Une « séparation perméable » ?
Influences réciproques entre religion(s) et États
dans l’Occident contemporain
Revue de la littérature en vue d’une thèse de Maîtrise
Loïc DRUENNE – Avril 2017
Loïc DRUENNE
Table des matières
Table des matières ............................................................................................................................ 2
Introduction ...................................................................................................................................... 3
Quelques remarques générales sur l’étude de la religion dans l’État ............................................... 4
Quand l’État se mêle de religion : la régulation de la laïcité ........................................................... 7
Quand la religion se mêle de politique : les groupes d’influence .................................................. 14
Enjeux contemporains .................................................................................................................... 21
Conclusion ...................................................................................................................................... 23
Bibliographie .................................................................................................................................. 24
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Loïc DRUENNE
Introduction
D’innombrables ouvrages, articles, conférences et colloques ont traité – et traitent encore chaque
année – de la complexe question des relations qui se tissent entre les groupes religieux et les États
en Occident1, alors même que les deux entités se trouvent séparées de droit à travers des modèles
variables de laïcité. En effet, malgré le caractère semblant désormais acquis de la laïcité dans
cette région du monde, des influences continuent à s’exercer en continu entre religions et États à
travers les relations qui les lient, qu’elles soient de nature régulatrice, d’influence ou encore
mimétique. Bien que les avocats d’un abandon de la laïcité – même partiel – soient peu nombreux
de nos jours, de leur côté, tant les acteurs étatiques que les acteurs religieux s’efforcent, à travers
leur action, d’étendre un tant soit peu le pouvoir et l’influence de leurs entités respectives. De ce
fait, des myriades de configurations possibles entre politique et religion se dessinent, au gré des
acteurs, de leur culture et du contexte dans lequel ils évoluent.
Le cadre auquel nous nous intéresserons dans le cadre de cette revue de la littérature recouvre
l’Occident contemporain, avec une insistance particulière sur la Belgique et le Canada, qui seront
approfondis dans la suite de cette thèse de Maîtrise. Les situations actuelles ne pouvant être
comprises indépendamment du passé, une perspective historique sera utilisée lorsque cela sera
nécessaire. Nous commencerons par faire quelques remarques générales sur l’étude des relations
entre religions et États ; ceux qui nous intéressent ici ayant subi une sécularisation au moins
partielle, nous étudierons ensuite les deux sens dans lesquels religion et État peuvent agir l’un sur
l’autre : la régulation de la laïcité par l’État d’un côté et les modes d’action des religions sur le
Par « Occident », nous désignons ici les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, certains États situés
notamment à l’Est de l’Europe se trouvant dans des modèles de laïcité radicalement différents de ceux qui nous
occupent ici.
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Loïc DRUENNE
politique de l’autre, en nous attardant sur ces derniers. Nous établirons ensuite quelques
perspectives contemporaines avant de conclure.
Quelques remarques générales sur l’étude de la religion dans l’État
DE LABORIEUSES QUESTIONS DE VOCABULAIRE
Toute étude des rapports entre religion et État se doit de préciser la teneur de ce qu’elle entend
par ces concepts et tous ceux qui l’accompagnent (sécularisme, laïcité, religiosité, politique,
influence, etc.). Il convient, de la même manière, de déterminer l’étendue des définitions ainsi
faites ; c’est à un travail analogue que se sont attelés Calhoun, Juergensmeyer et Van Antwerpen
dans « Rethinking secularism » (2011) en démêlant les complexes relations entre les concepts de
sécularisme et de religiosité, tout en s’interrogeant sur le degré d’universalité de ceux-ci et la
manière dont tous deux interagissent avec l’État où ils prennent place. Les essais proposés par les
auteurs traitent de sujets variés, depuis des questions de vocabulaire (chap. 2) à la liberté
d’expression (chap. 13) en passant par des questions de citoyenneté (chap. 3), de relations
internationales (chap. 7) ou encore de la globalisation du politique (chap. 9). Si les différents
contributeurs n’ont pas toujours les mêmes opinions (notamment Taylor (chap. 1) et Casanova
(chap. 2) sur les définitions respectives du religieux et du séculier), on ne peut qu’admirer la
variété des horizons balayés par l’ouvrage collectif. Si les sujets pourraient parfois être plus
approfondis, notamment au regard des théories classiques des sciences des religions, il n’en reste
pas moins que « Rethinking secularism » transmet au lecteur les clés pour comprendre l’étendue
de la question du sécularisme.
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Loïc DRUENNE
Jean Baubérot, lui aussi, dans son contexte français, a consacré beaucoup de temps et d’énergie à
la définition des mêmes concepts, au point d’en faire l’objet d’un article entier : dans
« Sécularisation, laïcité, laïcisation » (2013), il s’est intéressé successivement aux trois concepts
dont il a fait le titre de son article. Dans une perspective historique, l’auteur décortique
patiemment les nombreuses variations conceptuelles orbitant autour de ceux-ci. Ainsi, pour lui, la
sécularisation est avant tout un paradigme né avec la sociologie de la religion (Baubérot 2013,
32), qu’il lie aux concepts de désenchantement, de rationalisation, de mondanisation, de
privatisation, de pluralisation et enfin de différenciation institutionnelle » (Baubérot 2013, 33).
L’argumentation est précise, recherchée et satisfaisante, mais très « francocentrée », même si
l’auteur a manifestement essayé d’éviter ce biais classique en traitant des concepts anglo-saxons
de secularism et de secularization.
ENTRE PARTICULARISME ET GÉNÉRALISME
Lorsqu’il s’agit de traiter des relations entre religions et États à un niveau supranational, le
danger est grand de tomber dans l’un ou l’autre des biais d’une généralisation hâtive ou, au
contraire, d’une timidité excessive face au dégagement de tendances, sous réserve des
innombrables différences qui ne manquent pas de se manifester entre les différentes situations
potentiellement comparables. C’est précisément à cette ambiguïté que l’ouvrage collectif
« Religion and the state: a comparative sociology », dirigé par Barbalet, Possamai et Turner
(2011), s’est attelé. Les auteurs ont essayé de venir à bout du problème en établissant une voie
médiane.
Au moyen d’études de cas bien documentées, les auteurs n’hésitent pas à remettre en question les
théories « classiques » de la sociologie dans un souci permanent de reconstruction des modèles
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Loïc DRUENNE
qui les intéressent. Chapitre après chapitre sont avancées plusieurs thèses, dont une qui consiste à
voir la sécularisation comme une transformation des fonctions de la religion dans les domaines
social, culturel et économique. Cette évolution se trouve selon eux sémantiquement liée au
processus de la globalisation. L’État est vu comme prenant les religions en charge dans une
mesure croissante, rendant celles-ci équivalentes à de simples « services ». La sécularisation, qui
ouvre la société au « marché des religions », provoque de ce fait une rencontre de ces dernières
avec les logiques consuméristes. Le raisonnement des auteurs est clair et limpide ; tout au plus
pourrait-on reprocher à ceux-ci de trop peu s’intéresser au monde occidental.
RELIGIONS ET ÉTAT(S) : UNE CHIMIE AUX RÉSULTATS VARIABLES
Une fois leurs principaux concepts définis, et le cadre de leur approche posé, les auteurs qui
traitent des relations entre religions et États déploient invariablement un modèle, une
compréhension qui leur est propre de ces relations. En règle générale, sans tomber dans une
simplification excessive ramenant par exemple les différents modèles de relations à un axe
unique s’étendant entre deux pôles marquant la domination complète d’une entité par l’autre, il
peut être imaginé un espace multidimensionnel dans lequel pourraient se placer les différentes
situations existantes. Cet espace resterait cependant une simplification de la réalité, tant il paraît
difficile de percevoir celle-ci dans toute sa complexité.
Dans la partie analytique de son ouvrage « Religion and the State », Natalie Goldstein (2010)
esquisse quelques grands traits d’une telle caractérisation des modèles en proposant un rapide
passage en revue des questions majeures qui se posent aujourd’hui au sujet des rapports entre
religions et États dans le monde. Partant du constat de l’existence du phénomène religieux et de
la diversité de ses formes, elle commence par faire état de la relation étroite existant entre
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Loïc DRUENNE
politique et religions dans nombre de sociétés à travers le temps, qu’elle explique par la recherche
commune à l’une et aux autres de « l’ordre et de résultats prévisibles issus des actions humaines »
(2010, 6). La manière dont l’arbitrage sera fait au sein d’une société lorsque partisans de
l’autorité divine et partisans de l’autorité politique ont des divergences d’opinion sera alors
déterminante du modèle politico-religieux de la société en question. Très rapidement, à la faveur
d’un bref passage en revue des grands modèles de (non-)coordination entre religions et États au
sein des majeures religions du monde, Goldstein propose, clairement mais d’une manière peu
analytique et souvent incomplète, une lecture du lien intime – bien que parfois délicat – entre
politique et religions en Occident. Si peu de distinctions entre les multiples situations différentes
en Occident sont effectuées, l’intention de l’auteure est cependant respectée, puisque son ouvrage
a principalement pour but de poser les bases d’une étude de la religion en relation au politique et
de proposer, par la suite, des ressources destinées à approfondir son travail.
Quand l’État se mêle de religion : la régulation de la laïcité
Malgré les sécularisations différenciées des pays occidentaux, des influences réciproques
continuent à s’exercer entre les États et les religions. Nous étudierons de manière distincte les
processus par lesquels les États influent sur les religions et ceux par lesquels ce sont les religions
qui influent sur l’État et ses institutions. Bien entendu, il n’existe nulle part un système binaire ou
seul l’un agirait sur l’autre ; cette différenciation n’est ici faite que pour favoriser une meilleure
compréhension des phénomènes dont il est question.
Dans « États et religions en Europe » de Catherine Haguenau-Moizard (2000) se trouve, en ce qui
concerne l’Europe, un approfondissement partiel – mais toujours pas suffisant – du travail de
Goldstein dont nous venons de traiter. Après une perspective historique mettant en exergue
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Loïc DRUENNE
l’évolution des mentalités européennes vers l’idée de tolérance au sein de différents pays,
l’auteure dresse ensuite un « cadre actuel » des relations entre religions et États avant de parler de
domaines plus transversaux d’application de ces relations tels que le monde professionnel, l’école
et le financement des cultes.
On peut cependant regretter l’absence des pays d’Europe centrale, de l’Est et du Nord,
« oubliés » au profit de l’Europe occidentale (France, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne,
Espagne, Italie). Par ailleurs, si axer l’entièreté de l’ouvrage sur le concept de tolérance reste
original, la variété des manières dont celle-ci a pu être comprise et interprétée à travers le temps
par différents groupes sociaux se limite chez Haguenau-Moizard à une « simple » dualité
catholiques/protestants, éventuellement affinée selon les pays étudiés par l’auteure. De plus, à
nouveau, le format de l’ouvrage et l’objectif poursuivi par Haguenau-Moizard – dont l’identité
française se reflète, tout comme Bobineau, dans sa lecture de l’histoire qu’elle raconte – ne
permettent pas une présentation approfondie de chaque cas, résumant, dans le cas de la Belgique,
deux siècles d’histoire à quelques petites pages qui, finalement, ne font que bien synthétiquement
le tour de la question, survolant les particularités historiques de l’évolution politico-religieuse de
la Belgique en ne mettant en avant – et c’est bien là le mérite que l’on peut reconnaître à
l’ouvrage compte tenu de l’intention de l’auteure – que les concepts historiquement
fondamentaux de la situation tels que ceux de « piliers » (catholique, libéral et socialiste),
d’« indépendance mutuelle » ou de « séparation atténuée ». Enfin, malgré un chapitre entier
consacré à la « situation actuelle » dans chacun des pays traités, on peut regretter que les
évolutions récentes (soit postérieures à la moitié du 20ème siècle environ) ne sont que rarement
relatées dans l’ouvrage, daté de l’an 2000.
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Loïc DRUENNE
Dans « Les laïcités dans le monde », Jean Baubérot (2010), à nouveau conscient de sa perspective
française, s’est lui aussi attaqué à l’ambitieux projet d’une description générale des différentes
notions de laïcité à travers le monde. Il relève, en Europe, une certaine réticence à l’égard de la
laïcité, dont le sens est perpétuellement à définir et préciser ; ailleurs dans le monde, à travers les
continents, Baubérot analyse la manière dont la laïcité est comprise, appliquée et vécue. Il
distingue notamment la sécularisation de la laïcisation, la première étant davantage vécue dans le
monde anglo-saxon et la deuxième dans le monde francophone – même si les deux sont à l’œuvre
des deux côtés (2010, 50). Baubérot décode avec beaucoup de clairvoyance ce qu’il appelle
« l’ambivalence de l’État par rapport à la laïcité », c’est-à-dire le fait que le même État est à la
fois garant de sa propre séparation d’avec les religions et impliqué dans la régulation des
religions qui se développent en son sein (2010, 68). La laïcité de l’État le rend alors semblable à
un arbitre (Baubérot 2010, 103 ; Haarscher 2004, 4). En réaction, les religions seraient devenues,
elles aussi, « partie prenante de cette société civile » (2010, 84). La méthodologie de Baubérot,
constante, s’attarde tant sur les différences conceptuelles que sur les différentes dimensions des
situations étudiées, qui serait irréprochable sans le « quart d’heure normatif » de laïcité que
propose l’auteur au début de son ouvrage.
Dans « La laïcité, quel héritage ? », le même auteur (Baubérot 1990) a cette fois dressé un tableau
chronologique des différentes phases de l’évolution de la laïcité française sur les deux siècles qui
le séparaient alors de la révolution française. L’analyse de Baubérot est claire : si le premier
« seuil » de la laïcisation française, en 1789, permet pour la première fois à ceux qui le désirent
de se situer en-dehors de l’Église catholique, réduite à un « simple » service public mais toujours
majoritaire, la deuxième étape, en 1905, tient en la séparation des Églises et de l’État. Dès lors,
les religions, confinées dans la sphère privée, perdent la majeure partie de leur prégnance sur la
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Loïc DRUENNE
société. Enfin, Baubérot s’est intéressé à « l’affaire du foulard », qui, tout récent à l’époque, avait
déchaîné les passions françaises autour des limites de la laïcité suite à la croissance de la présence
musulmane en France. Simple, direct, réaliste, l’ouvrage de Baubérot offre une bonne vue
d’ensemble sur la laïcité française et aide à en comprendre les principaux ressorts et débats.
GÉNÉRALITÉS
Dans « Church and state in historical perspective: a critical assessment and annotated
bibliography », Wood (2005) fait état de la large variété des configurations entre religions et
États dans le temps, que celles-ci soient de conflit ou de concorde (2005, 23). Certains modèles
ont mené à une opposition nette entre religion et État, alors que d’autres ont privilégié une
subordination de l’un à l’autre (2005, 24). Pourtant, si certains modèles de relations entre la
religion chrétienne et l’État ont été davantage appliqués ou revendiqués dans certains territoires
ou certaines branches du christianisme, aucun n’a été l’apanage d’une branche unique de celui-ci
(2005, 23). Par ailleurs, pour l’auteur, si de nos jours le droit international reconnaît la liberté
religieuse comme un droit commun à tous, c’est en raison du développement simultané de ce
droit international et de l’idée de liberté religieuse (Wood 2005, 80 ; Bates 2013). La vague de
conventions et de traités internationaux que connut le monde lors des siècles derniers –
particulièrement au vingtième – a permis à cette liberté religieuse de se répandre de manière
considérable et de souvent s’insinuer, au moins en partie, dans toutes les régions du monde.
Pour Wood, le concept de laïcité de l’État est intimement lié à l’histoire et au développement du
christianisme ; il est explicitement opposé à tous les principes d’un État religieux, et reste
fondamentalement lié à l’idée de liberté religieuse (2005, 67‑68). Religions et État
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Loïc DRUENNE
n’interviennent pas dans les affaires l’un de l’autre plus en raison du caractère privé de la religion
que d’un déni réciproque (2005, 68).
LA SITUATION BELGE
Dans « La laïcité, quel héritage ? », dont nous avons déjà parlé, Baubérot (1990) accorde
quelques pages à la situation de la Belgique. Là, raconte-t-il, le processus de laïcisation s’est
cristallisé autour de trois « piliers » (libéral, social-chrétien, socialiste) autour desquels
s’organisaient tous les aspects de la vie sociale : écoles, hôpitaux, syndicats, partis politiques,
clubs sportifs, presse, etc. « Les piliers », dit-il, « peuvent être plus ou moins complets, étanches,
homogènes. Pour les religions, ils constituent un moyen de conserver en partie l’entre-soi
communautaire de la société traditionnelle dans la modernité » (1990, 72). Les conflits qui
éclatèrent au cours du processus de laïcisation du pays se manifestèrent principalement dans des
domaines où se côtoyaient divers piliers, tels que le système éducatif qui vit une véritable
« guerre scolaire » (1990, 72).
LA SITUATION CANADIENNE
Au Canada, la situation est toute autre. Dans le même ouvrage que celui que nous venons de
citer, Baubérot (1990) qualifie la laïcisation du Canada de « silencieuse » et caractérisée par trois
principes. Premièrement, un « double principe de neutralité et de collaboration » : si aucune
Église n’est établie par la Constitution, des collaborations n’en sont pas moins entretenues dans
certains champs sociaux tels que la tenue des registres civils de baptêmes, mariages et décès
(Baubérot 1990, 77 ; Milot 2002, 110). Deuxièmement, « la liberté de conscience et de culte est
bien assurée » (Baubérot 1990, 77) ; enfin, « le droit et son application témoignent d’une
régulation juridique où les individus se trouvent protégés et contre les restrictions de liberté qui
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découleraient de certaines décisions politiques et contre les intimidations auxquelles pourrait
recourir leur propre Église » (Baubérot 1990, 77).
Dans « Religion and politics: a world guide », Mews (1989) conteste l’avis de Baubérot selon
lequel la laïcisation du Canada aurait été silencieuse ; pour lui, en effet, « politique et religion ont
toujours été en conflit au Canada, bien que ce soit généralement par erreur » (1989, 35). Celui-ci
explique que d’une manière en fin de compte semblable à la Belgique, le 19ème siècle vit au
Canada un important conflit entre un État « en quête du plein contrôle de l’éducation » se
heurtant au refus des Églises. En conséquence sont apparues des écoles séparées du système
officiel, ne bénéficiant que de faibles subsides publics, tant en Ontario qu’au Québec et qu’au
Manitoba (1989, 36).
Dans la même perspective de conflits, William Janzen traite dans “Limits on liberty: the
experience of Mennonite, Hutterite and Doukhobor communities in Canada” (1990) de
l’évolution du concept de liberté religieuse au Canada aux 19ème et 20ème siècles. Son objectif y
est clair : il consiste à proposer un modèle apte à décrire la manière dont une société
individualiste pourra assurer une liberté religieuse à des individus pour qui la religiosité ne peut
se vivre que collectivement. Sa méthode de travail a été, dans cet ouvrage, de sélectionner des
situations où, au cours des derniers siècles, certains groupes sociaux du Canada se sont trouvés en
conflit avec l’État au nom de leur appréhension des libertés religieuses. L’issue de ces conflits,
qui vit ces trois communautés déménager vers d’autres territoires, fut caractérisée par des
« efforts » des communautés et de l’État en vue d’un meilleur vivre ensemble. La question des
« limites de la liberté », qui sous-tend la totalité de l’ouvrage, y est cependant quasi-
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Loïc DRUENNE
exclusivement abordée d’un point de vue pratique et historique, et non théorique, ce qui est
probablement le principal défaut de l’ouvrage.
Concernant le cas particulier du Québec, Micheline Milot propose dans « Laïcité dans le
Nouveau Monde : le cas du Québec » (2002) une lecture du Québec comme un territoire où s’est
effectué un « métissage des visions » hors du commun, à partir d’héritages philosophiques
français, américains, britannique et du Vatican. Dans une perspective historique, Milot retrace
l’histoire des idées de ce territoire pour le moins atypique, deux fois contre-révolutionnaire (1776
et 1789) sans l’être en lui-même. Il s’agit, aussi, de tracer les contours de ce que l’on pourrait
appeler les « affaires », ou épisodes remarquables de la laïcité « à la canadienne ». L’œuvre de
Milot, complète et bien soutenue, propose une lecture large et sans oubli de l’histoire de la laïcité
québécoise.
UNE AUTRE INFLUENCE DU POLITIQUE SUR LE RELIGIEUX : LE MIMÉTISME
Selon Bauer (1999), qui s’exprime dans « Politique et religion », « l’influence du politique sur le
religieux peut [aussi] être un réflexe d’adaptation des Églises au changement politique » : un
mimétisme serait à l’œuvre entre les institutions politiques et religieuses, ces dernières calquant
depuis plusieurs années les frontières de leurs instances « aux frontières de l’Union européenne »,
créant une véritable correspondance entre les territorialités religieuses et étatiques, « de la
paroisse d’antan à l’Assemblée des évêques européens d’aujourd’hui ». Ce mimétisme est d’après
lui « d’autant plus remarquable [qu’il] est, dans maints cas, [inconscient] » (1999, 36).
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Loïc DRUENNE
Quand la religion se mêle de politique : les groupes d’influence
Après un premier volet consacré aux actions menées par les États sur les religions, intéressonsnous désormais à la situation inverse : de quelles manières les religions exercent-elles une
influence sur les États ?
Selon Bauer (1999), dont nous parlions plus haut, la laïcité qu’ont choisi d’imposer les États
occidentaux fait de la sphère publique – et donc de la sphère politique – un terrain
« religieusement neutre », sur lequel « chacun est libre dans sa sphère mais l’État dominant le
politique, [la religion] en est réduite à jouer le rôle d’un groupe d’intérêt à l’intérieur du cadre
sociétal chapeauté par l’État » (1999, 26‑27). Dès lors, elle s’organise ; elle crée des groupes
d’influence – partis politiques, lobbies ou autres – dont l’objectif sera de faire asseoir dans la
société des valeurs, des idées, voire des idéologies issues des religions dont ces groupes sont issus
(1999, 59).
C’est de cette question que Bauer (1999) a fait l’objet de son ouvrage « Politique et religion ».
Pour un si petit volume, l’objectif de Bauer n’est pas des moindres : démontrer que la religion
n’est aujourd’hui pas aussi évacuée de la politique qu’on le pense généralement et qu’elle
continue en réalité à influencer à la fois la et le politique. Bauer étudie successivement l’impact
de la religion sur les identités nationales, les partis politiques, les groupes de pression et la
politique internationale, dans une perspective étonnamment globale et consciente de la
multiplicité des modèles et des configurations. Très précis dans les termes utilisés et leurs
différences (Église, religion, foi, etc.), définissant avec soi chacun d’entre eux selon ses
différentes acceptions et ce qu’il entend en les utilisant, l’auteur ne manque pas, sur le chemin
vers son objectif, de démontrer que les influences réciproques entre religions et politique vont
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Loïc DRUENNE
aujourd’hui parfois bien au-delà de la simple influence relative à la clôture de nos sociétés. Bauer
ne manque pas, en quelques pages, de traiter de l’influence de la religion sur la construction des
identités (notamment dans le cas du judaïsme), sur les relations internationales et de l’importance,
dans de nombreux pays occidentaux, de lobbies et/ou de partis politiques sur la prise de décision
à tous les niveaux de l’État (notamment les lobbies anti-avortement aux États-Unis). Mais le plus
magistral dans la démonstration de Bauer reste sans doute la manière dont il décode le rôle
ambigu des institutions religieuses (parmi lesquels il cite notamment le Vatican, les ONG
religieuses, la Conférence Islamique et les Quakers) vis-à-vis des États, entre une
instrumentalisation des premières par les seconds et un travail de sape de l’autorité des seconds
par les premières. L’analyse est pertinente, et les sujets abordés le sont étonnamment bien au
regard du volume modeste de l’ouvrage ; ce dernier reste par ailleurs en grande partie d’actualité
malgré son ancienneté (1999).
EN OCCIDENT
Tout le monde n’est pas d’accord sur le rôle politique des religions dans nos sociétés
occidentales. Dans « Ouranos ou les trois fonctions de la religion dans l’État », Jean Monod
(2015), chercheur français passionné par les relations entre mythes et idéologies, présente, de
manière familière, légère et fluide, ce qui constitue selon lui les trois fonctions de la religion dans
une société étatique : la sacralisation du pouvoir, l’aliénation des consciences et la mythification
de l’histoire (2015, 12). Pour lui, donc, peu (ou pas) de place pour la religion au sein du pouvoir
politique ! Persuadé du fondement religieux de la « sacralité » des pouvoirs politiques modernes,
l’auteur développe chacune de ces fonctions d’une manière qui, en fin de compte, relève plus de
l’argumentation en faveur d’une certaine lecture de l’histoire que d’une véritable analyse de cette
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Loïc DRUENNE
dernière. Peu étayé par la littérature, Monod a sur la religion un puissant a priori négatif,
considérant avant tout celle-ci comme une structure de pouvoir s’imposant aux individus en les
aliénant, dans une perspective quasi-marxiste. Davantage essai d’opinion que littérature
proprement scientifique, l’ouvrage de Monod ne peut servir, en tant que tel, à une analyse
approfondie et étayée des relations entre religions et états.
Dans le même registre, dans son ouvrage « Christian perspectives on politics », J. Philip
Wogaman (1988) a voulu faire le tour de la question du comportement des chrétiens en politique,
tant au sujet de leurs orientations politiques que de leur soutien de la démocratie ou encore des
relations entre religions et États. Cependant, si le caractère complet des sujets abordés ne laisse
aucun doute sur la capacité de l’auteur à les traiter, on remarque plusieurs défauts à l’ouvrage :
l’auteur, qui s’exprime au nom de sa foi, qualifie de « perspectives chrétiennes » des opinions
qui, dans les faits, pourraient varier plus qu’il ne le laisse entendre dans ses pages. Il s’agit, ici
aussi, davantage d’un essai d’opinion que d’une analyse concrète des opinions des chrétiens sur
les grands principes politiques ; l’ouvrage, qui ne paie pas de mine, laisse à première vue une
image scientifique, complexe et étayée – ce qu’il est en partie, mais sans doute pas suffisamment
pour servir à une analyse approfondie du sujet qu’il s’efforce de traiter.
EN EUROPE
Si tous les auteurs ne sont pas du même avis sur le rôle exact des religions vis-à-vis de la
politique de nos jours, la majorité d’entre eux démontre clairement que de puissantes influences
existent au sein du pouvoir politique par des intérêts religieux – et ce, même au niveau
supranational de l’Union Européenne. En effet, dans « The logic of structured dialogue between
religious associations and the institutions of the European union », Kenneth Houston (2010) a
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cherché à démontrer en quoi l’établissement d’un « dialogue structuré » permettrait à l’Union
Européenne de débattre plus sereinement de son rapport aux religions, suite à l’échec de la mise
en place d’une Constitution européenne en 2007-2008. À cette époque, suite à la signature du
traité de Lisbonne de 2007, le débat avait fait rage quant à l’intégration – ou non – de la mention
des racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de cette Constitution. Différents groupes
religieux avaient alors fortement milité en faveur d’une telle mention ; pour eux, selon l’auteur, il
semblait clair que les valeurs qui président à la construction européenne seraient intrinsèquement
religieuses, ce qui rendrait inévitable la reconnaissance de la religion chrétienne comme
constitutive de celle-ci. Houston explique qu’une certaine confusion serait faite par ces groupes
d’intérêt entre le débat de valeurs et de racines et le caractère représentatif attendu d’un texte
constitutionnel. Le développement est cohérent, mais une interrogation quant à la pertinence
concrète et empirique persiste – faire mieux aurait cependant été difficile, étant donnée la
difficulté d’accès à des informations complètes et précises au sujet des lobbies, souvent confinés
dans l’ombre.
Anja Hennig propose, dans son article « Between conflict and cooperation: religion and politics
in Europe » (2015), une explication historique de l’émergence de ces groupes d’intérêt religieux
en Europe. Après une mise en perspective historique, elle explique que c’est avec la
sécularisation que ces partis sont apparus, « principalement là où le catholicisme était devenu le
symbole d’une culture nationale opprimée » (2015, 124), les catholiques étant alors souvent
tiraillés entre leur fidélité au pape (dont le concile Vatican I avait réaffirmé l’autorité) et à leur
pays. L’auteure, souvent focalisée sur les conflits qui ponctuèrent l’histoire plutôt que sur des
dynamiques indépendantes et rectilignes, ponctue son argumentation de plusieurs exemples
nationaux qui font de son article un dispositif plutôt convainquant. Hennig conclut en
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Loïc DRUENNE
(ré)affirmant la position privilégiée des religions vis-à-vis des États qui persiste malgré la
sécularisation de ceux-ci. Pour elle, la religion « est devenue plus visible dans le public et en
politique », ce qui ne signifie pour autant pas « que la religiosité individuelle ait augmenté »
(2015, 127).
Dans « Representing religion in the European Union: does God matter? », Lucian Leustean
(2013) propose quant à lui une typologie historiquement étayée des modes par lesquels différents
groupes d’intérêt religieux agissent à Bruxelles, au cœur de l’Union Européenne. Dans une
première partie, il est argumenté que trois des grandes figures de la construction européenne
(Schuman, Adenauer et de Gaulle) ne trouvaient leur motivation, contrairement à ce que l’on
entend régulièrement, ni dans leurs convictions religieuses, ni dans d’éventuels intérêts relatifs à
l’Église catholique. Cependant, les intérêts religieux auraient en Europe, de manière dès lors plus
diffuse, un impact si fort qu’il fait dire à l’auteur du chapitre (John Madeley) qu’il ne se trouve en
Europe aucune véritable séparation des religions et de l’État. Dans une deuxième partie, il est
question de cinq représentants religieux européens qui, successivement, expliquent en long et en
large en quoi leurs communautés respectives ont participé à la construction de l’Europe
contemporaine. Si les parties III et V de l’ouvrage nous intéressent moins dans le cadre de cette
revue de la littérature, on peut cependant s’intéresser à la quatrième partie, qui propose une
comparaison entre les complexes politico-religieux de l’Europe et de l’Amérique du Nord.
Adrian Pabst, auteur de l’un des chapitres de cette partie, explique que l’Europe est à la fois plus
religieuse et plus séculière que l’Amérique du Nord, faisant évoluer ses modèles de laïcité selon
d’autres dimensions que cette dernière.
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Loïc DRUENNE
L’ouvrage collectif dirigé par Leustean a le mérite d’être clair et de brasser large : il parvient, en
quelques centaines de pages, à aborder la majorité des sujets relatifs au thème de son livre tout en
plongeant assez profondément pour ne pas rester dans la superficialité. On regrette cependant de
le voir se terminer sans qu’aient été traitées mille autres questions qui ne cessent de se manifester
tout au long de sa lecture : en quoi les groupes d’intérêt religieux diffèrent-ils des autres groupes
d’intérêt ? Comment mesurer précisément les effets de ces groupes ?
AU CANADA
Dans « Church and State in Canada », Albert J. Menendez (1996), spécialiste des libertés
religieuses originaire des États-Unis, s’est intéressé à la relation entre les Églises et les États chez
le voisin du Nord de son pays. Son objectif, annoncé dès la préface, n’est rien de moins que
« interpréter et comprendre l’expérience canadienne en ce qui concerne les relations entre Églises
et État » (1996, 11). Pour ce faire, l’auteur passe en revue une série de questions de société
(éducation, avortement, libre exercice de la religion, divorce, etc.) afin d’analyser, pour chacune
d’entre elles, les tenants et aboutissants de la situation et leurs implications quant à la manière
dont fonctionne l’État canadien en relation aux religions qui s’y perpétuent, toujours en lien avec
la situation américaine, à laquelle l’auteur ne manque pas de faire de multiples allusions,
conscient, comme il l’explique clairement, du fait que la plupart de ses lecteurs seraient issus du
même pays que lui.
Malgré la relative ancienneté de l’ouvrage (qui date de 1996), les tendances dégagées par
Menendez mettent en lumière la manière dont les débats dont il traite ont été menés en lien avec
les différents groupes religieux. Il est notamment fait mention d’une « séparation non-écrite des
Églises et de l’État » (1996, 105) qui n’exclut cependant pas la reconnaissance de la suprématie
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Loïc DRUENNE
de Dieu dans le Canadian Bill of Rights et dans le Charter of Rights and Freedoms (1996, 106).
Si la lecture de cet ouvrage offre de précieuses clés de lecture sur le passé, son ancienneté le rend
cependant incomplet pour la compréhension de la situation actuelle des religions au sein de l’État
canadien.
Dans « Monarchy, religion and the state: civil religion in the United Kingdom, Canada, Australia
and the Commonwealth », Norman Bonney (2013) a été plus loin que Menendez (1996) en
portant son attention sur les relations entre la Couronne britannique, la Constitution et la religion,
non seulement au Canada mais plus généralement au Royaume-Uni et dans les pays du
Commonwealth. Il argumente en faveur d’une sécularisation croissante, où les religions, chassées
du pouvoir « officiel », se replient sur une action plus discrète au sein-même des institutions. Son
mérite, peut-on reconnaître, tient clairement à sa capacité à placer ce qu’il raconte dans son
contexte historique, et à garder sur son sujet un ton accessible, clair et argumenté.
EN BELGIQUE
Dans leur chapitre « Still religious parties in Belgium ? », Émilie van Haute, Jean-Benoît Pilet et
Giulia Sandri se sont servi de l’exemple de la Belgique dans leur effort d’approfondissement du
modèle proposé par Eisenstadt (2008) qui avait étudié la manière dont les identités religieuses de
certains groupes peuvent se refléter dans les comportements politiques de ceux-ci, via la manière
dont les individus se définissant comme appartenant à telle ou telle religion choisissent le parti
pour lequel ils voteront. Riches d’une impressionnante revue de la littérature et d’une enquête
quantitative de terrain, les auteurs développent une position nuancée faisant état d’un retour des
identités religieuses dans les intentions de vote depuis les années 1990. Malgré une disparition
souvent évoquée du « clivage religieux » en Belgique, ils démontrent que la réalité est tout autre,
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Loïc DRUENNE
tant les électeurs que les membres des différents partis politiques présentant des opinions
religieuses majoritairement correspondantes à l’identité religieuse « historique » de leur parti. La
conclusion de van Haute, Pilet et Sandri est dès lors que « le point auquel la Belgique moderne
est considérée comme sécularisée doit être nuancé » (2012, 166).
Si tant la méthode de travail que le raisonnement des auteurs paraissent irréprochables au premier
point de vue, une analyse plus approfondie révèle une simplification peut-être excessive de
l’identité religieuse des personnes interrogées ; en effet, dans un pays historiquement catholique
comme la Belgique, où la pratique religieuse, de la même manière qu’ailleurs en Occident, a
drastiquement diminué au cours des dernières décennies, de nombreuses personnes se considèrent
comme chrétiennes plus par tradition et par valeurs que par leur pratique, témoignant du caractère
davantage linéaire que binaire des identités religieuses – linéarité que les chercheurs
reconnaissent pourtant au système politique (Eisenstadt 2000, cité dans van Haute, Pilet, et
Sandri 2012, 145). (Eisenstadt 2000)
Enjeux contemporains
De plus en plus, aujourd’hui, les relations entre religions et États en Occident tendent à devenir
davantage de nature coopérative que cachées dans l’ombre. C’est ce dont traite Benyamin
Neuberger (2012) dans « Cooperation between Church and State in liberal democracies ».
L’auteur étudie la manière dont les religions et les États interagissent au sein des démocraties
libérales, notamment au moyen d’une comparaison de celles-ci avec le modèle dictatorial. Sa
lecture de l’histoire récente (depuis le 18ème siècle) dégage de grandes tendances suivies par les
religiosités occidentales, de la libéralisation religieuse (les religions évoluent sur un « marché
religieux » qu’elles doivent se partager) à la binarité entre religiosité non-éclairée et laïcité
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Loïc DRUENNE
éclairée que viennent démonter la religiosité éclairée des États-Unis et la laïcité non-éclairée du
stalinisme (2012, 24). Neuberger voit les relations entre religions et États comme relevant « de
plus en plus de la coopération » (2012, 24), c'est-à-dire de l’organisation réciproque dans des
domaines tels que la coexistence, la régulation, les domaines d’action commune (enseignement,
soins,…), le financement, etc.
Dans son bref chapitre sur les relations entre Églises et États au sein des modèles dictatoriaux, on
peut regretter la quasi-absence de dictatures contemporaines de l’analyse que propose Neuberger.
Il est en effet essentiellement question du passé ; tout au plus, une brève mention de la Russie de
Poutine comme similaire à une dictature sur certains aspects donne-t-elle au chapitre un air
d’actualité. Le reste de la contribution de Neuberger propose cependant une typologie large et
englobante des différents types de coopération entre religions et États.
Partant d’une typologie telle que celle de Neuberger, d’autres auteurs ont proposé des modèles de
cohabitation entre religions et États. Notamment, dans « Religion in public and private life »,
Cochran (1990) agit en deux temps simultanés : sur un plan, il traite de la distinction entre public
et privé ; sur un autre, il analyse la relation de la religion à chacun d’entre eux. Ainsi, convaincu
que la distinction entre les deux n’est pas plus significative qu’un modèle explicatif, Cochran
propose de revoir cette dualité en y ajoutant un espace où public et privé s’enchevêtrent, rendant
impossible la compréhension de l’un indépendamment de l’autre. Son modèle « idéal » de la
relation entre religions et États est celui d’une coexistence pacifique mais régulatrice, les unes et
les autres agissant réciproquement pour se défendre et se limiter réciproquement dans la mesure
du raisonnable.
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Loïc DRUENNE
Si le modèle que propose Cochran est séduisant, peu d’éléments concrets relatifs à la mise en
place d’un tel système sont en revanche avancés par l’auteur. Comment un tel système pourrait-il
être imposé de manière satisfaisante pour tous ? Par qui, au nom de quoi ? Les questions restent
ouvertes.
Conclusion
Tous les livres du monde ne suffiraient sans doute pas à décrire la complexité et l’infinie variété
des relations entre religions et États. Tout au plus peut-on attendre, de la part des auteurs qui ont
participé à leur manière à une telle démarche, de décortiquer un aspect ou l’autre de la question,
ou au contraire de rester généraux afin de permettre aux chercheurs impliqués dans ce sujet de
garder sur la question un point de vue général clair et précis.
Au cours de cette revue de la littérature, nous avons rapidement fait le tour d’une partie des
contributions scientifiques à la question du politico-religieux. Cette question étant très large,
l’approche globale proposée ici est sans doute bien insatisfaisante, défaut bien inévitable de tout
essai qui tente d’y répondre.
À travers ces pages, nous avons cependant pu dégager quelques tendances générales partagées
par la plupart des auteurs, notamment le fait que la séparation souvent revendiquée au sein des
États occidentaux entre religions et États n’est pas si nette et complète qu’on pourrait le croire et
que des influences continuent à s’exercer tant dans un sens que dans l’autre, dans des conditions
et des particularités extrêmement variables à travers le temps et l’espace. La sphère privée où
s’étendent les religions et la sphère publique où règle l’État ont en réalité tendance à se fondre
partiellement, laissant place à un espace ambivalent au sein duquel bien des relations se jouent,
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Loïc DRUENNE
concrètement ou non, officiellement ou non. Il s’agit, pour différents groupes, de se faire
entendre et de faire appliquer leurs convictions ou les idées qui en découlent sur la sphère
publique ; pour d’autres, il s’agit davantage de réguler des groupes religieux dont les exactions
sont parfois bien peu appréciées ; conscients de cela, et des principales dynamiques et des
principaux débats de la sphère politico-religieuse, nous pouvons désormais procéder à l’analyse
plus précise d’un aspect de ces débats que nous n’avons que peu développé ici : celui des groupes
d’intérêt religieux.
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