Patrick HERSANT
Portraits du traducteur en préfacier
r éSumé
La préface est l’occasion pour le traducteur de parler de sa pratique, que ce soit sous la
forme de réflexions générales ou d’analyses détaillées. À partir d’un corpus d’une soixantaine de préfaces, presque toutes extraites de recueils de poésie, cet article esquisse la
typologie de ce genre à la fois malléable et convenu qu’est la préface du traducteur. On est
ainsi frappé par la récurrence des justifications (texte difficile, style singulier, différence
des langues) et des artifices rhétoriques (fausse modestie, aveux partiels), mais aussi par
la finesse littéraire (analyses linguistiques, conscience historique) et le traitement des
grandes questions de traduction (fidélité, acclimatation, prosodie).
Mots-clés : préface, préface de traducteurs, portraits de traducteurs, traductologie,
microlectures
abStract
What do translators do when they choose to write a preface to the text they have just
translated? Among other things, such as presenting the author and explaining how and
why they came to translate him/her, they usually pass a few remarks on their own translation—be it to excuse, in advance, some debatable linguistic or theoretical choices, to
complain about difficulties in the text or indeed the foreign language, or to shed some light
on a few particularly difficult passages. Mostly, they tend to justify their work. Drawing
from a corpus of more than sixty prefaces by poetry translators, we will establish a short
typology of translators’ prefaces.
© PSN, 2018
Keywords: preface, translators’ prefaces, portraits of translators, translation studies,
close reading
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Traduire ne suffit pas toujours : son travail de passeur une fois terminé, le traducteur se fait
souvent le commentateur de sa propre pratique. On le dit invisible, il est surtout bavard ; dans
une note en bas de page1, dans quelque entretien consacré à son métier2 ou encore dans la préface
dont il fait volontiers précéder l’œuvre traduite, il lui arrive de glisser des remarques plus ou
moins fécondes sur son rapport au texte, les difficultés rencontrées, les moyens mis en œuvre ou
l’art de traduire en général. On se propose ici de présenter une soixantaine de préfaces de traducteurs et de traductrices ; glanées au hasard de nos lectures, elles forment un gisement hétéroclite
d’intuitions et autres réflexions méta-traductives. Nous les classerons de manière thématique,
afin d’en esquisser une typologie sommaire, et sous un angle strictement traductologique, c’està-dire en écartant les passages qui, selon l’usage, présentent l’auteur du recueil ou racontent
comment le traducteur-préfacier en est venu à le traduire. Toutes illustrent cette observation de
Michel Ballard :
Si l’on considère l’histoire de la traduction et de la traductologie on constate […] que ce sont les traducteurs
eux-mêmes qui éprouvent le besoin, de façon compulsive, de parler de leur travail. De Cicéron à Yves
Bonnefoy, en passant par Luther, Étienne Dolet, John Dryden, George Campbell, André Gide ou Vladimir
Nabokov, les traducteurs n’ont cessé de prendre leur travail pour objet de discours, c’est-à-dire de pratiquer
des formes de traductologie. (1992 : 273)
Le traducteur éprouverait ainsi une pulsion préfacielle – ce qu’Yves Bonnefoy semble en
effet confirmer quand il déclare : « Pour ma part je ne puis faire que je n’écrive un essai après ou
même pendant chacune ou presque chacune des traductions que j’ai entreprises » (2000 : 91-92).
Le corpus examiné ici vise à combler une lacune, Ballard déplorant l’absence de tout « travail
essayant de rassembler de façon synthétique les remarques éparses dans les préfaces » (1992 :
274). Cette synthèse paraît d’autant plus envisageable que les observations des traducteurs à
propos de leur (ou de la) traduction, quoique de longueur fort variable (de quelques lignes à
plusieurs pages), présentent assez de constantes pour permettre une répartition en catégories
fonctionnelles. En schématisant, on peut répartir les divers éléments du discours méta-traductif
des traducteurs-préfaciers en trois grandes catégories : les justifications et les excuses ; la présentation du travail accompli ; les grandes questions de traduction. Au-delà de ces catégories et
de ces éléments récurrents, la préface esquisse parfois des remarques plus générales, élaborant
à partir du texte traduit (celui qu’on a entre les mains quand on lit la préface) des considérations
générales qui dépassent ce seul ouvrage et visent, avec plus ou moins de rigueur et d’ambition, à
établir quelques fondements théoriques du geste traductif.
1. Voir J. Henry, 2000, « De l’érudition à l’échec : la note du traducteur », Meta : journal des traducteurs / Meta :
Translators’ Journal, vol. XLV, n° 2, Montréal, Presses universitaires de Montréal, p. 228-240 ; Y. Hersant, 2000,
« (N. d. T.) », Athanor, numéro spécial « La Traduzione », Bari, Meltemi, vol. X, n° 2, p. 251-257 ; et P. Sardin, 2007, « De
la note du traducteur comme commentaire : entre texte, paratexte et prétexte », Palimpsestes 20, Paris, Presses Sorbonne
Nouvelle, p. 121-136.
2. Voir par exemple la rubrique « Ils traduisent, ils écrivent » de la revue Translittérature (Paris, Atlas), les nombreux
entretiens publiés dans les actes des Assises de la traduction littéraire (Arles, Actes Sud) et dans la Translation Review
(Londres, Routledge), ou encore la rubrique « Paroles de traducteurs » sur le site de l’Association des traducteurs littéraires : www.atlf.org/category/paroles-de-traducteurs (consulté le 22 août 2018). Voir aussi C. Jacquin, 1990, « Le texte
réfléchi : quelques réflexions sur la traduction de la poésie », in M. Ballard (éd.), La Traduction plurielle, Villeneuve
d’Ascq, Presses universitaires de Lille, p. 47-69.
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
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Justifications
Le difficile, l’impossible, l’intraduisible
On est d’abord frappé par les justifications omniprésentes, quasi inévitables – comme si le
traducteur profitait de l’espace liminaire qu’il se ménage pour se garder par avance (croit-il)
des reproches et des critiques dont son travail fait si souvent l’objet. En guise de première arme
défensive, le traducteur met en avant la difficulté de la poésie qu’il s’est efforcé de traduire. Ainsi
Pierre Jean Jouve à propos des Sonnets de Shakespeare : « Traduire la poésie est une besogne
ardue. […] Traduire Shakespeare, en général, est d’une difficulté supplémentaire » (1969 : 17-18).
Ou Marguerite Yourcenar dans la longue présentation qu’elle consacre à Constantin Cavafy :
« Aucune traduction, bien entendu, ne parvient à tenir compte de ces particularités linguistiques,
inséparables des rapports d’un poète avec sa propre langue, et de l’état de celle-ci au moment
où il écrivait. » (1958 : 55) Burton Raffel, lui, attire l’attention sur les difficultés singulières
que présente la poésie d’Osip Mandelstam : « La traduction est un art vacillant, et la traduction
d’un poète aussi grand et difficile que Mandelstam revient à s’avancer toujours sur une corde
raide3. » (1973 : vii) Dans sa présentation des Horæ canonicæ de W. H. Auden, Bernard Pautrat
fait montre de la même prudence : « Maintenant, traduire Auden : ce n’est pas l’évidence même.
Si l’on mesure la grandeur d’un poète à la difficulté qu’on éprouve à le traduire, alors, à cette
aune-là aussi, Auden est un très grand » (2006 : 32) ; ou chez Guy Le Gaufey préfaçant Philip
Larkin : « Il arrive en effet que, de façon imprévisible, une difficulté de traduction s’avère irréductible : impossible de garder en même temps le sens, la valeur, le rythme et la rime, du moins
lorsque celle-ci se révèle indispensable au rythme lui-même. » (2011 : 6) Invoquer la difficulté
du texte source est un argument déjà ancien puisque Chateaubriand justifie ainsi par avance les
erreurs de son Paradis perdu : « Il est impossible qu’un ouvrage d’une telle étendue, d’une telle
difficulté, ne renferme pas quelque contre-sens. » (1990 : 24) Impossible : on retrouve le même
terme sous la plume de Gérard de Nerval dans sa présentation du Faust de Goethe : « Je regarde
comme impossible une traduction satisfaisante de cet étonnant ouvrage. » (1877 : 1) Laurent
Bury, en préambule de sa version d’Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, annonce sans
détour : « Quant aux jeux de mots, ils sont au sens strict intraduisibles. » (2010 : 35) On le voit,
de nombreux préfaciers décrètent « intraduisible » le texte dont on s’apprête pourtant à lire une
traduction ; on se contentera d’un dernier exemple, avec Hugo von Hofmannsthal dans sa préface
à Saint-John Perse : « Je parle de l’original de St-J. Perse, et non pas de la traduction. Une œuvre
de ce genre est à peu près intraduisible. » (1948 : n. p.)
Les bizarreries de l’original
Non seulement traduire est difficile, voire proprement impossible, nous dit le traducteur-préfacier, mais l’auteur que l’on va découvrir écrit d’une manière parfois bien singulière. Surtout,
que le lecteur n’aille pas s’imaginer que telle bizarrerie est imputable au traducteur – ou, pire,
qu’elle s’apparente à quelque erreur de traduction. Telle est la deuxième arme défensive du traducteur face aux éventuelles critiques : pointer du doigt les singularités ou même les défauts de
l’auteur en amont de la lecture. Maurice-Edgar Coindreau décrit ainsi sans ménagements le style
d’Erskine Caldwell, évoquant « un récit […] maladroit dans son exécution, ralenti par des redites
et la monotonie d’un style dont j’ai volontairement respecté le staccato rugueux » (1945 : 8). De
même, Coindreau et Girard se défaussent sur Vladimir Nabokov des éventuels manquements
3. Ici comme plus loin, les extraits de préfaces publiées en anglais sont traduits par nos soins.
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
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que l’on pourrait repérer dans Feu pâle : « Les modifications apportées au texte original : omissions, additions, insertions de mots et de phrases en anglais ont été apportées à la demande de
l’auteur. » (Coindreau et Girard, 1965 : 9) Steven Byington craint lui aussi que l’on trouve maladroite sa traduction de Max Stirner : « Si le lecteur juge peu attrayant le style de ce livre, c’est
que j’aurai mal fait mon travail et donné une fausse image de l’auteur ; mais s’il le juge bizarre,
je l’implore de ne pas en porter seul la responsabilité. Je me suis seulement efforcé de reproduire
le mélange de style familier et de style technique créé par l’auteur lui-même. » (2005 : xvii)
C’est avec une semblable prudence que Sylvain Floc’h présente les Poèmes de D. H. Lawrence :
« J’ai choisi de conserver les rejets et enjambements déroutants voulus par l’auteur. » (2007 : 10)
Moi-même, j’ai craint que l’on impute à une traduction trop rapide, voire défectueuse, certaines
phrases surprenantes d’un roman épistolaire de Mary Butts rédigées dans le style moderniste ; si
j’ai choisi de les conserver en l’état par souci de rigueur, j’ai pris soin de m’en expliquer dans la
préface à la traduction de ses Lettres imaginaires :
Le style de Butts intrigue, éblouit, exaspère. La syntaxe y est splendidement malmenée : tel sujet a perdu
son verbe, tel verbe flotte sans sujet, pronoms et antécédents, indécidables, se heurtent sans se conjuguer,
certains dialogues ne sont pas attribués, synchise et hyperbate en prennent à leur aise, l’incertitude règne
et contraint le lecteur parfois désemparé à des retours, à des hésitations, à mainte relecture. […] Pour le traducteur, il s’agit dès lors de résister à toute tentation de clarification abusive, quitte à passer lui-même pour
obscur ou maladroit. (Hersant, 2014 : 19-20)
« Les langues imparfaites en cela que plusieurs4 »
Troisième et dernière catégorie de justifications : avant de soumettre son travail au jugement
de son lecteur, le traducteur entend lui rappeler que les langues sont multiples – ou « plusieurs »,
pour citer le Mallarmé de Crise de vers. Il se livre alors, avec plus ou moins de pertinence, à un
exercice de linguistique comparée opposant langue source et langue cible. Notons que la préface
de traducteur est à cet égard un lieu privilégié – l’un des rares où soit ainsi donné, de manière
synthétique ou même laconique, un aperçu de ce qui fait le propre de telle ou telle langue. Cette
troisième arme, le bouclier de Babel si l’on veut, est sans doute la plus fréquente ; elle a le double
mérite de protéger le traducteur contre des critiques intempestives et d’instruire le lecteur au passage. Préfaçant sa traduction du long poème de Tony Harrison intitulé v., Jacques Darras professe
ainsi : « Harrison utilise en effet le quatrain dont se servit Gray en son temps. On imagine mal
semblable tentative dans la poésie française contemporaine, tant les deux traditions poétiques se
sont éloignées à des années-lumière l’une de l’autre. » (2008 : 9) René Fréchet, l’un des premiers
traducteurs de W. B. Yeats en français, précise quant à lui : « Que de fois les mots anglais comportent des ambiguïtés étrangères aux mots français correspondants ! comment produire un effet
semblable à celui de l’original avec des sons et des rythmes qui sont inévitablement différents de
ceux de l’anglais ? » (1975 : 66) À propos de sa traduction de Mandelstam, Burton Raffel prend
soin de souligner l’écart linguistique qu’il s’est efforcé de combler : « Je n’ai pas hésité à réorganiser certains vers, quand la syntaxe de l’anglais ne permettait pas de respecter l’agencement
du russe. » (1973 : vii) Peter Boyle en fait autant dans sa préface aux Selected Poems d’Eugenio
Montejo :
Quand je traduis, j’ai conscience d’alterner non seulement entre deux langues, mais entre deux traditions
poétiques différentes qui ont chacune leur manière de « faire décoller » un poème et de faire passer une
4. Mallarmé, Crise de vers.
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
20
émotion. En espagnol (comme en français et en grec), la richesse sonore de la langue crée une texture
orale qui favorise volontiers la nomination directe des objets, des expériences et des sentiments familiers,
alors que dans la poésie de langue anglaise les images et les métaphores inhabituelles semblent presque de
rigueur. (2004 : xxviii)
Dans la présentation de son Anthologie de poésie américaine, Alain Bosquet offre une petite
leçon de métrique comparée :
Le génie de la langue anglaise veut que les mots d’usage courant soient, le plus souvent, monosyllabiques,
alors qu’ils sont bisyllabiques en français ; un vers de douze pieds, en anglais, donne naissance, presque
invariablement, à un vers français de quatorze ou seize et exige, de ce fait, une redistribution rythmique
assez complète. (1956 : 35)
Traducteur de Lewis Carroll, Guy Leclercq rappelle que l’absence de marqueurs de genre
peut constituer une difficulté de traduction, justifiant ainsi des choix qui pourraient surprendre :
« The Mouse, the Caterpillar et the Mock Turtle présentent quant à eux une autre originalité.
Tous trois sont des personnages masculins, ce qu’Alice sait d’emblée. […] Alice s’adresse donc à
un souris, un chenille et un tortue. Le masculin et la masculinité se fondent dans ma version pour
donner vie au Mulot, au Ver à Soie et à l’A-Tortue. » (2000 : 156)
Le génie de la langue française s’avère une force et une faiblesse, sa fameuse rigueur versant parfois dans la rigidité ; dans sa présentation des Œuvres complètes de Shakespeare, Pierre
Leyris en fait le prudent aveu : « Le français, plus lent et moins malléable que l’anglais, réfractaire surtout aux ambiguïtés essentielles qui tissent le parler de Shakespeare, est en l’occurrence
un instrument ingrat à manier. » (2007 : 1936) Pour justifier la méthode choisie pour traduire
Milton – le calque lexical et grammatical –, Chateaubriand revendique la mise en parallèle
éclairante de deux systèmes linguistiques : « Du moins le lecteur pénètre ici dans le génie de la
langue anglaise ; il apprend la différence qui existe entre les régimes des verbes dans cette langue
et dans la nôtre. » (1990 : 27) Deux siècles plus tôt, dans sa préface aux Odes de Pindare, John
Denham mettait en garde contre cette approche audacieuse :
Offrir une traduction mot à mot, c’est risquer l’infortune de ce jeune voyageur qui, ayant perdu sa langue
dans quelque pays étranger, était rentré chez lui sans autre langue pour la remplacer ; car si le latin que l’on
transpose en mots anglais y perd toute sa grâce, l’anglais que l’on transpose en phrases latines y perd toute
la sienne. (1992 : 102)
Le risque d’incompatibilité surprendra d’autant moins le lecteur, sans doute, que la langue
source est plus éloignée dans l’espace ou dans le temps. Les traducteurs modernes du grec et du
latin pourraient reprendre à leur compte la parabole de Denham ; à propos de l’Énéide de Virgile,
Pierre Klossowski relève ainsi un problème de discordance syntaxique entre le français et le
latin : « L’aspect disloqué de la syntaxe, propre non seulement à la prose mais à la prosodie latine,
étant toujours concerté, on ne saurait le traiter comme un arbitraire pêle-mêle, réajustable selon
notre logique grammaticale. » (1989 : xi) La même difficulté est soulignée par Paul Veyne, lui
aussi traducteur de Virgile :
Or le latin a une particularité très étrangère à la langue française (et à bien d’autres) : l’ordre des mots y est
libre. On peut mettre le verbe, le sujet, le complément où l’on veut, au début, au milieu, à la fin : on peut
mettre le complément avant ou après le complété, ou à plusieurs mots de distance du complété. (2012 : 15)
Si le grec et le latin semblent justifier certaines transpositions lexicales ou syntaxiques chez
le traducteur anglais ou français, que dire alors de l’hébreu ? Si l’on en croit la préface de Jean-
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
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Yves Leloup (1987 : xxx) à sa version du Cantique des Cantiques, « les langues sémitiques, faites
d’images, transmettent davantage des “visions”, des suites d’images. Une langue aussi exacte que
le français a bien du mal à les représenter. Traduire le Cantique des Cantiques en français, c’est
mettre un étalon sauvage dans une écurie ». Et que dire, a fortiori, du chinois ? Bien des traducteurs français de poésie chinoise annoncent en préface qu’ils ne proposent qu’une approximation,
et favorisent le sentiment ou l’image au détriment d’une impossible fidélité grammaticale ; c’est
le cas, par exemple, de Paul Jacob traduisant Li Bai : « Il faut lire un vers chinois, se pénétrer de
l’image ou de la pensée qu’il renferme […] ; la tâche est périlleuse ; pénible aussi, quand on aperçoit des beautés réelles qu’aucun langage européen ne saurait retenir » (1985 : 30-31).
On aurait tort de penser que les langues plus proches dans l’espace ou dans le temps se prêtent
à une traduction plus aisée, surtout en poésie. Le problème ici se dédouble ; aux divergences
syntaxiques et métriques entre deux langues, même proches, vient s’ajouter l’idée tenace selon
laquelle la poésie ne serait pas traduisible – et serait même, selon le mot de Robert Frost, « ce
qui se perd dans une traduction5 ». L’anglais même, pratiqué par un poète, semble alors hors d’atteinte. Guy Le Gaufey décrit la langue de Philip Larkin dans La Vie avec un trou dedans :
Larkin présente en effet à la traduction des aspérités singulières de par le mariage presque constant chez lui
d’une érudition culturelle et terminologique exceptionnelle alliée à une prédilection pour les expressions les
plus usuelles, voire les plus crues, de la vie quotidienne. De ce seul fait, bien des dimensions de sa poésie
ne passent pas la Manche. (2011 : 6)
Plus optimiste dans sa présentation de Théophile Gautier, dont il traduit un choix de poèmes,
Norman Shapiro évoque une compatibilité au-delà des divergences : « Pour ce qui est du “ton”,
j’ai usé d’un idiome – lexique et syntaxe – compatible, je crois, avec celui de Gautier, malgré ce
qui nous sépare au plan culturel et linguistique. » (2010 : xiv) C’est parfois un mot unique, porteur à lui seul de toute une culture, qui cristallise toute la difficulté – la saudade portugaise, la
Schadenfreude allemande, le dépaysement français sont de célèbres exemples d’intraduisibles,
ces « symptômes de différence […] qu’on ne cesse pas de (ne pas) traduire » (Cassin, 2004 : xvii).
À propos de sa traduction d’Eugenio Montejo, Peter Boyle évoque ainsi ces différences de surface sémantique : « “the radiant (or shining or bright) nocturnal loneliness or solitude” : cette
phrase illustre un dilemme auquel est souvent confronté le traducteur. Comment traduire un
mot comme soledad, qui selon le contexte peut signifier la solitude, l’isolement ou l’abandon ? »
(2004 : xxix) C’est, entre le français et l’anglais, une différence de niveau de langue que met en
avant Pierre Le Tourneur à propos de ses traductions de Shakespeare : « Il y a souvent des métaphores et des expressions qui, rendues mot à mot dans notre langue, seroient basses ou ridicules,
quoique nobles dans l’original : car, en Anglois, il est très peu de mots bas. » (1990 : 57)
On le voit, les traducteurs n’en finissent pas de se justifier et de se disculper par avance,
comme harassés d’avoir à supporter seuls le poids de la diversité des langues, et c’est à juste
titre que Michel Ballard relève que les préfaces « sont éternellement accompagnées du besoin de
s’excuser, de se justifier, de s’humilier » (1992 : 275). Loin de se réduire à cela, cependant, elles
s’attachent aussi à expliquer au lecteur curieux en quoi a consisté le travail de traduction.
5. Ce mot de Robert Frost étant presque toujours cité de manière approximative, en voici la formulation exacte : « I like
to say, guardedly, that I could define poetry this way : it is that which is lost out of both prose and verse in translation. »
R. P. Warren, 1961, Conversations on the Craft of Poetry with Robert Frost […] and Theodore Roethke, New York, Holt,
Rinehart and Winston, p. 7.
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
22
Présentation
Modestie, vraie ou fausse
Le traducteur sait se faire modeste. Rien n’oblige à le croire, d’autant que c’est peut-être là
un moyen supplémentaire de se préserver de la critique ; on peut supposer qu’il s’attire la bienveillance du lecteur en avouant que, si le texte était difficile et le travail ardu, lui-même a fait ce
qu’il a pu. Ainsi Albert Laffay, à propos de son anthologie de poèmes de John Keats : « L’autre
méthode, beaucoup moins ambitieuse, ne songe pas à se substituer à l’original. […] Notre traduction n’a jamais l’outrecuidance de vouloir remplacer Keats » (1968 : 135-136) ; ou Philippe
Jaccottet préfaçant la Vie d’un homme de Giuseppe Ungaretti : « Hors de trop rares miracles, tout
traducteur sait que son œuvre est indéfiniment perfectible. » (1973 : 346) Même humilité chez
le premier traducteur français de Goethe, Albert Stapfer : « Il me reste à protester contre ceux
qui, après la lecture de cette traduction, s’imagineraient avoir acquis une idée complète de l’original » (1825 : vi) ; ou chez Ben Belitt dans sa présentation des poèmes de Pablo Neruda : « Ce
sont là des traductions provisoires. » (1961 : 36) Alexander Pope annonce franchement, au seuil
de sa version de l’Iliade : « Dans l’ensemble, je dois m’avouer absolument incapable de rendre
justice à Homère. » (1797 : 412) Même modestie affichée dans la préface de Burton Raffel à son
Chrétien de Troyes : « Je m’estimerai satisfait si cette traduction permet au lecteur anglais de se
faire une idée correcte du style de Chrétien. » (1999 : ix) Ou encore chez Bernard Pautrat préfaçant W. H. Auden : « Le traducteur fait de son mieux, mais il sait bien qu’il perd au change. »
(2006 : 32) Leyris (2007 : 160), Klossowski (1989 : xii), Nerval (1877 : 1), Eliot (1930 : 11)… la
liste est longue des traducteurs professant leur humilité face au texte original et leur incertitude
face à leur propre travail. Au lecteur d’évaluer la sincérité du procédé : en bonne rhétorique, le
chleuasme consiste à se dénigrer, ou à dénigrer son travail, moins par modestie réelle que pour
mieux s’assurer les éloges. Or la préface est un objet éminemment rhétorique, où il s’agit de
convaincre de la réussite (ou de l’ambition) d’un travail avant que le lecteur s’en fasse une idée
par lui-même.
Aux aveux
D’où les justifications, d’où la modestie affichée, d’où aussi une tendance à manier un autre
artifice rhétorique : avouer un peu pour dissimuler beaucoup. Le lecteur hésitera sans doute avant
de critiquer telle méthode traductive certes problématique, mais exposée (voire revendiquée) par
le traducteur lui-même. Il appréciera peut-être l’honnêteté de Burton Raffel qui, préfaçant ses
traductions d’Osip Mandelstam, admet : « Je n’ai pas hésité à réorganiser les vers, aux endroits
où la syntaxe de l’anglais n’autorisait pas un respect plus scrupuleux de la langue russe » (1973 :
7) ; ou celle de David Slavitt à propos de ses traductions de Sophocle : « J’ai fait quelques petits
ajouts ici et là. […] Dans Œdipus at Colonus, par exemple, j’ai inséré la formule “le rêve d’un
poète” dans une ode chorale afin d’éclairer le lecteur » (2007 : 175-176). Dans sa préface à
Constantin Cavafy, Marguerite Yourcenar se montre tout aussi franche : « J’ai toutefois pris sur
moi de les remplacer par un équivalent, là où l’intention du poète, pour un lecteur de nos jours, en
eût été irrémédiablement faussée. » (1958 : 56) Traducteur de Beowulf, épopée médiévale composée de vers allitératifs en vieil-anglais, Seamus Heaney admet dans sa présentation : « Je me suis
autorisé quelques transgressions. Par exemple, je n’ai pas toujours préservé l’allitération, et je n’ai
parfois allitéré que sur un demi-vers. » (2000 : xxviii) Faute avouée est à demi pardonnée : on
voit bien que de tels aveux, pour utiles ou intéressants qu’ils soient, sollicitent la bienveillance du
lecteur – tout comme la mise en avant des difficultés du texte ou la modestie affichée par le tra-
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
23
ducteur. Mais il ne s’agit pas ici de contester l’intérêt de la préface de traducteur, ni de présenter
celui-ci comme un incompétent, doublé d’un hypocrite, qui ne songerait qu’à justifier ses ratages
ou ses approximations. Ce qui ressort de notre corpus de préfaces, bien au contraire, c’est que le
traducteur est souvent capable de réflexions d’une grande finesse, et qu’il sait à l’occasion se faire
historien, pédagogue, linguiste et critique littéraire.
Microlectures
La préface est un lieu d’observation privilégié où se pratique, avec une acuité particulière, le
commentaire d’une œuvre dont le traducteur est souvent le plus fin connaisseur et le plus ardent
défenseur. On y découvre ainsi des analyses ponctuelles, souvent mémorables, qui ont pour fonction première d’expliciter une ambiguïté ou une difficulté notable afin d’en justifier la traduction.
Premier traducteur français de Jorge Luis Borges, Roger Caillois commente ainsi le choix du
titre L’Auteur et autres textes :
Le titre du recueil El Hacedor est tiré du verbe « faire » (hacer), comme le grec poietes (poète) du verbe
correspondant (poïein, faire). La traduction correcte aurait donc été faiseur, si le mot n’avait pas pris en
français divers sens dont aucun ne convient en l’occurrence. Fabricant, fabricateur, artisan, ouvrier,
n’étaient pas moins inopportuns. Je me suis donc résigné à traduire par auteur. (1964 : 8)
Dans la présentation de son Anthologie de la poésie américaine, Alain Bosquet expose et
résout une difficulté de traduction :
Les onomatopées deviennent souvent, en anglais, des substantifs et des verbes, sans changer de forme.
Ainsi on en trouve l’exemple chez Carl Sandburg – caw est le cri du corbeau, the caw : le croassement et to
caw : croasser. Comment traduire : crows crying caw, caw, en gardant intacts le sujet et le verbe, à savoir :
« des corbeaux qui crient » ? Il a fallu trouver un compromis – artificiel sans doute – entre le son du cri et le
verbe existant, croasser, et dire : « des corbeaux qui crient : croa, croa ». (1956 : 36-37)
On voit ici que nos catégories peuvent se chevaucher : en quelques lignes, Bosquet ébauche
une stylistique comparée de l’anglais et du français (l’onomatopée anglaise se faisant indifféremment verbe et substantif), justifie sa traduction (« il a fallu ») et met en avant l’humilité de
sa pratique (« un compromis […] artificiel »). Autant d’éléments que l’on retrouve dans l’un des
passages les plus éclairants des « Remarques » dont Chateaubriand accompagne sa version en
prose du Paradis perdu de Milton :
Le poète décrit le palais infernal ; il dit : « Many a row / Of starry lamps […] Yielded light / As from a sky. »
J’ai traduit : « Plusieurs rangs de lampes étoilées… émanent la lumière comme un firmament. » Or, je sais
qu’émaner en français n’est pas un verbe actif ; un firmament n’émane pas de la lumière, la lumière émane
d’un firmament : mais traduisez ainsi, que devient l’image ? Du moins le lecteur pénètre ici dans le génie
de la langue anglaise ; il apprend la différence qui existe entre les régimes des verbes dans cette langue et
dans la nôtre. (1990 : 27)
En prenant ainsi le lecteur par la main, en l’accompagnant dans le parcours qui a mené de
l’original à la traduction – hésitations et insatisfactions comprises –, le traducteur fait de lui
un traductologue éphémère ; si l’exercice lui a plu, il pourra toujours poursuivre seul le travail
qu’ébauche la préface. Celle dont Seamus Heaney fait précéder Beowulf est constituée pour
moitié de remarques sur les difficultés propres à la traduction du vieil-anglais. Heaney s’y livre
notamment à quelques analyses lexicologiques :
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
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Hwæt wē Gār-Dena in gēar-dagum […] Le mot qui ouvre le poème, hwæt, est traditionnellement rendu par
quelque terme archaïsant comme « oyez », « entendez-moi » ou – plus familièrement – « écoutez-moi »,
pour citer quelques traductions existantes. Or, dans le parler des valets anglo-irlandais, la particule « donc »
[so] vient tout naturellement à la rescousse, car dans leur idiome cette expression a une double fonction :
elle oblitère le discours ou le récit qui précède, et en même temps requiert l’attention immédiate des auditeurs. Donc, j’ai opté pour « donc » : So. The Spear-Danes in days gone by […] (2000 : xxvii)
Yves Bonnefoy est un spécialiste de cet exercice, où il excelle ; la profusion de ses analyses
donne à penser que chaque vers traduit pourrait s’assortir d’une lumineuse explication. Nous n’en
citerons qu’une, qui porte sur sa traduction de « Parmi les écoliers » de W. B. Yeats, poème dont
l’avant-dernière strophe esquisse une comparaison entre « nuns and mothers » ; Bonnefoy commente ainsi le premier mot de la dernière strophe :
Labour / is blossoming or dancing where / The body is not bruised to pleasure soul […] De quoi s’agit-il,
dans ce cas ? D’une ambiguïté qui est dans le mot labour, et qui est tout à fait nécessaire au sens, encore
qu’elle le voile. […] Et ne faut-il donc pas […] comprendre ce mot labour en son autre sens, certes moins
fréquent, qui dit le travail de l’accouchement ? […] J’ai donc traduit labour par enfanter afin de sauver la
pensée qui me paraît la plus importante. (1989 : 29-30)
Le traduire
Il n’est pas indifférent que Heaney cite des traductions existantes du premier vers de Beowulf,
pour mieux s’en démarquer, ni que Bonnefoy s’explique sur un choix lexical à propos d’un poème
que d’autres ont déjà traduit en français – Fréchet (1975 : 193) rend labour par travailler. La
dernière rubrique de notre seconde catégorie concerne surtout les auteurs d’une nouvelle traduction – d’une retraduction –, qui situent leur travail dans une continuité historique, prennent leurs
distances vis-à-vis de leurs prédécesseurs ou au contraire admettent qu’ils s’en inspirent. C’est le
cas de David Slavitt à propos de Sophocle :
En parcourant à nouveau les traductions qui précèdent la mienne, je constate qu’elles ne datent pas d’hier :
la dernière, Antigone, par exemple, date de 1939. Les conventions poétiques et le style de l’époque ont bien
changé depuis. Si les dialogues de Fitts tiennent encore la route, les odes chorales de Fitzgerald sont un peu
fleuries pour le goût du xxe siècle. (2007 : 9)
C’est aussi le cas de Laurent Bury, qui n’ignore pas que l’œuvre de Lewis Carroll a déjà fait
l’objet de dizaines de versions et adaptations en français : « Dans sa traduction parue en 19421947, André Bay traduit le sens des poèmes mais sans se soucier de leur forme. Malgré quelques
entorses occasionnelles, Henri Parisot fait l’effort de composer des vers réguliers. » (2010 : 40)
Plus franchement critique à l’égard de ses prédécesseurs, Charles Brooks les dénigre dans sa
préface au Faust de Goethe :
On dirait qu’en matière de prosodie ils se sont demandé comment Goethe aurait écrit ou façonné cela en
anglais, si telle avait été sa langue maternelle, au lieu de rechercher con amore (et con fidelità), comme ils
l’eussent dû, à reproduire, dans l’esprit comme dans la forme, le mouvement, si libre mais si ordonné, du
poète de génie qu’ils ont voulu représenter. (1857 : 6)
À l’inverse, Chateaubriand se réjouit à l’idée que d’autres versions du Paradis perdu viendront
s’ajouter à la sienne : « On dit que de nouvelles traductions de Milton doivent bientôt paraître ;
tant mieux ! on ne saurait trop multiplier un chef-d’œuvre. » (1990 : 39) Cette généreuse exclama-
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
25
tion de Chateaubriand annonce déjà, avec plus d’un siècle d’avance, une conception de la traduction qu’Yves Bonnefoy nommera « le traduire » :
Cette traduction sans illusion ni sanction, cette approche délibérément personnelle, ne peut que se savoir un
simple moment au sein d’une suite d’autres interprétations du même poème : et ce savoir, ce consentement
d’emblée accordé par un traducteur au travail des autres dans les années à venir, instituera ainsi une activité, le traduire. […] En somme, si chaque traduction est moins que l’original, le traduire comme tel, l’activité que l’on peut nommer le traduire, va – nous dit-on – en donner à la longue l’équivalent et même sans
doute davantage : ces déchiffrements successifs ayant fait paraître au grand jour un infini de la signifiance
que l’auteur, pour sa part, avait réfréné autant que vécu. (2000 : 25)
Nul besoin que le traducteur se déclare explicitement, dans sa préface, l’héritier d’une tradition qui se poursuivra après lui : son travail s’inscrit de lui-même, qu’il le veuille ou non (qu’il le
sache ou non), dans cette belle et foisonnante continuité qui forme le traduire. Du moins, en faisant l’éloge ou la critique des versions qui précèdent la sienne, prend-il part activement au travail
collectif et diachronique de la « communauté des traducteurs » (Bonnefoy : 2000). Ou, pour le
formuler autrement : « Il s’agit de constituer par ce principe – qu’un texte est l’ensemble de toutes
ses traductions significativement différentes – une nouvelle théorie de la traduction. Celle-ci est,
pour un texte, la mesure de sa créativité » (Faye, 2006 : 227).
Questions
La fidélité, encore et toujours
Comme le confirme la présente typologie, une préface de traducteur respecte un certain
nombre de conventions et comporte des invariants qui se retrouvent aussi bien au xviie siècle
qu’au xxe. Toutefois ce format offre aussi une grande liberté, en cela qu’il autorise aussi bien les
analyses ponctuelles que les réflexions plus théoriques. La préface de Chateaubriand au Paradis
perdu comme celle dont Walter Benjamin fait précéder ses traductions de Baudelaire sous le titre
« La tâche du traducteur » sont devenues des classiques de la traductologie. De fait, bien des traducteurs abordent dans leur préface les « grandes questions » de la traduction, ces thèmes récurrents qui traversent les époques sans jamais s’épuiser. La fidélité, concept aux contours vagues et
fluctuants dont se réclament déjà tous les traducteurs de l’âge classique, continue d’être invoquée
aujourd’hui. Au xviie siècle, John Vicars déclare à propos de ses traductions de Virgile : « J’ai
visé ce triple objectif : la clarté de la forme ; la fidélité à l’auteur ; et la facilité ou la fluidité – ceci
afin de divertir mon lecteur. » (1995 : 57) Au xviiie, Le Tourneur affirme à son tour le « devoir
d’être fidèle » pour traduire Shakespeare, ajoutant : « C’est donc une traduction exacte & vraiment fidèle que nous donnons : c’est une copie ressemblante. » (1990 : 57) Au xixe, un même
sens du « devoir » semble animer Albert Stapfer dans sa préface à Goethe : « Je n’eusse pu me
permettre la prose sans manquer au premier devoir du traducteur, la fidélité. » (1825 : iii-iv)
Au xxe siècle, peu de traducteurs omettent de s’en réclamer. Citons entre autres René Fréchet :
« J’ai essayé de donner une image ou un écho aussi fidèle que possible de l’original. Si la fidélité
reste bien une règle, on ne peut en donner aucune recette » (1975 : 66) ; Marguerite Yourcenar :
« J’ai joué avec la chimère d’une traduction fidèle à la fois à la lettre et à l’esprit » (1958 : 57) ;
Albert Laffay : « La fidélité à ce qu’on appelle, sans doute par une abstraction excessive, le sens
du poème, n’empêche cependant pas qu’on se soit efforcé de maintenir un rythme et d’accorder
les sons » (1968 : 135-136) ; Peter Boyle : « La fidélité littérale, bien sûr, n’est pas toujours la
forme de fidélité qui compte le plus et, poète moi-même, je me suis attaché tout autant aux autres
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
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dimensions que constituent le son, l’image, le rythme et (peut-être surtout) la tonalité » (2004 :
xxiii) ; et Jean-Luc Leclanche : « Il fallait s’efforcer de rendre le maximum de poésie avec le
maximum de fidélité. » (1982 : 125)
Ce thème récurrent présente une variante tout aussi fréquente : la fidélité est parfois invoquée pour mieux justifier son absence, fût-ce au prix de quelques contorsions rhétoriques. Alain
Bosquet déclare par exemple : « Les problèmes auxquels le traducteur de poèmes doit faire face
sont multiples. Il ne peut pas, en principe, accepter le point de vue des professeurs pour qui la
fidélité littérale doit être préservée à tout prix. […] Ceci n’est possible qu’au prix d’une certaine
infidélité dans le détail » (1956 : 35). James Greene prévient quant à lui son lecteur :
La question de savoir comment traduire (les traductions doivent-elles vraiment se montrer, comme des
époux, « fidèles » ou « libres » ?) fait toujours l’objet de vifs débats. […] La « fidélité » totale, à supposer
qu’elle existe – et qui consiste à « conserver » le mètre, la disposition des rimes, les sonorités de l’original,
la longueur des vers ; etc. – serait une absurdité ; les traductions qui visent une « fidélité » au mètre et à la
rime de l’original sont souvent infidèles sur un plan plus important : elles ne produisent pas sur le lecteur
anglais l’effet produit par l’original sur son lecteur. (1991 : ix)
Plus laconique, Paul Veyne déclare dans sa préface de l’Énéide : « Et puis chaque langue
diffère d’une autre, n’a pas la même “structure”, si bien que traduire fidèlement, c’est trahir. »
(2012 : 15) Le même paradoxe est énoncé par Pierre Jean Jouve : « Une traduction de poésie doit
revendiquer le droit à une certaine infidélité ; mais alors (pour parler comme Shakespeare) le pire
de l’infidélité peut devenir le meilleur de la fidélité. » (1969 : 17-18)
La source et la cible
Notre rubrique suivante est liée par nature à la question de la fidélité. Parmi les questions
abordées dans la partie méta-traductive des préfaces, une grande place est dévolue au problème
de la littéralité, de la domestication de la langue étrangère, de l’étrangèreté – toutes notions subsumées dans l’opposition sourciers-ciblistes telle que l’a théorisée, ou du moins souvent illustrée,
Jean-René Ladmiral (2014). Certains préfaciers prônent une acclimatation du texte source dans
la culture de la langue cible, et assument cet ethnocentrisme contre lequel Antoine Berman
mettait le traducteur en garde : « La visée même de la traduction – ouvrir au niveau de l’écrit un
certain rapport à l’Autre, féconder le propre par la médiation de l’Étranger – heurte de front la
structure ethnocentrique de toute culture. » (1984 : 74) Ainsi Borges et son traducteur américain
Norman Di Giovanni ont-ils travaillé ensemble à la version anglaise comme si les poèmes d’origine avaient été écrits dans un anglais de la deuxième moitié du xxe siècle, sans hésiter à introduire de subtiles modifications pour que le lecteur américain puisse comprendre des références
culturelles et historiques d’abord destinées au lecteur argentin. Ce ciblisme, que Venuti nomme
domestication, est revendiqué par Robert Graves dans sa préface à Suétone :
Pour le lecteur anglais, certaines phrases de Suétone, et même parfois des groupes de phrases, doivent être
retournées comme un gant. […] Les dates ont été systématiquement changées, l’ère chrétienne remplaçant
ici l’ère païenne ; on a utilisé le nom moderne des villes quand il nous a semblé mieux connu que le toponyme antique ; enfin, quand les sommes sont exprimées en sesterces, nous avons préféré leur équivalent en
pièces d’or. (1957 : 8)
Lawrence Venuti commente ce type d’approche en évoquant L’Énéide traduite par John
Denham : « La traduction n’a plus l’air d’être une traduction, mais un texte écrit directement en
anglais. » (1995 : 29)
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
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C’est dans la tradition opposée que s’inscrit Chateaubriand qui, au seuil de son Paradis perdu,
esquisse un art poétique sous la forme d’une image devenue fameuse : « J’ai calqué le poëme de
Milton à la vitre. » (1990 : 26) Pierre Jean Jouve choisit lui aussi de se faire sourcier dans sa traduction des Sonnets de Shakespeare :
Il faut faire le contraire de « franciser » ; il faut porter la poésie française jusqu’aux modes poétiques d’une
autre langue, et qu’elle rivalise avec l’étrangère. […] Par maintes tournures (suppression d’articles et pronoms, usage de l’inversion), et par l’emploi de plusieurs termes de vieux français, j’ai désiré établir des
repères, permettant de sentir la relative distance entre nous et Shakespeare. (1969 : 17-18 et 19)
C’est une méthode similaire que choisit Pierre Klossowski (1989 : xi et 3), qui préfère « s’astreindre à la texture de l’original » et, suivant l’exemple de Chateaubriand, calquer Virgile à la
vitre : « Les armes je célèbre et l’homme qui le premier […] » Sa traduction de l’Énéide, en 1964,
a relancé pour longtemps un débat qui se poursuit encore dix ans plus tard, par exemple sous la
plume de Michel Deguy :
Dans le cas de la poésie, il s’agit moins d’annuler la distance entre un texte de départ et un texte d’arrivée,
de la faire disparaître selon le critère de la belle infidélité pour lequel une traduction réussie se marquait
à ceci qu’à cacher son titre elle ne se serait pas fait remarquer et aurait pu passer auprès de l’ignorant du
trafic pour un texte orignal, que de rendre manifeste cette distance comme différence dans notre langue
(langue d’arrivée). Le texte d’arrivée ne cache pas qu’il est une traduction et apparaît comme il est : déplacé,
hybride. La langue hôtesse tressaille et craque sous l’effort. (1974 : 49-50)
Vers ou prose
Dans la deuxième moitié du xxe siècle, les préfaces de traducteurs se font l’écho, ou même
le creuset, d’un autre débat qui a longtemps agité le petit monde des traducteurs de poésie : la
question prosodique, et plus particulièrement la question métrique. Telle est bien la question qui
préoccupe le plus les traducteurs-préfaciers : est-il possible (et souhaitable) de conserver le mètre
d’origine ? Que faire quand on ne trouve aucun équivalent, même approximatif, dans la langue
cible ? Et la rime ? Et la strophe ? Et l’alexandrin ? Peut-on saupoudrer des rimes ou des mètres
réguliers ici où là ? Rendre des vers par de la prose ? Traduire un sonnet en seize ou dix-huit
vers ? Les exemples sont si nombreux qu’on peut les classer en trois sous-catégories non exhaustives : l’affirmation, éventuellement illustrée, d’un choix métrique plus ou moins inattendu ; les
vertus et les défauts de l’alexandrin ; et l’alternative vers/prose. Aux divergences syntaxiques
entre le français (ou l’anglais) et le latin s’ajoutent les divergences métriques ; comme il l’annonce
dans la préface de son De rerum natura, qu’il sous-titre « a poetic translation », David Slavitt se
refuse à calquer la versification latine : « J’ai cherché à rendre la “poésie” du texte admirable de
Lucrèce. Pour traduire son hexamètre latin, j’ai opté pour des vers de six pieds – qui, tout en se
distinguant du grec et du latin, sont plus lents que le pentamètre iambique anglais traditionnel. »
(2008 : ix) À l’inverse, Bernard Miall annonce fièrement qu’il a traduit Maurice Maeterlinck en
anglais dans un respect total de la forme : « Tous les poèmes de ce recueil sont traduits dans leur
mètre d’origine. » (1915 : xi-xii) Dans sa préface aux Elegies from the Castle of Duino de Rainer
Maria Rilke, traduites en collaboration avec son cousin Edward, Vita Sackville-West dédaigne le
mètre d’origine : « On admettra que, pour composer de la poésie anglaise, l’hexamètre constitue
un piteux instrument ; […] au fond, il est ridicule » (1931 : 128). Traducteur d’un poème médiéval
anonyme en gaélique, les Lamentations de la vieille femme de Beare, Jean-Yves Bériou choisit
d’abandonner le vers rimé pour mieux préserver le rythme de l’original : « La versification
irlandaise traditionnelle est d’une complication extrême, et il aurait été vain de vouloir en rendre
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
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compte dans notre traduction. […] Nous avons eu comme volonté de conserver quelque chose du
rythme, de l’allure » (1992 : 13).
Une deuxième sous-catégorie pourrait accueillir les tribulations de l’alexandrin. Si certains
traducteurs-préfaciers estiment qu’il offre un équivalent correct du pentamètre iambique, d’autres
le jugent trop marqué historiquement. Ses partisans livrent parfois leurs raisons, tels Florence
Guilhot et Jean-Louis Paul (1994 : 8) dans leur préface à une petite anthologie de Lord Byron :
Nous avons essayé, pour la présente traduction, que la régularité métrique ne conférât pas au vers un
classicisme absolu, mais soutînt la multiplicité d’une écriture directe qui rompt en partie avec ces formes
anciennes. […] S’agissant des alexandrins, nous n’avons pas voulu la seule césure hémistiche traditionnelle.
Pour son Énéide de Virgile, Jean-Pierre Chausserie-Laprée a fait le même choix pour des
raisons similaires :
Le choix du grand alexandrin classique non rimé, mais sous sa forme la plus rigoureuse (élision obligatoire,
hiatus interdit, cohérence des diérèses) et dans son application la plus pure (un vers unique, aux hémistiches
sensibles, enferme un ensemble syntaxiquement fini), […] n’était pas moins nécessaire. (1993 : 17)
Dans ses traductions de Keats, Robert Ellrodt propose un alexandrin « assoupli » : « Au
décasyllabe anglais correspond l’alexandrin […]. Cet alexandrin est assoupli par la variété des
pauses et par les licences » (2000 : 54). Dans ses traductions de John Donne, il fait le choix d’un
alexandrin non rimé qu’il nomme « vers blanc » en ce qu’il s’affranchit de certaines règles de la
prosodie classique : « Le vers blanc, malgré ses insuffisances, peut suivre le mouvement imposé
à la pensée par un modèle prosodique. » (Ellrodt, 1993 : 50) Si Chateaubriand a traduit Milton
en prose, Armand Himy préfère le vers classique : « Au vers blanc de Milton correspond un
vers blanc français. Au décasyllabe de Milton correspond, quand cela a été possible, en général
un alexandrin. » (2001 : 48) J’ai moi-même adopté une forme d’alexandrin dans une traduction
d’Edward Lear, pour les vertus comiques qu’il présente dans le cadre d’une comptine : « Nous
proposons ici vingt-quatre limericks posthumes […] ; ils ont quatre vers au lieu des cinq habituels, et tous ne sont pas illustrés. Leur trimètre iambique nous a paru trouver un équivalent
acceptable dans des alexandrins de mirliton » (Hersant, 1997 : 17). On note un même respectueux recul chez Jacques Darras, qui enchâsse dans le grand vers classique les vulgarités qui
émaillent le v. de Tony Harrison : « La grossièreté du langage, si étrangère à la poésie française
marquée dans son ensemble par une chaste courtoisie, déflagre encore plus sous la contrainte de
l’alexandrin, extrait pour l’occasion de son fourreau mité. » (2008 : 9)
Réquisitionné pour sa noblesse classique ou son caractère désuet, l’alexandrin en traduction a
aussi ses détracteurs. Guy Goffette, disert, explique pourquoi ce vers ne lui semble pas convenir
à la poésie de W. H. Auden : « Le rythme de l’alexandrin est familier à l’oreille française à ce
point qu’il risque d’endormir la perception qui ne sera plus que celle d’une cadence pour ainsi
dire vide de contenu. » (2005 : 13) Claire Malroux, dans sa préface aux Cahiers de poèmes
d’Emily Brontë, expose ainsi ses raisons : « J’ai proscrit l’alexandrin, respectant les intentions
d’Emily Brontë qui n’a eu que rarement recours à l’instrument classique de la prosodie de son
pays, le pentamètre iambique. » (1995 : 37-38)
Le troisième et dernier des débats prosodiques qui se jouent dans les préfaces concerne le
choix du médium : le poème sera-t-il traduit en vers réguliers, en vers libres, en prose ? Jacques
Ancet, qui a traduit Luis de Góngora en décasyllabes rimés, souligne les vertus signifiantes de
la rime :
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
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sordo huye el bajel a vela y remo : / ¡tal la música es de Polifemo! Outre les échos internes dont ces deux
vers sont tissés (bajel / vela / tal ; remo / música, Polifemo), la rime les associe étroitement. La terreur
produite par Polyphème (Polifemo) entraîne la fuite des navires (remo). Ne pas traduire cette trame serrée,
c’est perdre presque toute l’intensité qui s’en dégage. On en reste à une information. On ne traduit pas, on
transcrit. […] Le seul mot français qui désigne un navire tout en satisfaisant à la rime est « trirème » avec,
de surcroît, sa valeur antique accordée à l’époque du récit : Sourde, à voile et rame fuit la trirème : / telle est
la musique de Polyphème ! (2016 : 36-37)
Seul en cela dans notre corpus, Paul Veyne admet que le passage à la prose n’était pas pour lui
un choix, mais une nécessité : « Hélas, à moins d’avoir du génie, le traducteur en est réduit, comme
je l’ai fait, à traduire en prose. » (2012 : 15) D’autres préfaciers font preuve d’une assurance qui
confine à la suffisance. Dans son Anthologie de chants grecs, Jean-Luc Leclanche prend un parti
qui ne semble pas souffrir de discussion : « Point de vers, évidemment, mais quelques recherches
de style et de rythme. » (1982 : 125) Du moins Marguerite Yourcenar explique-t-elle en détail les
raisons qui l’ont incitée à renoncer au vers pour traduire Cavafy :
Si j’ai finalement opté pour une traduction en prose, ce n’est pas seulement parce que la traduction en
vers semble à tort ou à raison démodée, en France du moins, depuis plus d’un siècle. Dans le cas qui nous
occupe, les mille discrètes combinaisons rythmiques cachées à l’intérieur de la prose se prêtaient mieux à
l’approximation des coupes et des mouvements de l’original que ne l’eût pu faire notre prosodie traditionnelle, presque toujours si différente du modèle grec. (1958 : 55)
C’est un raisonnement inverse que fait Jean Malaplate, qui, dans sa préface aux Sonnets de
Shakespeare, se montre assez péremptoire :
Il me semble tout d’abord, et bien d’autres à commencer par Voltaire l’ont dit avant moi, que seuls les
vers peuvent traduire les vers. Une traduction en prose n’est qu’un pis-aller, une simple information sur le
contenu de l’original, une réduction en noir et blanc d’un tableau en couleurs. Valéry, un autre connaisseur,
l’a fort bien exprimé : « On met en prose comme on met en bière. » Et ni la disposition en alinéas, ni le
vers blanc, ni une prétendue prosodie « moderne » ne peuvent remplacer pour des œuvres classiques les
prestiges d’une métrique régulière et de la rime. Un sonnet doit donc être traduit par un sonnet. (1992 : 13)
Il est plaisant de lire cette affirmation catégorique en regard d’une autre qui ne l’est pas
moins, à propos des mêmes Sonnets de Shakespeare – cette fois traduits et présentés par Pierre
Jean Jouve : « Il n’était pas question de traduire en vers, de faire correspondre un vers syllabique
français au mètre anglais. […] Notre traduction des Sonnets est en prose, et cette prose est scandée. » (1969 : 18)
Un sonnet doit être traduit par un sonnet ; pas question de traduire en vers ; pas de vers, évidemment… Il arrive que le traducteur livre sa conception de l’acte traductif de manière explicite,
et parfois curieusement dogmatique – ces passages-là sont truffés de « il faut » et de « on doit ».
Que ce soit par l’exemple, à travers des conseils ou par des affirmations générales, la préface du
traducteur de poésie obéit dans la majorité des cas à une série de principes : le traducteur inscrit
son travail dans (ou contre) une tradition, s’attire la bienveillance critique du lecteur en signalant
ses choix et en soulignant les difficultés rencontrées, et se livre parfois à des explications de
texte proprement traductologiques. Qu’il se montre prudent ou catégorique, modeste ou arrogant,
il manifeste dans tous les cas un désir de plaire ou de convaincre, par avance, le lecteur ou le
critique dont il semble à bon droit redouter l’arbitrage. Il expose, en amont et en marge de son
travail, le projet traductif sur lequel il sera jugé. Il produit ce faisant un document utile et souvent passionnant, mais qu’il convient de prendre avec du recul, sinon avec des pincettes : ce qu’il
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
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annonce n’est pas toujours fondé. Jean-René Ladmiral relève ainsi de notables hiatus entre la
pratique et la théorie d’Antoine Berman et d’Henri Meschonnic : « L’un et l’autre défendent une
théorie à dominante sourcière, mais ils en récusent l’étiquette, et au demeurant leur pratique y
contredit très souvent. » (2014 : 40) Pour ne citer qu’un autre exemple de notre corpus, rappelons
que Jouve affirme dans sa préface qu’il entend éviter l’alexandrin ; c’est pourtant bien l’alexandrin que l’on entend, de façon parfois assourdissante, dans sa traduction en prose6. Son projet traductif se trouve donc moins dans l’annonce d’un programme que dans les sonnets eux-mêmes :
malgré ce qu’il en dit, Jouve s’efforce bien de traduire le décasyllabe anglais par un alexandrin
français. On se gardera donc de prendre une préface pour argent comptant : si le traducteur y
expose son projet de traduction, il ne faut pas perdre de vue que celui-ci ne s’y résume pas, et
même l’excède largement. Pour le formuler autrement, dans les termes d’Antoine Berman, « la
vérité de ce projet ne nous est finalement accessible qu’à partir de la traduction […]. Car tout ce
qu’un traducteur peut dire et écrire à propos de son projet n’a de réalité que dans la traduction »
(1995 : 77).
Bibliographie
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perdu, trad. Chateaubriand, Paris, Belin.
6. Sur ce point, voir P. Hersant, 2004, « Shakespeare en miroir : Pierre Jean Jouve », Études épistémè 6, Sorbonne
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Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
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Tableau récapitulatif des langues de départ (D) et d’arrivée (A)
F-français, A-anglais, D-allemand, E-espagnol, L-latin, Gr-grec, I-italien, R-russe,
C-chinois, H-hébreu, Ga-Gaélique
Année Préfacier
Auteur
F
A
D
E
L
Gr
1632
Vicars
Virgile
A
1656
Denham
Pindare
A
D
A
D
1715
Pope
Homère
1776
Le Tourneur
Shakespeare
1825
Stapfer
Goethe
A
C
H
D
D
1844
Byington
Stirner
A
D
1857
Brooks
Goethe
A
D
1861
Chateaubriand
Milton
Patrick Hersant – Portraits du traducteur en préfacier
R
D
A
A
I
D
34
Ga
Année Préfacier
Auteur
F
1877
Nerval
Goethe
A
1915
Miall
Maeterlinck
D
D
A
D
E
L
Gr
Eliot
St-John Perse
Sackville-West
Rilke
1945
Coindreau
Caldwell
A
D
1956
Bosquet
poètes US
A
D
1957
Graves
Suétone
1958
Yourcenar
Cavafy
1961
Belitt
Neruda
1964
Klossowski
Virgile
A
1964
Caillois
Borges
A
1965
Coindreau
Nabokov
A
D
1965
Jouve
Shakespeare
A
D
1967
Leclanche
poètes grecs
A
1968
Laffay
Keats
A
1973
Jaccottet
Ungaretti
A
1973
Raffel
Mandelstam
D
A
D
A
D
D
D
D
D
D
A
Yeats
A
Homère
A
D
1985
Jacob
Li Bai
A
Leloup
Bible
A
1989
Bonnefoy
Yeats
A
D
D
1991
Greene
Mandelstam
Malaplate
Shakespeare
A
1992
Bériou
Anonyme
A
1993
ChausserieLaprée
Virgile
A
1994
Guilhot-Paul
Byron
A
D
D
1987
1992
Ga
D
A
Fréchet
H
A
A
Jaccottet
C
D
1931
1981
R
A
1930
1975
I
D
D
A
D
D
D
D
1995
Malroux
Brontë
A
D
1997
Hersant
Lear
A
D
1999
Raffel
de Troyes
D
A
2000
Ellrodt
Donne
A
D
2000
Leclercq
Carroll
A
D
2001
Himy
Milton
A
D
2004
Boyle
Montejo
A
2005
Goffette
Auden
A
D
2006
Pautrat
Auden
A
D
2007
Leyris
Hopkins
A
D
2007
Floc’h
Lawrence
A
D
2008
Slavitt
Lucrèce
A
2008
Darras
Harrison
A
D
2010
Shapiro
Gautier
D
A
2007
Slavitt
Sophocle
2010
Bury
Carroll
A
D
2011
Le Gaufey
Larkin
A
D
D
D
A
Palimpsestes 31 – Quand les traducteurs prennent la parole : préfaces et paratextes traductifs
D
35
Année Préfacier
Auteur
F
2012
Veyne
Virgile
A
2014
Hersant
Butts
A
2016
Ancet
Góngora
A
A
D
E
L
L
D
D
Gr
I
R
C
H
Ga