Les christianismes contemporains
au Bénin au défi de la pluralisation
Dynamiques d’expansion
et porosité religieuse
Cédric Mayrargue
Depuis plus d’une vingtaine d’années, le champ religieux béninois est
travaillé par l’expansion de courants chrétiens évangéliques et pentecôtistes qui, bien que minoritaires, ont acquis une forte visibilité. Cet
article propose d’appréhender ces dynamiques contemporaines sous
l’angle de la pluralisation religieuse. Cette notion renvoie à un double
processus de fragmentation et d’éclatement, mais aussi d’échanges
et d’interactions renouvelés entre acteurs religieux. La grille de lecture mobilisée permet de souligner que ces mouvements chrétiens
contribuent à la fragmentation religieuse, en favorisant un éclatement de l’offre et de la pratique, et aussi qu’ils nouent de nouvelles
interactions avec les autres acteurs religieux avec qui ils sont en
compétition. Ces relations se traduisent par un partage nouveau des
territoires et des formes inédites de porosité religieuse.
Mots clés : Bénin – Christianisme – Évangélisme – Pentecôtisme – Pluralisation religieuse – Compétition religieuse
À la fin des années 1980, l’expansion de nouveaux courants
chrétiens ne semble pas encore constituer un sujet central
pour les observateurs des faits religieux au Bénin. La prééminence de l’Église catholique au sein du christianisme ne paraît
alors nullement menacée. Vingt-cinq ans plus tard, le paysage
religieux apparaît cependant bien différent et nettement plus
fragmenté, l’omniprésence des Églises évangéliques et pentecôtistes conférant presque à celles-ci une position centrale
dans le pays, dans le champ religieux, mais également au-delà, dans l’espace
public.
Ces deux instantanés méritent cependant d’être fortement nuancés.
D’une part, bien des dynamiques qui se sont manifestées avec éclat dans les
décennies 1990 et 2000 étaient déjà à l’œuvre dans les années 1980, bien que
Cédric Mayrargue est chercheur
associé au laboratoire « Les Afriques
dans le monde » (LAM, Sciences Po
Bordeaux, CNRS) où il a dirigé un
programme de recherche sur les
nouveaux acteurs religieux
et la production du politique en
Afrique subsaharienne. Il a enseigné
notamment à l’université
Paris-1 (Panthéon-Sorbonne)
et à Sciences Po Bordeaux
(c.mayrargue@gmail.com).
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
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de manière souterraine et moins éclatante. D’autre part, aucune vague évangélique n’a submergé la société béninoise, au point d’affaiblir fondamentalement
les autres expressions religieuses, qu’elles soient d’ailleurs chrétiennes ou non,
ou de coloniser l’espace public à son unique profit.
La visibilité nouvelle de certains courants chrétiens ne doit ainsi occulter ni l’ancienneté de leur présence, ni leur positionnement souvent minoritaire, voire parfois marginal, au sein du champ religieux, ni le dynamisme
qui affecte également d’autres expressions religieuses. Pour autant, le paysage
religieux béninois a bien été travaillé par l’expansion de courants chrétiens,
implantés depuis plus ou moins longtemps dans le pays. Le pluralisme religieux
qui caractérise ce pays, comme bien d’autres de la région ouest-africaine, a été
renforcé par l’expansion de multiples acteurs1. Il apparaît dès lors pertinent,
avec un certain recul, de s’interroger sur les effets de cette montée en puissance
de groupes chrétiens, sur la façon dont ceux-ci ont affecté le champ religieux et
la société béninoise.
Les « christianismes contemporains » regroupent l’ensemble des
Églises, des mouvements, des acteurs qui, se référant au christianisme et s’inscrivant, avec leur diversité, dans l’histoire de celui-ci, animent la scène religieuse actuelle. Les mouvements évangéliques et pentecôtistes apparaissent
d’emblée comme les plus marquants : ce sont eux qui ont le plus gagné en visibilité et en présence depuis le début des années 1990, notamment en milieu
urbain et dans le sud du pays. Mais d’autres expressions chrétiennes sont
concernées, comme les mouvements de type prophétique et les Églises afrochrétiennes, autant d’acteurs qui rappellent que le christianisme est depuis
longtemps dans cette zone un champ d’innovation et dont le dynamisme s’observe aussi de manière contemporaine. Enfin, il convient aussi d’inclure les
courants qui se développent au sein du catholicisme et des Églises protestantes
historiques, issues des entreprises missionnaires du XIX e siècle et du début du
e
XX siècle. L’analyse développée ci-dessous se focalisera cependant sur la sphère
évangélique et pentecôtiste, bien que les frontières entre ces différents courants
soient, contextuellement et conceptuellement, particulièrement perméables.
L’expansion de nouveaux acteurs chrétiens depuis vingt-cinq ans au
Bénin se déroule dans un contexte de pluralisme religieux – qui s’exprime
1. L’absence de données fiables et
récentes rend problématique une
présentation chiffrée du paysage
religieux. À titre d’information,
et avec un maximum de prudence,
citons les données fournies par le
recensement de la population
de 2002 (les données de celui
de 2013 ne sont pas encore
diffusées) : catholiques (27,1 %),
musulmans (24,4 %), vodun
et autres religions traditionnelles
(23,3 %), protestants méthodistes
(3,2 %), autres protestants (2,2 %),
chrétiens célestes (5 %), autres
chrétiens (5,3 %), autres religions
(1,9 %), aucune religion (6,5 %) et
non déclaré (1,1 %). Source :
Direction des études
démographiques, Cotonou,
octobre 2003.
2. Dans le sud du Bénin notamment,
les familles et les ménages
composés de chrétiens et de
musulmans sont nombreux et, à
quelques exceptions près, les
quartiers de Cotonou, la commune la
plus peuplée, ou de Porto-Novo, la
92 Les nouveaux christianismes en Afrique
capitale, n’ont pas une identité
religieuse uniforme. Quant aux
autorités religieuses, elles veillent
traditionnellement à favoriser une
cohabitation harmonieuse et à
s’impliquer dans des initiatives
inter-religieuses.
3. Pour des développements sur
cette approche, et des illustrations
variées, voir l’introduction et les
articles composant le dossier du
n° 123 de la revue Politique africaine
consacré précisément à cette
thématique.
Afrique contemporaine 252
très largement sur un registre pacifique, notamment entre catholicisme et
islam 2 – et se manifeste de manière simultanée avec d’autres recompositions
religieuses, notamment au sein de l’islam. Autrement dit, on observe à la fois
une contemporanéité d’expansion et de recomposition religieuses d’obédiences
diverses (celles-ci se produisent dans un même temps) et une proximité de ces
dynamiques (elles se manifestent en de mêmes espaces). Dès lors, l’analyse de
l’expansion chrétienne, et notamment de ses effets, ne peut se mener indépendamment des autres dynamiques qui affectent le champ religieux. Plus fondamentalement, ces christianismes contemporains peuvent être appréhendés
comme des acteurs de la pluralisation religieuse.
Travaillée par les processus de globalisation, de migration, d’urbanisation ou d’individualisation, la pluralisation religieuse contemporaine ne se
limite pas à un phénomène de diversification et d’éclatement de l’offre religieuse, mais implique en fait un double mouvement (Lasseur, Mayrargue,
2011) 3 . La fragmentation des paysages religieux est inséparable d’échanges
renouvelés et d’inf luences réciproques entre acteurs religieux. Dès lors, les
notions de circulation (d’individus, de symboles, de modes d’organisation, de
modalités de prosélytisme, de discours) ou d’emprunt sont à privilégier dans
ces situations de cohabitation et de compétition, tandis que les catégorisations
et les frontières strictes sont amenées à être remises en question.
Cette approche n’est nullement exclusive d’autres grilles de lecture utilisées de manière pertinente pour rendre compte des évolutions contemporaines
du religieux, de la contribution des acteurs confessionnels au développement
de la société civile ou de la façon dont les espaces publics sont travaillés et
façonnés par le religieux. Elle apparaît cependant utile pour mettre en lumière
certaines évolutions structurelles des champs religieux et pour appréhender
des formes nouvelles d’interactions entre acteurs en compétition, au-delà des
seules relations interconfessionnelles entre leaders ou institutions religieuses.
Les mouvements et les Églises évangéliques et pentecôtistes constituent
des acteurs de cette pluralisation à double titre. D’une part, ils contribuent à
cette fragmentation généralisée, en favorisant un éclatement de l’offre et de
la pratique religieuse. D’autre part, de nouvelles formes d’interaction se dessinent avec les autres acteurs religieux avec lesquels ils se trouvent en situation
de compétition. C’est pourquoi seront d’abord analysées les caractéristiques
des dynamiques contemporaines d’expansion chrétienne, avant de traiter des
formes nouvelles d’échanges et d’inf luence qui s’observent, en termes de partage de territoires et de porosité religieuse.
Les dynamiques contemporaines d’expansion des christianismes
au Bénin : fragmentation, dissémination et individualisation
Le secteur évangélique et pentecôtiste est caractérisé par sa diversité intrinsèque. Que l’on s’intéresse au format, à l’origine, à l’ancienneté, à la taille et
même à l’orientation des mouvements qui l’animent au Bénin, force est de
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
93
constater sa grande hétérogénéité. Ainsi trouve-t-on, dans cette mouvance,
des Églises, des mouvements interdénominationnel, des associations ou des
groupes de prière ; des structures issues d’implantations missionnaires d’origine nord-américaine ou européenne, mais aussi, et plus massivement, de provenance africaine – Nigeria, Ghana – et des mouvements fondés au Bénin par
des pasteurs autochtones ; des Églises présentes depuis plusieurs décennies et
des mouvements de création ou d’importation toute récente ; des Églises disposant de centaines d’implantations locales sur le territoire béninois ou pouvant réunir des milliers de fidèles lors de grands rassemblements, mais aussi de
petites Églises de quartier ne parvenant pas à croître et finissant par péricliter ;
des groupes utilisant largement les technologies de l’information (émissions
radio, programmes télévisés, consultations par téléphone) et d’autres moins
connectés ; des Églises reprenant massivement des représentations et des théologies produites au sein de l’évangélisme mondial (comme les théologies de la
prospérité) et d’autres plus prudentes face à ces discours. On pourrait multiplier les angles d’approche pour illustrer cette hétérogénéité fondamentale de
la sphère évangélique, d’ailleurs nullement spécifique à ce terrain précis – le
mode de gouvernance, par exemple, entre des Églises ayant un fonctionnement
institutionnel et bureaucratisé et d’autres ne reposant que sur le charisme du
pasteur-fondateur.
Si la mouvance évangélique est, presque par essence, plurielle (inexistence d’une autorité centrale et de mécanismes consensuels de labellisation),
ces christianismes constituent également des acteurs de la pluralisation du
champ religieux béninois. Celle-ci peut être saisie à travers trois dynamiques :
les processus de démultiplication et de fragmentation de l’offre, les dynamiques
de dissémination du religieux et, enfin, les logiques d’individualisation.
La fragmentation continue de l’offre chrétienne. Cette diversification se
manifeste d’abord par un renouvellement et un élargissement de l’offre chrétienne. À partir du début des années 1990, dans un contexte de libéralisation
politique et de démocratisation (Banégas, 2003), l’offre s’accroît par l’arrivée d’entreprises missionnaires et de prédicateurs implantant au Bénin des
antennes d’Églises ayant leur centre à l’étranger ou créant dans le pays leur
propre Église, en absence de toute régulation étatique du champ religieux.
En milieu urbain, l’accroissement de l’offre repose aussi sur l’arrivée d’Églises
jusqu’alors essentiellement rurales ou concentrées dans des zones précises du
territoire. C’est le cas de l’Église de Pentecôte au Bénin (EPB). Présente depuis
les années 1960, notamment dans les régions frontalières du Togo, cette Église
dont le siège se trouve au Ghana – Church of Pentecost (Fancello, 2006) – ne
dispose jusqu’à la fin des années 1980 que d’une seule implantation à Cotonou,
4. Développées à l’échelle planétaire,
ciblant des zones précises
(lesquelles incluent, par exemple,
le nord du Bénin), ces entreprises
fournissent des ressources
et des aides aux organisations locales
94 Les nouveaux christianismes en Afrique
afin de renforcer leur activité
prosélyte.
Afrique contemporaine 252
la ville la plus peuplée du pays. À la fin de la décennie suivante, l’EPB y possède
déjà plus de quinze lieux de culte, en incluant sa proche périphérie. C’est aussi
à cette époque que se mettent en place, dans la logique et parfois avec l’appui
de programmes d’évangélisation de grande envergure, conçus et pilotés notamment aux États-Unis dans le but de convertir les peuples « non-atteints » (c’està-dire, dans le vocabulaire de ces organisations, non touchés par le message
biblique) 4 , des initiatives visant à un déploiement évangélique sur l’ensemble
du territoire béninois, et notamment dans les zones encore peu christianisées.
Le projet ARCEB (Action pour la recherche et la croissance des Églises au
Bénin), mis en place à partir de 1995, en constitue un exemple. Un autre aspect
de cet élargissement de l’offre réside dans l’apparition d’Églises à destination
de migrants, nigérians par exemple, localisés dans les quartiers de résidence ou
d’activité, notamment commerciale, de ces populations.
Une offre évangélique diversifiée. Depuis les années 1980, l’offre évangélique et pentecôtiste s’est considérablement
diversifiée au Bénin, notamment du fait de l’arrivée d’Églises et de prédicateurs provenant d’autres pays d’Afrique,
Nigeria et Ghana tout particulièrement. Le Ministère chrétien de la foi agissante (Christian Action Faith Ministry) est une
importante structure ghanéenne, connue également par le nom de son Église, Action Chapel (AC), fondée en 1979. Son
pasteur fondateur, Nicholas Duncan-Williams, est une figure marquante de la mouvance charismatique en Afrique de
l’Ouest, qui suivit les enseignements du pasteur nigérian Benson Idahosa. Il est représenté ici, sur l’illustration de gauche,
en train de prêcher. Active au Bénin, notamment à Cotonou, cette Église dispose de plusieurs lieux de culte et propose de
multiples activités, comme ici dans sa paroisse du quartier Fidjrossé.
Photo de Camilla Strandsbjerg, Cotonou, Bénin, février 2013.
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
95
La démultiplication emprunte également la voie de l’innovation religieuse, dans une zone qui a vu se développer d’importants mouvements chrétiens autochtones. C’est dans la région de Porto-Novo, au sud-est du pays, que
s’est ainsi constituée l’Église du christianisme céleste, suite au message divin
reçu par son prophète fondateur, Samuel Oschoffa, en 1947. À partir de ce foyer
originel, cette Église guérisseuse s’est développée dans le sud du Bénin, avant
de gagner les pays voisins, puis d’autres continents (Adogame, 1999). Église
qualifiée d’« afro-chrétienne », d’« indépendante », de « guérisseuse », ce mouvement adapte le message missionnaire au contexte local et poursuit son développement (Mary, 2009). Mais cette capacité d’invention religieuse, notamment
autour de figures de type prophétique, voire messianique, demeure une réalité
vivante de la scène religieuse béninoise, comme l’illustre le succès éclatant rencontré par « Parfaite » de Banamè à partir de 2010. Cette très jeune femme, se
révélant être « le Père, le Fils et le Saint-Esprit », institue un mouvement religieux qui, en quelques mois, parvient à déstabiliser l’Église catholique dans le
sud-est du pays, à partir du village de Banamè 5 .
Enfin, cette fragmentation est également le fruit de la forte propension
à la scission qui anime notamment la sphère évangélique. Conf lits de leadership, rivalités organisationnelles, contrôle des ressources financières, contentieux doctrinaux, velléités d’indépendance par rapport à une Église mère située
à l’étranger : les causes sont multiples qui amènent pasteurs ou cadres à quitter une Église pour fonder un nouveau mouvement. Le plus souvent, celui-ci ne
se distinguera que très marginalement de l’Église originelle. Ainsi, l’Église de
Pentecôte au Bénin a connu au cours de son développement de nombreuse scissions, donnant naissance par scissiparité à l’Église de Pentecôte de la foi dans les
années 1970 ou au Réveil de l’Église de Pentecôte au Bénin dans les années 1990.
La dissémination du message évangélique. La dissémination du religieux
constitue une autre dynamique centrale des processus de pluralisation. On
observe en effet un déploiement tous azimuts des entreprises prosélytes chrétiennes. De plus en plus de lieux sont investis par des acteurs et des symboles
évangéliques, particulièrement en milieu urbain. L’une des caractéristiques
principales des évangéliques réside dans la dimension « convertioniste » et
militante qui les anime : l’évangélisation est une mission qui impose de sortir des lieux de culte pour aller porter la « bonne nouvelle » aux foules. Les
acteurs évangéliques utilisent ainsi les multiples opportunités que leur offre
la ville en termes d’espaces et d’infrastructures. Petit à petit, des lieux disparates, publics comme privés, ont été investis par des acteurs et des symboles
chrétiens. Ces lieux englobent tous les espaces citadins où se déploient des
acteurs évangéliques (les pasteurs comme les convertis) dans une perspective
prosélyte. Il s’agit d’espaces occupés, temporairement ou continuellement,
5. Pour une première approche de
cette figure religieuse, voir l’article
de Vincent Hugueux, « Bénin. La
colline des brebis égarées »,
96 Les nouveaux christianismes en Afrique
L’Express, n° 3223, 10 avril 2013,
p. 40-43.
Afrique contemporaine 252
partiellement ou exclusivement, par des acteurs chrétiens, pour des activités
cultuelles ou autres, mais s’inscrivant toujours dans une logique prosélyte. Si les
lieux de culte gardent une position de centralité dans les dispositifs religieux,
ces acteurs chrétiens sont également présents dans des espaces initialement et
principalement dévolus à d’autres activités sociales, appréhendés désormais par
eux comme des espaces de conquête.
Dans cette perspective, deux types de lieux ont été distingués à Cotonou
au cours des années 2000 (Mayrargue, 2008). Les « lieux outils » sont des
espaces spécialement conçus dans une perspective évangélisatrice et à des fins
de conversion. Ils sont notamment repérables dans les secteurs éducatifs (création d’établissements confessionnelles, de l’école primaire jusqu’à l’autoproclamée université) et sanitaires (création par des Églises ou des associations
parareligieuses de centres de santé et de cliniques). Les libraires chrétiennes
proposant une abondante littérature évangélique rentrent dans cette catégorie.
La dissémination du message évangélique. À côté des activités régulières proposées par les Églises (cultes,
études bibliques), des mouvements évangéliques organisent régulièrement des programmes spéciaux : croisades
d’évangélisation, nuits de prière, soirées de délivrance, etc. Ces activités, qui se déroulent en dehors des lieux de culte,
permettent aux groupes d’investir ponctuellement des espaces profanes confessionnellement neutres (maisons des
jeunes, palais des sports, stades, voire places publiques ou friches urbaines). En fonction de l’importance de la structure
organisatrice, ces activités peuvent être annoncées à grand renfort d’affiches et de communiqués dans les médias.
Ainsi de cette « nuit de puissance et de miracles », organisée en mars 2013 à la Maison du peuple du quartier Akpakpa
de Cotonou par un mouvement créé au Bénin en 1995 et baptisé Mission internationale pour la restauration humaine et
l’évangélisation.
Photo de Camilla Strandsbjerg, Cotonou, Bénin, février 2013.
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
97
Les « lieux cibles » sont, quant à eux, des espaces profanes, confessionnellement neutres, pénétrés délibérément par des acteurs évangéliques dans une
finalité prosélyte. Dans ce but, des lieux jugés propices à l’activité d’évangélisation du fait des caractéristiques propres aux populations qui les fréquentent
(des malades, des jeunes) sont investis par des équipes d’évangélisation ou des
groupes de prières : établissements scolaires publics, hôpitaux et centres de
santé laïcs, mais aussi prisons, marchés, etc. Enfin, les acteurs évangéliques ont
aussi largement utilisé des espaces permettant de s’adresser à tout le monde,
sans cibler de catégories de population particulière, notamment lors de grandes
croisades d’évangélisation ou de délivrance. Ce sont alors des bâtiments collectifs (comme le Palais de Sports ou le Hall des Arts à Cotonou), des espaces
en plein air (places, friches urbaines, rues) qui sont investis, sans oublier, à
une plus petite échelle, les concessions et domiciles privés, appréhendés aussi
comme des espaces de conversion 6 .
Ce déploiement d’acteurs évangéliques provoque une saturation religieuse des espaces publics et privés, accentuée par la circulation de signes,
d’images de symboles (affiches annonçant des manifestations religieuses, pancartes indiquant la présence d’églises, autocollants apposés sur des véhicules
reprenant des citations bibliques).
L’individualisation croissante des trajectoires et des pratiques religieuses. Une troisième caractéristique de la pluralisation relève de la forte
individualisation qui anime particulièrement l’essor évangélique et pentecôtiste contemporain. La pluralisation ne s’observe en effet pas seulement dans
la fragmentation des Églises et des mouvements ou de la concurrence entre
pasteurs, mais se repère également chez des convertis et des fidèles. Plusieurs
éléments illustrent cette dynamique. La restitution de parcours de conversion,
sous forme de récits biographiques, tend à souligner la forte individualisation
des parcours des convertis. Les trajectoires religieuses n’apparaissent pas toujours linéaires mais plus souvent circulatoires et complexes, faites d’une succession d’expériences religieuses, de conversion mais aussi d’abandon et de
reconversion. Par ailleurs, les conversions apparaissent d’abord comme des
démarches individuelles, liées à des difficultés, des questionnements, des incertitudes personnelles. Le cheminement qui conduit à entrer en relation avec une
offre évangélique peut impliquer des voisins ou des collègues, sans nécessairement la participation de l’entourage familial, parfois même au détriment de
celui-ci, particulièrement dans un environnement façonné par des représentations sorcellaires très présentes, qui plus est lorsque des Églises nourrissent le
soupçon et l’accusation (Fancello, 2015). Le poids de l’expérimentation apparaît
6. Sur la thématique des espaces
religieux privés et familiaux, voir les
études menées, notamment au
Bénin, mais aussi au Burkina Faso
et au Sénégal, dans le cadre du projet
de recherche Priverel (« Espaces
privés religieux : individus,
expériences ordinaires et
dynamiques religieuses en
Afrique de l’Ouest »), sous la
98 Les nouveaux christianismes en Afrique
coordination de Fabienne Samson
et de Maud Saint-Lary :
http://priverel.hypotheses.org/.
Afrique contemporaine 252
central, ouvrant la possibilité de quitter une Église aussi facilement qu’on y est
entré, mais aussi, par exemple, pour d’anciens fidèles catholiques, d’opérer un
retour vers le catholicisme. L’individualisation des croyances et des comportements est à souligner : il existe de multiples façons d’être évangélique, des
degrés différenciés d’insertion et d’implication, ce qui rend parfois compliqué
le travail de fidélisation mené par les responsables de cultes. Enfin, dans de
nombreuses Églises, la réussite individuelle est valorisée, le succès personnel
encouragé. Non seulement la conversion et la délivrance sont conçues comme
des opérations individuelles, mais la réussite de l’individu, y compris dans ses
dimensions matérielles et financières, est promue et encouragée. Il faut voir là
l’inf luence et la reprise par l’évangélisme béninois de la théologie de la prospérité, entrainant, au-delà de la forte circulation monétaire au sein des Églises,
une reconceptualisation du rapport à l’argent ; l’abondance, la prospérité et le
succès étant vus comme des signes d’élection divine.
La valorisation de la richesse et la quête de prospérité. Certaines Églises mettent l’accent sur la réussite
personnelle, y compris matérielle et financière. L’enrichissement y est valorisé, car vu comme un signe de bénédiction
divine pour peu que le fidèle « donne » correctement à Dieu (donc à son Église et aux pasteurs). La prospérité est un maître
mot des prédications et des activités qui se déroulent dans ces mouvements. La fréquentation de ces Églises peut alors
accompagner des parcours d’ascension sociale individuelle et la diffusion d’une culture entrepreneuriale. Cette photo
a été prise à l’intérieur d’un lieu de culte du Ministère chrétien de la foi agissante localisé au quartier Ganhi à Cotonou.
L’espace, situé dans un immeuble, est notamment fréquenté par une population issue de la classe moyenne émergente
(commerçant(e)s, fonctionnaires, cadres). On remarque au premier plan les confortables fauteuils réservés aux officiants
et aux invités de marque.
Photo de Camilla Strandsbjerg, Cotonou, Bénin, février 2013.
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
99
Les expressions évangéliques et pentecôtistes présentes au Bénin
apparaissent ainsi comme des vecteurs d’une dynamique de fragmentation,
en favorisant un éclatement et une dilution de l’offre comme de la pratique
religieuse. Ces formes chrétiennes se déploient dans un champ religieux fortement concurrentiel, où elles demeurent minoritaires. Elles sont ainsi confrontées au quotidien à d’autres acteurs religieux, eux-mêmes travaillés par des
dynamiques parfois similaires, avec lesquels des interactions renouvelées se
nouent.
Acteurs chrétiens et pluralisation religieuse : partage de territoires
et porosité religieuse
Si la pluralisation religieuse a été abordée jusqu’à présent uniquement à partir
des acteurs évangéliques, c’est bien l’ensemble du paysage religieux qui contribue à cette dynamique. Le protestantisme « historique », le catholicisme, l’islam, les religions locales, comme celles arrivées plus récemment 7, participent
également, à des degrés divers et selon des modalités variables, de ces mêmes
logiques. La pluralisation se traduit globalement par une fragmentation et un
éclatement des paysages religieux, par un accroissement de la concurrence
intra- mais aussi inter-religieuse, par un renforcement de la circulation et de
la mobilité religieuse, par une dérégulation des champs religieux. L’expansion
évangélique et pentecôtiste se déroule dans la contigüité et la contemporanéité d’autres dynamiques de recomposition religieuse, par exemple au niveau
de l’islam, où s’observe également une mobilité des leaders religieux, comme
du soufisme vers le réformisme (Brégand, 2009), et une circulation des fidèles
entre communautés musulmanes (Brégand, 2012). La proximité entre acteurs
religieux permet une multiplication des possibilités de contacts et d’échanges.
Ainsi, il apparaît de plus en plus délicat d’analyser un courant religieux indépendamment de la configuration du champ religieux dans lequel il se déploie
et des autres forces religieuses présentes, tant les interactions et les inf luences
entre eux sont désormais manifestes. Les acteurs chrétiens sont concernés par
ces évolutions qui se traduisent par un partage nouveau des territoires et des
formes inédites de porosité religieuse.
Des territoires religieux partagés. Les christianismes contemporains participent d’abord d’une remise en cause des territoires religieux, d’un « éclatement
des frontières géo-religieuses » (Lasseur, 2005). Bien qu’il n’y ait jamais eu
une segmentation absolue de l’espace, des représentations s’étaient cependant
7. Le mouvement d’origine japonaise
Sukyo Mahikari est un exemple de la
diversification de l’offre religieuse au
Bénin hors christianisme (Louveau,
2013).
8. La Sudan Interior Mission est une
organisation missionnaire créée en
1893 dont le siège est situé aux
États-Unis. Fusionnant avec d’autres
structures missionnaires et étendant
son activité hors d’Afrique, elle garde
son acronyme, mais en change la
signification (Society for International
Ministries), avant de prendre, en
100 Les nouveaux christianismes en Afrique
2000, l’appellation de Serving in
Mission. Les Églises issues de son
activité missionnaire ont pris en 1974
leur autonomie au sein d’une
dénomination baptisée Union des
Églises évangéliques du Bénin
(UEEB).
Afrique contemporaine 252
imposées, en lien avec les trajectoires historiques d’islamisation (par le nord
et le sud-est du pays) et de christianisation (principalement, dans un premier temps, à partir du milieu du XIX e siècle, par le sud côtier, avec remontée
progressive vers le centre du pays) de l’actuel territoire béninois. L’offensive
missionnaire évangélique a contribué à bousculer, voire à remettre en cause,
ces représentations et à contribuer, avec d’autres acteurs, à l’émergence d’un
nombre croissant de terrains partagés et d’espaces de cohabitation.
Au niveau du seul champ chrétien, un partage territorial avait été
conclu à la fin des années 1940 entre les trois principales forces missionnaires
protestantes présentes alors au Bénin : l’Église protestante méthodiste, les
Assemblées de Dieu et la Sudan Interior Mission (SIM) 8 . La première, implantée à la suite de l’arrivée dans le sud d’un missionnaire méthodiste en 1843, allait
poursuivre son développement dans le sud et le centre du pays, la deuxième, qui
pénétrait juste au Bénin à partir du Burkina Faso frontalier (Laurent, 2003),
devait limiter son action au nord-ouest du pays, tandis que la troisième mission aurait en charge la propagation de l’évangile dans la région du nord-est où
elle était nouvellement implantée depuis 1946. Des territoires exclusifs d’évangélisation étaient ainsi définis et les frontières des zones d’inf luence précisément tracées. Ce statu quo va globalement se maintenir jusqu’aux années 1980.
Depuis, la compétition entre ces Églises et la course à l’évangélisation ont
définitivement remis en cause ce partage. Quant aux entreprises évangéliques
plus récentes (Deeper Life Bible Chrurch d’origine nigériane, Christian Action
Faith Minsitry du Ghana), si les zones urbaines du sud, et plus particulièrement Cotonou, demeurent les portes d’entrée principales – et souvent uniques
–, c’est bien l’ensemble du territoire qui est susceptible de constituer pour elles
un champ de mission.
De fait, les initiatives interdénominationnelles qui se développent dans
les années 1990 ambitionnent alors de couvrir l’ensemble du territoire et de
pénétrer des zones dominées par d’autres croyances religieuses (locales ou
musulmanes), définissant des stratégies pour toucher ces populations. Plus
aucune zone n’apparaît taboue pour les acteurs de l’évangélisation contemporaine, même si les campagnes de grande envergure conduites par des
figures mondiales de la prédication dans les années 2000, comme l’Allemand
Reinhard Bonnke ou l’Américain Tommy Lee Osborn, se déroulent systématiquement à Cotonou. Ainsi, en juin 2014, le prédicateur ghanéen Dag Heward
Mills organise une tournée, largement médiatisée, de sa campagne d’évangélisation « Jésus qui guérit ». Après avoir créé son Église, The Lighthouse Chapel
International, à Accra, où il apparaît comme une figure importante de la mouvance néopentecôtiste (Gifford, 2004), il a entrepris depuis plusieurs années
de s’intéresser notamment aux pays francophones de la région ouest-africaine.
Cette fois, le circuit béninois comprend trois étapes : Abomey-Calavi (banlieue
de Cotonou) bien entendu, Bohicon, au centre du pays, mais aussi Parakou, la
grande ville carrefour du nord, dans une région à forte dominante musulmane
et où la présence évangélique est relativement limitée.
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
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La pluralisation à laquelle participent les acteurs chrétiens et qui, dans
le même temps, les affecte, tend donc à remettre en cause des territoires religieux appréhendés – souvent à tort – comme monolithiques, des zones d’inf luence héritées d’anciens découpages et des frontières géographiques trop
strictes. Cette proximité renouvelée entre acteurs religieux en compétition
engendre entre eux des interactions et des échanges inédits.
Une porosité religieuse nouvelle. À l’échelle des départements et des villes,
mais aussi des quartiers et des villages, l’hétérogénéité religieuse domine désormais assez largement. Les acteurs chrétiens sont confrontés quotidiennement
au partage de l’espace avec d’autres groupes religieux. Cette cohabitation est
susceptible d’engendrer une palette de comportements entre eux : conf lictualité mais aussi évitement, distinction, dialogue, mimétisme (Mayrargue, 2009).
Cette situation concurrentielle, loin de générer mécaniquement du conf lit et de
l’affrontement, autorise aussi des échanges et des emprunts. De fait, la porosité religieuse renvoie à ces mécanismes, conscients ou non, revendiqués ou
non, d’inf luence, d’imitation et d’emprunt entre acteurs religieux. D’une part,
les acteurs évangéliques peuvent emprunter des modèles à d’autres référents
religieux, en particulier l’Église catholique, notamment dans une perspective
de légitimation et de quête de reconnaissance. D’autre part, ils fournissent à
leur tour des normes et des modèles dont peuvent s’inspirer leurs concurrents
catholiques ou musulmans.
En effet, certaines des évolutions qui affectent la sphère évangélique
béninoise à partir du milieu des années 1990 ne peuvent s’appréhender indépendamment de l’environnement religieux dans lequel elles se situent. C’est
particulièrement le cas de la quête de structuration et de représentativité, du
développement de l’activisme social et de la relation nouvelle à la chose publique
et au monde politique.
Des ateliers, des conférences, des publications vont nourrir durant plusieurs années la réf lexion et l’élaboration de stratégies au sein d’une partie de
la sphère évangélique 9 . Dans ce processus, l’exemple de l’Église catholique – et
notamment son inf luence sociale et politique depuis l’indépendance du pays le
1er août 1960 – sert souvent explicitement de modèle. Son organisation unitaire
et hiérarchique constitue une force pour s’adresser aux pouvoirs publics. Dès
lors, la structuration de la mouvance évangélique est recherchée. S’il existait un
Conseil interconfessionnel protestant du Bénin (CIPB) depuis les années 1970,
celui-ci était alors dominé par les méthodistes. Sa transformation au début
9. Beaucoup d’Églises restent à
l’écart de ces réflexions communes et
développent leurs activités de
manière totalement autonomes.
Cependant, les principales Églises
évangéliques et pentecôtistes du
Bénin sont membres des associations
citées ci-après.
10. Deux autres regroupements
verront par la suite le jour :
l’Association des missions, ministères
et Églises évangéliques du Bénin
(AMMEEB), et l’Association des
Églises évangéliques du Bénin
(AEEB). Un Collectif des
associations des Églises
102 Les nouveaux christianismes en Afrique
évangéliques du Bénin, structure de
concertation regroupant les
responsables des quatre fédérations
chrétiennes, sera mis en place et
actionné lors de rencontres formelles
avec les autorités, notamment au
milieu des années 2000.
Afrique contemporaine 252
des années 1990 en Conseil des Églises protestantes évangéliques du Bénin
(CEPEB) traduit la prise de pouvoir par les églises évangéliques : ce sera désormais un pasteur pentecôtiste qui le dirigera. Mais la création à la même époque
de la Fédération des Églises et missions évangéliques du Bénin (FEMEB), à
l’initiative des Assemblées de Dieu, souligne l’indépassable dimension concurrentielle du secteur. Quoi qu’il en soit, et même si de nombreuses Églises restent
à l’écart de ces initiatives, ces structures bénéficient d’une certaine représentativité et leurs responsables deviendront des interlocuteurs privilégiés de l’État
béninois, conviés par lui au même titre que d’autres leaders religieux 10 .
Le tournant opéré vers l’activisme social emprunte aussi au modèle
catholique. L’Église catholique est très présente dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou du développement. Les initiatives évangéliques vont se multiplier dans ces secteurs à partir du milieu de la décennie 1990, souvent avec
une absence de moyens qui limiteront drastiquement les ambitions : créations
d’organisations non gouvernementales confessionnelles, ouverture d’établissements scolaires et de cliniques par des Églises ou des fédérations d’Églises.
Enfin, c’est à la même époque que s’opère un virage vers le débat public
et la sphère politique, s’inspirant là aussi de l’inf luence du catholicisme. Entre
1995 et 1998, sont organisés, souvent par l’intermédiaire du CEPEB, des
colloques et des conférences portant sur le « rôle du cadre chrétien dans la
société » ou le « rôle de l’Église dans le développement du Bénin », qui contribuent à modifier la relation au politique (voir encadré n° 1).
Encadré 1 – Évangélisme et politique au Bénin
« Pasteur président », « pouvoir évangélique », « réseau chrétien » :
au Bénin, les critiques sur les accointances entre le pouvoir politique et les
mouvements évangéliques sont d’actualité depuis de nombreuses années.
Depuis 1996, deux présidents à l’identité évangélique affirmée et souvent mise
en scène se sont succédé à la tête de l’État. Y a-t-il eu pourtant, depuis près
de vingt ans, une réelle évangélisation du pouvoir politique et comment s’est
manifestée cette prééminence religieuse au sommet de l’État ?
Au milieu des années 1990, plusieurs dynamiques concomitantes,
et partiellement liées, s’observent, entre évangélisation du politique et
politisation du religieux. D’un côté, le retour au pouvoir de Mathieu Kérékou,
l’ancien dirigeant du régime militaro-marxiste (1972-1990), à l’occasion de
l’élection présidentielle de 1996, étonne car c’est un homme nouveau, converti
au christianisme évangélique, qui se présente aux électeurs. Suivi par un jeune
pasteur béninois durant sa traversée du désert, ses meetings sont alors nourris
de références bibliques. Dans le même temps, une réf lexion sur la relation des
acteurs évangéliques béninois à la société, mais aussi à l’État, est élaborée par
une partie de cette mouvance, désireuse désormais d’être active dans l’espace
public, de promouvoir des cadres chrétiens, de convertir les élites. La jonction
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
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entre ces deux dynamiques étant opérée (le pasteur proche du chef de l’État,
qui le conseillera à la présidence, deviendra ainsi le leader du Conseil des
Églises protestantes et évangéliques du Bénin, principale association interdénominationnelle), les effets seront perceptibles tant aux niveaux de la
symbolique et du langage politique national (désormais abondamment travaillés
par un imaginaire biblique), des voies de recrutement du personnel politique
(la figure du ministre « frères en Christ », voire du ministre pasteur, s’imposant
tandis qu’il n’y aura quasiment plus de commission électorale nationale sans
« hommes de Dieu » en son sein) et, de manière marginale, au niveau des
politiques publiques peu impactées. Au final, c’est bien une évangélisation de
l’État, et par l’État, qui se produit (Strandsbjerg, 2005).
En 2006, c’est un homme inconnu de la majorité des Béninois quelques
mois auparavant, président de la Banque ouest-africaine de développement
(BOAD) pendant plus d’une décennie, qui accède au pouvoir (Mayrargue,
2006). Yayi Boni est une figure exemplaire du born again, né dans un milieu
musulman, converti au christianisme à l’âge de 10 ans, passé même plus tard
par une période de reniement, puis une phase de rédemption et de retour à
l’évangélisme, si l’on suit le travail de re(construction) et de formalisation qu’il a
lui-même produit. Si une certaine euphémisation de son orientation religieuse
est perceptible lors de la campagne électorale de 2006 – seuls certains réseaux
évangéliques se mobilisent en sa faveur –, ses deux présidences successives (il est
réélu en 2011) sont marquées par un affichage parfois prononcé de sa foi et la
présence renouvelée de coreligionnaire à la tête de départements ministériels.
Le rôle attribué à certains pasteurs dans l’entourage de Yayi Boni suscite
régulièrement des rumeurs. En fait, plusieurs pasteurs, béninois et étrangers,
notamment nigérians, ont successivement été présents auprès de lui depuis
2006. S’ils ont pu, outre leur accompagnement spirituel, être sollicités pour
donner leur avis, par exemple à l’occasion de nominations ministérielles, leur
inf luence sur l’exercice du pouvoir est difficilement mesurable. Un autre pasteur,
conseiller au ministère de l’Intérieur, de la Sécurité publique et des Cultes,
est en charge de la gestion des fonds attribués annuellement par le pouvoir à
l’ensemble des acteurs religieux. Mais si des réseaux et des figures évangéliques,
désormais notabilisées, ont profité à des degrés divers de la proximité avec le
pouvoir, la sphère évangélique, bien loin d’être homogène, n’est caractérisée par
aucun unanimisme vis-à-vis du pouvoir. Au final, si les projets évangéliques de
conquête étatique ont partiellement abouti, les ambitions de transformation du
politique demeurent, quant à elles, très largement inachevées.
11. Elle cite précisément l’exemple
d’une organisation qui mit en place
des « caravanes de da’wa », qui
consistait en « une expédition
missionnaire, à durée limitée qui
ciblait des villages de brousse » assez
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librement inspirée des campagnes
itinérantes d’évangélisation (Miran,
2006, p. 386).
Afrique contemporaine 252
Mais le succès évangélique n’est pas non plus sans inf luence à son tour
sur le reste du champ religieux, au sein du christianisme, ainsi qu’au niveau de
l’islam.
Tout d’abord, les conversions aux Églises évangéliques et pentecôtistes
concernent souvent d’anciens fidèles catholiques ou du moins des individus
socialisés dans un environnement déjà christianisé. Face à cette concurrence,
s’est développée une relative « pentecôtisation » de l’ensemble de la sphère
chrétienne. Bien que le catholicisme attire toujours de nombreux fidèles (les
plus grandes églises de Cotonou sont des paroisses catholiques, ce sont elles qui
drainent toujours le plus de fidèles lors des cultes dominicaux), la progression
de nouvelles Églises constitue un défi pour le clergé. La montée en puissance
du renouveau charismatique, tout particulièrement à Cotonou, est un outil
qui permet, en valorisant une pratique émotionnelle, autour de la figure de
l’Esprit-Saint et de sa capacité à intervenir dans la vie humaine, de fournir une
réponse acceptée, encadrée et contrôlée par l’institution catholique, à l’offensive pentecôtiste, avec un discours, une symbolique et une pratique relativement similaires à ceux utilisés dans ces églises.
L’organisation des funérailles constitue un autre site d’observation
pertinent (Noret, 2014) : à une logique relativement accommodante avec les
coutumes locales (acceptation de rites lignagers en marge des funérailles
catholiques) succède depuis peu, comme par exemple à Abomey, une position plus intransigeante (des « funérailles exclusivement chrétiennes »). Les
critiques formulées, notamment par des Églises évangéliques sur l’ambiguïté
catholique vis-à-vis des rites locaux, ont contribué à ce changement de paradigme au niveau de l’institution catholique. De fait, l’impression est plus
celle d’un continuum ou du moins d’un espace de circulation (d’individus, de
croyances, de pratiques) entre ces Églises, anciennes et nouvelles, instituées
et plus informelles, plutôt que d’une juxtaposition d’Églises relevant de catégories clairement caractérisées et délimitées par des frontières qui seraient
imperméables.
La question des inf luences sur l’islam est a priori plus compliquée à
appréhender, même si de tels effets ont pu déjà être soulignés ailleurs. Ainsi,
Marie Miran a observé en Côte d’Ivoire au cours des années 2000 que « les
musulmans, délibérément ou non, adoptèrent certaines pratiques chrétiennes
d’évangélisation pour servir leur propre projet religieux » (Miran, 2006,
p. 381)11. Au Bénin, l’insistance mise par certains acteurs évangéliques, adeptes
de la théologie de la prospérité, sur la réussite, le succès et l’enrichissement –
au point d’organiser des séminaires, des conférences ou des cultes autour de
ces seuls éléments, a infusé dans l’ensemble du champ religieux. En 2012, un
mouvement musulman, GFLAH, reprenant la symbolique et le discours évangéliques associés à ce type de manifestation, organise à Cotonou une conférence publique de prêche et de prière autour du thème « La clé de la réussite »
(voir encadré n° 2).
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
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Encadré 2 – Sur la piste de la porosité religieuse
Repérer
les
manifestations de la porosité religieuse
et de l’inf luence des discours et
des symboles évangéliques sur
d’autres acteurs religieux n’est pas
évident. Pourtant, parfois, c’est
au détour d’une rue qu’en surgit
une illustration. Ainsi, de cette
affiche remarquée à un carrefour
de la ville de Porto-Novo en janvier 2012, qui annonce une manifestation publique organisée à
Cotonou par un mouvement musulman, GUFLAH (Gufroonu-Llah
International). Il s’agit d’un groupe
de prières, fondé en 2011 à Cotonou
par un prédicateur nigérian, inscrit dans le champ du soufisme.
Pourtant, tout sur cette affiche rappelle les innombrables annonces pour des
croisades d’évangélisation, des soirées de délivrance ou des programmes sur
la réussite proposés régulièrement par des mouvements évangéliques et pentecôtistes dans cette même ville. Sans l’image de la mosquée en arrière-fond,
le croissant et la mention « association islamique », la confusion pourrait être
grande. Cette « première conférence publique de prêche et de prière » a pour
thème « La clé de la réussite », sujet qui miroite avec les thématiques favorites
des mouvements chrétiens nourris de la théologie de la prospérité, valorisant la
réussite, le succès et l’enrichissement. Ce sont ces mouvements qui ont importé
ces thématiques à Cotonou à partir de la fin des années 1990. D’autres éléments
créent des jonctions entre cette manifestation et ses équivalents évangéliques,
outre l’origine anglophone et précisément nigériane du promoteur de l’activité :
le lieu où elle se déroule (le Hall des Arts situé au quartier Gbégamey a constitué pendant longtemps un des hauts lieux des rassemblements chrétiens), la
présence d’un « MC » provenant d’une station de radio privée de la place (CAPP
FM), laquelle loue régulièrement son antenne à des programmes chrétiens.
Photo Cédric Mayrargue, Porto-Novo, Bénin, janvier 2012.
En participant, avec d’autres acteurs religieux, par leur logique d’expansion et de fragmentation, à la transformation de territoires religieux (quasi)
exclusifs en terrains partagés et disputés, à l’échelle locale comme nationale,
106 Les nouveaux christianismes en Afrique
Afrique contemporaine 252
les acteurs évangéliques ont contribué à démultiplier les lieux de contacts et
d’échange, favorisant des formes de porosité parfois inédites.
Les christianismes contemporains, dans leur diversité, marquent de
leur empreinte la société béninoise, au même titre que d’autres acteurs religieux. La visibilité qui les caractérise, notamment par une occupation et un
marquage de l’espace urbain, ainsi que par la volonté de certains d’entre eux
d’inf luer dans les débats publics et la sphère politique, ne traduit cependant
pas une position dominante dans le champ religieux. Appréhendés dans une
logique de pluralisation religieuse, ils se trouvent en situation de cohabitation,
vécue parfois sous l’angle de la compétition et du conf lit, mais qui engendre
également des conditions nouvelles d’interactions, d’échanges et d’emprunts.
Ils participent ainsi à la fois d’un dépassement des frontières géographiques,
en favorisant un partage des territoires religieux, et d’une remise en cause des
catégorisations, aussi bien au sein du christianisme – où la circulation d’individus, d’imaginaires ou de symboles est grande – que dans l’ensemble du champ
religieux, traversé par des effets de porosité.
Cependant, la fragmentation à l’extrême de l’offre évangélique et pentecôtiste, la dilution de cette présence, la concurrence d’une offre religieuse
multiple et sans cesse renouvelée, ainsi que l’autonomie et la forte mobilité
des fidèles dessinent un paysage religieux mouvant, évolutif et incertain. Ces
caractéristiques sont de nature à questionner la solidité de l’implantation de
ces entrepreneurs chrétiens et tendent à rendre particulièrement délicats leur
travail de fidélisation et, au-delà, leur pérennité même, dans un paysage où
sont enracinés et se développent d’autres acteurs religieux.
Entre dynamisme réel et fragilité certaine, quête de spécificité et insertion dans un champ religieux désormais fortement pluralisé où les interactions
et les échanges sont quotidiens, le devenir des christianismes contemporains
paraît se dessiner sous le sceau d’une profonde incertitude.
Les christianismes contemporains au Bénin au défi de la pluralisation
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