouvent paralysées; la bouche qui ria pas voulu dire la vérité
HOMÉLIE POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 523
quelle pouvait dire, devient épaisse ou m orte ; et en général, tous ceux qui
ont occulté les dons de D ieu term inent comme des m endiants démunis
de tout. Ceux qui n’o nt pas su partager quand ils avaient des richesses,
devront apprendre à m endier quand on leur aura pris leurs biens. Si un
bien n’e st pas repris à un égoïste m échant et impitoyable avant sa m ort, il
le sera à ses descendants ou parents proches à qui ce bien aura été légué.
L’essentiel est que le talent soit repris à celui qui s’est m ontré infidèle,
qui ne sera traduit en jugem ent qu’à ce m om ent-là. Dieu ne condamne
jamais quelqu’un, tant que le talent bienfaisant se trouve encore en lui.
D e même, celui qui a été condamné par les tribunaux terrestres se voit
dépouillé de ses habits civils et revêtu de la tenue infam ante de prison
nier, avant d ’être conduit sur le lieu de la sentence. C ’est ainsi que tout
pécheur non repenti sera d’abord dépouillé de tout élém ent divin en lui,
puis envoyé dans les ténèbres du dehors: là seront les pleurs et les grincements
de dents.
Ce récit nous dit clairement que ne sera pas condamné seulement
celui qui comm et le mal, mais aussi celui qui ne fait pas le bien. L’apôtre
Jacques nous enseigne que celui qui saitfaire le bien et ne lefait pas, commet
unpéché (Je 4 ,1 7 ).T out l’enseignement du Christ, de même que l’exemple
du C hrist, nous incitent à faire le bien. S’abstenir de faire le mal est un
point de départ; mais tout le parcours terrestre d ’un chrétien doit être
parsemé de bonnes actions, telles des fleurs. Faire sans com pter de bonnes
actions aide beaucoup à s’abstenir de mauvaises actions. C ar il est difficile
de s’abstenir de mauvaises actions sans faire sim ultaném ent quelque chose
de bien, comme il est difficile de se préserver du péché sans pratiquer de
bonnes actions.
Ce récit nous m ontre aussi que D ieu est également charitable envers
tous les hom m es.T out hom me s’est vu attribuer un don; certains en ont
reçu plus, d ’autres moins, ce qui ne change rien au fond, car II demande
plus à celui à qui II a donné plus et moins à celui à qui II a donné moins.
M ais chacun a reçu suffisamment pour pouvoir assurer son propre salut et
aider au salut des autres. C ’est pourquoi il serait erroné de penser que dans
ce récit, le Seigneur n’évoque que des hom mes riches de diverses sortes
dans ce monde. N on, Il parle de tous les hommes, sans exception. Tous
ont été indistinctem ent envoyés dans ce monde avec un don. La veuve
qui a fait don au temple de Jérusalem de ses deux dernières piécettes,
était très pauvre du point de vue matériel mais n’était pas pauvre du point
de vue du sacrifice et de la crainte de D ieu ; elle a été complimentée par
524 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
le Seigneur Jésus Lui-m êm e : « E n vérité\ je vous le dis, cette veuve qui est
pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le Trésor» (M c 12, 44).
M ais considérons le cas le pire et le plus mystérieux. Im aginez un
hom m e aveugle et sourd-m uet qui a passé toute sa vie terrestre dans cet
état, de la naissance à la mort. Certains se dem anderont : quel don un tel
hom m e a-t-il reçu de D ieu? et com m ent pourra-t-il être sauvé? M ais
il possède un don, un grand don. Si lui ne voit pas les hommes, eux le
voient. Si lui-m êm e ne fait pas la charité, il suscite la charité chez d ’autres
hommes. Si lui ne peut m ettre en garde en paroles sur l’attitude à avoir
envers Dieu, il constitue un avertissement vivant pour les hommes. S’il ne
prêche pas par des mots, il sert de preuve à la prédication divine. E n vérité,
il est en mesure de conduire un grand nombre vers le salut, et d ’obtenir
ainsi lui-m êm e le salut. M ais il fait savoir que les aveugles, les sourds et
les muets ne font pas habituellem ent partie de ceux qui enfouissent leur
talent. Ils ne se cachent pas des hom m es, et c’est suffisant. Car tout ce
qu’ils ont à montrer, ils le m ontrent. Eux-mêm es ! C ’est l’argent qu’ils
m ettent en circulation et le restituent avec profit au Seigneur. Ils sont des
serviteurs de Dieu, des avertissements divins, des mises à l’épreuve par
Dieu. Ils remplissent les cœurs des hom mes de crainte et de miséricorde.
Ils constituent une prédication terrible et évidente de Dieu, gravée dans
la chair. Ce sont précisém ent ceux qui ont des yeux, des oreilles et une
bouche, qui enfouissent le plus souvent leur talent dans la terre. Beaucoup
leur a été accordé, et quand il leur sera beaucoup demandé, ils ne pourront
rien donner.
C ’est ainsi que l’inégalité a été installée dans le fondem ent même du
m onde créé. M ais il faut se réjouir de cette inégalité, non s’insurger contre
elle. C ar elle a été établie par amour, non par haine, par la raison, non
par la folie. La vie hum aine n’est pas laide du fait de l’absence d’égalité,
mais du fait de l’absence d ’amour et de discernement spirituel parmi
les hommes. A pportez plus d’am our envers Dieu et de compréhension
spirituelle de la vie, et vous verrez qu’une inégalité deux fois plus grande
ne gênera en rien la félicité des hommes.
Ce récit sur les talents insuffle la lumière, la raison et l’esprit dans
nos âmes. M ais il nous incite aussi à nous hâter, à ne pas attendre pour
achever la tâche pour laquelle nous avons été envoyés par le Seigneur sur
la surface de ce monde. Le temps s’écoule plus vite que la rivière la plus
rapide. Bientôt arrivera la fin du temps. Je le répète : bientôt arrivera la
fin du temps. E t nul ne pourra revenir de l’éternité afin de prendre ce qui
HOMÉLIE POUR LE SEIZIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 525
a été oublié et faire ce qui n’a pas été fait. Aussi hâtons-nous d ’utiliser le
don de Dieu qui nous a été donné, le talent emprunté au Seigneur des
seigneurs. Gloire et louange au Seigneur Jésus pour cet enseignement
divin comme pour tous les autres, avec Son Père et avec le Saint-Esprit,
Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de tout temps et
de toute éternité. Am en.
H O M É L IE PO U R LE D IX SE PT IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA PE N T E C Ô T E
avec persévérance à écrire. L’hom me doté de la plus belle voix ne sera pas
un bon chanteur sans entraînem ent vocal. Nous avons pris l’habitude de
rappeler aux autres la nécessité de la persévérance, tout en étant mis en
garde par les autres sur la nécessité de persévérer dans nos affaires dom es
tiques ordinaires. La persévérance est peut-être la seule caractéristique
positive que nul ne remet en cause et que chacun préconise. M ais toute
cette persévérance professionnelle, dont on entend parler chaque jour,
correspond pour nous à une école de la persévérance intérieure dans le
domaine spirituel. Toute cette persévérance dans le polissage et la culture
des choses, dans le rassemblement des richesses, du savoir et des arts, n’est
que le reflet de la persévérance immense que nous devons avoir dans le
perfectionnem ent et la culture de notre cœur, dans l’enrichissement de
notre âme, de notre être intime, impérissable et immortel.
L’Ecriture Sainte nous enseigne enfin dans chacune de ses pages, la
persévérance dans le domaine spirituel; elle nous instruit aussi tant en
paroles que par les exemples les plus éminents de persévérance et de non-
persévérance humaines. O n trouve deux exemples absolument terribles
d ’absence de persévérance dans le bien, chez Adam l’ancêtre du genre
humain, et chez Judas, d ’abord apôtre puis traître. Tous les deux avaient
été placés par la bonté de Dieu dans le voisinage im m édiat de D ieu:
Adam était avec Dieu au paradis, tandis que Judas était avec le C hrist sur
terre. Tous deux avaient commencé à obéir à Dieu, puis avaient fini par
parjurer. Le destin de Judas est plus terrible que celui d ’Adam , car il avait
déjà devant lui l’e xemple d’Adam. Saül fut lui aussi non persévérant dans
son combat, aussi devint-il fou ; il en fut de même pour Salomon, aussi
son royaume fut-il partagé. A h, que la persévérance d ’Abraham dans sa
foi en Dieu est merveilleuse et presque surhumaine ! E t la persévérance
de Jacob dans la douceur! E t celle de Joseph dans le discernement! E t
celle de David dans le repentir! E t celle du juste Job dans l’abnégation!
Q uel exemple divin de persévérance dans la pureté m ontre la Très Sainte
Vierge M arie ! E t le juste Joseph dans l’obéissance à Dieu ! E t les Apôtres
dans l’attachem ent à Dieu et l’amour du C hrist ! En fait, il existe tellem ent
d ’e xemples évidents et clairs dans l’Écriture Sainte où la persévérance
dans le bien finit par triom pher et être couronnée, qu’aucun de nous, après
l’avoir lue, n’aura d ’excuse pour dire qu’il ne savait pas ou qu’il n’avait pas
été instruit. C om m ent se fait-il que des centaines de milliers de saints, de
vierges et de martyrs pour le C hrist, qui ont vécu jusqu’à nos jours, l’aient
su et que nous ne sachions pas ? Il n’est pas vrai que nous ne savons pas,
HOMÉLIE POUR LE DIX-SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 529
mais nous n’o sons pas persévérer. Savoir et ne pas persévérer dans le bien,
entraîne pour soi une double condamnation. Celui qui ne connaît pas le
chemin vers le bien et ne le suit donc pas, sera un peu puni. M ais celui qui
connaît ce chemin et ne le suit pas, sera beaucoup puni.
Le chemin vers le bien suit une pente ascendante; il est donc très
difficile, au début, pour celui qui a appris à m archer en terrain plat ou en
descente. Celui qui se m et à suivre le chemin vers le bien puis revient sur
ses pas, sera incapable de s’arrêter à l’endroit où il a commencé à grimper,
mais s’e ffondrera beaucoup plus bas dans les ténèbres et la ruine. C ’est
pourquoi le Seigneur a dit que quiconque a mis la main à la charrue et
regarde en arrière est impropre au Royaume de Dieu (Le 9, 62).
L’évangile de ce jour évoque le très beau cas de persévérance dans
la foi et la prière d ’une femme ordinaire, qui était païenne. Q ue cet
exemple tombe comme un feu vivant sur la conscience de tous ceux qui
se présentent comme des fidèles, mais qui se m ontrent comme des pierres
dures et froides dans la foi et la prière !
E n sortant de là, Jésus se retira dans la région de Tyr et de Sidon. E t
voici qu’une fem m e cananéenne, étant sortie de ce territoire, criait en disant:
«Aie p itié de moi, Seigneur, f i s de David, ma fille estfo r t malmenée par un
démon» (M t 15, 21-22). D ’où venait Jésus? D e Galilée, pays du peuple
ju if qui descendait du bienheureux Sem. E t où allait-Il? Dans des terres
où vivaient les Cananéens, descendants du m audit Cham . Le Seigneur
venait donc d’une contrée habitée par des bienheureux pour se rendre
parm i les maudits. Pourquoi? Parce que les bienheureux avaient oublié
Dieu et étaient devenus maudits, alors que certains de ces maudits
avaient reconnu D ieu et étaient devenus des bienheureux. Après avoir
réprimandé les scribes et les pharisiens pour leur application formelle de
coutumes apparentes et leur transgression des com m andem ents divins
concernant la charité et l’amour envers les parents, le Seigneur réunit Ses
disciples et se rendit dans la contrée des païens. Pourquoi alla-t-Il chez
les païens après avoir ordonné auparavant aux disciples de ne se rendre
que chez les membres de la maison d ’Israël (M t 10, 6)? Premièrement
- comme l’affirme le très sage Chrysostom e - parce que chacun des
comm andem ents faits aux disciples ne Le lie pas. E n second lieu, parce
qu’il avait vu que les Juifs Le rejetaient et discerné qu’ils finiraient par
Le rejeter complètement. Dieu est fidèle à Sa promesse : Il avait promis
par l’intermédiaire des prophètes qu’il enverrait le Sauveur au peuple juif.
E t Dieu fit cela. M ais le peuple juif, par ses anciens, rejeta le Sauveur.
530 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
M ais comme Dieu est riche de voies pour l’accomplissement de Son plan,
l’œuvre du salut ne fut nullem ent retardée par ce refus ju if du Christ, ni
a fortiori mise en échec. Le Sauveur franchit la frontière du peuple ju if
et se rend auprès d ’autres peuples. Conséquent et fidèle à Sa promesse,
le Seigneur envoya d ’abord Ses disciples au sein du peuple juif, puis,
après la Crucifixion, le C hrist ressuscité envoie Ses disciples parm i tous
les peuples. Enfin, il y a une troisième raison : le Seigneur a voulu une
nouvelle fois faire honte, avec la foi des païens, au peuple élu et béni,
afin de l’inciter au repentir et au retour à Dieu. Il avait procédé ainsi en
ce qui concerne le centurion romain à Capharnaüm , qui comme romain
appartenait à la tribu de Japhet et qui avait m ontré une foi exemplaire
dans le C hrist Seigneur. Les membres des tribus de Japhet et de Cham
seront donc conviés par le Roi céleste à la table royale, alors que ceux
de la tribu de Sem, qui avaient été élus et appelés en premier, ont refusé
l’invitation. Cela devait servir d ’avertissement et de réprimande. M ais,
bien entendu, les Juifs restèrent obstinés jusqu’à la fin, ce qui leur valu
d ’être rejetés par Celui qui avait été rejeté.
M ais regardez seulement la foi de cette femme païenne ! Elle va à la
rencontre du Seigneur, l’appelle Seigneur et fils de David. Il est hors de
doute quelle a entendu parler du C hrist le Thaumaturge, car Sa renommée
s’était répandue parm i les peuples des environs. Elle venait d ’apprendre
qu’il était arrivé dans ces contrées. E t c’est avec joie et une grande foi
quelle a couru vers Lui. Com m e l’évangéliste M arc le note, le Seigneur
était entré dans une maison et il ne voulait pat qu’on le sache (M c 7,24).
Il est évident que le Seigneur voulait ainsi m ontrer encore plus forte
m ent quelle était la foi des païens. Il n’imposait pas Sa présence, ce sont
eux qui Le recherchaient. En outre, Il voulut se cacher des païens, mais ne
réussit pas à se dissimuler. Il ne p u t rester ignoré (M c 7,24). La foi forte de
la Cananéenne L’avait retrouvé. Le peuple qu’il avait convié ne voulut pas
s’approcher de Lui, mais ceux qui demeuraient dans les ténèbres et l ’ombre de
la mort (Le 1, 79) Le recherchèrent et Le trouvèrent, même quand Lui
se cachait d ’eux.
Vous remarquerez que cette femme ne dit pas au Seigneur: aie pitié
de ma fille, mais aie p itié de moi! Sa fille est devenue folle, elle est torturée
par le diable, mais sa mère prie le Seigneur d ’avoir pitié d ’elle. Pourquoi?
Parce que dans sa démence, sa fille n’est plus du tout consciente ; elle ne
ressent pas l’horreur et la souffrance que sa mère, consciente, éprouve.
Ces mots illustrent aussi la grandeur de l’amour de cette mère pour sa
HOMÉLIE POUR LE DIX-SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 531
devenus comme des chiens, alors que ceux qui étaient considérés comme
des chiens reviennent et deviennent enfants de Dieu. Bien entendu, le
Seigneur ne voulait pas réprim ander seulement les Juifs, mais aussi les
païens. Ceux-ci étaient, par méchanceté, appelés chiens par les Juifs.
M ais cette désignation contenait une part de vérité. E n effet, les païens
de Tyr et de Sidon, à l’image de ceux d ’Egypte et d’ailleurs, ont, il y a
fort longtemps, abandonné le Dieu véritable et vivant et se sont mis au
service des démons qui sont des chiens pires que tous les chiens réunis.
Par Sa réprimande, le C hrist ne s’adresse pas à cette femme en particulier,
Il réprimande tout le peuple dont elle est issue et tous les peuples païens,
qui servent les démons devant des statues ou d ’autres objets inertes, et
font des tours de prestidigitation et des offrandes impures.
Alors cette femme exceptionnelle - qui dépasse par sa foi des Juifs
élus et des païens méprisés - répondit au Seigneur: « Oui, Seigneur; et
justement les petits chiens mangent des miettes qui tombent de la table de leurs
maîtres» (M t 25, 27). C ’est ainsi que répond cette femme humble. Elle
ne renie pas le fait quelle est née au sein de peuples qui pourraient être
appelés «chiens». Pas plus quelle n’hésite - bien quelle fût meilleure
que les Juifs - à appeler les Juifs « seigneurs ». Elle a rapidem ent compris
le sens des paroles pittoresques et imagées du Sauveur. C ar une grande
foi débouche sur la sagesse, comme elle apporte des paroles utiles. Si
grande est sa foi dans le Seigneur et si grand est son amour pour sa fille
malade, quelle n’est même pas offusquée d ’être traitée de chien ! Devant
le Seigneur très pur, qui parmi les hom mes pécheurs, ne se sentirait pas
comme un chien im pur? Seulement celui qui, même dans son impureté
pécheresse, possède un rayon de foi. Je ne mérite pas que tu entres sous mon
toit! a dit au Seigneur le centurion païen de Capharnaüm (M t 7, 8). E t
voilà que cette femme païenne n’a pas honte d ’ê tre appelée chien devant
le Seigneur.
T ant que l’hom m e ne se sent pas pécheur, il n’est pas en mesure de
faire un pas en direction de son salut. Nombreux furent les grands saints
de l’Eglise, plus purs et plus lumineux que des millions d ’autres hommes,
à ne pas avoir honte d ’être appelés chiens. C ’est ce que ressentent tous
les hom mes véritablement éveillés, dégrisés des ivresses terrestres et des
passions charnelles, après avoir pris conscience de leur hum iliation dans
la boue du péché.Tant que l’hom me ne ressent pas cela, il se balance dans
le berceau fétide du péché et ne peut se rendre compte de la nécessité
de la foi, ni avoir la foi. T ant que le chien ne ressent pas la honte d’être
534 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
maléfique que Dieu avait chassée de la Terre Promise afin d’y faire de la
place pour le peuple juif, Son peuple élu. E n vérité, il y avait là beaucoup
d’enseignements, beaucoup de sujets de réflexion sur les voies de Dieu et
beaucoup de raisons pour les Apôtres et leur peuple d ’avoir honte et se
repentir.
Les Apôtres ont compris cet enseignement et y ont adhéré, sinon
tout de suite du moins plus tard; ils se sont confortés dans la foi, ont
propagé la foi en C hrist dans le monde entier et perdu la vie pour cette foi
toute-puissante, ce qui leur a valu d ’ê tre célébrés. M ais nous, avons-nous
compris et adopté cet enseignement? A ujourd’hui, l’Eglise du C hrist
dans le monde constitue le peuple élu de Dieu, le nouveau royaume et
le nouveau clergé. Regardez cependant comme le Seigneur C hrist est
déconsidéré parm i les peuples chrétiens! Com m e les hommes baptisés
sont devenus non seulement des gens de peu de foi, mais aussi une
engeance incrédule et pervertie ! Des gens qui croient plus en tout qu’en
C hrist et cherchent aide et soutien pour leur existence auprès d ’é léments
aveugles et sourds qui les entourent plus qu’auprès du C hrist le Seigneur
tout-puissant! Com m e ils se sont châtiés eux-mêmes à cause de cela, car
ils ont été démolis et ruinés et sont devenus impuissants et malheureux !
Tels étaient les juifs à l’époque de l’arrivée du C hrist sur la terre. Les
peuples chrétiens tiennent la clé du Royaume céleste : aujourd’hui peu
d ’entre eux y pénètrent, mais ils em pêchent ceux qui le voudraient d ’y
entrer. Devant les peuples non-chrétiens, ils se m ontrent en effet pires,
plus méchants, plus égoïstes et plus préoccupés de choses terrestres que
ces peuples eux-mêmes. Ils repoussent ainsi ces peuples non-chrétiens
du C hrist et les em pêchent d’entrer dans le Royaume auquel ces peuples
aspirent. Seules des miettes tom bent de la table royale du C hrist pour
ces peuples, qui ramassent ces miettes et les mangent. M ais com m ent ces
peuples païens pourraient-ils se nourrir à satiété quand les Européens et
les Américains, assis en maîtres à la table royale, connaissent la faim et la
soif spirituelles? La patience de Dieu va-t-elle bientôt prendre fin? Le
Seigneur va-t-Il bientôt rejeter ceux qui Le rejettent, comme II l’a déjà
fait une fois, et proclamer que ceux qui ont été élus ne sont plus élus et
que ceux qui n’ont pas été élus sont élus ; que ceux qui ont été bénis sont
maudits et que ceux qui ont été maudits sont bénis ?
Q ue devons-nous faire dans cette génération en lutte avec D ieu?
Rien d’autre que ce qu’a fait la Cananéenne : prier avec persévérance le
C hrist Seigneur tout-puissant et Le supplier avec foi : Seigneur, aie pitié
536 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
D ieu est le donateur de tous les dons. Chaque don de Dieu est
parfait, si parfait qu’il conduit les hom mes à s’en étonner. U n miracle
n’est rien d’autre qu’un don de D ieu dont les hom mes s’é tonnent. Les
hom mes s’é tonnent des dons de D ieu à cause de la perfection de ces
dons. Si les hommes se trouvaient dans la pureté et l’absence de péché
du paradis, ils n’attendraient pas que D ieu ressuscite les morts, procède à
la multiplication des pains ou remplisse des filets de poissons, pour dire :
voilà des miracles ! Pour toute chose créée par Dieu, pour toute heure et
tout m om ent de leur vie, ils diraient : voilà des miracles ! M ais comme
le péché est devenu une habitude pour les hommes, tous les miracles
innombrables de D ieu dans le m onde sont devenus une m orne habitude
pour l’homme. M ais pour que cette habitude n’e ntraîne pas l’hom m e à
être hébété, tel un animal, Dieu, dans Sa miséricorde, donne à l’hum anité
malade d’autres miracles, dans le seul but de réveiller l’hom m e et de le
dégriser de l’habitude morne et funeste pour l’âme de l’accoutumance aux
miracles comme aux non-miracles.
Par chacun de Ses miracles, D ieu souhaite d’abord avertir les hommes
qu’il veille sur le monde et qu’il le dirige selon Sa volonté toute-puissante
et Sa sagesse ; ensuite, que les hommes ne peuvent accomplir rien de bien
sans Lui.
Aucun travail ne réussit sans l’aide de Dieu. Aucune moisson ne
produit de récolte sans la bénédiction de Dieu. Toute la sagesse des
hommes, si elle est dirigée contre la Loi de Dieu, ne sera pas en mesure
d ’avoir de bons résultats ; si elle a l’air d ’é voluer favorablement pendant
quelque temps, il ne s’agit en fait que de la bienveillance de Dieu qui
n’abandonne pas pendant quelque temps, même les adversaires les plus
538 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
à Dieu, n’a pas été détruit. D ’innombrables empires hum ains, créés par
vanité humaine, se sont dissous et ont disparu comme des ombres, mais
l’Eglise des apôtres est encore debout aujourd’hui et restera ainsi, même
sur les tombes de nombreux empires actuels. Les palais des empereurs
romains qui ont lutté contre l’Eglise gisent en poussière, tandis que
les grottes et les catacombes chrétiennes souterraines existent encore
aujourd’hui. Des centaines d’empereurs et de rois ont régné en Syrie, en
Palestine et en E gypte; de leurs palais de marbre on n’a conservé que
quelques plaques brisées dans des musées, tandis que les monastères et
les ermitages que les moines et les ascètes ont construit à cette époque
dans des gorges ou dans des déserts de sable, existent toujours, et c’est
là, sans interruption depuis quinze ou dix-sept siècles, que des prières
s’élèvent vers Dieu, au milieu des parfums d ’encens. Il n’e xiste pas de force
en mesure de détruire l’œ uvre de Dieu. Tandis que des païens détruisent
des palais et des villes, la cabane de D ieu tient toujours. Ce que Dieu
soutient avec le doigt, tient plus ferm em ent que ce que le monde entier
soutient avec le dos. A fin qu'aucune créature ne puisse s'enorgueillir devant
Dieu (1 Co 1,29). C ar toutes les créatures sont comme l’herbe qui attend
que ses jours soient comptés et quelle soit transformée en cendres. Que
le Seigneur tout-puissant nous préserve même de songer que nous
puissions faire quelque chose de bien sans Son aide et Sa bénédiction!
Q ue l’évangile de ce jour nous serve d’avertissement, et qu’une telle idée
orgueilleuse ne s’installe jamais dans notre âme. C ar l’évangile de ce jour
évoque précisément la vanité de tous les efforts des hom mes si Dieu
n’aide pas.Tant que les apôtres du C hrist essayaient de pêcher du poisson
par eux-mêmes, ils ne prirent rien ; mais quand le C hrist comm anda de
rem ettre les filets de pêche dans l’eau, il y eut tant de poissons pêchés que
les filets se déchirèrent.
Voici ce que raconte ce récit: Le Christ se tenait au bord du lac de
Gennésareth. I l v it deux barques qui se trouvaient au bord du lac; les pêcheurs
qui en étaient descendus lavaient leursfilets. I l monta dans l'une des barques
qui appartenait à Simon, et demanda à celui-ci de quitter le rivage et d'avancer
un peu; puis II s'assit et, de la barque, I l enseignait les foules (Le 5, 1-3).
Cela se passait à un m om ent où une foule imposante était accourue
pour écouter la parole de Dieu de la bouche du Christ. Pour que tous Le
voient et L’entendent, Il ne pouvait pas choisir d ’endroit meilleur qu’une
barque de pêcheur. Or, deux barques se trouvaient au bord du rivage et
les pêcheurs étaient occupés à laver les filets. Ces barques n’étaient que de
540 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
bien qu’il fiât probablem ent très fatigué, en quête de sommeil, les vête
ments trempés et de mauvaise humeur, après les efforts inutiles déployés
toute la nuit. C ’est pourquoi son obéissance fut rapidem ent récompensée
par la grâce du C hrist et la soumission des poissons. C ar c’est Celui qui
a créé les poissons, qui leur a donné l’ordre, à travers le Saint-Esprit, de
se rassembler et de remplir les filets. Les poissons sont sans voix, aussi le
Seigneur ne leur donne pas d ’o rdre vocal pour entrer dans les filets, comme
Il avait ordonné par la voix au vent tumultueux de s’arrêter et à la mer
déchaînée de se calmer. Ce n’est donc pas par la voix et la parole mais par
la force du Seigneur que les poissons se sont dirigés vers l’endroit prévu
pour cela. Ayant rassemblé autant de poissons, le Seigneur récompensa
abondam m ent les efforts de toute une nuit des pêcheurs, chassa leurs
soucis et donna satisfaction à leurs besoins apparents. Il atteignit ainsi le
second objectif de cette journée. E n voyant une telle quantité de poissons,
comme il n’en avait jamais vu, Simon et un autre pêcheur placé près de
lui, firent signe à leurs camarades de l’autre barque de se rapprocher. E t
alors, non seulement la barque de Simon fut remplie de poissons, mais il
en fut de même avec la barque de ses camarades Jacques et Jean, au point
que les barques faillirent s’enfoncer sous le poids énorme des poissons. Il
est probable d ’ailleurs quelles auraient coulé si le Seigneur n’avait pas été
présent.
A cette vue, Simon-Pierre sejeta aux genoux deJésus, en disant: «Eloigne-toi
de moi, Seigneur, car je suis un homme pécheur!» L a frayeur en effet l'avait
envahi, lui et tous ceux qui étaient avec lui, à cause du coup de file t qu'ils
venaient defaire ;pareillement Jacques et Jean, fils de Zébédée, les compagnons
de Simon (Le 5, 8-10). Effrayé par une scène jamais vue, Simon se jette
aux genoux de Jésus. Il n’a pas douté un instant qu’une telle pêche était
due à la présence de Jésus dans la barque, et non à son propre labeur. Cet
événement bouleverse tellem ent l’âme de Simon qu’il n’appelle plus le
C hrist «m aître» mais «Seigneur». En effet, si des hom mes peuvent être
des maîtres, le Seigneur est unique. E n entendant le C hrist transmettre,
depuis la barque, Son sage enseignement au peuple, Simon L’appelle
Seigneur. Vous voyez comme les actes sont plus im portants que les mots.
Nous aussi, si nous prononçons des paroles élégantes, les hom m es diront
que nous sommes des gens instruits, mais ce n’e st qu’en dém ontrant par
des actes ce dont nous parlons qu’on nous appellera hom mes de Dieu. Il
est probable que Simon, en écoutant les paroles du C hrist, pensait en son
cœ ur: comme il parle bien et sagement! L’ayant discerné, Celui qui voit
542 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
dans tous les cœurs et les choses fit avancer Simon en eau profonde afin
de lui m ontrer qu’il m et en œuvre ce dont II parle.
M ais écoutez ce que Simon dit au Seigneur ! Au lieu de Lui exprimer sa
reconnaissance pour un tel don et son émerveillement devant ce miracle,
il dit: Eloigne-toi de moi! M ais les Gadaréniens n’avaient-ils pas prié le
C hrist de s’éloigner deux, après qu’il eut guéri un possédé? O ui, mais
pas pour les mêmes motifs que Pierre. Les Gadaréniens chassaient le
C hrist de façon intéressée, car ils étaient tristes d ’avoir perdu les porcs qui
avaient péri dans les flots avec les démons que le Seigneur avait expulsés
du corps humain. Pierre, lui, dit :je suis un homme pécheur ! C ’est parce qu’il
est conscient de son état de pécheur et de son indignité qu’il supplie le
Seigneur de s’éloigner de lui. Ce sentim ent de son propre état de pécheur
en présence de D ieu constitue la pierre précieuse de l’âme. Le Seigneur
l’estime plus que tous les chants formels d ’émerveillement et de gratitude.
C ar si l’hom m e chante de nombreuses hymnes d ’é merveillement et de
gratitude à l’intention de Dieu sans avoir le sentim ent de son état de
pécheur, tout cela ne lui sert à rien. C ’est le sentim ent d ’être pécheur qui
conduit au repentir, au repentir devant le Christ, et le C hrist mène à la
régénération. Le sentim ent d ’être pécheur marque le début du chemin
du salut. Après avoir longtemps erré sur des chemins de traverse, il ne
reste plus qu’à suivre ce chemin et ne plus en dévier, ni à gauche ni à
droite. À quoi a servi la prière du pharisien qui pensait louer Dieu en
faisant son propre éloge dans l’église ? Il n’eut aucune excuse devant Dieu,
à l’inverse du publicain qui se frappait la poitrine en im plorant D ieu:
M on Dieu, aie p itié du pécheur que je suis! (Le 18, 13). C ’était là le début
de l’apprentissage de Pierre dans la foi en Christ. Le temps viendra où
il s’adressera tout à fait différemment au Seigneur. Le temps viendra où
nombre de disciples du C hrist s’éloigneront du C hrist et où Pierre dira au
Seigneur: «Seigneur, à qui irons-nous ? Tu as les paroles de la vie éternelle»
(Jn 6, 68). M aintenant, au début, effrayé par la puissance du Seigneur, il
Lui dit: Eloigne-toi de moi!
Pierre ne fut pas seul à être effrayé ; il en fut de même de ses compa
gnons, Jacques et Jean, fils de Zébédée, ainsi que de tous ceux qui étaient
avec eux. Tous commencèrent à être effrayés par le Seigneur et finirent
par L’aimer, conform ém ent à ce qui est écrit : La crainte du Seigneur est le
prmeipe du savoir (Pr 1,7).
A la frayeur de Pierre, à son agenouillement et à son cri, répond le
doux Seigneur plein de discernem ent: Sois sans crainte! Désormais ce sont
HOMÉLIE POUR LE DIX-HUITIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 543
des hommes que tu prendras» (Le 5, 10). Cela signifie que ce monde est
une m er de passions, que l’Eglise est une barque et que l’Evangile est le
filet destiné à pêcher les hommes. Tu ne pourras rien faire sans moi, dit le
Seigneur à Pierre, de même que la nuit dernière, tu n’as rien pu prendre ;
mais avec moi, tu auras tellem ent de poissons que la barque sera toujours
archi-pleine. Sois toujours obéissant comme tu l’as été aujourd’hui et tu
n’auras à craindre aucune eau profonde et tu ne reviendras jamais sans
rien de la pêche.
E t ramenant les barques à terre, laissant tout, ils Le suivirent (Le 5,11).
Ils laissèrent les barques, c’était à d’autres d ’e n faire ce qu’ils voulaient.
E n outre, Pierre laissa sa maison et sa femme, tandis que Jacques et Jean
laissaient leur père. E t ils partirent avec Lui. De quoi avaient-ils à se
soucier? Ne setaient-ils pas souciés et n’avaient-ils travaillé toute la nuit
en vain ? Celui qui est capable de tout créer sans effort, était capable de
les nourrir, eux et leurs proches. Celui qui donne à l’herbe des champs une
tenue plus belle que les parures du roi Salomon, prendra aussi soin de leur
tenue. La nourriture et le vêtement, c’e st ce qui importe le moins. M ais le
Seigneur les invite à aller vers ce qui est le plus haut, vers le Royaume de
Dieu. S’il est en mesure de leur donner ce qui est le plus élevé, comm ent
ne leur procurerait-Il pas ce qui est le moins im portant? L’apôtre Pierre
a écrit plus tard : de toute votre inquiétude déchargez-vous sur Lui, car II a
soin de vous (1 P 5, 7). Enfin, si les poissons dans l’eau, sourds et muets,
Lui obéissent, com m ent les hommes, créatures conscientes, ne Lui
obéiraient-ils pas ?
Cependant, tout ce récit comporte un sens profond caché. La barque
désigne le corps ; les filets qui se déchirent représentent l’e sprit ancien chez
l’homme, l’e au profonde correspond à la profondeur de l’âme humaine.
Q uand le Seigneur vivant s’installe chez un homme obéissant, alors cet
hom me se détache du rivage de ce monde matériel, et s’é loigne des eaux
sensorielles peu profondes pour aller vers les profondeurs spirituelles.
Dans ces profondeurs, le Seigneur lui révèle la richesse infinie de Ses
dons, que l’homme a recherchés en vain de toutes ses forces tout au
long de la nuit de son existence. M ais ces dons sont tellem ent énormes
que l’esprit ancien ne peut les retenir et qu’il se déchire à leur contact.
C ’est pourquoi le Seigneur a dit qu'on ne met pas de vin nouveau dans
de vieilles outres (M t 9, 17). E n contem plant la richesse inimaginable
des dons de Dieu, l’hom me obéissant se remplit de frayeur et de terreur,
devant la toute-puissance de Dieu comme devant ses propres péchés.
544 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
son corps, car un tel hom m e se condamnera lui-mêm e à être jeté dans la
fournaise ardente: là seront les pleurs et les grincements de dents (M t 13,42).
Ce récit évangélique est plein d’enseignements pour notre époque et
notre génération, comme les filets de pêcheurs étaient pleins de poissons
bénis. A h, si les hommes de notre génération adhéraient au moins à la
leçon d ’obéissance envers Dieu ! Tous les autres enseignements seraient
respectés d’eux-mêmes grâce à l’obéissance. Tous les biens auxquels le
cœur hum ain aspire se retrouveraient ainsi dans le filet doré de l’o béis
sance évangélique. Nous avons devant nous deux exemples d ’o béissance:
l’obéissance des poissons et celle des Apôtres. O n ne saurait dire lequel
est le plus touchant. Les poissons suivent l’ordre du Seigneur et sans
hésitation, m ettent leur vie à Ses pieds. Le Seigneur les a créés afin de
répondre aux besoins physiques des hommes. M ais voilà que les poissons
peuvent répondre aussi à un besoin spirituel des hommes! Aux hommes
qui se sont insurgés contre Dieu, rebelles et désobéissants, ils ont servi
de modèles d ’o béissance à l’égard du Créateur. E n vérité, ces poissons ne
pouvaient pas devenir plus célèbres, et depuis mille ans ils continuent à
nager dans le lac de Gennésareth. Ils ont racheté leur vie par le grand
honneur d ’avoir contribué au plan du Seigneur Jésus, à la fois en guise
d’exemple et de réprimande aux hom mes désobéissants. La miséricorde
indicible du Seigneur y apparaît de façon évidente. L e Seigneur se sert
de toutes Ses créatures afin de faire revenir l’hom me du chemin de la
déchéance, le réveiller, le dégriser et l’élever à sa dignité originelle. M ais
l’exemple de l’o béissance des apôtres est lui aussi touchant. Les hommes
ordinaires sont habituellem ent plus attachés à leur maison et leurs
proches que les hom mes du monde ; ces derniers possèdent en effet de
nombreuses relations diverses à travers le monde et ils passent ainsi de
l’une à l’autre. Ces simples pêcheurs, eux, quittent tout, rom pent leurs
liens peu nombreux mais forts avec le m onde, leur maison et leur famille
- et avec eux-mêmes - pour suivre le Seigneur vers une profondeur
spirituelle immense et riche. Le temps a montré que leur obéissance a
été récompensée par le Seigneur de façon divine. Ils sont devenus les
piliers de l’Église de Dieu sur la terre et de grands astres dans le Royaume
céleste. H âtons-nous, nous aussi, de suivre leur exemple d ’obéissance.
Sans l’aide de Dieu, la nuit de notre vie terrestre s’écoule rapidement
et tous nos efforts dans cette nuit restent illusoires, nos filets sont vides,
nos cœurs pleins de mauvaise humeur, mais notre âme et notre esprit
sont affamés’. M ais le doux Seigneur se tient près de chacune de nos
546 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
se fait sentir dans leurs deux cœurs. C ’est pourquoi le Seigneur a dit:
Heureux les miséricordieux car ils obtiendront miséricorde (M t 5, 7).
La miséricorde est supérieure à la compassion, que les sages en Inde
considéraient comme la vertu la plus haute. U n hom m e peut éprouver de
la compassion à l’é gard d ’un m endiant et passer à côté de lui, alors que le
miséricordieux aura de la compassion et aidera le m endiant. Cependant,
se m ontrer compatissant envers un m endiant ne constitue ni la plus diffi
cile ni la plus im portante des prescriptions prévues dans la Loi du C hrist :
la plus im portante est le fait de se m ontrer miséricordieux envers son
ennemi. La miséricorde est une valeur plus im portante que le pardon des
offenses : pardonner une offense constitue la première partie du chemin
vers Dieu, faire acte de miséricorde correspond à la seconde partie de ce
chemin. Faut-il m entionner que la miséricorde est supérieure à la justice
terrestre ? S’il n’y avait pas de miséricorde, les hom m es auraient tous été
tués en vertu de la justice fondée sur la loi terrestre. Sans miséricorde, la
loi ne pourrait même pas préserver ce qui existe, alors que la miséricorde
suscite de nouvelles et grandes actions dans le monde. La miséricorde
a été à l’origine de la création de ce monde. C ’e st pourquoi il est préfé
rable d ’entraîner les hommes dès leur enfance à apprendre les saveurs
de la miséricorde, plutôt que de connaître la sévérité de la loi. C ar il est
toujours possible de s’initier à la loi alors qu’il est difficile d ’amener un
cœur endurci à redevenir miséricordieux. Si les hom mes sont miséricor
dieux, ils ne transgresseront pas la loi ; mais même s’ils respectent toute
la loi, ils pourraient néanmoins être totalem ent dénués de miséricorde et
perdre la couronne de gloire que D ieu a prévue pour les miséricordieux.
L’évangile de ce jour concerne le niveau le plus haut de la miséricorde
- l’am our envers les ennemis. Le Seigneur Jésus nous commande - ce
n’e st pas un conseil mais un com m andem ent - d’aimer aussi nos ennemis.
Ce com m andem ent n’a pas un caractère accessoire ou épisodique, comme
cela a pu être le cas avant Lui, dans quelques textes législatifs annexes où
il s’agissait plutôt d ’un conseil que d ’un com m andem ent; ce com m an
dem ent d ’aimer ses ennemis se situe à une place ém inente de l’Évangile.
Le Seigneur dit: Ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous,
faites-lepour eux pareillement (Le 6,31). Tels sont les mots d’introduction
dans le récit évangélique d ’aujourd’hui sur l’amour des ennemis. Avant
tout, si vous voulez que les hommes ne soient pas des ennemis pour vous,
ne soyez pas vous non plus des ennemis pour eux. C ar s’il est vrai que tout
hom m e en ce m onde a des ennemis, alors cela signifie que vous êtes, vous
HOMÉLIE POUR LE DIX-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 549
et les luttes entre classes disparaîtraient, la haine entre les peuples cesse
rait, de même que les guerres entre Etats. C ’e st le remède pour toutes les
maladies et il n’y en a pas d ’autre.
Le Seigneur continue ainsi : Si vous aimez ceux qui vous aiment, quel gré
vous en saura-t-on ? Car même les pécheurs aiment ceux qui les aiment. E t si
vousfaites du bien à ceux qui vous enfont, quel gré vous en saura-t-on ? Même
les pécheurs enfo n t autant. E t si vous prêtez à ceux dont vous espérez recevoir,
quel gré vous en saura-t-on ? Même des pécheurs prêtent à des pécheurs afin
de recevoir l ’é quivalent (Le 6, 32-34). Cela signifie que si vous attendez
qu’o n vous fasse du bien pour le rendre en faisant vous-même du bien,
vous ne faites ainsi aucun bien. D ieu attend-il que les hommes m éritent
que le soleil les réchauffe, avant d'ordonner au soleil de les réchauffer? O u
bien agit-Il d’abord par miséricorde et par amour? La miséricorde est une
vertu qui agit, non une vertu qui attend. D ieu le montre à l’évidence depuis
la création du monde. Jour après jour depuis la création du monde, Dieu
répand de Sa main puissante de riches dons à toutes Ses créatures. Car s’il
attendait que Ses créatures Lui donnent d’abord quelque chose, le monde
n’existerait pas, ni aucune créature dans le monde. E n aimant ceux qui
nous aiment, nous ressemblons à des commerçants faisant du troc. E n ne
faisant du bien qu’à ceux qui nous en font, nous nous comportons en débi
teurs remboursant leur dette. O r la miséricorde n’est pas une vertu qui se
contente de rembourser ce qui est dû, mais une vertu qui ne cesse de faire
des débiteurs. L’amour, lui, est une vertu qui ne cesse de faire des débiteurs,
sans attendre de remboursement. Si nous prêtons à quelqu’un dont nous
espérons qu’il nous le rendra, nous ne faisons que transférer notre argent
d’une caisse à l’autre. Ce que nous avons prêté, nous le considérons comme
étant à nous, tout autant que quand il était entre nos mains.
Il serait fou cependant de penser qu’avec de telles paroles, le Seigneur
nous apprend à ne pas aimer ceux qui nous aim ent et à ne pas faire du
bien à ceux qui nous en font. Il souhaite sim plem ent nous dire qu’il s’agit
là d ’un niveau inférieur de vertu, auquel les pécheurs eux-mêmes ont faci
lem ent accès. C ’e st le plus petit degré du bien, qui rend ce monde pauvre
et les hommes servilement mesquins et étroits d ’esprit. Lui souhaite
élever les hommes au plus haut niveau de vertu, d’où on peut voir toute
la richesse de Dieu et des mondes divins et où le cœur d ’esclave mesquin
et effrayé devient un cœur épanoui et libre de fils et d ’héritier. L’amour
envers ceux qui nous aim ent n’est que la première leçon dans le domaine
infini de l’am our; faire du bien à ceux qui nous en font n’est qu’une école
HOMÉLIE POUR LE DIX-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 551
pas non plus : aimez ceux qui vous aiment, car il s’agit d ’une attente de
l’amour. M ais II dit : aimez vos ennemis ; il faut non seulement se m ontrer
tolérant ou patient à leur égard, mais il faut les aimer. L’amour est une
vertu active, agissante, une vertu qui se manifeste.
M ais l’amour envers ses ennemis n’est-il pas artificiel? Telle est
l’observation faite par les non-chrétiens. N e voyons-nous pas que nulle
part dans la nature, il n’existe d ’e xemple d’amour envers ses ennemis, mais
seulement envers ses amis ? Q ue peut-on répondre à cela ? D ’abord que
notre foi ne connait que deux natures : l’une, inaltérée, non enténébrée et
non touchée par le mal du péché, telle qu’Adam et Eve l’avaient connue,
et l’autre, corrompue, enténébrée et atteinte par le mal, telle que nous
l’observons sans cesse dans ce monde. A u sein de la première nature,
l’amour pour ses ennemis est tout à fait naturel ; dans cette nature, l’amour
est comme l’air que respirent toutes les créatures. C ’est d ’ailleurs la nature
véritable que Dieu avait créée. D e cette nature, l’amour divin se répand
dans notre propre nature, telle la lumière du soleil à travers les nuages.
Tout ce qui sur la terre possède l’amour véritable est issu de cette nature.
Au sein de l’autre nature, la nature terrestre, l’amour envers ses ennemis
pourrait, du fait de sa rareté, paraître artificiel. M ais il n’est toutefois pas
artificiel mais - par rapport à la nature terrestre, surnaturel, ou plutôt
pré-naturel, puisque l’amour n’e ntre absolument pas dans cette nature
pécheresse à partir de la nature originelle, sans péché et immortelle, qui a
existé avant notre nature.
M ais l’amour envers ses ennemis est si rare qu’on doit l’appeler arti
ficiel, disent d ’autres observateurs. S’il en est ainsi, la perle elle aussi est
artificielle, comme le diam ant et l’or. Eux aussi sont rares, mais qui les
qualifie d’artificiels ? Il est vrai que l’Église du C hrist est seule à connaître
de nombreux exemples d’un tel amour. De même qu’il existe des plantes
qui poussent dans une région donnée de la terre, de même cette plante
inhabituelle, cet amour inhabituel ne pousse et ne s’épanouit que sur le
site de l’Église du C hrist. Celui qui souhaiterait se persuader de l’existence
des très nombreux exemples de cette plante et de sa beauté, doit lire les
Vies des apôtres du C hrist, des pères et confesseurs de la foi chrétienne,
des défenseurs et des martyrs de la grande vérité et de l’amour du Christ.
S’il n’est pas impossible, un tel amour est du moins exceptionnellement
difficile, disent encore d ’autres observateurs. En vérité, il n’e st pas facile
à m ettre en œuvre, notam m ent pour celui qui se forme à cet amour dans
l’éloignement de Dieu, et non à proximité de D ieu, qui est le seul à donner
HOMÉLIE POUR LE DIX-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 553
sont pas encore nés. Le prophète Ezéchiel avait eu la vision d ’une vallée
pleine d ’ossements de défunts, sans pouvoir savoir, avant que D ieu le
lui révèle, que ces ossements allaient revivre. Fils d'homme, ces ossements
vivront-ils ? lui dem anda le Seigneur. Je dis: Seigneur, Seigneur, c’est toi qui
le sais (Ez 37, 3). Le C hrist ne regardait pas les os m orts, mais les âmes
vivantes qui avaient habité et qui allaient habiter dans ces os. Le corps
et les ossements hum ains ne sont que le vêtem ent et les instrum ents de
l’âme. Ce vêtem ent vieillit et s’effrite comme une robe élimée. M ais Dieu
régénérera cette tenue et la fera revêtir aux âmes des défunts.
Le C hrist est venu chasser une très ancienne crainte des hommes,
mais aussi apporter une peur nouvelle pour ceux qui com m ettent des
péchés. La crainte ancienne des hom mes est la crainte devant la m ort
physique ; la peur nouvelle doit être celle de la m ort spirituelle, peur que
le C hrist a consolidée. Dans la crainte de la m ort physique, les hom mes
appellent le m onde entier à l’aide ; ils s’incrustent dans ce m onde, ils se
propagent dans ce m onde ; ils s’em parent de ce monde à la seule fin de
s’assurer le plus long séjour de leur corps, le plus long et le plus indolore
possible. Insensé, dira le Seigneur à un hom m e riche m atériellem ent mais
pauvre spirituellement, cette nuit même, on va te redemander ton âme. E t
ce que tu as amassé, qui l ’aura (Le 12, 20) ? Insensé, voilà com m ent le
Seigneur appelle celui qui a peur pour son corps, mais n’a pas peur pour
son âme. Le Seigneur ajoute : Attention, gardez-vous de toute cupidité, car
au sein même de l ’abondance, la vie d ’un homme n’est pas assurée par ses
biens (Le 12, 15). M ais de quoi donc vit l’hom m e? Il vit par le Dieu
vivant, qui par Sa parole, fait renaître l’âme, laquelle fait revivre le corps.
Par Sa parole, le Seigneur Jésus a ressuscité et continue à ressusciter
les âmes pécheresses, les âmes m ortes avant même la m ort physique. Il
a en outre promis qu’il ressusciterait aussi les dépouilles mortelles des
hom mes défunts. Par la rémission des péchés, par Son enseignement
vivifiant et Son corps et Son sang très purs, Il a ressuscité et continue
à ressusciter des âmes mortes. Le fait que, a la fin des temps, Il allait
ressusciter aussi des corps défunts, Il l’a confirmé autant par Ses paroles
qu’en accomplissant la résurrection de plusieurs m orts durant Sa vie
terrestre ainsi que par Sa propre résurrection. E n vérité, en vérité, je vous
le dis, l'heure vient — et c’est maintenant — où les morts entendront la voix
du Fils de Dieu, et ceux qui l'auront entendue vivront (Jn 5,25). U n grand
nombre de grands pécheurs et pécheresses ont entendu la voix du Fils de
D ieu et ont revécu spirituellement. M ais de nombreux m orts physiques
HOMÉLIE POUR LE VINGTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 559
de la m ort, ils ont aussi honte devant la mort. C ette honte est la preuve,
une preuve plus forte que la peur, que la m ort est la conséquence du péché
humain. D e même que le malade a honte de m ontrer sa blessure secrète
au médecin, de même tous les hom mes conscients ont honte de faire
état de leur mortalité. C ette honte devant la m ort prouve notre origine
immortelle et notre vocation immortelle. Les animaux se cachent pour
mourir, comme si eux aussi éprouvaient de la honte devant leur mortalité.
E t quelle honte observe-t-on chez de très éminents hommes spirituels !
A quoi nous servent tout notre bruit et vacarme, toute notre vanité, tous
les honneurs et titres de gloire au m om ent où nous sentons que se brise
le réceptacle terrestre où notre vie a habité ? La honte se saisit de nous,
autant pour la faiblesse de ce réceptacle qu’à cause de la vérité insensée
avec laquelle nous avons rempli ce réceptacle tout au long de notre vie.
Pourquoi le cacher: la honte s’empare de nous à cause de la puanteur avec
laquelle nous avons rempli ce récipient et qui se dégagera de lui après la
mort, non seulement sur la terre mais aussi dans le ciel. C ar le contenu
de notre esprit procure soit un parfum soit une puanteur aussi bien à
l’âme qu’au corps hum ain, reflétant la manière dont l’esprit a été rempli
pendant la vie : par le parfum du ciel ou la puanteur du péché.
Le Seigneur Jésus eut pitié de ces gens désespérés. Il a souvent m ontré
de la compassion devant l’impuissance humaine. A la vue desfoules II en
eut pitié, car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis qui nont pas de
berger (M t 9, 36). Q uand les brebis voient leur berger, elles ne sont ni
lasses ni prostrées. Si tous les hommes avaient sans cesse le Dieu vivant
sous les yeux, ils ne seraient ni las ni prostrés. M ais certains Le voient,
d’autres cherchent à Le voir, d ’autres ne Le voient absolument pas, alors
que d ’autres se m oquent de ceux qui Le voient ou Le cherchent. C ’e st
pourquoi les hommes sont désemparés et prostrés, chacun devenant
son propre berger et chacun suivant son propre chemin. Si les hommes
avaient une peur de D ieu deux fois moins forte que celle qu’ils éprouvent
devant la m ort, ils n’auraient pas peur de la m ort; et même plus que
cela - la m ort serait inconnue dans ce m onde ! Dans ce cas-ci, le Seigneur
a eu particulièrement pitié de la pauvre mère, lui disant: Ne pleure pas!
Il a vu dans son âme et a lu tout ce qui s’y trouvait. Son mari était mort,
elle se sentait seule ; et voilà que son fils unique vient de m ourir et elle
se sent absolument seule. E t où est le D ieu vivant? Q uelqu’un peut-il se
sentir seul en compagnie de Dieu ? E t un hom me véritable peut-il avoir
une compagnie aussi proche que celle de Dieu ? Dieu ne nous est-Il pas
HOMÉLIE POUR LE VINGTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 561
plus proche que le père et la mère, les frères et sœurs, les fils et les filles ?
Il nous donne et nous reprend des proches, mais ne s’éloigne pas de nous ;
Son regard sur nous ne vieillit pas et Son amour envers nous ne change
pas. Toutes les morsures de la m ort sont calculées pour que nous nous
blottissions le plus possible auprès de notre Dieu, le Dieu vivant.
Ne pleure pas! dit le Seigneur à la mère très attristée. Celui qui
s’exprime ainsi ne pense pas, comme nombre d ’entre nous, que l’âme
du garçon m ort est descendue dans la tombe avant le départ du corps.
Celui-ci sait où se trouve l’âme du défunt, Il tient précisément l’âme
sous Son pouvoir. Q uant à nous, nous essayons de réconforter avec les
mêmes mots - « ne pleure pas ! » - , bien que notre cœur soit lui aussi
rempli de larmes. M ais en dehors de cela et de la compassion, nous nous
sentons impuissants à proposer quoi que ce soit d’autre aux personnes
attristées. La puissance de la m ort a tellem ent dépassé notre force que
nous rampons comme des insectes dans son om bre; en enterrant un
défunt, nous avons l’impression d ’enterrer une partie de nous-mêmes
dans les ténèbres tombales de la m ort. Le Seigneur ne dit pas : Ne pleure
pas! à cette femme, pour lui m ontrer qu’il ne faut surtout pas pleurer
le m ort. Lui-m êm e a pleuré Lazare qui venait de m ourir (Jn 11, 35),
comme II a pleuré par avance ceux, très nombreux, qui périront lors de la
déchéance de Jérusalem (Le 19, 41) ; enfin, Il a loué ceux qui pleurent -
car ils seront consolés (M t 5, 4) ! Rien n’apaise ni ne purifie l’hom m e autant
que les larmes. Dans la méthodologie orthodoxe du salut, les larmes
figurent parmi les moyens les plus im portants de purification de l’âme,
du cœur et de l’e sprit. Il nous faut non seulement pleurer les morts, mais
aussi les vivants, et en particulier nous-m êmes, comme le Seigneur l’a
recommandé aux femmes de Jérusalem : Ne pleurez pas sur moi! Pleurez
plutôt sur vous-mêmes et sur vos enfants! (Le 23, 28). Il y cependant une
différence entre les larmes. L’apôtre Paul ordonne aux Thessaloniciens : il
nefa u t pas que vous vous désoliez comme les autres, qui n ont pas d ’espérance
(1 Th 4, 13), tels des païens ou des athées. C ar ceux-ci regrettent les
défunts comme si ceux-ci étaient totalem ent perdus. Les chrétiens, eux,
doivent regretter les m orts non comme s’ils étaient perdus, mais comme
des pécheurs, ce qui implique que leur tristesse doit toujours être reliée
à une prière adressée à Dieu afin qu’il pardonne les péchés du défunt
et lui accorde la grâce d’entrer dans Son royaume céleste. A cause de
leurs propres péchés, les chrétiens doivent avoir de la tristesse et pleurer
sur eux-mêmes, et plus ils le feront, mieux cela vaudra ; ils n’auront pas
562 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
toutefois à le faire autant que ceux qui n’o nt pas la foi ni l’espérance, mais
au contraire, précisément parce qu’ils ont la foi dans le Dieu vivant et
l’espérance dans la miséricorde divine et la vie éternelle.
Si les larmes sont si utiles, au sens chrétien, pourquoi alors le Seigneur
d it-Il à la mère de l’e nfant m ort: Ak pleure pas} Il s’agit d ’un cas très
différent. C ette femme pleurait comme quelqu’un qui n’a pas d ’e spoir ; en
outre, elle ne pleurait pas sur les péchés de son enfant, ni sur ses propres
péchés, mais sur la perte physique de son enfant, sa soi-disant destruction
et sa séparation éternelle avec lui. Cependant, le Fils de Dieu, le maître
des vivants et des morts, était présent. E n Sa présence, on ne devait pas
pleurer, de même qu’o n ne devait pas jeûner. Q uand des pharisiens repro
chèrent au Seigneur que Ses disciples ne jeûnaient pas comme le faisaient
les disciples de Jean, le Seigneur répondit: Pouvez-vous faire jeûner les
compagnons de l ’époux pendant que l ’époux est avec eux (Le 5, 33-34) ? D e
même, doit-on verser des larmes en présence de Celui-qui-donne-la-vie
et dans le Royaume duquel il n’y pas de morts mais seulement des vivants ?
M ais cette veuve affligée ne connait pas le C hrist ni la force de Dieu.
Elle est déchirée par le chagrin désespéré d ’avoir perdu son fils unique, le
même chagrin qu’é prouvaient à cette époque tous les autres Juifs ainsi que
les Grecs, qui n’avaient pas ou n’avaient plus la foi en la résurrection des
morts. Devant le désespoir d ’un tel chagrin né de l’ignorance, le Seigneur
miséricordieux fut attristé et lui dit: Ne pleure pas ! Il ne lui dit pas de
ne pas pleurer, dans le sens où nombre de gens disent aujourd’hui « ne
pleurez pas ! » aux familles attristées par la m ort d ’un proche, parce que les
larmes ne le feront pas revenir, car tel est le destin que nous suivrons tous
un jour! C ’est une consolation qui ne console pas que nous apportons
aux autres, qui ne nous console d ’ailleurs pas quand elle s’adresse à nous.
Le C hrist pense à autre chose quand II dit à cette femme: Ne pleure
pas! Il lui dit cela en pensant: Je suis là! Je suis le berger de toutes les
brebis et aucune d ’elles ne peut se cacher de moi, sans que je sache où
elle se trouve. Ton fils n’est pas m ort comme tu l’imagines ; son âme s’est
seulement séparée de son corps. Je possède le pouvoir sur son âme comme
sur le corps. A cause de ton chagrin et à cause de ton ignorance et de ton
incrédulité, comme de l’ignorance et de l’incrédulité de tout cela autour
de toi. Je vais de nouveau réunir l’âme de cet enfant et son corps, et le
ram ener à la vie, non pas tant à cause de lui qu’à cause de toi et de ce
peuple. Afin que tous croient que le Dieu vivant veille sur les hommes
et que je suis celui qui devait venir comme Messie et Sauveur du monde.
HOMÉLIE POUR LE VINGTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 563
Le semeur est sorti pour semer sa semence (Le 8, S). Com m e ce début est
simple et solennel à la fois ! Le temps est venu de semer, les gelées et les
neiges ont préparé la terre, le sol a été labouré, le printemps est arrivé, et
le semeur est sorti pour semer. Le semeur est sorti de chez lui, pour aller
dans son champ afin de semer sa semence - non celle d’autrui mais la
sienne. Telle est la simplicité apparente de ce récit. Mais voici sa profondeur
interne : le semeur, c’est le Christ, la semence, c’e st l’e nseignement vivifiant
de l’Évangile. Le genre hum ain a été secoué et préparé au milieu de douleurs
et de souffrances millénaires, d’e rrances et de lamentations, afin de recevoir
la semence divine de l’enseignement divin ; des prophètes avaient labouré le
champ des âmes humaines et le C hrist a brillé comme le printemps après
un hiver très long et glacé et, tel un semeur, Il est sorti pour semer. Les
prophètes étaient des laboureurs, Lui est le semeur. Si les prophètes ont
semé des semences ça et là, ce n’étaient pas leurs semences, elles avaient été
prêtées par Dieu. Le C hrist est venu semer Sa semence. Le semeur est sorti
- mais d’où est-Il sorti et pour aller où ? Le Fils de Dieu est sorti de l’aile
éternelle de Son Père, mais II ne s’e n sépare pas. Il est apparu dans le corps
d ’un homme, afin de servir en homme aux hommes. Il est apparu comme
la lumière qui émane du soleil, mais sans se séparer du soleil. Il est apparu
comme un arbre issu de sa racine, sans se séparer de sa racine. Les âmes
humaines, ce sont Ses champs ; Il est sorti sur Ses champs. Il est le semeur
véritable, entouré de toutes parts par la paix à cause de sa propriété indiscu
table ainsi que de la pureté et de la rectitude de ses chemins, à l’inverse de
serviteurs venus de maisons étrangères pour semer leurs semences sur des
champs ne leur appartenant pas, qui s’o ublient parfois dans leurs forfaits,
s’approprient ce qui n’est pas à eux et le présentent comme étant à eux, ce
qui les conduit à vivre entourés par l’inquiétude et la peur.
E t comme il semait, une partie du grain est tombée au bord du chemin ;
elle a étéfoulée aux pieds et les oiseaux du ciel ont tout mangé. Une autre est
tombée sur le roc et, après avoir poussé, elle s’est desséchée faute d'humidité.
Une autre est tombée au milieu des épines et, poussant avec elle, les épines
l ’o nt étouffée. Une autre est tombée dans la bonne terre, a poussé et produit du
fr u it au centuple. Et, ce disant, il s’écriait: «Entende, qui a des oreilles pour
entendre!» (Le 8 ,5 -8 ). Ces derniers mots m ontrent que ce récit contient
un sens caché. E n effet, si tous les hommes ont des oreilles et peuvent
facilement entendre les mots de ce récit, tous ne possèdent pas l’oreille
spirituelle nécessaire pour entendre l’esprit qui respire dans ce récit. C ’est
pourquoi le Seigneur dit: Entende, qui a des oreilles pour entendre!
570 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Tout ce récit est clair et authentique même quand on n’y voit que
la description d ’un événement ordinaire. Tout agriculteur peut à partir
de sa propre expérience confirmer que tout se passe bien ainsi avec une
semence semée dans un champ. Chacun d’eux vous expliquera ses efforts
et ses difficultés autour de ce travail : empêcher que des routes traversent
le champ, enlever les pierres qui encombrent, défricher les broussailles
et les brûler, afin de rendre ainsi tout le champ parfaitem ent exploitable.
M ais ce récit n’a pas été raconté pour décrire ce que chacun peut y voir,
mais à cause du sens caché dont nul auparavant n’é tait au courant. Ce
récit a donc été raconté à cause de la vérité profonde, durable et spirituelle
qui s’y cache.
Le champ représente les âmes humaines, des parties diverses du champ
symbolisent la diversité des âmes humaines. Certaines âmes ressemblent
au terrain au bord du chemin ; d ’autres au sol pierreux du champ ; d ’autres
sont comme le buisson d ’épines, alors que d ’autres encore sont comme
la bonne terre, éloignée du chemin et dépourvue de pierres et d’épines.
Pourquoi le semeur ne sèm e-t-il pas la semence seulement sur la bonne
terre, mais aussi sur le chemin, sur la pierre et dans le buisson d ’épines?
Parce que la Bonne Nouvelle de l’Evangile est publique, non secrète ; elle
n’est ni secrète ni réservée à un certain nombre de gens, comme cela fut le
cas de nombreux enseignements autoproclamés, sombres et maléfiques,
chez les Grecs et les Égyptiens, dont le but était d ’é tendre le pouvoir d’un
hom m e ou d’un groupe d ’hom m es sur d ’autres hommes, non le salut
des âmes humaines. Ce que je vous dis dans les ténèbres, dites-le au grand
jo u r; et ce que vous entendez dans le creux de l'oreille, proclamez-le sur les
toits (M t 10, 27). C ’est ce qu’ordonnait le Seigneur à Ses disciples - le
Semeur principal aux autres semeurs. Il le faisait parce qu’il souhaite le
salut de toutes les âmes humaines, car II veut que tous les hommes soient
sauvés (1 Tm 2 ,4), voulant que personne ne périsse (2 P 3,9). Si le Seigneur
n’avait semé Son enseignement divin que parmi les hommes bons, alors
les mauvais auraient eu le prétexte de dire qu’ils n’avaient même pas
entendu parler de l’Évangile. Ils auraient ainsi attribué leur déchéance
à Dieu et non à leur état de pécheurs. M ais ils ne chuteront pas par la
faute de Dieu, car D ieu est juste, et aucune culpabilité ne saurait même
s’approcher de l’é clat de Sa justice.
Le fait que trois parties de la semence soient perdues n’est ni le fait du
semeur, ni de la semence, mais de la terre elle-même. D e même que ni
le C hrist ni Son saint enseignement ne sont coupables de la déchéance
HOMÉLIE POUR LE VINGT-ET- UNIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 571
en figures. L ’heure vient où je ne vous parlerai plus en figures (Jn 16, 25).
Pourquoi le C hrist s’adresse-t-Il au peuple en paraboles ? S’il leur parlait
directement, sans avoir recours à des récits, les gens regarderaient avec
leurs yeux charnels et ne verraient rien ; ils écouteraient avec leurs oreilles
charnelles et n’entendraient rien. C ar les questions spirituelles ne se voient
pas avec des yeux de chair, ni ne s’e ntendent avec des oreilles de chair. Le
sens de ces paroles est explicité dans le passage suivant de l’évangéliste
M atthieu : C ’estpour cela queje leur parle en paraboles :parce qu’ils voient sans
voir et entendent sans entendre ni comprendre (M t 13,13). Cela signifie que,
quand le Seigneur leur parle de vérités spirituelles toutes nues, sans les
habiller dans des récits ni les confronter à des événements observés dans le
monde sensoriel, les gens ne voient pas ces vérités, ils ne les entendent pas
ni ne les com prennent. Toutes les vérités spirituelles ém anent de l’autre
monde - du monde spirituel, céleste - et ce n’e st qu’avec la vue, l’o uïe et
l’entendem ent spirituels quelles peuvent être remarquées et comprises.
O r ces vérités spirituelles se présentent dans ce m onde-ci habillées en
choses et en événements. D e nombreuses personnes ont perdu la vue,
l’o uïe et l’entendem ent nécessaires pour les vérités spirituelles. Nombre
de gens ne regardent que la tenue, n’e ntendent que la voix extérieure et ne
com prennent que les caractéristiques, les formes et la nature des objets et
des événements. C ’est la vision charnelle, l’ouïe charnelle et l’entendem ent
charnel. Le Seigneur Jésus a reconnu la cécité des gens et c’est pourquoi,
en M aître très sage, Il conduit les hom mes des choses physiques vers les
choses spirituelles et des constatations physiques vers les constatations
spirituelles. C ’est pourquoi II leur parle en pàraboles, c’e st-à-dire sous
la forme de récits uniquem ent accessibles à leur vue, leur ouïe et leur
entendem ent.
Ayant ainsi répondu à cette première question, le Seigneur aborde
un second point: Voici donc ce que signifie la parabole: la semence, c’est la
parole de Dieu. Ceux qui sont au bord du chemin sont ceux qui ont entendu,
puis vient le diable qui enlève la Parole de leur cœur, de peur qu’ils ne croient
et soient sauvés (Le 8,11-12). Le Seigneur avait dit au peuple: une partie
du grain est tombée au bord du chemin ; elle a été foulée aux pieds et les
oiseaux du ciel ont tout mangé, tandis qu’il dit aux disciples : puis vient
le diable qui enlève la Parole de leur cœur. Le prem ier extrait conduit
au second extrait, qui explique le premier. De même que des passants
foulent aux pieds une semence qui est ensuite mangée par des oiseaux,
de même le diable piétine et mange la récolte de Dieu, la Parole divine
HOMÉLIE POUR LE VINGT-ET- UNIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 573
dans le cœur des hommes. C ’est pourquoi le propriétaire avisé clôture son
champ et en repousse l’accès ; c’est pourquoi l’hom me sage barre l’accès à
son cœur, afin que l’esprit maléfique n’y vienne pas et n’y piétine pas tout
ce qui a été semé par D ieu dans le cœur hum ain. Le chemin qui passe à
travers notre cœur est em prunté par une foule de gens et de démons. La
semence divine est alors détruite par la foule qui la piétine tout en semant
des semences maléfiques. U n cœur ainsi décomposé et ouvert à tous,
ressemble à une femme adultère qui trom pe son mari et se transforme
en dépôt fétide d ’o rdures où se précipitent volontiers des oiseaux rapaces,
c’est-à-dire des démons. Nulle âme hum aine n’e st plus agréable pour eux
que celle qui a fait d ’elle-même une voie ouverte. Sur les pierres et dans
les épines poussent quelques semences, tandis quelle ne peut pousser sur
les routes fréquentées par les passants, où elle est aussitôt écrasée, puis
emportée par le démon.
La semence divine ne s’épanouit et ne porte des fruits que dans une
âme chaste, qui n’e st pas une route ouverte mais un champ clôturé et
interdit d ’accès. S’il fallait expliquer un récit par un autre récit, alors la
parabole sur la semence pourrait être explicitée par la parabole de la
femme de mauvaise vie.
Pourquoi le diable enlève-t-il la Parole divine du cœur des hommes ?
Le Seigneur l’explique par ces mots : de peur qu’ils ne croient et soient
sauvés. Cela montre de façon évidente que la foi dans la Parole divine
est le fondem ent de notre salut. Celui qui ne conserve pas la Parole de
Dieu dans son cœur longtemps, longtemps - exclusivement la Parole de
Dieu - ne peut voir son cœur réchauffé par la foi et par conséquent son
âme ne peut être sauvée non plus. Tant que le cœur n’a pas été réchauffé
par la Parole de Dieu, le diable se dépêche de voler et d ’enlever la Parole
divine du cœur. Heureux soit celui qui préserve la Parole divine dans le
cœur comme son plus grand trésor, ne perm ettant ni aux hom mes ni aux
démons de piétiner ce saint produit et le disperser.
Ceux qui sont sur le roc sont ceux qui accueillent la Parole avec joie quand
ils l'ont entendue, mais ceux-là n’o nt pas de racine, ils ne croient que pour un
moment, et au moment de l'épreuve ils fo n t défection (Le 8, 13). Ils sont
semblables à l’esclave qui a passé de longues années au cachot, au m om ent
où il voit que quelqu’un lui a ouvert la porte en lui criant : sors, tu es libre !
C et esclave se réjouit d ’abord et commence à préparer ses affaires pour
sortir; mais quand il réalise qu’il devra s’habituer à une nouvelle façon
de vivre et de se conduire, il prend peur devant cette nouvelle situation,
574 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
dans l’o mbre tout le reste. Les soucis correspondent aux soucis de la vie
physique, la richesse à l’e nrichissement apparent, les plaisirs de la vie
aux plaisirs mondains, charnels, éphémères et périssables. Ce sont de
mauvaises herbes où la plante divine, très pure et tendre ne pousse pas.
L’apôtre Pierre a dit: De toute votre inquiétude, déchargez-vous sur Lui, car
Il a soin de vous (1 P 5, 7). Notre Seigneur Jésus-C hrist ne nous charge
que d ’une seule préoccupation, celle concernant l’âme, le salut de l’âme.
Il s’agit du souci principal; une fois qu’o n y a pourvu, le reste est réglé de
lui-même. Tous les autres petits soucis étouffent la semence de ce souci
principal ; en l’absence de cette préoccupation essentielle, les autres soucis
paraissent insignifiants, même si l’hom m e doit vivre avec eux pendant
mille ans. La richesse véritable, c’e st le don de Dieu, non le fait d ’enlever
quelque chose aux hommes ou à la nature. Qui sefie en la richesse tombera,
mais les justes pousseront comme le feuillage (Pr 11, 28). U n tel hom me
mourra m écontent et amer, comme un m endiant, et se présentera tout
nu devant le Tribunal de Dieu. Q uant aux plaisirs ? N e s’agit-il pas de
mauvaises herbes et d ’épines qui étouffent la Parole de D ieu ? E t est-ce
que les plaisirs terrestres sont vraim ent tels que les im aginent ceux qui
y aspirent? Écoutons donc quelqu’un qui s’e st plongé tout entier dans
les plaisirs terrestres, écoutons le roi Salomon confesser ce qui suit à son
propre sujet: Je n'ai rien refusé à mes yeux de ce qu'ils désiraient, je n'ai privé
mon cœur d ’aucunejoie, carje me réjouissais de tout mon travail [...]. Alors je
réfléchis à toutes les œuvres de mes mains et à toute la peine que j ’y avais prise,
eh bien, tout est vanité et poursuite de vent, il n’y a pas de profit sous le soleil !
(Qo 2, 10-11). E t voici ce que déclare le père de Salomon, plus sage que
Salomon : La loi du Seigneur estparfaite, réconfortpour l ’âme (Ps 19, 8) ; Ton
témoignage est àjamais mon héritage, il est lajoie de mon cœur (Ps 119,111) ;
Joie pour moi dans ta promesse, comme à trouver grand butin (Ps 119,162).
Le plaisir véritable et, par conséquent, la richesse et la joie se trouvent
dans la Parole de Dieu. Toute la richesse de ce monde, les plaisirs et les
joies ne sont que quelques feuilles de récit par rapport à la richesse des
plaisirs et des joies dans le monde spirituel, au Royaume de Dieu.
Ceux qui sont placés dans la bonne terre sont ceux qui écoutent la
Parole, la conservent dans un cœur bon et pur, et donnent des produits
dans le labeur. Ayant dit cela, Jésus s’é cria: «Entende, qui a des oreilles
pour entendre!» C ette bonne terre, ce sont de bonnes âmes, qui ont soif
de vérité et faim d ’amour. De même que le cerf court à la recherche de
l’e au, de même ces bonnes âmes courent dans la sécheresse désertique
576 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
prononcer son nom. Déjà auparavant, D ieu avait déclaré à propos des
païens : Faire monter leurs noms sur mes lèvres ?Jamais! (Ps 16, 4). E n ce
qui concerne les justes, le Seigneur Jésus avait dit: Réjouissez-vous de ce
que vos noms se trouvent inscrits dans les deux (Le 10, 20). Le Seigneur
leur recommande une réjouissance toute particulière, au-dessus de toute
autre, même au-dessus de la joie qu’ils ont eue en voyant des esprits
maléfiques se soumettre à eux.
M ais quel crime cet hom m e riche a-t-il commis, au point que le
Seigneur ne m entionne même pas son nom ? Le Seigneur ne l’accuse
pas de vol, ni de mensonge, ni de débauche, ni de meurtre, ni de ne pas
croire èn Dieu, ni même d ’avoir acquis sa fortune de façon frauduleuse.
Il semble d ’ailleurs que cet hom me n’a pas acquis cette fortune, honnête
m ent ou non, mais qu’il en a hérité, car il est dit : I l y avait un homme riche,
et non : il est devenu riche ou il s’est enrichi. M ais pourquoi le Seigneur
l’accuserait-Il, quand son accusation vivante se trouve à la porte du palais,
écrite non à l’encre sur le papier, mais par des blessures et du pus s’écou
lant sur la peau de cet hom m e ? Il est indubitable que cet hom m e riche
possédait tous les vices que la richesse apporte inévitablement à tout
esprit frivole. Car celui qui tous les jours s’habille de façon fastueuse, se
nourrit et boit en abondance et s’amuse joyeusement, ne pouvait avoir en
lui la crainte de Dieu, ni s’abstenir de bavardages incessants, ni se retenir
d’être glouton, ni empêcher son âme d ’être orgueilleuse et vaniteuse,
ni se priver de mépriser les autres, ni de se m oquer des lieux saints de
Dieu. Tout cela mène inévitablement et irrésistiblement l’hom m e à la
débauche, à la tromperie, à la vengeance, au meurtre et au renoncem ent
à Dieu. O r tous ces péchés et vices de l’hom m e riche, le Seigneur ne les
m entionne pas. Dans Son récit, une seule transgression de cet homme
riche est claire, qui est le mépris extrême affiché à l’égard de cet homme
nommé Lazare, pour aucun autre m otif que sa misère et sa maladie. Si
Lazare avait été en bonne santé et vêtu de lin fin, et qu’il se fût présenté
à la porte de l’hom m e riche, ce dernier l’aurait certainem ent accueilli et
invité à sa table, il se serait adressé à lui en homme, il l’aurait traité en
homme. Cependant, dans le Lazare misérable et couvert de pus, il ne
voyait pas d ’homme, ni ne le reconnaissait comme tel. Il méprisait cette
créature divine, comme si elle n’e xistait pas. Il détournait son regard, afin
de ne pas se salir. Il considérait être lui-m êm e sa propre propriété, et
estimait que sa richesse n’était pas un prêt fait par Dieu, mais un bien
lui appartenant personnellement. Le talent que Dieu lui avait donné,
584 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
il l’avait enfoui dans son propre corps et ne perm ettait pas que pussent
s’e n servir ceux qui en avaient besoin. Son cœur s’était alourdi dans la
débauche et l ’ivrognerie (Le 21, 34), devenant com plètem ent aveugle au
monde de l’esprit et aux valeurs spirituelles. Il ne regardait qu’avec ses
yeux de chair, n’é coutait qu’avec ses oreilles charnelles, ne vivait que sa vie
charnelle. Son âme était aussi couverte de pus que le corps de Lazare. Son
âme était l’image véritable du corps de Lazare et le corps de Lazare était
l’image véritable de son âme. Ainsi Dieu avait-Il disposé deux hommes
sur terre, afin d ’ê tre un miroir l’un pour l’autre, l’un dans son palais, l’autre
à la porte du palais. L’é clat extérieur de l’hom me riche était le m iroir de
l’intérieur de Lazare, tandis que le pus visible extérieurement sur Lazare
était le m iroir de l’intérieur de l’hom m e riche. E tait-il nécessaire que le
Seigneur énum érât tous les péchés de l’hom me riche? Ils ont tous été
annoncés d ’une traite, jusqu’au dernier. L’insensibilité de l’hom me riche
envers Lazare a fait tom ber le rideau qui dissimulait les immondices de
son âme, et tout le dégoût qui en émane, pour les yeux, les oreilles, le nez
et la bouche, a été dévoilé.
Telle est l’image de ces deux hom mes aux situations inégales, sur terre ;
l’un dont le nom était très bien connu des autres hommes et l’autre dont
les hommes ne voulaient pas connaître le nom. M ais voici m aintenant la
situation inégale de ces deux hom mes au ciel.
Or il advint que le pauvre mourut et f u t emporté par les anges dans le
sein dAbraham. Le riche aussi mourut, et on l ’ensevelit. Dans l'Hadès, en
proie à des tortures, il lève les yeux et voit de loin Abraham, et Lazare en son
sein (Le 16, 22-23). Les hom mes riches m eurent comme m eurent les
pauvres. Personne ne naît en ce monde pour y vivre éternellem ent, car
ce monde lui-m êm e est m ortel et attend sa fin. Les riches m eurent en
soupirant après ce m onde, tandis que les pauvres soupirent après l’autre.
E n quittant ce m onde, le riche a quitté l’éclat, le faste et le plaisir ; Lazare,
lui, en quittant ce m onde a quitté la faim, le pus et les chiens. M ais
regardez m aintenant la moisson divine ! Q uand le pauvre m ourut, les
anges prirent son âme et l’em portèrent au paradis ; mais quand le riche
m ourut, les anges quittèrent son catafalque m ortuaire les mains vides.
Sur un arbre en apparence pourri, les anges découvrirent et prirent un
fruit merveilleux et m ûr; mais sur un autre arbre couvert de feuillage
vert, ils ne trouvèrent aucun fruit. Tout arbre qui ne produit pas de bon
fr u it va être coupé et jeté au feu (Le 3, 9). Ces paroles prophétiques se
sont littéralem ent vérifiées dans le cas du riche impitoyable. Il fut coupé
HOMÉLIE POUR LE VINGT-DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 585
à la fois physiquem ent et spirituellem ent: son corps fut jeté dans une
tombe pour se consumer dans la terre, tandis que ‘son âme allait brûler
en enfer. Les anges ne s’approchèrent même pas de sa dépouille mortelle,
car ils savaient qu’il n’y avait rien pour eux; mais des démons et des
hom mes s’en approchèrent afin que les uns et les autres l’e nsevelissent;
les démons enfouirent l’âme en enfer, et les hommes enfouirent le corps
dans la terre. Bien entendu, les gens se sont comportés de façon différente
à l’égard des dépouilles mortelles de l’hom m e riche et de Lazare, comme
ils l’avaient fait de leur vivant. La m ort du riche fut annoncée de tous
côtés, toute la ville fut émue et se pressa devant son corps aux funérailles.
Le corps glacé, qui dans la m ort avait peut-être pour la première fois
un air de gravité depuis sa naissance, était de nouveau vêtu de pourpre
et de lin fin, placé dans un cercueil en bois rare et en métal précieux
et transporté à travers la ville dans un véhicule doré, conduit par des
chevaux aux œillères rabattues noires, presque contraints d ’exprimer eux
aussi leur tristesse d ’avoir perdu celui qui avait passé sa vie à jouer avec
la compassion du ciel. Le corbillard était suivi par une foule d’amis, de
parents et de serviteurs, tous plongés dans le deuil. D e qui ? D e celui qui
avait refusé de donner même des miettes de sa table au pauvre m endiant
affamé. Toute la ville s’était pressée sur sa tombe, pour entendre des
discours vantant ses vertus et m érites pour la ville, la population et
l’hum anité, aussi admirables que la pourpre et le lin fin sur sa dépouille,
qui n’avait plus besoin même des m iettes tombées de la table de cette
vie ; c’étaient des discours aussi mensongers que la vie de cet hom m e ; des
paroles aussi vides que l’avait été son âme, en l’absence de bonnes œuvres.
Enfin, le corps revêtu de pourpre et de lin fin fut mis en terre, non pour
que les chiens le lèchent mais pour que les vers le m angent. Sur la tombe
furent déposées des couronnes de fleurs et de verdure, en mémoire de
celui qui avait perdu la couronne de la gloire céleste. O n lui éleva un
m onum ent m entionnant en lettres dorées son nom, qui ne se trouvait
pas dans le livre des vivants. M ais dans le millier de participants à cette
parade inutile, il n’y en eut pas un seul à songer que l’âme de cet hom me
riche se trouvait à ce m om ent-là en enfer.
E t quel fut le cortège funèbre du pauvre Lazare ? Com m e celui d ’un
chien trouvé m ort dans la rue. Q uelqu’un avait dû inform er les autorités
municipales que le corps d ’un m endiant avait été trouvé m ort dans la
rue et que les autorités devaient se préoccuper de l’enterrer pour diverses
raisons, dont deux en particulier: d ’abord, le danger existe que les chiens
586 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
loin des demeures célestes des justes. A braham est l’ancêtre du peuple
ju if par la chair, mais par sa piété, il est l’ancêtre de tous les justes qui se
sont rendus agréables à D ieu en accomplissant Sa volonté dans la foi,
l’obéissance et l’humilité. Lazare se trouvait dans le sein d ’Abraham . Q ue
signifie cette expression ? Elle marque le port où ont accosté tous les justes
qui se sont endormis en Dieu à l’issue des tempêtes terrestres. Jusqu’à la
venue du Christ, A braham était considéré par les Juifs comme le premier
des justes. Bien entendu, avec l’arrivée du C hrist dans le m onde, de
nombreux autres sont devenus encore plus im portants dans le Royaume
de Dieu. Ce n’est pas à A braham mais à Ses apôtres que le Seigneur a
promis qu’ils seraient assis sur douze trônes et jugeraient les douze tribus
d ’Israël. M ais dans la tribu de Sem, Abraham fut le prem ier à être jugé
digne du Royaume de D ieu (Le 13,28), où à ses côtés se trouvent tous les
autres justes, les prophètes martyrisés et tués, les pieux rois et tous ceux
qui furent agréables à Dieu. C ’e st au milieu de ces très grands justes, aux
côtés d ’Abraham , Isaac, Jacob, Joseph, des prophètes Elie et Elisée, du
juste Job et du glorieux David, qu’est venu Lazare, ce pauvre m endiant
qui avait supporté tout au long de sa vie la faim, le dénuem ent, le mépris,
la maladie et le pus. Aucun d’eux n’e st arrivé dans ce lieu de lumière, paix
et joie indicible, à cause de ses richesses et réjouissances terrestres, à cause
de son érudition et de son pouvoir, à cause de sa couronne royale et de
ses honneurs, mais à cause de sa foi ferme et de son espérance en Dieu, à
cause de sa soumission à la volonté divine ou à cause de son endurance et
de son repentir à temps. C ar Dieu ne regarde pas ce que sont les gens sur
cette terre, mais II regarde com m ent est leur cœur. D ans Son Royaume
entreront ceux qui avaient non une couronne de roi mais une âme de
roi ; y entreront ceux qui sont riches par la compassion et la foi, non par
l’argent et la terre ; y entreront aussi les initiés, non dans les connaissances
terrestres et physiques, mais dans la sagesse de D ieu; y entreront aussi
ceux qui ont le cœur joyeux, non ceux dont le cœur n’a été diverti que par
des musiciens et des danseurs, mais ceux dont le cœur a été rempli par la
joie et la réjouissance de Dieu, comme le dit le Psalmiste : mon cœur et ma
chair crient dejoie vers le Dieu viva n t (Ps 84, 3) !
Q ue dit le riche pécheur en voyant au-dessus de lui cette scène sublime
où Lazare était à côté d’Abraham, ce même Lazare dont il n’avait jamais
prononcé sur terre le nom, pour ne pas se salir les lèvres? I l s'écria: «Père
Abraham, aie p itié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son
doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme»
588 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
ils se repentiront. Mais Abraham lui dit: D u moment qu'ils n'écoutent pas
Moïse et les Prophètes, même si quelqu'un ressuscite d'entre les morts, ils ne
seront pas convaincus (Le 16, 29-31). C ette seconde quête de l’hom me
riche, Abraham ne pouvait non plus la satisfaire. Il fournit des arguments
im portants et convaincants pour cela. Pourquoi envoyer Lazare sur terre
pour rappeler aux hommes ce qui les attend après la mort, quand il leur a
été clairement dit par M oïse et les prophètes ce qu’ils doivent faire pour
être sauvés ? Des milliers et des milliers d’autres personnes ont été sauvées
non grâce à des témoignages de morts mais grâce à des témoignages de
vivants. Si des milliers de gens ont pu être sauvés en écoutant M oïse et
les prophètes, les frères de cet hom m e riche pourront l’être eux aussi.
C ’est en vain que le riche pécheur persiste dans sa requête en soutenant
que si quelqu’un de chez les morts va les trouver, ils se repentiront. Abraham,
à juste titre, rejette cette requête. Pour les frères de l’hom me riche, à quoi
sert le témoignage de Lazare s’ils n’écoutent pas M oïse et les prophètes ?
M oïse, Isaïe et Elie n’ont-ils pas vu Dieu, et n’est-ce pas au nom de Dieu
qu’ils ont dit ce qu’ils ont dit ? Si les frères n’ont pas foi en eux, com m ent
croiraient-ils en Lazare, si ce dernier s’adressait à eux de chez les morts ?
Tout d ’abord, qui est Lazare ? U n hom m e auquel ils n’ont pas fait atten
tion de son vivant. E n outre, il est douteux qu’ils aient même entendu
parler de la m ort du pauvre Lazare. S’ils n’ont jamais regardé son visage
couvert de pus, com m ent le reconnaîtraient-ils m aintenant s’il s’adresse à
eux en pleine gloire, lumineux comme un ange ? O nt-ils jamais entendu
le son de sa voix pour être capables de le reconnaître au son de sa voix ?
O nt-ils jamais entendu la confession de son existence misérable pour le
reconnaître d ’après son histoire? N e se diront-ils pas qu’il s’agit d ’une
hallucination? O u de quelque fantôm e? O u d ’une simple illusion? Quel
bienfait apporta à Saül l’apparition de Samuel d ’entre les morts (1 S 28) ?
La réponse d ’Abraham ne fut d ’aucun secours pour le pécheur en
enfer, mais elle peut aider nombre de personnes qui provoquent les
esprits des défunts, afin de connaître les mystères célestes et de soi-disant
fortifier leur foi. E n fait, il n’existe pas de chemin plus facile pour perdre
la raison et tom ber dans la déchéance! Le spiritisme, c’est la fuite de
la lumière vers les ténèbres et la quête de la lumière dans les ténèbres.
Ceux qui provoquent les esprits afin de connaître la vérité prouvent ainsi
qu’ils ne croient pas dans le Seigneur Jésus. C om m ent des êtres raison
nables peuvent-ils croire aux esprits de leurs tantes ou voisins décédés,
sachant qu’o n peut se dem ander s’il s’agit vraim ent des esprits des gens
HOMÉLIE POUR LE VINGT-DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 591
entrer chez lui, et même à poser Sa main sur sa fille morte. Une telle
foi possède quand même quelque chose de matériel en elle. Viens lui
imposer ta main ! Jaïre demande au C hrist un geste palpable pour guérir.
Com m e si la parole du C hrist était moins capable de thaum aturgie que
la main du C hrist ! Com m e si la voix qui avait apaisé la tem pête et les
vents et expulsé les démons des hommes possédés puis, plus tard, avait
ramené à la vie Lazare qui était m ort depuis quatre jours et inhumé,
n’é tait pas capable de ressusciter la fille de Jaïre ! M ais le Seigneur est très
miséricordieux; Il ne repousse pas le père plongé dans le chagrin parce
que sa foi riest pas parfaite ; Il vient tout de suite à son secours. M ais au
cours de ce déplacement, se produit un miracle concernant une femme
dont la foi était plus grande que celle de Jaïre, afin que ce dignitaire du
peuple se rende compte que c’e st le C hrist tout entier qui est porteur de
salut, et non seulement Ses mains. Sur la Croix, le C hrist a étendu Ses
mains saintes de manière à embrasser tous ceux qui viennent à Lui, de
quelque côté que ce soit. Voici m aintenant ce qui s’est passé au m om ent
où le Christ était en train de m archer avec la foule en direction de la
maison de Jaïre : E t comme 11 s’y rendait, lesfoules Le serraient à L ’étouffer.
Or unefemme, atteinte d ’un flu x de sang depuis douze ans, et que nul n’a vait
pu guérir, s’approcha par derrière et toucha la frange de Son manteau; et à
l'instant même sonflu x de sang s’arrêta (Le 8,42-44). Des foules immenses
accompagnaient le C hrist dès qu’il eut accosté sur le rivage au retour de
G adara.Tous L’attendaient et se pressaient autour de L ui; tous voulaient
se retrouver à côté de Lui, afin d ’entendre des paroles extraordinaires
et de voir des actes extraordinaires, poussés par une faim spirituelle et
aussi, pour certains, par la curiosité. Parmi eux se trouvait cette femme
malade, qui souffrait d ’une maladie impure. L’écoulement du sang chez
une femme, même naturel, est comme un fouet qui limite les plaisirs et
pousse la femme à l’apaisement. U n écoulement ininterrom pu de sang,
depuis douze ans, se présente comme un enfer de souffrances, de honte
et d ’impureté. C ette femme avait essayé de se soigner et y avait consacré
tout ce quelle possédait. M ais il n’y eut pas de remède, car aucun médecin
n avait pu la guérir. Im aginez les contraintes quotidiennes quelle subissait
pour faire sa toilette et s’habiller, ses soucis perm anents et son sentim ent
de honte ! Il semblait que D ieu l’avait créée uniquem ent pour cela, pour
que du sang s’écoule d ’elle et quelle passe ses journées sur terre à essayer
d ’arrêter l’hémorragie qui ne cessait pas, dans une souffrance sans remède
et dans un sentim ent de honte indescriptible. Nous avons cette même
HOMÉLIE POUR LE VINGT-QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 597
Seigneur n’a nullem ent exagéré en m ettant sur le même plan la m ort et
le songe, Il l’a prouvé Lui-m êm e par Sa propre résurrection après une
m ort violente et un séjour de trois jours dans le tombeau, ainsi que par
la résurrection de nombreux morts à l’heure de Sa m ort sur la Croix,
puis plus tard à travers toute l’histoire de l’Eglise quand des morts sont
revenus à la vie à la suite des prières de saints et d ’hom mes agréables à
Dieu. C ’e st ce que Lui-m êm e a démontré ici, lors de la résurrection de
la fille de Jaïre. Q ue fit donc le Seigneur, après avoir pris avec Lui un
nombre suffisant de témoins choisis ?
M ais Lui, prenant sa main, l ’appela en disant: «E nfant, lève-toi»
(Le 8, 54). La présence de ceux qui avaient rempli la chambre de la
défiante, qui l’avaient vue morte et étaient convaincus, n’était plus
nécessaire. Par la suite, ils entendraient parler du miracle et verraient
la jeune fille vivante ; pour le m om ent, l’essentiel pour le Seigneur était
de confirmer dans la foi une personnalité locale ém inente locale (Jaïre)
et trois apôtres im portants. La façon d ’agir du Seigneur lors de chaque
miracle entraîne l’hom m e dans un grand état d’exaltation du fait de la
prém éditation pleine de sagesse et de délicatesse m ontrée dans chaque
détail. Après qu’eurent été expulsés tous les autres de la chambre de la
morte, ils n’é taient plus que sept dans cette pièce : cinq vivants, la morte
et Celui qui donne la vie. Est-ce que dans cette circonstance ne se cache
pas - ou plutôt ne se révèle pas - un grand mystère de lam e humaine ?
Q uand m eurt l’âme d ’un pécheur, il continue à vivre avec ses cinq sens,
m enant une existence charnelle, vide, désespérée, où il tend les mains tout
autour de lui pour avoir de l’aide. Tels sont les soi-disant matérialistes de
notre époque : des ombres charnelles sans âme, des êtres désespérés qui
s’agrippent à ce m onde avec leurs sens —les yeux, les oreilles et le reste
- afin de sauvegarder encore quelque temps leur corps et de l’e mpêcher
d ’aller dans la tombe à la suite de l’âme. M ais quand l’un d ’entre eux, du
fait de la Providence divine, rencontre le C hrist, il implore le C hrist de
lui venir en aide, le C hrist Seigneur s’approche de l’âme m orte, l’effleure
et la fait revenir à la vie, à la grande surprise et à l’émerveillement de
l’hom m e superficiel, sensoriel. L’é vangéliste M arc rapporte précisément
les paroles que le Seigneur prononça en araméen en effleurant la jeune
fille de la m ain : « Talitha koum », ce qui se traduit: Fillette, je te le dis, lève-toi
(M c 5, 41). Q u ’arriva-t-il à la jeune fille à la suite de ces mots du C hrist?
Son esprit revint, et elle se leva à l ’instant même. E t II ordonna de lui
donner à manger (Le 8, 55). O n voit donc que la m ort est un songe!
604 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Son esprit revint. Son esprit setait détaché du corps et était parti là où
vont les esprits des défunts. Avec Son toucher et Ses mots, le Seigneur
a accompli ici deux miracles : Il a guéri le corps et II a ramené l’esprit du
royaume des esprits dans un corps sain. Car s’il n’avait pas guéri le corps,
à quoi aurait servi à la jeune fille que son esprit revienne en elle alors
quelle était malade ? Elle serait sim plem ent revenue à la vie, continuant à
être malade pour m ourir de nouveau ! C ette résurrection partielle n’aurait
pas été une résurrection, mais une torture. O r le Seigneur ne fait pas de
donations partielles mais totales, non imparfaites mais parfaites. Il ne
rendait pas la vue aux aveugles pour un seul œil, mais pour les deux, de
même qu’il ne rendait pas l’ouïe pour une seule oreille, mais pour les
deux; Il ne rendait pas l’usage d’une seule jam be aux paralysés, mais des
deux. Il en est de même ici. Il rend l’e sprit à un corps sain, non à un corps
malade, afin que l’hom m e tout entier soit en bonne santé et vivant. C ’est
pourquoi le Seigneur ordonna de lui donner à manger; afin de m ontrer
ainsi tout de suite, que la jeune fille n’était pas seulement revenue à la vie,
mais quelle était guérie. L’évangéliste M arc ajoute : aussitôt la fillette se
leva et elle marchait (M c 5, 42), afin que tous ceux qui étaient là puissent
tém oigner que la jeune fille était également guérie physiquement. Le
fait quelle était réellement guérie, elle devait le m ontrer aussitôt et de
la manière la plus évidente. C ’e st pourquoi la jeune fille se leva et se m it
à marcher et à manger. Le Seigneur Jésus était conscient qu’il avait affaire
à un peuple infidèle, ce qui L’amenait, lors de chaque miracle, à accumuler
le plus possible de preuves évidentes et incontestables, afin de dém ontrer
qu’un miracle était nécessaire et utile aux hom m es; en outre, il fallait
se rendre compte que Lui seul pouvait accomplir ce miracle. Lui et nul
autre ; enfin, constater que ce miracle est incontestable, confirmé de façon
évidente et établi comme une vérité indiscutable. A h, comme le Seigneur
connaissait bien le genre hum ain, corrompu et infidèle ! Ses parentsfurent
saisis de stupeur, mais II leur prescrivit de ne dire à personne ce qui s'était passé
(Le 8, 56). Cela signifie que le Seigneur souhaite qu’avec cet ordre les
parents de la jeune ressuscitée expriment avant tout leur reconnaissance à
Dieu. ‘Ce qui est im portant n’est pas de se précipiter au-devant de la foule
et de proclamer le miracle, mais de s’agenouiller devant le D ieu vivant en
toute hum ilité et d ’exprimer à Lui seul toute notre chaude reconnaissance.
O n entendra parler de ce miracle de par lui-mêm e et sans notre concours.
Ne vous souciez pas de cela! Il ne vous appartient pas, en ce m om ent
solennel, de répondre d ’abord à la curiosité du monde, mais de rendre
HOMÉLIE POUR LE VINGT-QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 605
Le Seigneur Jésus-C hrist est venu pour changer les mesures et les
façons de juger les hommes. Les hom mes mesuraient la nature par elle-
même. E t cette mesure était erronée. Les hommes m esuraient l’âme à
partir du corps. E t la grandeur de l’âme s’e st réduite à des millimètres.
Les hommes m esuraient Dieu à partir de l’homme. D ieu paraissait
dépendant de l’homme. Les hommes m esuraient la vertu à partir de la
rapidité de la réussite. E t la vertu est devenue à la fois bon marché et
tyrannique.
Les hommes se vantaient de leur progrès, en faisant une comparaison
entre eux-mêmes et les animaux, qui piétinent toujours au même endroit
et sur la même route. Une telle vanité, le ciel la méprise et les animaux ne
l’o nt même pas remarquée.
Les hommes ont aussi mesuré la parenté et le degré de proximité des
hom mes entre eux, grâce aux liens du sang, aux affinités de pensée ou
par l’éloignement des maisons et des villages où ils vivaient sur terre, ou
par leur façon de s’exprimer et par des centaines d’autres caractéristiques.
M ais toutes ces mesures de parenté et de proximité n’ont pas permis aux
hommes de nouer des liens familiaux ni de les rapprocher.
Toutes les mesures des hommes étaient erronées et tous les tribunaux
mensongers. Le C hrist est venu pour sauver les hom mes de l’ignorance et
du mensonge et pour changer les mesures et les tribunaux des hommes.
E t II les a transformés. Ceux qui ont adopté Ses mesures et Ses façons de
juger, ont été sauvés par la vérité et la justice ; mais ceux qui sont restés
fidèles aux anciennes mesures et façons de juger, continuent à errer dans
les ténèbres et à trafiquer avec les illusions moisies.
608 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
milieu de ses semblables. M ais pourquoi pose-t-il une question sur la vie
éternelle, s’il a appris peu de choses à ce sujet de la loi qui existait alors ?
Ne s’agit-il pas de la seule récompense promise par la loi à ceux qui la
respectent : afin que se prolongent tesjours sur la terre (Ex 2 0 ,12 ; Ep 6,3) ?
Il est vrai que les prophètes parlent du royaume éternel du Messie, en
particulier le prophète Daniel parle du royaume éternel des saints, mais
les Juifs à l’époque du C hrist, considéraient l’éternité comme un long
séjour sur la terre. Il est donc très probable que ce légiste voulait entendre
de Lui-m êm e ou apprendre par autrui, que le Seigneur Jésus annonçait
la vie éternelle d ’une façon différente de la conception de l’éternité des
Hébreux. L’ennemi de D ieu et du genre hum ain, qui avait essayé person
nellement et en vain de m ettre le Seigneur à l’épreuve dans le désert,
continue m aintenant à Le tenter en se servant d ’hommes aveuglés. C ar si
le diable n’avait pas aveuglé les légistes, le plus naturel n’aurait-il pas été
qu’eux-mêmes, exégètes et connaisseurs de la loi et des prophètes, fussent
les premiers à reconnaître le C hrist Seigneur, les premiers à Le vénérer
et à Le suivre comme Ses messagers, afin d ’annoncer au peuple la bonne
nouvelle de l’arrivée du Roi et Messie ?
Jésus lui dit: «Dans la Loi, qu’y a -t-il d ’écrit ? Comment lis-tu ? » Celui-ci
répondit: «Tu aimeras le Seigneur, ton Dieu, de tout ton coeur, de toute ton
âme, de toute ta force, et de tout ton esprit; et ton prochain comme toi-même»
(Le 10,26-27). Le Seigneur sait ce qui se trouve dans le cœur du légiste;
discernant sa malveillance, Il ne répond pas à la question posée, mais
l’interroge sur le contenu de la Loi : qu’y a -t-il d'écrit ?, comment lis-tu ?
Telles sont les deux questions : prem ièrement, sais-tu ce qui est écrit à ce
sujet, deuxièmement, com m ent com prends-tu ce que tu lis ? Ce qui est
écrit, tous les légistes étaient en mesure de le savoir ; quant à la question
de savoir com m ent il fallait comprendre en esprit ce qui était écrit, aucun
d eux ne le savait à l’époque. E t non seulement à cette époque, mais depuis
très longtemps. Déjà M oïse, avant de mourir, réprimande les Juifs à cause
de leur cécité spirituelle en disant :jusqu’à aujourd’hui, le Seigneur ne vous
avait pas donné un cœur pour connaître, des yeux pour voir, des oreilles pour
entendre (D t 29, 3). Il peut sembler étrange que ce légiste ju if m ette en
exergue précisément ces deux comm andem ents de D ieu comme étant
les plus salvateurs, et cela pour deux raisons : d’abord parce que ces deux
comm andem ents de la loi de M oïse ne se trouvent pas au premier rang
avec les autres com m andem ents principaux, ensuite parce qu’ils ne sont
pas placés l’un à côté de l’autre comme ce légiste les m entionne, car l’un
610 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
deux se trouve dans un livre de M oïse (Lv 19,18) et l’autre se situe dans
un autre (D t 6, 5). L’autre étrangeté de cette situation tient au fait que
si les Juifs veillaient à respecter à peu près les autres comm andem ents
de Dieu, ce n’était jamais le cas avec le com m andem ent de l’amour. Ils
ne pouvaient s’élever dans l’amour de Dieu que par crainte de Dieu. Le
fait que ce légiste ait rassemblé ces deux comm andem ents en disant que
c’é taient les plus porteurs de salut, ne peut s’e xpliquer que parce qu’il
devait savoir que le Seigneur Jésus plaçait ces deux comm andem ents sur
l’amour au somm et de tous les comm andem ents et de toutes les bonnes
actions.
Q ue répondit donc le Seigneur au légiste ? Tu as bien répondu, lui dit
Jésus; fa is cela et tu vivras (Le 10, 28). Voyez comme le Seigneur n’exige
pas des faibles d ’assumer le plus grand fardeau, mais d ’agir selon leur
capacité! Connaissant le cœur dur et non circoncis du légiste, Il ne
lui dit pas : aie foi en moi comme Fils de Dieu, vends tout ce que tu
possèdes, distribue-le aux pauvres, prends ta croix et viens à ma suite,
sans regarder en arrière ! Non, Il lui recommande seulement d ’accomplir
ce que lui-mêm e savait et qu’il avait affirmé comme essentiel dans la
Loi. Cela était suffisant pour lui. C ar s’il se m ettait à aimer en vérité
Dieu et ses proches, cet amour lui perm ettrait de découvrir rapidem ent
la vérité sur le C hrist Seigneur. Q uand un jeune hom m e riche posa, dans
une autre circonstance, cette même question au Seigneur, sans cependant
vouloir Le m ettre à l’é preuve : que me fa u t-il faire pour avoir en héritage
la vie éternelle ?, le Seigneur ne lui m entionna pas des comm andem ents
positifs sur l’amour, mais plusieurs comm andem ents négatifs : Ne commets
pas d ’adultère, ne tue pas, ne vole pas, ne porte pas defaux témoignage; honore
ton père et ta mère (Le 18, 20). Ce n’e st qu’après que le jeune hom m e eût
dit qu’il avait respecté ces com m andem ents que le Seigneur lui confia
une tâche plus lourde : tout ce que tu as, vends-le et distribue-le aux pauvres
(Le 18, 18-22). O n voit ainsi la très grande sagesse du Seigneur en tant
que M aître divin. Il ordonne à chacun de respecter le com m andem ent
divin qu’il connaît; puis quand il l’a fait et qu’il en apprend un autre,
Il lui ordonne de le suivre également, et ainsi de suite pour les autres
comm andem ents. Il ne dépose pas de lourds fardeaux sur des dos fragiles,
mais agit conform ém ent à la force du dos et au poids du fardeau. Cela
constitue aussi une sévère mise en garde pour ceux d ’e ntre nous qui
souhaitent s’initier de plus en plus à la volonté de Dieu, sans se préoc
cuper de mettre en application ce qu’ils savent déjà. N ul ne sera sauvé
HOMÉLIE POUR LE VINGT-CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 611
des vices, puis s’é loignent provisoirement tandis que l’âme git dans le
désespoir au bord de la route de la vie, incapable de bouger en avant ou
en arrière. Le prêtre et le lévite symbolisent l’Ancien Testam ent : le prêtre
représente la loi de M oïse, et le lévite les prophètes. A l’hum anité battue
et blessée, Dieu a envoyé deux médecins avec des remèdes spécifiques :
l’un était la loi, l’autre les prophètes. M ais ni l’un ni l’autre de ces m éde
cins ne se risquèrent à soigner les principales blessures très profondes
des malades, infligées par les démons eux-mêmes, ne s’occupant que des
blessures les plus légères, portées par un hom me à un autre homme. C ’est
pourquoi il est dit que l’un et l’autre, voyant la gravité des blessures de cet
homme, préférèrent passer outre. La loi de M oïse a vu l’hum anité comme
un malade gravement atteint, mais est passée à côté. Les prophètes, eux,
‘se sont approchés du malade, puis alors seulement, sont passés à côté.
Les cinq livres de M oïse ont décrit la maladie de l’hum anité et constaté
que pour cette maladie il n y avait pas de remède sur terre, le véritable
remède étant en D ieu dans les Cieux. Les prophètes se sont approchés
de l’âme à demi-vivante et sur le point d ’expirer, de l’hum anité ; ils ont
constaté également que la maladie avait progressé et consolé le malade
en lui disant: nous n’avons pas de remède, mais derrière nous arrive le
Messie, le M édecin céleste. Eux aussi sont passés à côté du malade. C ’est
alors qu’arriva le M édecin véritable.
M ais un Samaritain, qui était en voyage, arriva près de lui, le v it et f u t
pris de pitié. I l s’approcha, banda ses plaies, y versant de l ’huile et du vin,
puis le chargea sur sa propre monture, le mena à l'hôtellerie et p rit soin de
lui. Le lendemain, il tira deux deniers et les donna à l ’hôtelier, en disant:
«Prends soin de lui, et ce que tu auras dépensé en plus, je te le rembourserai,
moi, à mon retour» (Le 10, 33-35). Q ui était ce Sam aritain? C ’est le
Seigneur Jésus-C hrist Lui-m ême. Pourquoi le Seigneur se donne-t-Il
le nom de Samaritain ? Parce que les Juifs m éprisaient les Samaritains
en tant qu’idolâtres impurs. Ils ne les fréquentaient pas ni ne parlaient
avec eux. C ’e st pourquoi la Samaritaine avait dit au Seigneur au puits
de Jacob : Comment, toi qui es Juif, tu me demandes à boire à moi qui suis
une fem m e samaritaine (Jn 4, 9)? C ’est ainsi, donc, que les Samaritains
considéraient le C hrist comme un Juif, alors que les Juifs L’appelaient,
Sam aritain: N ’avons-nous pas raison de dire que tu es un Samaritain et
que tu as un démon (Jn 8, 48) ? En rapportant ce récit au légiste juif, le
Seigneur se présente sous l’aspect du Samaritain, par hum ilité infinie,
afin de nous enseigner à nous aussi que, même sous le nom et l’identité
HOMÉLIE POUR LE VINGT-CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 613
les plus méprisés, nous pouvons faire beaucoup de bien et souvent même
plus que des gens portant un nom et une identité imposants et célèbres.
Le Seigneur prend aussi l’identité d ’un Samaritain par amour pour les
pécheurs. Le nom de Samaritain était en effet synonyme de pécheur.
Q uand les Juifs L’ont appelé Samaritain, le Seigneur n’a pas protesté. Il
entrait sous le toit des pécheurs, m angeait et buvait avec eux; Il a même
affirmé clairement que c’est à cause des pécheurs qu’il est venu dans ce
monde - à cause des pécheurs et non des justes. M ais pouvait-il y avoir
un seul juste en Sa présence ? Tous les hom mes n’étaient-ils pas recouverts
par le péché comme par un nuage noir? E t toutes les âmes n’étaient-elles
pas meurtries et déformées par les esprits maléfiques? Le Seigneur se
donne le nom de Samaritain pour nous apprendre à ne pas attendre que
la force de Dieu se manifeste seulement dans les grandes figures de ce
monde, mais à faire aussi attention avec respect et prévenance à ce que
pensent et disent des petites gens méprisés dans ce monde. C ar Dieu se
sert souvent de roseaux pour briser des murs de fer et de pêcheurs pour
faire honte aux rois, comme de ce qui est le plus infime pour rabaisser ce
qui est considéré comme le plus im portant aux yeux des hommes. Com m e
le dit l’apôtre Paul : M ais ce qu’il y a defo u dans le monde, voilà ce que Dieu
a choisi pour confondre les sages; ce qu’il y a defaible dans le monde, voilà ce
que Dieu a choisi pour confondre ce qui estfo r t (1 Co 1,27). E n se donnant
le nom de Samaritain, le Seigneur veut m ontrer que c’est en vain que
le m onde attend son salut du puissant empire romain et de l’empereur
T ibère; le salut du m onde, le Seigneur l’a établi au sein du peuple le
plus méprisé de l’empire romain, le peuple juif, et parmi les gens les plus
méprisés par les Juifs, des pêcheurs de Galilée, qui étaient aussi méprisés
par les scribes prétentieux que par les Samaritains idolâtres. L’Esprit de
Dieu est libre, le vent souffle où il veut (Jn 3, 8), sans tenir compte des
positions sociales ni de leur considération. Ce qui est considéré comme
ém inent par les hom m es est nul devant Dieu, et ce qui est nul pour les
hom mes est ém inent devant Dieu.
Le Seigneur est venu au-dessus du genre hum ain - Il est venu sur
lui. Le genre hum ain gisait malade et désespéré, quand le M édecin est
venu au-dessus de lui. Tous les hommes sont pécheurs, ils sont étendus
sur la terre, agrippés au sol ; seul le Seigneur sans péché, le M édecin pur
et sain, se tient debout. I l est venu chez lui (Jn 1,11) dit l’Évangile, pour
signifier qu’il est venu revêtu d ’une enveloppe charnelle comme tous
les autres hommes, ne se distinguant pas extérieurement des malades
614 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
et des pécheurs. O n dit qu’il est venu au-dessus du genre humain, afin
de m arquer Sa différence, du point de vue de la force, de la santé, de
l’imm ortalité et de l’absence de péché, par rapport aux malades mortels
et aux pécheurs.
Il vit l’hom m e blessé, comme le prêtre l’avait vu; Il s’approcha du
blessé, comme le lévite l’avait fait. M ais II fit quelque chose de plus, de
beaucoup plus que le prêtre et le lévite. Il eut pitié du blessé, banda ses
plaies, y versa de l’huile et du vin, chargea le blessé sur sa m onture, le mena
à l’hôtellerie et prit soin de lui, régla l’aubergiste pour les soins prodigués
au blessé, prom it qu’il continuerait à s’en occuper et couvrirait toutes
les dépenses nécessitées par sa maladie. Ainsi, pendant que le prêtre se
contente de voir le blessé et que le lévite s’arrête sur la vision et l’approche
du blessé, le Messie, le M édecin céleste, accomplit dix actions pour lui :
le chiffre dix correspond à la plénitude des nombres - afin de m ontrer
ainsi la plénitude des soins, des attentions et de l’amour du Seigneur
notre Sauveur en ce qui concerne notre salut. Il ne panse pas seulement
les plaies et ne laisse pas le blessé au bord de la route, car cela n’aurait pas
été une fête complète ; Il ne le conduit pas seulement à l’hôtellerie pour
s’é clipser ensuite, car l’aubergiste aurait dit qu’il n’avait rien pour soigner
le malade et qu’il était donc forcé de le m ettre dehors ; c’est pourquoi II
paie d ’avance ses efforts ainsi que ses frais. L’hom me le plus miséricor
dieux se serait arrêté à ce stade. M ais le Seigneur va plus loin. Il prom et
qu’il continuera à prendre soin du malade et qu’il reviendra le voir, et
qu’il remboursera à l’aubergiste les dépenses supplémentaires qu’il aurait
à l’avenir. Voilà la plénitude de la miséricorde ! E n outre, quand on sait
que c’est un Samaritain qui fait cela à un Juif, un adversaire à un autre
adversaire, alors on doit dire : voilà de la miséricorde surréelle, céleste,
divine. Telle est l’image de la miséricorde du C hrist à l’égard du genre
humain.
Q ue signifie le fait de bander les plaies ? E t l’huile et le vin ? Le fait
de bander les plaies correspond au contact direct du C hrist avec le genre
hum ain malade. Par Sa bouche très pure, Il parlait aux hom mes à l’oreille,
par Ses mains très pures II a effleuré des yeux morts, des oreilles sourdes,
des corps envahis par la lèpre, des cadavres. C ’est avec un onguent qu’o n
panse les plaies. Le Seigneur Lui-m êm e est cet onguent pour l’hum anité
pécheresse. Il s’e st Lui-m êm e proposé pour panser les plaies de l’humanité.
L’huile et le vin symbolisent la miséricorde et la vérité. Le bon M édecin a
d ’abord caressé le malade, puis lui a donné le remède. La miséricorde est
HOMÉLIE POUR LE VINGT-CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 615
autant qu’il pût la saisir, seulement bien entendu sous son aspect figuratif.
Il ne pouvait pas ne pas reconnaître que le Samaritain miséricordieux s’est
comporté comme le seul véritable prochain de l’hom me agresse et blessé,
abandonné au bord de la route. Il ne pouvait pas dire que le prêtre s’é tait
montré le plus proche, puisque le prêtre comme lui-mêm e était Juif. Il ne
pouvait pas dire non plus que le lévite était le plus proche, puisque tous
deux étaient de même race, du même peuple et parlaient la même langue.
Car cela aurait été trop contraire, même à leur conscience sans scrupule.
La parenté par le nom, la race, l’origine nationale ou la communauté
linguistique est inutile là où est nécessaire la miséricorde, et seulement la
miséricorde. La miséricorde est le nouveau fondem ent de parenté que le
C hrist a institué parmi les hommes. Cela, le légiste ne l’avait pas compris ;
mais ce que son esprit avait saisi dans ce cas précis, il était contraint
de le reconnaître. Va, et toi aussi fais de même, lui dit le Seigneur. Cela
signifie : si tu veux hériter la vie éternelle, alors tu dois appliquer ainsi le
com m andem ent de D ieu sur l’amour, et non comme vous le comprenez
vous, légistes et scribes. Vous considérez ce com m andem ent comme
on regarde un veau d ’or, vous l’adorez comme une idole, sans savoir sa
portée divine et salvatrice. Vous ne considérez comme vos proches que
les Juifs, car vous ne raisonnez que par le nom, le sang, la langue ; parmi
les Juifs, vous ne considérez comme vos proches que ceux appartenant
à votre parti, qu’il fut légiste, pharisien ou sadducéen ; et même parmi
vos propres partisans, vous ne considérez comme vos proches que ceux
dont vous tirez profit, honneurs et louanges. Ainsi vous avez interprété le
com m andem ent de D ieu sur l’amour de façon intéressée, et ce com m an
dem ent divin est devenu pour vous un véritable veau d’or, comme celui
que vos ancêtres vénéraient au pied du m ont Horeb. Vous vénérez donc
ce com m andem ent, sans le comprendre ni l’appliquer. Il est probable que
le légiste a pu comprendre le récit du C hrist dans une telle perspective,
et qu’il a dû repartir honteux. Lui qui était venu pour jeter le discrédit!
M ais quelle aurait été sa honte s’il avait pu comprendre que ce récit
s’appliquait précisément à lui ! C ar lui aussi était un voyageur allant de la
Jérusalem céleste dans la sale cité terrestre de Jéricho, ce voyageur que les
démons avaient dépouillé des bienfaits de Dieu, agressé et roué de coups,
le laissant au bord de la route. La loi de M oïse et les prophètes passent à
côté de lui et ne peuvent l’aider. M ais voilà qu’au m om ent où le Seigneur
lui raconte ce récit, le Samaritain miséricordieux est déjà en train de
se pencher sur son âme blessée, la panse et y verse de l’huile et du vin.
HOMÉLIE POUR LE VINGT-CINQUIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 619
Le Seigneur Jésus-C hrist est venu parm i les hommes afin de guérir
l’âme hum aine de la tentation de voler. C ar le vol constitue une grave
maladie de l’âme humaine.
Est-ce que le fils vole le père? N o n ; mais le serviteur vole son maître.
Au m om ent où l’e sprit filial d ’Adam s’e st transformé en esprit de servi
teur, sa main s’est approchée d ’un fruit défendu.
Pourquoi l’hom m e vole-t-il le bien d ’autrui - est-ce que c’e st parce
qu’il en a besoin ? Adam disposait de tout et ne m anquait de rien, et il se
m it néanmoins à voler.
Pourquoi un hom m e vole-t-il un autre homme, un serviteur vole-t-
il un autre serviteur? Parce qu’auparavant il avait osé voler son maître.
L’hom m e vole d’abord Dieu, puis les autres hommes. Le prototype
hum ain avança d ’abord une main de voleur pour s’emparer de ce qui était
à Dieu, à la suite de quoi et à cause de quoi ses descendants devinrent des
voleurs les uns pour les autres.
L’hom m e vole Dieu, les hommes, la nature et lui-même. L’hom me
vole non seulement avec tous ses sens, mais aussi avec son cœur, son âme
et ses pensées. M ais il n’y a pas de vol où le diable n’est pas le complice de
l’homme. Il chuchote et suggère tous les vols ; Il est le chef et le com m an
dant de tous les plans de vol. Il n’y a pas de voleur solitaire dans le vaste
monde. Au moins deux prennent part au vol, et un troisième les observe.
L’hom me et le diable participent au vol, et Dieu les regarde. De même
qu’Ëve n’a pas exécuté son vol toute seule, mais en compagnie du diable,
de même personne n’a jamais exécuté un vol tout seul, mais toujours en
compagnie du diable. M ais le diable n’est pas seulement le chef et le copar
ticipant au vol, il est aussi le dénonciateur du vol. C ar il n’a nul besoin des
622 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
objets volés, mais son but est de détruire l’âme hum aine, de susciter les
querelles et les haines parmi les hommes, jusqu’à l’anéantissement de tout
le genre humain. Il ne vole pas pour voler, mais comme un lion rugissant,
rôde, cherchant qui dévorer (1 P 5, 8). C ’est le diable qui incite l’âme à faire
le mal et qui y sème l’ivraie, comme l’a dit le Seigneur Jésus (M t 13,39).
Lors de tout vol commis par un homme, le diable lui vole une partie
de son âme. L’âme d ’un voleur habitué à voler ne cesse de se réduire,
de s’assécher et de se décomposer comme les poum ons rongés par la
tuberculose.
Pour se sauver de son addiction au vol, l’hom me doit considérer que la
propriété de ses biens appartient à Dieu et non à lui-mêm e. Q uand il se
sert de ses biens, il doit considérer qu’il se sert de ce qui est à Dieu, et non
à lui-même. E n m angeant du pain à table, il doit rendre grâce à Dieu, car
le pain n’e st pas à lui mais à Dieu.
Afin de se guérir de la maladie qu’est la cleptomanie, l’hom me doit
considérer que tous les biens d ’autrui appartiennent en fait à Dieu ; il doit
savoir qu’e n volant les autres, il vole Dieu. E t peut-on voler Celui dont
l’œ il ne se ferme jamais ?
Afin de chasser de lui celui qui participe à tous les vols et qui sème le
mal en lui, l’hom me doit veiller sur son âme afin que le diable ne puisse
y semer des envies de vol et des pensées qui s’y rapportent. E t quand il
s’aperçoit que de telles idées y ont été semées, il doit veiller à les brûler
rapidem ent dans le feu de la prière.
N ’est-il pas fou celui qui court vers le pire, alors qu’il a connu le meil
leur ? N ’est-il pas fou et ridicule celui qui la nuit vole des guenilles en
coton dans la boutique d ’autrui, tout en voyant un ami venu lui offrir une
voiture pleine de soies et de velours ?
Le Seigneur Jésus am i-des-hom m es a apporté avec Lui et dévoilé
aux hommes des trésors célestes innombrables et inestimables, et II les a
appelés à en jouir publiquem ent et librement, à une seule condition : qu’ils
détachent leur âme des trésors terrestres périssables. Certains hommes
L’ont écouté, se sont approchés de Ses dons et se sont enrichis; mais
certains ne L’o nt pas écouté, restant à côté de leurs richesses périssables
et volées. E n guise d ’avertissement adressé à ces derniers, le Seigneur a
raconté le récit qui se trouve dans l’é vangile de ce jour.
I l leur dit alors une parabole: « I ly avait un homme riche dont les terres
avaient beaucoup rapporté. E t il se demandait en lui-même: Que vais-je
faire ? Carje n ai pas où recueillir ma récolte ?» (Le 12,16-17). C et homme
HOMÉLIE POUR LE VINGT-SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 623
déjà riche venait de connaître une récolte telle qu’il ne savait pas où la
recueillir. E n voyant ses champs recouverts d ’une grande quantité de blé,
ses vergers et ses vignes aux branches ployant sous le poids des fruits, ses
hangars débordants de légumes divers et ses ruches pleines de miel, cet
hom m e riche ne regarda pas vers le ciel et ne s’écria pas joyeusem ent:
« Gloire et merci à Toi, Dieu tout-puissant et très-miséricordieux ! Toi
qui as su, avec Ta force et Ta sagesse, extirper une telle abondance de cette
terre noire ! Toi qui avec Ton soleil, as su insuffler tant de délices dans
tous ces fruits terrestres ! Toi qui as su donner à chaque fruit un aspect
admirable et un goût particulier! Toi qui as récompensé au centuple le
peu d ’effort que j ’y ai consacré! C om m e Tu as eu pitié de ton serviteur,
en versant à pleines mains tant de richesses dans son sein ! O , Seigneur
très extraordinaire, apprends-m oi à donner moi aussi de la joie, avec tes
richesses, à mes frères et à mes proches, afin qu’ils puissent eux aussi se
réjouir avec moi et Te glorifier avec gratitude, célébrer Ton saint N om et
Ta bonté indicible ! » M ais non : au lieu de se souvenir du donateur de tant
de dons, cet hom me riche se soucie d ’abord de savoir où il va accumuler
tous ces dons et com m ent il va les conserver. Com m e le voleur qui, ayant
trouvé sur sa route un sac plein d ’argent, ne se demande pas d ’o ù provient
ce sac ni à qui il appartient, mais il ne se soucie que de savoir com m ent il
va le cacher ! E n fait, cet hom m e riche est aussi un véritable voleur. Il ne
peut pas dire que toute cette récolte abondante est le fruit de son effort
propre. Le voleur lui aussi fait des efforts au m om ent de voler. Le voleur
utilise souvent beaucoup plus d ’habileté qu’un laboureur ou un semeur.
L’hom m e riche n’a fait aucun effort, ni n’a pu en faire en ce qui concerne
le soleil, la pluie, les vents et le sol. O r ce sont les quatre principaux
éléments qui, par la volonté de Dieu, rendent possible la production des
plantes et des arbres. Par conséquent, une récolte abondante ne découle
ni de son travail, ni de ses piètres efforts, car cet hom m e n’e st le maître ni
du soleil, ni de la pluie, ni des vents, ni du sol. C ette récolte abondante
est un don de Dieu. Com m e est méprisable aux yeux des hommes, celui
qui au m om ent de recevoir un cadeau de quelqu’un, ne dit pas merci, ni
ne montre d’égards pour son donateur, ne se préoccupant que de trouver
au plus vite un endroit sûr pour y cacher son cadeau ! Q uand il reçoit un
morceau de pain noir, un m endiant honnête remercie son donateur. Cet
hom m e riche, lui, n’a adressé à Dieu aucune pensée, aucune parole de
reconnaissance pour une récolte aussi abondante ; il n’a même pas eu un
sourire de joie devant un tel prodige et un tel bienfait de Dieu. Au Heu
624 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
auprès d ’un hom m e qui leur révélerait ce qu’ils voulaient savoir. Ils s’y
rendirent et y trouvèrent un hom m e simple, dénomm é Euchariste, qui
s’occupait exclusivement d ’élevage. C om m e les ascètes ne remarquaient
rien d’exceptionnel chez cet homme, ils lui dem andèrent com m ent il
faisait pour accomplir la volonté de Dieu. Après beaucoup d ’hésitation,
Euchariste leur dit qu’il divisait en trois parts tous ses revenus d ’élevage :
une partie était donnée aux pauvres et aux indigents, une autre était
affectée à l’accueil réservé à ses visiteurs, et une troisième partie était
conservée pour lui-m êm e et son épouse très chaste. Ayant entendu ce
récit, ces ascètes louèrent ces bonnes actions et s’en retournèrent chez eux.
O n voit ainsi que la miséricorde est même plus agréable à Dieu que
le jeûne le plus sévère. M ais, cet hom m e riche et cupide évoqué dans
l’Évangile ne songeait pas seulement à agrandir ses hangars et à la façon
de rassembler toutes les récoltes de sa propriété. Q ue ferait-il après avoir
réalisé tout cela? Voici ce que lui-m êm e dit à ce propos: je dirai à mon
âme: M on âme, tu as quantité de biens en réserve pour de nombreuses années;
repose-toi, mange, bois, fa is la fête ! (Le 12, 19). C om m ent l’âme peut-elle
m anger et boire? C ’est le corps qui mange et boit ce qui a été cueilli
dans les champs, pas l’âme. C et hom m e riche pense au corps, en parlant
de l’âme. Son âme s’est tellem ent incrustée dans son corps, s’identifiant
tellem ent au corps, que lui-mêm e ne la connaît plus que de nom. Le
triom phe fatal du corps sur l’âme ne peut s’exprimer plus clairement.
Im aginez un agneau dans un trou de chien, oublié dans un trou de chien.
Le chien court de tous côtés et ramène, dans le trou, de la nourriture
pour lui-même. E t après avoir rempli tout le trou de viande, de tripes
et d ’os de diverses charognes, il crie alors à l’agneau affamé : mon petit
agneau, mange m aintenant, bois et réjouis-toi, tu as de la nourriture pour
de nombreux jours ! Ayant dit ces paroles, le chien va se m ettre à manger
tout seul, tandis que l’agneau continuera à avoir faim et en mourra. C et
hom m e riche a agi avec son âme comme ce chien avec l’agneau affamé.
L’âme ne se nourrit pas de nourriture périssable; or c’e st ce qu’il lui
propose. L’âme aspire à sa demeure céleste, où se trouvent ses sources
et ses demeures, tandis qu’il la cloue à cette terre et lui prom et même de
la tenir ainsi clouée pendant de nombreuses années. L’âme se réjouit de
Dieu, alors que lui ne m et même pas dans sa bouche le nom de Dieu.
L’âme s’épanouit dans la justice et la miséricorde, lui ne songe même
pas à se servir de sa richesse pour se rendre juste et charitable à l’égard
des pauvres, misérables et difformes autour de sa demeure. L’âme veut
626 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
un amour pur et céleste, lui verse de l’huile sur le feu des passions et
encense l’âme avec cette fumée nauséabonde. L’âme aspire à ses joyaux
qui sont: charité, joie, paix, longanimité, serviabilité, bonté, confiance dans les
autres, douceur, maîtrise de soi (Ga 5, 22-23) ; l’hom me riche, lui, letouffe
sous l’ivrognerie, la frénésie des passions et la vanité. C om m ent l’agneau
herbivore ne crèverait-il pas à côté du chien carnivore? C om m ent l’âme
écrasée par le poids du cadavre ne m ourrait-elle pas ?
M ais toute la folie de cet hom me riche ne réside pas seulement dans
le fait qu’il offre de la viande à un agneau, c’e st-à-dire une nourriture
charnelle à l’âme ; elle se trouve aussi dans le fait qu’il se comporte comme
s’il était le maître du temps et de la vie. Voilà qu’il se prépare à manger
et à boire pendant de nombreuses années. M ais écoutez ce que Dieu
lui répond à ce sujet: Insensé, cette nuit même, on va te redemander ton
âme. E t ce que tu as amassé, qui l ’aura ? (Le 12, 20). Ainsi lui répondit le
Seigneur de la vie et du m onde, qui comm ande au temps et à la m ort, qui
tient en son pouvoir l ’àme de tout vivant et le souffle de toute chair d'homme
(Jb 12, 10). Insensé, pourquoi ne réfléchis-tu pas avec ton esprit, et non
avec ton ventre ? D e même que le jour de ta naissance n’é tait pas en ton
pouvoir, celui de ta m ort n’en dépend pas non plus. Le Seigneur a allumé
les bougies de la vie terrestre quand II l’a voulu, le Seigneur les éteindra
quand II le voudra. D e même que ta richesse n’a pas pu avancer l’heure
de ton arrivée dans le m onde, de même elle ne pourra pas retarder l’heure
de ton départ du monde. Est-ce que la pointe du jour et la tombée du
jour dépendent de toi ? Est-ce que le m om ent où le vent va se m ettre à
souffler et celui où il va se calmer dépendent de toi? Il en est de même en
ce qui concerne la durée de ton séjour sur la terre ! Aussi peu dépendants
de toi sont tes greniers et tes brasseries, tes bergeries et tes porcheries.
Tout cela appartient à Dieu, tout autant que ton âme. Chaque jour et
à toute heure, Dieu peut te prendre ce qui Lui appartient et le donner
à quelqu’un d’autre. T out est à Lui de ton vivant, et tout sera à Lui après
ta mort. Entre Ses mains se trouvent et ta vie et ta mort. Pourquoi parles-
tu alors de nombreuses années à l’avance ? Ta vie est comptée en minutes,
et ta dernière minute peut sonner aujourd’hui même. Aussi ne dois-tu
pas te soucier du lendemain, de ce que tu vas manger, de ce que tu vas
boire et de quoi tu vas te vêtir, mais prendre beaucoup plus soin de l’âme
avec laquelle tu vas te présenter devant Dieu, ton Créateur et ton M aître.
Préoccupe-toi d ’abord du Royaume de Dieu, car c’est la nourriture de ton
âme (M t 6,31-33).
HOMÉLIE POUR LE VINGT-SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 627
Le Seigneur term ine ce récit par ces mots : Ainsi en est-il de celui qui
thésaurise pour lui-même, au lieu de s'enrichir en vue de Dieu (Le 12, 21).
Q ue lui arrive-t-il donc? Soudain, il se sépare de sa richesse, et son âme
quitte son corps. La richesse est accordée à autrui, le corps est confié à la
terre, et l’âme se rend dans un lieu plus noir que le tombeau, où régnent
les pleurs et les grincements de dents. Aucune bonne action ne lui sera
imputée dans le Royaume céleste, qui aurait permis à son âme d ’y trouver
sa place. Son nom ne sera pas inscrit dans le Livre des vivants, il ne sera
pas connu ni appelé parmi les bienheureux. Il a reçu son salaire sur la
terre, et les richesses divines dans les deux ne seront pas montrées à son
âme.
Ah, qu’une m ort soudaine est terrible ! Q uand l’hom me pense que sa
position est très solide sur la terre, la terre peut brusquem ent s’o uvrir et
l’engloutir, comme elle a englouti D atân et Abiram (Nb 16, 32). Alors
que le bon vivant oublieux de Dieu se prépare à continuer à faire la fête de
longues années durant, le feu s’abat sur lui et le consume comme Sodome
et Gom orrhe. Q uand l’hom me pense qu’il est bien assuré auprès de D ieu
comme auprès des hommes, soudain il tombe m ort, comme Ananie et
Saphire (Ac 5, 1). E n m ourant soudainement, un pécheur inflige deux
dommages à lui-m êm e et à sa famille : à lui-mêm e, car il m eurt sans s’être
repenti, et à sa famille, surprise par sa disparition inattendue et à qui il
laisse ses affaires en désordre. Heureux soit celui qui tombe malade avant
de mourir, et endure ainsi des tourm ents et des souffrances. L’o ccasion lui
est alors offerte de se retourner encore une fois sur toute son existence,
d ’examiner et d’énumérer ses péchés, de se repentir pour tout le mal qu’il
a commis, de pleurer à chaudes larmes devant Dieu, de purifier l’âme par
ses larmes et d’implorer Dieu de lui pardonner; l’occasion lui est aussi
offerte de pardonner lui-m êm e à tous ceux qui l’o nt insulté et lui ont fait
du mal au cours de sa vie, d’accorder sa bénédiction à tous ses amis et
ennemis, de rappeler aux enfants de craindre Dieu, de garder en mémoire
l’heure de la m ort et d ’enrichir à temps leur âme par la foi, la prière et la
miséricorde. Songez donc à la façon dont sont morts les hom m es justes
et agréables à Dieu de l’Ancien Testam ent : Abraham , Isaac, Jacob, M oïse
et David. Tous ont été malades avant de mourir et, durant leur maladie,
le nom de Dieu n’a jamais quitté leurs lèvres. Tous ont laissé de bonnes
instructions à leurs descendants et leur ont accordé leur bénédiction.
Telle est la m ort normale des justes. Mais, dira-t-on, de nombreux justes
n’o nt-ils pas connu des morts soudaines au cours de guerres ? N on, car les
628 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
mesure des douleurs et des joies est infinim ent plus longue. Q u ’il en soit
selon la volonté de D ieu ! Prions donc le D ieu Très-haut de ne pas nous
infliger une m ort soudaine au milieu de nos péchés et de nos iniquités,
mais de nous épargner comme fut épargné le roi Ezéchias (Is 38,1) et de
nous accorder du temps pour nous repentir. E t que dans Sa miséricorde II
nous montre que notre m ort approche, afin que nous puissions accomplir
rapidem ent de bonnes actions et sauver ainsi notre âme du feu éternel.
Afin que notre nom puisse ainsi se retrouver dans le Livre des vivants, et
que notre visage puisse se voir parm i les justes au Royaume du C hrist,
notre Dieu. Gloire et louange à Lui, avec Son Père et avec le Saint-Esprit,
Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de tout temps et
de toute éternité. Am en.
H O M É LIE PO U R LE V IN G T -SE P T IÈ M E D IM A N C H E
APRÈS LA PE N T E C Ô T E
Le Seigneur Jésus-C hrist est venu sur terre plein de force et d ’hum i
lité, afin d’enseigner aux hommes d ’aimer Dieu et d’aimer les hommes.
Les hommes sont dépourvus de force par eux-m êmes; l’amour de
Dieu leur insuffle la force. Les hom mes sont orgueilleux par eux-mêmes ;
l’amour des autres hommes les rem plit d ’humilité.
D e l’amour de D ieu est issu l’amour des hommes. D u sentim ent de la
force divine, vient l’humilité. Tout amour des hommes est mensonger en
l’absence de l’amour de Dieu ; et toute force autre que divine est orgueil
leuse et impuissante.
M ais l’hom me a choisi une troisième voie, qui n’e st ni l’amour de
Dieu, ni l’amour des hom mes ; il a choisi l’égoïsme - un mur qui le sépare
de D ieu et des hommes et l’isole complètement.
E n n’aim ant que lui-mêm e, l’hom m e n’aime ni D ieu ni l’homme. Il
n’aime même pas l’hom m e en lui-m êm e ; il n’aime que sa conception de
lui-mêm e, son illusion. S’il aimait l’hom m e en lui-mêm e, il aimerait en
même temps l’image de Dieu qui est en lui ; il se m ettrait rapidem ent à
aimer D ieu et à aimer les hommes. C ar chez les autres il rechercherait
l’hom m e et Dieu, objets de son amour.
L’é goïsme n’est absolum ent pas de l’amour, mais le reniem ent de Dieu
et le mépris des hommes, public ou secret.
L’égoïsme n’est pas de l’amour, mais une maladie, une maladie grave
qui entraîne avec elle d ’autres maladies. D e même que la variole propage
inévitablement le feu dans tout le corps, de même l’égoïsme provoque
le feu de la jalousie et de la colère dans toute lam e. U n hom me égoïste
est plein de jalousie envers ceux qui sont meilleurs que lui, plus riches,
plus cultivés ou plus considérés dans la société. La jalousie est toujours
632 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
pas réprim ander le Christ, mais blâme le peuple. Au fond de son cœur,
il réprimande le C hrist et non le peuple, mais en paroles, il se comporte
autrement. Car en quoi le peuple est-il coupable ? Si quelqu’un est encore
à l’o rigine de cette bonne action, il s’agit de la femme courbée. M ais de
quoi cette malheureuse femme serait-elle coupable ? Elle n’a pas couru
à la suite du C hrist et n’a pas imploré qu’il la guérisse. Au contraire,
c’est le C hrist qui l’a appelée et l’a guérie complètem ent, au-delà de
tout espoir quelle pût avoir et au-delà des attentes de l’assistance. Il est
évident que si quelqu’un est coupable de quoi que ce soit, c’est le Christ.
Cependant, le chef de la synagogue n’ose pas regarder le C hrist dans
les yeux et Lui dire : c’e st toi le coupable ! Il pointe son dard sur tout le
peuple et le réprimande. Y a-t-il un exemple plus évident et plus lâche
d ’hypocrisie ? C ’est pourquoi le Seigneur le traite d ’hypocrite : Mais le
Seigneur lui répondit: «Hypocrites! chacun de vous, le sabbat, ne délie-t-il pas
de la crèche son bœ uf ou son âne pour le mener boire ? E t cettefille dAbraham,
que Satan a liée voici dix-huit ans, il n’e ût pas fa llu la délier de ce lien le
jour du sabbat!» (Le 13, 15-16). Le Seigneur connaît les cœurs humains,
Il sait donc que, dans son cœur, le chef de la synagogue Lui fait une
réprimande, bien qu’en paroles c’e st au peuple qu’il l’adresse. Le sachant,
le Seigneur ne peut tolérer que le peuple endure le blâme dont Lui-m êm e
est seul responsable. Plus lumineux que le soleil et plus pur que le cristal,
le Seigneur ne peut être hypocrite, c’est-à-dire se m ontrer maladroit et se
taire quand quelqu’un d ’autre se trouve morigéné à cause de Lui. E t c’est
pourquoi, alors que le peuple impuissant et irresponsable se tait et endure
des reproches injustes de la part du chef de la synagogue, le Seigneur
prend la parole et réplique en traitant celui-ci d ’hypocrite, car II lit dans
son cœur. C om m ent peut-on s’occuper le samedi du bétail et ne pas aussi
prendre soin des hom mes ? Le b œ uf et l’âne ne restent pas un seul jour
sans être déliés de la crèche et conduits de l’o mbre à la lumière et à l’air
libre, alors que cette femme est restée liée pendant dix-huit ans par la
malédiction de Satan, et tu t ’insurges parce qu’o n lui a donné, à elle aussi,
la liberté ? E n vérité, Satan t ’a lié autant quelle. Elle, il lui a lié la tête aux
genoux, alors que toi, c’est ton âme qui a été liée au samedi. Elle a été
déliée, mais toi, tu es resté lié. Pourquoi ne te délies-tu pas ? Le sabbat
a été donné aux hom mes afin de se souvenir de Dieu plus que les autres
jours. Est-ce que l’acte de guérison de cette femme ne rappelle pas Dieu
plus que ce sabbat et que tous les sabbats, de M oïse à ce jour? C et acte
n’est-il pas plus grand que le sabbat? E t ne vois-tu donc pas que se trouve
HOMÉLIE POUR LE VINGT-SEPTIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 637
ici Celui qui est plus grand que le sabbat ? et non seulement que le samedi
mais que l’Église elle-même (M t 12, 6) ? Ne sens-tu pas, ô petit chef de
synagogue, que devant toi se tient le C h e f de toutes les âmes humaines.
A h, si tu savais que tous les jours et toutes les nuits s’unissent rapidem ent
sous Son regard devant le même accès à l’éternité !
M ais voici que le Seigneur accorde une autre faveur à cette femme
affligée: Il l’appelle «fille d ’A braham »! Il veut ainsi non seulement
souligner la grandeur de l’âme hum aine vivante en général, par rapport
aux créatures dépourvues de conscience comme le bœ uf et l’âne, mais
aussi m ontrer la noblesse de cette femme courbée et liée par rapport au
chef hypocrite de la synagogue. C ette femme était pieuse et vivait dans
la crainte de D ieu; cela est attesté d’abord par le fait qu’en dépit de sa
difformité horrible, elle s’efforçait de venir à la synagogue écouter la parole
divine et prier D ieu; puis par le fait qu’aussitôt après sa guérison, elle se
m it à louer Dieu. C ’est ainsi que l’ancêtre Abraham fut reconnaissant à
Dieu pour tout bienfait, et plein d ’abnégation dans ses souffrances, et
cela sans marquer le m oindre abattem ent dans sa foi en Dieu. Elle était
donc une fille véritable d ’Abraham, non seulement par le sang mais aussi
par l’abnégation et la piété; elle était même une fille d ’Abraham plus
fidèle que ce chef de synagogue, qui tirait pourtant orgueil comme tous
les autres chefs juifs de sa filiation à Abraham . E n fait, il était traître
par rapport à A braham , alors que cette femme était une fille véritable
d ’Abraham. C om m ent donc ne pas lui venir en aide ? E n quoi le samedi
serait-il gênant à cet égard? Le sabbat a été établi comme jour de repos
pour l’hom me. Mais II s’est reposé le septième jour, c’est pourquoi le Seigneur
a béni le jour du sabbat et l'a consacré (Ex 20, 11). L’âme n’a-t-elle pas
aussi besoin de repos, comme le corps? O r l’âme ne se repose pas en
ne faisant rien ou en étant couchée comme le corps, mais en faisant de
bonnes actions, des actes de miséricorde agréables à Dieu. Tel est le repos
véritable de l’âme, car cela conforte sa bonne santé et augmente sa force
et sa joie. Il est indubitable qu’il faut, les jours de fêtes, faire du bien
aussi au bétail, et a fortiori aux hommes. Le Seigneur n’interdit pas de
prendre soin, les jours de fêtes, du b œ u f et de l’âne, de les délier et de
les amener à l’abreuvoir, mais II ordonne a fortiori de faire du bien aux
hommes. Tel est le sens de la célébration du septième jour, tel était l’e sprit
de la loi divine. D ans leurs ténèbres spirituelles et leur déchéance morale,
les chefs religieux juifs n’étaient plus capables que de regarder la lettre
de la loi, et de la vénérer. Ainsi, au lieu d ’être un guide sur le chemin
638 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
qui arrivaient par lui. À peine une action magnifique était-elle accomplie
et annoncée qu’une autre se produisait, puis une autre encore, et ainsi de
suite. U n miracle venait en confirmer un autre ; chacun d eux tém oignait
de l’authenticité du précédent ; et tous ces miracles ensemble suscitaient
la joie au milieu de ceux qui en étaient privés et apportaient l’espérance au
milieu de ceux qui en étaient dépourvus, confortant la foi de ceux qui en
avaient peu, fortifiant ceux qui étaient sur le chemin du bien, dissuadant
les égarés de continuer à errer et encourageant de tous côtés les hommes
à parler entre eux et à proclamer que D ieu avait rendu visite à Son peuple
et que le Royaume de Dieu était proche.
L’évangile de ce jour est suffisamment édifiant, même si on le lit de
façon superficielle ; mais il contient aussi une portée intérieure extrême
m ent instructive pour notre vie spirituelle. La femme courbée représente
l’esprit courbé de tous ceux qui ne se tiennent pas près du C hrist Seigneur.
Ayant un esprit courbé, l’hom me ne peut avec ses propres forces se
redresser vers D ieu et le ciel ; il ne cesse de ram per sur la terre, se nourris
sant de la terre, s’instruisant dans la terre et faisant tristem ent la fête avec
elle. U n esprit courbé est en même temps un esprit étroit et limité, car
il s’est rendu dépendant des sens; il ne croit qu’aux sens; il recherche ses
origines parmi les animaux ; il recherche son plaisir dans la nourriture et la
boisson, il ne connaît pas Dieu, le m onde spirituel et la vie éternelle ; il ne
connaît donc pas la joie supérieure, céleste ; il est désespéré, peureux, plein
de tourm ents, de tristesse et de méchanceté. Le Seigneur Jésus appelle
à Lui un tel esprit, afin de le redresser, de l’éduquer et de lui donner de
la joie. S’il vient rapidem ent à Lui comme cette femme courbée, il se
redressera vraiment, sera instruit et rempli de joie, louant et glorifiant
Dieu de toutes ses forces. M ais s’il ne s’approche pas de Lui, il sombrera
com plètem ent et mourra dans son péché, comme le Seigneur l’avait
dit aux Juifs incrédules: Vous mourrez dans votre péché (Jn 8, 21). C ’e st
ce qui se produit avec les esprits sensoriels, terrestres, courbés jusqu’au
sol, ram pant par terre. M ais la situation riest pas meilleure en ce qui
concerne les esprits pusillanimes et affaiblis par le péché, qui ne croient
pas que ce qu’ils tiennent pour la vérité est la vérité et qui n’o nt pas la
force de se débarrasser du mensonge et d ’adhérer à la Vérité. E t quand ils
entendent l’appel de la Vérité, ils trouvent aussitôt un prétexte en disant :
aujourd’hui, c’est le sabbat, je ne peux pas, tu ne m’as pas invité le bon
jour! O u : ton invitation est sèche, je ne peux pas, tu aurais dû m’inviter
en utilisant d’autres mots! O u : je suis jeune et exubérant, je ne peux pas,
640 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
enfants à ce sujet et les y exercent, ce que font non seulement les parents
pieux mais aussi ceux ‘qui n’o nt pas la foi ?
N on, cela n’est pas du tout dérisoire ; cela est sublime. C ’est l’amour
très altruiste des parents qui les pousse à enseigner la reconnaissance à
leurs enfants. Pourquoi ? Pour le bien des enfants ; pour qu’ils se déve
loppent comme des fruits doux et non comme des épines sauvages ; pour
que les enfants se sentent bien au cours de leur vie parmi les hommes,
parmi les amis et les ennemis, dans le village et en ville, au pouvoir et
dans le commerce. C ar partout un hom m e reconnaissant est estimé, aimé,
invité, aidé et entouré d ’affection. Celui qui apprend à être reconnaissant,
apprend aussi à être miséricordieux. E t l’hom m e miséricordieux évolue
plus librement dans ce monde.
D em andons-nous m aintenant pourquoi Dieu réclame de la reconnais
sance aux hom mes ? Pourquoi a-t-Il demandé à Noé, M oïse, Abraham
et aux autres ancêtres de Lui apporter des sacrifices de reconnaissance
(G n 8,20 ; 12,7-8 ; 35,1 ; Lv 3,1) ? Pourquoi le Seigneur Jésus m ontrait-
il quotidiennem ent au monde com m ent il faut rendre grâces à Dieu
(M t 11,25 ; 14,19 ; 26,26-27) ? Pourquoi les saints apôtres agissaient-ils
de même (Ac 2, 47 ; 27, 35) en ordonnant à tous les fidèles de rendre
grâces à Dieu en tout et pour tout (Ep 5, 20, Col 3, 17)? E st-il dérai
sonnable que le grand Isaïe s’écrie : Je vais célébrer les grâces du Seigneur,
les louanges du Seigneur, pour tout ce que le Seigneur a accompli pour nous,
pour l ’abondance de Ses grâces (Is 63, 7)? O u ce que le tendre Psalmiste
conseille à sa propre âme : Bénis le Seigneur, mon âme, et n'oublie aucun de
Ses bienfaits (Ps 103, 2) ? Pourquoi donc le Seigneur dem ande-t-Il de la
reconnaissance aux hom m es? E t pourquoi les hom m es Lui rendent-ils
grâces? C ’est à cause de Son amour infini envers les hom m es que Dieu
leur demande de la reconnaissance. La reconnaissance des hommes ne
rendra D ieu ni plus grand, ni plus fort, ni plus glorieux, ni plus riche,
ni plus vivant, mais elle rendra les hom mes plus grands, plus forts, plus
glorieux, plus riches et plus vivants. La reconnaissance hum aine n’appor
tera rien à la paix et à la joie de Dieu, mais elle apportera beaucoup à la
paix et à la joie des hommes. La reconnaissance envers Dieu ne changera
en rien la situation et la personne de Dieu, mais elle changera la situation
et la personne humaine. Dieu n’a pas besoin personnellem ent de notre
reconnaissance, de même qu’il n’a pas besoin de notre prière. M ais c’est
le même Seigneur qui a dit : votre Père sait bien ce qu’il vousfaut, avant que
vous Le lui demandiez (M t 6, 8), qui a aussi recommandé qu'ilfallait prier
HOMÉLIE POUR LE VINGT-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 643
sans cesse et ne pas se décourager (Le 18, 1). Ainsi, même si Dieu n’a pas
besoin de nos prières, Il nous ordonne néanmoins de Lui adresser nos
prières. Il exige de notre part de la reconnaissance, qui n’est qu’une forme
de prière, de prière de remerciement. C ar la reconnaissance envers Dieu
élève les mortels que nous sommes au-dessus de la pourriture de la mort,
nous délie de ce dont nous devons tous nous libérer, que nous le voulions
ou non, et nous rattache au Dieu vivant et imm ortel, ‘dans le voisinage
duquel nous ne serons jamais dans l’éternité si nous ne nous lions pas à
Lui dans cette vie. La reconnaissance donne de l’élan à la miséricorde
dans le m onde et rafraîchit toute vertu. D ’ailleurs le langage hum ain
ne peut, même de loin, représenter ni la beauté de la reconnaissance ni
la laideur de l’ingratitude aussi clairem ent que cela est représenté dans
l’évangile de ce jour.
A Son entrée dans un village, dix lépreux vinrent à Sa rencontre et
s'arrêtèrent à distance; ils élevèrent la voix et dirent: «Jésus, Maître, aie pitié
de nous» (Le 17,12-13) ! Dix lépreux! Voir un lépreux est terrible, que dire
de dix d’entre eux ! Leur corps était recouvert de la tête aux pieds, d’abord
de boutons blancs, puis de croûtes blanches purulentes, qui commencent
par démanger avant de brûler comme le feu! Le corps finissait par se
décomposer! U n corps où le pus était plus im portant que le sang! Un
corps où la puanteur était à l’extérieur comme à l’intérieur! Tel était le
lépreux. Q uand la lèpre envahit le nez, la bouche et les yeux, on ne peut
que s’interroger sur l’air qu’o n respire à travers le pus et la nourriture qu’o n
absorbe avec le pus, et le monde qu’on aperçoit à travers le pus.
Selon la loi de M oïse, il était interdit à un lépreux d’avoir quelque
contact que ce soit avec les autres hommes. D ’ailleurs, de nos jours, il en
est encore ainsi dans les contrées où la lèpre existe. Afin que nul n’entre
en contact avec un lépreux, celui-ci devait crier de loin : « Im pur ! Im pur ! »
M o t à mot, voici ce qui est écrit dans la loi : Le lépreux atteint de ce mal
portera ses vêtements déchirés et ses cheveux dénoués ; il se couvrira la moustache
et il criera: «Impur! Im pur!» (Lv 13, 45). Les vêtements déchirés - afin
que la lèpre se voie sur le corps ; Les cheveux dénoués —afin qu’o n voit
qu’il est lépreux, car avec cette maladie les cheveux deviennent blancs
et tom bent; la bouche couverte, ce qui était un signe de reconnaissance
pour les passants; et par-dessus tout, ils devaient encore crier: «Im pur!
Im pur!» Ils étaient chassés des villes et des villages, vivant plus misé
rablem ent que le bétail, repoussés, méprisés, oubliés. L’impur, dit la loi,
demeurera à part; sa demeure sera hors du camp (Lv 13, 46). Les impurs
644 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
étaient considérés comme morts, bien que leur destin fût plus terrible
que la mort.
Un jour, c’est à côté de dix de ces êtres déguenillés et puants que passa
le Seigneur Jésus, source de la santé, de la beauté et de la puissance. Q uand
les lépreux apprirent qu’il s’agissait de Lui, ils s’écrièrent : «Jésus, Maître,
aie p itié de nous!» C om m ent ces malheureux pouvaient-ils connaître le
C hrist et savoir qu’il pouvait les aider, s’ils n’avaient pas de contact avec
les hommes ? Assurém ent quelqu’un en leur jetant du pain de la route,
a pu leur annoncer cette nouvelle. D e même ont-ils pu entendre parler,
de loin, de la seule nouvelle au m onde qui pût les intéresser. Tout ce qui
se passait dans le monde - changements de monarques et batailles entre
les peuples, constructions de villes et leurs destructions, fêtes populaires,
incendies et trem blements de terre - , tout cela leur était indifférent. Tout
couverts de pus, ils ne pouvaient songer qu’à leur tenue maudite et à celui
qui leur perm ettrait de l’enlever et de revêtir une tenue propre. Ayant
entendu parler du Seigneur Jésus comme Guérisseur tout-puissant, ils
avaient certainem ent entendu parler des cas de guérisons de lépreux
comme eux (Le 5, 12-13). Aussi étaient-ils im patients d ’avoir la bonne
fortune de rencontrer le Seigneur. Q uelque part au bord de la plaine de
Galilée, où la route commence à s’é lever le long des m onts de la Samarie,
ils attendaient Sa venue. Il passa par là en allant à Jérusalem. Une heureuse
occasion se présenta ainsi, non par hasard, mais voulue par Dieu ! Ils le
regardaient m archant avec Ses disciples. E t Le voyant, ils s’écrièrent:
«Jésus, Maître, aie p itié de nous». Pourquoi l’appellent-ils M aître? Parce
que ce terme revêt plus de dignité et de portée que celui d ’instructeur. Le
M aître est un terme qui s’applique non seulement à un instructeur mais
aussi à un directeur spirituel qui, par la parole, l’exemple et l’attention,
conduit les hom mes sur la voie du salut. M ais pourquoi ne L’appellent-ils
pas «Seigneur», nom qui revêt encore plus de dignité et de signification
que celui de M aître ? Certainem ent parce qu’ils n’o nt pas encore reconnu
cette dignité du Christ.
A cette vue, I l leur dit: «Allez vous montrer aux prêtres». E t il advint,
comme ils y allaient, qu’ilsfu ren t purifiés (Le 17, 14). Lors d ’une guérison
précédente d’un lépreux, le Seigneur toucha de la m ain un lépreux et lui
dit: «Je le veux, sois purifié.» E t aussitôt la lèpre le quitta (Le 5, 13). O r
dans le cas de l’évangile de ce jour, non seulement II ne toucha pas les
lépreux, mais ne se trouva même pas à côté d ’eux. C ar ils se tenaient au
loin et criaient vers Lui. Pourquoi le Seigneur les adresse-t-Il aux prêtres ?
HOMÉLIE POUR LE VINGT-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 645
Parce que les prêtres avaient le devoir d ’annoncer les lépreux comme
impurs et de les expulser de la société ; de même qu’ils proclamaient que
ceux qui étaient guéris étaient purs et en bonne santé, leur perm ettant
de revenir dans la société des hom mes (Lv 13, 34-44). Le Seigneur ne
va pas à l’encontre de la loi, et ce d’autant plus que la loi n’a pas contrarié
Son œuvre, mais au contraire y a contribué, puisque les prêtres ont
l’occasion de se rendre compte que les dix lépreux ont retrouvé la santé,
et en portent témoignage. Après avoir entendu ce que le Seigneur leur
disait, les dix lépreux se m irent en route vers leur village. M ais voilà qu’en
m archant, ils s’aperçurent qu’ils n’avaient plus la lèpre. E t il advint, comme
ils y allaient, qu’ilsfu ren t purifiés. Leurs corps étaient blancs et propres ; ils
se regardèrent les uns les autres et virent que tous étaient en bonne santé.
Les croûtes, le pus et la puanteur - tout avait disparu, de sorte qu’il n’y
avait plus de marque sur eux.
Q ui pourrait dire que ce miracle du C hrist n’est pas plus grand que
la résurrection des morts ? Réfléchissons un peu là-dessus : grâce à une
seule parole forte, dix corps humains ostracisés, ravagés par la lèpre, se
retrouvent soudain en bonne santé et propres ! E t en y réfléchissant, on
découvrira facilement qu’en vérité une telle parole ne pouvait venir d’un
hom m e mortel ! C ette parole a dû être prononcée par Dieu, par l’inter
médiaire du corps charnel d’un m ortel ! Une bouche humaine a, il est vrai,
prononcé cette parole, mais celle-ci provenait de la même profondeur
d’où est issu le com m andem ent de créer le monde, ce qui a entraîné la
création du monde. M ais il y a parole et parole. Il y a des paroles pures
et sans péché, qui sont de ce fait puissantes. Ces paroles proviennent de
Celui qui est la source de l’amour éternel. Devant ces paroles s’o uvrent les
portes de tout : les choses, les hommes, les maladies et les esprits leur sont
soumis. M ais il y a aussi des paroles abruties et paralysées par le péché,
qui n’ont pas plus d ’e ffet que le sifflement du vent dans les roseaux creux;
et quelle que soit l’ampleur de ces invocations verbales, elles restent aussi
efficaces que le contact de la fumée sur une porte de fer. M ais songez
seulement au réconfort incomparable que nous avons, nous qui savons
dans quel Seigneur puissant et philanthrope nous croyons ! Tout ce qu’a
voulu le Seigneur, I l l ’afa it dans les deux et sur la terre (Ps 134, 6). Il est le
maître de la vie, Il a autorité sur les maladies, Il commande la nature, Il a
vaincu la mort. Nous n’avons pas été créés par une nature sans pensée ni
conscience, mais par Lui, le Très-sage. Nous ne sommes pas esclaves des
lois naturelles, mais les serviteurs du D ieu vivant et ami-des-hommes.
646 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Nous ne sommes pas des fruits du hasard, mais les créatures de Celui
qui a créé également nos frères aînés, les anges et les archanges, et toute
l’armée céleste et immortelle. Si nous affrontons des souffrances en ce
m onde, Il sait le sens et le but de nos souffrances ; si nous sommes rongés
par le péché, Sa parole est plus puissante que toute lèpre, physique ou
spirituelle; si nous sommes en train de nous noyer, Sa main salvatrice
est près de nous ; et si nous sommes en train de mourir, Il nous attend de
l’autre côté de la tombe.
M ais revenons au récit évangélique sur la guérison de ces lépreux et
regardons l’image de la reconnaissance et de l’ingratitude que cette scène
nous fournit. Q ue firent donc ces lépreux quand ils s’aperçurent qu’ils
avaient été guéris ? U n seul d’entre eux revint exprimer sa reconnaissance
au C hrist, mais les neuf autres poursuivirent leur chem in sans se préoc
cuper davantage de leur bienfaiteur et sauveur.
L ’un d ’entre eux, voyant qu’il avait étépurifié, revint sur ses pas en glori
fia n t Dieu à haute voix et se prosterna aux pieds de Jésus, en Le remerciant.
E t c’é tait un Samaritain (Le 17,15-16). C et hom me reconnaissant voyant
qu’une grave maladie s’était détachée de lui, fut soulagé spirituellement
comme si un nœ ud de vipères était tombé de lui ; sa première pensée fut
de remercier son sauveur qui l’avait sorti d ’une misère indicible. E t de
même qu’il avait tout à l’heure élevé sa voix étouffée et crié de sa bouche
couverte de pus: «Jésus, Maître, aie p itié de nous», le voilà m aintenant
élevant sa voix forte, surgie de sa poitrine saine et de sa bouche en bonne
santé, pour remercier D ieu de toutes ses forces. M ais cela ne lui suffit pas ;
il revient en arrière en quête de son bienfaiteur, afin de Lui exprimer sa
reconnaissance. Arrivé devant le Christ, il se prosterne devant Lui, non
plus sur des genoux blessés et douloureux, mais sur des genoux sains, et
se m et à Le remercier. Le corps en bonne santé, le cœur plein de joie, les
yeux en larmes ! Voilà un hom me véritable. Tout à l’heure, c’était un amas
puant, le voilà m aintenant de nouveau un hom me ! T out à l’heure, déchet
refoulé de la vie hum aine, le voilà de nouveau membre digne de la société
des hommes ! Tout à l’heure, une trom pette triste d ’o ù ne sortait qu’un
seul m ot: «Im pur! Im pur!», et m aintenant une trom pette joyeuse louant
et glorifiant Dieu !
C e seul hom me reconnaissant n’é tait pas un Juif, mais un Samaritain.
Les Samaritains, qui n’étaient pas des Juifs, étaient soit de purs Assyriens
soit un mélange d’Assyriens et de Juifs. C ’étaient ces Assyriens que le
roi d ’Assyrie, Salmanasar, avait établi dans la Samarie soumise, après
HOMÉLIE POUR LE VINGT-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 647
qu’il eût auparavant déporté en Assyrie les Juifs de cette région (2 R 17,
3-6, 24). Le fait que cet hom me reconnaissant fut un pur Assyrien se
reflète dans le terme d 'étranger utilisé par le Seigneur Jésus à son égard :
Prenant la parole, Jésus dit: «Est-ce que les dix n’o nt pas été purifiés? Les
neuf autres, où sont-ils ? I l ne s’est trouvé, pour revenir rendre gloire à Dieu,
que cet étranger!» (Le 17, 17-18). Entendez-vous comme le Seigneur
réprimande gentim ent ces ingrats ? Il s’inquiète seulement de savoir s’ils
ont été eux aussi guéris et pourquoi ils ne sont pas revenus pour rendre
grâce. Ce n’est pas pas parce qu’il ne sait pas qu’il demande s’ils ont tous
été guéris ; Il savait qu’ils seraient guéris avant même de les rencontrer et
de les voir. Il pose cette question comme une réprimande, mais comme
une réprimande bienveillante. Q uand l’un de nous donne une aumône
à un pauvre, il proteste si ce dernier ne se montre pas reconnaissant.
Songez seulement comme chacun de nous serait en colère s’il était en
mesure de guérir neuf malades et que ceux-ci ne le remercient pas pour
ce service inestimable ! Com m e les journées regorgent de cris contre les
ingrats ! Toute l’atmosphère terrestre est lourde de haines et de malédic
tions déversées du m atin au soir par les hommes contre ceux qui se sont
montrés ingrats à leur égard ! M ais que ces actions hum aines sont infimes
par rapport aux bienfaits que Dieu accorde aux hommes, sans se lasser
et sans cesse, du berceau jusqu’au tombeau ! Pourtant Dieu ne crie pas,
ne gronde pas, ne m audit pas les ingrats ; Il ne fait que les réprimander
gentim ent en dem andant à ceux qui Le vénèrent chez eux ou à l’église : où
sont mes autres enfants ? N ’ai-je pas donné la santé à des milliers d ’entre
vous ? or vous n’êtes que quelques dizaines à prier... N ’ai-je pas réchauffé
des millions avec le soleil, et vous n’ê tes que quelques centaines à en être
reconnaissants ? N ’ai-je pas couvert les champs de moissons et n’ai-je pas
rempli toutes les bergeries? et vous n’êtes que quelques-uns à genoux
devant moi pour me remercier... O ù sont mes autres enfants? O ù sont
les puissants et les forts qui régnent sur les peuples avec ma force et mon
aide ? O ù sont ceux qui sont riches et ont réussi, qui se sont enrichis grâce
à ma richesse et ont réussi grâce à m a miséricorde ? O ù sont ceux qui sont
en bonne santé et pleins de joie, qui se imprégnés de la santé et de la joie
puisées à ma source ? O ù sont les parents dont j ’aide les enfants à grandir
et à se fortifier? O ù sont les maîtres dont je complète la sagesse et les
connaissances? O ù sont les nombreux malades que j ’ai guéris? O ù sont
les nombreux pécheurs et pécheresses dont j ’ai purifié l’âme comme s’ils
avaient eu la lèpre ?
648 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
II ne s'est trouvé [...] que cet étranger! Lui seul est revenu pour rendre
grâce. M ais y a-t-il quelqu’un d ’étranger pour le C hrist ? N ’est-Il pas venu
pour sauver tous les hommes et pas seulement les Juifs ? Les Juifs s’é taient
loués d ’avoir été choisis par D ieu et de très bien connaître Dieu, devant
tous les autres peuples de la terre. M ais voilà un exemple qui montre
leur étroitesse d ’e sprit et l’endurcissement de leur cœur! Un Assyrien,
un païen, possède un esprit plus éclairé et un cœur plus généreux que
les Juifs fanfarons. Hélas, la même histoire se répète aujourd’hui, où il
arrive que des païens possèdent un esprit plus ouvert et un cœur plus
reconnaissant envers Dieu que de très nombreux chrétiens. D e très
nombreux musulmans, bouddhistes ou parsis, pourraient rendre honteux
de nombreux chrétiens par la ferveur de leurs prières à Dieu et la chaleur
de leur reconnaissance à Son égard.
Le récit de l’évangile de ce jour se termine par ces mots du Sauveur
adressés au Samaritain miséricordieux: E t II lui dit: «Relève-toi, va; ta
fo i t ’a sauvé» (L cl7 , 19). Voyez comme le Seigneur est grand dans Son
humilité comme dans Sa douceur! C ’est une joie pour Lui de dire que
les hommes sont Ses compagnons dans Ses grandes et bonnes œuvres. Il
souhaite ainsi relever la dignité du genre hum ain humilié et déchu. Placé
au-dessus de la vanité et de l’orgueil des hommes, Il souhaite partager
Ses mérites avec les autres, Sa richesse avec les pauvres, Sa gloire avec les
misérables et les affligés. Ta fo i t'a sauvé! E n vérité, ce Samaritain avait
la foi, comme les neuf autres lépreux ; car s’ils n’avaient pas cru dans la
puissance du Seigneur, ils ne se seraient pas écriés : Jésus, aie p itié de nous!
M ais à quoi leur servait leur foi? Ils auraient pu, avec cette même foi,
crier aux milliers de médecins sur la terre : ayez pitié de nous et guérissez-
nous! M ais tout cela aurait été vain. Supposons toutefois qu’un de ces
médecins les ait guéris. Pensez-vous qu’il aurait imputé cette guérison à
la foi du malade et non à lui-même, exclusivement à lui-mêm e et à ses
capacités? N ’est-ce pas l’habitude des médecins mortels sur cette terre,
de passer sous silence un quelconque m érite du malade dans sa guérison,
afin de m ettre en avant encore plus fortem ent et plus exclusivement leur
rôle et leurs mérites propres ? C ’est ainsi que les hom m es se com portent
entre eux. M ais le C hrist Seigneur se comporte différemment envers
les hommes. Le C hrist a déposé Son chargement de blé, tandis que
le Samaritain lépreux a jeté son propre grain dans ce chargement. Le
chargement de blé du C hrist, c’est Sa puissance et Son pouvoir divins,
alors que le grain du lépreux, c’est sa foi en Christ. Le C hrist véritable
HOMÉLIE POUR LE VINGT-NEUVIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 649
cet épithète aux chefs du peuple, aux chefs religieux et aux scribes, qui
avaient des yeux mais n’o nt rien vu (M t 13, 15). Celui qui est aveugle
charnellement est aveugle dans le temps et dans ce m onde-ci ; mais celui
qui est aveugle en esprit est aveugle dans les deux mondes, celui-ci et
l’autre, dans le temps et l’éternité. La cécité physique n’e st que le pâle reflet
de la cécité spirituelle, et une mise en garde claire aux aveugles spirituels,
qui ne voient pas D ieu ni le Royaume céleste, pour qu’ils se ressaisissent
et se soignent quand il en est encore temps. A travers la cécité physique,
D ieu souhaite révéler la cécité des aveugles en esprit. La cécité n’arrive
pas aux hommes de Dieu, mais comme toutes les autres tares et maladies,
elle vient du péché hum ain. E n effet, s’il n’y avait pas de cécité spirituelle
chez les hommes, tous les aveugles physiques se m ettraient à voir aussitôt.
M ais tant qu’il y a des aveugles en esprit, qui ne voient pas Dieu en esprit,
D ieu représentera leur cécité sur les yeux clos des aveugles physiques.
S’il n’y avait pas de sourds ni de muets en esprit parm i les hommes, en
un instant tous les sourds entendraient et les muets parleraient. M ais tant
qu’il y aura des hom m es n’ayant pas d ’o reille pour entendre la loi de Dieu
ni de bouche pour parler de la grandeur et de la gloire de Dieu, Dieu aura
recours aux sourds physiques et aux muets physiques pour exprimer la
surdité et “le m utisme spirituel des premiers.
S’il n’y avait pas de lèpre spirituelle, de tuberculose, de paralysie, de
fièvre ni d ’autres maladies de l’e sprit, tous ceux qui souffrent physique
m ent de ces maux seraient instantaném ent guéris de ces maladies qui se
m anifestent dans le corps parce que l’esprit malade les pousse à se m ani
fester et à m ontrer l’état où il se trouve. Tant que ces maux subsisteront
dans l’e sprit de l’hom me, ces maladies apparaîtront dans le corps humain.
Ainsi, la cécité physique revêt un sens spirituel profond et ne s’explique
que par l’enseignement spirituel. Celui qui ne connaît pas l’enseignement
spirituel, ne sait ni ne peut apprendre en dehors de cet enseignement,
l’origine de la cécité physique, de la surdité, ‘du mutisme et de toutes les
autres maladies et infortunes du corps humain. Un tel hom m e ne pourra
que rester bouche bée devant un aveugle, être plein de compassion et se
dire : Dieu merci, je ne suis pas aveugle ! M ais qui te dit que tu n’es pas
aveugle ? E t pourquoi plains-tu celui qui a été envoyé par la Providence
mystérieuse pour être à tes côtés, par compassion à ton égard ? Si tu n’é tais
pas aveugle spirituellement, un aveugle ne se serait même pas montré
près de toi. O r il s’est manifesté comme le diagnostic vivant de ta maladie,
de ta cécité intérieure. Si cet aveugle n’a suscité que de la compassion chez
654 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
toi - ce qui t ’a poussé à lui donner l’aumône - , alors ni toi ni lui n’avez
bien tenu votre rôle. Le rôle de cet aveugle, lors de votre rencontre, était,
grâce à sa cécité extérieure, de te m ontrer ta cécité intérieure ; quant à toi,
ton rôle était de bien t ’imprégner de cet enseignement, de te préoccuper
de ta propre cécité et de te dépêcher de guérir de cette cécité de l’e sprit.
M ais te dépêcher pour aller où? Vers qui? Q ui est le médecin des
aveugles dans ce monde ? Aucun être mortel. Seul Celui qui a créé la vue
spirituelle et physique est en mesure de guérir la cécité, tant spirituelle
que physique.
M ais pourquoi, te dem anderas-tu, le Seigneur Jésus, dès lors qu’il avait
le pouvoir de guérir les aveugles, n’a -t-Il pas guéri tous les aveugles sur
la terre ? M ais com m ent alors la cécité spirituelle des hommes aurait-elle
été évidente ? Q uel intérêt y aurait-il eu à écrire des livres sur la cécité
spirituelle si les hommes peinent à tirer des leçons des aveugles vivants
qu’ils voient devant eux ? Tant que subsistera la cécité spirituelle, la cécité
physique demeurera.
Considérons m aintenant l'évangile de ce jour, où nous verrons pour
quoi le Seigneur Jésus a guéri précisément ceux qu’il a guéris, et eux
seulement.
Or il advint, commeil approchait de Jéricho, qu'un aveugle était assis au
bord du chemin et mendiait (Le 18, 35). Le Seigneur Jésus qui se rendait
de Galilée à Jérusalem, se trouvait sur une route longeant la vallée du
Jourdain, à proximité de Jéricho. Cela devait être Sa dernière visite à
cette ville. La première avait eu lieu quelque trois ans auparavant, quand
le Seigneur était apparu avec la foule, au bord du Jourdain, pour être
baptisé par Jean le Précurseur. Quelle différence y avait-il entre cette
visite et celle-ci ? À l’é poque, le Seigneur m archait au milieu de la masse
populaire, encore inconnu; nul dans cette foule enthousiasmée par
Jean, ne L’avait remarqué, Lui qui était plus grand que Jean, jusqu’au
m om ent où Jean Le désigna du doigt en disant: Voici l'Agneau de Dieu!
et: C ’est lui (Jn 1, 29-30). M aintenant, Ses disciples L’accompagnaient
ainsi qu’une foule considérable (M c 10,46); l’écho de Sa renommée était
même parvenu jusqu’aux aveugles de Jéricho. À l’é poque, Il venait à peine
de commencer Sa mission divine, m aintenant II s’approchait du terme
sanglant et victorieux de cette mission.
E n apparence, tout se déroulait quasi fortuitem ent dans la vie du
C hrist, mais en fait tout suivait - jusqu’aux moindres détails - le plan de
Dieu conçu pour le salut de l’homme.
HOMÉLIE POUR LE TRENTE-ET-UNIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 655
le faire taire de ceux qui, au plus fort de leur générosité, ne pouvaient lui
donner que quelques maigres pièces ; il continuait à implorer Celui qui
pouvait lui donner ce que Dieu seul accorde. Jésus, aie p itié de moi!
Hélas, de telles scènes se répètent encore aujourd’hui à de très
nombreuses reprises. Nombreux sont ceux qui veulent s’approcher
du Seigneur Jésus, mais en sont empêchés par ceux qui sont dans les
premiers rangs - dirigeants politiques, chefs spirituels, écrivains - , et
nombre de ceux qui crient vers le C hrist, sont raillés et réduits au silence.
Des hommes ordinaires et pauvres, dont le cœur n’a pas été endurci
par la méchanceté et les vices, souffrent pour s’approcher du C hrist et
crient Son N om , tandis que ceux qui ont perdu le sens de l’o rientation
et se sont égarés dans les buissons épineux de ce m onde, les menacent
et les repoussent loin du Christ. Ce qui se passe avec certains individus,
se produit avec des peuples entiers. Des masses populaires dans toute
l’Europe, crient aujourd’hui le N om du C hrist comme étant le seul guide
visionnaire et sauveur, tandis que ceux qui dirigent les peuples européens
se m oquent d ’eux, les réduisent au silence et vont parfois jusqu’à interdire
au peuple de prononcer Son Nom saint et salvateur. Ceux qui marchaient
devant et voulaient faire taire l’aveugle Bartimée, étaient en fait plus
aveugles que lui-m êm e, de même que la plupart des dirigeants politiques,
des écrivains et de ceux qui prétendent éduquer le peuple en Europe sont
plus aveugles que les paysans européens. C ’est ainsi que se vérifient encore
aujourd’hui ces paroles du C hrist: ceux qui ne voient pas voient et ceux qui
voient deviennent aveugles.
M ais voyez quel merveilleux exemple de persévérance dans la foi
donne à nous tous l’aveugle Bartim ée! O n le menace, mais il n’en a
cure. O n veut le faire taire, mais il crie de plus en plus fort. A quoi bon
faire attention à des roseaux secs, qui sont aveugles au-dedans comme
au-dehors ? Son âme assoiffée pressent qu’à travers le C hrist, coule le
torrent d’une vie fraîche et parfaite ; il pressent que ce Jésus, dont il a
tellem ent entendu parler et au sujet duquel il a tant réfléchi, porte le ciel
dans Sa tête, la sagesse sur les lèvres, la miséricorde dans le cœur et la
santé dans les mains. Q ue représentent, à côté du Jésus source-de-vie,
tous les pharisiens, les grands-prêtres et les scribes, qui tirent vanité
de leur savoir séculier et se cham aillent à propos de livres et d ’idées?
Des roseaux secs qui tintent dans le vide; des ossements morts qui
grincent en se frottant les uns contre les autres ! Avec tout leur savoir,
sagesse, pouvoir et vanité, ils ne peuvent donner à l’aveugle désespéré
658 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
qu’il est, rien de plus que quelques pièces de m onnaie sales et d ’origine
douteuse. Ils le m enacent du poing et veulent le faire taire, alors que
le Sage véritable, le véritable A m i-des-hom m es et M édecin véritable,
daigne fouler de Ses pieds la poussière de la route qui tom be sur les trous
béants des anciens yeux de Bartimée. D oit-il les écouter en cette heure
fatidique ? D oit-il s’effrayer du bruit des roseaux secs et du claquement
d ’ossements m orts? N on, à aucun prix, Bartim ée! M ieux vaut rendre
l’âme sous leurs coups que de rester au bord de la route et dépendre
de leurs pièces de m onnaie. À aucun prix, ô Bartimée, tu ne dois être
effrayé par ceux qui se dressent entre toi et le Christ, dussent-ils porter
des couronnes royales sur la tête, des m atraques en fer dans les mains
ou tout le savoir de ce m onde dans leur tête. Car, à côté du C hrist, ils
ne sont tous que des roseaux secs et des os morts. Eux-m êm es ne voient
rien, pas plus qu’ils ne peuvent perm ettre de voir; ils n’ont pas de vie
en eux, ni ne peuvent en donner ; eux-mêmes ne connaissent rien et ne
peuvent rien t ’apprendre. Chrétien, persévère dans ton cri vers le Christ,
comme l’aveugle Bartim ée ! Crie, crie de plus en plus fort, jusqu’à ce
qu’il t ’entende. Q u ’on te menace, que les aveugles en esprit se m oquent
de toi, que bruissent les roseaux secs, que grincent les os m orts - toi,
persévère dans ton cri : Jésus, aie pitié' de moi!
E n vérité, l’aveugle Bartimée n’était pas aveugle dans son esprit. Sa foi
forte et irrésistible dans le Seigneur Jésus donnait la vue à son esprit. C ’est
en esprit qu’il regardait et voyait Dieu, bien que ses yeux physiques ne lui
perm issent pas de voir les créatures de Dieu. Il regardait et voyait ce qui
est essentiel, ce qui est fort, immuable, immortel, incorruptible et toujours
vivant et plein de joie. Ceux qui s’efforçaient de le faire taire étaient des
aveugles véritables et inguérissables. C ’est en vain qu’ils couraient devant
le C hrist comme Son avant-garde : ils étaient plus aveugles que Bartimée,
car ils ne savaient pas devant Q ui ils couraient et Q ui m archait derrière
eux. Quelle terrible et magnifique leçon pour les prêtres du C hrist de
nos jours, pour ceux qui m archent devant et dirigent la vie spirituelle du
peuple ! Q u ’ils regardent au fond de leur âme et s’interrogent eux-mêmes
s’ils sont en vérité plus visionnaires que cet aveugle nom m é Bartimée, qui
avec ses yeux ne pouvait voir ni les arbres, ni les pierres, ni les animaux, ni
les morts, mais qui en esprit regardait Dieu, regardait et voyait la divinité
du C hrist Seigneur? Est-ce que certains d’entre eux ne ressemblent pas
beaucoup à ceux qui m archaient devant, quand eux-mêmes menacent
des hommes véritablement croyants, quand ils se m oquent des âmes
HOMÉLIE POUR LE TRENTE-ET- UNIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 659
humaines qui crient vers le C hrist vivant, quand ils réduisent au silence
et réprim ent de vrais fidèles ?
Le Seigneur Jésus finit par s’approcher, entendit les cris de l’aveugle
Bartim ée et vit ceux qui le m enaçaient. Jésus s’arrêta et ordonna de le L ui
amener (Le 18, 40). Des milliers de gens étaient passés à côté de cet
aveugle désespéré, ne s’étaient pas arrêtés et n’avaient pas eu pitié, lui
ordonnant même de se taire, afin de ne pas im portuner leurs oreilles.
M ais Jésus le vit et s’arrêta. C om m ent ne pas s’arrêter devant un aveugle,
qui est un hom m e aussi, alors que L ui-m êm e est venu en ce m onde
à cause des hom m es? C om m ent ne pas s’arrêter devant un hom m e
qui crie et implore Son aide, devant un hom m e bon, plein d ’une âme
visionnaire? Parce qu’il se dépêche d ’arriver à Jérusalem ? Là bas se
trouvent H érode, Pilate et Caïphe, des hom mes pires et plus aveugles
que ce Bartimée. Ce dernier implore son salut auprès de Lui, tandis que
ceux-là confectionnent la croix pour Lui. Il s’arrêta et ordonna à ceux
qui couraient im pitoyablem ent devant Lui de s’arrêter aussi et d ’avoir
pitié d ’un de leurs frères. A ujourd’hui de même, le Seigneur ordonne
rait de s’arrêter à tous ceux qui courent en quête du prétendu progrès
et, indifférents, laissent leurs frères pauvres qui sont dans le bourbier
près de la route du progrès, pleurer et crier en vain’. Pour Lui, l’hom m e
est plus grand que tout progrès hum ain, apparent et mensonger, que
toute civilisation, toute université, tous les livres, toute les machines. La
miséricorde est plus im portante que toutes les phrases d ’hom mes, que
toutes les créations hum aines, intellectuelles et matérielles. Ceux qui
courent devant se dirigent en se référant à de petites valeurs, le C hrist
se dirige toujours en se référant aux valeurs les plus élevées. Ceux qui
courent devant sont des hom mes d ’argent, qui amassent et répartissent
l’argent; le C hrist est le riche véritable qui porte et partage les plus
grands trésors.
L’évangéliste M arc rapporte qu’après que le C hrist eût ordonné de
faire venir l’aveugle, certains s’approchèrent de Bartimée et lui crièrent:
Aie confiance! Lève-toi, I l t ’appelle. E t lui, rejetant son manteau, bondit et
v in t à Jésus (Mc 10,49-50). O n voit ainsi que Bartimée, qui jusqu’alors se
tenait assis, avait crié, beaucoup crié, afin d’être entendu par le Christ. Il
semble qu’il avait été incapable de se lever avant d’être appelé, du fait de
son énorme ém otion et de sa crainte que le Christ passât près de lui sans
l’entendre. M ais m aintenant, sous l’effet de la joie d’ê tre appelé par Lùi, il
bondit, rejette son m anteau et vient à Jésus.
660 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Ces mots recèlent un sens plus profond; ils cachent en fait tout le
déroulem ent du salut de notre âme. Dans notre cécité spirituelle, nous
aussi, nous sommes assis dans la poussière de ce monde. E n ressentant
la proximité de Dieu, nous ressentons en même tem ps très doulou
reusem ent notre aveuglement dans le péché, notre impuissance, notre
impureté, notre futilité. Alors en larmes, nous commençons à implorer le
secours de Dieu, tout en étant toujours assis, car nous ne pouvons nous
élever au-dessus de la boue du péché, malgré toute notre haine du péché,
tant que nous n’avons pas senti que D ieu a entendu notre supplication
et y a répondu. Aie confiance! Lève-toi, I l t'appelle! Le pécheur qui vient
de s’éveiller a besoin d ’entendre ces mots avant de se relever du péché
et de s’approcher résolument de Dieu. C ar en ressentant la proximité
du Seigneur et son propre aveuglement dans le péché, le pécheur est
saisi par une peur indicible du Jugem ent de Dieu. Il est assis comme
paralysé, il tremble de peur et implore le secours de Dieu. Il a besoin
qu’o n lui dise d ’abord de ne pas avoir peur, puis de se lever du bourbier
de son impuissance et de son état de pécheur, avant que D ieu l’appelle.
Q ui va dire cela au pécheur qui vient de s’éveiller? C ’est l’Église. Elle
existe d’ailleurs pour cela, pour encourager les pécheurs qui viennent de
s’éveiller, les aider à se lever et les convaincre de la miséricorde de Dieu.
Elle est là, pour répondre à quiconque appelle Dieu à l’aide : A ie confiance!
Lève-toi, I l t ’appelle ! M ais pourquoi Bartimée a-t-il rejeté son manteau
avant de se lever et de s’approcher du C hrist? Ce geste revêt également
un sens profond : ce m anteau symbolise le tissu de péchés et de vices dont
est revêtue l’âme des pécheurs aveuglés. Ce m anteau de péchés et de vices
avait rendu leur âme aveugle, les em pêchant ainsi de voir Dieu ; lourd
comme le plomb, ce m anteau les empêche de se lever et de s’approcher de
Dieu. Ils doivent donc rejeter ce m anteau impur, lourd et opaque de leur
âme - c’est-à-dire qu’ils doivent d’abord rejeter tout péché d ’e ux-mêmes
- afin de pouvoir, alors seulement, venir près de Dieu.
Tout trem blant, telle une corde de violon, l’aveugle Bartimée s’approche
du Seigneur Jésus. Quand ilfu t près, I l lui demanda: «Que veux-tu que je
fasse pour toi?» «Seigneur, dit-il, que je recouvre la vue!» (Le 18, 40-41).
Pourquoi le C hrist dem ande-t-Il à cet aveugle ce qu’il souhaite, puisqu’il
le sait à l’avance? E n vérité, Il savait à l’avance non seulement ce que
l’aveugle souhaitait qu’il lui fît, mais II savait aussi, avant même d ’arriver
à Jéricho, que tout ce qui allait se produire ce jour-là allait se produire à
Jéricho. Lui qui avait prédit, quarante ans à l’avance, la destruction de
HOMÉLIE POUR LE TRENTE-ET-UNIÈM E DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 661
seule chose que vous pouvez faire. Ayez la foi et Dieu accomplira pour
vous ce que vous souhaitez, grâce à votre foi.
E t à l'instant même, il recouvra la vue et il le suivait en glorifiant Dieu / Dès
qu’il eut ouvert les yeux, Bartimée vit le Seigneur Jésus devant lui. Heureux
soit-il : en ouvrant les yeux, il a vu le sujet le plus digne d’être regardé ! Il
ne pouvait détourner ses yeux de Lui, de Sa beauté et de Sa noblesse;
comme cloué à Lui, il Le suivit. Q ue pouvait-il regarder d ’autre, en effet ?
La sale cité de Jéricho, son sombre lieu de souffrances? O u l’herbe qui
allait se faner? O u les nuages qui allaient se disperser? O u le bétail promis
à l’abattoir? O u les hommes qui se dépêchent de façon irrépressible vers la
tombe et la corruption ? O u tout ce monde bariolé qui naît dans la douleur,
vit dans la souffrance et m eurt dans la souffrance, dans l’attente de la fin
et du tombeau? Non, Bartimée dévisageait Jésus l’immortel, plus puissant
que le monde entier, plus fort que le tombeau et plus puissant que toutes
les forces infernales, et son regard était resté fixé sur Lui. Tout ce que l’œ il
peut voir dans le monde doit servir de repère en vue de la vision la plus
douce, la vision de Dieu. Si cela ne sert pas à cela, alors cela lui sert de jalon
sur la route des ténèbres spirituelles et de la déchéance ultime. Dès qu’il
put voir, Bartimée vit Dieu sans aucune médiation de la nature, et alors
il ne voulut plus regarder autre chose. Pourquoi regarder le visage de la
mort, quand il a vu Celui qui ne peut être corrompu ? Pourquoi regarder
l’éphémère quand il se tient aux côtés de l’Eternel ? Pourquoi s’o ccuper de
choses impuissantes de ce monde, quand il est accroché au Tout-puissant ?
E t il le suivait en glorifiant Dieu! Ses yeux dirigent dorénavant ses lèvres,
ses jambes, tout son corps et toute son âme. En voyant le C hrist vivant, il
sait m aintenant à quoi sa bouche doit servir : glorifier Dieu. E t il se m et à
glorifier et à louer Dieu. Ainsi Bartimée n’a pas utilisé ses yeux pour se livrer
à la débauche et tom ber dans la déchéance, mais à faire ce pour quoi Dieu
a donné des yeux à l’homme : voir la grandeur et la gloire de Dieu. E t toute
la multitude de gens qui était là et qui avait vu ce miracle glorieux, louait
Dieu. Le don que le Seigneur Jésus avait accordé à Bartimée se répandit
vite à beaucoup d ’autres, et un grand nombre de ceux qui doutaient et
étaient incrédules, aveuglés par la suspicion et l’incrédulité, ouvrirent leurs
yeux spirituels et se mirent à glorifier Dieu.
T out ce qui s’est produit avec l’aveugle Bartimée, se produit de nos
jours avec de nombreux aveugles quand ils ont recouvré leur vue spiri
tuelle. Ils se m ettent alors à suivre le C hrist et ne regardent nulle part
ailleurs. Ils louent D ieu et ne veulent louer rien d ’autre.
664 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
Celui qui veut voir le C hrist, doit en esprit s’é lever bien au-dessus de
la nature, car le C hrist est plus grand que la nature. Une haute montagne
se voit plus facilement d ’un sommet que de la vallée. Zachée était un petit
homme, mais saisi par son envie de voir le C hrist, il avait grimpé sur un
grand arbre.
Q ui veut rencontrer le Christ, doit se purifier, car il va rencontrer le
Saint des saints. Zachée était souillé par son am our de l’argent et un
caractère impitoyable, mais avant de rencontrer le Christ, il s’é tait hâté de
se purifier en se repentant et en accomplissant des actes charitables.
Le repentir consiste à quitter tous les chemins de traverse foulés par
nos pieds, nos pensées et nos envies, pour se retrouver sur une route
nouvelle, la route du C hrist. M ais com m ent un hom me pécheur peut-il
se repentir tant qu’il n’a pas rencontré D ieu dans son cœur et n’a pas eu
honte de lui-mêm e ? Avant de voir le C hrist de ses yeux, le petit Zachée
L’avait rencontré dans son cœur et avait eu honte de toutes les routes qu’il
avait empruntées.
Le pécheur se complait longtemps, très longtemps, dans l’illusion,
précisément jusqu’au m om ent de ressentir la douleur d ’une telle illusion.
C ette douleur mène au désespoir et au suicide, à moins de ressentir en
même temps la honte et la crainte de Dieu. Ce n’e st qu’ainsi que cette
douleur de l’illusion ne s’avère pas funeste, mais salutaire. Le bienheureux
Augustin a ressenti d ’abord la douleur de l’illusion, qui lui aurait tué l’âme
comme le corps s’il n’avait pas été rapidem ent rattrapé par la honte et la
crainte de Dieu.
Le repentir est la prise de conscience soudaine de sa lèpre spirituelle
et l’appel au secours pour trouver un remède et un médecin. C ’est comme
666 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
quand un hom me aux cheveux noirs, qui ne setait pas regardé depuis
longtemps dans la glace, s’arrête soudain devant un m iroir et découvre
que ses cheveux sont tout blancs ! Ainsi, un pécheur non repenti croit
pendant longtemps et affirme qu’il possède une âme saine et infaillible
jusqu’au jour où soudain, ses yeux spirituels s’ouvrent et il voit son âme
toute rongée par la lèpre. M ais com m ent va-t-il voir la lèpre dans son
âme, sans se regarder dans un m iroir? E t où se trouve un tel m iroir? C ’est
le C hrist qui est ce miroir, où chacun se voit tel qu’il est. Ce miroir unique
a été donné à l’hum anité afin que les hommes puissent s’y regarder et se
voir tels qu’ils sont. C ar en C hrist, dans le miroir le plus pur, chacun se
voit malade et laid, mais voit aussi sa belle image originelle, tel qu’il était
et tel qu’il devrait être encore. Le pécheur Zachée, en apparence sain
et avec une bonne mine, après avoir entendu parler du Seigneur Jésus,
réalisa combien il était lépreux au fond de lui-même, et ressentit alors
un mal terrible pour lequel il n’y avait pas de médecin sur cette terre en
dehors du C hrist Lui-m êm e.
Le repentir est le début de la guérison de l’illusion, le début de la
soumission à la volonté de Dieu. E n vivant selon sa propre volonté,
l’hom m e descend rapidem ent de sa dignité royale au niveau de l’étable où
vit le bétail et de la tanière des bêtes sauvages. Jamais un hom m e sur terre
n’a pu se déplacer selon sa volonté et rester un homme. Etre un hom m e ne
signifie pas vivre de façon arbitraire ; être un hom me signifie se soumettre
totalem ent à une volonté supérieure, la volonté visionnaire et infaillible
de Dieu. Dans les foyers où régnent la folie et les gémissements, ne vivent
que ceux qui le veulent bien. Leur corps n’est que ténèbres et grince
ments de dents, à l’image de leur âme. L’arbitraire ouvre la porte aux vers
infatigables qui rongent le corps et l’âme du pécheur. Se repentir, c’e st
découvrir la m ultitude des vers en soi. A h, que de vers se sont installés en
moi ! M ais qui va m’aider à me débarrasser de tous ces vers dégoûtants
qui grouillent en m oi? C ’e st ce qu’implore le pécheur terrifié quand il a
recouvré la vue et qu’il voit tout ce qui vit en lui.
L’évangile de ce jour décrit un pécheur repenti, le petit Zachée, qui
s’est hissé en haut d ’un arbre afin de voir le C hrist de tout en haut, qui
s’est purifié en se repentant, afin de rencontrer le C hrist très pur, et qui a
été guéri de la lèpre spirituelle qui l’avait poussé vers l’amour de l’argent
et l’absence de pitié, par la force du C hrist tout-puissant. Le Seigneur
a converti de nombreux pécheurs en repentis; Il a trouvé et sauvé de
nombreuses âmes perdues; Il a retrouvé de nombreux égarés et les a
HOMÉLIE POUR LE TRENTE-DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 667
Zachée qui vit en prem ier le C hrist, mais que ce fut le Seigneur qui le
vit. Jésus leva les yeux et lui dit... Grâce à Sa vue spirituelle, le Seigneur
avait vu Zachée bien auparavant, mais Ses yeux physiques le virent quand
Il fut arrivé en cet endroit. Le petit Zachée s’é tait échappé de la foule et
avait grimpé sur un arbre, mais le Seigneur l’avait aperçu dans la foule
avant que lui-m êm e vît le Seigneur du haut de l’arbre. A h, comme le
Seigneur notre D ieu est visionnaire! Il nous voit même quand nous ne
nous l’imaginons pas. Q uand nous Le recherchons en faisant tous les
efforts possibles, afin de Le trouver et de Le voir, Il se tient près de nous
et nous observe. Toujours, Il nous voit avant que nous ne Le voyions.
Si nous dirigions notre regard spirituel comme Lui-m êm e le fait, en
quête de Lui, ne souhaitant que Lui, alors II s’écrierait publiquem ent et
nous appellerait par notre nom, afin que nous descendions des falaises
périlleuses que sont nos raisonnements et que nous nous posions dans
Son cœur, c’est-à-dire dans notre véritable maison. Alors le Seigneur dira
à chacun de nous : il me fa u t aujourd’hui demeurer chez toi. Car quand
l’esprit hum ain descend dans le cœur et qu’il s’y purifie en larmes tout en
s’offrant au D ieu vivant, alors le cœur devient le lieu de la rencontre entre
D ieu et l’homme. Tel est le sens intérieur ou spirituel de cet événement.
E t vite il descendit et Le reçut avec joie. C om m ent ne se hâterait-il
pas à l’appel de la voix qui fait revivre les morts, arrête les vents, apaise
les possédés et fait fondre en larmes les cœurs endurcis des pécheurs?
C om m ent n’accueillerait-il pas Celui qu’il voulait seulement regarder
de loin à la dérobée ? E t com m ent ne se réjouirait-il pas avec une joie
indicible, quand il Le voit dans sa maison, où nul sinon des pécheurs de
mauvaise réputation, n’aurait osé poser le pied? M ais c’est ainsi que le
Seigneur m ontre toute Sa tendresse, accorde les dons qu’il prodigue. Il
rem plit de poissons les filets de pêcheurs désespérés, au point de déchirer
les filets; Il nourrit de façon abondante des milliers d ’hommes affamés
dans le désert, au point que de nombreux paniers restaient pleins; Il
accorde aux malades qui dem andent de l’aide, la santé non seulement
physique mais spirituelle. Aux pécheurs et pécheresses, Il n’accorde pas
le pardon de certains péchés tout en en retenant d’autres, mais II leur
pardonne tout. Partout, il s’agit de gestes royaux, de miséricorde royale, de
faste royal dans la façon de donner! C ’est également le cas dans l’évangile
de ce jour: Zachée souhaite seulement Le voir, mais Lui ne se laisse pas
seulement voir, Il se dépêche d ’interpeller Zachée en prem ier et II pénètre
même dans sa maison : ainsi se comporte le Seigneur. E t voici com m ent
670 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
d ’un cinquième. O r Zachée agit envers lui-m êm e plus durem ent que ce
qui était prévu par la loi ; il veut s’appliquer à lui-m êm e une disposition
législative prévue pour les voleurs et les aigrefins, qui ne reconnaissaient
pas leurs méfaits après avoir été arrêtés sur le lieu de leur forfait ; il veut
rendre le quadruple à tous ceux qu’il aura spoliés de quelque façon (Ex
22). C ’e st ainsi que tout véritable repenti devient miséricordieux envers
autrui et impitoyable envers lui-même.
E t Jésus lui dit: «Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison, parce
que lui aussi est un fils d ’A braham» (Le 19, 9). Telle fut la réponse du
Seigneur Jésus au repentir sincère du petit Zachée, à sa joie spirituelle et
aux fruits de son repentir qu’il venait de montrer. Les paroles finales de
ce récit: Car le Fils de l ’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu
(Le 19,10), sont la réponse du C hrist aux sages à courte vue qui hurlaient
et étaient en colère contre le C hrist parce qu’il était entré dans la maison
d ’un pécheur. Pendant qu’ils m archaient dans la rue en direction de la
maison de Zachée et qu’ils bougonnaient et criaient contre cette visite
indécente, le Seigneur gardait le silence et attendait. Q u ’attendait-Il ?
Il attendait que fussent com plètem ent dévoilés les cœurs de ceux qui
m urm uraient et le cœur du repenti Zachée ; Il laissait le dém on du mal
parvenir au som m et de sa jubilation, pour que sa déchéance fut plus
visible et évidente aux yeux de tous. Telle est la m éthode de Dieu pour
vaincre. Dieu ne se dépêche jamais, lors de Sa première rencontre avec le
mal, de m ontrer la faiblesse du mal et Sa propre puissance ; Il attend que
le mal s’élève dans son arrogance jusqu’aux nuages, avant que d ’un souffle
Il ne le disperse dans le néant. Le mal est si dérisoire devant la puissance
divine que si Dieu ne laissait pas le mal croître jusqu’au maximum de ses
possibilités avant d ’apparaître alors avec toute Sa puissance, les hommes
ne se rendraient jamais compte de l’évidence de la puissance divine.
Après avoir laissé se manifester les forces infernales et terrestres sur le
Golgotha, le Tout-Puissant a, aussitôt après, montré à l’enfer comme à
la terre Sa force inopinée lors de la Résurrection. Le Seigneur utilise
la même m éthode avec Zachée. Il chemine paisiblement vers la maison
de Zachée ; les hurleurs hurlent, les bougonneurs bougonnent, les déni
greurs dénigrent, mais Lui se tait et marche. Il pénètre dans la maison
de Zachée ; les justes auto-proclamés restent en dehors de la demeure du
pécheur par crainte de se souiller; les vociférateurs continuent à hurler
plus fort, les bougonneurs à m urm urer et les railleurs à se moquer. Ainsi
le triom phe du mal atteint son apogée. Tous ceux qui crient, bougonnent
674 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
et se m oquent, sont déjà persuadés qu’ils ont tout à fait raison et que le
C hrist a tort, qu’ils connaissent bien le pécheur Zachée et que le C hrist
ne le connaît pas, qu’eux s’en tiennent ferm em ent à la loi alors que le
C hrist a transgressé la loi en franchissant le seuil de la maison du pécheur,
qu’ils ne se laissent pas abuser tandis que le C hrist a été abusé ! D ’où la
conclusion logique pour eux, qui est que le Christ n’est pas un maître
véritable, ni un prophète, ni le M essie; car s’il l’avait été, Il aurait su
qui était Zachée et ne serait pas entré sous son toit. Par conséquent:
nous, habitants de Jéricho, avons fait tom ber Jésus-C hrist dans un piège
et nous allons m aintenant sauver le monde d’une grande illusion selon
laquelle II serait le M essie et le Fils de Dieu ! C ’est un triomphe, c’est
une victoire, c’e st la m ontée du mal jusqu’aux nuages. E t pendant tout ce
temps, Zachée est en train de devenir un hom me meilleur et nouveau. Le
Seigneur, qui se préoccupe moins de la masse bariolée et maléfique que
de la régénération du cœur de Zachée, reste calme, et attend que tout soit
term iné pour prendre la parole. Q uand le mal fut m onté jusqu’aux nuages
et que toute la moisissure coriace fut retombée du vieux cœur du pécheur,
alors Zachée ouvrit la bouche et prononça devant tous une parole inat
tendue pour toute l’assistance à l’exception du C hrist : Voici, Seigneur, je
vais donner la moitié de mes biens aux pauvres! N ’est-ce pas là un coup
de tonnerre inattendu qui disperse les nuages hautains? Pourquoi vous
taisez-vous soudain, habitants de Jéricho ? Pourquoi ne criez-vous pas,
ne bougonnez-vous pas et ne vous moquez-vous pas ? Pourquoi les mots
s’é tranglent-ils dans votre gorge? Q ui s’e st trom pé: le C hrist ou vous?
Q ui a mieux connu Zachée: vous ou le C hrist? Q ui est m aintenant plus
juste: vous ou Zachée?
Com m e le Seigneur est tendre et doux! Com m e un agneau innocent,Il
se tient cette fois encore parmi les hommes, au milieu de loups invisibles.
Com m e II est paisible et sûr de Sa victoire, m aintenant comme toujours !
Com m e II attend sereinement son tour ! Q uand vient Son tour, Il s’adresse
d ’abord au malade pour lequel II a quitté Sa route pour entrer dans sa
maison : Aujourd’hui le salut est arrivé pour cette maison ! C ’est par ces mots
que le M édecin céleste donne l’assurance au malade qu’il a été guéri et
qu’il est prêt à quitter l’hôpital pour venir parmi les gens en bonne santé.
La cécité a été enlevée de son âme, de même que des yeux de Bartimée,
et le voilà m aintenant capable de se déplacer librem ent sur la route de la
justice et de la miséricorde. M ais afin que cette assurance soit encore plus
claire pour tous ceux qui se tiennent tout autour, le Seigneur ajoute \parce
HOMÉLIE POUR LE TRENTE-DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECÔTE 675
que lui aussi est un fils d Abraham! U n fils véritable d ’Abraham , en esprit
et en vérité, et non pas seulement par le nom et le corps, comme les autres
qui se vantaient de leur filiation à Abraham , uniquem ent par le nom et
le corps ! Abraham était un philanthrope craignant Dieu, ayant le sens
de l’hospitalité, n’aim ant pas l’argent, fidèle, doux et plein de joie dans le
Saint-Esprit. Tel était devenu le petit Zachée. Abraham, en raison de ses
bonnes actions éminentes, était le fondateur spirituel de tous les justes.
Voilà com m ent Zachée, par le repentir, devient son descendant véritable,
son fils en esprit. C ’est ce que le Seigneur annonce, pour le réconfort
de Zachée et pour faire réfléchir ses accusateurs. E t à ces derniers, Il
proclame : Car le Fils de l ’homme est venu chercher et sauver ce qui était
perdu (Le 19,10). Ce qui signifie qu’il est venu rechercher par leur nom
les pécheurs que nul ne recherche et que tous rejettent, et sauver ceux que
le monde et eux-mêmes considèrent comme perdus. C ar le G rand Héros
est descendu du ciel pour sauver les lépreux et les aveugles, les possédés et
les paralysés, et ressusciter les m orts des tombeaux. Le Seigneur a dit : Je
ne suis pas venu appeler les justes, mais les pécheurs (M t 9 ,1 3 ; 1 Tm 1,15).
A h, frères, savez-vous que cette parole s’adresse aussi à nous ? Savez-vous
que nous aussi nous sommes des pécheurs pour lesquels le Seigneur-
Héros est descendu sur la terre? U n amour indicible L’a fait descendre
du ciel sur la terre parmi nous, afin de rechercher ceux qui sont perdus
et sauver les pécheurs. A h, observez donc com m ent le petit Zachée, dans
son désir de voir le Seigneur, est devenu grand. M ais voici m aintenant
que le C hrist s’approche de nous comme jadis de Zachée, entouré par une
m ultitude populaire, une m ultitude innombrable de justes et de bougons.
Toute l’histoire des hommes depuis deux millénaires, bruisse autour de
Lui et nous domine. N ’e ntendez-vous pas les murmures et les bruisse
ments ? Tout ce passé s’avance vers vous et sur vous. E t au milieu de la
masse innombrable, chemine l’humble Seigneur et Sauveur. Dépêchez-
vous de m onter sur une hauteur afin de voir le Seigneur. Tout le reste qui
a été et qui est, n’est pas tellem ent digne d ’être regardé. Élevez-vous de la
route boueuse où vous pataugiez jusqu’à présent, et m ontez sur un grand
arbre : Il vous rencontrera sans aucun doute. A h, béni soit celui qui sera
interpellé par la voix la plus suave, dont la douceur enivre les anges !
E n vérité, le repentir est la première marche sur l’é chelle qui mène au
Royaume de Dieu. Personne n’a jamais pu m ettre le pied sur la seconde
marche sans avoir franchi la première. Dans le vide de cette existence, le
repentir est la première et la seule façon régulière de frapper à la porte
676 HOMÉLIES SUR LES ÉVANGILES
céleste. Vous pouvez frapper avec vos doigts autant de fois que vous
voulez sur les murs d ’une maison ; personne ne vous entendra et nul ne
vous ouvrira. M ais frappez à la porte et celle-ci s’ouvrira. Se repentir, c’e st
frapper non contre un mur mais à la porte véritable m enant à la lumière
et au salut. Celui qui s’est repenti sincèrement et souhaite entrer dans
la maison de son Père céleste, a déjà frappé à la seule porte perm ettant
d ’entrer dans cette demeure.
L’amour de l’argent rend aveugle; le C hrist seul donne la vue aux
aveugles. L’amour de l’argent isole l’hom m e et l’enchaîne avec des chaînes
d ’esclave. Le C hrist fait sortir celui qui s’est enfermé dans son isolement
et l’introduit dans la société des anges, le libère de sa servitude et le rend
libre. A tous ceux qui s’élancent pour Le voir, Il se m ontre ; et à ceux à
qui II se montre, Il révèle et m ontre tous les mystères du ciel et de la
terre, et tous les trésors immenses et impérissables que D ieu a préparés
depuis la création du monde pour ceux qui L’aiment. Gloire et louange
donc à notre Seigneur et Sauveur Jésus-C hrist, avec Son Père et avec le
Saint-Esprit, Trinité unique et indissociable, m aintenant et toujours, de
tout temps et de toute éternité. A m en
TABLE DES MATIÈRES
HO M éues
SUR L G S é V X N G I L G S
D G S D IM X N C H G S G T JO U RS D G F G T G
Prix TTC 36 €
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