Location via proxy:   [ UP ]  
[Report a bug]   [Manage cookies]                
Une « séparation perméable » ? Influences réciproques entre religion(s) et États dans l’Occident contemporain Revue de la littérature en vue d’une thèse de Maîtrise Loïc DRUENNE – Avril 2017 Loïc DRUENNE Table des matières Table des matières ............................................................................................................................ 2 Introduction ...................................................................................................................................... 3 Quelques remarques générales sur l’étude de la religion dans l’État ............................................... 4 Quand l’État se mêle de religion : la régulation de la laïcité ........................................................... 7 Quand la religion se mêle de politique : les groupes d’influence .................................................. 14 Enjeux contemporains .................................................................................................................... 21 Conclusion ...................................................................................................................................... 23 Bibliographie .................................................................................................................................. 24 2 Loïc DRUENNE Introduction D’innombrables ouvrages, articles, conférences et colloques ont traité – et traitent encore chaque année – de la complexe question des relations qui se tissent entre les groupes religieux et les États en Occident1, alors même que les deux entités se trouvent séparées de droit à travers des modèles variables de laïcité. En effet, malgré le caractère semblant désormais acquis de la laïcité dans cette région du monde, des influences continuent à s’exercer en continu entre religions et États à travers les relations qui les lient, qu’elles soient de nature régulatrice, d’influence ou encore mimétique. Bien que les avocats d’un abandon de la laïcité – même partiel – soient peu nombreux de nos jours, de leur côté, tant les acteurs étatiques que les acteurs religieux s’efforcent, à travers leur action, d’étendre un tant soit peu le pouvoir et l’influence de leurs entités respectives. De ce fait, des myriades de configurations possibles entre politique et religion se dessinent, au gré des acteurs, de leur culture et du contexte dans lequel ils évoluent. Le cadre auquel nous nous intéresserons dans le cadre de cette revue de la littérature recouvre l’Occident contemporain, avec une insistance particulière sur la Belgique et le Canada, qui seront approfondis dans la suite de cette thèse de Maîtrise. Les situations actuelles ne pouvant être comprises indépendamment du passé, une perspective historique sera utilisée lorsque cela sera nécessaire. Nous commencerons par faire quelques remarques générales sur l’étude des relations entre religions et États ; ceux qui nous intéressent ici ayant subi une sécularisation au moins partielle, nous étudierons ensuite les deux sens dans lesquels religion et État peuvent agir l’un sur l’autre : la régulation de la laïcité par l’État d’un côté et les modes d’action des religions sur le Par « Occident », nous désignons ici les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, certains États situés notamment à l’Est de l’Europe se trouvant dans des modèles de laïcité radicalement différents de ceux qui nous occupent ici. 1 3 Loïc DRUENNE politique de l’autre, en nous attardant sur ces derniers. Nous établirons ensuite quelques perspectives contemporaines avant de conclure. Quelques remarques générales sur l’étude de la religion dans l’État DE LABORIEUSES QUESTIONS DE VOCABULAIRE Toute étude des rapports entre religion et État se doit de préciser la teneur de ce qu’elle entend par ces concepts et tous ceux qui l’accompagnent (sécularisme, laïcité, religiosité, politique, influence, etc.). Il convient, de la même manière, de déterminer l’étendue des définitions ainsi faites ; c’est à un travail analogue que se sont attelés Calhoun, Juergensmeyer et Van Antwerpen dans « Rethinking secularism » (2011) en démêlant les complexes relations entre les concepts de sécularisme et de religiosité, tout en s’interrogeant sur le degré d’universalité de ceux-ci et la manière dont tous deux interagissent avec l’État où ils prennent place. Les essais proposés par les auteurs traitent de sujets variés, depuis des questions de vocabulaire (chap. 2) à la liberté d’expression (chap. 13) en passant par des questions de citoyenneté (chap. 3), de relations internationales (chap. 7) ou encore de la globalisation du politique (chap. 9). Si les différents contributeurs n’ont pas toujours les mêmes opinions (notamment Taylor (chap. 1) et Casanova (chap. 2) sur les définitions respectives du religieux et du séculier), on ne peut qu’admirer la variété des horizons balayés par l’ouvrage collectif. Si les sujets pourraient parfois être plus approfondis, notamment au regard des théories classiques des sciences des religions, il n’en reste pas moins que « Rethinking secularism » transmet au lecteur les clés pour comprendre l’étendue de la question du sécularisme. - 4 Loïc DRUENNE Jean Baubérot, lui aussi, dans son contexte français, a consacré beaucoup de temps et d’énergie à la définition des mêmes concepts, au point d’en faire l’objet d’un article entier : dans « Sécularisation, laïcité, laïcisation » (2013), il s’est intéressé successivement aux trois concepts dont il a fait le titre de son article. Dans une perspective historique, l’auteur décortique patiemment les nombreuses variations conceptuelles orbitant autour de ceux-ci. Ainsi, pour lui, la sécularisation est avant tout un paradigme né avec la sociologie de la religion (Baubérot 2013, 32), qu’il lie aux concepts de désenchantement, de rationalisation, de mondanisation, de privatisation, de pluralisation et enfin de différenciation institutionnelle » (Baubérot 2013, 33). L’argumentation est précise, recherchée et satisfaisante, mais très « francocentrée », même si l’auteur a manifestement essayé d’éviter ce biais classique en traitant des concepts anglo-saxons de secularism et de secularization. ENTRE PARTICULARISME ET GÉNÉRALISME Lorsqu’il s’agit de traiter des relations entre religions et États à un niveau supranational, le danger est grand de tomber dans l’un ou l’autre des biais d’une généralisation hâtive ou, au contraire, d’une timidité excessive face au dégagement de tendances, sous réserve des innombrables différences qui ne manquent pas de se manifester entre les différentes situations potentiellement comparables. C’est précisément à cette ambiguïté que l’ouvrage collectif « Religion and the state: a comparative sociology », dirigé par Barbalet, Possamai et Turner (2011), s’est attelé. Les auteurs ont essayé de venir à bout du problème en établissant une voie médiane. Au moyen d’études de cas bien documentées, les auteurs n’hésitent pas à remettre en question les théories « classiques » de la sociologie dans un souci permanent de reconstruction des modèles 5 Loïc DRUENNE qui les intéressent. Chapitre après chapitre sont avancées plusieurs thèses, dont une qui consiste à voir la sécularisation comme une transformation des fonctions de la religion dans les domaines social, culturel et économique. Cette évolution se trouve selon eux sémantiquement liée au processus de la globalisation. L’État est vu comme prenant les religions en charge dans une mesure croissante, rendant celles-ci équivalentes à de simples « services ». La sécularisation, qui ouvre la société au « marché des religions », provoque de ce fait une rencontre de ces dernières avec les logiques consuméristes. Le raisonnement des auteurs est clair et limpide ; tout au plus pourrait-on reprocher à ceux-ci de trop peu s’intéresser au monde occidental. RELIGIONS ET ÉTAT(S) : UNE CHIMIE AUX RÉSULTATS VARIABLES Une fois leurs principaux concepts définis, et le cadre de leur approche posé, les auteurs qui traitent des relations entre religions et États déploient invariablement un modèle, une compréhension qui leur est propre de ces relations. En règle générale, sans tomber dans une simplification excessive ramenant par exemple les différents modèles de relations à un axe unique s’étendant entre deux pôles marquant la domination complète d’une entité par l’autre, il peut être imaginé un espace multidimensionnel dans lequel pourraient se placer les différentes situations existantes. Cet espace resterait cependant une simplification de la réalité, tant il paraît difficile de percevoir celle-ci dans toute sa complexité. Dans la partie analytique de son ouvrage « Religion and the State », Natalie Goldstein (2010) esquisse quelques grands traits d’une telle caractérisation des modèles en proposant un rapide passage en revue des questions majeures qui se posent aujourd’hui au sujet des rapports entre religions et États dans le monde. Partant du constat de l’existence du phénomène religieux et de la diversité de ses formes, elle commence par faire état de la relation étroite existant entre 6 Loïc DRUENNE politique et religions dans nombre de sociétés à travers le temps, qu’elle explique par la recherche commune à l’une et aux autres de « l’ordre et de résultats prévisibles issus des actions humaines » (2010, 6). La manière dont l’arbitrage sera fait au sein d’une société lorsque partisans de l’autorité divine et partisans de l’autorité politique ont des divergences d’opinion sera alors déterminante du modèle politico-religieux de la société en question. Très rapidement, à la faveur d’un bref passage en revue des grands modèles de (non-)coordination entre religions et États au sein des majeures religions du monde, Goldstein propose, clairement mais d’une manière peu analytique et souvent incomplète, une lecture du lien intime – bien que parfois délicat – entre politique et religions en Occident. Si peu de distinctions entre les multiples situations différentes en Occident sont effectuées, l’intention de l’auteure est cependant respectée, puisque son ouvrage a principalement pour but de poser les bases d’une étude de la religion en relation au politique et de proposer, par la suite, des ressources destinées à approfondir son travail. Quand l’État se mêle de religion : la régulation de la laïcité Malgré les sécularisations différenciées des pays occidentaux, des influences réciproques continuent à s’exercer entre les États et les religions. Nous étudierons de manière distincte les processus par lesquels les États influent sur les religions et ceux par lesquels ce sont les religions qui influent sur l’État et ses institutions. Bien entendu, il n’existe nulle part un système binaire ou seul l’un agirait sur l’autre ; cette différenciation n’est ici faite que pour favoriser une meilleure compréhension des phénomènes dont il est question. Dans « États et religions en Europe » de Catherine Haguenau-Moizard (2000) se trouve, en ce qui concerne l’Europe, un approfondissement partiel – mais toujours pas suffisant – du travail de Goldstein dont nous venons de traiter. Après une perspective historique mettant en exergue 7 Loïc DRUENNE l’évolution des mentalités européennes vers l’idée de tolérance au sein de différents pays, l’auteure dresse ensuite un « cadre actuel » des relations entre religions et États avant de parler de domaines plus transversaux d’application de ces relations tels que le monde professionnel, l’école et le financement des cultes. On peut cependant regretter l’absence des pays d’Europe centrale, de l’Est et du Nord, « oubliés » au profit de l’Europe occidentale (France, Belgique, Royaume-Uni, Allemagne, Espagne, Italie). Par ailleurs, si axer l’entièreté de l’ouvrage sur le concept de tolérance reste original, la variété des manières dont celle-ci a pu être comprise et interprétée à travers le temps par différents groupes sociaux se limite chez Haguenau-Moizard à une « simple » dualité catholiques/protestants, éventuellement affinée selon les pays étudiés par l’auteure. De plus, à nouveau, le format de l’ouvrage et l’objectif poursuivi par Haguenau-Moizard – dont l’identité française se reflète, tout comme Bobineau, dans sa lecture de l’histoire qu’elle raconte – ne permettent pas une présentation approfondie de chaque cas, résumant, dans le cas de la Belgique, deux siècles d’histoire à quelques petites pages qui, finalement, ne font que bien synthétiquement le tour de la question, survolant les particularités historiques de l’évolution politico-religieuse de la Belgique en ne mettant en avant – et c’est bien là le mérite que l’on peut reconnaître à l’ouvrage compte tenu de l’intention de l’auteure – que les concepts historiquement fondamentaux de la situation tels que ceux de « piliers » (catholique, libéral et socialiste), d’« indépendance mutuelle » ou de « séparation atténuée ». Enfin, malgré un chapitre entier consacré à la « situation actuelle » dans chacun des pays traités, on peut regretter que les évolutions récentes (soit postérieures à la moitié du 20ème siècle environ) ne sont que rarement relatées dans l’ouvrage, daté de l’an 2000. 8 Loïc DRUENNE Dans « Les laïcités dans le monde », Jean Baubérot (2010), à nouveau conscient de sa perspective française, s’est lui aussi attaqué à l’ambitieux projet d’une description générale des différentes notions de laïcité à travers le monde. Il relève, en Europe, une certaine réticence à l’égard de la laïcité, dont le sens est perpétuellement à définir et préciser ; ailleurs dans le monde, à travers les continents, Baubérot analyse la manière dont la laïcité est comprise, appliquée et vécue. Il distingue notamment la sécularisation de la laïcisation, la première étant davantage vécue dans le monde anglo-saxon et la deuxième dans le monde francophone – même si les deux sont à l’œuvre des deux côtés (2010, 50). Baubérot décode avec beaucoup de clairvoyance ce qu’il appelle « l’ambivalence de l’État par rapport à la laïcité », c’est-à-dire le fait que le même État est à la fois garant de sa propre séparation d’avec les religions et impliqué dans la régulation des religions qui se développent en son sein (2010, 68). La laïcité de l’État le rend alors semblable à un arbitre (Baubérot 2010, 103 ; Haarscher 2004, 4). En réaction, les religions seraient devenues, elles aussi, « partie prenante de cette société civile » (2010, 84). La méthodologie de Baubérot, constante, s’attarde tant sur les différences conceptuelles que sur les différentes dimensions des situations étudiées, qui serait irréprochable sans le « quart d’heure normatif » de laïcité que propose l’auteur au début de son ouvrage. Dans « La laïcité, quel héritage ? », le même auteur (Baubérot 1990) a cette fois dressé un tableau chronologique des différentes phases de l’évolution de la laïcité française sur les deux siècles qui le séparaient alors de la révolution française. L’analyse de Baubérot est claire : si le premier « seuil » de la laïcisation française, en 1789, permet pour la première fois à ceux qui le désirent de se situer en-dehors de l’Église catholique, réduite à un « simple » service public mais toujours majoritaire, la deuxième étape, en 1905, tient en la séparation des Églises et de l’État. Dès lors, les religions, confinées dans la sphère privée, perdent la majeure partie de leur prégnance sur la 9 Loïc DRUENNE société. Enfin, Baubérot s’est intéressé à « l’affaire du foulard », qui, tout récent à l’époque, avait déchaîné les passions françaises autour des limites de la laïcité suite à la croissance de la présence musulmane en France. Simple, direct, réaliste, l’ouvrage de Baubérot offre une bonne vue d’ensemble sur la laïcité française et aide à en comprendre les principaux ressorts et débats. GÉNÉRALITÉS Dans « Church and state in historical perspective: a critical assessment and annotated bibliography », Wood (2005) fait état de la large variété des configurations entre religions et États dans le temps, que celles-ci soient de conflit ou de concorde (2005, 23). Certains modèles ont mené à une opposition nette entre religion et État, alors que d’autres ont privilégié une subordination de l’un à l’autre (2005, 24). Pourtant, si certains modèles de relations entre la religion chrétienne et l’État ont été davantage appliqués ou revendiqués dans certains territoires ou certaines branches du christianisme, aucun n’a été l’apanage d’une branche unique de celui-ci (2005, 23). Par ailleurs, pour l’auteur, si de nos jours le droit international reconnaît la liberté religieuse comme un droit commun à tous, c’est en raison du développement simultané de ce droit international et de l’idée de liberté religieuse (Wood 2005, 80 ; Bates 2013). La vague de conventions et de traités internationaux que connut le monde lors des siècles derniers – particulièrement au vingtième – a permis à cette liberté religieuse de se répandre de manière considérable et de souvent s’insinuer, au moins en partie, dans toutes les régions du monde. Pour Wood, le concept de laïcité de l’État est intimement lié à l’histoire et au développement du christianisme ; il est explicitement opposé à tous les principes d’un État religieux, et reste fondamentalement lié à l’idée de liberté religieuse (2005, 67‑68). Religions et État 10 Loïc DRUENNE n’interviennent pas dans les affaires l’un de l’autre plus en raison du caractère privé de la religion que d’un déni réciproque (2005, 68). LA SITUATION BELGE Dans « La laïcité, quel héritage ? », dont nous avons déjà parlé, Baubérot (1990) accorde quelques pages à la situation de la Belgique. Là, raconte-t-il, le processus de laïcisation s’est cristallisé autour de trois « piliers » (libéral, social-chrétien, socialiste) autour desquels s’organisaient tous les aspects de la vie sociale : écoles, hôpitaux, syndicats, partis politiques, clubs sportifs, presse, etc. « Les piliers », dit-il, « peuvent être plus ou moins complets, étanches, homogènes. Pour les religions, ils constituent un moyen de conserver en partie l’entre-soi communautaire de la société traditionnelle dans la modernité » (1990, 72). Les conflits qui éclatèrent au cours du processus de laïcisation du pays se manifestèrent principalement dans des domaines où se côtoyaient divers piliers, tels que le système éducatif qui vit une véritable « guerre scolaire » (1990, 72). LA SITUATION CANADIENNE Au Canada, la situation est toute autre. Dans le même ouvrage que celui que nous venons de citer, Baubérot (1990) qualifie la laïcisation du Canada de « silencieuse » et caractérisée par trois principes. Premièrement, un « double principe de neutralité et de collaboration » : si aucune Église n’est établie par la Constitution, des collaborations n’en sont pas moins entretenues dans certains champs sociaux tels que la tenue des registres civils de baptêmes, mariages et décès (Baubérot 1990, 77 ; Milot 2002, 110). Deuxièmement, « la liberté de conscience et de culte est bien assurée » (Baubérot 1990, 77) ; enfin, « le droit et son application témoignent d’une régulation juridique où les individus se trouvent protégés et contre les restrictions de liberté qui 11 Loïc DRUENNE découleraient de certaines décisions politiques et contre les intimidations auxquelles pourrait recourir leur propre Église » (Baubérot 1990, 77). Dans « Religion and politics: a world guide », Mews (1989) conteste l’avis de Baubérot selon lequel la laïcisation du Canada aurait été silencieuse ; pour lui, en effet, « politique et religion ont toujours été en conflit au Canada, bien que ce soit généralement par erreur » (1989, 35). Celui-ci explique que d’une manière en fin de compte semblable à la Belgique, le 19ème siècle vit au Canada un important conflit entre un État « en quête du plein contrôle de l’éducation » se heurtant au refus des Églises. En conséquence sont apparues des écoles séparées du système officiel, ne bénéficiant que de faibles subsides publics, tant en Ontario qu’au Québec et qu’au Manitoba (1989, 36). Dans la même perspective de conflits, William Janzen traite dans “Limits on liberty: the experience of Mennonite, Hutterite and Doukhobor communities in Canada” (1990) de l’évolution du concept de liberté religieuse au Canada aux 19ème et 20ème siècles. Son objectif y est clair : il consiste à proposer un modèle apte à décrire la manière dont une société individualiste pourra assurer une liberté religieuse à des individus pour qui la religiosité ne peut se vivre que collectivement. Sa méthode de travail a été, dans cet ouvrage, de sélectionner des situations où, au cours des derniers siècles, certains groupes sociaux du Canada se sont trouvés en conflit avec l’État au nom de leur appréhension des libertés religieuses. L’issue de ces conflits, qui vit ces trois communautés déménager vers d’autres territoires, fut caractérisée par des « efforts » des communautés et de l’État en vue d’un meilleur vivre ensemble. La question des « limites de la liberté », qui sous-tend la totalité de l’ouvrage, y est cependant quasi- 12 Loïc DRUENNE exclusivement abordée d’un point de vue pratique et historique, et non théorique, ce qui est probablement le principal défaut de l’ouvrage. Concernant le cas particulier du Québec, Micheline Milot propose dans « Laïcité dans le Nouveau Monde : le cas du Québec » (2002) une lecture du Québec comme un territoire où s’est effectué un « métissage des visions » hors du commun, à partir d’héritages philosophiques français, américains, britannique et du Vatican. Dans une perspective historique, Milot retrace l’histoire des idées de ce territoire pour le moins atypique, deux fois contre-révolutionnaire (1776 et 1789) sans l’être en lui-même. Il s’agit, aussi, de tracer les contours de ce que l’on pourrait appeler les « affaires », ou épisodes remarquables de la laïcité « à la canadienne ». L’œuvre de Milot, complète et bien soutenue, propose une lecture large et sans oubli de l’histoire de la laïcité québécoise. UNE AUTRE INFLUENCE DU POLITIQUE SUR LE RELIGIEUX : LE MIMÉTISME Selon Bauer (1999), qui s’exprime dans « Politique et religion », « l’influence du politique sur le religieux peut [aussi] être un réflexe d’adaptation des Églises au changement politique » : un mimétisme serait à l’œuvre entre les institutions politiques et religieuses, ces dernières calquant depuis plusieurs années les frontières de leurs instances « aux frontières de l’Union européenne », créant une véritable correspondance entre les territorialités religieuses et étatiques, « de la paroisse d’antan à l’Assemblée des évêques européens d’aujourd’hui ». Ce mimétisme est d’après lui « d’autant plus remarquable [qu’il] est, dans maints cas, [inconscient] » (1999, 36). 13 Loïc DRUENNE Quand la religion se mêle de politique : les groupes d’influence Après un premier volet consacré aux actions menées par les États sur les religions, intéressonsnous désormais à la situation inverse : de quelles manières les religions exercent-elles une influence sur les États ? Selon Bauer (1999), dont nous parlions plus haut, la laïcité qu’ont choisi d’imposer les États occidentaux fait de la sphère publique – et donc de la sphère politique – un terrain « religieusement neutre », sur lequel « chacun est libre dans sa sphère mais l’État dominant le politique, [la religion] en est réduite à jouer le rôle d’un groupe d’intérêt à l’intérieur du cadre sociétal chapeauté par l’État » (1999, 26‑27). Dès lors, elle s’organise ; elle crée des groupes d’influence – partis politiques, lobbies ou autres – dont l’objectif sera de faire asseoir dans la société des valeurs, des idées, voire des idéologies issues des religions dont ces groupes sont issus (1999, 59). C’est de cette question que Bauer (1999) a fait l’objet de son ouvrage « Politique et religion ». Pour un si petit volume, l’objectif de Bauer n’est pas des moindres : démontrer que la religion n’est aujourd’hui pas aussi évacuée de la politique qu’on le pense généralement et qu’elle continue en réalité à influencer à la fois la et le politique. Bauer étudie successivement l’impact de la religion sur les identités nationales, les partis politiques, les groupes de pression et la politique internationale, dans une perspective étonnamment globale et consciente de la multiplicité des modèles et des configurations. Très précis dans les termes utilisés et leurs différences (Église, religion, foi, etc.), définissant avec soi chacun d’entre eux selon ses différentes acceptions et ce qu’il entend en les utilisant, l’auteur ne manque pas, sur le chemin vers son objectif, de démontrer que les influences réciproques entre religions et politique vont 14 Loïc DRUENNE aujourd’hui parfois bien au-delà de la simple influence relative à la clôture de nos sociétés. Bauer ne manque pas, en quelques pages, de traiter de l’influence de la religion sur la construction des identités (notamment dans le cas du judaïsme), sur les relations internationales et de l’importance, dans de nombreux pays occidentaux, de lobbies et/ou de partis politiques sur la prise de décision à tous les niveaux de l’État (notamment les lobbies anti-avortement aux États-Unis). Mais le plus magistral dans la démonstration de Bauer reste sans doute la manière dont il décode le rôle ambigu des institutions religieuses (parmi lesquels il cite notamment le Vatican, les ONG religieuses, la Conférence Islamique et les Quakers) vis-à-vis des États, entre une instrumentalisation des premières par les seconds et un travail de sape de l’autorité des seconds par les premières. L’analyse est pertinente, et les sujets abordés le sont étonnamment bien au regard du volume modeste de l’ouvrage ; ce dernier reste par ailleurs en grande partie d’actualité malgré son ancienneté (1999). EN OCCIDENT Tout le monde n’est pas d’accord sur le rôle politique des religions dans nos sociétés occidentales. Dans « Ouranos ou les trois fonctions de la religion dans l’État », Jean Monod (2015), chercheur français passionné par les relations entre mythes et idéologies, présente, de manière familière, légère et fluide, ce qui constitue selon lui les trois fonctions de la religion dans une société étatique : la sacralisation du pouvoir, l’aliénation des consciences et la mythification de l’histoire (2015, 12). Pour lui, donc, peu (ou pas) de place pour la religion au sein du pouvoir politique ! Persuadé du fondement religieux de la « sacralité » des pouvoirs politiques modernes, l’auteur développe chacune de ces fonctions d’une manière qui, en fin de compte, relève plus de l’argumentation en faveur d’une certaine lecture de l’histoire que d’une véritable analyse de cette 15 Loïc DRUENNE dernière. Peu étayé par la littérature, Monod a sur la religion un puissant a priori négatif, considérant avant tout celle-ci comme une structure de pouvoir s’imposant aux individus en les aliénant, dans une perspective quasi-marxiste. Davantage essai d’opinion que littérature proprement scientifique, l’ouvrage de Monod ne peut servir, en tant que tel, à une analyse approfondie et étayée des relations entre religions et états. Dans le même registre, dans son ouvrage « Christian perspectives on politics », J. Philip Wogaman (1988) a voulu faire le tour de la question du comportement des chrétiens en politique, tant au sujet de leurs orientations politiques que de leur soutien de la démocratie ou encore des relations entre religions et États. Cependant, si le caractère complet des sujets abordés ne laisse aucun doute sur la capacité de l’auteur à les traiter, on remarque plusieurs défauts à l’ouvrage : l’auteur, qui s’exprime au nom de sa foi, qualifie de « perspectives chrétiennes » des opinions qui, dans les faits, pourraient varier plus qu’il ne le laisse entendre dans ses pages. Il s’agit, ici aussi, davantage d’un essai d’opinion que d’une analyse concrète des opinions des chrétiens sur les grands principes politiques ; l’ouvrage, qui ne paie pas de mine, laisse à première vue une image scientifique, complexe et étayée – ce qu’il est en partie, mais sans doute pas suffisamment pour servir à une analyse approfondie du sujet qu’il s’efforce de traiter. EN EUROPE Si tous les auteurs ne sont pas du même avis sur le rôle exact des religions vis-à-vis de la politique de nos jours, la majorité d’entre eux démontre clairement que de puissantes influences existent au sein du pouvoir politique par des intérêts religieux – et ce, même au niveau supranational de l’Union Européenne. En effet, dans « The logic of structured dialogue between religious associations and the institutions of the European union », Kenneth Houston (2010) a 16 Loïc DRUENNE cherché à démontrer en quoi l’établissement d’un « dialogue structuré » permettrait à l’Union Européenne de débattre plus sereinement de son rapport aux religions, suite à l’échec de la mise en place d’une Constitution européenne en 2007-2008. À cette époque, suite à la signature du traité de Lisbonne de 2007, le débat avait fait rage quant à l’intégration – ou non – de la mention des racines chrétiennes de l’Europe dans le préambule de cette Constitution. Différents groupes religieux avaient alors fortement milité en faveur d’une telle mention ; pour eux, selon l’auteur, il semblait clair que les valeurs qui président à la construction européenne seraient intrinsèquement religieuses, ce qui rendrait inévitable la reconnaissance de la religion chrétienne comme constitutive de celle-ci. Houston explique qu’une certaine confusion serait faite par ces groupes d’intérêt entre le débat de valeurs et de racines et le caractère représentatif attendu d’un texte constitutionnel. Le développement est cohérent, mais une interrogation quant à la pertinence concrète et empirique persiste – faire mieux aurait cependant été difficile, étant donnée la difficulté d’accès à des informations complètes et précises au sujet des lobbies, souvent confinés dans l’ombre. Anja Hennig propose, dans son article « Between conflict and cooperation: religion and politics in Europe » (2015), une explication historique de l’émergence de ces groupes d’intérêt religieux en Europe. Après une mise en perspective historique, elle explique que c’est avec la sécularisation que ces partis sont apparus, « principalement là où le catholicisme était devenu le symbole d’une culture nationale opprimée » (2015, 124), les catholiques étant alors souvent tiraillés entre leur fidélité au pape (dont le concile Vatican I avait réaffirmé l’autorité) et à leur pays. L’auteure, souvent focalisée sur les conflits qui ponctuèrent l’histoire plutôt que sur des dynamiques indépendantes et rectilignes, ponctue son argumentation de plusieurs exemples nationaux qui font de son article un dispositif plutôt convainquant. Hennig conclut en 17 Loïc DRUENNE (ré)affirmant la position privilégiée des religions vis-à-vis des États qui persiste malgré la sécularisation de ceux-ci. Pour elle, la religion « est devenue plus visible dans le public et en politique », ce qui ne signifie pour autant pas « que la religiosité individuelle ait augmenté » (2015, 127). Dans « Representing religion in the European Union: does God matter? », Lucian Leustean (2013) propose quant à lui une typologie historiquement étayée des modes par lesquels différents groupes d’intérêt religieux agissent à Bruxelles, au cœur de l’Union Européenne. Dans une première partie, il est argumenté que trois des grandes figures de la construction européenne (Schuman, Adenauer et de Gaulle) ne trouvaient leur motivation, contrairement à ce que l’on entend régulièrement, ni dans leurs convictions religieuses, ni dans d’éventuels intérêts relatifs à l’Église catholique. Cependant, les intérêts religieux auraient en Europe, de manière dès lors plus diffuse, un impact si fort qu’il fait dire à l’auteur du chapitre (John Madeley) qu’il ne se trouve en Europe aucune véritable séparation des religions et de l’État. Dans une deuxième partie, il est question de cinq représentants religieux européens qui, successivement, expliquent en long et en large en quoi leurs communautés respectives ont participé à la construction de l’Europe contemporaine. Si les parties III et V de l’ouvrage nous intéressent moins dans le cadre de cette revue de la littérature, on peut cependant s’intéresser à la quatrième partie, qui propose une comparaison entre les complexes politico-religieux de l’Europe et de l’Amérique du Nord. Adrian Pabst, auteur de l’un des chapitres de cette partie, explique que l’Europe est à la fois plus religieuse et plus séculière que l’Amérique du Nord, faisant évoluer ses modèles de laïcité selon d’autres dimensions que cette dernière. 18 Loïc DRUENNE L’ouvrage collectif dirigé par Leustean a le mérite d’être clair et de brasser large : il parvient, en quelques centaines de pages, à aborder la majorité des sujets relatifs au thème de son livre tout en plongeant assez profondément pour ne pas rester dans la superficialité. On regrette cependant de le voir se terminer sans qu’aient été traitées mille autres questions qui ne cessent de se manifester tout au long de sa lecture : en quoi les groupes d’intérêt religieux diffèrent-ils des autres groupes d’intérêt ? Comment mesurer précisément les effets de ces groupes ? AU CANADA Dans « Church and State in Canada », Albert J. Menendez (1996), spécialiste des libertés religieuses originaire des États-Unis, s’est intéressé à la relation entre les Églises et les États chez le voisin du Nord de son pays. Son objectif, annoncé dès la préface, n’est rien de moins que « interpréter et comprendre l’expérience canadienne en ce qui concerne les relations entre Églises et État » (1996, 11). Pour ce faire, l’auteur passe en revue une série de questions de société (éducation, avortement, libre exercice de la religion, divorce, etc.) afin d’analyser, pour chacune d’entre elles, les tenants et aboutissants de la situation et leurs implications quant à la manière dont fonctionne l’État canadien en relation aux religions qui s’y perpétuent, toujours en lien avec la situation américaine, à laquelle l’auteur ne manque pas de faire de multiples allusions, conscient, comme il l’explique clairement, du fait que la plupart de ses lecteurs seraient issus du même pays que lui. Malgré la relative ancienneté de l’ouvrage (qui date de 1996), les tendances dégagées par Menendez mettent en lumière la manière dont les débats dont il traite ont été menés en lien avec les différents groupes religieux. Il est notamment fait mention d’une « séparation non-écrite des Églises et de l’État » (1996, 105) qui n’exclut cependant pas la reconnaissance de la suprématie 19 Loïc DRUENNE de Dieu dans le Canadian Bill of Rights et dans le Charter of Rights and Freedoms (1996, 106). Si la lecture de cet ouvrage offre de précieuses clés de lecture sur le passé, son ancienneté le rend cependant incomplet pour la compréhension de la situation actuelle des religions au sein de l’État canadien. Dans « Monarchy, religion and the state: civil religion in the United Kingdom, Canada, Australia and the Commonwealth », Norman Bonney (2013) a été plus loin que Menendez (1996) en portant son attention sur les relations entre la Couronne britannique, la Constitution et la religion, non seulement au Canada mais plus généralement au Royaume-Uni et dans les pays du Commonwealth. Il argumente en faveur d’une sécularisation croissante, où les religions, chassées du pouvoir « officiel », se replient sur une action plus discrète au sein-même des institutions. Son mérite, peut-on reconnaître, tient clairement à sa capacité à placer ce qu’il raconte dans son contexte historique, et à garder sur son sujet un ton accessible, clair et argumenté. EN BELGIQUE Dans leur chapitre « Still religious parties in Belgium ? », Émilie van Haute, Jean-Benoît Pilet et Giulia Sandri se sont servi de l’exemple de la Belgique dans leur effort d’approfondissement du modèle proposé par Eisenstadt (2008) qui avait étudié la manière dont les identités religieuses de certains groupes peuvent se refléter dans les comportements politiques de ceux-ci, via la manière dont les individus se définissant comme appartenant à telle ou telle religion choisissent le parti pour lequel ils voteront. Riches d’une impressionnante revue de la littérature et d’une enquête quantitative de terrain, les auteurs développent une position nuancée faisant état d’un retour des identités religieuses dans les intentions de vote depuis les années 1990. Malgré une disparition souvent évoquée du « clivage religieux » en Belgique, ils démontrent que la réalité est tout autre, 20 Loïc DRUENNE tant les électeurs que les membres des différents partis politiques présentant des opinions religieuses majoritairement correspondantes à l’identité religieuse « historique » de leur parti. La conclusion de van Haute, Pilet et Sandri est dès lors que « le point auquel la Belgique moderne est considérée comme sécularisée doit être nuancé » (2012, 166). Si tant la méthode de travail que le raisonnement des auteurs paraissent irréprochables au premier point de vue, une analyse plus approfondie révèle une simplification peut-être excessive de l’identité religieuse des personnes interrogées ; en effet, dans un pays historiquement catholique comme la Belgique, où la pratique religieuse, de la même manière qu’ailleurs en Occident, a drastiquement diminué au cours des dernières décennies, de nombreuses personnes se considèrent comme chrétiennes plus par tradition et par valeurs que par leur pratique, témoignant du caractère davantage linéaire que binaire des identités religieuses – linéarité que les chercheurs reconnaissent pourtant au système politique (Eisenstadt 2000, cité dans van Haute, Pilet, et Sandri 2012, 145). (Eisenstadt 2000) Enjeux contemporains De plus en plus, aujourd’hui, les relations entre religions et États en Occident tendent à devenir davantage de nature coopérative que cachées dans l’ombre. C’est ce dont traite Benyamin Neuberger (2012) dans « Cooperation between Church and State in liberal democracies ». L’auteur étudie la manière dont les religions et les États interagissent au sein des démocraties libérales, notamment au moyen d’une comparaison de celles-ci avec le modèle dictatorial. Sa lecture de l’histoire récente (depuis le 18ème siècle) dégage de grandes tendances suivies par les religiosités occidentales, de la libéralisation religieuse (les religions évoluent sur un « marché religieux » qu’elles doivent se partager) à la binarité entre religiosité non-éclairée et laïcité 21 Loïc DRUENNE éclairée que viennent démonter la religiosité éclairée des États-Unis et la laïcité non-éclairée du stalinisme (2012, 24). Neuberger voit les relations entre religions et États comme relevant « de plus en plus de la coopération » (2012, 24), c'est-à-dire de l’organisation réciproque dans des domaines tels que la coexistence, la régulation, les domaines d’action commune (enseignement, soins,…), le financement, etc. Dans son bref chapitre sur les relations entre Églises et États au sein des modèles dictatoriaux, on peut regretter la quasi-absence de dictatures contemporaines de l’analyse que propose Neuberger. Il est en effet essentiellement question du passé ; tout au plus, une brève mention de la Russie de Poutine comme similaire à une dictature sur certains aspects donne-t-elle au chapitre un air d’actualité. Le reste de la contribution de Neuberger propose cependant une typologie large et englobante des différents types de coopération entre religions et États. Partant d’une typologie telle que celle de Neuberger, d’autres auteurs ont proposé des modèles de cohabitation entre religions et États. Notamment, dans « Religion in public and private life », Cochran (1990) agit en deux temps simultanés : sur un plan, il traite de la distinction entre public et privé ; sur un autre, il analyse la relation de la religion à chacun d’entre eux. Ainsi, convaincu que la distinction entre les deux n’est pas plus significative qu’un modèle explicatif, Cochran propose de revoir cette dualité en y ajoutant un espace où public et privé s’enchevêtrent, rendant impossible la compréhension de l’un indépendamment de l’autre. Son modèle « idéal » de la relation entre religions et États est celui d’une coexistence pacifique mais régulatrice, les unes et les autres agissant réciproquement pour se défendre et se limiter réciproquement dans la mesure du raisonnable. 22 Loïc DRUENNE Si le modèle que propose Cochran est séduisant, peu d’éléments concrets relatifs à la mise en place d’un tel système sont en revanche avancés par l’auteur. Comment un tel système pourrait-il être imposé de manière satisfaisante pour tous ? Par qui, au nom de quoi ? Les questions restent ouvertes. Conclusion Tous les livres du monde ne suffiraient sans doute pas à décrire la complexité et l’infinie variété des relations entre religions et États. Tout au plus peut-on attendre, de la part des auteurs qui ont participé à leur manière à une telle démarche, de décortiquer un aspect ou l’autre de la question, ou au contraire de rester généraux afin de permettre aux chercheurs impliqués dans ce sujet de garder sur la question un point de vue général clair et précis. Au cours de cette revue de la littérature, nous avons rapidement fait le tour d’une partie des contributions scientifiques à la question du politico-religieux. Cette question étant très large, l’approche globale proposée ici est sans doute bien insatisfaisante, défaut bien inévitable de tout essai qui tente d’y répondre. À travers ces pages, nous avons cependant pu dégager quelques tendances générales partagées par la plupart des auteurs, notamment le fait que la séparation souvent revendiquée au sein des États occidentaux entre religions et États n’est pas si nette et complète qu’on pourrait le croire et que des influences continuent à s’exercer tant dans un sens que dans l’autre, dans des conditions et des particularités extrêmement variables à travers le temps et l’espace. La sphère privée où s’étendent les religions et la sphère publique où règle l’État ont en réalité tendance à se fondre partiellement, laissant place à un espace ambivalent au sein duquel bien des relations se jouent, 23 Loïc DRUENNE concrètement ou non, officiellement ou non. Il s’agit, pour différents groupes, de se faire entendre et de faire appliquer leurs convictions ou les idées qui en découlent sur la sphère publique ; pour d’autres, il s’agit davantage de réguler des groupes religieux dont les exactions sont parfois bien peu appréciées ; conscients de cela, et des principales dynamiques et des principaux débats de la sphère politico-religieuse, nous pouvons désormais procéder à l’analyse plus précise d’un aspect de ces débats que nous n’avons que peu développé ici : celui des groupes d’intérêt religieux. Bibliographie Barbalet, J. M., Adam Possamai, et Bryan S. Turner. 2011. Religion and the state: a comparative sociology. Key issues in modern sociology. Londres, New York: Anthem Press. Bates, M. Searle. 2013. Religious Liberty: An Inquiry. Literary Licensing. Baubérot, Jean. 1990. La laïcité, quel héritage ? : de 1789 à nos jours. Entrée libre ; no 8. Genève: Labor et Fides. ———. 2010. Les laïcités dans le monde. 4ème édition. Que sais-je ? 3794. Paris: PUF. ———. 2013. « Sécularisation, laïcité, laïcisation ». Empan, no 90(juillet): 31‑38. Bauer, Julien. 1999. Politique et religion. Que sais-je ? Paris: Presses universitaires de France. Bonney, Norman. 2013. Monarchy, religion and the state: civil religion in the United Kingdom, Canada, Australia and the Commonwealth. Manchester: Manchester University Press. Calhoun, Craig, Mark Juergensmeyer, et Jonathan Van Antwerpen, éd. 2011. Rethinking Secularism. 1 edition. New York: Oxford University Press. Cochran, Clarke E. 1990. Religion in public and private life. New York: Routledge. Eisenstadt, Shmuel N. 2000. « Multiple modernities ». Daedalus 1 (129): 2‑22. ———. 2008. « The transformation of the religious dimension and the crystalization of the new civilizational visions and relations ». Dans Religion and democracy in contemporary Europe, édité par Gabriel Motzkin et Yochi Fischer, 20‑43. Londres: Alliance Publishing Trust. Goldstein, Natalie. 2010. Religion and the state. Global issues. New York: Facts On File. Haarscher, Guy. 2004. La laïcité. Paris: PUF. Haguenau-Moizard, Catherine. 2000. État et religions en Europe. Transeurope. Grenoble: Presses universitaires de Grenoble. Haute, Émilie van, Jean-Benoît Pilet, et Giulia Sandri. 2012. « Still religious parties in Belgium? » Dans Politics of religion in Western Europe: modernities in conflict?, par François Foret et Xabier Itçaina. Routledge/ECPR studies in European political science ; 75. Milton Park: Routledge. Hennig, Anja. 2015. « Between Conflict and Cooperation: Religion and Politics in Europe ». Palestine-Israel Journal of Politics, Economics & Culture 20/21 (4/1): 121‑28. 24 Loïc DRUENNE Houston, Kenneth. 2010. « The logic of structured dialogue between religious associations and the institutions of the European union ». Dans Religion, politics and law in the European Union, par Lucian Leuștean et John T. S. Madeley. Londres, New York: Routledge. Janzen, William. 1990. Limits on liberty: the experience of Mennonite, Hutterite and Doukhobor communities in Canada. Toronto: University of Toronto Press. Leuştean, Lucian. 2013. Representing religion in the European Union: does God matter? Routledge studies in religion and politics. Londres: Routledge. Menendez, Albert J. 1996. Church and state in Canada. Amherst: Prometheus. Mews, Stuart. 1989. Religion in Politics: A World Guide. Harlow: Longman. Milot, Micheline. 2002. Laïcité dans le nouveau monde : le cas du Québec. Bibliothèque de l’école des hautes études. Sciences religieuses 115. Turnhout: Brepols. Monod, Jean. 2015. Ouranos, ou, les trois fonctions de la religion dans l’État. Éclipses. Paris: ABC éditions. Neuberger, Benyamin. 2012. « Cooperation between Church and State in liberal democracies ». Dans Religion, politics, society, and the state, par Jonathan Fox. Boulder: Paradigm Publishers. Wogaman, J. Philip. 1988. Christian perspectives on politics. Londres: SCM Press. Wood, James Edward. 2005. Church and state in historical perspective: a critical assessment and annotated bibliography. Bibliographies and indexes in Religious Studies 55. Westport: Praeger. 25